Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Trois-Rivières

8 juin 2005

 

Région :

Mauricie

 

Dossier :

233087-04-0404

 

Dossier CSST :

123143281

 

Commissaire :

Me Jean-François Clément

 

Membres :

Alexandre Beaulieu, associations d’employeurs

 

Serge Saint-Pierre, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

Denis Gauthier

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Ville de Shawinigan

 

Partie intéressée

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 29 avril 2004, monsieur Denis Gauthier, le travailleur, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 20 avril 2004 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 8 mars 2004 à la suite de l’avis d’un membre du Bureau d’évaluation médicale. Elle déclare donc que le diagnostic à retenir est celui d’entorse lombaire sur discarthrose lombaire étagée, que la date de consolidation est le 11 décembre 2003, qu’il y a suffisance de soins ou traitements, que l’atteinte permanente est évaluée à 0 % et qu’il y a lieu de fixer des limitations fonctionnelles de classe I, plus amplement décrites par le membre du Bureau d’évaluation médicale. La CSST déclare aussi que le diagnostic de discarthrose lombaire étagée n’est pas en relation avec la lésion professionnelle et que la CSST est justifiée de poursuivre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’elle se prononce sur la capacité du travailleur d’exercer son emploi.

[3]                Une audience est tenue le 9 décembre 2004 à Trois-Rivières en présence des parties et de leurs représentants.

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]                Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale est irrégulier car ce dernier ne devait pas se prononcer sur les cinq points prévus à l’article 212 puisque par son rapport complémentaire, le médecin qui a charge du travailleur a confirmé l’avis du médecin désigné quant au diagnostic, à la consolidation, à l’atteinte permanente et aux limitations fonctionnelles. Ces questions étaient donc réglées et n’avaient pas à être traitées par un membre du Bureau d’évaluation médicale. Quant à la question des traitements, le travailleur n’a aucune représentation à formuler. Le travailleur demande également de reconnaître qu’il y a relation entre l’entorse lombaire et l’événement initial et qu’il avait droit à la poursuite de l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur sa capacité de travail.

 

LES FAITS

[5]                De l’ensemble du dossier et de la preuve, la Commission des lésions professionnelles retient principalement les éléments suivants.

[6]                Le 17 octobre 2002, le travailleur subit une lésion professionnelle dans les circonstances décrites au formulaire de Déclaration d’accident du travail  fourni par son employeur.

C’est lors de la vérification préventive du véhicule (V-335), j’ai voulu lever le capot du camion pour faire vérifier l’huile quand tout-à-coup j’ai ressenti une douleur au bas du dos. Je suis allé sur le chantier avec le camion. Quand j’ai débarqué du camion mon dos à barré. Après cette intervention je me suis rendu à l’hôpital.

 

[…]   [sic]

 

 

[7]                Le jour même, le docteur R. Boucher diagnostique une entorse lombaire, diagnostic repris le 21 octobre 2002 par le docteur Tousignant.

[8]                Le 8 novembre 2002, une tomodensitométrie indique la présence d’un bombement discal et d’une hernie discale à L3-L4, en plus d’une ostéophytose marginale. À L4-L5, il y a également une ostéophytose marginale qui est notée tandis qu’à L5-S1, une petite hernie discale est observée.

[9]                Le 13 novembre 2002, le travailleur est pris en charge par la Clinique de physiothérapie de la Mauricie.

[10]           Le 11 mars 2003, le docteur Rheault, orthopédiste, diagnostique une entorse dorso-lombaire sur une arthrose lombaire. Il prescrit des exercices.

[11]           Le 16 juin 2003, la docteure Tousignant produit un rapport final consolidant la lésion le jour même, sans atteinte permanente mais avec des limitations fonctionnelles. Elle inscrit que l’entorse lombaire du travailleur est guérie mais que son dos reste fragile. Elle lui demande d’éviter de lever des poids de plus de 25 kg.

[12]           Le 23 juin 2003, la CSST rend une décision déterminant que le travailleur est capable d’exercer son emploi depuis le 16 juin 2003.

