Décision

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Singh c. Montréal Gateway Terminals Partnership (CP Ships Ltd./Navigation CP ltée)

2016 QCCS 4521

JP1827

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-17-031795-068

 

DATE :

LE 21 SEPTEMBRE 2016

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

ANDRÉ PRÉVOST, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

LAKHVINDER SINGH

et

HARVIRENDERPAL SINGH CLAIR

et

KASHMIR SINGH

Demandeurs

c.

MONTRÉAL GATEWAY TERMINALS PARTNERSHIP (anciennement CP SHIPS LTD./NAVIGATION CP LIMITÉE)

et

EMPIRE STEVEDORING CO. LTD

et

TERMONT TERMINALS INC.

Défenderesses

et

MONTRÉAL PORT AUTHORITY

et

SYNDICAT DES DÉBARDEURS

Mis-en-cause

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

 

TABLE DES MATIÈRES

 

 

Pages

 

Paragraphes

LE LITIGE ……………………………………………………………………

4

1 2

SOMMAIRE DU JUGEMENT ……………………………………………..

4

3 7

LES PARTIES ………………………………………………………………

5

8 14

LE CONTEXTE ……………………………………………………………..

6

15 28

POSITION DES PARTIES

i.          Les demandeurs ………..……………………………………..

ii.         Les défenderesses …………………………………..………..

8

8

9

 

29 33

34 40

QUESTIONS EN LITIGE …………………………………………………..

10

41 - 42

L’ENVIRONNEMENT DE TRAVAIL AUX TERMINAUX ………………

i.          Les terminaux et les équipements …………………………...

ii.         Le parcours des camionneurs ………………………………..

iii.        Les mesures de sécurité ……………………………………...

iv.       Les risques pour les camionneurs …………………………...

v.        La mesure d’accommodement ……………………………….

 

10

10

12

13

16

21

 

43 - 53

54 - 63

64 - 77

78 - 97

98 - 111

A.      Le cadre législatif applicable ……………………………………..

          i.        La compétence fédérale en matière de navigation et de transport maritime extraprovincial …………………………...

          ii.       La Charte canadienne ………………………………………...

iii.        La Loi canadienne sur les droits de la personne …………..

iv.        Le Code canadien du travail …………………………………

v.         Le Code criminel ………………………………………………

vi.        La Charte québécoise ………………………………………..

1.    Les articles 3, 10 et 16 de la Charte québécoise empiètent-ils sur le cœur d’une compétence fédérale? ………………………………………………..

2.    Les articles 3, 10 et 16 de la Charte québécoise ont-ils un effet suffisamment grave sur l’exercice de la compétence fédérale pour entraîner l’application de la doctrine de l’exclusivité des compétences?

3.    La doctrine de la prépondérance fédérale.....………..

 

23

 

23

25

26

27

30

30

 

 

32

 

 

 

33

35

 

112 - 115

 

116 - 126

127 - 132

133 - 138

139 - 149

150 - 152

153 - 163

 

 

164 - 171

 

 

 

172 - 181

182 - 197

 

 

 

 

Pages

Paragraphes

 

B.      La Politique est-elle discriminatoire? …………………………

i.        Les critères pour démontrer l’existence d’une discrimination …………………………………………………

ii.       Existe-t-il une discrimination fondée sur l’article 10 de la Charte québécoise et/ou de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne? ………………..

Ø La discrimination prima facie …………………………

Ø Les défenderesses ont-elles démontré que la politique est justifiée? ………………………..………..

1.    La Politique a-t-elle été adoptée dans un but rationnellement lié à la fonction exécutée par les camionneurs?.......................................................

2.    La Politique a-t-elle été adoptée de bonne foi pour assurer la santé et la sécurité des camionneurs? ………………………………………

3.    La Politique est-elle raisonnablement nécessaire au travail des camionneurs? ……………………...

iii.      La Politique constitue-t-elle une mesure économiquement prohibitive? …………………………………………………….

 

38

 

38

 

39

39

 

40

 

 

41

 

 

42

 

42

 

46

198

 

199 - 203

 

 

204

205 - 210

 

211 - 218

 

 

219 - 224

 

 

225 - 228

 

229 - 245

 

246 - 265

C.      Existe-t-il une atteinte à la liberté de religion des demandeurs? ……………………………………………………….

i.        Particularités de la religion sikhe ……………………………

ii.       Les demandeurs satisfont-ils au critère de la croyance sincère? ………………………………………………………..

iii.      Existe-t-il une atteinte plus que négligeable ou insignifiante au droit des demandeurs? …………………….

 

48

49

 

51

 

52

 

 

266 - 271

272 - 289

 

290 - 297

 

298 - 326

 

 

 

 

 


LE LITIGE

[1]          Les demandeurs, de religion sikhe, doivent-ils être exemptés de l’obligation de porter un casque protecteur lorsque, dans l’exercice de leur métier de chauffeur de camion, ils circulent hors de leur véhicule dans l’un ou l’autre des terminaux exploités par les défenderesses au port de Montréal?

[2]          Autrement dit, l’exercice de leur droit religieux de porter un turban fait-il échec à l’application d’une norme de sécurité sur les lieux de travail exigeant le port d’un casque protecteur?

SOMMAIRE DU JUGEMENT

[3]          La demande en jugement déclaratoire des trois demandeurs qui vise à être exemptés de l’application d’une politique obligeant le port du casque protecteur dans les terminaux du port de Montréal exploités par les entreprises défenderesses est rejetée.

[4]          Les demandeurs qui étaient, au moment de l’introduction de cette demande en 2006, chauffeurs de camion pour des entreprises privées effectuant le transport de conteneurs se plaignent de ne pouvoir accéder à ces terminaux puisque leurs croyances religieuses sincères leur interdit de porter un casque protecteur sur leur turban.

[5]          Des mois d’août 2005 à juillet 2008, la défenderesse Montreal Gateway Terminals (MGT) a mis en place une mesure d’accommodement pour ceux des camionneurs de religion sikhe qui refusaient de porter un casque protecteur. Elle a ainsi modifié les procédures de chargement des conteneurs sur leurs remorques pour s’assurer que ces derniers demeurent en tout temps à l’intérieur de la cabine de leur camion. Cette mesure a été rejetée par les demandeurs bien qu’acceptée par d’autres camionneurs de religion sikhe. MGT y a mis fin en raison des inconvénients importants qu’elle comportait.

[6]          Dans son jugement, appliquant les principes contenus à la Charte des droits et libertés de la personne[1] (la Charte québécoise) et à la Loi canadienne sur les droits de la personne[2], le Tribunal reconnaît que la politique obligeant le port du casque protecteur contrevient au droit des demandeurs à leur liberté de religion et crée une discrimination.

[7]          Cependant, l’application de cette politique à leur égard est maintenue puisqu’elle a été adoptée dans le but d’assurer la sécurité des personnes circulant ou travaillant aux terminaux exploités par les entreprises défenderesses et qu’elle est justifiée en regard du bien-être général et de la sécurité des citoyens du Québec vu les risques importants de blessures à la tête existant pour les camionneurs qui y circulent.

LES PARTIES

[8]          À l’époque où est initié le présent recours en 2006, les demandeurs exercent le métier de chauffeur de camion. Ils sont à l’emploi d’entreprises privées effectuant le transport de conteneurs par camion. Il leur arrive, plus ou moins fréquemment, de se rendre aux terminaux du port de Montréal pour y livrer ou y récupérer des conteneurs.

[9]          Lakhvinder Singh et Kashmir Singh sont baptisés de la religion sikhe. Bien que ne l’étant pas, Harvirenderpal Singh Clair est un fervent disciple de cette religion. Les trois portent le turban par conviction religieuse.

[10]       Au moment du procès, au mois de novembre 2015, les deux premiers exerçaient toujours le métier de chauffeur de camion dans la région de Montréal. Quant à Harvirenderpal Singh Clair, il habite en Ontario depuis le 1er mars 2007 où il y exerce le métier de chauffeur d’autobus.

[11]       Les défenderesses, dont les activités comportent principalement ou exclusivement la manutention de conteneurs, exploitent les terminaux suivants au port de Montréal :

a.      Empire Stevedoring Co. Ltd (Empire) occupe les quais B-1 à B-8 et 12-N faisant partie du terminal Bickerdyke;

b.      Termont Terminals Inc. (Termont) occupe les quais 66 à 70 du Terminal Maisonneuve; et

c.      Montreal Gateway Terminals (MGT) occupe les terminaux Cast et Racine, soit les quais 54 à 64 et 73 à 80.

[12]       Ces trois entreprises sont privées. Elles louent d’Administration Portuaire de Montréal (APM) les espaces et dépendances qu’elles occupent au port de Montréal.

[13]       APM est une agence fédérale autonome créée en vertu de la Loi maritime du Canada[3] qui gère les immeubles fédéraux qu’elle loue à des entreprises privées d’arrimage.

[14]       Enfin, Syndicat des débardeurs (Syndicat) regroupe les débardeurs et vérificateurs travaillant au port de Montréal. Ses membres travaillent pour l’Association des employeurs maritimes (AEM). Selon les besoins, ils exercent leurs activités tantôt dans l’un ou dans l’autre des terminaux. Syndicat n’a pas comparu et n’est aucunement intervenu au présent litige.

LE CONTEXTE

[15]       D’entrée de jeu, précisons que quelques jours avant le début du procès, les parties ont produit un document de 76 paragraphes intitulé « Admissions »[4].

[16]       Ce document situe bien le contexte ayant présidé à l’adoption d’une politique obligeant, notamment, le port du casque protecteur aux terminaux du port de Montréal à compter du 4 juillet 2005[5] (la Politique). On y lit ce qui suit :

4.      L’obligation du port du casque de sécurité dans l’industrie du débardage existe depuis plusieurs années sur les Terminaux Défendeurs;

5.      En 1988 et en 1989, l’Association des employeurs maritimes (l’« AEM »), une association d’employeurs regroupant les opérateurs de terminaux œuvrant au port de Montréal, dont les Terminaux Défendeurs, s’était fait signifier par les agents de santé sécurité de Ressources humaines et développement social Canada trois (3) promesses de conformité volontaire, conformément aux dispositions du Code canadien du travail exigeant le port obligatoire du casque de sécurité et des chaussures de sécurité (référence à la pièce D-3). En raison de vives contestations de la part des débardeurs et vérificateurs sur l’implantation de ces promesses de conformité volontaire, aucune politique à cet effet n’a été mise en place par l’AEM à cette époque;

6.      Par la suite, à la suite de l’adoption du projet de loi C-21 par le Gouvernement du Canada en 2004, lequel apportait des modifications importantes au Code criminel en matière de protection de la santé et de la sécurité au travail et imposait de lourdes responsabilités aux employeurs ainsi qu’à leurs employés, dirigeants, officiers et administrateurs, mettant ainsi l’accent sur le rôle que joue la prévention, les Terminaux Défendeurs ont entrepris une révision de leurs normes, pratiques et procédures de travail afin d’améliorer la protection de la santé et assurer la sécurité et l’intégrité physique des travailleurs et de toute autre personne circulant sur leurs terminaux;

7.      Le ou vers le mois de juillet 2005, les Terminaux Défendeurs ont adopté une politique écrite requérant notamment des camionneurs de porter un casque approuvé selon les normes de sécurité lorsqu’ils circulent sur les Terminaux Défendeurs à l’extérieur de leur camion (référence à la pièce D-5);

8.      Avant cette date, les camionneurs circulant sur les lieux des Terminaux Défendeurs, y compris les Demandeurs, n’étaient pas requis de porter le casque approuvé selon les normes de sécurité lorsqu’ils circulaient sur les Terminaux Défendeurs à l’extérieur de leurs camions.

[17]       Après une brève période transitoire de sensibilisation aux exigences de la nouvelle Politique, certains « camionneurs de ville » (ceux qui, comme les demandeurs, se rendent aux terminaux pour y livrer ou y récupérer des conteneurs) qui ne portent pas le casque protecteur se voient interdire l’accès aux terminaux. Il s’agit, pour l’essentiel, de camionneurs de religion sikhe portant le turban et qui refusent, pour des motifs de croyance religieuse, de le porter.

[18]       Des représentants de la communauté sikhe prennent contact avec Me Julius Grey. Une réunion est organisée avec des représentants de MGT pour discuter de la situation particulière des camionneurs sikhs portant le turban.

[19]       Les camionneurs sikhs demandent à être exemptés, pour des motifs religieux, de porter le casque protecteur.

[20]       Du côté de MGT, on est préoccupé des risques d’accident à la tête, en particulier lorsque les camionneurs doivent descendre de leur véhicule pour, d’une part, identifier au milieu des piles de conteneurs celui qu’ils viennent récupérer et, d’autre part, lorsqu’ils guident par des signes l’opérateur de la grue portique[6] qui dépose le conteneur sur la remorque du camion.

[21]       Bien qu’empreinte de respect et de cordialité, aucune décision n’est prise à cette réunion, les participants se limitant à échanger leur point de vue respectif.

[22]       Quelques jours plus tard, les représentants de la communauté sikhe accompagnés de Me Grey rencontrent les représentants du Syndicat. Ces derniers les informent qu’une étude est en cours mais ils leur signalent que les débardeurs et les vérificateurs n’accepteront pas la création d’une catégorie de travailleurs qui serait exemptée du port du casque protecteur.

[23]       Dès le mois d’août 2005, MGT met en place une mesure d’accommodement qui, dans les faits, sera appliquée jusqu’au mois de juillet 2008, pour les camionneurs sikhs portant le turban qui refusent le port du casque[7].

[24]       Cette mesure prévoit que le camionneur demeure continuellement à l’intérieur de son véhicule, de l’entrée dans le terminal jusqu’à sa sortie. Arrivé à l’aire de chargement, il communique par téléphone cellulaire avec le bureau du surintendant qui se charge d’y diriger un vérificateur qui procède à l’identification du conteneur que le camion vient récupérer. Guidé par le vérificateur, l’opérateur de la grue portique dégage alors le conteneur en question et le pose sur le sol à proximité du camion. Ensuite, un chariot élévateur vient charger le conteneur sur la remorque du camion.

[25]       Comme la disponibilité immédiate d’un vérificateur et d’un chariot élévateur ne peut être garantie en tout temps en raison du niveau fluctuant d’activité au terminal, la durée d’un chargement qui prend habituellement de 10 à 20 minutes peut, dans un tel cas, se prolonger sur une période de 30 minutes à deux heures.

[26]       Évaluant qu’une telle attente n’est pas commercialement viable, certains camionneurs sikhs qui refusent de porter le casque protecteur, dont les demandeurs, cessent d’effectuer du transport aux terminaux du port de Montréal.

[27]       Le 3 juillet 2006, les demandeurs déposent une requête introductive d’instance en jugement déclaratoire dont la principale conclusion est la suivante :

DECLARE that Plaintiffs have a right guaranteed by the Canadian Charter of Rights and Freedoms and the Quebec Charter of Rights and Freedoms to only wear a turban instead of a hard hat in the Port of Montreal and must be treated in the same manner as non-Sikh drivers wearing a hard hat when completing their work tasks.[8]

[28]       La mise en état du dossier s’est prolongée sur une période de six ans, l’attestation de dossier complet n’ayant été émise que le 7 juin 2012. L’audition, initialement fixée pour une durée de 17 jours, s’est limitée à sept jours, du 16 au 24 novembre 2015.

POSITION DES PARTIES

i.          Les demandeurs

[29]       Les demandeurs affirment être victimes de discrimination fondée sur la religion.

[30]       D’entrée de jeu, ils remettent en question la justification de la Politique obligeant le port du casque protecteur. Selon eux, aucune étude ne démontre un risque de blessure à la tête pour les « camionneurs de ville » circulant au port de Montréal.

[31]       En tout état de cause, ils reprochent aux défenderesses de ne pas avoir proposé et adopté des mesures d’accommodement réalistes assurant le respect de leur liberté de religion.

