R. c. A.T. |
2021 QCCQ 10775 |
||||||
COUR DU QUÉBEC |
|||||||
|
|||||||
CANADA |
|||||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
|||||||
DISTRICT D’ |
ABITIBI |
||||||
LOCALITÉ D’ |
AMOS |
||||||
« Chambre criminelle » |
|||||||
N° : |
605-01-013210-210 |
||||||
|
|
||||||
|
|||||||
DATE : |
15 octobre 2021 |
||||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
MONSIEUR LE JUGE |
JACQUES LADOUCEUR, J.C.Q. |
|||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
|
|||||||
SA MAJESTÉ LA REINE |
|||||||
Poursuivante |
|||||||
c. |
|||||||
A... T... |
|||||||
Accusé |
|||||||
|
|||||||
|
|||||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
JUGEMENT |
|||||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
CE JUGEMENT FAIT L’OBJET D’UNE ORDONNANCE INTERDISANT LA PUBLICATION OU LA DIFFUSION, DE QUELQUE FAÇON QUE CE SOIT, DE TOUT RENSEIGNEMENT QUI PERMETTRAIT D’ÉTABLIR L’IDENTITÉ DE LA VICTIME QUE L’ORDONNANCE VISE À PROTÉGER. QUICONQUE TRANSGRESSE UNE TELLE ORDONNANCE EST COUPABLE D'UNE INFRACTION PUNISSABLE SUR DÉCLARATION SOMMAIRE DE CULPABILITÉ (ARTICLE 486.4 ET 486.6 DU CODE CRIMINEL).
[1] L’accusé et la plaignante travaillent chez le même employeur où ils font connaissance. À la fin de l’été 2020, ceux-ci débutent une relation de nature « amis-amants » (« friends with benefits »).
[2] La plaignante demeure alors avec ses deux enfants et le père de l’un de ceux-ci, mais est en processus de séparation.
[3] Quant à l’accusé, il demeure seul de sorte que la plaignante va le rejoindre chez lui à partir du vendredi soir pour passer le week-end en sa compagnie.
[4] Malgré tout, la plaignante et l’accusé ne se voient que pour de courtes périodes lors de ces fins de semaine puisque ceux-ci ont un horaire croisé, la plaignante travaillant de jour alors que l’accusé travaille principalement de nuit.
[5] À partir de la troisième semaine de décembre 2020, l’accusé est en arrêt de travail pour des problèmes dépressifs de sorte que celui-ci et la plaignante passent plus de temps ensemble le week-end.
[6] Au cours des semaines précédentes, la relation s’était détériorée. La plaignante prétend que l’accusé faisait usage de violence verbale et psychologique à son endroit en la traitant de tous les noms et en la dénigrant. Aussi, il agit de façon à lui faire peur particulièrement en utilisant un canif avec lequel il s’amuse à simuler des coups près d’elle.
[7] De plus, au cours des activités sexuelles entre eux, des agressions sexuelles seraient survenues.
[8] Ainsi, l’accusé aurait commis des attouchements au niveau du vagin, des seins et des fesses de la plaignante sans son consentement alors qu’elle dormait, aurait pratiqué le cunnilingus lors d’un massage donné à la plaignante au cours duquel elle s’était endormie, l’accusé ayant été prévenu qu’elle s’était mis de la crème pour une infection vaginale avant le massage. Enfin, à deux reprises l’accusé aurait continué de pénétrer la plaignante malgré les demandes de celle-ci de mettre un terme à la relation sexuelle en raison des douleurs éprouvées.
[9] Dans tous les cas, l’accusé, soit mentionne que la plaignante consentait, ou soit il dit avoir eu une croyance sincère mais erronée quant à l’existence dudit consentement.
[10] Au cours de leur fréquentation, l’accusé s’est présenté à trois reprises à l’intérieur du domicile de la plaignante dans des circonstances où il n’y aurait pas été autorisé. Lors de ces évènements et plus particulièrement lors du dernier qui fait suite à la rupture entre les parties, l’accusé aurait commis du harcèlement à l’endroit de la plaignante.
[11] Des échanges de textos ont d’ailleurs lieu entre la plaignante et l’accusé suivant leur rupture au point où la plaignante s’adresse aux forces policières pour qu’elles interviennent. Ce qui sera fait par le biais d’une promesse de comparaître prévoyant, entre autres, que l’accusé ne peut communiquer directement ou indirectement avec la plaignante, sauf dans le cadre de leur travail.
[12] Dans les jours suivants, l’accusé et la plaignante se croisent par hasard au travail. Environ 45 minutes après cette rencontre, la plaignante sort dehors et constate que l’accusé est à l’extérieur de sa voiture qui est alors stationnée à côté du véhicule de la plaignante. Elle demande de l’aide et l’accusé quitte après avoir laissé une note à l’intérieur de la voiture de la plaignante.
[13] Sur la route du retour chez elle, la plaignante voit le véhicule de l’accusé dans la cour d’un dépanneur. Dans les secondes qui suivent, elle reçoit un appel téléphonique de l’accusé qui veut lui parler, ce qu’elle refuse.
[14] Suite à sa plainte, diverses accusations sont portées à l’encontre de l’accusé, à savoir :
605-01-0013210-216
1. Entre le 1 novembre 2020 et le 26 décembre 2020, à Ville A, district de l’Abitibi, a agressé sexuellement A, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 271a) du Code criminel.
2. Entre le 1 septembre 2020 et le 22 janvier 2021, à Ville A, Ville B et ailleurs dans le Québec, district de l’Abitibi, s’est introduit par effraction dans une maison d’habitation située au résidence de A, et y a commis un acte criminel, soit : harcèlement criminel, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 348(1)b)d) du Code criminel.
3. Entre le 1 septembre 2020 et le 22 janvier 2021, à Ville A, Ville B et ailleurs dans le Québec district de l’Abitibi, s’est livré à des voies de fait contre A, alors qu’il utilisait une arme, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 267a) du Code criminel.
4. Entre le 1 septembre 2020 et le 22 janvier 2021, à Ville A, Ville B et ailleurs dans le Québec, district de l’Abitibi, a agi à l’égard de A, dans l’intention de la harceler ou sans se soucier qu’elle se sente harcelée, en posant un acte interdit prévu à l’alinéa 264(2) du Code criminel, ayant pour effet de lui faire raisonnablement craindre pour sa sécurité ou celle d’une de ses connaissances, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 264(1)(2) du Code criminel.
5. Entre le 11 janvier 2021 et le 22 janvier 2021, à Ville A, Ville B et ailleurs dans le Québec, district de l’Abitibi, a sans excuse légitime et avec l’intention de harceler, communiqué de façon répétée avec A par un moyen de télécommunication, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 372(3) (4) du Code criminel.
