Autorité des marchés financiers c. Agence Unie 2000 inc. / United Agency 2000 Inc. | 2024 QCTMF 65 | |||
TRIBUNAL ADMINISTRATIF | ||||
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CANADA | ||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||
MONTRÉAL | ||||
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DOSSIER N° : | 2024-005 | |||
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DÉCISION N° : | 2024-005-001 | |||
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DATE : | Le 3 octobre 2024 | |||
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DEVANT LES JUGES ADMINISTRATIFS : | NICOLE MARTINEAU | |||
| JEAN-NICOLAS BOUTIN-WILKINS | |||
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Partie demanderesse | ||||
c. | ||||
AGENCE UNIE 2000 INC. / UNITED AGENCY 2000 INC., personne morale légalement constituée, ayant son siège au 3600, avenue Barclay, bureau 305, Montréal (Québec) H3S 1K5 | ||||
et | ||||
SEVAN TATIGIAN, domicilié et résidant au [...], Pointe-Claire (Québec) [...] | ||||
Parties intimées | ||||
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DÉCISION | ||||
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[1] La présente décision concerne une demande de l’Autorité des marchés financiers (« Autorité ») et des intimés Agence Unie 2000 inc. et Sevan Tatigian (les « intimés ») afin de faire entériner un accord intervenu entre eux. Dans cet accord, les intimés admettent notamment des manquements à la Loi sur la distribution de produits et services financiers[1](« LDPSF ») ainsi qu’à certains de ses règlements. Ces manquements ont été identifiés par l’Autorité lors d’inspections du cabinet Agence Unie 2000 inc.
[2] L’Autorité est l’organisme responsable de l’application de la LDPSF. Elle exerce les fonctions et les pouvoirs qui sont prévus à l’article 7 de la Loi sur l’encadrement du secteur financier[2] (« LESF »), et ce, de la manière prévue à l’article 8 de cette loi.
[3] Agence Unie 2000 inc. détient une inscription auprès de l’Autorité l’autorisant à agir à titre de cabinet dans la discipline de l’assurance de dommages.
[4] Sevan Tatigian est actionnaire majoritaire, président et dirigeant responsable d’Agence Unie 2000 inc. Il détenait un certificat délivré par l’Autorité lui permettant d’agir à titre de courtier dans la discipline de l’assurance de dommages. Il n’est plus certifié à agir à ce titre depuis le 1er novembre 2020.
[5] En septembre 2021, Agence Unie 2000 inc. fait l’objet d’une première inspection par l’Autorité. À la suite de cette inspection, les intimés s’engagent à corriger des irrégularités constatées par l’Autorité.
[6] En juin 2022, Agence Unie 2000 inc. fait l’objet d’une inspection de suivi par l’Autorité. Cette inspection a notamment pour but de vérifier les correctifs mis en place à la suite de l’inspection de septembre 2021. À ce moment, il y a trois représentants rattachés au cabinet Agence Unie 2000 inc.
[7] En décembre 2022, l’Autorité transmet à Agence Unie 2000 inc. un rapport d’inspection faisant état des manquements constatés, dont certains pour lesquels les intimés s’étaient engagés à corriger suivant la première inspection.
[8] En février 2024, l’Autorité dépose au Tribunal administratif des marchés financiers (« Tribunal ») un acte introductif dans lequel il est allégué que les intimés ont commis des manquements à la LDPSF et à certains de ses règlements, ainsi que d’avoir manqué à un engagement souscrit auprès de l’Autorité.
[9] À la suite du dépôt de cet acte introductif, les parties concluent un accord[3] visant le règlement du présent dossier.
[10] Les parties demandent au Tribunal d’entériner l’accord conclu et de prononcer les mesures administratives suggérées, soit notamment l’imposition de pénalités administratives d’un montant de 26 000 $ au cabinet Agence Unie 2000 inc. et de 8 000 $ à Sevan Tatigian, le changement du dirigeant responsable du cabinet, la mise en place de mesures de contrôle et de surveillance et une interdiction d’agir à titre de dirigeant responsable d’un cabinet à l’égard de Sevan Tatigian.
