Rocray c. Volkswagen Canada inc. | 2022 QCCQ 1262 | |||||||||
COUR DU QUÉBEC | ||||||||||
« Division des petites créances » | ||||||||||
CANADA | ||||||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||||||
DISTRICT DE | IBERVILLE | |||||||||
LOCALITÉ DE | SAINT-JEAN-SUR-RICHELIEU | |||||||||
« Chambre civile » | ||||||||||
N° : | 755-32-701024-202 | |||||||||
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DATE : | 14 mars 2022 | |||||||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | LUC POIRIER, J.C.Q. | ||||||||
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JACQUES ROCRAY | ||||||||||
Partie demanderesse | ||||||||||
c. | ||||||||||
VOLKSWAGEN CANADA INC. | ||||||||||
Partie défenderesse | ||||||||||
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JUGEMENT | ||||||||||
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[1] Monsieur Jacques Rocray réclame à Volkswagen Canada inc. (Volkswagen) la somme de 4 687,92 $ pour bris prématuré des ressorts de suspension de son véhicule Volkswagen.
[2] Volkswagen nie être responsable puisque le véhicule n’est plus sous garantie et qu’il était exempt de vices.
QUESTIONS EN LITIGE
[3] Le véhicule était-il affecté de vices affectant sa durabilité contrairement aux dispositions de la Loi sur la protection du consommateur ?
[4] Si oui, à quel montant a droit monsieur Rocray ?
CONTEXTE
[5] Monsieur Rocray est propriétaire d’un véhicule Volkswagen modèle Golf de l’année 2012 au moment des évènements. Il s’agit d’un véhicule acheté neuf auprès du concessionnaire Haut-Richelieu Volkswagen (contrat, pièce P-4).
[6] Au moment des évènements, le véhicule ne bénéficie plus de la garantie du manufacturier même s’il n’a que peu de kilomètres au compteur (environ 21 000 km). La garantie est plutôt expirée vu l’âge du véhicule (7 ans).
[7] Le 8 mai 2019, monsieur Rocray entend un fort bruit métallique provenant du véhicule. Le 25 juin 2019, il se rend à un garage près de chez lui qui constate un problème des ressorts de suspension avant. Les deux ressorts sont changés ainsi que d’autres pièces accessoires pour un montant total de 1 016,20 $ (facture, pièce P-3).
[8] Jamais monsieur Rocray ne tente d’aviser Volkswagen ou le concessionnaire où il a acheté son véhicule avant de procéder aux réparations. Il considère que la réparation était urgente même si le garagiste ne souligne ni danger ni urgence.
[9] Quelques mois plus tard, le 11 octobre 2019, c’est un ressort arrière qui est changé au coût de 305,83 $ (facture, pièce P-3).
[10] Cette fois, la réparation est précédée d’une mise en demeure datée du 16 septembre 2019 (pièce P-11) où monsieur Rocray demande à Volkswagen de changer le ressort, ce que la défenderesse refuse alors de faire. La défenderesse avait d’ailleurs mentionné à monsieur Rocray plus tôt la même année qu’elle n’entendait pas acquitter le montant du changement des ressorts avant ne considérant pas qu’il s’agisse d’un vice affectant le véhicule et soulignant l’absence de garantie.
[11] Outre les réparations ainsi faites, monsieur Rocray réclame des pertes de temps, des frais pour un avis technique de l’École polytechnique de Montréal et des frais de recherches, haussant la réclamation à 4 687,92 $.
[12] C’est dans ce contexte que le Tribunal doit décider du bien-fondé de la réclamation de monsieur Rocray.
ANALYSE
[13] D’entrée de jeu, le Tribunal désire souligner qu’il a pris en considération toutes les pièces qui ont été produites lors de l’audition ainsi que tous les témoignages qui ont été rendus, et ce, même s’il n’y sera pas nécessairement fait référence dans la décision.
[14] La partie qui fait valoir un droit doit démontrer par prépondérance de preuve le bien-fondé de ses prétentions, comme le prévoient les articles
«2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention. 2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.»