[13]           Le 15 juillet 2003, le travailleur subit une récidive, rechute ou aggravation dans les circonstances décrites au formulaire de Déclaration d’accident du travail  fourni par son employeur.

[…]

 

En faisant partie de l’équipe asphalte, j’étais en train de râteler l’asphalte sur le sol quand j’ai ressenti une vive douleur au bas du dos.

 

[…]

 

 

[14]           Le 17 juillet 2003, le docteur S. Cadorette diagnostique une lombalgie mécanique et prescrit un arrêt de travail.

[15]           Le 21 juillet 2003, la docteure Tousignant diagnostique une entorse lombaire avec spasme.

[16]           Le 12 août 2003, le travailleur est pris en charge par la Clinique de physiothérapie de la Mauricie suite à sa rechute.

[17]           Le 10 octobre 2003, le docteur Nguyen estime que la lésion est consolidée le 18 octobre 2003.

[18]           Le 17 octobre 2003, une radiographie de la colonne lombaire confirme la présence d’une spondylarthrose étagée et d’une discarthrose à L4-L5. Une tomodensitométrie effectuée le même jour indique, quant à elle, que la hernie discale L3-L4 a diminué et qu’il y a aussi à ce niveau un bombement discal avec ostéophytose. À L4-L5, il y a un léger bombement discal avec ostéophytose et un peu d’arthrose facettaire.  À L5-S1, on soupçonne toujours une petite hernie discale sous-ligamentaire avec légère arthrose facettaire.

[19]           Le 4 novembre 2003, le physiothérapeute Stéphane Lafrenière indique que la condition du travailleur est plutôt stable.

[20]           Le 6 novembre 2003, la docteure Olga Dafniotis, orthopédiste, rencontre le travailleur. Son examen indique des mouvements normaux et un Lasègue négatif, l’amenant à conclure au diagnostic d’entorse lombaire.

[21]           Le 25 novembre 2003, le physiothérapeute mentionne que la condition du travailleur est stable, ce qu’il répétera le 16 décembre 2003.

[22]           Le 11 décembre 2003, le travailleur rencontre le docteur Gilles Lamoureux, orthopédiste, à la demande de la CSST. Le travailleur lui mentionne avoir l’impression d’avoir atteint un plateau depuis environ trois mois. À l’examen physique, il note une sensibilité à la palpation de la jonction lombo-sacrée et paramédiane droite et gauche. Le mouvement d’extension est limité. Le docteur Lamoureux conclut à une entorse lombaire consolidée le 11 décembre 2003, de laquelle découle une atteinte permanente de 0 % pour entorse dorso-lombaire sans séquelle fonctionnelle objectivée (code 203997). Il recommande la poursuite sur une base individuelle et de façon plus intensifiée des mesures usuelles d’hygiène du rachis et des exercices d’assouplissement et de renforcement qui lui ont été enseignés. Quant aux limitations fonctionnelles, il énonce ce qui suit :

[…]

 

À titre surtout préventif, éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquente les activités qui impliquent de :

 

-      soulever, porter, pousser, tirer des charges de plus de 25 kilos

 

-      travailler en position accroupie

 

-      ramper, grimper

 

-      effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire

 

-      subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale comme celles provoquées par du matériel roulant sans suspension par exemple

 

[…]

 

[23]           Le 6 janvier 2004, le physiothérapeute confirme que la condition du travailleur est bel et bien stable.

[24]           Le 30 janvier 2004, le docteur Michel P. Tousignant complète un rapport complémentaire eu égard à l’avis du médecin désigné par la CSST, le docteur Gilles Lamoureux. Il y a lieu de reproduire de document :

Après lecture du rapport du Dr. G. Lamoureux :

- Je suis d’accord avec le diagnostic d’entorse lombaire guérie.

- J’approuve également les limitations fonctionnelles décrites, qui sont présentes depuis

  déjà plusieurs mois (accidents antérieurs) -

 

Mais l’accident récent a réveillé les problèmes antérieurs (2002-2003) où de petites hernies discales avaient été découvertes - Est-ce à cause de celles-ci que le patient persiste à présenter des entorses à répétition?

