Giroux c. Del Negro |
2020 QCCS 3006 |
COUR SUPÉRIEURE (Chambre criminelle) |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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No : |
500-36-009668-206 |
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DATE : |
Le 23 septembre 2020 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
MARC-ANDRÉ BLANCHARD, J.C.S. |
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ME MARIE-HÉLÈNE GIROUX |
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Requérante |
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c. |
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L’HONORABLE MANLIO DEL NEGRO, J.C.Q. |
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Intimé |
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SA MAJESTÉ LA REINE |
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Mise en cause - Poursuivante |
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et |
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LE GREFFIER DE LA COUR DU QUÉBEC, CHAMBRE CRIMINELLE Mis en cause |
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JUGEMENT |
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[1] Marie-Hélène Giroux, avocate criminaliste, attaque le jugement du 4 juin 2020[1] du juge Manlio Del Negro de la Cour du Québec, Chambre criminelle, la condamnant au paiement aux frais de 1000 $ pour trois motifs :
1) L’apparence de partialité.
2) La violation des règles de l’équité procédurale.
3) Les erreurs de droit manifestes à la face du dossier en l’occurrence :
a) Le défaut de tenir compte des excuses formulées.
b) La conclusion que le comportement de Giroux satisfaisait à la norme de l’atteinte sérieuse à l’autorité des tribunaux ou de l’entrave grave à l’administration de la justice.
[2]
Le 20 juin 2019, Giroux reçoit mandat de représenter Martin
Tapin-Dubois, qui fait face à trois chefs d’accusations portés en vertu des
articles 254(5) et 255(1), 253(1)(a) et 255(1) ainsi que 403(1)(a) et
[3] Le dossier d’instance débute le 31 octobre 2017 et fait l’objet de plusieurs ajournements, notamment parce que l’accusé se fait représenter par plusieurs avocats au cours des procédures. Ces atermoiements font en sorte que le 23 avril 2019, le tribunal d’instance fixe la date du début du procès au 28 juin 2019.
[4] Or, selon la version de Giroux, l’accusé l’informe qu’il s’agit d’une fixation pro forma sans assignation de témoins.
[5] Giroux délègue donc une stagiaire pour cette date en lui donnant instruction d’informer le Tribunal qu’elle venait de recevoir le mandat de représenter l’accusé et de demander un ajournement pour lui permettre de préparer le dossier. Cette dernière explique alors au juge :
i) Qu’elle apprenait le matin même que le procès devait débuter;
ii) Que sa patronne ignorait ce fait;
iii) Que la transmission du dossier de l’accusé précédait de quelques jours la date d’audition;
iv) Qu’elle croyait, à tort, qu’une demande de cesser d’occuper de l’avocate Auclaire se trouvait déjà au dossier.
[6]
Il appert qu’Auclaire ne se présente pas devant la Cour du Québec le 28
juin 2019 et qu’elle ne demande pas la permission de cesser d’occuper comme
l’exige l’article
[7] Devant cette situation, le juge d’instance ordonne sa convocation devant lui, dans les soixante minutes, alors qu’on tente, sans succès, de la rejoindre. Cela entraîne l’émission d’une citation pour outrage au tribunal à son endroit, l’enjoignant de comparaître le 5 juillet 2019.
[8] Le juge d’instance, confronté au troisième report du procès et au fait que quatre témoins de la poursuivante se trouvaient en salle d’audience, manifeste son indignation et tient, entre autres, les propos suivants :
Malheureusement pour des circonstances que je qualifierais de irresponsabilité professionnelle et je mâche mes mots quand je dis ça. La situation se trouve que vous vous êtes présentés aujourd’hui et que la cause procède pas et je peux concevoir que parfois à cause de situation semblable que les gens, le public et les professionnels peuvent perdre confiance au système judiciaire […] [2]
[…] le système a failli aujourd’hui pour manque de professionnalisme et manque de respect de certaines personnes. Mais je peux vous dire une chose je vais m’occuper personnellement de ce dossier ici, puis il va y avoir des conséquences qu’est-ce qui s’est passé aujourd’hui. […] [3]
[…] Mais je peux vous assurer quelque chose, qu’il y aura des conséquences pour les responsables qui ont causé cette situation aujourd’hui. [4]
[9] Le juge d’instance exige également la présence de Giroux pour le 5 juillet 2019.