[15] Outre les dispositions du Code civil du Québec concernant les vices cachés (article
«37. Un bien qui fait l’objet d’un contrat doit être tel qu’il puisse servir à l’usage auquel il est normalement destiné. 38. Un bien qui fait l’objet d’un contrat doit être tel qu’il puisse servir à un usage normal pendant une durée raisonnable, eu égard à son prix, aux dispositions du contrat et aux conditions d’utilisation du bien. 53. Le consommateur qui a contracté avec un commerçant a le droit d’exercer directement contre le commerçant ou contre le fabricant un recours fondé sur un vice caché du bien qui a fait l’objet du contrat, sauf si le consommateur pouvait déceler ce vice par un examen ordinaire. Il en est ainsi pour le défaut d’indications nécessaires à la protection de l’utilisateur contre un risque ou un danger dont il ne pouvait lui-même se rendre compte. Ni le commerçant ni le fabricant ne peuvent alléguer le fait qu’ils ignoraient ce vice ou ce défaut. Le recours contre le fabricant peut être exercé par un consommateur acquéreur subséquent du bien. 1726. Le vendeur est tenu de garantir à l’acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l’usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l’acheteur ne l’aurait pas acheté, ou n’aurait pas donné si haut prix, s’il les avait connus. Il n’est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l’acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert.»
[16] Le recours à la Loi sur la protection du consommateur permet une protection dont la preuve est plus facile à établir pour le consommateur.
[17] La Cour d’appel du Québec, dans la décision Fortin c. Mazda Canada[1]https://www.canlii.org/fr/qc/qccq/doc/2017/2017qccq15829/2017qccq15829.html?searchUrlHash=AAAAAQASdGFpbGxvbiBjLiBIeXVuZGFpAAAAAAE&resultIndex=1 - _ftn2, explique le parallèle entre la garantie de qualité de la Loi sur la protection du consommateur et celle du Code civil du Québec : «[57] Ce pourvoi porte principalement sur la garantie légale de qualité (notamment celle de l’usage du bien) consacrée par les articles [58] Même si on peut valablement soutenir que la L.p.c. apporte une distinction entre la notion de déficit d’usage et celle de vice caché[11], notre Cour s’est résolument rangée derrière la thèse doctrinale voulant que les garanties consacrées aux articles [18] La Cour d’appel rappelle les quatre conditions qui doivent exister pour une réclamation basée sur un défaut caché selon la Loi sur la protection du consommateur, exigences qui s’approchent des exigences du Code civil du Québec[2]: «[60] Je crois ne pas trahir la jurisprudence en concluant qu’un défaut caché selon la L.p.c., lorsqu’il prend l’aspect d’un déficit d’usage, exige, à l’instar du C.c.Q., de satisfaire aux critères suivants : 1) avoir une cause occulte, 2) être suffisamment grave, 3) être inconnu de l’acheteur et finalement 4) être antérieur à la vente.» [19] Le Tribunal souligne cependant que le consommateur, afin de voir les paragraphes 37 et 38 LPC s’appliquer, n’exige de ce dernier que la preuve d’un déficit d’usage sérieux et l’ignorance de la condition au moment de la vente[3]. «[70] En définitive, je considère que les articles [20] Une fois la preuve de ces deux éléments établie, les présomptions de l’article «[74] Une fois que le consommateur s’est déchargé de son fardeau d’établir ces deux éléments (déficit d’usage et ignorance du défaut), l’article […] La L.p.c. impose d’abord aux commerçants et aux fabricants un éventail d’obligations contractuelles de source légale. Ces obligations se retrouvent principalement au titre I de la loi. La preuve de la violation de l’une de ces règles de fond permet donc, sans exigence additionnelle, au consommateur d’obtenir l’une des mesures de réparation contractuelles prévues à l’art.
[21] Contrairement à ce que Volkswagen prétend, le consommateur n’a pas à établir la cause précise du dommage. La Cour du Québec dans la cause de Poitras c. Ford du Canada Limitée.[5] rappelle que le consommateur n’a pas à faire la preuve d’une cause précise de la détérioration, ce fardeau de la preuve d’une mauvaise utilisation repose sur les épaules du fabricant. Preuve du déficit
[22] La preuve entendue par le Tribunal démontre que monsieur Rocray est une personne attentionnée qui s’est toujours bien occupée de son véhicule. Il l’utilise peu n’ayant parcouru que 21 000 km après 7 ans.
[23] Deux garagistes consultés par monsieur Rocray, se prononcent quant à la durabilité des ressorts de suspension qui ont été changés. Il s’agit d’un représentant de Robert Bernard et du Maître de l’auto. La conclusion que le Tribunal peut en tirer est que ces ressorts devraient être efficaces et en bon état pour une durée de 100 000 à 200 000 km (voir rapport, pièce P-7).
[24] Le demandeur a tenté de démontrer par expertise de la Polytechnique de Montréal quel est le problème de ces ressorts. Le Tribunal ne peut cependant utiliser ce document. En effet, le rapport produit sous la cote P-15 rappelle que ce document n’a été fait que pour des objectifs pédagogiques :
«…Thus, it is essential to take this report just as educational material without any legal value and for any legal values, all analyses performed here should be realized.»
