Ratté c. Rénovation Marmax inc.

2021 QCCQ 5147

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

LOCALITÉ DE

QUÉBEC

« Chambre civile »

N° :

200-32-703521-194

 

DATE :

31 mai 2021

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

CHRISTIAN BRUNELLE, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

GAÉTAN RATTÉ

[...]

Lévis (Québec)  [...]

Demandeur

c.

RÉNOVATION MARMAX INC.

4715, rue Reine-Malouin

Lévis (Québec)  G6W 0E4

Défenderesse

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           Propriétaire de sa maison depuis 1991, le demandeur, Gaétan Ratté, retient les services de la défenderesse, Rénovation Marmax inc. (« Marmax »), en mai 2012, afin de remplacer le revêtement de la toiture.[1]

[2]           En septembre 2018, de l’eau s’infiltre dans la maison. Monsieur Ratté soutient que cela est attribuable à des malfaçons qui affectent les travaux effectués par Marmax. Il réclame à l’entreprise une somme de 5 818,80 $ pour couvrir le coût des travaux correctifs.

 

I.              QUESTIONS EN LITIGE

[3]           Le Tribunal est appelé à trancher les questions suivantes :

A)   Monsieur Ratté a-t-il satisfait l’obligation de mettre en demeure Marmax avant d’effectuer les travaux correctifs?

B)   Le cas échéant, les travaux effectués par Marmax, en 2012, présentaient-ils des défauts, eu égard aux règles de l’art?

C)   Dans l’affirmative, quelle est la réparation à laquelle monsieur Ratté a droit?

II.            CONTEXTE

[4]           Le 11 septembre 2018, monsieur Ratté constate que de l’eau s’infiltre le long d’un mur de l’entrée avant de sa maison, des cloques d’eau se formant sous la peinture.[2]

[5]           Sans tarder, il contacte La Personnelle, son assureur-habitation, qui dépêche sur les lieux le groupe Frank Langevin, une entreprise spécialisée dans le nettoyage après sinistre, qui identifie les zones affectées et prend la mesure des taux d’humidité.

[6]           Par la suite, l’assureur retient les services de la société Construction et Rénovation M Dubeau inc. afin d’effectuer une intervention temporaire destinée à limiter les risques d’aggravation de la situation.

[7]   Le 14 septembre 2018, monsieur Ratté écrit à monsieur Maxime Buteau, administrateur de Marmax :

Suite à mon appel téléphonique aujourd’hui concernant mon problème de toiture. Nous avons de l’eau qui coule au-dessus de notre porte d’entrer. Nous avons fait faire la toiture en 2012 par vous. Nous avons communiqué avec nos assurance et il y a un inspecteur qui est venu vérifier et nos assurances a demandé de communiquer auprès de vous.

[…].[3]

(Reproduction fidèle à l’original)

[8]           Le 17 septembre 2018, monsieur Buteau se présente chez monsieur Ratté et passe en revue le toit et l’entre-toit. Il considère que l’eau a pu s’infiltrer des têtes de clous.

[9]           Le 19 septembre 2018, Marmax estime le coût des travaux correctifs à réaliser à la somme de « 550,00$ plus taxes ».[4]

[10]        Ce même jour, monsieur Ratté précise à monsieur Buteau qu’un entrepreneur va procéder, à la demande de l’assureur, à « l’ouverture du mur et du plafond ».[5]

[11]        Le 26 septembre 2018, monsieur Mario Savage de Toitures DSM constate « les points de mal conformité suivant » (sic) :

-       Aucun bardeau de départ sur la toiture

-       Des bardeaux se chevauchent à plusieurs endroits sur le toit.

-       Une ouverture aux joints du solin de faite et des bardeaux de faite.

-       Ouverture de la noue murale au-dessus de l’entrée.

-       Cloues apparent au bardeau.[6] 

(Reproduction fidèle à l’original)

[12]        Le 27 septembre 2018, l’assureur informe monsieur Ratté que Toitures DSM sera présente chez lui, tôt le lendemain matin, pour appliquer des membranes imperméables temporaires sur le toit.

[13]        À 19h06, monsieur Ratté en avise Marmax, par courriel :

Suite à l’ouverture de la section du mur et du plafond ou l’eau semble s’être infiltrer et aux pluies des derniers jours qui fait que l’eau s’infiltre par la toiture, la compagnie d’assurance a mandater un couvreur pour venir faire une réparation temporaire pour limiter les dégâts. Je vous informe, si vous désirez être présent, que celui-ci vient à l’instant de me confirmer qu’il passera demain le 28 septembre à 7h00.[7]

(Reproduction fidèle à l’original)

[14]        Le 28 septembre 2018, aucun représentant de Marmax ne se présentera chez monsieur Ratté.

