Décision

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JA 0965

 

 
R. c. Corbeil

2015 QCCQ 2704

 

COUR DU QUÉBEC

 

 

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

DISTRICT DE

QUÉBEC

 

LOCALITÉ DE

QUÉBEC

 

« Chambre criminelle et pénale »

 

N° :

200-01-176875-130

 

 

 

DATE :

10 avril 2015

______________________________________________________________________

 

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

JEAN ASSELIN, J.C.Q.

 

______________________________________________________________________

 

 

 

 

 

LA REINE

 

Poursuivante

 

c.

 

BERNARD CORBEIL

 

Accusé

 

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

JUGEMENT

 

______________________________________________________________________

 

 

 

1.        INTRODUCTION

[1]       La poursuite reproche à l’accusé de s’être livré à des voies de fait. Les faits en cause sont survenus le 2 février 2013 à Québec.

[2]       Informé par sa conjointe de la disparition mystérieuse de nourriture pour animal domestique qu’ils laissent dans un plat à l’extérieur de leur résidence, l’accusé enquête la situation. Une caméra est installée à l’extérieur de la maison et des images sont captées où l’on voit madame Céline Durand (ci-après citée « la plaignante ») qui s’approprie la nourriture pour chats.

[3]       L’accusé établit un plan dont l’objectif est de faire cesser le comportement de la plaignante, de procéder à son arrestation et de remettre les fruits de son enquête aux policiers du Service de police de la Ville de Québec (ci-après cité le « SPVQ »).

[4]       En présence de sa conjointe, l’accusé arrête la plaignante en utilisant la force lorsqu’elle se pointe à son domicile très tôt le matin le 2 février 2013. Après l’arrestation, il appelle le service d’urgence 911. Les policiers du SPVQ se présentent sur les lieux et constatant la situation, libèrent la plaignante de sa capture.

2.        QUESTIONS EN LITIGE

[5]       Le Tribunal identifie trois questions en litige :

a)    L’accusé a-t-il procédé à l’arrestation de la plaignante conformément à l’article 494 du Code criminel ?

b)    Le cas échéant, la force utilisée par ce dernier est-elle raisonnable et proportionnelle à la menace dans les circonstances de l’espèce ?

c)    Les justifications présentées par l’accusé comme ceux de la nature des défenses prévues aux articles 25, 27, 30, 35 et 38 C.cr. trouvent-elles application ?

3.        CONTEXTE

[6]       Avant d’examiner la preuve pertinente à l’infraction reprochée à l’accusé, il est utile de décrire sommairement le contexte qui a conduit à l’événement du 2 février 2013.

3.1    Version de la plaignante

[7]       La plaignante occupe un emploi comme adjointe administrative pour un organisme du gouvernement du Québec. Quelques fois par semaine, elle livre le journal avec son fils dans le quartier où habite l’accusé.

[8]       Elle s’aperçoit qu’un plat de nourriture pour chats est laissé fréquemment à l’extérieur, sur le pas de la porte d’entrée de la maison de l’accusé. De peur que cette nourriture nuise à la santé de son chat qui suit une diète alimentaire, elle téléphone à la résidence et parle avec la conjointe de l’accusé. Elle lui fait part de la situation et lui demande de ne plus laisser de nourriture à l’extérieur, évitant ainsi que son chat y ait accès.

[9]       De plus, en octobre 2012, elle laisse un dépliant de la Ville de Québec dans la boîte aux lettres de la résidence de l’accusé. Ce document fait état d’un règlement qui interdit aux citoyens de nourrir les animaux à l’air libre.

[10]    Comme la situation ne change pas, elle fait une plainte à la Ville de Québec et à la Société protectrice des animaux. Constatant que ses démarches sont infructueuses, elle décide de récupérer la nourriture pour chats laissée dans un plat, à l’extérieur de la maison.

[11]    D’octobre 2012 jusqu’au 2 février 2013, elle se présente de façon régulière au domicile de l’accusé pour dérober la nourriture pour chats.

3.2    La version de l’accusé

[12]    L’accusé est un avocat qui, au moment des événements, est membre du Barreau du Québec depuis 40 ans. Il vit avec sa conjointe dans l’arrondissement de Charlesbourg de la Ville de Québec.