[10] À cette date, il énumère, selon sa compréhension, les faits suivants :
- Première remise du procès fixé le 29 janvier 2019 pour trois heures avec assignation de témoins, afin de permettre à Auclaire d’entrer au dossier, alors que celle-ci n’avise ni la Cour ni la poursuite de la situation.
- Deuxième remise du procès, alors fixé le 23 avril 2019 pour une journée, vu qu’Auclaire ne pouvait se rendre disponible dans l’après-midi.
- Troisième remise du procès le 28 juin 2019 en l’absence de Auclaire qui fait défaut de formuler une demande pour cesser d’occuper et qui n’avise ni la Cour ni la poursuite de la situation.
[11] Il informe ensuite Giroux pour la première fois que :
Et vous Me GIROUX, c’est une autre citation, ça va être pour des frais. [5]
[12] Après ces propos se rapportant plus spécifiquement à la question de l’outrage au tribunal reproché à Auclaire, il s’adresse à Giroux en ces termes :
Par contre, sachant que la cause… là, je sais que vous avez dit que vous étiez pas au courant… pas au courant que c’était fixé pour procéder…
Me MARIE-HÉLÈNE GIROUX :
(Inaudible).
LA COUR :
… je sais déjà ça. Mais personne, par contre, a été avisé que remise…qu’une remise était pour être demandée, de sorte, encore une fois… puis ça, c’est une faute contributive, quant à moi, de deux (2) avocats, de votre consoeur à côté de vous, maître Auclaire, et de vous, personne n’a été avisé.
Alors, votre consoeur, maître Dulude, a dû présenter… préparer le procès encore une fois, une deuxième ou troisième fois; les témoins ont dû se présenter; le Tribunal était ici; les ressources judiciaires ont été réservées pour entendre la cause de votre client et, vous, vous n’étiez pas là.[6]
[13] Il ajoute, à la suite de quelques brèves explications de cette dernière :
… si vous étiez peut-être une jeune avocate qui connaissait pas le système, je pourrais vous comprendre. Mais je suis pas ici pour juger de la validité de votre … de votre explication. Je vais vous donner la chance de vous exprimer plus amplement.
Me MARIE-HÉLÈNE GIROUX :
Oui, oui, il y a pas de soucis (inaudible).
LA COUR :
Mais je peux vous dire qu’il y a eu… il y a eu des fautes commises ici et puis, à un moment donné, il y a des gens qui vont être tenus responsables des fautes qui ont été commis à l’égard de l’administration de la justice qui… qui en souffre, l’image de la justice aussi à l’égard des témoins qui sont ici, également par… puis ça, c’est pas moi qui va sanctionner ça, mais aussi à l’égard de la poursuivante qui, elle, elle prend le temps de se préparer, préparer un procès de cinq (5) heures, préparer le droit, préparer la …
Me MARIE-HÉLÈNE GIROUX :
Oui…
LA COUR :
… vous savez, tout qu’est-ce qu’il y a à préparer. Alors, j’estime qu’il y a eu des fautes importantes qui ont été commises.[7]
[14] Il précise que les poursuites concernant l’outrage et le paiement des frais relèvent de sa propre initiative[8] et conclut ainsi :
C’est une audition pour outrage au Tribunal à l’égard de maître Auclaire puis une audition pour une demande de frais à l’égard de maître Marie-Hélène Giroux.[9]
[…]
Maître Auclaire, vous … je vous tiens… j’ai l’intention de vous tenir responsable des frais aussi. Alors, j’aimerais avoir les motifs pour lesquels je devrais pas le faire.[10]
[15] Il fixe l’audition pour procéder au 17 décembre 2019 pour une durée d’une journée tant à l’égard d’Auclaire que de Giroux[11].
[16] Il importe de noter qu’à cette date l’audition débute en l’absence de cette dernière alors que le juge prend la peine de spécifier à Me Sylvie Dulude qu’elle représente la Couronne dans le dossier qui concerne Giroux et Auclaire[12]. Il prend note de la comparution de Me Noémie Tellier pour représenter cette dernière[13]. La transcription de l’audition ne révèle aucun effort de vérification de la présence de Giroux ni de démarches pour s’assurer de sa présence.
[17] Auclaire décide de témoigner pour expliquer sa compréhension de la situation. Son témoignage comporte de très nombreuses références spécifiques à Giroux[14]. La plaidoirie de son avocate fait de même[15] à deux reprises.