[32]       Ils invoquent leur droit d’obtenir une exemption au port du casque protecteur au port de Montréal en se fondant sur les articles 2 a) et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés[9] (la Charte canadienne) et sur les articles 3 et 10 de la Charte québécoise.

[33]       Enfin, les demandeurs soutiennent que l’adoption de la Politique crée, à leur égard, une mesure économiquement prohibitive et humiliante. Ils invoquent leur droit à un accès égal au travail nonobstant leurs croyances religieuses, droit que garantit l’article 16 de la Charte québécoise.

ii.         Les défenderesses

[34]       En raison de la nature de leurs activités, les défenderesses affirment être des entreprises de compétence fédérale au sens de l’article 91 (10) de la Loi constitutionnelle de 1867[10].

[35]       Elles soutiennent ne pas être assujetties à la Charte canadienne puisque la relation qu’elles entretiennent avec les demandeurs est de nature purement privée.

[36]       Il en serait de même de l’application de la Charte québécoise en raison de la théorie de l’exclusivité des compétences et, ultimement, parce que son application entraverait l’exercice d’une activité relevant de la compétence fédérale.

[37]       Les défenderesses soulignent que les obligations qui leur incombent, tant en vertu du Code canadien du travail[11] (C.c.t.) que du Code criminel[12](C.cr.), concernent tant la sécurité des travailleurs à leur emploi que celle des autres personnes autorisées à circuler dans les terminaux. Ainsi, elles défendent avec vigueur la justification de la Politique adoptée en 2005 rendant obligatoire, notamment, le port du casque protecteur pour les camionneurs de ville lorsqu’ils sont à l’extérieur de leur camion.

[38]       Elles contestent l’argument de discrimination avancé par les demandeurs. Dans l’éventualité où le Tribunal appliquait l’une ou l’autre des Chartes, les défenderesses font valoir l’absence de toute preuve prima facie de distinction illicite à l’égard des camionneurs de religion sikhe. Elles affirment, en outre, que :

a.      la Politique rendant obligatoire le port du casque protecteur poursuit un but rationnellement lié à la fonction exécutée par les camionneurs;

b.      elle a été adoptée de bonne foi pour assurer la sécurité de ces derniers; et

c.      elle est raisonnablement nécessaire au travail visé.

[39]       En tout état de cause, elles soutiennent que la Politique ne porte pas atteinte à la liberté de religion des demandeurs. Subsidiairement, dans l’éventualité où tel serait le cas, elles plaident que celle-ci est imposée pour réaliser un objectif légitime et important, que l’obligation est proportionnelle à cet objectif et que l’atteinte au droit protégé par les Chartes est minimale.

[40]       Les défenderesses demandent donc le rejet du recours.

QUESTIONS EN LITIGE

[41]       Le litige dans le présent dossier soulève les questions suivantes :

a.      Quel est le cadre législatif applicable?

b.      La Politique est-elle discriminatoire?

c.      Existe-t-il une atteinte à la liberté de religion des demandeurs?

[42]       Avant d’aborder l’analyse de ces questions, il apparaît essentiel de bien cerner l’environnement de travail aux terminaux exploités par les défenderesses, en particulier en rapport avec le travail qu’exécutent les camionneurs de ville.

L’ENVIRONNEMENT DE TRAVAIL AUX TERMINAUX

            i.        Les terminaux et les équipements

[43]       Les terminaux se situent dans deux parties distinctes du port de Montréal[13].

[44]       Empire occupe le terminal Bickerdyke qui se situe à l’extrême ouest du port[14], en face de la Cité-du-Havre. Celui-ci s’étend sur une superficie d’environ 3 millions de pieds carrés et comprend les quais B-1 à B-8 ainsi que 12-N.

[45]       Plus à l’est, MGT exploite deux terminaux situés de part et d’autre de ceux de Termont, soit :

a.    le terminal Racine qui couvre les sections 54 à 64 du port; et

b.    le terminal Cast qui comprend les sections 73 à 80.

[46]       Enfin, les terminaux exploités par Termont sont :

a.      le terminal Maisonneuve qui couvre les sections 66 à 70 du port; et

b.      le terminal Viau qui comprend les sections 50 à 52[15].

[47]       Tous ces terminaux se spécialisent dans la manutention de conteneurs, à l’exception de celui d’Empire, qui comprend aussi d’autres opérations. Il y transite, annuellement, plus d’un million de conteneurs.

[48]       Les terminaux de MGT sont les plus importants. En moyenne, il y circule quotidiennement plus de 2 000 personnes, ce nombre étant composé à 60 % par des camionneurs de ville (1 200 camions), à 30 % par des débardeurs et vérificateurs[16] et à 10 % par des membres d’équipage, employés d’entretien et sous-traitants. Ce nombre est de 1 000 pour les terminaux de Termont (dont environ 600 camions par jour) et de 20 à 100 pour Empire[17].

[49]       Les débardeurs et vérificateurs affectés au transbordement et à la manutention des conteneurs sont employés par l’AEM. Selon les besoins, ils exercent leurs activités dans l’un ou l’autre des terminaux.

[50]       Tel que déjà indiqué, les camionneurs de ville travaillent pour des entreprises de transport indépendantes.

[51]       De nombreux équipements de grande taille sont utilisés pour le transbordement et la manutention des conteneurs dans chacun des terminaux. Il s’agit, principalement :

a.      de grues servant à charger et à décharger les navires;

b.      de grues portiques servant à déplacer les conteneurs, à les empiler (jusqu’à cinq par pile) et à les charger sur des camions ou des wagons[18];

c.      de charriots élévateurs servant à déplacer les conteneurs et à les charger (ou décharger) sur des camions ou des wagons[19]; et

d.      de camions transportant des conteneurs d’un endroit à l’autre à l’intérieur des terminaux.

[52]       S’ajoutent les trains et les camions de ville qui assurent le transport des conteneurs en provenance et à destination des terminaux, les camionnettes utilisées principalement par les vérificateurs pour se déplacer d’un point à un autre à l’intérieur des terminaux ainsi que les autres véhicules autorisés à pénétrer dans les terminaux (entretien, sous-traitants, livraison).

[53]       En somme, comme le qualifie Marie-Andrée Lorange, expert retenue par les défenderesses, l’environnement dans les terminaux s’apparente à « une fourmilière dans un monde de titans ».

            ii.       Le parcours des camionneurs

[54]       Le parcours emprunté par les camionneurs de ville, comme l’étaient les demandeurs au moment de l’institution du présent recours, mérite qu’on s’y attarde afin de mieux en saisir les risques.

[55]       Le type de parcours dans chacun des terminaux en cause se ressemble. Celui décrit ci-dessous s’applique aux terminaux de MGT et les distinctions nécessaires avec ceux des autres seront précisées lorsque jugé nécessaire[20].

[56]       Un camionneur de ville accède au port de Montréal à partir de la rue Notre-Dame[21].

[57]       À l’entrée du terminal, il gare son camion dans une aire d’attente[22]. Il en descend et se rend au bureau pour obtenir la documentation relative au conteneur qu’il vient livrer (mode export[23]) ou prendre (mode import). Il retourne ensuite à son camion[24].

[58]       Il dirige ensuite son camion à la baie d’entrée adjacente au bureau. Le camionneur descend à nouveau de son camion et se dirige vers l’arrière de sa remorque où le vérificateur lui remet un billet indiquant la localisation de l’endroit où le conteneur sera chargé ou déchargé. En mode export, l’identité du conteneur et la condition de celui-ci sont confirmées par le vérificateur en compagnie du camionneur.

[59]       Le camion se rend alors à l’endroit désigné où le conteneur sera chargé ou déchargé.

[60]       En mode import, le camionneur doit descendre de son camion pour aller identifier l’endroit précis où se situe le conteneur dont il prend livraison. Pour ce faire, il se faufile entre les rangées de conteneurs empilés sur le quai[25]. Cette procédure compétée, il retourne dans son camion pour attendre l’arrivée de la grue portique. Une fois là, il sort à nouveau de son camion et indique par signes à l’opérateur qui se situe environ 20 mètres plus haut l’endroit où se trouve le conteneur. Pendant toute la durée de l’opération de chargement, le camionneur se tient debout derrière la remorque de son camion, à une distance d’environ trois mètres. Une fois le conteneur chargé sur la remorque, il en fixe les quatre coins (ou applique les sangles, selon le cas). Il remonte ensuite dans son camion pour se diriger vers la baie de sortie.

[61]       Arrivé à cet endroit, le camionneur descend de son camion pour procéder, en compagnie du vérificateur, à l’identification du conteneur. Il quitte ensuite le terminal.

[62]       En mode export, le camionneur demeure assis dans son camion pendant que l’opérateur d’un chariot élévateur procède au déchargement du conteneur. Il quitte ensuite le terminal sans s’arrêter à la baie de sortie[26].

[63]       L’ensemble de ce parcours prend de 30 à 40 minutes[27]. De la baie d’entrée à la baie de sortie, le camionneur est à l’extérieur de son camion pendant cinq à dix minutes[28].

iii.      Les mesures de sécurité

[64]       Jusqu’en 2004, le port du casque protecteur n’était obligatoire dans aucun des terminaux en cause.

[65]       Or, à la suite d’un accident impliquant un entrepreneur qui effectuait un travail dans un de ses terminaux, MGT émet un avis le 6 avril 2004 exigeant le port de certains équipements de sécurité, dont le casque protecteur, de tout entrepreneur travaillant dans l’un ou l’autre de ses terminaux[29]. Cette mesure n‘est cependant pas applicable aux camionneurs de ville.

[66]       Précisons que les représentants en santé et sécurité des divers terminaux se rencontrent environ neuf fois par année[30]. L’objectif est de maintenir une certaine uniformité des mesures en santé et sécurité. En effet, les débardeurs et les vérificateurs n’étant rattachés à aucun terminal en particulier, ils sont appelés à travailler dans plusieurs terminaux au cours d’une même semaine ou d’un même mois.

[67]       La question du port d’équipements de sécurité revient à l’ordre du jour des discussions après l’adoption de modifications au Code criminel en 2004, plus précisément avec l’entrée en vigueur de l’article 217.1[31] et l’infraction de négligence criminelle qui en découle.

[68]       C’est MGT qui prend l’initiative, d’autant plus que le terminal Maisonneuve de Termont est fermé à cette époque[32].

[69]       Le port d’équipements de sécurité est discuté au comité paritaire de la santé et sécurité chez MGT. Une étude des risques effectuée à l’interne fait l’objet de discussions. Les débardeurs et les vérificateurs, ainsi que les employés de MGT, demeurent réticents à l’idée d’imposer le port du casque protecteur. On évoque alors la possibilité de plutôt opter pour le port d’une casquette de sécurité.

[70]       Le comité de santé et sécurité au travail de MGT consulte Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC). Dans une lettre du 5 mai 2005, Richard Dupuis de RHDCC rappelle d’abord les obligations qu’imposent le Code canadien du travail ainsi que le Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail[33]. Il précise, ensuite, ce qui suit[34] :

Si, après une étude des risques, l’employeur en vient à la conclusion que dans son lieu de travail ou une partie de son lieu de travail, il y a risque de blessure à la tête et qu’il ne peut éliminer le risque ou le réduire, il se doit donc de fournir un équipement de protection.

[…]

Vous comprendrez que la partie II du Code et la partie XII de son règlement d’application ne nous donne [sic] aucune latitude quant au choix de l’équipement de protection en ce qui concerne les blessures à la tête. L’équipement choisi doit rencontrer la norme citée à l’article 12.4 de la partie XII du RCSST.

Il est fort possible que cette nouvelle politique du port obligatoire du casque protecteur suscite des réactions négatives chez quelques travailleurs mais je pense qu’une bonne campagne de sensibilisation, telle que celle que vous proposez devrait permettre aux employés de voir cette exigence comme un plus pour leur santé et sécurité.

[71]       MGT décide donc d’imposer le port du casque protecteur à compter du 4 juillet 2005. Quelques jours auparavant, elle affiche et distribue un avis informant tous les travailleurs, fournisseurs et visiteurs pénétrant dans ses terminaux de cette nouvelle exigence[35].

[72]       Un peu plus d’une semaine plus tard, elle rend publiques et publicise la Politique générale sur le code vestimentaire - terminaux Montreal Gateway[36] ainsi que les Directives opérationnelles et consignes de sécurité aux camionneurs[37]. Ces deux documents (qui constituent la Politique) annoncent clairement l’exigence du port d’équipements de sécurité, dont le casque protecteur[38]. Termont applique les mêmes critères dès la reprise de ses activités en mars 2006[39].

[73]       La campagne de sensibilisation qui accompagne l’adoption de la Politique inclut, notamment, des placards à l’entrée et sur le site des terminaux informant les usagers des nouvelles règles, la distribution en format papier de ces règles à ceux qui accèdent aux terminaux ainsi que leur envoi aux bureaux des compagnies de transport faisant affaire avec les terminaux.

[74]       Le refus de porter l’équipement de sécurité obligatoire, dont le casque protecteur, rend la personne fautive susceptible de recevoir un constat d’infraction[40]. Avant d’émettre un constat, les représentants des défenderesses demandent d’abord à cette personne de se conformer à la Politique en allant chercher son casque protecteur. Si elle n’en a pas à sa disposition, on lui en prête un. Si la personne refuse de le porter, l’accès au terminal lui est interdit ou, si elle a déjà pénétré sur les lieux, elle est escortée à la sortie.

[75]       Après l’émission de trois constats à une même personne, un représentant des défenderesses communique avec l’employeur pour lui rappeler les exigences de la Politique, lui signaler l’émission de trois constats à un de ses employés et l’informer que si cela devait se répéter, l’employé sera suspendu, c’est-à-dire qu’il perdra le droit d’accéder aux terminaux exploités par les défenderesses[41].

[76]       Dans les faits, tant chez Empire que chez Termont, l’obligation de porter le casque protecteur n’a présenté généralement aucune difficulté auprès des camionneurs de religion sikhe ceux-ci acceptant de le coiffer sur leur turban.

[77]       C’est aux terminaux de MGT que certains camionneurs l’ont refusé.

iv.     Les risques pour les camionneurs

[78]       Rappelons que les activités portuaires se déroulent 24 heures par jour, sept jours par semaine et ce, pendant toute l’année.

[79]       Il a été mis en preuve que les camionneurs de ville sont exposés aux risques suivants de blessure à la tête :

i.        chute en provenance d’équipement ou de conteneurs de :

o       glace ou de neige lourde;

o       boules de graisse dures (surtout l’hiver);

o       outils oubliés;

o       pièces de machinerie, tel que boulons, vis et gougeons;

o       marchandise tombant d’un conteneur mal fermé;

ii.       être frappé par :

○       des sangles lancées par-dessus les conteneurs pour les fixer à la remorque;

○       un projectile soulevé par un véhicule circulant à proximité;

○       une portière de camion;

iii.      se heurter contre :

○       une remorque ou des portes de conteneurs ouvertes.

[80]       Les camionneurs passent peu de temps à l’extérieur de leur camion pendant leur présence au port. Cependant, lorsqu’ils en descendent, l’endroit présente un potentiel de risque élevé pour la sécurité.

[81]       C’est le cas, en particulier, lorsque le camionneur procède au chargement d’un conteneur sur sa remorque effectué par une grue portique. Ce pont roulant, haut de plus de 20 mètres, est actionné par un débardeur assis dans la cabine située au haut de la structure. C’est le camionneur qui doit circuler entre les conteneurs pour identifier au débardeur celui qu’il vient chercher. Ceux-ci sont empilés les uns sur les autres (pouvant atteindre une hauteur de cinq conteneurs) et les allées où se déplace le camionneur entre les piles sont très étroites (moins d’un mètre). Une fois le conteneur identifié auprès du débardeur activant la grue portique, le camionneur se tient debout à environ trois mètres derrière la remorque de son camion. Il y a une circulation importante de véhicules autour de lui. De plus, le trajet aérien du conteneur qui sera chargé sur sa remorque peut être assez long et la grue portique est alors en mouvement.

