Décision

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Makanga et Ministère de l'Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs

2023 QCCFP 24

COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

DOSSIER No :

2000065

 

DATE :

2 octobre 2023

______________________________________________________________________

 

DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF :

Mathieu Breton

______________________________________________________________________

 

 

 

Nathalie Makanga

Partie demanderesse

 

et

 

Ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs

Partie défenderesse

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

(Articles 33 et 127, Loi sur la fonction publique, RLRQ, c. F-3.1.1)

______________________________________________________________________

 

[1]               Le 26 juillet 2023, Mme Nathalie Makanga, technicienne en acquisition de talents non syndiquée, dépose un recours à la Commission de la fonction publique (Commission), en vertu de l’article 33 de la Loi sur la fonction publique[1] (LFP), afin de contester un avertissement écrit imposé par son employeur, le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (ministère).

[2]               Le 18 août 2023, le ministère présente une demande de rejet sommaire. Il estime qu’un avertissement écrit ne peut pas être contesté par un recours conformément à l’article 414.02 de la Convention collective des fonctionnaires 20202023 (Convention collective) qui s’applique en l’adaptant aux techniciens non syndiqués en vertu de l’article 14 de la Directive concernant les conditions de travail des fonctionnaires[2] (Directive).

[3]               Le 22 août 2023, la Commission demande à Mme Makanga de lui transmettre par écrit, au plus tard le 11 septembre 2023, ses commentaires concernant la recevabilité du recours afin de rendre une décision sur dossier. La Commission avise également les parties que l’audience prévue à cette dernière date est en conséquence annulée.

[4]               Le 8 septembre 2023, Mme Makanga soumet ses commentaires. Elle mentionne notamment que la « procédure de grief » ne s’applique pas à elle et que son recours se fonde sur l’article 2 du Règlement sur un recours en appel pour les fonctionnaires non régis par une convention collective[3] (Règlement) qui prévoit les matières pouvant faire l’objet d’un recours en vertu de l’article 127 de la LFP.

[5]               La Commission juge qu’elle n’a pas compétence, conformément aux articles 33 et 127 de la LFP, pour statuer sur un recours contestant un avertissement écrit.

CONTEXTE ET ANALYSE

[6]                  Le 29 juin 2023, le ministère impose un avertissement écrit à Mme Makanga pour lui rappeler certains de ses devoirs et obligations.

[7]               Le 26 juillet 2023, elle dépose un recours à la Commission en vertu de l’article 33 de la LFP. Elle indique notamment qu’elle « conteste la lettre davertissement qui [lui] a été adressée » et qu’elle « demande donc lannulation de cet avertissement ».

[8]               Le 18 août 2023, le ministère présente une demande de rejet sommaire du recours :

[…]

Mme Makanga est une fonctionnaire non syndiquée, soit une technicienne en acquisition de talents au sein du MELCCFP. Cependant, la convention collective des fonctionnaires lui est applicable, à l’exception du régime syndical et de la procédure de règlement des griefs et d’arbitrage, en vertu de l’article 14 de la Directive concernant les conditions de travail des fonctionnaires

Le 26 juillet 2023, Mme Makanga (ci-après « la travailleuse ») a déposé une contestation à la Commission de la Fonction publique, pour donner suite à un avertissement écrit qui lui a été remis par sa gestionnaire le 29 juin 2023.

Or, selon l’article 4-14.02 de la Convention collective des fonctionnaires, un tel avertissement n’est pas contestable.

4-14.02 Lavertissement est un avis du sous-ministre qui a pour but dattirer lattention de l’employé sur ses obligations.

Dans le cas dun avertissement écrit, les faits se rapportant aux motifs mentionnés ne peuvent être considérés avoir été admis par lemployé si celui-ci fait parvenir par écrit, sous pli recommandé et dans un délai de trente (30) jours, ses commentaires concernant lavertissement écrit et ce, à celui qui a émis ledit avertissement. De plus, le contenu de lavertissement écrit ne peut, en aucun cas, faire lobjet dun grief.

Aucun avertissement écrit au dossier de l’employé ne lui est opposable et doit être retiré de son dossier ainsi que les documents sy référant sil na pas été suivi, pendant une période correspondant pour l’employé à une (1) année d’ancienneté, dun autre avertissement écrit, dune réprimande, dune suspension ou dun congédiement.

