Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales et Directeur des poursuites criminelles et pénales | 2024 QCCFP 12 | |||
COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE | ||||
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CANADA | ||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||
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DOSSIER No : | 2000014 | |||
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DATE : | 23 mai 2024 | |||
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DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF : | Mathieu Breton | |||
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ASSOCIATION DES PROCUREURS AUX POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES | ||||
Partie demanderesse | ||||
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DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES | ||||
Partie défenderesse | ||||
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(Article 16, Loi sur le processus de détermination de la rémunération des procureurs aux poursuites criminelles et pénales et sur leur régime de négociation collective, RLRQ, c. P‑27.1) | ||||
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[1] Le 12 octobre 2022, l’Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales (Association) dépose un avis de mésentente à la Commission de la fonction publique (Commission) conformément à l’article 16 de la Loi sur le processus de détermination de la rémunération des procureurs aux poursuites criminelles et pénales et sur leur régime de négociation collective[1] (Loi) et à l’article 9‑1.04 de l’Entente relative aux conditions de travail des procureurs aux poursuites criminelles et pénales 2019‑2023 (Entente).
[2] L’Association conteste la décision du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) de refuser en avril 2022, en raison des nécessités du service, toutes les demandes de vacances, pour la période du 21 décembre 2022 au 4 janvier 2023, présentées par les procureurs aux poursuites criminelles et pénales du Bureau de service-conseil (BSC).
[3] Dans son recours, elle indique notamment :
[…]
Nous soumettons que ce refus du DPCP contrevient et restreint la portée réelle de l’Entente. Par cette décision abusive et illégitime, le DPCP fait notamment fi de la règle de l’ancienneté pénalisant ainsi tous les ppcp [procureurs aux poursuites criminelles et pénales] du BSC tout en escamotant la notion des nécessités du service.
Ainsi, nous demandons à ce que cette décision soit déclarée abusive, nulle et en contravention de l’Entente, notamment le chapitre 5, section 5-1.00 ainsi que le chapitre 10, section 10-2.00. De plus, nous demandons à ce que les procureurs concernés soient compensés pour tous les préjudices subis découlant de ce refus, incluant le versement de dommages moraux, le tout avec intérêts.
[…]
[Transcription textuelle]
[4] Il est convenu que la Commission statue sur l’avis de mésentente au fond et, le cas échéant, réserve sa compétence par rapport aux préjudices et aux mesures de réparation.
[5] L’Association allègue que, par son refus, l’employeur a contrevenu à l’Entente et a pris une décision abusive qui doit être déclarée nulle.
[6] Pour sa part, le DPCP prétend qu’il a respecté l’Entente et qu’il n’y a pas eu d’abus de droit dans la présente affaire.
[7] La Commission doit répondre aux questions en litige suivantes :
2) Cette même décision constitue-t-elle de l’abus de droit?
[8] La Commission juge que la décision du DPCP respecte l’Entente et qu’elle ne constitue pas de l’abus de droit. L’avis de mésentente doit donc être rejeté.
CONTEXTE ET ANALYSE
[9] Le BSC exerce une mission particulière au sein du DPCP qui amène les procureurs y travaillant à détenir un horaire atypique.
[10] Ces derniers doivent, en dehors des heures normales de bureau du DPCP, assurer un service‑conseil aux policiers et s’occuper des comparutions des personnes en détention. Ces procureurs travaillent donc souvent le soir, la nuit, la fin de semaine et les jours fériés. Ils accomplissent leur travail à partir de leur domicile par téléphone ou par visioconférence.
[11] Le BSC comptait environ 15 procureurs, répartis dans 3 équipes, jusqu’en juin 2021. Depuis ce moment, cette unité comporte quelque 30 procureurs répartis au sein de 6 équipes. Cette augmentation d’effectifs est due en grande partie à un changement majeur dans le système judiciaire visant à faire comparaître dans un délai plus court les personnes en détention arrêtées le vendredi ou durant la fin de semaine. Des quarts de travail de jour en semaine ont aussi été ajoutés.
[12] Ce nombre d’employés est bien souvent insuffisant, encore plus lorsque des procureurs sont absents du travail, notamment en raison de vacances, d’invalidité ou de congé de maternité. De plus, des postes sont parfois vacants à la suite de départs d’employés. Le BSC a donc recours à des procureurs d’autres unités du DPCP sur une base volontaire. Ces employés doivent suivre une formation avant de travailler pour le BSC.