[25] Qu’à cela ne tienne, la position des deux garagistes ayant vu le véhicule et ayant donné leurs opinions est claire, le bris survenu aux ressorts de suspension est anormal et ne rencontre pas les critères de durabilité prévus à l’article
Absence de mise en demeure
[26] Même si en général le créancier de l’obligation doit permettre à son débiteur d’exécuter ses obligations, ou au moins de prendre connaissance du bris, ce constat n’est pas absolu. Il peut y avoir des exceptions, comme le souligne le professeur Karim dans son ouvrage des obligations[6] :
«1522. La dénonciation du vice doit normalement être faite par écrit, avant d’entamer sa réparation, sous peine de rejet du recours de l’acheteur. Néanmoins, un courant jurisprudentiel assouplit la règle lorsque le rejet du recours pourrait engendrer un résultat inéquitable pour l’acheteur. On veut ainsi éviter qu’un vendeur n’invoque l’absence d’une dénonciation par écrit dans l’unique but de priver un acheteur de bonne foi de son recours, alors que lui-même ne subit qu’un préjudice théorique. L’assouplissement est justifié, ou non, à la lumière des circonstances et des conséquences éventuelles, pour les deux parties, de l’absence de dénonciation écrite.»
[27] Ici, la position de Volkswagen est claire, ils ne sont pas responsables. D’ailleurs, le deuxième bris a été précédé d’une mise-en-demeure et Volkswagen a quand même refusé d’aller inspecter le véhicule ou de le réparer.
[28] L’absence de mise-en-demeure avant de procéder aux premières réparations sur les ressorts avant du véhicule, n’a aucun effet et ne cause aucun préjudice à Volkswagen sa position et son refus étant clairs.
À quel montant a droit monsieur Rocray ?
[29] Le Tribunal doit donc établir quel est le montant approprié à accorder au demandeur. Si la réclamation des réparations soit 1 016,20 $ plus 305,86 $ pour un total de 1 322,03 $ ne cause que peu de problèmes, les autres réclamations demandent une évaluation plus attentive.
[30] L’article
[31] Cependant, le simple fait d’avoir investi tant de temps ne justifie pas automatiquement le Tribunal à accorder des dommages basés sur cette perte de temps.
[32] Premièrement, le temps qui a été investi concernant les démarches auprès de l’École Polytechnique de Montréal n’a résulté en rien puisque le Tribunal ne peut utiliser ce document.
[33] De plus, le temps consacré à cette cause est sans commune mesure avec la complexité de l’affaire. En effet, le Tribunal a reçu l’avis de deux mécaniciens concernant la longévité des ressorts et peut se satisfaire de cette preuve.
[34] Comme le Tribunal l’a d’ailleurs mentionné précédemment, il n’appartient pas au consommateur de trouver la cause ni le remède au problème constaté. Ainsi, lorsque les recherches ont été faites par monsieur Rocray il tentait de démontrer la faiblesse de conception d’une pièce du véhicule allant même jusqu’à trouver la façon de le réparer alors qu’il n’avait pas cette obligation.
[35] Les dommages-intérêts même s’ils sont prévus à la Loi sur la protection du consommateur ne sont pas d’octroi automatique. Le consommateur doit expliquer en quoi il a droit à ces sommes.
[36] Même si monsieur Rocray n’a pu s’entendre avec Volkswagen, qui ne partageait pas ses prétentions, rien dans cette cause ne permettrait d’octroyer des dommages et intérêts ou des dommages punitifs au demandeur contre Volkswagen. Cette affaire n’avait rien d’anormale et le traitement qui en a résulté ne justifie pas l’octroi de dommages-intérêts.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[37] ACCUEILLE partiellement la réclamation de la partie demanderesse, Jacques Rocray;
[38] CONDAMNE la partie défenderesse, Volkswagen Canada inc. à payer à la partie demanderesse, monsieur Jacques Rocray la somme de 1 322,03 $ avec l’intérêt au taux légal plus l’indemnité additionnelle prévue à l’article
[39] AVEC frais de justice.
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| __________________________________ LUC POIRIER, J.C.Q. |
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Date d’audition : 2 février 2022
[1] Fortin c. Mazda Canada,
[2] Précité, par. 60.
[3] Précité, par. 70.
[4] Précité, par. 74.
[5] Poitras c. Ford du Canada Ltée.,
[6] Vincent KARIM, Les Obligations, Vol. II, p. 565, par. 1522.
AVIS :
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