Le 20 juillet, la travailleuse a soumis à sa gestionnaire ses commentaires suite à l’avertissement reçu, tel que prévu dans cette disposition de la convention collective. Elle a par la suite déposé le présent recours, même s’il est clair de cette même disposition qu’elle ne peut le faire, considérant que l’avertissement constitue une mesure administrative qui n’est pas contestable, et ce peu importe que le travailleur soit syndiqué ou non syndiqué. En effet, les seules dispositions de la convention collective qui ne s’appliquent pas à Mme Makanga sont les dispositions sur le régime syndical et sur la procédure de règlement des griefs et darbitrage, ce dont ne fait pas partie l’article 4-14.02, tel que prévu à l’article 14 de la Directive sur les conditions de travail des fonctionnaires.

Nous demandons donc à la Commission le rejet sommaire de la contestation de la travailleuse et l’annulation de l’audience prévue considérant que l’avertissement pour lequel la travailleuse dépose un recours à la Commission n’est pas contestable en vertu de ses conditions de travail et ne permet donc pas à la Commission de s’en saisir.

[…]

[Transcription textuelle]

[9]               Le 8 septembre 2023, Mme Makanga soumet ses commentaires quant à cette demande :

[…]

Je suis une fonctionnaire non syndiquée, la procédure de grief ne s’applique pas à moi. Mon recours se fonde sur le Règlement sur un recours en appel pour les fonctionnaires non régis par une convention collective conformément à son article 2.

Par ailleurs, ce règlement ne prévoit aucunement de rejet sommaire dans mon cas. L’ensemble des éléments qui se trouvent dans l’avis écrit étant non fondés, c’est sur ce point que s’appuie mon recours.

Certes, je m’en remets à la Commission de la fonction publique pour statuer sur la recevabilité de mon recours.

[…]

[Transcription textuelle]

[10]           Bien que Mme Makanga ait déposé un recours en vertu de l’article 33 de la LFP, elle fait référence à celui prévu à l’article 127 de cette loi en s’appuyant sur le Règlement dans ses commentaires. Ce dernier article énonce :

127. Le gouvernement prévoit par règlement, sur les matières qu’il détermine, un recours en appel pour les fonctionnaires qui ne sont pas régis par une convention collective et qui ne disposent d’aucun recours sur ces matières en vertu de la présente loi.

Ce règlement établit, en outre, les règles de procédure qui doivent être suivies.

La Commission de la fonction publique entend et décide d’un appel. […]

[Soulignement de la Commission]

[11]           L’article 2 du Règlement prévoit les matières pouvant faire l’objet d’un recours en vertu de l’article 127 de la LFP :

2. Un fonctionnaire qui se croit lésé peut en appeler d’une décision rendue à son égard en vertu des directives suivantes du Conseil du trésor, à l’exception des dispositions de ces directives qui concernent la classification, la dotation et l’évaluation du rendement sauf, dans ce dernier cas, la procédure relative à l’évaluation du rendement :

[…]

8o la Directive concernant les conditions de travail des fonctionnaires;

[…]

[12]           La Directive prescrit que les dispositions de la Convention collective, à lexception du régime syndical et de la procédure de règlement des griefs et darbitrage, s’appliquent en les adaptant à un fonctionnaire non syndiqué comme Mme Makanga :

1. La présente section sapplique au fonctionnaire :

[…]

3o classé dans lune des classes demplois de la catégorie des emplois du personnel fonctionnaire;

[…]

13. La présente section sapplique au fonctionnaire non syndiqué mentionné à larticle 1, à lexception du fonctionnaire :

1o classé conseiller en gestion des ressources humaines;

2o classé médiateur et conciliateur.

14. Sappliquent, en les adaptant, au fonctionnaire visé à la présente section, à lexception du régime syndical et de la procédure de règlement des griefs et darbitrage, les dispositions des dernières conventions collectives liant le gouvernement du Québec et :

[…]

5o le Syndicat de la fonction publique du Québec pour les unités "fonctionnaires" et "ouvriers";

[…]

[Soulignement de la Commission]

[13]           L’article 4-14.02 de la Convention collective énonce que « le contenu de lavertissement écrit ne peut, en aucun cas, faire lobjet dun grief » :

4-14.02 Lavertissement est un avis du sous-ministre qui a pour but dattirer lattention de l’employé sur ses obligations.