[15] Quant à un autre dossier portant le numéro 605-01-013205-210, la poursuite a demandé d’ordonner un arrêt conditionnel quant au premier chef qui en était un de harcèlement puisque celui-ci est compris dans le quatrième chef du présent dossier. Concernant le deuxième chef de cet autre dossier qui est en lien avec l’omission de se conformer à une condition de la promesse en communiquant avec la plaignante, l’accusé y a enregistré un plaidoyer de culpabilité.
[16] Lors du procès, tant la plaignante que l’accusé témoignent et plusieurs pièces documentaires sont produites dont des échanges de textos entre les parties.
[17] De plus, deux représentants de l’employeur ainsi qu’une policière témoignent.
[18] 1. La poursuite a-t-elle prouvé hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels suivants de l’infraction de l’agression sexuelle, à savoir :
a) L’absence de consentement de la plaignante en ce qui concerne l’actus reus;
b) La connaissance de l’accusé de l’absence de consentement ou l’insouciance ou l’aveuglement volontaire à cet égard (en lien avec la croyance sincère mais erronée).
[19] 2. La poursuite a-t-elle prouvé hors de tout doute raisonnable, les éléments suivants :
a) Que l’accusé s’est introduit par effraction dans la résidence de la plaignante ?
b) Dans l’affirmative, est-ce que la preuve révèle la commission par l’accusé de l’infraction de harcèlement lors de l’introduction par effraction ?
[20] 3. La preuve révèle-t-elle que l’accusé a, entre le 11 et le 22 janvier 2021, communiqué de façon répétée par un moyen de télécommunication avec la plaignante, et ce, sans excuse légitime et dans l’intention de la harceler ?
[21] 4. La preuve révèle-t-elle que la manipulation par l’accusé d’un couteau constitue la commission de l’infraction de voies de fait avec arme envers la plaignante ?
[22] Les évènements à caractère sexuel survenus dans cette affaire soulèvent principalement la question du consentement. C’est dans l’arrêt R. c. Barton [1] qu’on retrouve les principes devant guider le Tribunal eu égard aux éléments constitutifs à prouver afin d’entraîner une déclaration de culpabilité. L’arrêt Barton s’inspire également des directives antérieures découlant des arrêts R. c. J.A. [2] et R. c. Ewanchuk [3].
[23] En premier lieu, il s’agit de déterminer si l’accusé a commis l’actus reus de l’agression sexuelle à savoir si l’accusé a fait des attouchements à caractère sexuel à une autre personne sans le consentement de celle-ci. La poursuite doit donc démontrer hors de tout doute raisonnable l’absence de consentement. [4]
[24] Dans Barton, on rappelle également que le consentement constitue l’accord volontaire du plaignant à l’activité sexuelle, et ce, à chacun des actes sexuels accomplis à une occasion précise et à être manifesté au moment où l’activité sexuelle a lieu et pouvant être révoqué à tout moment. [5]
[25] D’ailleurs, depuis les modifications apportées au Code criminel en décembre 2018, l’ajout du paragraphe (1.1) à l’article 273.1 C.cr. prévoit que « le consentement doit être concomitant à l’activité sexuelle. » [6]
[26] À noter qu’à l’étape de l’évaluation de l’actus reus, le consentement signifie que dans son esprit la plaignante souhaitait que les attouchements sexuels aient lieu. Donc, c’est l’état d’esprit de la plaignante qui est important et non pas la perception par l’accusé de cet état d’esprit.
[27] Aussi, il n’est pas nécessaire que la plaignante ait manifesté l’absence de consentement ou la révocation de son consentement pour que l’actus reus soit établi. [7]
[28] En ce qui concerne la mens rea et plus particulièrement relativement à l’application de la défense de la croyance sincère mais erronée au consentement communiqué, « la notion de “consentementˮ signifie que “la plaignante avait, par ses paroles ou son comportement, manifestée son accord à l’activité sexuelle avec l’accusé.ˮ Par conséquent, l’analyse porte à cette étape sur l’état d’esprit de l’accusé; la question est alors de savoir si l’accusé croyait sincèrement “que le plaignant avait vraiment dit “ouiˮ par ses paroles, par ses actes, ou les deuxˮ. » [8] [nous soulignons]
[29] À noter que « l’accusé doit faire état d’une croyance sincère mais erronée que la plaignante a, en fait, communiqué son consentement, par ses paroles ou par ses actes. » [9]
[30] On peut aussi lire dans Barton cet extrait de l’opinion émise par madame la juge L’Heureux-Dubé dans Park : « [e]n pratique, les principaux facteurs pertinents quant à ce moyen de défense sont donc (1) le comportement communicatif proprement dit de la plaignante et (2) l’ensemble des éléments de preuve admissibles et pertinents qui expliquent comment l’accusé a perçu ce comportement comme exprimant un consentement. Tout le reste est secondaire. » [10] [soulignement dans l’original]
[31] La Cour suprême ajoute qu’il est donc nécessaire de préciser la terminologie juridique en désignant le moyen de défense avec plus de précision par l’expression « croyance sincère mais erronée au consentement communiqué, » [italiques dans l’original] afin d’éviter « de s’aventurer, par inadvertance sur le terrain interdit du consentement présumé ou tacite. » [11]
[32] Référant à Ewanchuk, la Cour suprême rappelle que « [l]e moyen de défense “spécieuxˮ fondé sur le consentement tacite “repose sur la présomption voulant que, à moins qu’elle proteste ou résiste, une femme est “réputée” consentir. Il ressort de l’arrêt Ewanchuk que cette notion n’a pas sa place en droit canadien. » [12]
[33] Puis, en citant R. c. M. (M.L.), la Cour ajoute que « le fait de croire que le silence, la passivité ou le comportement ambigu de la plaignante valent consentement de sa part est une erreur de droit et ne constitue pas un moyen de défense. » [13]
[34] Soulignons que l’alinéa 273.2b) C.cr. impose une condition préalable à la défense de la croyance sincère mais erronée au consentement communiqué, c’est-à-dire la prise de mesures raisonnables. « [L]’absence de mesures raisonnables emporte exclusion de ce moyen de défense (« no reasonable steps, no defence »). » [14] Par contre, « l’accusé n’est pas tenu de prendre “toutes” les mesures raisonnables » [15].