[13] Le 15 février 2022, Me Érika Porter, procureure en chef, transmet un courriel aux procureurs du BSC pour les inviter à soumettre leurs demandes de vacances :
Bonjour à tous,
Considérant la clause 5-1.06 de l’Entente indiquant que l’employeur doit afficher les dates de vacances des procureurs au courant du mois d’avril, nous devons enclencher dès aujourd’hui ce chantier.
Pour se faire, il vous est demandé de nous soumettre la planification de vos vacances pour la prochaine année en tenant compte de ceci :
1. Planifier votre période de vacances en équipe
2. Tenir pour acquis qu’au maximum deux coéquipiers peuvent prendre leurs vacances en même temps
3. Référer au PCA en cas de conflit
Pour ce qui est de vos demandes concernant le temps des fêtes, plus précisément du 15 décembre 2022 au 15 janvier 2023, elles seront analysées seulement en novembre prochain. Avant de pouvoir les accorder, il nous faut assurer de combler les besoins du service avec l’aide des procureurs supplémentaires. Nous allons vous faire un rappel au mois de septembre pour nous assurer que nous avons les demandes de tous. Soyez assurés que nous allons gouverner par l’équité lors de l’octroi de ces congés.
Vous trouverez ci-joint la planification des horaires d’avril à la première semaine de janvier 2023. Votre projet de vacances doit être acheminé à votre procureur chef adjoint ainsi qu’à l’adresse BSC au plus tard le 8 mars 2022.
Si toutefois vous avez des questions ou si vous désirez obtenir un délai supplémentaire, n’hésitez pas à communiquer avec votre PCA.
[Transcription textuelle; caractères gras et soulignement dans le texte original]
[14] Le 30 avril 2022, Me Catherine Duguay, procureure en chef adjointe, envoie un courriel à ces mêmes procureurs pour notamment les informer que toutes les demandes de vacances concernant la période du 21 décembre 2022 au 4 janvier 2023 ont été refusées :
Bonjour,
Vous trouverez sous la GID à 02521_Horaire de travail /les vacances 2022‑2023 qui ont été approuvées.
L’approbation est indiquée par une case colorée verte ou rose dans laquelle est inscrit un V (pour vacances).
Vous remarquerez que les demandes de vacances formulées pour toute période prévue entre le 21 décembre 2022 et le 4 janvier 2023 ont été refusées considérant les nécessités du service.
Cependant, cette dernière période sera réévaluée ultérieurement à la lumière des nécessités du service.
[…]
[Transcription textuelle]
[15] Au cours des mois suivants, des échanges ont lieu entre le DPCP et l’Association au sujet de l’horaire de travail des procureurs du BSC durant le temps des fêtes et de l’octroi de congés à ces employés.
[16] L’Association souhaite notamment proposer à l’employeur un horaire spécial concernant cette période. Cependant, elle annonce, le 14 septembre 2022, qu’elle n’est pas parvenue à établir un tel horaire.
[17] Le 27 septembre 2022, Me Porter transmet un courriel aux procureurs du BSC :
Bonjour à tous et à toutes,
Dans la communication du 30 avril 2022, nous vous informions que les demandes de vacances formulées pour la période des fêtes, soit entre le 21 décembre 2022 et le 4 janvier 2023, avaient été refusées. Nous ajoutions que ces demandes pourraient faire l’objet d’un nouveau choix et être ajoutées ultérieurement à la lumière des nécessités du service.
Nous le comprenons, il y a eu mécontentement. Des discussions avec l’Association des procureurs et procureures aux poursuites criminelles et pénales (APPCP) ont eu lieu pendant l’été afin de parvenir à une autre solution, mais en vain.
Septembre arrivant presque à sa fin, nous lancerons au courant des prochains jours un sondage à l’ensemble du DPCP afin de sonder la disponibilité des procureurs notamment, mais non limitativement, pour la période du 23 décembre 2022 au 4 janvier 2023.
Suivant la réception de ces disponibilités, nous espérons pouvoir envisager l’ajout de vacances tout en nous assurant que les nécessités du service soient comblées.
Ainsi, nous vous demandons de bien vouloir nous transmettre vos demandes d’ajout de vacances d’ici le 14 octobre. Une fois le processus complété, tant pour les procureurs supplémentaires que pour nos procureurs réguliers, nous analyserons le tout et rendrons une décision dès que possible. Votre demande doit être acheminée par courriel à votre procureur en chef adjoint en mettant en copie conforme l’adresse suivante : […].