[18] Le juge l’acquitte de l’accusation d’outrage au tribunal, sans même discuter ni disposer de la question de la citation pour les frais qui s’adressait également à elle, tel qu’il l’avait annoncé le 5 juillet 2019. Puis l’audition de la matinée se termine ainsi :
Alors, est-ce que … il y a maître Giroux, aussi, qui doit passer pour…
Me SYLVIE DULUDE
procureure de la poursuite :
Oui, mais je n’ai pas eu de nouvelles de maître Giroux.
LA COUR :
Elle ne vous a pas écrit ou …
Me SYLVIE DULUDE
procureure de la poursuite :
Non.
LA COUR :
Elle nous a écrit pour dire qu’elle n’avait pas besoin du tableau, mais est-ce que vous ne l’avez pas vue aujourd’hui?
procureure de la poursuite :
Non, elle ne m’a pas recontactée par la suite, Monsieur le juge.
LA COUR :
O.K. Alors, moi, je suis ici pour la journée, pour une cause continuée que j’ai commencée hier, alors au moment que vous allez être - - vous allez être à votre bureau?
Me SYLVIE DULUDE
procureure de la poursuite :
Oui, je vais laisser mes coordonnées à madame la greffière.[16]
[19] L’audience de l’après-midi débute sans autre préambule ni questionnement quant à l’absence de Giroux en matinée ainsi :
LA COUR :
Aimeriez-vous témoigner, maître Giroux, sur la citation à propos des frais?[17]
[20] Dans le cadre de son témoignage quant à ses relations avec Auclaire, Giroux affirme :
[…] je me suis fiée à la parole de l’autre avocate qui m’avait dit que .. ou en fait, qui nous avait laissé entendre au bureau que le … c’était un dossier qui était fixé pro forma, et c’est la raison pour laquelle je n’étais pas là, parce que de toute façon, je ne pouvais pas être là puisque j’étais d’ailleurs à ce moment-là.[18]
[…]
Q. Est-ce que c’est exact de dire que maître Auclaire vous avait remis la preuve le dix-neuf (19) juin précédent?
R. Il faudrait que je … ça, je ne peux pas vous dire la date, je ne sais pas si on avait toute la preuve, par contre, dans tous les dossiers. Je pense qu’il y a eu un problème au niveau de la divulgation de la preuve avec maître Auclaire. Je ne peux pas vous garantir que j’ai reçu toute la preuve le dix-neuf (19) juin.
Q. Mais si je vous suggère que maître Auclaire vous avait remis la preuve et que le dix-neuf (19), vous avez confirmé votre mandat auprès de monsieur Tapin-Dubois?
R. Ça pourrait être… ça pourrait être raisonnable, là. C’est dans les jours qui ont précédé le dix-huit (18) - - le vingt-huit (28) juin.
Q. Et si je vous suggère que le vingt (20) juin, maître Auclaire est allée porter les dossiers à votre bureau?
R. Ça, je ne pense pas.
Q. Vingt (20) juin?
R. À ma … ça, là-dessus, ce n’est pas à ma connaissance personnelle, là, donc, je ne pourrais pas vous répondre. C’est peut-être ma secrétaire ou la technicienne administrative ou un des avocats dans mon bureau qui l’a pris. À ma connaissance personnelle, je ne peux pas vous le dire si le vingt (20) juin, on a eu les dossiers. Ce que je me souviens, par contre, c’est qu’on m’avait rapporté qu’il manquait de la preuve dans les dossiers que maître Auclaire nous avait remis.[19]
[…]
R. Je… ce que je me souviens - -
R. Oui, Moi, j’ai fait la vérification auprès de l’avocate.[20]
[…]
R. Je… ce que je me souviens - - oui, ce que je me souviens, c’est qu’il manquait des documents dans le dossier puis on a couru après elle, là, ça c’est sûr que je me souviens de ça.[21]
[…]
R. Ce que je constate, c’est que moi, je me suis fiée à l’information qui m’était donnée. […][22]
[…]
[…] Je me suis fiée à l’information qui m’avait été transmise, comme on fait souvent entre collègues, on se fait confiance quand même. […][23]
[21] Puis survient l’échange suivant :
Q. Mais selon qu’est-ce que votre avocat - - votre consoeur a dit ce matin …
R. Huit jours, puis il y a un …
Q. … elle a dit le dix-huit (18) que la mère de sa cliente l’a contactée, et que par la suite, elle a- - elle vous a contactée aussi …
R. Moi, je sais …
Q. … le dix-huit (18) juin, elle vous a écrit un courriel, même, le vingt (20) juin. Ça, je n’ai pas eu le courriel, mais je prends pour acquis qu’un avocat ne me mentirait pas quand elle témoigne devant moi.