[35] L’article 273.1 C.cr. prévoyait déjà l’exclusion du moyen de défense fondé sur la croyance au consentement en prévoyant, entre autres, la situation où la croyance résultait de l’insouciance ou de l’aveuglement volontaire de l’accusé ou du fait qu’il n’a pas pris les mesures raisonnables, dans les circonstances dont il avait alors connaissance, pour s’assurer du consentement. Or, en décembre 2018, le sous-alinéa c) est ajouté à l’article 273.1 C.cr. pour prévoir une autre situation excluant ce moyen de défense à savoir lorsqu’« il n’y a aucune preuve que l’accord volontaire du plaignant à l’activité a été manifesté de façon explicite par ses paroles ou son comportement. » [16]
[36] D’autre part, il n’est pas exceptionnel que le consentement soit exprimé sans que des mots ne soient dits de sorte que la croyance honnête mais erronée peut certainement découler, entre autres, d’un contexte de gestes préalables posés avec douceur et respect auxquels le partenaire réagit en harmonie avec ces gestes posés.
[37] Soulignons que « l’obligation relative aux mesures raisonnables rejette l’idée périmée selon laquelle les femmes sont réputées consentir à moins qu’elles disent “non”. » [17]
[38] Voyons donc maintenant ce qu’il en est dans le présent cas.
[39] Au départ, notons que la dénonciation prévoit, en ce qui concerne le crime d’agression sexuelle, que celui-ci aurait été commis entre le 1er novembre 2020 et le 26 décembre 2020. Divers évènements seraient survenus au cours de cette période.
[40] Juridiquement, le fait de conclure que l’un de ces évènements constitue une agression sexuelle est suffisant pour entraîner une déclaration de culpabilité de l’accusé. Par contre, le Tribunal considère important d’analyser chacun de ces évènements séparément pour une meilleure compréhension et aussi puisque cela pourrait être pertinent ultimement au niveau du prononcé de la peine s’il y a lieu. En effet, chacun des évènements constituerait alors un facteur aggravant, lesquels doivent être prouvés hors de tout doute raisonnable. [18]
[41] Puisqu’il y a ici des versions contradictoires, le Tribunal doit procéder comme le veulent les enseignements de la Cour suprême dans R. c. W.(D.) [19], à savoir qu’il doit suivre la procédure en trois étapes. Si, lors de la première étape, le Tribunal croit l’accusé, il doit l’acquitter. Sinon, à la deuxième étape, si le Tribunal ne croit pas l’accusé, mais que sa version soulève un doute raisonnable, il doit également l’acquitter. Enfin, si le Tribunal n’acquitte pas l’accusé au stade de la première ou de la deuxième étape, il doit alors se demander si la preuve de la poursuite le convainc hors de tout doute raisonnable afin de le déclarer coupable.
[42] Même s’il s’agit de la dernière agression qui serait survenue, il est préférable d’en traiter en premier lieu.
[43] L’analyse au niveau de la première et de la deuxième étape devant se faire dans le contexte de l’ensemble de la preuve, le Tribunal va aborder d’abord la version de la plaignante dans le but de mieux comprendre le contexte de la survenance de l’évènement.
[44] Dans son témoignage, la plaignante mentionne qu’à cette date une relation sexuelle consentante débute entre eux.
[45] Après environ une heure, elle demande à l’accusé d’arrêter car elle a mal. Elle l’exprime verbalement en mentionnant à l’accusé qu’elle n’est plus capable. L’accusé lui mentionne à ce moment que ce ne sera pas long qu’il va « venir ».
[46] À ce sujet, la procureure de l’accusé attire l’attention du Tribunal sur une mention apparaissant aux notes sténographiques de l’audition du 18 mai 2021 [20], selon laquelle la plaignante aurait dit dans son témoignage « fait que là j’ai dit : “aussi bienˮ ». Après avoir attentivement procédé à la réécoute, le Tribunal constate que la plaignante répond plutôt à ce moment, d’un ton de voix faible et triste ce qui suit : « fait que là j’ai décidé : “aussi bienˮ » [nous soulignons]. Dans le sens où elle se soumet à l’entêtement et la persistance de l’accusé.
[47] Selon la plaignante, environ 15 à 20 minutes plus tard, elle demande à nouveau à l’accusé d’arrêter et celui-ci poursuit en accélérant ses mouvements.
[48] Le tout se termine alors que l’accusé est incapable d’avoir une éjaculation. La plaignante éprouve des douleurs intenses et se rend à la salle de bain pour se faire couler un bain et s’appliquer une débarbouillette d’eau froide. À ce moment de son témoignage, la plaignante pleure en expliquant que l’accusé a comparé son vagin à un chou-fleur et qu’elle a essayé d’uriner, mais qu’elle n’a pas été en mesure d’avoir une miction complète puisque ça lui brûlait trop et lui faisait mal.
[49] La version de l’accusé quant à lui, est que lors de cette relation, tout se passe bien et que ça dure un certain temps, n’étant pas d’autre part en mesure d’évaluer la durée. Il mentionne qu’à un certain moment, la plaignante lui dit que ça commence à être sensible et il lui suggère à deux reprises d’arrêter ce qu’elle refuse en lui disant plutôt de continuer, mais en faisant ça vite.
[50] Il se dit surpris de la réaction de la plaignante qui lui fait part des séquelles à son vagin en lui disant qu’il avait pourtant pris la peine de lui demander si c’était correct.
[51] En fait, il mentionne qu’il a demandé « veux-tu que j’arrête » et qu’elle aurait répondu « c’est pas ce que je veux, mais faudrait ». Il mentionne que cette réponse ambiguë fait en sorte qu’il se demande ce qu’elle veut dire et qu’il se pose la question à savoir « qu’est-ce que je fais ? »
[52] Il ajoute dans son témoignage que la plaignante a effectivement exprimé, suite à la relation sexuelle, qu’elle avait des douleurs au vagin et qu’il a lui-même fait couler un bain et apporté une débarbouillette.
[53] Par rapport au fait que la plaignante avait de l’enflure au niveau vaginal, il mentionne qu’il a vérifié et dit, pour reprendre ses mots, que celui-ci était « flambant neuf ». Cela est illogique. Pourquoi la plaignante exprimerait-elle qu’elle a des douleurs au niveau du vagin et que celui-ci est enflé au point où l’accusé vérifie celui-ci, apporte une débarbouillette et fait couler un bain si tout est normal au niveau de l’apparence ?
[54] D’ailleurs, selon l’accusé, il confirme que la situation était tellement préoccupante qu’ils en ont parlé pendant des jours. Pourquoi s’éterniser sur un sujet où il y aurait eu une relation sexuelle consentante et n’ayant pas causé de séquelles apparentes ?
[55] Les textos confirment d’ailleurs cette absence de consentement et l’invraisemblance de la version de l’accusé. Ainsi, à la page 6 desdits textos (pièce P-3), l’accusé écrit :
Oh ok tu parle du sexe ? Criss tu me l’a jamais dit de même sérieux tu l’aurait crier j’aurais arrêté [21]
[nous soulignons]
[56] Cette affirmation est tout à fait incohérente avec son témoignage selon lequel la plaignante a consenti clairement. Dans ce texto, il ne dit pas qu’elle a consenti mais plutôt qu’elle aurait dû manifester beaucoup plus clairement son refus.