Dans le cas dun avertissement écrit, les faits se rapportant aux motifs mentionnés ne peuvent être considérés avoir été admis par lemployé si celui-ci fait parvenir par écrit, sous pli recommandé et dans un délai de trente (30) jours, ses commentaires concernant lavertissement écrit et ce, à celui qui a émis ledit avertissement. De plus, le contenu de lavertissement écrit ne peut, en aucun cas, faire lobjet dun grief.

Aucun avertissement écrit au dossier de l’employé ne lui est opposable et doit être retiré de son dossier ainsi que les documents sy référant sil na pas été suivi, pendant une période correspondant pour l’employé à une (1) année d’ancienneté, dun autre avertissement écrit, dune réprimande, dune suspension ou dun congédiement.

[Soulignement de la Commission]

[14]           Mme Makanga soutient que la procédure de règlement des griefs ne s’applique pas à elle, ce qui rendrait son recours recevable auprès de la Commission.

[15]           L’article 4-14.02 fait partie de la section 4-14.00 « Mesures administratives et disciplinaires » du chapitre 4-0.00 du même nom de la Convention collective.

[16]           Les articles prévoyant des règles en matière de procédure de règlement des griefs et d’arbitrage se trouvent généralement dans les sections 3-12.00 « Procédure de règlement de griefs » et 3-13.00 « Arbitrage » du chapitre 3-0.00 « Règlement de griefs » de la Convention collective.

[17]           Or, bien que des articles prescrivant des règles en cette matière puissent exister dans d’autres sections de la Convention collective, ce n’est pas le cas de l’article 4-14.02. Cet article ne prévoit pas de procédure de règlement des griefs et d’arbitrage, il énonce plutôt que le contenu d’un avertissement écrit ne peut pas faire l’objet d’un grief, ce qui limite la compétence de l’arbitre pour un fonctionnaire syndiqué.

[18]           L’article 14 de la Directive prescrit que les dispositions de la Convention collective s’appliquent aux fonctionnaires non syndiqués en les adaptant. La manière correcte d’adapter la mention à l’article 4-14.02 que « le contenu de lavertissement écrit ne peut, en aucun cas, faire lobjet dun grief » est de remplacer le terme « grief » dans cette disposition par « recours à la Commission de la fonction publique » qui est le moyen de contestation équivalent pour un fonctionnaire non syndiqué.

[19]           En effet, l’intention du Conseil du trésor, lorsqu’il a édicté l’article 14 de la Directive, n’était certainement pas de permettre à des employés non syndiqués de déposer des recours, en vertu de l’article 127 de la LFP, portant sur des matières ne pouvant faire l’objet de griefs. L’extension des conditions de travail prévues dans les conventions collectives aux fonctionnaires non syndiqués ne peut pas être interprétée plus généreusement à leur égard par rapport aux employés syndiqués assujettis à ces conventions collectives.

[20]           Comme l’article 14 de la Directive le prescrit, il est nécessaire d’adapter les dispositions des conventions collectives, notamment pour ne pas accorder plus de droits aux employés non syndiqués qu’aux salariés syndiqués.

[21]           En somme, la Commission n’a pas compétence, en vertu de l’article 127 de la LFP, pour statuer sur le recours de Mme Makanga contestant un avertissement écrit.

[22]           Par ailleurs, le recours prévu à cet article ne peut viser que des matières ne faisant pas l’objet d’un autre recours conformément à cette loi. En effet, cet article permet aux fonctionnaires non syndiqués de soumettre un recours portant sur certaines matières lorsqu’ils « ne disposent d’aucun recours sur ces matières en vertu de la [LFP]. » Une mesure ne pouvant être contestée par un recours en vertu de l’article 127 de la LFP pourrait en conséquence l’être conformément à un autre article de cette loi.

[23]           Le seul autre recours prévu dans la LFP, pour contester une décision de son employeur auprès de la Commission, est celui de l’article 33 qui énonce :

33. Un fonctionnaire non régi par une convention collective peut interjeter appel devant la Commission de la fonction publique de la décision l’informant :

1o de son classement lors de son intégration à une classe d’emplois nouvelle ou modifiée;

2o de sa rétrogradation;

3o de son congédiement;

4o d’une mesure disciplinaire;

5o qu’il est relevé provisoirement de ses fonctions.