[82]       Le casque protecteur sert non seulement à protéger les camionneurs des risques de blessure à la tête, mais également à accroître leur visibilité lorsqu’ils circulent entre les camions, entre les conteneurs au point de chargement ainsi qu’aux baies d’entrée et de sortie.

[83]       Les demandeurs mettent l’emphase sur les registres des défenderesses qui ne démontreraient aucun cas de blessure à la tête subie par un camionneur antérieurement à 2005.

[84]       Cette affirmation n’est pas exacte pour les raisons suivantes.

[85]       Premièrement, antérieurement à l’année 2005, les défenderesses ne tenaient pas un registre individuel des accidents. Il n’existait qu’un registre central, nommé « Maritime Data Center », qui incluait les données pour l’ensemble des terminaux au port de Montréal.

[86]       Deuxièmement, les accidents consignés au registre central se rapportaient habituellement aux débardeurs, vérificateurs et autres employés des terminaux. Les accidents mettant en cause les camionneurs de ville et autres entrepreneurs n’étaient pas nécessairement rapportés.

[87]       Troisièmement, les données consignées à ce registre, bien qu’indiquant le nom de la victime d’un accident, ne précisent pas le nom de leur employeur. Il est alors difficile de déterminer dans quelle mesure elles pourraient inclure un camionneur de ville.

[88]       Ceci dit, une revue attentive d’un extrait de ce registre consignant, pour la période de 1995 à 2003, les blessures n’ayant pas entraîné une perte de jours de travail concernant la tête, les épaules, le cou, le visage et les oreilles[42], rapporte un total de 397 blessures réparties comme suit :

o       53 au cou;

o       57 aux épaules;

o       135 à la tête;

o       63 au visage; et

o       89 aux yeux.

[89]       Un autre extrait de ce registre[43] consignant, pour la période de 1999 à 2008, les blessures à la tête, au front et aux oreilles rapporte 150 accidents ayant entraîné 365 jours d’absence au travail, se répartissant comme suit :

o       tête : 106 accidents et 245 jours d’absence;

o       front : 33 accidents et 120 jours d’absence;

o       oreilles : 11 accidents et aucun jour d’absence.

[90]       Les autres extraits de ce registre donnant une description de l’accident, des blessures et du nom de la victime[44] font voir qu’au moins 27 de ces accidents survenus entre 1999 et 2008 impliquent un conteneur ou un camion (sans préciser s’il s’agit d’un camion de ville ou d’un camion à l’interne).

[91]       Il est intéressant de constater que ces 27 accidents à la tête impliquent souvent le contact avec une chaîne ou un crochet, une fausse manœuvre lors de la fixation d’un conteneur sur une remorque, la chute d’un objet, un impact avec la porte ouverte d’un conteneur ou une collision avec un autre véhicule.

[92]       En somme, le registre des accidents au moment où la Politique a été adoptée en 2005 appuyait les constats effectués par le comité paritaire de santé et sécurité en démontrant le risque réel d’accident à la tête lié aux activités des camionneurs en général, que ce soit les camionneurs de ville ou ceux à l’interne.

[93]       Les études de risque subséquemment commandées par l’AEM en 2009[45] et en 2015[46] portant sur la situation particulière des camionneurs de ville confirment la nécessité de porter un casque protecteur lorsque ceux-ci circulent hors de leur camion en raison de l’importance des risques qui y sont associés.

[94]       En jaugeant la gravité du risque, l’exposition des camionneurs et la probabilité que le risque se matérialise, l’expert Montpetit conclut à un niveau de criticité[47] de moyen à élevé pour chacun des risques suivants[48] :

o       chute d’objets : 8/10;

o       se heurter contre des objets durs et immobiles : 7/10;

o       être frappé par un objet en mouvement : 6/10;

o       être heurté ou écrasé par un véhicule ou un équipement : 8/10;

o       être heurté ou écrasé par un conteneur : 8/10; et

o       risque de chute au sol : 7/10.

[95]       Il conclut son rapport en précisant ce qui suit[49] :

Équipement de protection individuelle (EPI)

L’environnement physique sur les terminaux du Port de Montréal, est un environnement de type industriel qui est hautement variable. Cette variabilité est notamment attribuable :

·                Au flux des conteneurs et marchandises.

·                Aux équipements lourds.

·                Aux conditions climatiques.

·                Aux flux du personnel qui travaille sur différents terminaux.

Cette grande variabilité de l’environnement fait en sorte qu’il est impossible de prévenir tous les accidents et blessures à la tête, par les seules mesures préventives mentionnées précédemment. La politique actuelle du port obligatoire des EPI (bottes de sécurité, casques, vêtement à haute visibilité), est nécessaire pour contrôler tous les risques et prévenir des blessures dont certaines peuvent être graves. Ces trois EPI contribuent à la prévention des blessures à la tête. Des bottes de sécurité avec une semelle en bon état préviennent les chutes. Le vêtement à haute visibilité, de même que la couleur vive du casque, permettent à toute personne circulant à pied sur les terminaux, notamment les camionneurs, d’être vus en tout temps par les opérateurs d’équipements lourds dont l’angle de vision n’est pas toujours parfait et préviennent d’être heurtés ou écrasés par un équipement lourd.

Enfin, le casque de sécurité répondant à la norme CAN/CSA-Z94.1-05, de type 2, c’est-à-dire doté d’une protection pour le dessus et le côté de la tête, prévient les blessures par un objet qui tombe ou qui est projeté, les blessures lorsqu’une personne se frappe la tête sur un objet ou les blessures à la tête lors d’une chute. Il est à noter que la norme CAN CSA-Z94.1-5 définit trois classes de casque de sécurité pour la protection contre les risques électriques. Comme il n’y a pas de risque électrique pour les camionneurs, un casque de classe C, c’est-à-dire avec aucune résistance aux chocs électriques est suffisant.

[le Tribunal souligne]

[96]       L’expert Lorange en arrive à un constat semblable. Elle écrit[50] :

7.1        Résultats

L’analyse des différentes situations de travail où les camionneurs privés doivent circuler à pied sur les terminaux a démontré que plusieurs risques de blessures à la tête sont présents à tout moment dans l’environnement de travail.

Un camionneur circulant à pied sur les terminaux est constamment exposé à un flux :

Ø      d’équipements lourds circulant dans toutes les directions,

Ø      de conteneurs empilés et transportés en hauteur,

Ø      de tout type de véhicules,

Ø      de personnes.

De plus, l’environnement du Port de Montréal est soumis aux conditions climatiques variables des saisons (coup de vent, neige, verglas, …), ce qui présente un risque additionnel pour les travailleurs (exemples : les coups de vent peuvent faire tomber des débris accumulés en hauteur ou déplacer des équipements; la neige et la glace accumulés sur des structures en hauteur peuvent s’en détacher soudainement suite à un mouvement mécanique ou sous l’effet des rayons solaire).

7.2     Recommandations

Nous recommandons le maintien du port du casque de sécurité pour protéger contre certains risques de blessures à la tête pour tous les camionneurs privés circulant à pied sur les terminaux MGT, Termont et Empire situés sur le territoire du Port de Montréal. […]

[le Tribunal souligne]

[97]       En conclusion, le risque de blessures à la tête pour les camionneurs de ville circulant hors de leur camion aux terminaux exploités par les défenderesses est important et, selon les experts, requiert le port d’un casque protecteur.

v.      La mesure d’accommodement

[98]       Tel que mentionné précédemment, après avoir été sensibilisée aux difficultés que cause l’entrée en vigueur de la Politique pour certains camionneurs de religion sikhe qui refusent de porter un casque protecteur sur leur turban, MGT adopte une mesure d’accommodement qui sera en place d’août 2005 à juillet 2008.

[99]       Comme le port du casque protecteur n’est requis que lorsque le camionneur sort de son véhicule, elle prévoit donc que ce dernier demeure à l’intérieur de la cabine de son véhicule en tout temps. Le travail nécessitant qu’il sorte du véhicule est alors  assuré par un vérificateur appelé sur les lieux.

[100]    Rappelons que les demandeurs ont rapidement cessé d’effectuer du transport aux terminaux du port de Montréal après la mise en place de cette mesure en août 2005.

[101]    Ce n’est cependant pas le cas pour plusieurs autres. Bien qu’il n’existe aucun registre rapportant les occasions où cette mesure a été appliquée, Frédéric Provost, vice-président gestion de risque chez MGT, rapporte qu’elle a été utilisée souvent entre 2005 et 2008 par des camionneurs de religion sikhe portant le turban.

[102]    Il précise n’avoir jamais reçu de plainte directement des camionneurs ou de leur employeur : seule une lettre de Me Grey, le 8 mai 2006[51], dans laquelle il rapporte l’insatisfaction de la communauté sikhe suivie, le 3 juillet 2006, de l’institution des procédures dans le présent dossier.

[103]    Cette mesure d’accommodement n’a finalement pas été appliquée chez Termont et chez Empire car aucune demande ne leur en a été faite par un camionneur de religion sikhe

[104]    En définitive, cet accommodement causait problème tant pour les camionneurs que pour MGT.

[105]    D’une part, les demandeurs se plaignent du délai perdu à attendre l’arrivée d’un vérificateur, qui peut parfois se prolonger pendant une longue période selon sa disponibilité, pour venir identifier le conteneur et guider l’opérateur de la grue portique pour le transporter à proximité du camion. Il en est de même du chariot élévateur requis pour charger le conteneur sur la remorque du camion. Ils invoquent la non-viabilité économique de cette mesure.

[106]    D’autre part, après avoir appliqué cette mesure pendant trois ans, les défenderesses invoquent aussi sa non-viabilité tant du point de vue organisationnel qu’économique.

[107]    En effet, le nombre de camionneurs de religion sikhe refusant de porter le casque protecteur varie d’une journée à l’autre. Aussi, plusieurs entreprises de transport sont impliquées dans la livraison et la récupération de conteneurs au port de Montréal. Enfin, les besoins de leurs clients varient beaucoup.

[108]    L’expérience a démontré qu’il est souvent difficile, voire impossible, de fournir dans un délai raisonnable le service d’un vérificateur pour accomplir la tâche normalement accomplie par le camionneur. Le flux variable des arrivées et des départs des navires combiné aux besoins variables des clients des entreprises de transport de ville rendent la planification du travail des vérificateurs très difficile.

[109]    Cette situation cause des difficultés importantes dont les suivantes :

o       les camions qui attendent l’arrivée d’un vérificateur doivent être garés à proximité de l’aire de chargement ce qui provoque un encombrement et nuit aux opérations et à la circulation, augmentant ainsi les risques d’accident ;

o       pendant que le vérificateur accomplit la tâche qui revient normalement au camionneur, il ne peut effectuer le travail relevant de ses propres fonctions ce qui a pour effet de retarder d’autres opérations au terminal;

o       l’accomplissement par le vérificateur de la tâche normalement réservée au camionneur provoque une grande insatisfaction au sein des débardeurs et vérificateurs;

o       d’importantes pertes de productivité résultent du déplacement du vérificateur et d’un chariot élévateur pour placer le conteneur sur la remorque du camion;

o       bien que difficilement évaluable avec précision, le coût financier de cette mesure est important pour les défenderesses.

[110]    Autrement dit, toutes les parties en cause jugent que la mesure d’accommodement mise en place de 2005 à 2008 n’est pas viable.

[111]    L’environnement de travail aux terminaux étant précisé, passons maintenant à l’analyse des questions en litige.

A.        Le cadre législatif applicable

[112]    Les demandeurs fondent leur recours exclusivement sur l’application de certaines dispositions de la Charte canadienne et de la Charte québécoise.

[113]    Étant d’avis que celles-ci ne s’appliquent pas en l’instance, les défenderesses mettent beaucoup d’emphase sur le cadre législatif qui gouverne l’exploitation de leurs terminaux au port de Montréal.

[114]    Elles soutiennent qu’elles sont des entreprises fédérales relevant de la compétence exclusive du Parlement en matière de navigation et de transport maritime extraprovincial. Se fondant sur la doctrine de l’exclusivité des compétences, elles soulèvent, en particulier, l’inapplication de la Charte québécoise en regard de l’application de la Politique.

[115]    Sans vouloir minimiser l’importance de cette question, nous verrons que la réponse au problème de discrimination fondée sur la religion soulevé par les demandeurs dans ce dossier est la même, qu’on applique la Charte canadienne, la Charte québécoise ou la Loi canadienne sur les droits de la personne.

i.          La compétence fédérale en matière de navigation et de transport maritime extraprovincial

[116]    Les articles 91(10) et 92 (10) de la  Loi constitutionnelle de 1867 attribuent au Parlement canadien la compétence exclusive en matière de navigation et de transport maritime extraprovincial.

[117]    Rappelons, cependant, que l’enjeu du présent dossier repose sur la validité de la Politique adoptée par les défenderesses dans le cadre de la réglementation du travail aux terminaux qu’elles exploitent. Or, la Loi constitutionnelle de 1867 n’accorde ni au Parlement ni aux législatures provinciales une compétence exclusive en matière de relations ou de conditions de travail.

[118]    Dans un arrêt récent, Tessier Ltée c. Québec (CSST)[52], la Cour suprême, sous la plume de la juge Abella (exprimant l’opinion de la Cour), fait une analyse intéressante de ce débat touchant, en particulier, la réglementation du travail pour les entreprises de débardage. D’entrée de jeu, elle souligne que :

[11]   Les articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 n’attribuent pas la compétence sur les relations et conditions de travail à l’ordre fédéral ou provincial de gouvernement.  Cela étant dit, depuis Toronto Electric Commissioners c. Snider, [1925] A.C. 396 (C.P.), les tribunaux reconnaissent l’existence d’une présomption selon laquelle le pouvoir de légiférer sur les relations de travail appartient aux provinces parce que cet objet tombe sous le chef de compétence provinciale en matière de propriété et de droits civils prévu au par. 92(13) : NIL/TU,O Child and Family Services Society c. B.C. Government and Service Employees’ Union, 2010 CSC 45, [2010] 2 R.C.S. 696, par. 11. 

[12]  Cette présomption n’exclut toutefois pas entièrement l’activité réglementaire fédérale à l’égard des relations de travail.  Par suite de l’arrêt Snider, le législateur fédéral a modifié la loi en cause dans cette affaire, dont est issu le Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2, pour en restreindre l’application aux activités ressortissant au pouvoir législatif fédéral. 

[119]    Référant à l’arrêt Reference re Industrial Relations and Disputes Investigation Act[53], elle souligne qu’il existe deux situations dans lesquelles le pouvoir fédéral aura compétence en matière de réglementation du travail :

a.         lorsque l’emploi s’exerce dans le cadre d’un ouvrage, d’une entreprise ou d’un commerce relevant du pouvoir législatif du Parlement; ou

b.         lorsqu’il se rapporte à une activité faisant partie intégrante d’une entreprise assujettie à la réglementation fédérale, ce qui est appelé « compétence dérivée »[54].

[120]    Elle ajoute que :

[18]  S’agissant de la compétence fédérale directe en matière de travail, on détermine si la nature fonctionnelle essentielle de l’ouvrage, du commerce ou de l’entreprise le fait tomber dans un champ de compétence fédérale, tandis que dans le cas de la compétence dérivée, on détermine si cette nature est telle que l’ouvrage fait partie intégrante d’une entreprise fédérale.  Dans les deux cas, l’attribution de la compétence en matière de relations de travail nécessite l’établissement de la nature fonctionnelle essentielle de l’ouvrage. 