[15]        Ce jour-là, un « Avis de dénonciation » émanant de l’assureur est expédié à Marmax par messagerie prioritaire :

Notre enquête révèle que les travaux que vous avez effectués à l’adresse citée en rubrique seraient à l’origine du sinistre pour lequel notre client nous a présenté une réclamation.

Vu ce qui précède, nous vous accordons un délai de 10 jours suivant réception de la présente afin de venir constater l’existence du problème et les dommages en découlant. […]

À défaut de vous conformer à la présente dans le délai imparti, nous procéderons aux réparations nécessaires, et ce, sans autre avis ni délai.

[…].[8]

[16]        Un « Avis d’engagement de responsabilité »[9] s’ajoute à la démarche de l’assureur.

[17]        Le 2 octobre 2018, monsieur Ratté met à son tour Marmax « en demeure de bien vouloir venir constater les points de mal conformité dans un délai de 10 jours et d’effectuer les travaux de réparation ».[10]

[18]        Cette mise en demeure n’est récupérée par Marmax que le 23 octobre 2018.[11]

[19]        C’est ce même jour que Toitures DSM effectue des travaux correctifs, lesquels durent toute la journée et consistent à refaire entièrement le revêtement de toiture (incluant membrane, bardeaux de départ, noues galvanisées, sous-couche, solin, ventilateur et bardeaux), le tout pour la somme de 5 518,80 $.[12]

[20]        Le 21 décembre 2018, Construction et Rénovation M Dubeau inc. émet une facture de 300 $ à monsieur Ratté pour couvrir le coût des travaux non assumés par l’assureur.[13]

III.           ANALYSE

[21]        En 2012, les parties ont conclu un contrat de service au sens de l’article 2098 du Code civil du Québec[14] (« C.c.Q. ») :

2098. Le contrat d’entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l’entrepreneur ou le prestataire de services, s’engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s’oblige à lui payer.

[22]        Marmax était alors tenue à une « obligation de résultat », soit d’installer un revêtement de toiture conforme aux règles de l’art et qui soit étanche aux intempéries.[15]

A)           La mise en demeure

[23]        Le premier alinéa de l’article 1590 C.c.Q. prévoit la possibilité, pour le client, d’exiger que l’entrepreneur exécute « correctement » son obligation.

[24]        À défaut, le client peut « [f]orcer l’exécution en nature de l’obligation » et faire exécuter l’obligation par un tiers, aux frais de l’entrepreneur.[16] Toutefois, pour pouvoir agir en ce sens, le client doit d’abord constituer l’entrepreneur « en demeure »[17], par écrit[18], et lui accorder « un délai d’exécution suffisant, eu égard à la nature de l’obligation et aux circonstances ».[19]

[25]        Monsieur Buteau de Marmax soutient qu’il a bénéficié d’un délai de moins de 12 heures avant que Toitures DSM n’effectue les travaux correctifs et procède au remplacement intégral de la toiture.

[26]        Par sa contestation, Marmax plaide qu’« un délai de 48H ouvrable aurait été minimalement raisonnable », de telle sorte qu’il n’y a eu « aucune façon », pour elle, « de déterminer si les réparations sont réelles et fondées ».

[27]        De l’avis du Tribunal, le reproche ainsi formulé contre monsieur Ratté est sans fondement.

[28]        Le sinistre se manifeste le 11 septembre 2018.

[29]        Dès le 14 septembre 2018, Marmax en est informée.

[30]        Le 17 septembre 2018, monsieur Buteau se déplace sur les lieux. De son propre aveu, il a alors le loisir de faire une inspection de la zone où l’eau s’est infiltrée.

[31]        Le 19 septembre 2018, Marmax propose de remédier à la situation au moyen de travaux correctifs dont elle apprécie la valeur à 550 $ (taxes en sus).

[32]        Toutefois, le 26 septembre 2018, l’expertise menée par Toitures DSM, à la demande de l’assureur, révèle un certain nombre de défauts dont l’ampleur semble avoir été sous-estimée sinon minimisée par Marmax.

[33]        Dès le 28 septembre 2018, l’assureur dénonce, par écrit, la situation à Marmax et l’avise que sa responsabilité pourrait être engagée.

[34]        Puis, le 2 octobre 2018, monsieur Ratté met Marmax en demeure.