En raison du problème récidivant, je crois que M. Gauthier a besoin de traitements de physiothérapie à répétition pour limiter ces récidives -

Je conseillerais  un RMI de L3 à S1 pour s’assurer qu’il n’y a pas d’autre lésion qui serait à l’origine de ces entorses répétitives -

Et comme le disait le Dr Dafniotis, il y a pas (sic) à offrir à ce patient, sauf de la physiothérapie en palliatif - un cours d’hygiène posturale? Une réduction de poids favoriserait l’hygiène posturale.

 

 

[25]           Le 6 février 2004, la CSST transmet le dossier du travailleur au Bureau d’évaluation médicale.

[26]           Le 24 février 2004, le travailleur est examiné par le docteur Denis Laflamme, orthopédiste, agissant à titre de membre du Bureau d’évaluation médicale. Cet examen concerne la récidive, rechute ou aggravation du 15 juillet 2003. À l’examen objectif, les mouvements lombaires sont normaux, il y a une légère douleur à la palpation de L5-S1, le « straight leg raising » est légèrement positif à gauche à 60º et l’examen s’avère par ailleurs négatif.

[27]           Il conclut à un diagnostic d’entorse lombaire sur une discarthrose lombaire étagée, laquelle est consolidée depuis le 11 décembre 2003, soit la date retenue par le docteur Lamoureux et en tenant compte également que le travailleur dit que son état est stable depuis plus de deux ou trois mois. Il estime que l’atteinte permanente est égale à 0 %, que les soins ne sont plus requis et que les limitations fonctionnelles suivantes doivent être respectées :

[…]

 

Considérant la symptomatologie douloureuse persistante, il y a lieu de fixer des limitations fonctionnelles de classe I.

 

Monsieur Gauthier devra éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquente les activités qui impliquent de :

.      Soulever, porter, pousser, tirer des charges de plus de 20 kilos.

.      Travailler en position accroupie.

.      Ramper et grimper.

.      Effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire.

.      Subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale.

 

 

[28]           Le 30 mars 2004, la CSST rend la décision suivante :

Comme nous en avions convenu, nous avons entrepris des démarches auprès de votre employeur pour que vous puissiez retourner au travail. Ces démarches nous permettent de conclure, en tenant compte de vos limitations fonctionnelles, que vous êtes capable d’exercer votre emploi à compter du 28 mars 2004.

 

Veuillez noter que le versement des indemnités de remplacement du revenu prendra fin à cette date.

 

[…]

 

 

[29]           À l’audience, les documents suivants sont déposés :

Pièce E-1      Expertise sur dossier rédigée par le docteur Pierre Desnoyers à la demande de la représentante de l’employeur. Une objection est faite quant au dépôt de ce document, laquelle a été prise sous réserve par le tribunal.

 

Pièce E-2      Extrait du petit Larousse de la médecine[1] quant aux définitions d’arthrose et de discarthrose.

 

L’ARGUMENTATION DES PARTIES

[30]           Le représentant du travailleur estime que le rapport complémentaire du médecin qui a charge confirmait l’avis du médecin désigné par la CSST quant à la consolidation, au diagnostic, aux limitations fonctionnelles et à l’atteinte permanente. Il ne restait donc que la question des traitements à trancher par le Bureau d’évaluation médicale. Ce n’est que si le rapport complémentaire infirme certaines conclusions du médecin désigné que le dossier doit être référé au Bureau d’évaluation médicale. Vu l’accord du médecin qui a charge quant à quatre points sur cinq, le Bureau d’évaluation médicale n’aurait dû se prononcer que sur la question des traitements.

[31]           Les prescriptions de l’article 221 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (la Loi)[2] ne peuvent s’appliquer en l’espèce puisque le médecin désigné et le médecin qui a charge se sont prononcés sur les sujets prévus à l’article 212 et ce n’est qu’en cas de désaccord que le membre du Bureau d’évaluation médicale pouvait se prononcer.

