Rochon c. Télé-Université |
2019 QCCA 1956 |
COUR D'APPEL
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
No : |
200-09-009667-178 |
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(200-05-020244-161) |
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PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE |
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DATE : |
25 octobre 2019 |
CORAM : LES HONORABLES |
JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A. |
PARTIE APPELANTE |
AVOCAT |
NANCY ROCHON
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NON REPRÉSENTÉE (ABSENTE)
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PARTIE INTIMÉE |
AVOCAT |
TÉLÉ-UNIVERSITÉ
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Me RICHARD GAUTHIER (ABSENT) (Cain, Lamarre)
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PARTIE MISE EN CAUSE |
AVOCATE |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL
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Me MARIE-FRANCE BERNIER (ABSENTE) (Bernier, Charbonneau)
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En appel d'un jugement rendu le 15 novembre 2017 par l'honorable François Huot de la Cour supérieure, district de Québec |
NATURE DE L'APPEL : |
Administratif (contrôle
judiciaire) - Travail (plainte en vertu de l’art.
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Greffière-audiencière : Clara De Brito |
Salle : 4.33 |
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AUDITION |
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9 h 30 |
Continuation de l’audience du 22 octobre 2019, les parties sont dispensées de se présenter; |
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Arrêt; |
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Fin de l’audition. |
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(s) |
Greffière-audiencière |
PAR LA COUR
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ARRÊT |
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[1] L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 15 novembre 2017[1] par la Cour supérieure, district de Québec (l’Honorable François Huot), qui rejette sa demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 21 juillet 2016 par le Tribunal administratif du travail (ci-après « le TAT »)[2].
[2] Ce tribunal, spécialisé en matière de relations de travail, a rejeté la plainte de l’appelante alléguant qu’elle avait fait l’objet d’une suspension de six mois, sans solde, en représailles à la dénonciation qu’elle avait faite d’un acte répréhensible au sens de la Loi concernant la lutte contre la corruption[3].
[3] Le litige soulève la question de la protection conférée par l’article 122 (7) et 123.4 de Loi sur les normes du travail[4] (ci-après, « LNT ») aux lanceurs d’alerte et, par incidence, la notion de concomitance prévue à l’article 17 du Code du travail[5].
[4] Ces dispositions sont ainsi libellées :
122. Il est interdit à un employeur ou à son agent de congédier, de suspendre ou de déplacer un salarié, d’exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou des représailles ou de lui imposer toute autre sanction: […] |
122. No employer or his agent may dismiss, suspend or transfer an employee, practise discrimination or take reprisals against him, or impose any other sanction upon him […] |
7° en raison d’une dénonciation faite par un salarié d’un acte répréhensible au sens de la Loi concernant la lutte contre la corruption (chapitre L-6.1) ou de sa collaboration à une vérification ou à une enquête portant sur un tel acte; […] |
7° on the ground of a disclosure by an employee of a wrongdoing within the meaning of the Anti-Corruption Act (chapter L-6.1) or on the ground of an employee’s cooperation in an audit or an investigation regarding such a wrongdoing; […] |
123.4 […] Les dispositions du Code du travail (chapitre C-27) qui sont applicables à un recours relatif à l’exercice par un salarié d’un droit lui résultant de ce code s’appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires. […] |
123.4 […] The provisions of the Labour Code (chapter C-27) applicable to a remedy relating to the exercise by an employee of a right arising out of that Code apply, with the necessary modifications. […] |
Code du travail |
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17. S’il est établi à la satisfaction du Tribunal que le salarié exerce un droit qui lui résulte du présent code, il y a présomption simple en sa faveur que la sanction lui a été imposée ou que la mesure a été prise contre lui à cause de l’exercice de ce droit et il incombe à l’employeur de prouver qu’il a pris cette sanction ou mesure à l’égard du salarié pour une autre cause juste et suffisante. |
17. If it is shown to the satisfaction of the Tribunal that the employee exercised a right arising from this Code, there is a simple presumption in his favour that the sanction was imposed on him or the action was taken against him because he exercised such right, and the burden of proof is upon the employer that he resorted to the sanction or action against the employee for good and sufficient reason. |
[Soulignements ajoutés]
[5] En appel, l’appelante formule ainsi le moyen d’appel qu’elle soulève :
Est-il correct de ne pas accorder la présomption,
lorsque le motif illicite dénoncé dans la plainte selon l’article
[6]
Le lanceur d’alerte reçoit certes la protection de l’article
[7] La décision du TAT relate l’essentiel de la chronologie des faits, de sorte qu’un bref rappel du contexte suffira à circonscrire le réel débat.
[8] L’appelante travaille chez l’intimée, Télé-Université du Québec (ci-après, « TÉLUQ »), à titre d’analyste informatique. Le 15 avril 2014, elle dénonce auprès de son patron immédiat la présence sur l’Intranet de l’intimée de documents appartenant à Revenu Québec. Elle considère qu’il s’agit d’une violation des droits d’auteur de cette agence gouvernementale et qualifie l’usage qui en est fait de « plagiat ».