[13]    Au début de l’automne 2012, sa conjointe lui apprend la disparition de plats de nourriture pour animal domestique laissés à l’extérieur de la résidence. Cette dernière est très préoccupée par cette situation.

[14]    À trois reprises vers la mi-janvier 2013, elle se lève très tôt le matin pour identifier la personne qui s’approprie la nourriture pour chats, mais sans succès. Elle décide donc d’acheter une caméra dans le but d’arriver à identifier cette personne. Le 20 janvier 2013, l’accusé installe la caméra dans l’abri d’auto.

[15]    C’est le 19 janvier 2013 que l’accusé accorde une attention plus particulière aux préoccupations de sa conjointe. Lors de cette journée, il remarque que l’intrus s’introduit à l’intérieur de l’abri d’auto en détachant les sangles du cadrage de la porte de la toile du garage afin de voler la nourriture pour chats.

[16]    Dès lors, il comprend que cette personne est prête à tout faire pour imposer sa volonté, que rien ne peut l’arrêter et qu’il est dorénavant raisonnable de croire qu’elle est une personne dangereuse et psychologiquement dérangée. Il ajoute qu’il appréhende des méfaits sur sa voiture en plus de craindre pour la sécurité de sa famille et à une invasion de domicile. Il angoisse et se sent harcelé, envahi et atteint dans son droit à la paix et à la sécurité.

[17]    Il considère qu’il y a urgence d’agir. Il entreprend donc des recherches en droit. Il consulte le Code criminel ainsi que différents documents de Justice Canada. Bref, il fait ces démarches pour vérifier quelles sont les conditions à respecter pour procéder à l’arrestation d’une citoyenne.

[18]    Il ne dénonce pas la situation aux policiers. Il est d’avis que les policiers ne s’occupent pas de plaintes aussi banales. Ainsi, il décide d’accomplir son devoir de citoyen et de procéder lui-même à l’arrestation de la plaignante. Pour ce faire, il élabore un plan en 49 points dans un document écrit intitulé « Séquence de l’arrestation »[1].

[19]    À plusieurs reprises, entre le 20 janvier et le 2 février 2013, les images captées montrent la plaignante se présentant à la résidence de l’accusé où elle prend la nourriture pour chats.

3.3    L’événement du 2 février 2013

[20]    Le matin du 2 février 2013 vers 6 h, la plaignante distribue les journaux dans son quartier. Comme elle le fait depuis octobre 2012, elle se présente devant le domicile de l’accusé et se dirige sous l’abri d’auto pour récupérer la nourriture pour chats laissée près du pas de la porte d’entrée de la maison.

[21]    La plaignante se penche, récupère le plat de nourriture et soudainement l’accusé arrive, se précipite sur elle et l’immobilise. Au même moment, il lui couvre la tête d’une serviette.

[22]    En utilisant la force, il la dirige vers le sol. Il la contraint physiquement. Elle se retrouve à plat ventre, serviette sur la tête, pendant que l’accusé tente de l’immobiliser avec ses mains et ses genoux sur le bas de son corps.

[23]    La conjointe de l’accusé filme la scène avec une tablette numérique. Elle lui donne des attaches de plastique autobloquantes et celui-ci attache la plaignante aux pieds et aux mains. Pendant l’incident, la plaignante urine dans son pantalon.

[24]    Après quelques instants, l’accusé place la plaignante assise au sol, dos au mur. Il lui mentionne que la scène est filmée et l’informe de ses droits. Par la suite, il appelle le service d’urgence 911[2]. En résumé, il mentionne à la répartitrice qu’il vient « d’arrêter une voleuse » et qu’il l’a capturée. Il demande d’envoyer des policiers chez lui. Il ajoute que la plaignante s’est présentée une vingtaine de fois à son domicile pour voler de la nourriture pour chats. Il précise également qu’il est avocat, que la scène est filmée et qu’il a monté un dossier pour les policiers.

[25]    Lors de cette conversation, la préposée du 911 apprend que la plaignante est détenue à l’extérieur du domicile, attachée pour éviter la fuite. Stupéfaite, la préposée réagit et dit à l’accusé qu’il s’agit d’une séquestration.