[32]           La procureure de l’employeur croit plutôt que le dossier a été soumis valablement au Bureau d’évaluation médicale. Le docteur Tousignant est bel et bien le médecin qui a charge du travailleur, la référence au docteur Lamoureux, selon l’article 204, est valide, ce dernier a infirmé les conclusions du médecin traitant dans son rapport et un rapport complémentaire a été produit. Le rapport complémentaire réfère d’ailleurs à des hernies discales antérieures et à des entorses à répétition. Le rapport complémentaire prête d’ailleurs à interprétation de sorte que le dossier pouvait être acheminé au Bureau d’évaluation médicale. La CSST pouvait envoyer le dossier au Bureau d’évaluation médicale même si le diagnostic n’était pas infirmé.

[33]           Le Bureau d’évaluation médicale a jugé qu’il y avait matière à interprétation de sorte qu’il s’est prononcé sur les cinq points prévus à l’article 212 de la Loi. La procédure de référence au Bureau d’évaluation médicale est donc valable et les conclusions du Bureau d’évaluation médicale doivent être retenues.

[34]           Quant à la question de la discarthrose, la représentante réfère au document déposé sous la cote E-1 mentionnant que ce diagnostic existe mais qu’il n’est pas lié à la lésion professionnelle. Or les limitations fonctionnelles émises par le docteur Laflamme sont liées à cette condition personnelle.

[35]           Le représentant du travailleur réplique que le rapport complémentaire du médecin qui a charge ne doit pas être interprété de façon à lui faire dire ce qu’il ne dit pas. Le diagnostic retenu est celui d’entorse lombaire guérie. Il est vrai que le membre du Bureau d’évaluation médicale a le pouvoir discrétionnaire de se prononcer sur un sujet même si le médecin qui a charge ou le médecin désigné n’en a pas traité. Cela ne lui donne cependant pas le droit de se prononcer sur un point qui a fait l’objet d’un accord entre les deux experts.

 

L’AVIS DES MEMBRES

[36]           Le membre issu des associations syndicales estime que le médecin qui a charge et le médecin désigné par la CSST étaient d’accord sur tous les points de l’article 212 sauf la question des soins. Le membre du Bureau d’évaluation médicale n’aurait pas dû s’en saisir et, en vertu de l’article 224 de la Loi, la CSST et le présent tribunal sont liés par l’avis du médecin qui a charge de sorte que l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale doit être annulé sur ces points. Quant à la question des soins, comme le médecin qui a charge du travailleur parle de guérison, il est clair qu’aucun traitement supplémentaire n’était nécessaire et l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale doit être confirmé à ce sujet. Le diagnostic d’entorse lombaire est relié à l’événement initial et le travailleur avait droit à la poursuite de l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce que la CSST statue sur sa capacité de travail.

[37]           Le membre issu des associations d’employeurs estime que le membre du Bureau d’évaluation médicale pouvait se saisir de l’ensemble du dossier. Le diagnostic à retenir est celui d’entorse lombaire puisque la discarthrose ne peut être considérée comme reliée à la lésion professionnelle. L’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale doit être confirmé quant aux soins, à la date de consolidation, à l’atteinte permanente et aux limitations fonctionnelles. L’entorse lombaire est bel et bien reliée à l’événement d’origine alors que la discarthrose constitue une condition personnelle. Le travailleur avait droit à la poursuite de l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce que la CSST se prononce sur sa capacité de travail.

 

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[38]           Pour rendre sa décision, la Commission des lésions professionnelles a pris connaissance de l’ensemble de la documentation au dossier, de l’argumentation des parties et tenu compte de l’avis des membres. Elle rend en conséquence la décision suivante.

[39]           La Commission des lésions professionnelles doit décider de la conformité de l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale quant aux cinq points prévus à l’article 212 de la Loi. Certaines questions accessoires doivent également être décidées.

[40]           Préliminairement, le tribunal entend décider de l’objection faite par le représentant du travailleur à l’audience quant au dépôt du document E-1. Le tribunal estime que ce document ne peut être d’aucune utilité dans le présent dossier étant donné sa décision à l’effet que la discarthrose ne constitue pas un diagnostic à retenir dans ce dossier et, par le fait même, ne peut aucunement être considéré comme étant lié à l’événement d’origine. Comme le document du docteur Desnoyers ne traite que de cette question, il ne peut donc être d’aucune utilité étant donné que ce sujet est réglé pour les motifs qui seront explicités ultérieurement dans la présente décision.