[9] Insatisfaite du suivi donné par son patron, elle dénonce, le 10 juillet suivant, la situation à l’Unité permanente anticorruption (ci-après, « l’UPAC »). Lors d’une rencontre, le 15 septembre 2014, avec Mme Louise Boucher de la direction de TÉLUQ et de Me Julie Carle, elle informe ces dernières qu’elle a porté plainte à l’UPAC. Ces dernières lui répondent qu’elles procéderont à des vérifications et prendront les mesures appropriées. Les documents controversés sont entre-temps retirés de l’intranet.
[10] En juillet 2015, l’intimée informe l’appelante qu’elle ne mènera pas d’enquête, préférant attendre plutôt les résultats de celle menée par l’UPAC. En août 2015, cette dernière informe l’appelante qu’elle ne donnera pas d’autre suite à sa plainte, au motif d’absence de compétence. Insatisfaite, elle se tourne vers la Commission de déontologie policière, qui lui donne la même réponse.
[11] Le 5 août 2015, l’appelante envoie un courriel à toutes les personnes qui travaillent chez TÉLUQ (environ 600 personnes) les mettant en garde contre l’utilisation des gabarits et manuels administratifs de cette dernière en faisant valoir que certains d’entre eux comportent des extraits de documents appartenant à Revenu Québec. Alléguant le recours au plagiat, elle conclut son message en informant les destinataires que « [p]ar conséquent, si cette situation venait à être condamnée dans le futur, j’aimerais vous éviter d’être compromis accidentellement, en attendant qu’une enquête soit réalisée ».
[12] Or, à un document près, les documents pointés par l’appelante, qui n’avait fait aucune vérification avant l’envoi de son courriel, avaient déjà été retirés par l’intimée. Le lendemain, la directrice générale de TÉLUQ s’est empressée de rétablir les faits auprès des destinataires du courriel.
[13] Le 12 août suivant, l’appelante est convoquée à une rencontre disciplinaire pour s’expliquer sur l’envoi du courriel. Au terme de cette rencontre, elle est informée qu’elle est suspendue avec solde aux fins d’enquête. Puis, le 15 septembre, elle est à nouveau convoquée pour obtenir sa version des faits. Enfin, le 23 septembre, elle est informée qu’elle est suspendue pour une durée de six mois, sans solde, d’où la plainte déposée au TAT par l’appelante en vertu des articles 122 et 123 de la Loi sur les normes du travail[6].
[14] Le 21 juillet 2016, le TAT rejette cette plainte de l’appelante en concluant à l’absence de concomitance entre celle portée à l’UPAC et la suspension sans solde décrétée le 23 septembre 2015. La membre du TAT ajoute que, même si la présomption établissant que la sanction a été imposée à l’appelante en raison de l’exercice de son droit de porter plainte à l’UPAC trouvait application, « [l]e Tribunal estime que l’employeur a démontré que les raisons pour lesquelles il a sévi contre la plaignante reposent sur une cause juste et suffisante ». En somme, l’envoi téméraire du courriel est la seule raison à l’origine de la suspension de l’appelante.
[15] Le juge de la Cour supérieure saisi du contrôle judiciaire de cette décision conclut son analyse en ces termes :
[60] Le juge administratif s’est livré à des constats factuels trouvant justification dans la preuve soumise et en a tiré des conclusions qu’autorisaient les éléments mis en preuve. Le résultat auquel il arrive peut être considéré comme faisant partie des solutions rationnelles acceptables compte tenu des faits de la présente affaire et des principes de droit applicables.
[61] En outre, en appliquant la norme de révision de la « décision correcte », le soussigné conclut que le juge d’instance n’a commis aucune contravention à la règle audi alteram partem ou à quelque principe de justice naturelle que ce soit.
[16] Tenant pour acquis que la présomption opère du fait de la plainte déposée à l’UPAC, il demeure que la conclusion du TAT voulant que la sanction disciplinaire a été imposée pour une cause juste et raisonnable s’inscrit dans les issues possibles[7].
[17] En effet, l’appelante avait déjà été informée, avant même que la sanction lui soit imposée, que l’UPAC ne traiterait pas sa plainte, faute de compétence. Mais il y a plus. Non seulement n’y a-t-il pas concomitance temporelle avec le dépôt de la plainte à l’UPAC, près d’un an s’étant écoulé, mais, surtout, le TAT est satisfait que la preuve prépondérante démontre que la sanction n’y est d’aucune manière reliée. Dans les faits, la suspension imposée le 23 septembre 2015 est strictement fondée sur l’envoi à tous les employés de TÉLUQ du courriel du 5 août 2015 qui dénote une conduite que le TAT a qualifiée d’intempestive et d’illégitime.
[18] Dans ce contexte, le jugement de la Cour supérieure qui rejette la demande de contrôle judiciaire ne comporte aucune erreur révisable.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[19] REJETTE l’appel, avec frais.
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JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A. |
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JACQUES DUFRESNE, J.C.A. |
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JACQUES J. LEVESQUE, J.C.A. |
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