[26]    Parallèlement à cette conversation, la plaignante demande de venir la libérer et traite l’accusé de « malade ».

[27]    Quelques instants plus tard, les policiers du SPVQ arrivent sur les lieux. L’agent José Côté constate que la plaignante est assise par terre, attachée aux mains et aux pieds avec des courroies de plastique. Il aide la plaignante à se lever et réussit, avec difficulté, à couper les liens à l’aide d’un couteau. Il remarque du sang au niveau de son visage et de son nez.

[28]    La plaignante est finalement libérée par les policiers et, en début d’après-midi, elle se rend dans un centre hospitalier afin de consulter un médecin.

[29]    Enfin, concernant ce vol de nourriture pour chats, la poursuite n’autorise pas de plainte criminelle contre la plaignante. Cependant, cette dernière fait l’objet d’un traitement non judiciaire.

4.        POSITION DES PARTIES

[30]    L’accusé soutient qu’il est de son devoir de citoyen de procéder à cette arrestation afin d’assurer la protection de ses biens, de mettre fin à la commission de ce crime et d’empêcher une violation de la paix. Il affirme que le Code criminel lui permet d’agir ainsi et que l’arrestation a été effectuée avec une force raisonnable et de façon réfléchie. De plus, il ajoute que la loi doit être interprétée et appliquée « avec le gros bon sens et un sens pratique connecté sur la réalité de la vie ».

[31]    Pour conclure, il soumet que plusieurs justifications ou exonérations prévues au Code criminel et à la jurisprudence s’appliquent ici.

[32]    Pour sa part, la poursuite plaide que l’arrestation a été soigneusement préméditée, qu’elle ne peut aucunement se justifier et qu’elle ne correspond pas aux énoncés de l’article 494 C.cr.. Il n’y avait pas urgence d’agir et les policiers pouvaient procéder eux-mêmes à l’arrestation.

[33]    Finalement, elle affirme que la force utilisée dans les circonstances est complètement déraisonnable.

5.        PRINCIPES JURIDIQUES APPLICABLES

[34]    Le législateur canadien accorde aux citoyens le pouvoir d’arrêter une personne dans certaines conditions. Il est utile de reproduire l’article 494 C.cr. afin de bien comprendre les conditions d’application.

494. (1) Toute personne peut arrêter sans mandat :

aun individu qu’elle trouve en train de commettre un acte criminel;

b) un individu qui, d’après ce qu’elle croit pour des motifs raisonnables :

(i) d’une part, a commis une infraction criminelle,

(ii) d’autre part, est en train de fuir des personnes légalement autorisées à l’arrêter et est immédiatement poursuivi par ces personnes.

(2) Le propriétaire d’un bien ou la personne en ayant la possession légitime, ainsi que toute personne qu’il autorise, peut arrêter sans mandat une personne qu’il trouve en train de commettre une infraction criminelle sur le bien ou concernant celui-ci dans les cas suivants :

ail procède à l’arrestation à ce moment-là;

b) il procède à l’arrestation dans un délai raisonnable après la perpétration de l’infraction et il croit, pour des motifs raisonnables, que l’arrestation par un agent de la paix n’est pas possible dans les circonstances.

(3) Quiconque, n’étant pas un agent de la paix, arrête une personne sans mandat doit aussitôt la livrer à un agent de la paix.

(4) Il est entendu que toute personne autorisée à procéder à une arrestation en vertu du présent article est une personne autorisée par la loi à le faire pour l’application de l’article 25.

                                                                                         (Nos soulignements)

[35]    L’actuel libellé de l’article 494 C.cr. fait suite à des amendements qui sont survenus le 11 mars 2013. Le législateur a modifié le paragraphe (2) pour élargir les pouvoirs d’arrestation des citoyens. Le paragraphe (4) constitue un ajout, lequel précise que le citoyen qui procède à l’arrestation d’une personne bénéficie de la protection de l’article 25 C.cr. permettant l’emploi de la force nécessaire.

[36]    Dans le cas en l’espèce, seuls les alinéas 494(1)a) et (2)a) ainsi que les paragraphes 494(3) et (4) C.cr. sont pertinents.