[57] De plus, à la page 16 des textos (pièce P-3) on peut lire l’échange suivant :
Plaignante : Tu as un sérieux problème !!!!!! être doux et de pas écouter quelqu’un qui te demande d’arrêter ses complètement différent
Tu me la fais deux fucking fois
Accusé : Une ?
Non je sais voyon pas ça je dit je m’excuse j’me suis excuser 500 fois qu’est-ce je peux faire tse
Pis j’ai pas refait donc j’ai eu ma leçon me semble
Et puis j’ai changer les médicaments pis là c’est correct
Mais je sais c pas une excuse
Chu dsl jte demande parton j’me coupe la graine si c’est ça qui faut
[nous soulignons]
[58] Dans cet échange de textos, on constate donc que l’accusé admet avoir commis les gestes reprochés à au moins une reprise.
[59] Plus loin, l’accusé mentionne ce qui suit :
(…) pis j’me suis emporté j’étais une porn star dans ma tête pendant une couple de minute. Tu mérites tellement d’être bien traiter, pouvoir remonter le temp ça se passerais autrement c’est certain. » [22]
[60] Bref, le Tribunal ne croit absolument pas la version de l’accusé et celle-ci ne soulève aucun doute raisonnable, et ce, tant au niveau de l’inexistence d’un consentement de la part de la plaignante qu’en ce qui concerne la croyance sincère mais erronée au consentement.
[61] Quant au témoignage de la plaignante, il est tout à fait cohérent, crédible et fiable, la plaignante ayant témoigné avec aplomb, transparence, émotion, franchise et de façon solide sans que ne soit soulevé des incohérences, des invraisemblances ou des contradictions significatives. De plus, son témoignage est confirmé par l’échange de textos. Tous les éléments essentiels, dont l’absence de consentement en ce qui concerne cette activité sexuelle, sont donc prouvés hors de tout doute raisonnable.
[62] Lors de son témoignage, la plaignante mentionne l’existence d’une première agression qui est pratiquement une copie conforme de l’agression dont il a été question précédemment.
[63] La plaignante donne très peu de détails concernant cet évènement, n’étant pas en mesure de le situer dans le temps.
[64] Aussi, dans les textos, on peut lire que la plaignante mentionne : « [t]u me la fait deux fucking fois », ce à quoi l’accusé répond : « Une ? » [23]
[65] De plus, la plaignante a rédigé un document intitulé « Mon histoire en résumé » à la demande d’une intervenante et il n’est pas fait mention de cet évènement dans son récit écrit.
[66] La plaignante explique que lors de la rédaction de ce document, elle n’a pas fait un exercice approfondi de tout ce qui était survenu et que c’est ce qui explique qu’elle n’en parle pas.
[67] Dans R. c. D.D. [24], la Cour suprême mentionne que « dans l’évaluation de la crédibilité du plaignant, le moment de la plainte ne constitue qu’une circonstance à examiner dans la mosaïque factuelle d’une affaire donnée. À lui seul, le retard de la révélation ne donnera jamais lieu à une conclusion défavorable à la crédibilité du plaignant. » [25] [nous soulignons]
[68] Or, ici, les lacunes mentionnées précédemment (l’absence de détails, l’incapacité à situer l’évènement dans le temps, l’omission d’en parler dans le récit initial et le fait qu’il n’y a aucune nuance quant à l’évènement du 26 décembre) s’ajoutent au fait de révéler cette première agression plus tardivement. Cela n’affecte pas la crédibilité de la plaignante, mais la fiabilité du témoignage. De sorte que le Tribunal considère cet évènement comme n’étant pas prouvé hors de tout doute raisonnable sans qu’il ne soit nécessaire de procéder à une analyse détaillée en vertu de R. c. W. (D.).
[69] Selon la plaignante, à toutes les fois où elle se couchait, qu’elle soit fatiguée ou non, qu’elle dorme ou qu’elle lui dise non, si l’accusé voulait une relation, il s’exécutait. Ainsi, pour reprendre ses dires, « si elle osait s’endormir » avant qu’ils aient une relation sexuelle, il la réveillait en la touchant sexuellement.
[70] Elle se réveillait et celui-ci était à ses côtés en train de se masturber en lui flattant le vagin avec ses doigts ou en pénétrant ceux-ci. Elle faisait alors des mouvements pour qu’il arrête et il arrêtait pour recommencer à nouveau quand elle dormait. À certaines autres occasions, l’accusé, en plus de toucher au vagin de la plaignante, pouvait lui « pogner les seins » ou flatter ses fesses ce qui entraînait son réveil.
[71] À certaines occasions également, l’accusé mécontent se levait et allait se masturber au sous-sol.
[72] Interrogé à ce sujet, l’accusé mentionne ne pas se souvenir avoir touché la plaignante pendant qu’elle dormait. Il dit s’être déjà masturbé, mais sans la toucher alors qu’il était à côté d’elle.
[73] Bref, d’une part l’accusé n’écarte pas l’hypothèse de l’avoir touché pendant qu’elle dormait, mais confirme s’être déjà masturbé mais sans la toucher.
[74] Cette version de l’accusé, évaluée à nouveau dans le contexte de l’ensemble de la preuve, est incohérente et se contredit en elle-même de sorte qu’elle ne soulève aucun doute raisonnable tant en ce qui concerne la survenance des touchers que l’absence de consentement.
[75] Le Tribunal ajoute que l’accusé ne peut d’aucune façon prétendre avoir eu une croyance honnête mais erronée au consentement de la plaignante puisque, tel que mentionné auparavant, le consentement doit être concomitant à l’activité sexuelle et il n’y a aucune preuve en défense que l’accord volontaire de la plaignante aurait été manifesté de façon explicite par ses paroles ou son comportement et enfin l’accusé n’a pris aucune mesure raisonnable afin de s’assurer du consentement.
[76] Quant à la troisième étape, la preuve révèle que la plaignante n’a clairement pas consenti puisqu’au départ elle dormait et que par la suite, elle est demeurée passive suite à son réveil afin d’éviter les réactions colériques de l’accusé et/ou afin d’avoir la paix et pouvoir dormir.
[77] La plaignante mentionne que le soir de cet évènement, elle s’est mis de la crème contre les infections vaginales, et ce, afin de simuler une telle infection puisqu’elle n’avait pas envie d’avoir un rapport sexuel et que c’était moins compliqué que de dire non.
[78] Elle est très fatiguée et demande à l’accusé de la masser, car elle a mal dans le dos. Elle avise l’accusé qu’elle s’est mis de la crème en lui disant qu’elle a une infection vaginale.