[121]    Reconnaissant que les entreprises de transport maritime ont besoin d’installations pour charger et décharger des marchandises et que « les intérêts locaux ne sauraient entraver la réglementation des ports »[55], elle précise néanmoins que :

[24]  Pour autant, le par. 91(10) ne confère pas au gouvernement fédéral un pouvoir de réglementation absolu sur le transport maritime.  Il doit être lu en conjonction avec le par. 92(10) dont la fonction essentielle est d’opérer le partage du pouvoir législatif sur les ouvrages et entreprises de transport et de communication en fonction de la portée territoriale des activités.

[122]    Appliquant ces remarques aux activités de débardage, elle conclut que :

[28]  […] Puisque le débardage n’est pas en soi une activité transfrontière de transport, il n’est pas assujetti à la réglementation fédérale par application directe des paragraphes 92(10)a) ou b) : Consolidated Fastfrate Inc. c. Western Canada Council of Teamsters, 2009 CSC 53, [2009] 3 R.C.S. 407, par. 43 et 61.  Par conséquent, la réglementation fédérale en matière de travail ne s’appliquera aux travaux ou entreprises de débardage que si ceux-ci font partie intégrante d’une entreprise fédérale d’une façon qui justifie qu’ils relèvent exceptionnellement de la compétence fédérale.

[le Tribunal souligne]

[123]    En somme, c’est par l’application de la compétence dérivée qu’une entreprise de débardage pourra démontrer qu’elle relève de la compétence fédérale.

[124]    Appliquons ces principes aux défenderesses.

[125]    Les activités de celles-ci se rapportent au chargement, au déchargement et à la manutention de conteneurs en particulier dans le port de Montréal. Ces activités sont directement reliées au transport interprovincial et international de marchandises par navire. Elles en font partie intégrale et lui sont essentielles. Précisons, de plus, qu’elles ne sont pas occasionnelles : elles constituent l’essentiel de l’exploitation de l’entreprise de chacune des défenderesses.

[126]    En conséquence, le Tribunal conclut que l’exploitation des entreprises défenderesses est assujettie à la réglementation fédérale. D’ailleurs, cela n’est pas contesté par les demandeurs.

ii.         La Charte canadienne

[127]    Les défenderesses contestent l’application de la Charte canadienne aux faits en cause.

[128]    Elles ont raison.

[129]    Son champ d’application est précisé à l’article 32 qui se lit comme suit :

32. (1) La présente charte s’applique :

a) au Parlement et au gouvernement du Canada, pour tous les domaines relevant du Parlement, y compris ceux qui concernent le territoire du Yukon et les territoires du Nord-Ouest;

b) à la législature et au gouvernement de chaque province, pour tous les domaines relevant de cette législature.

[…]

[130]    Le recours institué par les demandeurs aborde le rapport qui existe entre les entreprises privées qui exploitent des terminaux maritimes et des camionneurs à l’emploi d’entreprises privées de transport qui livrent ou récupèrent des conteneurs à ces terminaux.

[131]    Aucun acte du gouvernement n’est invoqué par l’une ou l’autre des parties ou n’est ici en cause. La Politique prévoyant, notamment, le port du casque protecteur a été adoptée par les défenderesses dans le cours normal de leurs activités, dans l’exercice des devoirs qui leur incombent en matière de sécurité au travail[56].

[132]    En conséquence, la Charte fédérale n’est pas applicable[57].

iii.        La Loi canadienne sur les droits de la personne

[133]    La Loi canadienne sur les droits de la personne s’applique aux rapports de droit privé dans lesquels le droit provincial n’est pas applicable[58].

[134]    Ayant conclu que l’exploitation des terminaux par les entreprises défenderesses relève de la compétence fédérale, il faut donc se demander si la relation de nature privée qu’entretiennent ces dernières avec les entreprises de transport locales, incluant leurs chauffeurs, est régie par la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[135]    L’objet de la loi est précisé à son article 2 dans les termes suivants :

2.  La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, la déficience ou l’état de personne graciée.

[136]    L’article 5 qualifie d’acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite (la religion en étant un), le fait pour un fournisseur de services ou d’installations (« facilities ») d’en priver un individu. Cependant, ce refus perd son caractère discriminatoire si le fournisseur de services ou d’installations a un motif justifiable de le faire[59] ou, autrement dit, s’il démontre que les mesures destinées à répondre aux besoins de cet individu constituent une contrainte excessive en matière de coût, de santé et de sécurité[60]

[137]    Les défenderesses fournissent des services de débardage et les camionneurs de ville sont des individus qui, au nom de l’entreprise pour laquelle ils travaillent, bénéficient de ce service pour le compte d’un client. Peu importe que les défenderesses soient considérées comme fournisseurs de services ou d’installations, l’article 5 de la loi trouve ici application.

[138]    Soulignons, par ailleurs, que les demandeurs ne se sont pas prévalus des droits que leur confère la loi, soit d’initier une demande ou plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne.

iv.     Le Code canadien du travail

[139]    L’article 124 du Code canadien du travail prévoit l’obligation générale des employeurs de veiller à la protection de leurs employés en matière de santé et sécurité au travail. Cette disposition se lit ainsi :

124 L’employeur veille à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail.

[140]    Cette obligation comprend, notamment :

125 (1) Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124, l’employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève :

[…]

l) de fournir le matériel, l’équipement, les dispositifs et les vêtements de sécurité réglementaires à toute personne à qui il permet l’accès du lieu de travail;

[…]

p) de veiller, selon les modalités réglementaires, à ce que les employés puissent entrer dans le lieu de travail, en sortir et y demeurer en sécurité;

[…]

u) de veiller à ce que le lieu de travail, les postes de travail et les méthodes de travail soient conformes aux normes réglementaires d’ergonomie;

v) d’adopter et de mettre en œuvre les normes et codes de sécurité réglementaires;

[…]

y) de veiller à ce que la santé et la sécurité des employés ne soient pas mises en danger par les activités de quelque personne admise dans le lieu de travail.

[141]    L’article 125 étend cette obligation de l’employeur à la protection des tiers qui se retrouvent sur son lieu de travail :

125 (1) […]

w) de veiller à ce que toute personne admise dans le lieu de travail connaisse et utilise selon les modalités réglementaires le matériel, l’équipement, les dispositifs et les vêtements de sécurité réglementaires.

[142]    Cette obligation envers les tiers a été reconnue par la jurisprudence[61].

[143]    L’expression « sécurité » est définie à l’article 122 (1) C.c.t. comme signifiant « protection contre les dangers liés au travail ».

[144]    Le même article donnait, en 2005, la définition suivante de « danger » :

122 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

« danger » Situation, tâche ou risque - existant ou éventuel - susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade - même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats -, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur.

[145]    Cette définition a été modifiée en 2013 pour maintenant se lire ainsi :

122 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

« danger » Situation, tâche ou risque qui pourrait vraisemblablement présenter une menace imminente ou sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée avant que, selon le cas, la situation soit corrigée, la tâche modifiée ou le risque écarté.

[le Tribunal souligne]

[146]    Les défenderesses sont aussi assujetties à deux règlements adoptés en vertu du C.c.t. qui précisent certains aspects relatifs à la sécurité sur les lieux de travail : le Règlement sur la santé et la sécurité au travail en milieu maritime[62] et le Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail[63].

[147]    Il apparaît opportun d’en reproduire les dispositions pertinentes :

Ø   Règlement sur la santé et la sécurité au travail en milieu maritime :

 (1) L’employeur veille à ce que toute personne qui est autorisée à avoir accès à un lieu de travail comportant un risque pour la santé ou la sécurité utilise l’équipement de protection prévu par la présente partie lorsque :

a) d’une part, il est difficilement réalisable d’éliminer le risque que le lieu de travail présente pour la santé ou la sécurité ou de le garder dans les limites de sécurité;

b) d’autre part, l’utilisation de l’équipement de protection peut empêcher les blessures pouvant résulter de ce risque ou en diminuer la gravité.

(2) L’équipement de protection doit, à la fois :

a) être conçu pour protéger la personne contre le risque pour lequel il est fourni;

b) ne pas présenter de risque en soi;

c) être entretenu, inspecté et mis à l’essai par une personne qualifiée;

d) lorsque cela est nécessaire pour prévenir les risques pour la santé, être tenu en bon état de propreté et de salubrité par une personne qualifiée.

Casque protecteur

 Lorsque, dans un lieu de travail, il y a risque de blessures à la tête, l’employeur fournit des casques protecteurs conformes à la norme CAN/CSA-Z94.1-F05 de la CSA, intitulée Casques de sécurité pour l’industrie : Tenue en service, sélection, entretien et utilisation.

Ø   Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail :

 Toute personne à qui est permis l’accès au lieu de travail doit utiliser l’équipement de protection réglementaire visé par la présente partie dans les cas suivants :

a) lorsqu’il est en pratique impossible d’éliminer ou de maintenir à un niveau sécuritaire le risque que le lieu de travail présente pour la santé ou la sécurité;

b) lorsque l’utilisation de l’équipement de protection peut empêcher une blessure ou en diminuer la gravité.

[…]

Casque protecteur

 Lorsque, dans le lieu de travail, il y a risque de blessures à la tête, il faut porter un casque protecteur conforme à la norme Z94.1-M1977 de l’ACNOR intitulée Casques de sécurité pour l’industrie, publiée dans sa version française en avril 1980 (la dernière modification date de septembre 1982) et publiée dans sa version anglaise en avril 1977 (la dernière modification date de septembre 1982).

[148]     Les articles 148 et 149 C.c.t. prévoient des sanctions sévères au défaut de respecter les obligations ci-haut mentionnées.

[149]     La Politique a été élaborée et adoptée par les défenderesses en s’appuyant sur ces dispositions du Code canadien du travail et de ces deux règlements.

v.      Le Code criminel

[150]    Modifié en 2004, l’article 217.1 C.cr. incorpore le devoir pour toute personne qui dirige l’accomplissement d’un travail de prendre les mesures nécessaires pour éviter qu’il n’en résulte une blessure pour autrui.

[151]    Le texte de cette disposition est le suivant :

217.1 Il incombe à quiconque dirige l’accomplissement d’un travail ou l’exécution d’une tâche ou est habilité à le faire de prendre les mesures voulues pour éviter qu’il n’en résulte de blessure corporelle pour autrui.

[152]    Rappelons que c’est à la suite de la modification apportée à cette disposition en 2004 que les défenderesses ont entamé le processus de réflexion qui a amené l’adoption de la politique en 2005.

vi.     La Charte québécoise

[153]    Même s’ils concèdent qu’il soit possible que la Charte canadienne ne soit pas applicable en l’instance, les demandeurs insistent pour opposer les droits que leur assure la Charte québécoise.

[154]    Selon eux, l’article 55 qui en limite la portée, ne doit pas être interprété de manière limitative surtout dans le contexte d’un fédéralisme souple qui tend à concilier les pouvoirs octroyés aux deux ordres de gouvernement plutôt qu’à les opposer. L’article 55 se lit ainsi :

55.   La Charte vise les matières qui sont de la compétence législative du Québec.

[155]    Les défenderesses invoquent la théorie de l’exclusivité des compétences.

[156]    En effet, elles soutiennent que l’application des articles 3, 10 et 16 de la Charte québécoise, par ailleurs valides, entraverait leur obligation d’assurer la santé et la sécurité des travailleurs, élément vital de la gestion et de l’exploitation de leurs activités, prévue au Code canadien du travail et à ses règlements d’application en la matière.

[157]    Dans un jugement récent[64], le juge Gilles Blanchet résume la portée de la doctrine de l’exclusivité des compétences dans les termes suivants :

[39]    En vertu de la doctrine de l’exclusivité des compétences, aussi appelée doctrine de l’immunité interjuridictionnelle, une législation ou disposition législative par ailleurs valide pourra être déclarée inapplicable à l’égard d’ouvrages, d’entreprises, de choses ou de personnes relevant de la compétence d’un autre palier de gouvernement, ou à l’égard d’activités relevant de son autorité exclusive.

[40]      Il importe toutefois de préciser que la doctrine de l’exclusivité n’a pas pour objet d’enclaver un champ de compétence au point où tout ce qui s’y rattache serait à l’abri de la législation adoptée par une autre juridiction. De fait, pour qu’on puisse conclure à l’inapplicabilité en vertu de cette doctrine, il faut que la loi visée touche un élément essentiel et vital du champ de compétence concerné, c’est-à-dire une dimension qui en constitue le cœur même et la spécificité.

[références omises]

[158]    Bien qu’elle reconnaisse le rôle légitime de cette doctrine, la Cour suprême suggère qu’elle soit appliquée avec retenue[65]. Elle en commente ainsi les raisons :

[42]   Bien que les textes juridiques encadrant notre structure fédérale et la logique de celle-ci justifient l’application de la doctrine de l’exclusivité des compétences à certaines « activités » fédérales, l’appliquer généralement aux « activités » suscite néanmoins des problèmes d’application concrets beaucoup plus importants que ceux qui ont été relevés dans le cas des ouvrages ou entreprises, et des choses ou personnes, dont les limites sont plus faciles à définir.  Rappelons qu’une application large paraît également contraire au fédéralisme souple que visent à promouvoir les doctrines constitutionnelles du caractère véritable, du double aspect et de la prépondérance fédérale.

[le Tribunal souligne]

[159]    Selon l’opinion majoritaire, la doctrine de l’exclusivité des compétences ne devrait être considérée que dans les situations de fait « déjà traitées dans la jurisprudence » (par. 77).

[160]    Or, les défenderesses n’ont pas été en mesure de communiquer au Tribunal quelque précédent dans lequel la doctrine de l’exclusivité des compétences aurait été retenue pour empêcher l’application des articles 3, 10 et 16 de la Charte québécoise (pas plus d’ailleurs que n’importe quelle autre de ses dispositions) à l’encontre de l’exercice d’une compétence fédérale.

[161]    Ainsi, à première vue, il est permis de douter de son application en l’instance. Poursuivons néanmoins l’étude de cette doctrine.

[162]    L’analyse proposée par la Cour suprême dans Québec (P.G.) c. COPA[66] comprend deux étapes :

[26]   […] Selon l’opinion qui prévaut depuis l’arrêt Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3, l’application de l’exclusivité des compétences est généralement restreinte au contenu essentiel, ou au cœur, de chaque chef de compétence législative que reconnaît déjà la jurisprudence (par. 43 et 77).

[27]     La première étape consiste à déterminer si la loi provinciale [..] empiète sur le « cœur » d’une compétence fédérale.  Si c’est le cas, la deuxième étape consiste à déterminer si cette loi provinciale a, sur l’exercice de la compétence fédérale protégée, un effet suffisamment grave pour entraîner l’application de la doctrine de la compétence exclusive.

[le Tribunal souligne]

[163]    Appliquons cette analyse à la situation en cause.

1.     Les articles 3, 10 et 16 de la Charte québécoise empiètent-ils sur le cœur d’une compétence fédérale?

[164]    Les articles 91 (10) et 92 (10) a) et b) de la Loi constitutionnelle de 1867 accordent au Parlement une compétence en matière de navigation ainsi qu’aux travaux et entreprises liés au transport maritime interprovincial et international.

[165]    Tel qu’expliqué au titre de « La compétence fédérale en matière de transport maritime »[67], la jurisprudence reconnaît que la compétence du gouvernement fédéral sur le transport maritime n’est pas absolue mais qu’elle se partage avec les provinces en fonction de la portée territoriale des activités[68].

[166]    La compétence sur les relations et les conditions de travail n’est pas non plus attribuée à l’un ou l’autre des ordres de gouvernement. Il existe toutefois une présomption selon laquelle le pouvoir de légiférer en cette matière appartient aux provinces car il découle de la compétence qui leur est conférée en matière de propriété et droits civils[69].

[167]    En l’instance, le Tribunal a toutefois conclu qu’à la lumière des activités exercées par les défenderesses, celles-ci relèvent de la compétence fédérale.