[37]    L’acte d’arrestation consiste à se saisir d’une personne physique ou à y toucher dans le but de la détenir. Le seul fait de lui dire qu’on l’arrête ne constitue pas une arrestation à moins que celui que l’on veut arrêter se soumette et suive l’agent qui procède à l’arrestation[3].

[38]    Les pouvoirs d’arrestation du citoyen ne sont pas aussi étendus que ceux d’un agent de la paix. Il doit s’agir d’un acte criminel, c’est-à-dire toute infraction mixte qui peut être poursuivie par procédure sommaire ou par acte criminel[4].

[39]    Dans le cas de l’alinéa 494(1)a) C.cr., il doit s’agir d’un flagrant délit tandis que le paragraphe 494(2) C.cr. donne au propriétaire d’un bien ou celui qui en a la possession légitime, ainsi que toute personne qu’il autorise, le droit d’arrêter sans mandat une personne en train de commettre une infraction criminelle sur ce bien ou dans un délai raisonnable après la perpétration de l’infraction s’il croit, pour des motifs raisonnables, que l’intervention d’un agent de la paix n’est pas possible dans les circonstances.

[40]    Dans tous les cas, le citoyen doit remettre la personne arrêtée à un agent de la paix dans les plus brefs délais[5].

[41]    En adoptant le paragraphe 494(4) C.cr., le législateur précise que le citoyen bénéficie dorénavant de la protection de l’article 25 C.cr. permettant l’emploi de la force nécessaire lorsqu’il est autorisé à procéder à l’arrestation d’un citoyen.

[42]    De la protection de l’article 25 C.cr. découle le corolaire suivant : une personne autorisée par la loi à employer la force est criminellement responsable de tout excès de force, selon la nature et la qualité de l’acte qui constituent l’excès[6].

[43]    Les tribunaux n’ont pas défini avec précision ce que constitue la force raisonnable ou l’usage excessif de la force. Chaque cas doit être évalué en considérant l’ensemble des circonstances.

[44]    Plusieurs facteurs doivent être pris en considération. Sans être exhaustif, il y a lieu de considérer différents critères, selon le contexte, afin de déterminer si la force utilisée est raisonnable et proportionnelle ou excessive, notamment[7] :

·      La gravité du crime;

·      La différence physique entre le citoyen et la personne arrêtée;

·      La présence d’arme;

·      Les façons possibles de faire l’arrestation;

·      L’âge des individus impliqués;

·      Le comportement et la force de la personne arrêtée.

5.1    Les défenses fondées sur les articles 25, 27, 30, 35 et 38 C.cr.

[45]    L’accusé justifie ses actions et ses gestes en invoquant les articles 25, 27, 30, 35 et 38 C.cr. Les passages pertinents de ces articles se lisent ainsi :

25. (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

asoit à titre de particulier;

b) soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public;

c) soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public;

d) soit en raison de ses fonctions,

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

 

27. Toute personne est fondée à employer la force raisonnablement nécessaire :

apour empêcher la perpétration d’une infraction :

(i) d’une part, pour laquelle, si elle était commise, la personne qui la commet pourrait être arrêtée sans mandat,

(ii) d’autre part, qui serait de nature à causer des blessures immédiates et graves à la personne ou des dégâts immédiats et graves aux biens de toute personne;

b) pour empêcher l’accomplissement de tout acte qui, à son avis, basé sur des motifs raisonnables, constituerait une infraction mentionnée à l’alinéa a).

 

30. Quiconque est témoin d’une violation de la paix est fondé à intervenir pour en empêcher la continuation ou le renouvellement et peut détenir toute personne qui commet cette violation ou se dispose à y prendre part ou à la renouveler, afin de la livrer entre les mains d’un agent de la paix, s’il n’a recours qu’à la force raisonnablement nécessaire pour empêcher la continuation ou le renouvellement de la violation de la paix, ou raisonnablement proportionnée au danger à craindre par suite de la continuation ou du renouvellement de cette violation.