R. Un courriel de maître Tellier le vingt (20) juin?
Q. Puis elle dit qu’elle …
Me NOÉMI TELLIER
procureure de la défense :
Q. Maître Auclaire.
LA COUR :
Q. … vous a remis le dossier …
R. Auclaire, pardon. Maître Auclaire. Je n’ai pas de courriel de maître Auclaire, moi. Du vingt (20) juin, je n’en ai pas. Et je sais que le … et on a eu des parties de dossier remises, je ne peux pas vous certifier que c’est le vingt (20) juin. Je sais qu’il y avait le congé de la Saint-Jean à ce moment-là également, et je sais qu’on a couru après le dossier. Je ne suis même pas certaine qu’en date du vingt-huit (28) on l’avait.
Q. O.K. Avez-vous d’autres choses à ajouter?
R. Non.[24]
[22] Soulignons également que dans le cadre du témoignage de Giroux, alors qu’il semble mener ce que l’on peut qualifier de contre-interrogatoire, le juge d’instance expose le fruit de ses recherches, qu’il effectue à l’évidence avant l’audition, sans en informer Giroux, afin de tenter de réfuter les explications de cette dernière quant à son emploi du temps du 28 juin 2019[25].
[23] À ce sujet, la mise en cause plaide dans son mémoire la nature extrêmement téméraire du grief formulée par Giroux quant à son absence au moment du témoignage d’Auclaire[26] :
78. Le jour en question, Me Bisaillon-Auclaire est présente à l’ouverture de l’audience et la requérante brille par son absence34. Elle n’avise personnel. Elle n’envoie personne. Et ne se présente qu’à 14 h 30. Sans explication.
79. Elle reproche malgré tout au juge de ne pas l’avoir attendue.
80. Elle est un officier de justice. Elle est convoquée afin de répondre d’allégations d’inconduite ou de négligence. Et choisit de paraître au moment qui lui convient.
81. Son retard, dans ces circonstances particulières et précises, est criant d’ironie. Mais il ne mérite pas d’être récompensé. La requérante est l’artisan de son malheur. Sa tardiveté tient lieu de renonciation. Si elle ne s’était pas présentée du tout, le juge eût été autorisé à procéder en son absence, par défaut. Il eût d’ailleurs tout aussi bien pu le faire en avant-midi. À défaut pour la requérante d’avoir avisé qui que ce soit de son retard, l’effet est ici le même.[27]
(Référence omise)
[24] Cependant, elle reconnaît à l’audience[28] que cette façon de procéder du juge d’instance constitue un accroc à l’équité procédurale.
[25] Elle ajoute que l’octroi d’un remède par la voie du bref de prohibition demeure discrétionnaire et que la jurisprudence justifie d’écarter ce moyen[29].
[26] Le Tribunal ne peut en convenir.
[27] Avec égards, de tout cela une seule conclusion s’impose d’emblée : la conduite du juge d’instance constitue un manquement clair et sérieux aux règles de justice naturelle. Point besoin d’épiloguer longuement pour conclure que le fait de décider de procéder dans un dossier où le magistrat cite lui-même à comparaître deux avocates devant lui pour savoir s’il doit les condamner à payer des dépens pour leurs comportements dans un dossier qu’il préside, alors qu’il débute l’audition, entend la preuve d’une des deux parties, en l’occurrence celle d’Auclaire en l’absence de Giroux, et qu’il se sert ensuite de ce témoignage pour évaluer la conduite et la crédibilité de cette dernière, constitue un manquement à la règle audi alteram partem et à l’équité procédurale.
[28] En effet, bien que l’on puisse raisonnablement s’interroger sur la raison pour laquelle Giroux ne se trouve pas devant le juge d’instance au début de l’audition, en constatant que rien au dossier ne permet d’expliquer cette situation, il n’en demeure pas moins que ce dernier doit respecter les règles de justices naturelles. Or, la transcription de l’audition montre indubitablement qu’il ne se préoccupe même pas de l’absence de Giroux, qu’il ne pose aucun geste pour expliquer son absence ou requérir sa présence. De plus, il ne demande pas plus à celle-ci d’expliquer son absence matinale au début de la séance d’après-midi.