Je me permets d’ajouter ce qui suit. L’an dernier certains de nos nouveaux procureurs sont arrivés avec des vacances autorisées que nous nous sommes fait un devoir d’honorer. Toutefois, rendre le service pendant la période des fêtes, soit être présent lorsque le réseau du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) ne l’est pas, fait partie intégrante de la mission du Bureau de Service-conseil (BSC). Que ce soit pour les demandes de conseils ou de comparutions de fins de semaine et de jours fériés, cette période de l’année est celle qui requiert le plus de ressources pour le BSC.
Afin de vous permettre de bien faire votre choix, vous trouverez ci-joint l’horaire projeté à ces dates compte tenu des dispositions actuelles de l’Entente.
Nous vous remercions pour votre dévouement, votre compréhension et votre collaboration habituelle.
[…]
[Transcription textuelle; caractères gras dans le texte original]
[18] Au cours de l’automne 2022, l’employeur autorise des congés demandés par ces procureurs lorsque suffisamment de personnes sont disponibles pour travailler durant une plage horaire. Le DPCP n’est toutefois pas en mesure d’accorder tous les congés demandés.
[19] La section 10-2.00 de l’Entente concerne spécifiquement les procureurs du BSC. Les articles 10-2.01 à 10-2.06 de cette section prévoient :
10-2.01 Sous réserve des exceptions mentionnées ci-dessous, les dispositions de la présente section s’appliquent au procureur qui occupe un emploi au Bureau de service‑conseil.
10-2.02 Le port d’attache du procureur est situé à l’intérieur de la province de Québec à son lieu de domicile.
10-2.03 L’horaire de garde en vigueur à la date de signature de l’entente est déterminé par l’employeur selon les besoins du service. Le directeur peut modifier l’horaire de garde après avoir consulté l’association. Après cette consultation, le directeur doit aviser les procureurs concernés de tout changement d’horaire, et ce, au moins quarante-cinq (45) jours à l’avance.
10-2.04 La journée normale de garde se situe :
a) lors d’un jour ouvrable : entre seize heures trente (16h30) et huit heures trente (08h30) le lendemain ;
b) le samedi, le dimanche ou un jour férié et chômé : entre huit heures trente (08h30) et huit heures trente (08h30) le lendemain.
10-2.05 Pour chaque période de garde de huit (8) heures prévue à l’horaire du procureur, une absence équivaudra à un (1) jour.
10-2.06 Durant l’occupation effective de son emploi, le procureur affecté au Bureau de service-conseil se voit octroyer un jour de congé avec maintien du traitement et des avantages sociaux pour chaque jour férié et chômé qui survient et qui est prévu à l’article 5-2.01 de l’Entente. Cette disposition ne s’applique pas au procureur qui bénéficie du régime d’assurance-traitement lors de ce jour férié et chômé.
Le procureur choisit la date à laquelle il désire prendre son congé. Cette date est soumise à l’approbation de l’employeur qui tient compte des nécessités du service.
Le congé doit être utilisé avant la prise de jours de vacances.
[20] Conformément à l’article 5-2.01 de l’Entente, la période du 21 décembre 2022 au 4 janvier 2023 comporte six jours fériés, soit :
- le vendredi 23 décembre 2022;
- le lundi 26 décembre 2022;
- le mardi 27 décembre 2022;
- le vendredi 30 décembre 2022;
- le lundi 2 janvier 2023;
- le mardi 3 janvier 2023.
[21] Cette période comprend aussi quatre jours de fin de semaine, soit :
- le samedi 24 décembre 2022;
- le dimanche 25 décembre 2022;
- le samedi 31 décembre 2022;
- le dimanche 1er janvier 2023.
[22] L’Association conteste le refus, en avril 2022, de toutes les demandes de vacances présentées par les procureurs du BSC pour la période du 21 décembre 2022 au 4 janvier 2023. L’employeur invoque les nécessités du service pour justifier ce « refus généralisé » pour cette période.
[24] Par conséquent, la Commission ne peut pas intervenir. En effet, il ne lui appartient pas de déterminer si une meilleure décision de gestion aurait pu être prise puisque le DPCP a exercé de manière raisonnable son droit de gérance sans contrevenir aux dispositions de l’Entente. L’article 1-3.01 de cette dernière prévoit d’ailleurs :
1-3.01 L’employeur conserve le libre exercice de tous ses droits d’employeur sauf si les dispositions prévues à la présente entente stipulent le contraire.