 

35. (1) N’est pas coupable d’une infraction la personne qui, à la fois :

a) croit, pour des motifs raisonnables, qu’elle a la possession paisible d’un bien ou agit sous l’autorité d’une personne — ou prête légalement main-forte à une personne — dont elle croit, pour des motifs raisonnables, qu’elle a la possession paisible d’un bien;

b) croit, pour des motifs raisonnables, qu’une autre personne, selon le cas :

(i) sans en avoir légalement le droit, est sur le point ou est en train d’entrer dans ou sur ce bien ou y est entrée,

(ii) est sur le point, est en train ou vient de le prendre,

(iii) est sur le point ou est en train de l’endommager, de le détruire ou de le rendre inopérant;

c) commet l’acte constituant l’infraction dans le but, selon le cas :

(i) soit d’empêcher l’autre personne d’entrer dans ou sur le bien, soit de l’en expulser,

(ii) soit d’empêcher l’autre personne de l’enlever, de l’endommager, de le détruire ou de le rendre inopérant, soit de le reprendre;

      dagit de façon raisonnable dans les circonstances.

 

38. (1) Quiconque est en paisible possession de biens meubles, comme toute personne lui prêtant légalement main-forte, est fondé :

a) soit à empêcher un intrus de les prendre;

b) soit à les reprendre à l’intrus,

s’il ne le frappe pas ou ne lui inflige aucune lésion corporelle.

                                                                                         (Nos soulignements)

[46]    Pour bénéficier de ces défenses, on comprendra que les citoyens qui satisfont aux différentes conditions énoncées doivent agir de façon raisonnable et que l’emploi de la force doit être proportionnel en fonction du contexte et non pas excessive.

6.        ANALYSE

[47]    Au départ, le Tribunal souligne qu’il n’est pas nécessaire de statuer sur la fiabilité et la crédibilité des témoins. Le dépôt en preuve de la vidéo représente fidèlement les faits et gestes des différents acteurs de l’événement du 2 février 2013.

6.1      L’accusé a-t-il procédé à l’arrestation de la plaignante conformément à       l’article 494 C.cr. ?

[48]     Le Tribunal est d’avis qu’il n’a pas à se prononcer sur la sagesse de cette arrestation. Il doit plutôt se demander si celle-ci est légale et conforme à la loi.

[49]    En l’espèce, le Tribunal estime que la plaignante commet un vol. Comme elle commet un acte criminel et qu’elle est vue en flagrant délit par l’accusé, celui-ci peut ainsi procéder à son arrestation conformément aux alinéas 494(1)a) et (2)a C.cr.

[50]    À moins que les circonstances l’exigent et le justifient, il convient de mentionner que l’arrestation faite par un citoyen ne doit pas être encouragée dans notre société. Il est préférable d’envisager d’autres solutions que de procéder soi-même à l’arrestation d’une personne qui commet un acte criminel afin d’éviter des confrontations physiques pouvant entraîner des conséquences malheureuses.

6.2    Le cas échéant, la force utilisée par ce dernier est-elle raisonnable et proportionnelle à la menace dans les circonstances de l’espèce ?

[51]    L’emploi de la force lors d’une arrestation doit être judicieux et rationnel.

[52]    L’ensemble de la preuve démontre que la force utilisée le 2 février 2013 par l’accusé à l’égard de la plaignante est nettement déraisonnable, démesurée et injustifiée. En effet, son intervention musclée et agressive est tout à fait disproportionnée par rapport aux circonstances. Jamais le comportement de la plaignante représente une menace réelle pour la sécurité de l’accusé, celle de ses proches ou de ses biens, ni dans son comportement du 2 février 2013 et ni dans son comportement antérieur.

[53]    À l’évidence, l’acte criminel commis par la plaignante est d’une gravité subjective moindre : il s’agit ici d’un vol de nourriture pour chats. Il n’y avait aucune urgence d’agir de la sorte et aucun élément, tant objectif que subjectif, ne pouvait laisser croire que la plaignante était armée ou même menaçante. Rien dans les faits et gestes de la plaignante ne justifie l’action de l’accusé.

[54]    Lors de l’arrestation, l’accusé aurait dû donner l’opportunité à la plaignante de collaborer et de cesser son comportement, tout en faisant un appel au calme.