[41]           Quant au reste du document E-1, il s’agit d’un résumé du dossier qui, encore là, ne peut être d’aucune utilité au tribunal. La question des conditions dégénératives du travailleur étant donc évacuée par la présente décision, l’expertise E-1 devient non pertinente. Quant à la partie du document E-1 qui constitue un avis en vue d’un partage d’imputation, le présent tribunal n’est aucunement saisi de cette question et encore là, cette partie du document n’est pas pertinente au présent litige.

[42]           De plus, comme le tribunal fait droit aux prétentions du travailleur quant au fait que le Bureau d’évaluation médicale n’aurait pas dû se prononcer sur certaines questions, dont les limitations fonctionnelles, les remarques faites par le docteur Desnoyers au dernier paragraphe de la cinquième page de son expertise, sont non avenues. Il est bien établi en jurisprudence que la question de la relation entre l’atteinte permanente ou les limitations fonctionnelles et la lésion est une question d’ordre médical qui relève du médecin qui a charge du travailleur, puis éventuellement du Bureau d’évaluation médicale[3].

[43]           En conséquence, comme le tribunal est d’avis qu’il y a unanimité entre le médecin qui a charge et le médecin désigné quant aux limitations fonctionnelles et que le membre du Bureau d’évaluation médicale ne devait pas s’en saisir, cette question est réglée par l’avis du médecin qui a charge dans son rapport complémentaire en vertu de l’article 224 de la Loi. L’opinion du docteur Desnoyers à ce sujet n’apporte donc rien d’utile dans le débat, le tribunal étant lié par l’avis du médecin qui a charge.

[44]           Au surplus, le tribunal ne peut ignorer l’article 12 des Règles de preuve, de procédure et de pratique de la Commission des lésions professionnelles[4] :

12. Un rapport d’expert est déposé au dossier de la Commission au moins 15 jours avant la date fixée pour la tenue de l’audience.

 

Un commissaire peut toutefois autoriser la production tardive d’un tel rapport aux conditions qu’il détermine.

_________________

D. 217-2000, a, 12.

 

 

[45]           Cette disposition n’a manifestement pas été respectée par l’employeur qui n’a déposé le rapport du docteur Desnoyers que le jour même de l’audience.

[46]           Dans l’affaire Nadeau et Prestige Télécommunications[5], la Commission des lésions professionnelles constatait que le rapport d’expert que voulait déposer un travailleur à l’audience ne respectait pas le délai de production établi à l’article 12 des Règles de preuve. L’autorisation de produire avait cependant été donnée parce que ce rapport portait sur le fond même du litige et constituait un élément essentiel à la démonstration que le travailleur entendait faire pour obtenir gain de cause. Le tribunal estime que les faits en l’espèce sont différents puisque le rapport en question n’a aucune utilité en l’espèce pour les motifs déjà exprimés. La question des limitations fonctionnelles se solutionne dans le présent dossier d’une façon légale et non médicale comme le tribunal l’expliquera plus tard.

[47]           Le tribunal estime de plus que ce n’est pas sans raison que l’obligation prévue à l’article 12 des Règles de preuve existe. On veut ainsi éviter les surprises à l’audience et les ajournements. Un trop grand laxisme dans l’application de cet article entraîne automatiquement ou presque l’obligation d’ajourner l’audience pour permettre une preuve complémentaire ce qu’il avait justement pour but d’éviter.

[48]           La procureure de l’employeur mentionne que le document a été produit tardivement à cause des discussions de conciliation qui avaient cours. Il ne s’agit pas d’un motif acceptable puisqu’il n’est jamais certain qu’un règlement sera conclu en cours de conciliation et il faut toujours rester en mesure de procéder à la date prévue avec ses témoins et sa preuve documentaire déposée selon les exigences des règles de preuve.