[35]        Le 3 octobre 2018, la Société canadienne des Postes (SCP) émet un avis destiné à Marmax l’informant qu’une lettre à son attention peut être récupérée au bureau de poste.

[36]        Le 9 octobre 2018, un deuxième avis précise à Marmax qu’elle doit récupérer cette même lettre « dans les 10 jours ».

[37]        Or, ce n’est que le 23 octobre 2018 que Marmax cueille la lettre qui lui est destinée.

[38]        À l’audience, monsieur Buteau mentionne que l’entreprise reçoit « des tonnes de lettres » et que le service de la comptabilité est effectué en sous-traitance : « Y’a comme eu un délai », dit-il.

[39]        Marmax a su, dès le 14 septembre 2018, la situation délicate dans laquelle se trouvait monsieur Ratté. Après avoir produit son estimation du coût des travaux correctifs, 5 jours plus tard, elle ne fait plus la moindre démarche pour s’enquérir de la suite des choses alors que sa responsabilité est pourtant susceptible d’être engagée, d’une part, et que la période est par ailleurs propice aux pluies abondantes, d’autre part.

[40]        De plus, il s’écoule pas moins de 20 jours entre le début du traitement, par la SCP, de la mise en demeure de monsieur Ratté, et sa récupération par Marmax.

[41]        De l’avis du Tribunal, Marmax a tout simplement manqué de diligence dans la gestion de ses affaires.

[42]        Vu les circonstances, il faut considérer qu’elle était, en fait, « en demeure de plein droit ».[20] Elle ne peut reprocher maintenant à son client de n’avoir pas eu l’occasion de procéder elle-même aux travaux correctifs.

B)           Le non-respect des règles de l’art

[43]        L’inspection de l’entre-toit a révélé que le contreplaqué qui sert de support au revêtement de toiture était noirci[21] et que des pièces de bois de la structure présentaient des cernes[22], ce qui permet d’affirmer que l’eau s’y infiltrait depuis un moment déjà.

[44]        Par ailleurs, l’expertise menée par Toitures DSM permet d’inférer que les règles de l’art n’ont pas été rigoureusement suivies par Marmax en 2012.

[45]        Les nombreuses photographies mises en preuve montrent que le pare-vapeur de polythène ne joue pas son rôle[23], que des bardeaux se chevauchent, que des têtes de clous sont apparentes et non scellées et que certaines jonctions entre les bardeaux et l’aluminium font jour[24], ce qui paraît incompatible avec les règles de l’art.[25]

[46]        Ceci dit, le contrat par lequel un entrepreneur s’engage à refaire le revêtement de toiture d’un bâtiment résidentiel demeure assujetti à la Loi sur la protection du consommateur[26] (« L.p.c. ») parce que ces travaux sont de la nature d’une rénovation courante[27] et non d’une « construction » d’envergure.[28]

[47]        Ainsi, en tant que consommateur, monsieur Ratté était en droit d’obtenir de Marmax un revêtement de toiture qui puisse « servir à un usage normal pendant une durée raisonnable ».[29]

[48]        Or, il n’est pas normal que l’eau s’infiltre par une toiture à peine quelques années après qu’un revêtement neuf ait été mis en place.

[49]        Force est de constater que Marmax ne s’est donc pas acquittée de son obligation d’offrir au consommateur un résultat satisfaisant pendant une durée raisonnable.

C)           La réparation

[50]        Monsieur Ratté réclame le remboursement de ce qu’il lui en a coûté pour faire refaire l’entièreté de la toiture par Toitures DSM.

[51]        Or, malgré les défauts dont était affectée la portion du toit qui surplombe l’entrée principale, il n’y a pas une preuve prépondérante voulant que le remplacement intégral du revêtement était absolument nécessaire dans les circonstances.

[52]        De plus, monsieur Ratté a tout de même obtenu un certain résultat, à la suite des travaux effectués par Marmax en 2012, puisque ce n’est qu’en 2018 que les dommages résultant de l’infiltration de l’eau sous sa toiture se sont véritablement manifestés.

[53]        Au moment des travaux de Marmax, monsieur Ratté était propriétaire de sa maison depuis 1991. Il est raisonnable de penser qu’après 21 ans, sa toiture avait alors atteint la fin de sa vie utile.

[54]        En tenant pour acquis que le revêtement installé par Marmax aurait normalement dû résister pendant une durée comparable, il faut conclure que monsieur Ratté a eu l’usage d’une toiture satisfaisante - c’est-à-dire qui résiste aux assauts du temps et des intempéries - pour une période équivalant approximativement au tiers (1/3) de la durée à laquelle il était en droit de s’attendre.