[11] Lors d’une audience tenue le 26 septembre 2024, le procureur de l’Autorité présente au Tribunal les modalités de l’accord. Il demande notamment de modifier le paragraphe 13 de l’accord qui fait état des dispositions législatives en vertu desquelles les intimés reconnaissent avoir commis des manquements. La demande vise le retrait des articles 80, 87 et 113 de la LDPSF. Le Tribunal autorise la modification demandée.
[12] La LESF prévoit que le Tribunal peut entériner un accord s’il est conforme à la loi[4].
[13] En l’espèce, le Tribunal considère que l’accord conclu entre les parties est conforme à la loi et qu’il est dans l’intérêt public de l’entériner afin de mettre en œuvre les mesures administratives recherchées par les parties. Une copie de cet accord est jointe à la présente décision.
Question en litige : L’accord conclu entre les parties est-il conforme à la loi, permettant au Tribunal de l’entériner et de prononcer les mesures administratives recherchées par les parties?
[14] Un accord est conforme à la loi s’il permet au Tribunal d’établir l’existence d’un manquement aux lois qui relèvent de sa compétence ou d’un acte contraire à l’intérêt public selon les dispositions législatives applicables. L’accord soumis doit également permettre au Tribunal de déterminer si les mesures administratives suggérées par les parties sont raisonnables, dans l’intérêt public et qu’elles permettent d’atteindre les objectifs de protection du public et de répondre aux critères de dissuasion spécifique et générale[5].
[15] Rappelons que le Tribunal joue un rôle actif dans l’analyse qu’il doit effectuer pour entériner ou non un accord. Même si le Tribunal favorise les règlements de dossiers par la conclusion d’accords entre les parties, il n’est jamais tenu d’accepter les conclusions d’un accord ni les suggestions communes qui lui sont proposées[6]. Il ne peut être contraint d’entériner un accord qui est déraisonnable, inadéquat, contraire à l’intérêt public ou de nature à déconsidérer l’administration de la justice[7].
[16] Dans l’accord, les intimés admettent les manquements suivants[8] à la LDPSF et à certains de ses règlements, soit :
[17] De plus, les intimés reconnaissent avoir manqué à un engagement souscrit auprès de l’Autorité.
[18] La LDPSF a pour objectif principal d’assurer la protection du public[23].
[19] Le respect des devoirs et obligations imposés par la LDPSF et ses règlements est essentiel afin de maintenir la confiance du public envers l’industrie de l’assurance[24].
[20] Un cabinet et ses dirigeants sont tenus d’agir avec honnêteté et loyauté dans leurs relations avec leurs clients. Ils doivent également agir avec soin et compétence[25].
[21] Un cabinet et ses dirigeants doivent veiller à la discipline de leurs représentants et s’assurer que ceux-ci agissent conformément à la LDPSF et à ses règlements[26].
[22] De plus, un cabinet doit veiller à ce que ses dirigeants et employés agissent conformément à la LDPSF et à ses règlements[27].
[23] Dans tout cabinet en assurance, il y a une personne qui est nommée dirigeant responsable par le cabinet et qui est désignée à ce titre auprès de l’Autorité.
[24] Les responsabilités assumées par le dirigeant responsable d’un cabinet « requièrent un degré supérieur de professionnalisme et d’habileté puisque cette fonction est garante de la conformité au sein du cabinet et, par conséquent, de la protection du public »[28].
[25] Selon les faits admis par les intimés, le Tribunal constate qu’il y a eu des manquements importants à la LDPSF et à certains de ses règlements.
[26] Le Tribunal doit s’assurer que les mesures administratives suggérées par les parties sont raisonnables dans les circonstances et satisfont aux critères de dissuasion spécifique et générale.
[27] Le Tribunal rappelle que les mesures proposées par les parties sont de nature réglementaire et en ce sens, elles ne sont ni réparatrices ni punitives, bien qu’elles puissent être dissuasives[29]. Ces mesures sont de nature protectrice et préventive[30].
[28] Les mesures prononcées par le Tribunal doivent avoir un effet suffisamment dissuasif pour permettre d’éviter que ce type de manquements soit commis à nouveau par les intimés ou par toute personne susceptible de se trouver dans une situation similaire[31].
[29] Le Tribunal peut imposer une pénalité administrative ne pouvant excéder 2 000 000 $ pour chaque contravention, après l’établissement de faits portés à sa connaissance qui démontrent qu’un cabinet, qu’un de ses administrateurs ou dirigeants, ou qu’un représentant a, par son acte ou son omission, contrevenu ou aidé à l’accomplissement d’une telle contravention à une disposition de la LDPSF ou d’un règlement pris en application de celle-ci[32].