[49]           Le dépôt tardif n’a donc été expliqué par aucun motif valable et ce document n’avait nullement été annoncé même dans le cadre des négociations de règlement.

[50]           Le tribunal estime que rien en l’espèce ne lui permet d’exercer le pouvoir discrétionnaire contenu au deuxième alinéa de l’article 12 des Règles de preuve, de sorte que l’autorisation de produire ce document serait contraire à l’objectif visé par cette disposition, surtout que le dossier était ouvert depuis huit mois lors de l’audience, ce qui donnait amplement le temps à l’employeur de respecter les prescriptions de l’article 12.

[51]           En présence de motifs valables dûment prouvés, un commissaire peut exercer le pouvoir discrétionnaire prévu à cette disposition. En l’absence de toute preuve à cet effet, il serait pour le moins arbitraire d’autoriser la production tardive d’un document. Une telle façon d’agir reviendrait à stériliser l’article 12 des Règles de preuve puisqu’il serait toujours possible de produire un rapport d’expert en tout temps malgré la règle énoncée à cet article et ce même en l’absence d’un motif valable.

[52]           Si le législateur juge qu’une telle disposition réglementaire n’est pas nécessaire, il pourra éventuellement la rayer de la Loi. Tant qu’elle existera, le tribunal estime qu’elle doit être appliquée d’une façon souple mais tout en respectant le but qui la sous-tend et tout en évitant de transformer en automatisme la permission de produire un rapport d’expert tardivement. En conséquence, l’objection du représentant du travailleur est accueillie et le dépôt du rapport d’expert E-1 n’est pas autorisé.

[53]           Quant à l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale, le travailleur lui reproche d’avoir couvert des sujets sur lesquels il n’y avait aucune mésentente entre le médecin de la CSST et le médecin qui a charge.

[54]           Aux articles 199 et suivants de la Loi, le législateur a prévu une procédure d’évaluation médicale. Il y a lieu de reproduire certains articles qui y sont contenus :

199. Le médecin qui, le premier, prend charge d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle doit remettre sans délai à celui-ci, sur le formulaire prescrit par la Commission, une attestation comportant le diagnostic et:

 

1°   s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée dans les 14 jours complets suivant la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la date prévisible de consolidation de cette lésion; ou

 

2°   s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée plus de 14 jours complets après la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la période prévisible de consolidation de cette lésion.

 

Cependant, si le travailleur n'est pas en mesure de choisir le médecin qui, le premier, en prend charge, il peut, aussitôt qu'il est en mesure de le faire, choisir un autre médecin qui en aura charge et qui doit alors, à la demande du travailleur, lui remettre l'attestation prévue par le premier alinéa.

__________

1985, c. 6, a. 199.

 

 

203. Dans le cas du paragraphe 1° du premier alinéa de l'article 199, si le travailleur a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, et dans le cas du paragraphe 2° du premier alinéa de cet article, le médecin qui a charge du travailleur expédie à la Commission, dès que la lésion professionnelle de celui-ci est consolidée, un rapport final, sur un formulaire qu'elle prescrit à cette fin.

 

Ce rapport indique notamment la date de consolidation de la lésion et, le cas échéant:

 

1°   le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur d'après le barème des indemnités pour préjudice corporel adopté par règlement;

 

2°   la description des limitations fonctionnelles du travailleur résultant de sa lésion;

 

3°   l'aggravation des limitations fonctionnelles antérieures à celles qui résultent de la lésion.

 

Le médecin qui a charge du travailleur l'informe sans délai du contenu de son rapport.

__________

1985, c. 6, a. 203; 1999, c. 40, a. 4.

 

204. La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qu'il se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'elle désigne, pour obtenir un rapport écrit de celui-ci sur toute question relative à la lésion. Le travailleur doit se soumettre à cet examen.

 

La Commission assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle détermine en vertu de l'article 115.

__________

1985, c. 6, a. 204; 1992, c. 11, a. 13.

 

 

205.1. Si le rapport du professionnel de la santé désigné aux fins de l'application de l'article 204 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.

 

La Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.

__________

1997, c. 27, a. 3.