Un appel en vertu du présent article doit être fait par écrit et reçu à la Commission dans les 30 jours de la date d’expédition de la décision contestée.

Le présent article, à l’exception du paragraphe 1o du premier alinéa, ne s’applique pas à un fonctionnaire qui est en stage probatoire conformément à l’article 13.

[24]           Cet article prévoit la compétence de la Commission pour entendre un recours en matière de mesures administratives ou disciplinaires déposé par un fonctionnaire non syndiqué. Selon le libellé de cette disposition, seules certaines mesures administratives peuvent faire l’objet d’un recours par un employé, soit son classement lors de son intégration à une classe d’emplois nouvelle ou modifiée, sa rétrogradation, son congédiement administratif et son relevé provisoire de ses fonctions.

[25]           De plus, toute mesure disciplinaire peut être contestée en vertu de l’article 33 de la LFP. Conformément à l’article 126 de cette loi, le gouvernement peut déterminer par règlement les mesures disciplinaires applicables à un fonctionnaire :

126. Le gouvernement peut, par règlement, sur avis du Conseil du trésor :

[…]

2o définir les mesures disciplinaires applicables à un fonctionnaire et en déterminer les modalités d’application;

[…]

[26]           L’article 18 du Règlement sur l’éthique et la discipline dans la fonction publique[4] énonce :

18. Une mesure disciplinaire peut consister en une réprimande, une suspension ou un congédiement selon la nature et la gravité de la faute qu’elle vise à réprimer.

[27]           Ainsi, un avertissement écrit ne constitue pas une mesure disciplinaire, mais bien une mesure administrative. En effet, il ne fait pas partie des mesures disciplinaires pouvant être imposées à un fonctionnaire.

[28]           En conséquence, cette mesure administrative ne peut pas faire l’objet d’un recours en vertu de l’article 33 de la LFP puisqu’elle n’est pas mentionnée dans cette disposition parmi les mesures contestables.

[29]           La Commission n’a donc pas compétence, conformément à l’article 33 de la LFP, pour entendre un recours contestant un avertissement écrit.

[30]           En conclusion, la Commission souligne qu’elle est un tribunal administratif qui n’a qu’une compétence d’attribution. Elle ne peut donc exercer que la compétence qui lui est accordée expressément par le législateur[5] :

À la différence du tribunal judiciaire de droit commun, un tribunal administratif n’exerce la fonction juridictionnelle que dans un champ de compétence nettement circonscrit. Il est en effet borné, par la loi qui le constitue et les autres lois qui lui attribuent compétence, à juger des contestations relatives à une loi en particulier ou à un ensemble de lois. Sa compétence ne s’étend donc pas à l’intégralité de la situation juridique des individus. []

La portée de l’intervention du tribunal administratif et par conséquent l’étendue de sa compétence sont donc déterminées par la formulation des dispositions législatives créant le recours au tribunal. […]

Il faut donc, aussi bien en droit québécois qu’en droit fédéral, examiner avec attention le libellé de la disposition créant le recours, pour savoir quelles décisions de quelles autorités sont sujettes à recours, sur quels motifs le recours peut être fondé, sous quelles conditions – notamment de délai – il peut être introduit […].

POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE :

DÉCLARE qu’elle n’a pas compétence pour statuer sur le recours de Mme Nathalie Makanga.

 

 

 

 

Original signé par :

 

 

_________________________________

Mathieu Breton

 

 

 

Mme Nathalie Makanga

Partie demanderesse

 

Me AnneMarie Vézina

Procureure du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs

Partie défenderesse

 

Date de la prise en délibéré :

9 septembre 2023

 


[1]  RLRQ, c. F-3.1.1.

[2]  C.T. 203262 du 31 janvier 2006 et ses modifications.

[3]  RLRQ, c. F-3.1.1, r. 5.

[4]  RLRQ, c. F-3.1.1, r. 3.

[5]  Pierre Issalys et Denis Lemieux, L’action gouvernementale – Précis de droit des institutions administratives, 3e édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 421-423.

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