[29] Quant à la question de savoir comment le juge d’instance connaissait l’emploi de temps de Giroux du 28 juin 2019, la poursuivante plaide le caractère déraisonnable d’une conclusion qui repose immanquablement sur la prémisse qu’elle résulte d’une démarche inquisitive du juge puisque rien au dossier ne permet de conclure comment le juge d’instance possédait ces informations.
[30] La lecture de l’échange entre le juge d’instance et Giroux à ce propos, amène le Tribunal à une conclusion différente :
[…] et c’est la raison pour laquelle je n’étais pas là, parce que de toute façon, je ne pouvais pas être là puisque j’étais ailleurs à ce moment-là.
Q. Vous étiez quoi?
R. J’étais ailleurs, j’étais dans une autre - - dans un autre district.
Q. Pas vraiment, vous étiez au palais de justice à Montréal ce jour-là.
R. Je n’ai pas mon agenda. Redonnez-moi la date, je vais vous dire exactement où j’étais. Si j’avais été au palais de justice de Montréal avec un problème comme ça, maître Paillé m’aurait tout de suite contactée et je serais venue. C’était en juillet, ça, si je ne m’abuse, hein?
Q. Alors, vous étiez à Montréal, vous étiez devant le juge Penou.
R. Ah! Bien, c’est ça, bien donc, j’avais une assignation en tout cas, oui, peut-être. Mais si j’avais été devant le juge Penou …
Q. Vous étiez devant lui pour pas longtemps, par exemple.
R. C’est possible que ce ne soit pas moi qui sois allée devant le juge Penou, mais quelqu’un d’autre. C’est… pouvez-vous me répéter la date, Monsieur le juge, que je vérifie l’agenda?
Q. On parle du …
R. Du vingt-deux (22) juillet, je pense?
Q. … vingt-huit (28) juin.
R. Vingt-huit (28)? Vingt-huit (28) juin, j’ai aussi des dossiers qui procédaient au 602.
Q. Vous étiez dans le dossier de …
R. Sébastien Leduc.
Q. … Sébastien Leduc.
R. Oui.
Q. Puis votre adversaire était maître Éric de Champlain.
R. Oui. Mais de toute façon, peu importe où j’étais, l’idée c’est qu’on pensait que le dossier était pro forma, […][30]
[31] En effet, il apparait plus que raisonnable de conclure que la nature des informations et leurs précisions, notamment quant au nom de l’accusé et celui du procureur de la Couronne agissant dans le dossier, relèvent d’une démarche concrète du juge d’instance et non pas d’une simple connaissance anecdotique ou qui découlerait de sa connaissance d’office.
[32] À tout évènement, ces éléments constituent, à proprement parler, de la preuve. Or, rien au dossier ne révèle quand et comment celle-ci se trouve au dossier. Il s’agit là assurément d’un autre manquement à la règle audi alteram partem.
[33] À ce sujet, la mise en cause argue[31], spécifiquement et uniquement, que la règle que cet argument met en jeu veut qu’un tribunal ne puisse ajouter à la preuve de son propre chef sans présenter l’occasion aux parties d’y répondre en s’appuyant sur l’arrêt Drapeau c. R.[32]. Cependant, ce faisant, elle tronque les enseignements de la Cour d’appel à cet égard qui se retrouvent plus particulièrement au début du paragraphe 16. En effet, l’extrait pertinent de cette affaire se lit ainsi :
[15] Il mérite de préciser que les règles de
preuve et de procédure sont différentes de celle d’un procès lorsqu’il s’agit
de déterminer la peine, le Code criminel (« C.cr. »)
prévoyant d’ailleurs aux articles 720 à 729.1 des règles particulières et
assouplies à cette fin. Le tribunal peut notamment exiger d’office la
présentation des éléments de preuve qui pourront l’aider à déterminer la peine
(
[16] Cela étant, cette souplesse ne permet
tout de même pas au juge de mener sa propre enquête hors la présence des
parties ou de tenir compte de faits sur lesquels les parties n’ont pas eu
l’occasion de répondre, le par.