 

 

206. La Commission peut soumettre au Bureau d'évaluation médicale le rapport qu'elle a obtenu en vertu de l'article 204, même si ce rapport porte sur l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 sur lequel le médecin qui a charge du travailleur ne s'est pas prononcé.

__________

1985, c. 6, a. 206; 1992, c. 11, a. 13.

 

 

209. L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut exiger que celui-ci se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'il désigne, à chaque fois que le médecin qui a charge de ce travailleur fournit à la Commission un rapport qu'il doit fournir et portant sur un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.

 

L'employeur qui se prévaut des dispositions du premier alinéa peut demander au professionnel de la santé son opinion sur la relation entre la blessure ou la maladie du travailleur d'une part, et d'autre part, l'accident du travail que celui-ci a subi ou le travail qu'il exerce ou qu'il a exercé.

__________

1985, c. 6, a. 209; 1992, c. 11, a. 14.

 

 

212. L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants:

 

1°   le diagnostic;

 

2°   la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;

 

3°   la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;

 

4°   l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;

 

5°   l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.

 

L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.

__________

1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.

 

 

212.1. Si le rapport du professionnel de la santé obtenu en vertu de l'article 212 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de cet article, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.

 

La Commission soumet ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.

__________

1997, c. 27, a. 5.

 

 

217. La Commission soumet sans délai les contestations prévues aux articles 205.1, 206 et 212.1 au Bureau d'évaluation médicale en avisant le ministre de l'objet en litige et en l'informant des noms et adresses des parties et des professionnels de la santé concernés.

__________

1985, c. 6, a. 217; 1992, c. 11, a. 19; 1997, c. 27, a. 6.

 

 

221. Le membre du Bureau d'évaluation médicale, par avis écrit motivé, infirme ou confirme le diagnostic et les autres conclusions du médecin qui a charge du travailleur et du professionnel de la santé désigné par la Commission ou l'employeur, relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, et y substitue les siens, s'il y a lieu.

 

Il peut aussi, s'il l'estime approprié, donner son avis relativement à chacun de ces sujets, même si le médecin qui a charge du travailleur ou le professionnel de la santé désigné par l'employeur ou la Commission ne s'est pas prononcé relativement à ce sujet.

__________

1985, c. 6, a. 221; 1992, c. 11, a. 23.

224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.

__________

1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.

 

 

224.1. Lorsqu'un membre du Bureau d'évaluation médicale rend un avis en vertu de l'article 221 dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par cet avis et rend une décision en conséquence.

 

Lorsque le membre de ce Bureau ne rend pas son avis dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par le rapport qu'elle a obtenu du professionnel de la santé qu'elle a désigné, le cas échéant.

 

Si elle n'a pas déjà obtenu un tel rapport, la Commission peut demander au professionnel de la santé qu'elle désigne un rapport sur le sujet mentionné aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 qui a fait l'objet de la contestation; elle est alors liée par le premier avis ou rapport qu'elle reçoit, du membre du Bureau d'évaluation médicale ou du professionnel de la santé qu'elle a désigné, et elle rend une décision en conséquence.

 

La Commission verse au dossier du travailleur tout avis ou rapport qu'elle reçoit même s'il ne la lie pas.

__________

1992, c. 11, a. 27.

 

 

[55]           À la lecture de ces dispositions, on constate que le législateur a choisi de donner un rôle prédominant au médecin qui a charge du travailleur de sorte que son opinion sur les cinq points prévus à l’article 212 de la Loi lie la CSST, l’instance de révision de la CSST et la Commission des lésions professionnelles[6].

[56]           La prépondérance de l’avis du médecin qui a charge s’impose aussi au travailleur qui ne peut le contester puisque aucune disposition de la loi ne permet au travailleur de contester le rapport de son propre médecin[7].

[57]           La Loi prévoit cependant des recours pour l’employeur et la CSST qui pourront faire examiner le travailleur par un médecin de leur choix et éventuellement demander une référence du dossier au Bureau d’évaluation médicale pour faire trancher le litige. C’est alors que l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale deviendra à son tour prépondérant au sens de l’article 224.1 de la Loi. On peut donc constater que l’avis du médecin traitant est liant de plein droit et sans démarche supplémentaire alors que l’avis du Bureau d’évaluation médicale fera suite à une procédure de contestation par la CSST ou l’employeur.