[25] L’Association prétend que le DPCP brime le droit des procureurs du BSC « de connaître à l’avance [les dates de leurs] vacances annuelles ». Elle allègue que l’article 5‑1.06 de l’Entente n’a pas été respecté. Cet article énonce :
5-1.06 Les procureurs choisissent, par ordre d’années de service ou de service continu, les dates auxquelles ils désirent prendre leurs vacances. Ces dates sont soumises à l’approbation de l’employeur qui tient compte des nécessités du service. Au cours du mois d’avril, la liste des dates de vacances est affichée à la vue des procureurs.
[26] L’Association soutient que, d’après le libellé de cette disposition, l’employeur ne peut pas refuser « en bloc » toutes les vacances demandées par les procureurs du BSC pour une période déterminée. Elle estime qu’il devrait au minimum autoriser quelques jours de vacances à certains procureurs, selon leur ancienneté, en réalisant une « étude particulière et individualisée ».
[27] La Commission n’est pas d’accord avec cette interprétation. L’article 5-1.06 de l’Entente prescrit que les dates de vacances choisies par les procureurs doivent être soumises à l’approbation de l’employeur, ce qui implique nécessairement qu’il peut refuser des demandes. Cette disposition impose seulement à l’employeur de tenir compte des nécessités du service et, selon la preuve prépondérante, c’est justement ce qu’il a fait.
[28] L’Association reconnaît « qu’il pouvait être légitime pour le DPCP de craindre pour la continuité des services au BSC pendant la période des Fêtes ». La décision de l’employeur, fondée sur ce motif, ne peut donc pas contrevenir à l’Entente ni constituer un exercice abusif du droit de gérance.
[29] L’article 5-1.06 de l’Entente précise que les dates de vacances autorisées, en vertu de cette disposition, doivent être affichées en avril, ce qui explique le moment où le DPCP a signifié le refus de toutes les vacances demandées pour la période du 21 décembre 2022 au 4 janvier 2023.
[30] En avril 2022, selon son expérience des années antérieures et en prenant en compte le changement majeur dans le système judiciaire mentionné précédemment, l’employeur considère qu’il ne peut pas, pour le moment, autoriser de vacances pour cette période sans savoir quels procureurs d’autres unités du DPCP se porteront volontaires pour que le BSC puisse réaliser ses mandats, si des procureurs de cette dernière unité qui devaient travailler sont absents.
[31] L’employeur évalue avoir besoin au BSC, pour les quarts de travail de cette période, de 27 procureurs le jour, de 6 procureurs le soir et de 5 procureurs la nuit.
[32] L’Association ne remet pas en cause cette évaluation des besoins, mais elle reproche au DPCP de ne pas avoir été proactif en avril 2022 ou antérieurement pour que les nécessités du service soient assurées lors de la période des fêtes 2022‑2023. La Commission juge toutefois qu’il est raisonnable pour l’employeur de sonder, seulement à l’automne, l’intérêt des procureurs des autres unités du DPCP afin d’avoir un portrait plus précis de leurs disponibilités à travailler au BSC durant la période des fêtes.
[33] De plus, l’article 5-1.06 de l’Entente n’impose pas de minimum de jours de vacances à accorder pour une période donnée. Il ne limite pas la discrétion de l’employeur quant au nombre de jours de vacances à autoriser ou à refuser parmi les demandes soumises par les procureurs.
[34] À première vue, il pourrait paraître particulier pour un employeur de refuser, en avril 2022, toutes les vacances demandées pour la période du 21 décembre 2022 au 4 janvier 2023. Il ne faut toutefois pas perdre de vue l’horaire de travail atypique des procureurs du BSC et la raison d’être de cette unité administrative.
[35] Il s’agit d’une période exigeante pour le BSC en raison des nombreux jours de congé dont bénéficient les employés des autres unités du DPCP. Ces derniers peuvent également être moins disponibles pour effectuer, sur une base volontaire, du travail au BSC durant la période des fêtes.
[36] Il faut bien comprendre qu’en vertu de l’horaire atypique, qui détermine sur une séquence de six semaines les jours de travail et de congé des procureurs du BSC, il était déjà prévu en avril 2022 que certains d’entre eux ne travaillent pas à divers moments du 21 décembre 2022 au 4 janvier 2023.