[79] Elle s’endort rapidement puis est réveillée par le fait que l’accusé a mis sa langue dans son vagin. Selon la plaignante, l’accusé réagit alors avec colère parce qu’elle ne veut pas avoir une relation sexuelle et elle mentionne qu’il se rend au sous-sol pour se masturber.
[80] Dans son témoignage, l’accusé prétend plutôt que la plaignante ne lui mentionne pas qu’elle a une infection vaginale. Selon lui, elle est complètement éveillée. Au cours du massage il lui donne des becs sur les cuisses et elle écarte alors les jambes d’une façon assez prononcée, ce qu’il prend comme étant une invitation à avoir une relation sexuelle.
[81] Donc, l’accusé prétend que la plaignante a exprimé son consentement et l’a invité à participer à une activité sexuelle en écartant les jambes.
[82] Or, cette version de l’accusé est invraisemblable. Pourquoi la plaignante aurait-elle ouvert les jambes pour l’inviter à avoir une relation et aurait immédiatement réagi en lui disant qu’elle ne voulait pas de relation car elle avait de la crème ? La version de l’accusé à nouveau est illogique et ne soulève aucun doute raisonnable.
[83] Le Tribunal, ayant conclu que la version à l’effet que la plaignante aurait écarté les jambes n’est pas crue, n’a pas à évaluer spécifiquement la question de la croyance sincère mais erronée au consentement puisqu’il n’existe aucun fait prouvé qui supporte cette défense.
[84] Quant à la version de la plaignante, la qualité, la précision, la fiabilité et la crédibilité de celle-ci sont nettement suffisantes pour faire la preuve hors de tout doute raisonnable de l’absence de consentement et de la commission de gestes constituant une agression sexuelle. De plus, aucune réponse en contre-interrogatoire n’a généré de contradictions, d’incohérences ou d’invraisemblances de nature à affecter son témoignage.
[85] Ici encore la poursuite réfère à plusieurs évènements espacés dans le temps, entre le 1er septembre 2020 et le 22 janvier 2021.
[86] Le Tribunal va donc traiter chacun de ces évènements séparément pour les mêmes raisons que celles exprimées précédemment concernant les agressions sexuelles.
[87] La poursuite réfère ici à un évènement survenu au cours des mois d’octobre ou novembre 2020.
[88] La plaignante est seule à sa résidence dans son lit et échange des messages texte avec l’accusé. À un certain moment, la plaignante ne répond plus aux messages texte.
[89] Il est en preuve que la plaignante et l’accusé se textaient régulièrement avant le coucher pour se souhaiter bonne nuit.
[90] Selon le témoignage de la plaignante, elle se serait endormie vers 21 h 30 - 22 h, mais elle ne sait pas l’heure exacte de sorte qu’il pourrait être 23 h - minuit lorsque l’incident est survenu.
[91] L’accusé témoigne et dit avoir été inquiet de l’absence de réponse de la plaignante de sorte qu’il s’est présenté à la résidence et est entré dans la chambre où il a réveillé la plaignante.
[92] Selon la plaignante, l’accusé lui mentionne qu’il pensait que le père des enfants était là. Même si ces propos ont été prononcés, cela n’exclut pas l’hypothèse que l’accusé se soit tout de même présenté en étant inquiet de la situation vu l’interruption soudaine au niveau de l’échange des textos.
[93] Selon la preuve, l’accusé reste une vingtaine de minutes et quitte la résidence par la suite.
[94] La plaignante mentionne qu’à cette époque la relation va bien entre eux. D’ailleurs, le lendemain de l’évènement, l’accusé répare la porte patio de la résidence de la plaignante, laquelle porte était brisée.
[95] Le Tribunal ne peut dire qu’il croit entièrement l’accusé sur sa version puisqu’il modifie celle-ci lors du contre-interrogatoire en ce qui concerne sa croyance quant au fait que l’ex-conjoint de la plaignante était présent ou non à la maison.
[96] D’autre part, cette contradiction n’est pas suffisante pour empêcher de soulever un doute raisonnable en ce qui concerne la mens rea de l’accusé au niveau de l’introduction par effraction, celui-ci se pensant autorisé à entrer dans la résidence dans les circonstances expliquées précédemment.
[97] Quant aux agissements de l’accusé après être entré dans la maison, ils ne révèlent aucunement la commission de l’infraction de harcèlement criminel.
[98] Cet évènement survient la même journée où la plaignante a mis fin à la relation soit le 11 janvier 2021.
[99] La plaignante demande à l’accusé de venir porter des choses chez elle en déposant le sac dans sa voiture.
[100] Vers 13 h, la plaignante se couche avec son bébé pour faire une sieste. À un certain moment, l’accusé entre dans la chambre. Il porte dans ses mains un sac avec un manteau.
[101] La plaignante rappelle à l’accusé qu’elle voulait qu’il mette ses choses dans sa voiture à elle et il lui aurait répondu qu’il voulait lui parler. La plaignante lui dit de partir et l’accusé quitte les lieux.
[102] Dans son témoignage, l’accusé précise qu’après être allé dans la chambre, lui et la plaignante descendent à la cuisine et se parlent un peu, l’accusé voulant savoir pourquoi elle a annoncé leur rupture.
[103] Par la suite, il ramasse ses choses telles les clés de son appartement que la plaignante avait en sa possession puis retourne chez lui.
[104] Le Tribunal a demandé aux parties lors des plaidoiries de soumettre des autorités et de la jurisprudence afin de déterminer si les évènements précédant une présumée introduction par effraction doivent être tenus en compte dans la détermination de l’infraction sous-jacente, soit ici d’avoir commis du harcèlement criminel suite à l’introduction par effraction.
[105] Dans Côté c. R. [26], la Cour d’appel souligne qu’il faut tenir compte de toutes les circonstances pour évaluer la crainte d’une victime y compris la preuve d’éléments antérieurs [27] afin de déterminer s’il y a harcèlement criminel. Par contre, ici, on ignore à cette date précise du 11 janvier 2021, quels gestes ont été posés antérieurement par l’accusé pouvant contribuer au harcèlement. Et surtout, il est clair que l’échange de textos [28] et l’échange Messenger [29] - sur lesquels le Tribunal reviendra ultérieurement - ont eu lieu après cette date du 11 janvier 2021.
[106] Au surplus, peu importe qu’on retienne la version de l’accusé ou de la plaignante, lesquelles s’harmonisent de toute façon l’une avec l’autre, il est clair qu’aucun geste ou parole ne constitue en soi ou de façon contributive - c’est-à-dire en tenant compte des évènements passés - une preuve démontrant hors de tout doute raisonnable la commission de harcèlement criminel au sens prévu à l’article 264 C.cr.