[168]    Se pose donc la question suivante : la protection de la liberté de religion et l’interdiction de discriminer prévues à la Charte québécoise empiètent-elles sur le cœur de la compétence fédérale exercée sur les activités des défenderesses? Le Tribunal répond par l’affirmative.

[169]    En effet, les conditions de travail appliquées aux terminaux du port de Montréal, en particulier celles se rapportant à la sécurité, constituent un élément essentiel à l’exercice par le gouvernement fédéral de sa compétence en matière de transport maritime extraprovincial. Les activités de chargement et de déchargement des navires, de même que la réception et l’expédition par camion ou par train des conteneurs qui transitent au port, nécessitent l’apport de travailleurs sans lesquels le transport maritime deviendrait impossible. Leur protection au moyen de mesures de sécurité adaptées à leur situation apparaît donc essentielle à l’exercice ordonné des activités qui s’y déroulent.

[170]    L’application des dispositions de la Charte québécoise reconnaissant la liberté de religion et interdisant la discrimination pourrait affecter directement les activités en cause. En effet, comme le soutiennent les demandeurs, le port du turban que leur impose leur croyance religieuse ferait obstacle au port du casque protecteur qui leur est exigé dans les terminaux. Il s’agit nettement d’un cas d’empiètement d’une loi provinciale sur des activités au cœur de la compétence fédérale.

[171]    Passons à la deuxième étape de l’analyse.

2.         Les articles 3, 10 et 16 de la Charte québécoise ont-ils un effet suffisamment grave sur l’exercice de la compétence fédérale pour entraîner l’application de la doctrine de l’exclusivité des compétences?

[172]    La portée de cette étape a été ainsi précisée par la Cour suprême dans l’arrêt COPA[70] :

[43] Après une période d’incohérence, il est maintenant établi que le critère consiste à savoir si la loi provinciale entrave l’exercice, par le fédéral, d’une activité relevant du cœur de sa compétence : Banque canadienne de l’Ouest, les juges Binnie et LeBel.  Cet arrêt a tranché la question de savoir si la loi provinciale doit « paralyser » le cœur d’une compétence fédérale (le terme employé dans Dick c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 309, p. 323-324), ou s’il suffit qu’elle « touche » un élément vital de la gestion et de l’exploitation de l’entreprise (Commission du Salaire minimum c. Bell Telephone Co. of Canada, [1966] R.C.S. 767, p. 774; Bell Canada, p. 859-860).  Voir aussi Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, p. 955, le juge en chef Dickson, le juge Lamer (plus tard Juge en chef) et la juge Wilson.

[44]   Le critère de l’entrave établi dans Banque canadienne de l’Ouest représente un moyen terme entre la stérilisation et de simples effets.  Le fait de ne pas reprendre le critère de « toucher » utilisé dans Bell Canada reflète une résistance grandissante à l’application générale de l’exclusivité des compétences compte tenu des notions contemporaines de fédéralisme coopératif et du besoin ressenti de favoriser l’efficacité plutôt que le formalisme.  Comme les juges Binnie et LeBel l’ont expliqué dans Banque canadienne de l’Ouest, « [s]i elle reste un document juridique, la Constitution fournit un cadre de vie et d’action politique à l’intérieur d’un État fédéral, dans lequel les tribunaux ont légitimement observé l’importance que présente la coopération des acteurs gouvernementaux pour la souplesse du fonctionnement du fédéralisme » (par. 42).  (Voir aussi l’explication du juge en chef Dickson dans SEFPO, p. 18.)  Pour reprendre les propos des juges Binnie et LeBel dans Banque canadienne de l’Ouest :

 Rappelons qu’une application large [de l’exclusivité des compétences] paraît également contraire au fédéralisme souple que visent à promouvoir les doctrines constitutionnelles du caractère véritable, du double aspect et de la prépondérance fédérale.  [. . .] Or, ces doctrines se sont révélées les plus conformes aux conceptions modernes du fédéralisme canadien qui reconnaissent les inévitables chevauchements de compétences.  [par. 42]

[45]   Le terme « entrave » est plus fort que « toucher ».  Il suppose une incidence qui non seulement touche le cœur de la compétence fédérale, mais le touche d’une façon qui porte à la compétence fédérale une atteinte grave ou importante.  Dans cette époque de fédéralisme coopératif souple, l’application de la doctrine de l’exclusivité des compétences exige un empiétement important ou grave sur l’exercice de la compétence fédérale.  Il n’est pas nécessaire que l’empiétement paralyse la compétence, mais il doit être grave.

[le Tribunal souligne]

[173]    Les défenderesses soutiennent que leur appliquer les articles 3, 10 et 16 de la Charte québécoise dans le cas des demandeurs constituerait une entrave touchant le cœur de l’exercice de la compétence fédérale en transport maritime.

[174]    Est-ce le cas?

[175]    Bien sûr, tel qu’indiqué ci-haut, il s’agirait d’un empiètement d’une loi du Québec sur des activités au cœur de la compétence fédérale. Mais il faut maintenant aller plus loin : est-ce que cela porterait une atteinte grave ou importante au cœur de cette compétence?

[176]    Le remède recherché par les demandeurs est l’exemption pour eux de l’obligation de porter un casque protecteur lorsqu’ils circulent à l’extérieur de leur camion aux terminaux exploités par les défenderesses. En d’autres mots, il s’agit de déterminer si ce remède qui découlerait de l’application de la Charte québécoise porte une atteinte grave à l’exercice de la compétence fédérale.

[177]    Le Tribunal ne le croit pas.

[178]    Premièrement, le port du casque protecteur ne constitue qu’un élément parmi beaucoup d’autres visant la sécurité des personnes pénétrant dans les terminaux du port de Montréal : guérites contrôlant l’accès, obligation de présenter une pièce d’identité, autorisation exigée, port d’un dossard et de souliers de sécurité, port d’un pantalon à jambes longues, phare clignotant sur le toit des véhicules des entrepreneurs, présence de deux personnes et de dossards de flottaison sur le bord des quais, zones de circulation réservées pour les divers véhicules ainsi que directives opérationnelles[71].

[179]    Deuxièmement, l’exemption du port du casque qui découlerait de l’application de la Charte québécoise ne concernerait qu’un nombre très limité des quelque 3 000 personnes accédant quotidiennement aux terminaux des défenderesses.

[180]    Troisièmement, comme la Charte fédérale contient une reconnaissance du droit à la liberté de religion semblable à celle de la Charte québécoise, toute personne représentant une autorité fédérale qui accède aux terminaux des défenderesses pourrait de toute manière exiger la reconnaissance de son droit à la liberté de religion. C’est le cas, notamment, des douaniers.

[181]    En somme, la doctrine de l’exclusivité des compétences n’est pas ici applicable.

3.      La doctrine de la prépondérance fédérale

[182]    Enfin, quelques mots sur l’application de la doctrine de la prépondérance fédérale.

[183]    D’entrée de jeu, soulignons que les défenderesses n’ont pas soulevé d’argument à cet effet.

[184]    La doctrine de la prépondérance fédérale entre en jeu lorsqu’il y a conflit entre une loi fédérale et une loi provinciale qui ont été validement adoptées mais qui se chevauchent. La loi provinciale devient alors inopérante dans la mesure de l’incompatibilité[72].

[185]    Deux types de conflit permettent d’invoquer la prépondérance :

[64]   […]  La première est le conflit d’application entre une loi fédérale et une loi provinciale, où une loi dit « oui » et l’autre dit « non », de sorte que « l’observance de l’une entraîne l’inobservance de l’autre » : Multiple Access Ltd. c. McCutcheon, [1982] 2 R.C.S. 161, p. 191, le juge Dickson.  Dans Banque de Montréal c. Hall, [1990] 1 R.C.S. 121,  p. 155, le juge La Forest a relevé, pour le critère de la prépondérance, un deuxième volet selon lequel il est possible de se conformer aux deux textes même si la loi provinciale est incompatible avec l’objet de la loi fédérale : voir aussi Law Society of British Columbia c. Mangat, 2001 CSC 67, [2001] 3 R.C.S. 113, par. 72; Lafarge Canada, par. 84.  La règle de la prépondérance fédérale peut donc s’appliquer s’il est impossible de se conformer aux deux textes ou si la réalisation de l’objet d’une loi fédérale est entravée : Rothmans, par. 14.[73]

[le Tribunal souligne]

[186]    Dans Saskatchewan (Procureur général) c. Lemare Lake Logging Ltd.[74], la Cour suprême indique que cette doctrine doit recevoir une interprétation restrictive. En effet, compte tenu du principe directeur du fédéralisme coopératif, les tribunaux doivent « donner aux loi provinciale et fédérale une interprétation harmonieuse plutôt qu’une interprétation qui donne lieu à une incompatibilité »[75]. Le principe de fédéralisme coopératif permet, à la limite, une interaction ou un chevauchement entre les lois fédérale et provinciale[76].

[187]    C’est à la partie qui invoque la doctrine de la prépondérance de prouver que la loi provinciale est incompatible avec l’objet de la loi fédérale. Ce fardeau est élevé[77].

[188]    Il n’existe pas en l’instance un conflit d’application.

[189]    La loi fédérale dont il est ici question est le Code canadien du travail[78] ainsi que deux règlements adoptés sous son empire[79]. Les dispositions en cause prévoient qu’un employeur doit non seulement assurer la santé et la sécurité de ses employés[80] mais aussi s’assurer que toute personne admise dans le lieu de travail utilise le matériel de sécurité réglementaire[81]. L’article 139 du Règlement sur la santé et la sécurité au travail en milieu maritime et l’article 12.4 du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail prévoient que lorsqu’il existe un risque de blessure à la tête dans un lieu de travail, l’employeur doit fournir des casques protecteurs conformes à certaines normes qui y sont indiquées.

[190]    Les articles 3, 10 et 16 de la Charte québécoise prévoient la liberté de religion et interdit la discrimination fondée sur celle-ci. Rappelons que les demandeurs sont employés par des entreprises de camionnage privées soumises, quant à certaines d’entre elles, aux lois du Québec.

[191]    En soi, les textes législatifs en cause ne sont pas en conflit. L’un ne dit pas une chose et l’autre son contraire. Il n’y a pas de conflit véritable[82].

[192]    Passons au deuxième type de conflit visé par la doctrine de la prépondérance fédérale.

[193]    Les articles 3, 10 et 16 de la Charte québécoise entravent-elles la réalisation de l’objet des dispositions du Code canadien du travail et des deux règlements ci-haut cités?

[194]    Le Code canadien du travail ainsi que les deux règlements applicables à la présente cause ont pour objet d’assurer la sécurité des personnes sur un lieu de travail. Le droit à la liberté de religion que reconnaît la Charte québécoise n’entrave pas nécessairement cet objet. Bien qu’à première vue, l’application de ce droit que recherchent les demandeurs, soit leur refus de porter un casque protecteur, semble aller à l’encontre de l’objet de la loi fédérale, cela n’est pas nécessairement le cas. En effet, certains accommodements permettent d’appliquer le droit à la liberté de religion tout en respectant l’objet de la loi fédérale. C’est, notamment, ce qui a été fait aux terminaux des défenderesses entre 2005 et 2008.

[195]    En somme, il est possible de poursuivre l’objet du Code canadien du travail dans les terminaux exploités par les défenderesses sans que cela n’entre en conflit avec la Charte québécoise. La doctrine de la prépondérance fédérale ne peut donc conduire à l’inapplication de celle-ci dans le cadre du présent dossier.

[196]    En conclusion, les demandeurs peuvent se prévaloir des droits que leur reconnaissent les articles 3, 10 et 16 de la Charte québécoise.

[197]    Ayant précisé le cadre législatif applicable, abordons maintenant la deuxième question en litige.

B.        La Politique est-elle discriminatoire?

[198]    Nous analyserons tout d’abord les critères établis par la jurisprudence pour démontrer l’existence d’une discrimination. Nous les appliquerons ensuite aux faits en cause pour évaluer s’il existe une discrimination fondée sur l’article 10 de la Charte québécoise et/ou de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

i.        Les critères pour démontrer l’existence d’une discrimination

[199]    Récemment, dans Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation) [83], la Cour suprême confirme que quelle que soit la forme que prend la discrimination (directe ou indirecte), l’analyse à deux volets applicable en cas de plainte fondée sur la Charte québécoise ne change pas[84].

[200]    Le premier volet requiert du demandeur qu’il établisse, par prépondérance des probabilités, une discrimination prima facie. Ceci comporte la preuve de trois éléments, soit (1) une distinction, exclusion ou préférence, (2) fondée sur l’un des motifs énumérés au premier alinéa de l’article 10 de la Charte québécoise et (3) qui a pour effet de détruire ou de compromettre le droit à la pleine égalité dans la reconnaissance et l’exercice d’un droit ou d’une liberté de la personne[85].

[201]    La Cour suprême commente ainsi chacun de ces éléments :

[42]   Le premier élément constitutif de la discrimination ne présente pas de difficultés. Le demandeur doit prouver l’existence d’une différence de traitement, c’est-à-dire qu’une décision, mesure ou conduite le « touche [. . .] d’une manière différente par rapport à d’autres personnes auxquelles elle peut s’appliquer » : O’Malley, p. 551. Il peut s’agir, par exemple, d’obligations, de peines ou de conditions restrictives qui ne sont pas imposées aux autres : ibid.; voir aussi Andrews, p. 173-174.

[43]   […] le deuxième élément est au cœur du litige en l’espèce. Le demandeur doit établir que la distinction, l’exclusion ou la préférence qu’il subit est « fondée » sur un motif énuméré à l’art. 10 de la Charte : Ville de Montréal, par. 84; McGill, par. 45 et 49-50. Cet élément suppose un lien entre la différence de traitement et un motif prohibé. La teneur de ce lien ne faisant pas l’unanimité, il convient d’en préciser la nature.

[…]

[52]  En somme, relativement au deuxième élément constitutif de la discrimination prima facie, le demandeur a le fardeau de démontrer qu’il existe un lien entre un motif prohibé de discrimination et la distinction, l’exclusion ou la préférence dont il se plaint ou, en d’autres mots, que ce motif a été un facteur dans la distinction, l’exclusion ou la préférence […].

[53]   Finalement, le demandeur doit démontrer que la distinction, l’exclusion ou la préférence affecte l’exercice en pleine égalité de l’un de ses droits ou libertés garantis par la Charte […]

[le Tribunal souligne]

[202]    Une fois cette étape franchie, le défendeur peut justifier sa décision ou sa conduite en invoquant les exemptions prévues par la Charte québécoise ou développées par la jurisprudence[86]. Si le défendeur parvient à justifier sa décision ou sa conduite, il n’y aura pas de violation et ce, même en présence de discrimination prima facie.

[203]    Appliquons cette analyse aux faits en cause.

ii.       Existe-t-il une discrimination fondée sur l’article 10 de la Charte québécoise et/ou de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne?

[204]    Abordons, en premier lieu, l’existence d’une discrimination prima facie.

Ø La discrimination prima facie

[205]    Le premier élément de ce volet de l’analyse est simple et il a été prouvé.

[206]    En effet, les demandeurs ont clairement démontré que la mise en place de la Politique fait en sorte qu’ils sont touchés d’une manière différente par rapport aux autres personnes qui y sont assujetties, en ce qu’il leur est personnellement impossible de respecter l’obligation de porter le casque protecteur sans contrevenir à leurs croyances religieuses sincères et qu’ils ne peuvent, en conséquence, effectuer leur travail aux terminaux exploités par les défenderesses.

[207]    Quant au deuxième élément, les demandeurs ont établi qu’il existe un lien entre la non-reconnaissance, en pleine égalité, de leur liberté de religion et la distinction apportée par la politique dont ils sont les victimes. Précisons, à cet égard, qu’il n’est pas nécessaire aux demandeurs de prouver l’intention des défenderesses de commettre un acte discriminatoire; l’effet suffit[87].