[37] En effet, l’horaire des procureurs de cette unité est établi sur un cycle prévisible de six semaines. Par conséquent, il est possible pour un procureur de déterminer, même à long terme, s’il travaillera ou s’il sera en congé à une date en particulier. Il est à noter que, sur une période de 6 semaines, les procureurs du BSC travaillent normalement 240 heures réparties sur environ 20 jours alors que, dans les autres unités du DPCP, les procureurs travaillent un nombre d’heures similaires réparties habituellement sur 30 jours.
[38] Les procureurs du BSC doivent s’attendre à travailler durant les moments où ceux des autres unités du DCPC sont en congé. Il s’agit de la mission du BSC et l’employeur a exercé de manière raisonnable son droit de gérance dans ce contexte.
[39] Les services dispensés par le BSC en dehors des heures normales de bureau, soit conseiller les policiers et s’occuper des comparutions des personnes en détention, ne peuvent pas être limités ni « mis sur pause » durant la période des fêtes. Au sein d’un État de droit, ces services doivent en tout temps être assurés.
[40] En outre, bien que l’article 5-1.06 de l’Entente stipule que les procureurs doivent être informés en avril des vacances accordées en vertu de cette disposition, la Commission note que le fait que le DPCP ait autorisé à l’automne 2022 des vacances après que les procureurs du BSC aient soumis de nouvelles demandes, concernant la période du 21 décembre 2022 au 4 janvier 2023, respecte également l’Entente.
[41] L’article 5-1.11 mentionne en effet que le DPCP peut autoriser, en tenant compte des nécessités du service, « un nouveau choix à un procureur […] qui désire ajouter des dates de vacances » :
5-1.11 Malgré l’article 5-1.06, l’employeur peut autoriser un nouveau choix à un procureur qui désire changer la date de ses vacances ou qui désire ajouter des dates de vacances. Ces dates sont soumises à l’approbation de l’employeur qui tient compte des nécessités du service. L’autorisation ou le refus de l’employeur doit être transmis au procureur dans un délai raisonnable.
[42] Qui plus est, l’article 10-2.06 de l’Entente, qui s’applique uniquement aux procureurs du BSC, prévoit que ces derniers peuvent prendre un congé, pour compenser un jour férié, en soumettant la date choisie à l’approbation de l’employeur qui tient encore une fois compte des nécessités du service. Cet article précise que ce « congé doit être utilisé avant la prise de jours de vacances. »
[43] En plus de cette dernière pratique, surnommée « prendre un jour férié flottant », un procureur du BSC peut également demander un congé appelé « étalement » pour compenser des heures travaillées qui n’étaient pas prévues à l’horaire.
[44] Par ailleurs, l’Association critique le DPCP qui serait, selon elle, responsable d’une situation de sous-effectif au BSC. Elle soutient qu’il ne peut invoquer les nécessités du service sans régler au préalable cet enjeu.
[45] La Commission n’est toutefois pas d’accord avec cette prétention. Elle juge qu’une telle situation ne peut empêcher le DPCP de tenir compte des nécessités du service, comme le prévoit l’Entente, lorsqu’il statue sur des demandes de vacances.
[46] De plus, la Commission souligne que la détermination et la répartition des effectifs par l’employeur ne peuvent pas être visées par un avis de mésentente puisque, selon l’article 12 de la Loi, les pouvoirs du DPCP en ces matières ne peuvent pas être restreints par l’Entente :
12. Sauf pour les sujets énumérés à l’article 19.1, le directeur, au nom du gouvernement et avec l’autorisation du Conseil du trésor, négocie en vue de conclure avec l’association une entente portant sur les conditions de nomination et les conditions de travail applicables aux procureurs que l’association représente. Une telle entente a une durée de quatre ans.
Toutefois, aucune disposition de l’entente ne peut restreindre ni les pouvoirs du directeur ou de son représentant, ni ceux du gouvernement ou du Conseil du trésor à l’égard de l’une ou l’autre des matières suivantes :
[…]
3° l’établissement des plans d’organisation ainsi que la détermination et la répartition des effectifs.
[47] La Commission rappelle que l’article 16 de la Loi mentionne qu’un avis de mésentente est relatif « à l’interprétation ou à l’application d’une entente » et que l’article 9‑1.04 de l’Entente indique qu’un tel recours concerne « l’interprétation, l’application ou une prétendue violation de l’entente ». Par conséquent, il n’est pas possible pour un avis de mésentente de l’Association de viser des matières relevant de pouvoirs du DPCP qui ne peuvent pas être limités par l’Entente.