[107] Aussi, par rapport à l’introduction par effraction, le Tribunal considère que la version de l’accusé à l’effet qu’il existait une autorisation implicite de pénétrer dans la résidence afin d’aller porter à la plaignante certains effets personnels (même si sa demande était à l’effet de déposer le sac dans sa voiture) est suffisamment crédible pour soulever un doute raisonnable quant à la mens rea.
[108] Cet évènement survient le 13 janvier 2021. La plaignante est à sa résidence et elle vient de coucher son bébé. Elle mentionne qu’elle verrouille dorénavant sa porte d’entrée, mais que l’une de ses amies prénommée K… s’est présentée à la demande de sa mère et que la porte est alors débarrée.
[109] La plaignante entend quelqu’un entrer et K… mentionne que c’est l’accusé. Cette dernière n’est pas au courant de la rupture et quitte les lieux.
[110] L’accusé dit à la plaignante qu’il veut lui parler et elle lui dit qu’elle ne veut pas.
[111] Elle texte donc son collègue de travail G… R… pour lui dire que l’accusé est présent et qu’il ne veut pas partir.
[112] Selon elle, l’accusé pleure, est en colère et se cogne la tête par terre.
[113] L’accusé dit à la plaignante qu’il s’excuse de ce qu’il a fait, que ce n’était pas correct et qu’il aurait dû écouter quand elle lui a dit d’arrêter. Il menace également de se suicider.
[114] Au bout d’environ 15 minutes, le collègue R… arrive et demande à l’accusé de partir, ce qu’il fait.
[115] L’accusé mentionne pour sa part qu’à son arrivée à la résidence, il cogne et attend une dizaine de secondes avant d’entrer. En ouvrant la porte, il dit « toc, toc ».
[116] Il a un sac avec des choses dans ses bras.
[117] Le fils de la plaignante se dirige vers lui pour lui faire un câlin.
[118] Selon l’accusé, suite au départ de l’amie K…, la plaignante exprime son mécontentement à l’effet qu’il soit là et au cours des 15 minutes qui suivent, elle le critique vivement.
[119] Suite à l’arrivée de G… R…, il quitte la résidence de la plaignante.
[120] La version de l’accusé relativement à ce qui s’est passé à l’intérieur de la résidence n’est pas crédible surtout à la lumière de l’ensemble de la preuve, dont le témoignage de G… R… qui mentionne que l’accusé pleure lorsqu’il arrive à la résidence de la plaignante.
[121] Par contre, sa version quant à la façon dont il a pénétré à l’intérieur de la résidence soulève un doute raisonnable quant à l’introduction par effraction. En effet, lors de son contre-interrogatoire, la plaignante mentionne que lorsque l’accusé se présentait chez elle, il cognait deux petits coups et il entrait.
[122] Même si la relation entre la plaignante et l’accusé était terminée, il reste que l’accusé n’avait pas d’interdiction en soi de se présenter au domicile de la plaignante et la façon qu’il prétend avoir utilisé avant de pénétrer dans la résidence s’harmonise avec sa façon antérieure de procéder et est suffisante pour soulever un doute raisonnable [30].
[123] La présente affaire se distingue de l’arrêt Gaudreau [31] soumis par la poursuite. En effet, dans ce dernier cas, la déclaration de culpabilité de l’appelant à une accusation d’introduction par effraction a été confirmée par la Cour d’appel. Or, la preuve révélait que l’appelant était entré par une porte qu’il n’utilisait jamais et l’échange de messages textes entre l’accusé et la plaignante précédant l’introduction dans la résidence démontrait une intention belliqueuse de l’appelant. De sorte qu’on pouvait raisonnablement conclure que son état d’esprit ne l’autorisait pas à croire qu’il était le bienvenu dans la maison.
[124] Dans Gaudreau, la Cour mentionne : « […] Il était donc déraisonnable de sa part de croire qu’il bénéficiait ce jour-là d’un consentement implicite pour entrer dans la maison et persister à y demeurer. »[32]
[125] La situation est très différente ici. L’accusé est donc acquitté de l’infraction d’introduction par effraction.
[126] Le Tribunal traite de ces deux infractions de façon commune.
[127] En effet, l’alinéa 264(2) C.cr. prévoit que l’un des actes interdits pouvant constituer du harcèlement criminel est celui de « communiquer de façon répétée, même indirectement, avec cette personne ou une de ses connaissances ».
[128] Quant à l’infraction de communications harcelantes, l’alinéa 372(3) C.cr. prévoit que celle-ci peut être commise lorsque que la personne « communique avec [l’autre personne] de façon répétée ou fait en sorte que des communications répétées lui soient faites, par un moyen de télécommunication. » [nous soulignons] C’est donc dire que les communications faites par un moyen de télécommunication peuvent être considérées au titre du sous-alinéa 264(2)b) C.cr., mais que l’inverse n’est pas vrai.
[129] À noter que l’infraction de harcèlement poursuivie par acte criminel est passible d’un emprisonnement maximal de dix ans dans le cas de l’alinéa 264(3) C.cr. et la peine maximale est de deux ans dans le cas des communications harcelantes par un moyen de télécommunication de l’alinéa 372(3) C.cr.
[130] Clairement, le Tribunal est d’avis que la preuve non contredite suivante est suffisante pour entraîner une déclaration de culpabilité en ce qui concerne le crime de harcèlement prévu à l’alinéa 264(2) C.cr.
[131] Ainsi, suite à la rupture, des échanges de textos ont eu lieu entre l’accusé et la plaignante (pièce P-3 ) ainsi qu’un échange à partir de l’application Messenger (pièce
P-4).
[132] En ce qui concerne les textos (pièce P-3), les 20 premières pages constituent un échange entre l’accusé et la plaignante alors que les captures d’écran produites sous les pages 21 à 36 - même si certaines portions sont en double - constituent un monologue ininterrompu de la part de l’accusé.