[55]        Sa réclamation devrait donc être réduite dans une même proportion.

[56]        De même, par leur étendue, les travaux correctifs de Toitures DSM ont apporté une certaine plus-value au bâtiment qu’il faut également considérer.

[57]        Ainsi, à titre de réparation, le Tribunal entend donc réduire de 50 % les obligations de monsieur Ratté.[30] Il a donc droit à une somme de 2 759,40 $.

[58]        Enfin, la somme qu’il a versée à Construction et Rénovation M Dubeau inc., en raison de la franchise d’assurance de 300 $ qu’il a dû assumer, doit lui être remboursée.[31]

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[59]        ACCUEILLE en partie la demande;

[60]        CONDAMNE la défenderesse, Rénovation Marmax inc., à payer au demandeur, Gaétan Ratté, la somme de 3 059,40 $, avec intérêts calculés au taux légal annuel de 5 %, majoré de l’indemnité additionnelle visée par l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter de la demeure, soit le 23 octobre 2018, ainsi que les frais de justice de 190 $.

 

 

 

__________________________________

CHRISTIAN BRUNELLE, J.C.Q.

 

 

Date d’audience :

8 février 2021

 



[1]     Pièces P-74 à P-76.

[2]     Pièces P-1 à P-3.

[3]     Pièce P-77.

[4]     Pièces P-81 et D-3.

[5]     Pièce P-82.

[6]     Pièce P-50. Voir, à ce propos, les photographies des Pièces P-51 à P-66.

[7]     Pièce P-83.

[8]     Pièce P-70.

[9]     Pièce P-71.

[10]    Pièce P-72.

[11]    Pièce P-90.

[12]    Pièce P-97.

[13]    Pièce P-98.

[14]    L.Q. 1991, c. 64.

[15]    Art. 2100, al. 2, C.c.Q.;Toitures Vick inc. c. Gestions immobilières Toulon inc., 2004 CanLII 72937 (QC CA), par. 1; A.B. c. Toiture D. Arsenault inc., 2015 QCCS 6551, J.E. 2016-91 (C.S.), par. 127; 147780 Canada inc. c. Entrepreneurs généraux Lambda inc., 2017 QCCS 5663, 2018EXP-162 (C.S.), par. 71 et 72; Lépine c. Innovassur, 2019 QCCQ 5473, par. 19; Majeau c. SOS Toiture et revêtement inc., 2019 QCCQ 9530, par. 37. 

[16]    Art. 1602, al. 1, C.c.Q.

[17]    Art. 1602, al. 2, C.c.Q.

[18]    Art. 1595, al. 1, C.c.Q.

[19]    Art. 1595, al. 2, C.c.Q.

[20]    Art. 1597 C.c.Q.

[21]    Pièce P-5.

[22]    Pièces P-6, P-17, P-18, P-19, P-24, P-29, P-30, P-34, P-38, P-39 et P-45.

[23]    Pièce P-6.

[24]    Pièces P-51 à P-66.

[25]    Art. 2100, al. 1, C.c.Q.

[26]    RLRQ c P-40.1. Voir notamment : Champagne c. Toitures Couture et Associés inc., 2002 CanLII 41866 (QC CS), J.E. 2002-1959 (C.S.), par. 34; Gestion Couvertures RD inc. c. Gauthier, 2018 QCCQ 2014, par. 11; Luc THIBAUDEAU, Guide pratique de la société de consommation (Tome 2 : Les garanties), Montréal, Éditions Yvon Blais, 2017, p. 299 (par. 611).

[27]    Couverture Beauport inc. c. Weller, 2010 QCCQ 5462, J.E. 2010-1335 (C.Q.), par. 25 et suivants; Cormier c. Larose, 2018 QCCQ 1870, par. 18; Bucci c. René Perron ltée, 2019 QCCQ 7932, par. 16.

[28]    2440-0558 Québec inc. c. Barss, 2007 QCCA 683, J.E. 2007-1057 (C.A.), par. 3.

[29]    Art. 37 et 38 L.p.c.

[30]    Art. 272 c) L.p.c.

[31]    Voir, par analogie, 9136-7094 Québec inc. (Le Sieur de Laviolette) c. Confort Marc Dufresne inc. (9121-5236 Québec inc. (Marc Dufresne Services)), 2009 QCCS 2648J.E. 2009-1279 (C.S.), par. 74.

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