[48] L’Association et le DPCP ont soumis à la Commission plusieurs décisions en matière de refus de demandes de congé.
[49] La Commission considère que de nombreux éléments distinguent les décisions citées par l’Association de la présente affaire. Parmi ces décisions, il est question entre autres de congés à traitement différé de plusieurs mois[2], de congés de maladie pour motifs personnels[3] et d’une situation où l’employeur impose à des salariées de prendre une semaine de vacances durant une période de fermeture à l’occasion du temps des fêtes[4].
[50] Pour ce qui est des décisions soumises par l’Association qui ont trait au refus de vacances demandées[5], la Commission ne souscrit pas à leurs raisonnements ni à leurs conclusions, notamment parce qu’elle juge que le DPCP dispose, dans la présente affaire, d’une grande discrétion en matière d’autorisation de demandes de vacances conformément à son droit de gérance et aux dispositions de l’Entente.
[51] La Commission est plutôt d’avis que des principes établis dans les décisions présentées par le DPCP[6] s’appliquent au présent dossier.
[52] Dans une sentence rendue le 9 mai 2018[7], l’arbitre François Hamelin explique notamment pourquoi il ne retient pas les conclusions de deux décisions invoquées par l’Association qui concernent des demandes de vacances refusées :
[38] J’ai attentivement examiné la jurisprudence invoquée par la procureure syndicale, en particulier les sentences arbitrales rendues à l’égard de l’affaire Centre hospitalier St-Mary[[8]] et de l’affaire Institut de cardiologie de Montréal[[9]].
[39] Avec égard, je ne partage pas les conclusions de cette jurisprudence minoritaire où les arbitres estiment que les préférences de vacances exprimées par les personnes salariées doivent être respectées, sauf si cela perturbe grandement le fonctionnement du centre d’activités.
[40] Les préférences exprimées ne servent aucunement à déterminer l’offre de vacances, laquelle n’est décidée que par l’employeur en vertu de son droit discrétionnaire de gestion, révisable uniquement en cas d’abus. Avec respect, il ne me semble pas abusif que l’employeur planifie les vacances trois avant la période d’été en évitant de se placer en situation potentille ou probable de grande perturbation.
[41] Pour tous les motifs qui précèdent, j’en viens à la conclusion que les dispositions du cinquième alinéa du paragraphe 11.07 de la convention collective accorde à l’employeur l’entière discrétion d’établir l’offre de vacances en tenant compte des services qu’il doit assurer à la population. Ainsi, s’il l’estime nécessaire, il lui est loisible de regrouper deux titres d’emploi dans un même service, lorsque les titulaires de ces deux titres d’emploi sont en mesure d’effectuer le même travail, comme en l’espèce.
[…]
[44] Cette décision doit s’apprécier à la date d’affichage des vacances le 1er octobre 2016, pour les vacances d’hiver et le 1er avril 2017 pour les vacances d’été 2017 en tenant compte des informations disponibles à chacune de ces dates.
[…]
[63] En l’espèce, comme on vient de le voir, Mme Marceau a décidé, avec les informations dont elle disposait à l’époque, de faire preuve de prudence afin de garantir la continuité des services à la clientèle durant les périodes de vacances à venir. Sur le sujet, soulignons que les situations doivent s’apprécier au 1er octobre 2016 et au 1er avril 2017. Or, j’estime qu’à l’époque, compte tenu des explications fournies par Mme Marceau, ses craintes étaient raisonnablement fondées.
[64] Devait-elle faire preuve de plus d’audace? C’est possible, mais je l’ignore. Quoi qu’il en soit, c’était à elle, et non au syndicat ou à l’arbitre, de le décider. Dans la présente affaire, comme je l’ai déjà expliqué, il ne s’agit pas de déterminer si l’employeur a pris la meilleure décision, mais uniquement de savoir si celle qu’il a prise était raisonnable et exempte d’abus.
[…]
[68] […] Autrement dit, le 1er avril 2017, le service d’électrophysiologie médicale était à court de deux technologues et Mme Marceau avait toutes les raisons de craindre une pénurie de technologues pour la période d’été. Elle a pris une décision en conséquence et sa prudence ne peut certes pas être assimilée à une décision abusive.
[69] Le fait que par la suite, Mme Marceau a pu pourvoir ces deux postes importe peu, puisque je dois déterminer si la décision de l’employeur était déraisonnable au moment où il l’a prise, et non pas à la lumière de faits postérieurs. Or, comme on vient de le voir, elle ne l’était pas.