[208]    Enfin, le troisième élément est aussi prouvé. L’obligation de porter un casque protecteur qu’impose la Politique affecte l’exercice en pleine égalité de leur liberté de religion.

[209]    La discrimination prima facie a donc été prouvée.

[210]    Ceci nous amène au deuxième volet de l’analyse, soit la justification de la politique.

Ø Les défenderesses ont-elles démontré que la politique est justifiée?

[211]    Notons que cet élément recoupe aussi les exigences des articles 15(1)g) et 15(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne pour établir l’absence de discrimination sous l’article 5.

[212]    Le débat dans ce dossier a largement porté sur la nécessité pour les défenderesses d’adopter la politique en 2005.

[213]    Les demandeurs soutiennent que les registres d’accidents des défenderesses préalablement à 2005 ne démontrent aucun cas d’accident à la tête impliquant un camionneur de ville et qu’en conséquence, le port du casque protecteur ne se justifierait donc pas. Le Tribunal a déjà exposé son point de vue sur cette question[88].

[214]    Référant aux obligations que leur impose la loi et compte tenu des particularités se rapportant à leurs activités, les défenderesses affirment qu’elles étaient tenues d’imposer le port du casque protecteur pour assurer la protection non seulement des débardeurs et des vérificateurs travaillant à leurs terminaux, mais aussi celle de toute personne appelée à y circuler.

[215]    Une mesure instaurée en milieu de travail ayant un effet discriminatoire à l’encontre de certains employés ou catégories de personnes peut être justifiée si elle constitue une exigence professionnelle justifiée (EPJ) ou une justification réelle et raisonnable.

[216]    Depuis les arrêts Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission c. BCGSEU[89] (arrêt Meiorin) et Colombie-Britannique (Superintendant of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights)[90], il est reconnu qu’un test à trois volets doit être appliqué, selon la prépondérance des probabilités, pour établir l’existence d’une EPJ.

[217]    Ainsi, l’employeur doit établir :

1)      qu’il a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause;

2)      qu’il a adopté la norme en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail en cause; et

3)      que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. Pour le prouver, il faut démontrer qu’il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que les demandeurs sans que l’employeur subisse une contrainte excessive.

[218]    Analysons chacun des trois volets.

1)      La Politique a-t-elle été adoptée dans un but rationnellement lié à la fonction exécutée par les camionneurs?

[219]    À cette étape, l’analyse porte sur la validité de l’objet de la Politique[91].

[220]    Notons, à cet égard, que la capacité de travailler de manière sûre et efficace est l’objet le plus fréquemment mentionné dans la jurisprudence pour imposer des normes particulières dans le milieu de travail[92].

[221]    L’objet de la Politique est d’assurer la sécurité des employés et des autres travailleurs circulant dans les terminaux. La nature des activités qui s’y déroulent, soit le transbordement, le chargement et le déchargement de milliers de conteneurs quotidiennement de même que la multitude des équipements utilisés pour ces activités et l’intensité du trafic sur les lieux, sont autant de facteurs permettant de lier l’adoption de la politique à la sécurité des travailleurs qui y œuvrent.

[222]    En ce qui concerne les camionneurs, en particulier, le port du casque protecteur est limité aux seuls déplacements hors de la cabine du camion. Cette pondération dans les exigences de la politique démontre bien que son objet est bien limité à la sécurité de ces travailleurs.

[223]    Enfin, les exigences législatives et réglementaires citées précédemment et auxquelles sont assujetties les défenderesses associées aux risques que présente la circulation à pied aux terminaux des défenderesses corroborent aussi, dans une certaine mesure, le lien rationnel qui existe entre la politique et le travail effectué par les camionneurs.

[224]    Passons au deuxième volet de l’analyse.

2)      La Politique a-t-elle été adoptée de bonne foi pour assurer la santé et la sécurité des camionneurs?

[225]    Rappelons qu’à la fin des années ’80, à la suite de la signification de promesses de conformité volontaire par les autorités, le port du casque protecteur avait fait l’objet de discussion avec les débardeurs et les vérificateurs qui s’y étaient vivement opposés.

[226]    La modification apportée à l’article 217.1 du C.cr. en 2004 a été l’élément déclencheur d’une nouvelle réflexion qui a amené le comité paritaire de santé et sécurité au travail à se pencher à nouveau sur la question. Les obligations relatives à la sécurité sur les lieux de travail contenues au Code canadien du travail, au Règlement canadien sur la santé et sécurité au travail et au Règlement sur la santé et la sécurité au travail en milieu maritime ont aussi été analysées.

[227]    Cette réflexion a conduit à l’adoption de la Politique qui vise tous les travailleurs qui œuvrent au port de Montréal, sans égard au terminal où ils se trouvent. Elle s’applique à toute personne circulant à l’extérieur d’un bâtiment, d’un véhicule ou de la cabine d’un équipement. Elle y assujettit autant les employés des terminaux que les débardeurs, vérificateurs, camionneurs et entrepreneurs.

[228]    La bonne foi des défenderesses ne peut être mise en doute. Elles ont adopté la Politique dans le but d’assurer la sécurité de tous les travailleurs œuvrant dans les terminaux.

3.      La Politique est-elle raisonnablement nécessaire au travail des camionneurs?

[229]    À cette dernière étape, les défenderesses doivent notamment établir qu’il leur est impossible de composer avec les demandeurs et les autres personnes lésées par la politique sans subir une contrainte excessive.

[230]    La notion de contrainte excessive comprend plusieurs éléments qui varient d’un cas à l’autre. Dans Alberta (Human Rights Commission) c. Central Alberta Dairy Pool[93], la Cour suprême, sous la plume de la juge Wilson, en énonce un certain nombre :

Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de définir de façon exhaustive ce qu’il faut entendre par contrainte excessive mais j’estime qu’il peut être utile d’énumérer certains facteurs permettant de l’apprécier. J’adopte d’abord à cette fin les facteurs identifiés par la commission d’enquête en l’espèce - le coût financier, l’atteinte à la convention collective, le moral du personnel et l’interchangeabilité des effectifs et des installations. L’importance de l’exploitation de l’employeur peut jouer sur l’évaluation de ce qui représente un coût excessif ou sur la facilité avec laquelle les effectifs et les installations peuvent s’adapter aux circonstances. Lorsque la sécurité est en jeu, l’ampleur du risque et l’identité de ceux qui le supportent sont des facteurs pertinents. Cette énumération ne se veut pas exhaustive et les résultats qu’on obtiendra en mesurant ces facteurs par rapport au droit de l’employé de ne pas faire l’objet de discrimination varieront nécessairement selon le cas.

[le Tribunal souligne]

[231]    Ici, c’est principalement la sécurité de l’ensemble des personnes qui travaillent aux terminaux exploités par les défenderesses qui est en jeu.

[232]    Le Tribunal réfère aux paragraphes 43 à 111 du présent jugement qui décrit en détail l’environnement de travail aux terminaux en précisant les mesures de sécurité mises en place par les défenderesses, les risques associés au travail des camionneurs de ville ainsi que la mesure d’accommodement mise en place chez MGT pendant trois ans.

[233]    À la lumière de la loi et des règlements qui chapeautent leurs activités, le choix des défenderesses d’imposer le port du casque protecteur pour l’ensemble des travailleurs au port de Montréal, incluant les demandeurs, selon les modalités que comporte la Politique, est amplement justifié[94].

[234]    Existe-t-il d’autres mesures pouvant accommoder les demandeurs sans compromettre leur sécurité tout en permettant aux défenderesses de respecter leurs obligations légales?

[235]    La preuve n’en révèle aucune.

[236]    Les défenderesses soulignent qu’elles ont consacré beaucoup d’efforts pour mettre en place et appliquer à grands frais la mesure d’accommodement entre 2005 et 2008. Elles se plaignent du manque de collaboration des demandeurs qui se sont simplement limités à exiger une exemption du port du casque protecteur. Elles ne peuvent concevoir aucune autre mesure qui, tout en respectant les croyances religieuses des demandeurs, assurerait le respect de leurs obligations légales se rapportant à leur sécurité.

[237]    Les demandeurs ne suggèrent aucune autre solution. Ils se limitent, en effet, à exiger d’être exemptés du port du casque protecteur. Les conclusions de leur requête introductive d’instance vont dans le même sens.

[238]    Soulignons que la mesure d’accommodement appliquée pendant trois ans avait été conçue par MGT. Les deux rencontres entre les représentants des demandeurs et ceux de MGT ainsi que du syndicat s’étaient limitées à échanger des informations sur le port du turban dans la religion sikhe et requérir une exemption du port du casque pour les camionneurs de cette religion.

[239]    Pourtant, le devoir d’accommodement incombe à toutes les parties en cause. Les demandeurs ont aussi l’obligation d’aider l’employeur (et le syndicat) à en arriver à un compromis convenable[95]. Et ils ne peuvent s’attendre à une solution parfaite[96].

[240]    Ce qui frappe, ici, c’est l’absence de toute initiative ou collaboration des demandeurs visant à améliorer la mesure d’accommodement mise en place par MGT à compter d’août 2005. Aucun contact personnel avec des représentants des défenderesses après cette date. Hormis Harvirenderpal Singh Clair qui a demandé à son employeur d’éviter de l’assigner à des transports au port de Montréal, les demandeurs n’ont pas demandé, non plus, l’intervention de leur employeur auprès des défenderesses pour trouver d’autres solutions permettant de faciliter leur travail.

[241]    Les demandeurs ont plutôt opté pour le dépôt d’un recours judiciaire le 3 juillet 2006. La lettre du 8 mai 2006 de Me Grey qui le précède est d’ailleurs plutôt laconique[97] :

May 8, 2006

 

WITHOUT PREJUDICE

B PORT BICKERDYKE

851 Chemin Des Moulin

Montreal, Quebec

H3C 6V9

 

Attn: Mr. André Lachapelle

 

Re:        Our File: 13614

 

Dear Sir:

 

We represent the Sikh Community. We wrote to you last year.

 

The changes made are not satisfactory. Our clients are admitted to only two terminals, one serviced so slowly that they cannot function economically and cannot get out of the trucks. Two terminals refuse them outright.

 

In the meantime, The Supreme Court of Canada issued a judgment which should put an end to the debate.

 

Clearly, our clients are entitled to their rights. While the modalities can certainly be discussed, the present situation is not acceptable.

 

Yours truly,

 

GREY CASGRAIN

 

(signature)

Julius H. Grey

JHG/cg

c.c. Gurdwara Nanak Darbar Inc.

Syndicat des débardeurs

[242]    Le Tribunal conclut que la mesure d’accommodement mise en place entre 2005 et 2008 constituait une contrainte excessive pour MGT. De plus, la preuve ne démontre pas l’existence d’une autre mesure qui pourrait assurer le respect des croyances religieuses des demandeurs, soit l’interdiction de porter un casque protecteur par-dessus leur turban, tout en permettant aux défenderesses de se conformer à leur obligation légale d’assurer leur sécurité.

[243]    Autrement dit, le port obligatoire du casque protecteur est une exigence professionnelle justifiée et toute dérogation à cette politique constituerait une contrainte excessive pour les défenderesses. Cette exigence ne devient pas discriminatoire du seul fait qu’elle produit des résultats variables en fonction de différences personnelles.

[244]    Considéré sous l’angle de la Loi canadienne sur les droits de la personne, les défenderesses ont établi que la Politique ne constitue pas un acte discriminatoire envers les demandeurs. La preuve apportée par les défenderesses satisfait aux exigences des articles 15(1) g) et 15(2) de cette loi qui stipulent que :

15 (1) Ne constituent pas des actes discriminatoires :

[…]

g) le fait qu’un fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public, ou de locaux commerciaux ou de logements en prive un individu ou le défavorise lors de leur fourniture pour un motif de distinction illicite, s’il a un motif justifiable de le faire.

(2) Les faits prévus à l’alinéa (1)a) sont des exigences professionnelles justifiées ou un motif justifiable, au sens de l’alinéa (1)g), s’il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

[245]    En conclusion, bien qu’elle entraîne une discrimination prima facie, la Politique adoptée en juillet 2005 exigeant, notamment, le port obligatoire du casque protecteur des camionneurs lorsqu’ils circulent à l’extérieur de leur camion est néanmoins justifiée.

            iii.      La Politique constitue-t-elle une mesure économiquement prohibitive?

[246]    Un mot sur la prétention des demandeurs voulant que la Politique constitue à leur égard une mesure économiquement prohibitive.

[247]    La preuve démontre plutôt que le transport de conteneurs au port de Montréal constituait et constituent toujours une portion insignifiante de leur travail.

[248]    L’emploi actuel de Lakhvinder Singh comprend principalement du transport transfrontalier. Il franchit hebdomadairement des distances d’environ 4 000 km. Il ne se rend au port de Montréal que rarement.

[249]    Au moment de l’entrée en vigueur de la Politique en 2005, il effectuait du transport de conteneurs aux terminaux de MGT environ deux fois par semaine, ce qui s’est d’ailleurs poursuivi pendant quelques années.

[250]    Kashmir Singh est le principal actionnaire de la compagnie 3197794 Canada inc. dont la raison sociale est Har-G Transport[98]. Il y occupe les postes de président et de secrétaire. La compagnie est active dans le transport par camion depuis l’automne 2006.

[251]    Ayant 27 camionneurs à son emploi, son travail consiste surtout à gérer l’entreprise. Il agit aussi comme répartiteur, ayant deux autres employés qui exercent également cette fonction. Il ne conduit des camions que de manière occasionnelle.

[252]    Son entreprise fait régulièrement du transport de conteneurs au port de Montréal. Plusieurs de ses chauffeurs sont enregistrés auprès de Termont et de MGT[99].

[253]    À l’époque où la Politique est entrée en vigueur, il opérait son propre camion et exécutait du travail pour une entreprise de transport nommée Star[100]. Son témoignage est très imprécis sur la fréquence des transports qu’il effectuait aux terminaux des défenderesses. Avant le mois de juillet 2005, il aurait effectué du transport de conteneurs chez Empire « a few times », chez Termont « every day » et chez MGT « I don’t remember ». Dans son interrogatoire préalable du 31 août 2007, il indique n’avoir fait aucun transport chez Empire et un transport aux quatre jours chez Termont[101].

[254]    Après juillet 2005, il affirme dans un premier temps être retourné trois ou quatre fois au port de Montréal pour ensuite déclarer y être retourné environ 40 fois.

[255]    Son témoignage laisse perplexe.

[256]    Harvirenderpal Singh Clair travaille comme chauffeur d’autobus à Ottawa depuis 2007 ou 2008.

[257]    Tout comme pour Kashmir Singh, sa mémoire de certains faits est plutôt imprécise.

[258]    Il en est ainsi, notamment, de sa feuille de route comme chauffeur de camion. Au moment de son interrogatoire préalable le 30 août 2007, il déclare avoir été à l’emploi de Highland jusqu’au mois de février 2002[102], chez Transpel jusqu’à janvier ou février 2003[103], chez Acceed jusqu’à janvier ou février 2006[104] et ICT jusqu’à mars 2007 au moment où il a déménagé à Ottawa. Au procès, il dépose une feuille sur laquelle il a consigné ses périodes d’emplois[105]. Il aurait quitté Highland en février 2004 et non 2002, Transpel en janvier 2005 et non 2003, Acceed en mai 2006 et non janvier ou février 2006 et ICT en août 2006 et non mars 2007.

[259]    Il déclare que le pourcentage de son travail impliquant des transports au port de Montréal était occasionnel entre 1999 et 2004, de 20 % entre février 2004 et janvier 2005 et de 30 % entre janvier 2005 et mai 2006. Ces transports auraient été répartis de la manière suivante : en 2004-2005 (août), deux ou trois fois par mois chez Empire; en 2004-2005 (juillet), trois à quatre fois par semaine chez Termont; en 2004-2005, deux à trois fois par mois à chacun des deux terminaux de Cast, cette fréquence augmentant à dix fois par semaine en 2005-2006 (incluant les deux terminaux) et diminuant à cinq fois par semaine de mars à septembre 2006.