[133] L’accusé exprime des excuses à de nombreuses reprises dont une en lien avec le fait de « [l]’ avoir autant texter » [33]
[134] À un autre moment, il écrit :
Tu m a dit de me tirer une balle sinon c’est toi qui le ferais, si ça peut t aider à aller mieux jtai dit que je ferais n’importe quoi y a une seule fois que je t’ai pas écouter je referai pas la même erreur Considère que c’est fais, je t’aime A [34]
[135] Plus loin on lit :
La seule chose j’ai en tête c’est est ce que mes parents ma sœur [...] vont comprendre ? Ça va tu les fucké comme moi quand mon oncle c’est tirer ? Y sont fort vont s’en remettre … [35]
[…]
J’ai pas envi de mourir j ai juste pas le choix si c’est vraiment ce que tu veux j’le fais, mais sinon dit le [36]
[…]
J’ai besoin de savoir si tu souhaite ma mort sérieux jte laisse tranquille après jte promet, mais faut je sache [37]
[…]
J’ai mes tords, mais crois tu que ça mérite que je m’enlève la vie ? Quelle sois détruite, ce que je vie en ce moment tu pense j’ai pas peur et chui pas stresser ? Tu m a dit après cette fois là la semaine passé (lundi) que t a jamais été ou eu de stress de ta vie C quoi ça [38]
[136] Le tout est suivi de la mention suivante :
T a même pas le cœur de me répondre tu dit jte harcèle pourquoi faudrais je prenne toute sur mon dos encore une crise de fois je l’sais que chu pas une mauvaise personne
J’ai toujours fait ce que tu m a dit de faire donc j’ai pu d’argent qui entre pu de travail pu envi de vivre ni de raison me semble que c’est cher payer [39]
[137] En ce qui concerne l’échange Messenger (pièce P-4), l’accusé réfère d’abord au changement de couleur du texte utilisé par la plaignante en référant à celui-ci comme étant « un beau rouge sang » [40].
[138] La plaignante répond ce qui suit à l’accusé :
Tu me fais peur honnêtement !!! J’ai mis une couleur et tu fait référence à du sang en plus tu dit un beau rouge sang genre ses quoi la je m’inquiète pour moi ou pour toi parce que sérieux la j’la trouve vraiment mes vraiment pas drôle
[Par l’accusé]
Pense-tu sérieux que jte ferais du mal ??? Tu me connais mal
[Par la plaignante]
Comment tu veux je m’inquiète pas quand ton seul sujets ses eclater à tête as toute le monde Ouii sérieux sa me fait peur [41]
[139] L’accusé ajoute :
Pensais pas te perdre sec de même pis j’t avouerais que Jva avoir bin d’la misère sans ton aide ton soutiens ta présence dans ma vie [42]
[140] Le ton des échanges qui suivent et qu’on peut lire dans les captures d’écran Messenger est par la suite plus courtois.
[141] Par contre, la plaignante communique avec une agente de la Sûreté du Québec, car elle ne se sent pas en sécurité.
[142] Des policiers se présentent au domicile de l’accusé et une promesse de comparaître comportant la condition de ne pas communiquer directement ou indirectement avec la plaignante, sauf dans le cadre de leur travail est signée. On peut y lire également que l’accusé doit quitter tout lieu où se trouve la plaignante ni ne faire référence à celle-ci sur quelques réseaux sociaux que ce soit.
[143] Or, environ deux jours plus tard, la plaignante se présente au lieu de son travail pour rencontrer son patron afin de lui expliquer qu’elle n’est pas au sommet de sa forme et qu’elle a rencontré des intervenantes afin de la soutenir dans ses démarches afin de porter plainte contre l’accusé.
[144] L’accusé est dans le bâtiment et les deux se croisent dans les bureaux administratifs. Selon la plaignante, l’accusé tente de lui parler et elle lui mentionne « parle-moi pas ».
[145] Environ 30 à 45 minutes plus tard, elle ressort du bureau de son patron, monsieur H… et demande d’être accompagné par monsieur R….
[146] Or, en se rendant au garage, monsieur R… n’y est pas de sorte qu’elle se rend seule à l’extérieur.
[147] Elle aperçoit dans le stationnement que l’accusé est à côté de son véhicule à elle et que le camion de l’accusé est stationné à côté de sa voiture.
[148] Elle appelle monsieur H… qui arrive et ils se rendent au véhicule de la plaignante, l’accusé ayant quitté les lieux entretemps.
[149] L’accusé a placé une note à l’intérieur du véhicule de la plaignante, laquelle note est écrite à la main et se lit ainsi :
Donne moi 2 minutes STP J’te dois des excuses J’ai besoin que tu entendes c’est que bon pour toi que du positif, STP A ça me ronge par en dedands (sic). [43]
[150] La plaignante, avec raison, est très inquiète et quitte les lieux pour se diriger directement chez elle.
[151] Sur le trajet, elle passe devant un dépanneur où elle voit que le véhicule de l’accusé est stationné.
[152] Dans les secondes qui suivent, son téléphone cellulaire sonne et affiche un numéro masqué. Elle répond et c’est l’accusé qui lui dit : « Raccroche pas. Je t’ai laissé une note, il n’aurait pas fallu ».
[153] Immédiatement, la plaignante raccroche, appelle monsieur H… et se rend ensuite au poste de police. La plaignante est alors paniquée et craint pour sa sécurité.
[154] Dans son témoignage à ce sujet, l’accusé mentionne qu’il s’est rendu au travail pour avoir des informations sur ses prestations d’invalidité, car il n’avait pas reçu d’argent depuis le mois de décembre. En croisant la plaignante sur les lieux, cette dernière s’adresse à lui en lui disant : « Sors dehors sors ». Pour lui, c’est clair à ce moment qu’elle ne veut pas lui parler.
[155] Il a attendu pour réchauffer sa voiture et une fois que son véhicule est réchauffé il met le message (pièce P-5) dans le véhicule de la plaignante.
[156] L’accusé explique qu’il met ce message, car il voulait parler à la plaignante par rapport au travail.
[157] L’accusé admet que sur le chemin du retour il tente d’appeler la plaignante, mais il dit qu’elle ne répond pas.
[158] La version de l’accusé est tout à fait invraisemblable et ne soulève aucun doute raisonnable.
[159] De toute évidence, l’accusé a déplacé son véhicule pour aller le stationner à côté de celui de la plaignante. Il arrive avant cette dernière à l’établissement de l’employeur et il est clair que la plaignante ne se serait jamais stationnée à côté du véhicule de l’accusé.
[160] Quant à l’explication à l’effet qu’il attend que son véhicule réchauffe avant de partir, cela ne tient pas la route non plus. Le patron, monsieur H…, confirme que la plaignante est dans son bureau environ 45 minutes. Or, peu importe la température qu’il fait cette journée-là, il est de connaissance judiciaire que le temps nécessaire pour réchauffer une voiture est nettement inférieur à 40 ou 45 minutes. [44]
[161] Aussi, l’accusé ment carrément lorsqu’il mentionne qu’il veut discuter du travail avec la plaignante en lui laissant la note (pièce P-5) puisque le texte de ladite note n’a absolument aucun lien avec le travail.
[162] Ceci étant dit, le Tribunal considère comme prouvé les faits révélés par la version de la plaignante ainsi que celle de monsieur H….
[163] Ultimement, cet évènement à lui seul aurait été suffisant pour entraîner une déclaration de culpabilité puisque les agissements de l’accusé constituent un comportement menaçant à l’égard de la plaignante au sens du sous-alinéa 264(2)d) C.cr.