[Soulignements dans le texte original]
[53] Dans sa décision du 25 octobre 2023[10], l’arbitre René Beaupré énonce :
[25] Globalement, à l’examen, ces dispositions démontrent qu’une discrétion importante est laissée à l’Employeur dans l’organisation du travail eu égard à la prise des vacances en considérant les besoins de la section, de la direction, du bureau régional ou, et dans le cas de la prise des autres semaines de vacances, des besoins du service.
[26] Le libellé en soi de cette clause indique que les parties ont laissé un pouvoir discrétionnaire clair à l’Employeur. De plus, la clause n’interdit pas à l’Employeur d’utiliser des ratios ni de prévoir des périodes de fermeture pour l’octroi de vacances.
[27] Il n’y a pas non plus d’imposition d’un fardeau de preuve à l’Employeur pour démontrer la nécessité de maintenir un minimum d’employés ni d’encadrement particulier pour évaluer les « besoins du service ».
[28] Ainsi, force est de constater que la gestion des effectifs de travail eu égard à l’octroi des vacances relève du droit de direction de l’Employeur. Ces décisions ne doivent toutefois pas être arbitraires, abusives, déraisonnables, ni discriminatoires.
[29] En présence d’une convention collective qui permet l’octroi de vacances selon certains paramètres dont les besoins du service, la jurisprudence est claire : l’Employeur peut déterminer ce qui convient à ses besoins sauf si sa décision est arbitraire, abusive, déraisonnable ou discriminatoire.
[…]
[52] Considérant que la Commission est fermée pendant les deux semaines de Noël et du Jour de l’an, que le retour des Fêtes est une période généralement occupée dans ce Service et que le nouveau système de règlement des assurances mis en place générait de nombreuses demandes, l’Employeur était bien fondé à refuser la prise de vacances au cours de cette période de deux semaines suivant le retour des Fêtes pour s’assurer de répondre aux besoins du service.
[…]
[58] La préoccupation de l’Employeur était bien réelle et n’avait rien d’un prétexte qui pourrait rendre sa décision arbitraire, abusive ou déraisonnable. Au surplus, l’augmentation des appels générée par l’implantation du nouveau système s’est avérée : il y a eu une augmentation significative des demandes. La preuve ne révèle aucune mauvaise foi ou discrimination de la part de l’Employeur.
[59] La convention collective ne prévoit pas que l’Employeur doit faire la preuve qu’il a utilisé les moyens les moins attentatoires pour répondre aux besoins des différents services pour que son refus des demandes de vacances soit considéré comme justifié. Le paragraphe 12.07 ne restreint pas de la sorte le droit de gestion de l’Employeur.
[54] Dans une sentence rendue le 21 janvier 2019[11], l’arbitre Richard Bertrand mentionne :
49 Je ne disconviens pas qu’il aurait peut-être été possible pour l’Employeur de « faire avec » l’absence de la Plaignante en modifiant ses plans, en augmentant les heures supplémentaires, en répartissant le travail différemment, etc.
50 Mais ce n’est pas véritablement ce sur quoi je dois exercer ma compétence.
51 La convention collective en effet ne prévoit pas, par exemple, que les vacances doivent être accordées par l’Employeur, à moins que des motifs sérieux ne l’en empêchent.
52 On prévoit seulement que le refus doit être basé sur des raisons spécifiques, reliées au travail.
53 En somme, l’Employeur n’est empêché d’opposer un refus à la demande de l’employé que si ce refus est fondé sur des motifs arbitraires, abusifs ou déraisonnables.
[…]
60 Il n’appartient pas au tribunal d’arbitrage de se substituer à l’Employeur dans l’administration de son entreprise pour décider si à sa place, il aurait pris les mêmes décisions.
61 Le tribunal, en matière administrative, voit ses prérogatives limitées à la sanction des comportements abusifs, arbitraires ou contrevenant clairement à la convention collective, ce que ne constituent pas, à mon avis, les motifs invoqués par l’Employeur.
62 Les exigences élevées du service à l’époque où la Plaignante souhaite prendre des vacances, je l’ai déjà mentionné, sont réelles et prouvées.