[30] Également, le Tribunal peut interdire à une personne d’agir comme dirigeant responsable d’un cabinet pour une période maximale de cinq (5) ans[33].
[31] En l’espèce, les avocats des parties informent le Tribunal que les intimés ont collaboré dès le dépôt de l’acte introductif dans l’objectif de conclure un règlement au présent dossier. Ils mentionnent également que les intimés n’ont pas d’antécédents relativement à des manquements à la LDPSF et ses règlements.
[32] Le procureur de l’Autorité ajoute que des corrections ont déjà été apportées aux irrégularités constatées lors de l’inspection de suivi. Il souligne la gravité objective de manquer à un engagement souscrit auprès de l’Autorité.
[33] L’avocat des intimés mentionne quant à lui que ses clients font preuve de repentir pour les manquements commis dans le cadre de la présente affaire et de leur volonté de se conformer à la législation. Il mentionne qu’ils ont commencé à apporter des corrections aux irrégularités constatées par l’Autorité et qu’ils s’engagent à changer le dirigeant responsable du cabinet.
[34] Le Tribunal a établi plusieurs facteurs qui doivent le guider lors de l’imposition de mesures administratives afin de protéger le public. Ces facteurs doivent être évalués, au cas par cas, selon les circonstances de chaque affaire[34].
[35] Dans son évaluation, le Tribunal tient compte de plusieurs de ces facteurs, dont le nombre de manquements à la LDPSF et à ses règlements constatés par l’Autorité, la gravité de ceux-ci, l’admission des manquements par les intimés, leur collaboration afin de conclure un accord et leur réelle volonté de s’amender.
[36] Le Tribunal examine certains précédents applicables en semblable matière soumis par le procureur de l’Autorité et considère que les mesures administratives suggérées sont cohérentes avec ceux-ci[35].
[37] Selon les représentations effectuées lors de l’audience et les termes de l’accord, le Tribunal est d’avis que celui-ci est conforme à la loi au sens de l’article 97 al. 2 (6o) de la LESF.
[38] En effet, l’accord permet d’établir l’existence de manquements à la LDPSF et à ses règlements et les mesures administratives suggérées sont raisonnables, car elles satisfont aux critères de dissuasion spécifique et générale et qu’elles sont représentatives de l’importance qu’accorde le Tribunal aux manquements commis.
[39] Le Tribunal décide donc, dans l’intérêt public, d’entériner l’accord et de mettre en œuvre les mesures administratives suggérées par les parties.
POUR CES MOTIFS, en vertu des articles 93, 94 et 97 al. 2 (6°) de la Loi sur l’encadrement du secteur financier[36] et des articles 115 et 115.1 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers[37], le Tribunal administratif des marchés financiers :
ENTÉRINE l’accord intervenu entre l’Autorité des marchés financiers, Agence Unie 2000 inc. et Sevan Tatigian, le rend exécutoire et ordonne aux parties de s’y conformer;
Agence Unie 2000 inc.
IMPOSE une pénalité administrative de 26 000 $ à Agence Unie 2000 inc. pour l’ensemble des manquements, laquelle est payable à l’Autorité des marchés financiers selon les modalités prévues à l’accord;
PREND ACTE des engagements suivants d’Agence Unie 2000 inc. prévus à l’accord, soit de :
Sevan Tatigian
IMPOSE une pénalité administrative de 8 000 $ à Sevan Tatigian pour l’ensemble des manquements, laquelle est payable à l’Autorité des marchés financiers selon les modalités prévues à l’accord;
INTERDIT à Sevan Tatigian d’agir, directement ou indirectement, comme dirigeant responsable du cabinet Agence Unie 2000 inc. ou de tout autre cabinet, et ce, pour une période de deux (2) ans à compter de la date de la nomination du nouveau dirigeant responsable ou au plus tard quarante-cinq (45) jours de la présente décision, selon la date la plus rapprochée.