[55]    À force de prévoir le pire dans le cadre de sa planification et de sa stratégie, l’accusé a, de façon flagrante, manqué de jugement et de discernement. Il est évident qu’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances aurait certes agi autrement. Elle aurait considéré les éléments suivants :

·      La nature et la gravité subjective de l’infraction;

·      L’absence de menace ou d’une arme;

·      Le comportement antérieur de la plaignante, son âge, la force de la personne arrêtée et la différence physique. Dans les faits, il s’agit d’une femme qui n’a commis aucun méfait ou geste de violence à l’égard de l’accusé ou de sa propriété.

[56]    Ses craintes selon lesquelles la plaignante est dangereuse relève de la conjecture. Dans les faits, rien ne lui permet de conclure à la dangerosité de cette dernière. Même en tenant pour acquis, tel qu’il le décrit, que la plaignante constitue un réel danger, il est indéniable qu’une personne raisonnable aurait nécessairement fait appel aux policiers de façon à éviter les risques de violence et de blessures. À cet égard, les policiers ont une formation précise et savent le degré de force à utiliser qui doit être raisonnable et proportionnel à la commission de l’infraction et en fonction de la personne à arrêter.

[57]    Considérant toutes les circonstances, il n’y a aucun motif qui puisse justifier, de quelque façon, l’utilisation de la serviette, des attaches de plastique autobloquantes et des contraintes physiques exercées par l’accusé à l’égard de la plaignante à l’aide de ses mains et de ses genoux.

[58]    Bien que le Tribunal reconnaisse ici le pouvoir de procéder à l’arrestation de la plaignante, la force utilisée par l’accusé pour ce faire est excessive et déraisonnable.

6.3 Les justifications présentées par l’accusé comme ceux de la nature des défenses prévues aux articles 25, 27, 30, 35 et 38 C.cr. trouvent-elles application ?

[59]    Le nouvel article 35 C.cr. qui traite de la défense des biens est entré en vigueur le 11 mars 2013. Les faits reprochés à l’accusé sont intervenus antérieurement. Le législateur ne spécifie pas si la défense des biens a un effet rétrospectif.

[60]    Sur cet aspect, le Tribunal adopte la position du juge Vanchestein dans le jugement Marchand[8] selon laquelle l’article 35 C.cr. a un effet rétrospectif. Comme il s’agit d’une nouvelle disposition qui est de nature d’une défense déjà existante et que l’intervention du législateur vise à apporter des corrections à une solution de droit aux ambiguïtés générées par l’ancienne disposition, la nouvelle défense des biens énoncé à l’article 35 trouve application en l’espèce.

[61]    Toutefois, comme il est décidé que la force utilisée par l’accusé est excessive et qu’il n’a pas agi de façon raisonnable dans les circonstances, les défenses proposées  conformément aux articles 25, 27, 30, 35 et 38 C.cr. ne s’appliquent pas dans le présent cas.

[62]    Après avoir analysé l’ensemble de la preuve et avoir considéré les positions des parties, le Tribunal conclut que la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable tous les éléments essentiels de l’infraction reprochée à l’accusé.

7.        CONCLUSION

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[63]    DÉCLARE l’accusé coupable du chef d’accusation tel que porté.

 

 

 

__________________________________

JEAN ASSELIN, J.C.Q.

 

Me Mélanie Ducharme

Procureure aux poursuites criminelles et pénales

 

M. Bernard Corbeil

Accusé

 


ANNEXE I

 

 


ANNEXE II

 



[1]     Les pages 64 à 67 de la pièce P-9 sont reproduites à l’annexe I.

[2]     Conversation téléphonique entre la préposée du 911 et l’accusé, extraite de la pièce P-2, reproduite à l’Annexe II.

[3]     R. c. Whitfield, [1970] R.C.S. 46, 48; R. c. Latimer, [1997] 1 R.C.S. 217, par. 24; R. c. Asante-Mensah, [2003] 2 R.C.S. 3, par. 42.

[4]     Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, article 34.

[5]     Paragraphe 494(3) C.cr.

[6]     Article 26 C.cr..

[7]     R. c. Mitchell, 2004 ABPC 59, par. 25.

[8]     R. c. Marchand, 2013 QCCQ 9976, par. 36 à 50.

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