[55] Dans l’affaire Syndicat des Métallos, section locale 9449[12], l’arbitre Marc Gravel souligne :
[157] L’Employeur pourrait fort bien décider que, compte tenu de sa force ouvrière et de ses opérations, il n’y aura aucune vacance de prise à tel ou tel moment. Cette décision prise en tenant compte des besoins des opérations, décision prise de bonne foi, ne pourrait pas être mise de côté pour accorder quand même des vacances selon l’ancienneté de celui qui les demande pour ce moment‑là.
[…]
[161] En somme, le critère de l’ancienneté générale dans l’octroi des vacances par département, s’il est un critère, ne peut être le seul critère, car il a, vis‑à‑vis des besoins des opérations, une force bien relative.
[56] Selon le cadre établi par les dispositions de l’Entente et les circonstances de la présente affaire, la Commission juge que le DPCP, à l’instar des employeurs en cause dans ces décisions, bénéficie d’une grande discrétion pour statuer en avril 2022 sur les demandes de vacances soumises par les procureurs du BSC. Cette discrétion inclut la possibilité de refuser toutes les demandes de vacances pour une période particulière durant laquelle le BSC est fortement sollicité, soit du 21 décembre 2022 au 4 janvier 2023.
[57] En somme, comme la décision contestée ne contrevient pas à l’Entente et ne constitue pas de l’abus de droit, le recours de l’Association doit être rejeté.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE :
REJETTE l’avis de mésentente présenté par l’Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales.
Original signé par : | ||
| __________________________________ Mathieu Breton | |
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Me Marie‑Jo Bouchard | ||
Procureure de l’Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales | ||
Partie demanderesse | ||
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Me Jean‑François Dolbec | ||
Procureur du Directeur des poursuites criminelles et pénales | ||
Partie défenderesse | ||
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Audience tenue par visioconférence | ||
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Dates de l’audience : | 4 mai 2023, 14 septembre 2023, 16 octobre 2023, 5 et 6 décembre 2023 | |
[1] RLRQ, c. P‑27.1.
[2] Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) et CIUSSS de l’Ouest-de-l’île-de-Montréal (André Bergeron), 2018 QCTA 721; Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux - APTS et CIUSSS du Centre-Sud-de-l’île-de-Montréal (Isabelle Bouchard), 2018 QCTA 124; Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) et Centre de santé et de services sociaux de la Haute-Yamaska (Myriam Belliol), SOQUIJ AZ-50803993.
[3] Fédération des employés du préhospitalier du Québec (FPHQ) et Services préhospitaliers Paraxion inc., (grief syndical), 2020 QCTA 192.
[4] Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) et Centre intégré de la santé et des services de la Montérégie-Ouest (CISSSMO), (grief syndical), 2020 QCTA 610.
[5] Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) et Institut de Cardiologie de Montréal (Centre Épic), (Vicky Riel), SOQUIJ AZ-50769213; Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) et Centre hospitalier St‑Mary (griefs syndicaux), SOQUIJ AZ-50918780.
[6] Commission de la construction du Québec (CCQ) et Syndicat des employées et employés professionnels‑les et de bureau, section locale 573, SEPB CTC-FTQ (griefs individuels), 2023 QCTA 451; Syndicat des fonctionnaires municipaux de Montréal (SCFP) et Montréal (Ville), 2019 CanLII 3016 (QC SAT); Syndicat des Métallos, section locale 9449 et Xstrata Nickel - Mine Raglan, SA 12‑02022; CISSS de la Montérégie Est et Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) (griefs individuels), SOQUIJ AZ-51536500; Union des employés de service (F.T.Q., section locale 800) et Université McGill, 2009 CanLII 44739 (QC SAT); Syndicat du personnel de soutien des Hautes-Rivières (CSN) et Commission scolaire des Hautes-Rivières, 2002 CanLII 25327 (QC SAT); Université McGill et Association accréditée du personnel non enseignant de l’Université McGill, SA 10‑04017.
[7] CISSS de la Montérégie Est et Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) (griefs individuels), préc., note 6.
[8] Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) et Centre hospitalier St‑Mary (griefs syndicaux), préc., note 5.
[9] Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) et Institut de Cardiologie de Montréal (Centre Épic), (Vicky Riel), préc., note 5.
[10] Commission de la construction du Québec (CCQ) et Syndicat des employées et employés professionnels-les et de bureau, section locale 573, SEPB CTC-FTQ (griefs individuels), préc., note 6.
[11] Syndicat des fonctionnaires municipaux de Montréal (SCFP) et Montréal (Ville), préc., note 6.
[12] Syndicat des Métallos, section locale 9449 et Xstrata Nickel - Mine Raglan, préc., note 6.
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