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| __________________________________ Nicole Martineau Juge administrative | |||
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| __________________________________ Jean-Nicolas Boutin-Wilkins Juge administratif | |||
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Me Édouard Plante Gagnon Me Catherine Boilard | ||||
(Contentieux de l’Autorité des marchés financiers) | ||||
Pour l’Autorité des marchés financiers | ||||
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Me Martin Courville | ||||
(Ad Litem Avocats s.e.n.c.r.l.) | ||||
Pour Agence Unie 2000 inc. et Sevan Tatigian | ||||
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Date d’audience : | 26 septembre 2024 | |||
[1] RLRQ, c. D-9.2.
[2] RLRQ, c. E-6.1.
[3] Accord conclu le 3 septembre 2024.
[4] Article 97 al. 2 (6o) de la LESF.
[5] Autorité des marchés financiers c. Moreau, 2021 QCTMF 51.
[6] Autorité des marchés financiers c. Moreau, 2021 QCTMF 51, par. 28 et 31.
[7] Autorité des marchés financiers c. Moreau, 2021 QCTMF 51, par. 32.
[8] Les manquements sont détaillés dans l’accord.
[9] Articles 84, 85 et 86 de la LDPSF.
[10] Articles 84 et 85 de la LDPSF.
[11] Articles 84, 85 et 86 de la LDPSF.
[12] Articles 84, 85 et 86 de la LDPSF.
[13] Article 469.1 de la LDPSF.
[14] Articles 38, 48.3, 49, 50 du Règlement relatif à la délivrance et au renouvellement du certificat de représentant, RLRQ, c. D-9.2, r. 7.
[15] Article 88 de la LDPSF et articles 12 à 15 et 21 du Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome, RLRQ, c. D-9.2, r. 2.
[16] Article 31 de la LDPSF et articles 4.1, 4.2 et 4.4 du Règlement sur les renseignements à fournir au consommateur, RLRQ, c. D-9.2, r. 18.
[17] Article 468 (4o) de la LDPSF.
[18] Article 10 du Règlement relatif à l’inscription d’un cabinet, d’un représentant autonome et d’une société autonome, RLRQ, c. D-9.2, r. 15 et articles 1 (2o) et 5 à 7 du Règlement sur la tenue et la conservation des livres et registres, RLRQ, c. D-9.2, r. 19.
[19] Articles 89 et 91 de la LDPSF et article 18 du Règlement sur la tenue et la conservation des livres et registres, RLRQ, c. D-9.2, r. 19.
[20] Article 103.1 de la LDPSF.
[21] Article 1 du Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome, RLRQ, c. D-9.2, r. 2 et article 10 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants, RLRQ, c. D-9.2, r. 10.
[22] Article 9 du Règlement relatif à l’inscription d’un cabinet, d’un représentant autonome et d’une société autonome, RLRQ, c. D-9.2, r. 15.
[23] Marston c. Autorité des marchés financiers, 2009 QCCA 2178, par. 52.
[24] Autorité des marchés financiers c. Duclos Assurances inc., 2020 QCTMF 54, par. 25.
[25] Article 84 de la LDPSF.
[26] Article 85 de la LDPSF.
[27] Article 86 de la LDPSF.
[28] Autorité des marchés financiers c. 9190-4995 Québec inc., 2018 QCTMF 82, par. 59.
[29] Comité pour le traitement égal des actionnaires minoritaires de la Société Asbestos ltée c. Ontario (Commission des valeurs mobilières), 2001 CSC 37, par. 42; Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557; Cartaway Resources Corp. (Re), 2004 CSC 26.
[30] Comité pour le traitement égal des actionnaires minoritaires de la Société Asbestos ltée c. Ontario (Commission des valeurs mobilières), 2001 CSC 37, par. 42; Autorité des marchés financiers c. Demers, 2006 QCBDRVM 17.
[31] Autorité des marchés financiers c. Moreau, 2021 QCTMF 51, par. 72.
[32] Article 115 de la LDPSF.
[33] Article 115.1 de la LDPSF.
[34] Autorité des marchés financiers c. Demers, 2006 QCBDRVM 17.
[35] Autorité des marchés financiers c. Infinitum Succession et Patrimoine inc., 2020 QCTMF 55; Autorité des marchés financiers c. Geska Assurances & Conseils inc. (Motrex et Giard Assurance), 2023 QCTMF 39.
[36] RLRQ, c. E-6.1.
[37] RLRQ, c. D-9.2.
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