[260]    Il est difficile de concilier certains de ces chiffres avec la preuve.

[261]    Tout d’abord, rappelons que le terminal exploité par Termont a cessé ses opérations de 2003 jusqu’au début de mars 2006. De plus, les itinéraires quotidiens déposés par M. Singh Clair pour la période du 21 novembre au 2 décembre 2005[106], soit deux semaines consécutives, ne démontrent qu’un seul transport au port de Montréal, soit chez Cast le 1er décembre 2005. Ceux qu’il a déposés pour la période du 24 au 28 juillet 2006[107] se limitent à quatre transports chez Cast.

[262]    Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il existe une différence importante entre les déclarations de M. Singh Clair et le contenu des quelques documents déposés en preuve qui peuvent les confirmer.

[263]    Ceci dit, les itinéraires quotidiens de M. Singh Clair pour les deux périodes ci-haut mentionnées, postérieures à la mise en place de la Politique, démontrent que :

o      il a eu accès aux terminaux de Cast vraisemblablement en suivant la mesure d’accommodement puisqu’il refuse de porter un casque protecteur en raison de ses croyances religieuses;

o      les revenus quotidiens générés les jours où il effectue un transport chez Cast se comparent à ceux générés les jours où il n’en fait aucun.

[264]    Ce dernier constat n’accrédite pas le témoignage de M. Singh Clair voulant qu’après la mise en vigueur de la Politique en juillet 2005, les transports au port engendraient des pertes de temps importantes et une situation économique non-viable.

[265]    En somme, aucun des trois demandeurs n’a démontré que la mise en vigueur de la Politique a constitué, à leur égard, une mesure économiquement prohibitive.

C.      Existe-t-il une atteinte à la liberté de religion des demandeurs?

[266]    Les demandeurs sont-ils victimes d’une atteinte à leur liberté de religion?

[267]    Les dispositions ici applicables sont celles de l’article 3 de la Charte québécoise. Il apparaît utile d’en reproduire à nouveau le contenu :

3.          Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d’association.

[…]

[268]    Le professeur Peter Hogg rappelle, dans le passage suivant de son traité de droit constitutionnel[108], qu’un droit fondamental n’est pas absolu :

But even if there were perfect agreement on the precise scope of every guaranteed right, the application of the Charter would still be a difficult, policy-laden undertaking. This is because the civil liberties guaranteed by the Charter occasionally come into conflict with each other and frequently come into conflict with other values that are respected in Canadian society. A moment’s reflection is enough to show that the Charter’s values should not always take precedence over non-Charter values. Take freedom of expression, for example. This freedom is undeniably limited by many laws that restrict what a person is free to say or write, for example, laws respecting fraud, defamation, misleading advertising or labelling, sedition, official secrecy, blasphemy, obscenity, and contempt of court. No one would seriously suggest that s. 2 of the Charter should be applied to eliminate all laws limiting expression, because the purposes of some at least of these laws are just as valuable in their place as is freedom of expression. What is called for, obviously, is a compromise between the conflicting values.

(le Tribunal souligne)

[269]    Traitant en particulier de la liberté de religion, le juge La Forest, s’exprimant pour la Cour dans Ross c. Conseil scolaire du district nº 15 du Nouveau-Brunswick[109], indique que :

[…]   En réalité, notre Cour a confirmé que la liberté de religion garantit que chacun est libre d’embrasser et de professer, sans ingérence de l’État, les croyances et les opinions que lui dicte sa conscience. Cette liberté n’est toutefois pas absolue, étant restreinte par le droit des autres personnes d’embrasser et de professer leurs propres croyances et opinions, et de ne pas être lésées par l’exercice de la liberté de religion d’autrui. La liberté de religion est soumise aux restrictions nécessaires pour protéger la sécurité, l’ordre, la santé ou la moralité publics, ainsi que les libertés et droits fondamentaux d’autrui.

[le Tribunal souligne]

[270]    Pour établir une atteinte ou entrave à leur liberté de religion en vertu de la Charte québécoise[110], les demandeurs doivent démontrer[111] :

a.      qu’ils croient sincèrement que le port d’un casque protecteur va à l’encontre d’une de leurs croyances ayant un lien avec leur religion (critère de la croyance sincère); et

b.      que la conduite qu’ils reprochent aux défenderesses nuit d’une manière plus que négligeable ou insignifiante à leur capacité à se conformer à cette croyance (critère de l’atteinte plus que négligeable ou insignifiante).

[271]    Les demandeurs ont fait entendre un expert, Manjit Singh, sur certaines particularités de la religion sikhe. Son rapport est daté du 5 décembre 2012[112].

i.        Particularités de la religion sikhe

[272]    D’abord un mot sur les qualifications de M. Singh.

[273]    Il est diplômé en sciences économique et politique de l’Université de Delhi. Il y a aussi obtenu une maîtrise en histoire.

[274]    Après une carrière de plus de 20 ans au siège social d’Air Canada à Montréal, M. Singh a enseigné le sikhisme à la faculté des Sciences religieuses de l’Université McGill de 2002 à 2013. Il y exerce aussi la fonction d’aumônier sikh de 1999 à ce jour[113].

[275]    Les origines du sikhisme remontent au XVe siècle, dans la province de Pendjab, en Inde. Le fondateur et premier Gurû de cette religion monothéiste se nommait Nanak.

[276]    En 1699, le dixième et dernier Gurû a édicté que tout sikh baptisé, appelé Khalsa, doit conserver sur lui ou sur elle, en tout temps, cinq articles de foi. Ce sont :

a.        les cheveux (et la barbe) non coupés;

b.        un bracelet d’acier;

c.        un peigne en bois;

d.        un caleçon de type « boxer »;

e.        un kirpan ou une épée de petite taille.

[277]    De plus, l’homme Khalsa a l’obligation de porter le turban qui a pour fonction de protéger ses cheveux.

[278]    L’expert Singh s’exprime ainsi sur la signification du turban[114] :

Turban is an article of faith that has been made mandatory by the founders of Sikhism having immense spiritual significance. In the Sikh culture, a turban is a symbol of courage, self-respect, dedication, piety and sovereignty. It makes a Sikh more disciplined and virtuous person. It is intertwined with Sikh identity.

[279]    Contrairement à d’autres religions, le baptême sikh est généralement célébré plus tardivement, lorsque la personne est en mesure de comprendre la portée de l’engagement qu’il comporte. Avant le baptême, l’homme sikh pratiquant n’est pas tenu de porter sur lui les cinq articles de foi. Néanmoins, il doit faire serment de ne pas couper ses cheveux (ou sa barbe), de ne pas fumer et de s’abstenir de toute relation pré-maritale. Tout comme le Khalsa, il porte le turban.

[280]    La religion sikhe permet néanmoins au Khalsa de ne pas porter son kirpan dans certaines circonstances particulières comme, par exemple, dans un avion. Il le place alors dans ses valises destinées au compartiment à bagages après avoir récité une prière.

[281]    Comme le débat en l’instance concerne le port du casque protecteur, plusieurs questions ont été posées à l’expert Singh à ce sujet.

[282]    Il est clair pour lui qu’un sikh ne peut retirer son turban pour placer un casque protecteur sur sa tête. Il mentionne d’ailleurs ce qui suit, dans son rapport[115] :

Anyone who asks a Sikh to remove his turban and wear a hard hat clearly does not understand the psyche of a Sikh and his attachment to his Guru and the vows taken by a Sikh at the time of receiving baptism. Sikh history is full of many examples of Sikhs sacrificing their lives for the sake of keeping their right to wear turban.

[283]    Il en est de même pour le port d’une casquette ou d’un chapeau[116].

[284]    Son témoignage est cependant moins précis sur ce qui pourrait être porté sur le turban.

[285]    En effet, la religion sikhe n’interdit pas qu’une pièce de tissu ou une pellicule de plastique recouvre le turban pour le protéger de la pluie. M. Singh indique même rabattre, à l’occasion, le capuchon de son manteau sur sa tête.

[286]    Il précise néanmoins qu’au cours des deux guerres mondiales de 1914-18 et de 1939-45, les sikhs ont obtenu l’autorisation de l’armée alliée de combattre sans porter un casque.

[287]    Mais il reconnaît aussi qu’au XIXe siècle, plusieurs membres de l’armée du Maharaja Ranjit Singh en portaient un[117].

[288]    Il en est de même du nouveau ministre de la Défense du Canada, M. Harjit Sajjan, qui est photographié en Afghanistan en 2006, portant un casque sur son turban, alors qu’il était en mission au sein du Régiment de la Colombie-Britannique[118].

[289]    L’expert Singh conclut que généralement, selon la « règle du pouce » (« general rule of thumb »), un Khalsa ou un sikh pratiquant ne porte rien sur son turban. Il précise qu’il s’agit néanmoins d’un choix personnel et que personne ne sera exclu de la religion sikhe pour avoir porté un casque protecteur sur son turban.

ii.       Les demandeurs satisfont-ils au critère de la croyance sincère?

[290]    Dans leur plaidoirie, les défenderesses soutiennent que les demandeurs ne satisfont ni à l’un ni à l’autre des critères de la croyance sincère et de l’atteinte plus que négligeable ou insignifiante.

[291]    La position des défenderesses quant au premier critère remet en cause les admissions consignées par les parties peu avant le début du procès. Il s’agit des admissions suivantes[119] :

12.   La croyance religieuse des Demandeurs est sincère;

[…]

18.  Les demandeurs refusent de porter un casque de sécurité sur les Terminaux Défendeurs par-dessus leur turban en raison de leurs croyances religieuses, qu’il y ait ou non un risque de blessures à la tête.

[le Tribunal souligne]

[292]    L’avocat des demandeurs plaide que les défenderesses ne peuvent revenir sur leurs admissions une fois l’instruction terminée. Il a raison.

[293]    Même si les règles de la religion sikhe rapportées par l’expert Singh ne vont pas aussi loin que les croyances rapportées par les demandeurs, notamment quant à l’interdiction de porter un casque protecteur sur leur turban, les défenderesses ont néanmoins admis qu’il s’agissait là de leur croyance sincère.

[294]    Les admissions des parties visaient à réduire la durée du procès qui était initialement prévue pour 17 jours et qui a finalement été limitée à sept jours.

[295]    Dans la présentation de leur preuve et, en particulier lors de leur témoignage, les demandeurs étaient en droit de tenir pour acquis le contenu des admissions. En conséquence, ils n’ont vraisemblablement pas jugé opportun de présenter toute la preuve qu’ils auraient autrement déposée au dossier en l’absence des admissions citées plus haut.

[296]    Le Tribunal considère donc comme établi le fait que le port d’un casque protecteur par-dessus le turban va à l’encontre des croyances religieuses sincères des trois demandeurs.

[297]    Abordons maintenant l’analyse du deuxième critère.

iii.      Existe-t-il une atteinte plus que négligeable ou insignifiante au droit des demandeurs?

[298]     À cette étape, les demandeurs doivent démontrer que la politique constitue une atteinte plus que négligeable ou insignifiante à leur droit.

[299]    Les défenderesses abordent cette question sous l’angle du nombre peu élevé de transports effectués par les demandeurs aux terminaux exploités par les défenderesses[120] faisant en sorte que la Politique comporterait une atteinte négligeable à leur droit.

[300]    Cette façon d’aborder le critère de l’atteinte plus que négligeable ou insignifiante ne correspond pas au droit.

[301]     Dans l’affaire Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony[121], la juge en chef McLachlin reprend le passage suivant du juge en chef Dickson dans l’arrêt R. c. Edwards Books and Art Ltd[122] qui précise la portée de ce critère de la manière suivante :

La Constitution ne protège les particuliers et les groupes que dans la mesure où des croyances ou un comportement d’ordre religieux pourraient être raisonnablement ou véritablement menacés. Pour qu’un fardeau ou un coût imposé par l’État soit interdit par l’al. 2a), il doit être susceptible de porter atteinte à une croyance ou pratique religieuse. Bref, l’action législative ou administrative qui accroît le coût de la pratique ou de quelque autre manifestation des croyances religieuses n’est pas interdite si le fardeau ainsi imposé est négligeable ou insignifiant : voir à ce sujet l’arrêt R. c. Jones, [1986] 2 R.C.S. 284, le juge Wilson, à la p. 314. 

[le soulignement est celui de la juge McLachlin]

[302]    Le concept de l’atteinte plus que négligeable ou insignifiante mesure donc les effets de l’atteinte sur la croyance ou la pratique religieuse et non sa fréquence.

[303]    Ici, la Politique oblige les demandeurs à porter un casque protecteur sur leur turban ce que leur interdit leur croyance religieuse. Elle comporte donc une entrave importante car elle les force à renoncer à leur croyance religieuse pour avoir accès aux installations portuaires.

[304]    Les faits dans S.L. c. Commission scolaire des Chênes[123] diffèrent de ceux en l’instance mais leur analyse permet de mieux cerner ce que vise le critère de l’atteinte.

[305]    Dans cette affaire, certains parents s’opposaient à la fréquentation, par leurs enfants, du cours d’éthique et de culture religieuse dans leur école. Étant de religion catholique, ils prétendaient que ce cours portait atteinte à leur croyance religieuse.

[306]    Analysant le critère de l’atteinte, La Cour suprême reprenant l’analyse du juge de première instance, indique :

[27]      Pour s’acquitter de leur fardeau à l’étape de la preuve de l’atteinte, les appelants devaient démontrer que le programme ÉCR constituait, objectivement, une entrave à leur capacité de transmettre leur foi à leurs enfants. Ce n’est pas l’approche qu’ils ont adoptée. Ils ont plutôt prétendu qu’il leur suffisait d’affirmer que le programme portait atteinte à leur droit (m.a., par. 126). Comme je l’ai expliqué ci-dessus, l’affirmation des appelants que des motifs religieux sont à l’origine de leur objection à la participation de leurs enfants au cours ÉCR ne suffit pas. C’est donc à bon droit que le juge Dubois de la Cour supérieure a rejeté cette interprétation. Il s’est exprimé ainsi : « Il n’est pas tout de dire avec sincérité qu’on est catholique pratiquant pour prétendre qu’une présentation globale de différentes religions puisse nuire à celle que l’on pratique » (par. 51).

[307]    On constate que c’est donc l’importance du degré de l’atteinte qui est en jeu et non sa fréquence.

[308]    Le Tribunal est satisfait de la preuve apportée par les demandeurs voulant que la Politique constitue une entrave à leur liberté de religion.

[309]    Ceci dit, cette entrave est-elle justifiée?

[310]    L’article 9.1 de la Charte québécoise, qui a une portée équivalente à celle de l’article 1 de la Charte canadienne[124], se lit ainsi :

9.1        Les libertés et droits fondamentaux s’exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec.

La loi peut, à cet égard, en fixer la portée et en aménager l’exercice.

[311]    Cette disposition permettrait de restreindre la liberté de religion des demandeurs reconnue par la Charte québécoise si la Politique se justifiait en regard du respect des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec.

[312]    Le test développé par la jurisprudence en regard de l’article 1 de la Charte canadienne a été appliqué par la Cour d’appel à l’article 9.1 de la Charte québécoise[125]. Il comporte deux exigences :

a.      l’objectif poursuivi doit être suffisamment important pour justifier la restriction d’un droit fondamental (critère de l’objectif suffisamment important); et

b.      les moyens choisis doivent être proportionnels à l’objectif en question (critère de la proportionnalité).

[313]    Ces exigences sont similaires à celles déjà examinées par le Tribunal lorsqu’il s’est demandé si la politique était justifiée dans le cadre de son analyse de la discrimination fondée sur l’article 10 de la Charte québécoise[126].