[17] Le juge en l’instance a donc commis une grave erreur en procédant à une recherche sur Internet comme il l’a fait sans en aviser les parties et leur permettre d’y répondre. Le ministère public en convient d’ailleurs. En mots clairs, cette démarche ou pratique est tout simplement à proscrire. Il ne revient pas au juge de la peine de faire sa propre enquête sans avoir entendu le poursuivant et le délinquant en conformité avec les dispositions du Code criminel (723(3)).[33]
(Référence omise)
[34] À l’évidence, à l’instar de cet arrêt[34] le Tribunal doit conclure que cette recherche effectuée par le juge d’instance vise à permettre d’apprécier la conduite ou possiblement la crédibilité de Giroux. En elle-même, cette situation apparaît suffisante pour justifier l’intervention du Tribunal car, dans les circonstances de l’espèce, il faut rappeler que le juge d’instance agit comme le poursuivant, le contre-interrogateur de Giroux et le décideur.
[35] Ainsi, le fait de mener sa propre enquête, sans en informer au préalable Giroux, tant quant à sa tenue qu’à sa teneur, constitue donc une violation de la règle audi alteram partem, tout en constituant un élément suffisant pour faire naître chez un observateur dûment éclairé une crainte raisonnable de partialité.
[36] À cet égard, l’arrêt Québec (Direction des poursuites criminelles et pénales) c. Jodoin[35] règle le sort de cette dernière question, alors que la Cour suprême énonce qu’une avocate passible d’une condamnation personnelle aux dépens doit recevoir un avis préalable l’informant des allégations formulées à son endroit et les conséquences qui pourraient en découler, sachant que cet avis doit contenir des informations sur les faits reprochés et sur la teneur de la preuve à leur appui.
[37] Ainsi, à charge de redite, en procédant en l’absence de Giroux à l’audition du témoignage d’Auclaire et aux représentations de son avocate, alors qu’il s’agit d’une citation conjointe quant à la possibilité d’une condamnation aux frais, bien que cette dernière faisait aussi face à une accusation d’outrage au Tribunal, ce qui ne change rien quant à son devoir relatif aux respect des règles de justice naturelle à l’endroit de Giroux, le juge d’instance obvie à son devoir d’informer Giroux des éléments de preuves qui peuvent servir d’assise à son jugement éventuel. Il s’agit d’une violation des règles de l’équité procédurale.
[38] De plus, l’arrêt Société Radio-Canada (Re)[36] permet de conclure aux violations des règles de justice naturelle alors que la poursuivante plaidait, en substance, les mêmes arguments qu’en l’espèce quant à la présomption d’impartialité du juge d’instance[37]. Il énonce :
27. L'examen de la preuve à l'aune de ce critère force à conclure qu'une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, en arriverait à la conclusion qu'il y a crainte raisonnable de partialité. En effet, il est indubitable que le juge Morier a posé et fait poser au témoin Arsenault des questions sans aucun rapport avec les accusations qui pesaient sur l'appelant et les coaccusés, mais qui étaient au coeur du litige relatif à la divulgation de la preuve.
28. En effet, la lecture de la transcription révèle que dès après l'assermentation du témoin Arsenault, le juge a pris la parole, et s'adressant à l'avocat de l'appelant a dit: "Alors, j'ai une question avant de commencer, pour être posée plutôt par Maître Panaccio sur requête en divulgation de preuve de Radio-Canada." Et les questions qui ont suivi, il les a posées et fait poser en l'absence du procureur de l'intimée et de celui du témoin. De même, au cours d'un échange, après le retour dans la salle d'audience de l'avocat de l'intimée et de celui du témoin, le juge a déclaré: "Avez-vous oublié que les seules questions qui ont été posées, c'est dans le cadre de la requête de Radio-Canada?"
29. De surcroît, il a lui-même posé au moins une question suggestive tendant à susciter un consentement à la divulgation et a laissé poursuivre l'interrogatoire dans cette veine après que le témoin eût exprimé le désir de consulter son avocat avant de donner le consentement recherché.
30. Il ne saurait être contesté que le respect de la règle audi alteram partem est un principe de justice fondamentale au coeur même de notre système juridique comme le rappelle le juge L'Heureux-Dubé au paragraphe 27 de son opinion dans l'arrêt A. c. B. précité.