[164] Par contre, à cet évènement s’ajoute les communications répétées qui ont aussi contribuées à ce que la plaignante se sente harcelée et lui fasse raisonnablement craindre pour sa sécurité, tel que le prévoit l’alinéa et le sous-alinéa 264(1) et (2)b) C.cr.
[165] Le Tribunal déclare donc l’accusé coupable de l’infraction de harcèlement en vertu de l’article 264 C.cr et ordonne un arrêt des procédures en ce qui concerne l’infraction de communications harcelantes prévue aux alinéas 372(3) et (4) C.cr.
[166] La preuve à ce sujet est plutôt sommaire. La plaignante mentionne que l’accusé possède un canif qu’il garde sur la table de la cuisine avec la lame ouverte, ledit canif mesurant au total environ 6 - 7 pouces. Elle dit que l’accusé prend son canif pour s’amuser à donner des coups près de sa gorge à elle et qu’elle a peur. Elle dit que celui-ci fait cela souvent et que ça dure à chaque fois environ 2 à 3 minutes.
[167] Quant à l’accusé, il confirme qu’il a un canif et qu’il a l’habitude de l’ouvrir et de le refermer et que cela énerve la plaignante même s’il est toujours loin d’elle lorsqu’il le fait, à savoir de 6 à 7 mètres de distance.
[168] Encore une fois, le Tribunal ne croit pas l’accusé et sa version ne soulève pas de doute raisonnable. L’accusé tente de toute évidence de se distancer de la plaignante tout en niant partiellement le geste, et ce, afin d’éviter une condamnation. En fait, considéré au niveau de l’ensemble de la preuve, dont la version de la plaignante, le Tribunal n’arrive pas à concilier le fait que la plaignante ait eu peur et ait été marquée par ces évènements si ceux-ci étaient survenus de la façon dont l’accusé l’explique.
[169] Maintenant, est-ce que les gestes tels que décrits par la plaignante constituent des voies de fait au sens de l’article 265 C.cr. ?
[170] La réponse à cette question est positive en se basant sur le sous-alinéa (1)c) de l’article 265 C.cr. qui définit les voies de fait. Il s’avère que le sous-alinéa 265(1)c) C.cr., qui est rarement utilisé, prévoit ce qui suit :
Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque, selon le cas :
c) en portant ostensiblement une arme ou une imitation, aborde ou importune une autre personne ou mendie.
[nous soulignons]
[171] Selon le Tribunal, c’est exactement la situation décrite par la plaignante de sorte que l’accusé doit être déclaré coupable de l’infraction de voies de fait alors qu’il utilisait une arme.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[172] DÉCLARE l’accusé coupable des infractions d’agression sexuelle (chef no 1), voies de fait avec arme (chef no 3) et harcèlement criminel (chef no 4);
[173] ACQUITTE l’accusé de l’infraction d’introduction par effraction (chef no 2);
[174] ORDONNE l’arrêt conditionnel des procédures concernant l’infraction de communications répétées par un moyen de télécommunication (chef no 5).
|
||
|
__________________________________ JACQUES LADOUCEUR, J.C.Q. |
|
|
||
|
||
Me Aurélie Major |
||
Pour la poursuivante |
||
|
||
Me Marie-Ève Turgeon |
||
Pour l’accusé |
||
|
||
Date d’audience : |
18 mai, 5 et 6 août 2021 |
|
[1] 2019 CSC 33.
[2] 2011 CSC 28.
[3] [1999] 1 R.C.S. 330.
[4] R. c. Barton, préc., note 1, par. 87.
[5] Id., par. 88.
[6] Art. 19(1) de la Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur le ministère de la Justice et apportant des modifications corrélatives à une autre loi (P.L. C-51).
[7] R. c. Barton, préc., note 1, par. 89.
[8] Id., par. 90, référant à Ewanchuk, préc., note 3, par. 47 et 49.
[9] Id., par. 91, référant à R. c. Park, [1995] 2 R.C.S. 836, par. 39 et 43-44, Ewanchuk, préc. note 3, par. 46 et J.A., préc., note 2, par. 36, 42 et 48.
[10] Id., par. 91, référant à R. c. Park, [1995] 2 R.C.S. 836, par. 44.
[11] Id., par. 92.
[12] Id., par. 98, référant à Ewanchuk, par. 103.
[13] Id., par. 98, référant à R. c. M. (M.L.), [1994] 2 R.C.S. 3, par. 51.
[14] Id., par. 104 et R. v. I.A.D., 2021 ONCA 110, par. 13.
[15] Id., par. 104.
[16] Art. 19(2.1) du P.L. C-51, préc. note 6.
[17] R. c. Barton, préc., note 1, par. 105.
[18] Art. 724(3) C.cr.
[19] [1991] 1 R.C.S. 742.
[20] Notes sténographiques du 18 mai 2021, p. 61, l. 25.
[21] À noter que tous les extraits de textos apparaissant dans ce jugement ont été reproduits textuellement sans aucune correction ou modification.
[22] Échange de textos (pièce P-3), p. 22
[23] Échange de textos (pièce P-3), p. 16.
[24] 2000 CSC 43.
[25] Id., par. 65.
[26] 2013, QCCA 1437.
[27] Id., par. 79.
[28] Pièce P-3.
[29] Pièce P-4.
[30] Ce qui exclut également l’option d’une condamnation pour une infraction de présence illégale dans une maison d’habitation en vertu de l’art. 349 C.cr.
[31] Gaudreau c. R., 2021 QCCA 461.
[32] Id., par. 36.
[33] Pièce P-3, p. 23.
[34] Id., p. 26
[35] Id., p. 27.
[36] Id., p. 28.
[37] Id., p. 30.
[38] Id., p. 33 et 34.
[39] Id., p. 34.
[40] Pièce P-4.
[41] Id., p. 2 et 3.
[42] Id., p. 4.
[43] Pièce P-5.
[44] Dans R. c. Leblanc, 2021 QCCA 1283, la Cour d’appel rappelle qu’un juge peut tirer des inférences en se fondant « sur la logique, le bon sens et l’expérience » en autant que celles-ci soient tirées de la preuve (par. 131). Ce qui est le cas ici : la preuve révèle que c’est l’hiver (en janvier), que l’accusé est ressorti à l’extérieur depuis 30 à 45 minutes, qu’il a fait réchauffer son moteur et qu’il est parti uniquement après que la plaignante sorte à l’extérieur, qu’elle l’aperçoive, s’abstienne de se rendre à son propre véhicule et que l’accusé décide alors de s’adresser à elle en mettant une note dans le véhicule de la plaignante.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.