[314]    La preuve apportée par les défenderesses concernant les risques d’accident aux terminaux qu’elles exploitent satisfait aisément au fardeau imposé par la première exigence. Le Tribunal réfère en particulier aux paragraphes 78 à 97 des présentes.

[315]    Abordons la deuxième exigence, soit le critère de la proportionnalité.

[316]    Le lien rationnel entre la politique et l’objectif poursuivi est lui aussi clairement démontré comme l’indiquent les paragraphes 220 à 224 du présent jugement.

[317]    L’atteinte est-elle minimale?

[318]    Il faut se demander si l’atteinte se situe à l’intérieur d’une gamme de mesures raisonnables[127] :

[50]   La deuxième étape de l’analyse de la proportionnalité constitue souvent le cœur du débat visant à déterminer si la violation d’un droit protégé par la Charte canadienne peut être justifiée. La restriction, qui doit porter le moins possible atteinte au droit ou à la liberté violée, ne doit pas nécessairement représenter la solution la moins attentatoire.  Dans RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, par. 160, notre Cour a défini ce critère de la façon suivante :

La restriction doit être « minimale » c’est-à-dire que la loi doit être soigneusement adaptée de façon à ce que l’atteinte aux droits ne dépasse pas ce qui est nécessaire. Le processus d’adaptation est rarement parfait et les tribunaux doivent accorder une certaine latitude au législateur.  Si la loi se situe à l’intérieur d’une gamme de mesures raisonnables, les tribunaux ne concluront pas qu’elle a une portée trop générale simplement parce qu’ils peuvent envisager une solution de rechange qui pourrait être mieux adaptée à l’objectif et à la violation.

[le Tribunal souligne]

[319]    Le Tribunal à déjà déterminé que la Politique exigeant le port du casque protecteur pour les camionneurs était nécessaire en raison des obligations légales imposées aux défenderesses et du risque réel de blessures à la tête[128].

[320]    Rappelons que la santé et la sécurité au travail constituent une valeur importante de notre société depuis au moins les cinquante dernières années. Des organismes gouvernementaux ainsi que des comités créés au sein des entreprises, le plus souvent patronaux-syndicaux, veillent au respect de l’application des lois et des règlements à cet égard afin d’assurer aux travailleurs des conditions de travail sécuritaires. Le port du casque protecteur n’est pas une mesure exceptionnelle. Il est exigé sur les chantiers de construction et dans nombre d’usines. La prudence est devenue une obligation légale que sanctionne dorénavant le Code criminel.

[321]    L’expression utilisée par l’expert Marie-Andrée Lorange pour décrire l’environnement dans les terminaux des défenderesses est éloquente : « une fourmilière dans un monde de titans ».

[322]    Comment les défenderesses pourraient raisonnablement justifier le port du casque protecteur pour l’ensemble des travailleurs dans les terminaux et créer une exception pour les demandeurs? Les risques ne sont pas moindres parce que les demandeurs sont de religion sikhe et portent le turban. Les obligations de sécurité incombant aux défenderesses ne sont pas moins exigeantes, non plus, envers les demandeurs qu’envers tous les autres travailleurs.

[323]    C’est dans ce contexte qu’a été mise en place une mesure d’accommodement qui finalement s’est avérée constituer une contrainte excessive pour les défenderesses et qui, de toute manière, a été boudée par les demandeurs.

[324]    Compte tenu de ce qui précède, le critère de la proportionnalité devient moins important.

[325]    En tout état de cause, ici, les effets bénéfiques de la Politique, soit assurer la sécurité des personnes travaillant aux terminaux des défenderesses, surpassent les effets préjudiciables subis par les demandeurs, soit le port du casque protecteur pendant les cinq à dix minutes où ils circulent à pied pendant leur présence au port lors d’un transport ou, alternativement, leur décision de ne plus effectuer de transport de conteneurs aux terminaux exploités par les défenderesses.

[326]    En conclusion, bien que les demandeurs aient démontré une atteinte plus que négligeable ou insignifiante à leur droit à la liberté de religion, cette entrave est justifiée en regard de l’article 9 de la Charte québécoise.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[327]    REJETTE le recours des demandeurs;

[328]    AVEC FRAIS DE JUSTICE.

 

 

__________________________________

ANDRÉ PRÉVOST, J.C.S.

 

Me Julius Grey

Me Véronique Cyr

Me Elisabeth Goodwin

Grey Casgrain

Pour les demandeurs

 

 

Me Justine B. Laurier

Borden Ladner Gervais

Pour Montréal Gateway Terminals Partnership

 

Me Vikki-Ann Flansberry

Denton Canada

Pour Empire Stevedoring Co. Ltd., Termont Terminals inc., Montréal Port Authority et Syndicat des débardeurs

 

Dates d’audience :

Du 16 au 24 novembre 2015

 



[1]     RLRQ., c. C-12.

[2]     LRC 1985, ch. H-6.

[3]     L.C. 1998, ch. 10.

[4]     Admissions, 10 novembre 2015.

[5]     D-5.

[6]     La grue portique est communément appelée « Transtainer ». Il s’agit d’une grue géante qui déplace et empile les conteneurs.

[7]     Termont a interrompu ses activités au terminal Maisonneuve de 2003 à 2006. Elle a offert le même accommodement à la reprise de ses activités au printemps 2006.

[8]     Les mots soulignés ont été ajoutés lors du troisième amendement à la requête introductive d’instance le 9 novembre 2015.

[9]     Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.)].

[10]    30 & 31 Victoria, ch. 3 (R.-U.).

[11]    L.R.C. 1985, ch. L-2.

[12]    L.R.C. 1985, c. C-46.

[13]    Voir le plan du port, D-1.

[14]    Il ne s’agit pas de l’ouest géographique, mais plutôt de la direction cardinale utilisée par les habitants de la région montréalaise. La position géographique exacte de ce terminal est sud-sud-ouest.

[15]    Ce terminal s’est ajouté aux opérations de Termont en mars 2015.

[16]    Les vérificateurs ont pour fonction d’identifier les conteneurs et de s’assurer de leur destination.

[17]    Empire transborde de 50 000 à 60 000 conteneurs annuellement pour son principal client, Oceanex.

[18]    Photos D-13, D-31 et D-32. Empire n’utilise pas de grue portique.

[19]    Photo D-35.

[20]    Le guide à l’intention des camionneurs, édition 2015 (incorporé à D-5), rapporte la procédure à suivre en y incorporant des schémas et des photographies. Les rapports d’expertise préparés par Yves Montpetit en 2009 (D-6) et Marie-Andrée Lorange en 2015 (D-6c) décrivent aussi les activités de travail des camionneurs.

[21]    Pour Empire, l’accès se fait à partir du chemin des Moulins.

[22]    Photos P-9.

[23]    La procédure relative au mode export s’applique aussi à un conteneur vide que le camionneur rapporte au terminal.

[24]    Chez Termont, ce bureau est situé au point B apparaissant sur la photo D-26. Le système étant automatisé, de là, le camionneur se rend au point C où le camion est identifié. C’est le point d’entrée officiel du terminal. Le parcours se poursuit au point D où le camionneur enregistre numériquement sa transaction sans descendre de son camion (D-27 et D-28). Il se dirige ensuite vers l’aire de chargement ou de déchargement.

      Chez Empire, le camionneur stationne son véhicule au point B sur la photo D-38. De là, il se rend à pied au kiosque d’enregistrement (point D) pour obtenir la documentation nécessaire. Il revient à son camion et entre dans le terminal en passant à nouveau au point D.

[25]    Photo D-13.

[26]    La procédure est semblable chez Termont. À la sortie, le camionneur ne sort pas de son camion car il n’a qu’à glisser son billet et sa carte d’identité dans un lecteur électronique situé au point G (3e photo de D-26). Chez Empire, comme seuls les charriots élévateurs sont utilisés, le camionneur ne descend pas de son camion pendant le déchargement du conteneur. Toutefois, s’il rapporte un conteneur vide, il doit sortir de son véhicule pour en procéder à l’inspection au point G.

[27]    La durée est la même chez Termont et Empire bien qu’il existe certaines différences dans le processus du parcours.

[28]    Id.

[29]    D-5, note de service du 6 avril 2004, p.1 à 6.

[30]    Empire y participe environ trois fois pas année.

[31]    «  Il incombe à quiconque dirige l’accomplissement d’un travail ou l’exécution d’une tâche ou est habilité à le faire de prendre les mesures voulues pour éviter qu’il n’en résulte de blessure corporelle pour autrui. »

Cet article est entré en vigueur le 31 mars 2004.

[32]    Le terminal Termont a cessé ses opérations de 2003 jusqu’au début de mars 2006.

[33]    DORS/86-304.

[34]    D-10, p. 2.

[35]    D-5, p. 7-8 et P-1.

[36]    Id., p. 9.

[37]    Id., p. 10 à 16. Ces directives suivent une promesse de conformité volontaire du 28 avril 2005 (D-9).

[38]    Empire publicise également les exigences du port du casque protecteur. Les avis D-36 et D-37 en sont des exemples. Selon Don Scardochio, le directeur de l’exploitation, de tels avis ont été publiés dès l’entrée en vigueur de la politique en 2005.

[39]    D-29 et D-33.

[40]    D-4b : on y retrouve des échantillons de cinq constats d’infraction émis par MGT.

[41]    La pièce P-1 comprend deux avis sommaires adressés à des employeurs.

[42]    D-4, p. 1à 3.

[43]    Id., p. 4 à 7.

[44]    Id., p. 8 à 52.

[45]    Yves Montpetit, Évaluation des risques de blessures à la tête pour les camionneurs privés qui sont amenés à circuler à pied sur les terminaux du Port de Montréal, 24 septembre 2009 (D-6).

[46]    Marie-Andrée Lorange, Rapport d’évaluation ergonomique - identification des facteurs de risque de blessures à la tête chez les chauffeurs de camions privés lorsqu’ils circulent à pied sur les terminaux au port de Montréal, 23 juillet 2015 (D-6c).

[47]    Plus l’indice de criticité est élevé, plus le risque est élevé et plus les moyens de prévention doivent être mis en œuvre : précité, note 45, p. 13.

[48]    Id., p. 14 à 21.

[49]    Id., p. 23.

[50]    Précité, note 46. p. 23.

[51]    P-5.

[52]    2012 CSC 23, [2012] 2 R.C.S. 3.

[53]    [1955] R.C.S. 529.

[54]    Précité, note 52, par. 17.

[55]    Id., par. 23.

[56]    Ces devoirs sont plus amplement décrits aux chapitres suivants se rapportant au Code canadien du travail et au Code criminel.

[57]    SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573, p. 593-604.

[58]    MORIN, Alexandre, Le droit à l’égalité au Canada, 2e éd., LexisNexis, 2012, p. 223.

[59]    Art. 15(1)g) de la loi.

[60]    Art. 15(2) de la loi.

[61]    Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, 102 A.C.W.S. (3d) 344, par. 22-23 (C.F.); Nutreco Canada Inc. (Meunerie Shur-Gain Yamachiche), 2012 TSSTC 27, par. 25.

[62]    DORS/2010-120.

[63]    Précité, note 33.

[64]    Québec (Procureur général) c. IMT-Québec Inc., 2016 QCCS 4337.

[65]    Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta., 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3.

[66]    2010 CSC 39, [2010] 2 R.C.S. 536. Voir aussi : Marine Services International Ltd. c. Ryan (Succession), 2013 CSC 44, par. 54-56.

[67]    Par. 116 à 126 du présent jugement.

[68]    Arrêt Tessier, précité, note 52, par. 24.

[69]    NIL/TU,O Child and Family Services Society c. B.C. Government and Services Employees’ Union, 2010 CSC 45, [2010] 2 R.C.S. 696, par. 11 (repris dans l’arrêt Tessier).

[70]    Précité, note 66.

[71]    D-5.

[72]    Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Saskatchewan, [2005] 1 R.C.S. 188, par. 11; Saskatchewan (Procureur général) c. Lemare Lake Logging Ltd., 2015 CSC 53, par.15.

[73]    Arrêt COPA, précité, note 66.

[74]    Précité, note 72, par. 21.

[75]    Id. Voir aussi : Marine Services International Ltd., précité, note 66, par. 69.

[76]    Id., par. 22.

[77]    Id., par. 26.

[78]    Précité, note 11.

[79]    Précité notes 33 et 62.

[80]    Art. 124 Code canadien du travail.

[81]    Id., art. 125.

[82]    Arrêt Lemare Lake Logging, précité, note 72, par. 18.

[83]    2015 CSC 39.

[84]    La même analyse s’applique aussi à la Charte canadienne : Nijjar c. Canada 3000 Airlines Ltd., [1999] D.C.D.P. No. 3, par. 16.

[85]    Précité, note 83, par. 35, 36 et 56.

[86]    Id., par. 37 et 64.

[87]    Id., par. 40-41.

[88]    Par. 83 à 97 du présent jugement.

[89]    [1999] 3 R.C.S. 3.

[90]    [1999] 3 R.C.S. 868.

[91]    Arrêt Meiorin, précité, note 89, par. 59.

[92]    Id., par. 57.

[93]    [1990] 2 R.C.S. 489, 520-521.

[94]    Neptune Bulk Terminals (Canada) Ltd. c. I.L.W.U., Local 514, 135 L.A.C. (4th) 97, par. 89-92.

[95]    Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970, 994; repris dans Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, [2007] 1 R.C.S. 161, par. 22.

[96]    Central Okanagan, Id., p. 995.

[97]    P-5.

[98]    D-16 et D-17.

[99]    D-18 et D-20.

[100]   Sa relation avec Star s’est étalée du milieu de l’année 2004 à septembre 2006.

[101]   Interrogatoire préalable de Kashmir Singh, 31 août 2007, p. 25-26.

[102]   Interrogatoire préalable de Harvirenderpal Singh Clair, 30 août 2007, p. 22.

[103]   Id., p. 23.

[104]   Id., p. 36-37.

[105]   D-12.

[106]   D-15.

[107]   D-14.

[108]   Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, vol. 2, 5º éd., Toronto, Carswell, 2007 (feuilles mobiles - mise à jour 1-2014), chap. 36, pp. 12-13.

[109]   [1996] 1 R.C.S. 825, par. 72. Ce principe a été confirmé dans Syndicat Northcrest c. Anselem, [2004] 2 R.C.S. 551, par. 136.

[110]   Les mêmes principes s’appliquent à la Charte canadienne.

[111]   Syndicat Northcrest c. Anselem, précité, note 109, par. 56-57.

[112]   P-7.

[113]   Curriculum vitae de M. Singh, P-7A.

[114]   P-7, p. 2.

[115]   Id.

[116]   Id., p. 1.

[117]   D-11.

[118]   D-42. Le lieutenant-colonel Sajjan a été baptisé dans la religion sikhe (D-43).

[119]   Précité, note 4.

[120]   En ce qui concerne Harvirenderpal Singh Clair, en particulier, il a quitté son emploi de camionneur pour devenir chauffeur d’autobus à Ottawa.

[121]   2009 CSC 37, [2009] 2 R.C.S. 567, par. 32.

[122]   [1986] 2 R.C.S. 713, 759.

[123]   2012 CSC 7, [2012] 1 R.C.S. 235.

[124]   Godbout c. Longueuil (Ville), [1997] 3 R.C.S. 844, par.3.

[125]   Section locale 143 du Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier c. Goodyear Canada inc., 2007 QCCA 1686, par. 16-18.

[126]   Paragraphes 211 à 233 du présent jugement.

[127]   Multani c. Commission scolaire Marguerite Bourgeoys, 2006 CSC 6, [2006] 1 R.C.S. 256, par. 40.

[128]   Paragraphes. 78 à 97, 139 à 152 et 211 à 233 du présent jugement.

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