31. Comme le premier juge, j'estime que la conduite du juge Morier soulève, à tout le moins, une crainte raisonnable de partialité qui le rend incapable d'entendre et de disposer de la requête en divulgation de preuve.[38]
[39] Ainsi, ces enseignements se trouvent parfaitement applicables en l’espèce car les agissements du juge d’instance quant aux gestes portés en l’absence de Giroux s’avèrent semblables à ceux en cause dans cette affaire.
[40] Cela suffit pour disposer de la demande de Giroux sans qu’il faille traiter des autres motifs de contestation à l’endroit de la décision du juge d’instance.
[41] Cependant, celle-ci requiert du Tribunal qu’il émette une ordonnance à l’endroit de celui-ci pour lui interdire de continuer d’agir dans ce dossier à son égard. Il n’apparait pas utile d’y donner suite. Le jugement du Tribunal casse le jugement en cause et le juge d’instance se trouve functus officio à tous égards à l’endroit de Giroux dans ce dossier.
[42] En conclusion, le Tribunal croit nécessaire d’ajouter que le présent jugement ne porte pas sur le comportement de Giroux, mais uniquement sur des constatations à l’égard de la procédure suivie en première instance.
[43] ACCUEILLE la requête en certiorari et en prohibition de Marie-Hélène Giroux du 15 juin 2020;
[44] ANNULE la décision de la Cour du Québec, chambre criminelle, du 4 juin 2020 dans le dossier 500-01-162907-171 condamnant Marie-Hélène Giroux aux frais.
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__________________________________MARC-ANDRÉ BLANCHARD, j.c.s. |
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Me Louis Belleau |
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Louis Belleau Avocat inc. |
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Avocat de Marie-Hélène Giroux |
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Me Richard Audet |
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Directeur des poursuites criminelles et pénales |
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Avocat de Sa Majesté la Reine |
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Date d’audience : le 22 septembre 2020 |
[1] R. c. Tapin-Dubois, [2020] J.Q. no 3832.
[2] Audience du 28 juin 2019, p. 40, lignes 4 à 12.
[3] Id., p. 40, lignes 23 à p. 41, ligne 5.
[4] Id., p. 43, lignes 1 à 4.
[5] Audience du 5 juillet 2019, page 4, lignes 18 et 19.
[6] Audience du 5 juillet 2019, p. 12, ligne 6 à p. 13, ligne 1.
[7] Id., p. 14, ligne 21 à p. 15, ligne 23.
[8] Id., p. 22, lignes 19 à 22 et p. 23, lignes 18 à 22.
[9] Id., p. 26, lignes 12 à 15.
[10] Id., p. 27, ligne 4 à 7.
[11] Id., p. 25, lignes 11 à 14.
[12] Audience du 17 décembre 2019, p. 3, lignes 19 à 25.
[13] Id., p. 4, lignes 6 à 12.
[14] Id., p. 12, lignes 8 à 16; p. 13, ligne 6 à p. 14, ligne 2; p. 13, lignes 18 à 25, p. 14, lignes 20 à 23; p. 19, lignes 13 à 23; p. 23, ligne 24 à p. 24, ligne 6.
[15] Id., p. 30, lignes 18 et 19; p. 31, lignes 16 à 21.
[16] Id., p. 37, ligne 13 à p. 38, ligne 15.
[17] Id., p. 39, lignes 5 à 7.
[18] Id., p. 42, lignes 16 à 23.
[19] Id., p. 45, ligne 5 à p. 46, ligne 11.
[20] Id., p. 49, lignes 2 et 3.
[21] Id., p. 49, lignes 12 à 15.
[22] Id., p. 54, lignes 23 et 24.
[23] Id., p. 56, lignes 16 à 18.
[24] Id., p. 59, ligne 11 à p. 60, ligne 16.
[25] Id., p. 42 et 43.
[26] Exposé des arguments de la mise en cause, par. 76.
[27] Id., par. 78 à 81.
[28] Audience du 22 septembre 2020, 10 h 04 min 50 s.
[29]
Canada (Procureur général) c. Gagné,
[30] Transcription de l’audience du 17 décembre 2019, p. 42, ligne 40 à p. 44, ligne 9.
[31] Exposé de la poursuivante, par. 64.
[32]
[33] Id., par. 15 à 17.
[34] Id., par. 21.
[35]
[36] [1998] J.Q., no 2444.
[37] Id., par. 20.
[38] Id., par. 27 à 31.
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