[58]           L’étude de toutes ces dispositions indique clairement que le recours au Bureau d’évaluation médicale devient nécessaire pour trancher une contradiction entre l’avis d’un médecin qui a charge et l’avis d’un médecin désigné. Tant que l’employeur et la CSST sont d’accord avec l’avis du médecin qui a charge, ils n’ont qu’à ne pas agir. Du moment où ils sont en désaccord, ils doivent alors agir en obtenant une expertise d’un médecin désigné.

[59]           Si le médecin désigné confirme l’avis du médecin qui a charge, il n’y aura alors aucun litige et aucune référence au Bureau d’évaluation médicale. S’il y a divergence d’opinions, le médecin qui a charge pourra se ranger à l’opinion du médecin désigné et encore là, il n’y aura plus de litige et absence d’intérêt de référer le dossier au Bureau d’évaluation médicale. Ce n’est que lorsque, suite à son rapport complémentaire, le médecin qui a charge persiste dans son opinion initiale laquelle est contredite par un médecin désigné que le dossier devra être référé au Bureau d’évaluation médicale.

[60]           Toute autre interprétation amène à conclure que le Bureau d’évaluation médicale peut trancher des litiges artificiels qui n’existent pas dans la réalité alors qu’il est là pour trancher une divergence entre deux médecins. Le Bureau d’évaluation médicale est là pour trancher des litiges et non pour en créer. Il est là pour trancher un litige entre deux médecins et non pour trancher un litige inexistant lorsqu’il y a unanimité entre les deux médecins.

[61]           Une certaine jurisprudence, notamment celle déposée par l’employeur, affirme qu’un seul sujet de désaccord est suffisant pour permettre à la CSST de transmettre le dossier au Bureau d’évaluation médicale et ainsi valider par la suite la totalité de la procédure. Le soussigné n’est pas d’accord avec cette position qui va à l’encontre de la lettre et de l’esprit de la loi. Lorsque le médecin désigné et le médecin qui a charge sont d’accord sur un des cinq sujets de l’article 212, il n’y a aucune raison de compliquer cet aspect du dossier et de le faire perdurer par une autre étape.

[62]           Pourquoi « judiciariser médicalement » quatre autres questions médicales qui font l’unanimité parce qu’une seule fait problème dans le cadre d’un processus voulu par le législateur comme simple, souple et rapide[8]? Pourquoi mettre de côté l’unanimité sur quatre sujets parce qu’il y a divergence sur un seul? En l’espèce, l’avis du Bureau d’évaluation médicale n’aurait donc dû porter que sur la question des soins, seul litige qui persistait.

[63]           En effet, la CSST ne peut pas, par le biais de la procédure d’évaluation médicale devant le Bureau d’évaluation médicale, remettre en cause l’un des éléments prévus à l’article 212 qui n’est pas infirmé par le médecin de la CSST ou qui fait l’objet d’un accord par le médecin qui a charge dans son rapport complémentaire[9].

[64]           Le tribunal estime que le membre du Bureau d’évaluation médicale désigné dans le cadre d’une contestation ne doit pas se prononcer sur l’un ou l’autre des sujets énoncés à l’article 212 alors qu’une telle conclusion médicale n’est pas infirmée à l’égard de l’un ou de l’autre de ces sujets. Même l’article 221 de la Loi ne permet pas d’agir ainsi de l’avis du tribunal. Le but du processus d’évaluation médicale est de régler des litiges d’ordre médical et en conséquence, lorsque certaines conclusions d’ordre médical ne sont pas infirmées, la CSST demeure liée par les conclusions du médecin qui a charge du travailleur[10].

[65]           Même si l’article 221 permet au Bureau d’évaluation médicale de donner son avis sur l’un des éléments médicaux lorsque le médecin du travailleur, celui de l’employeur ou celui de la CSST ne se sont pas prononcés sur le sujet, ce n’est pas le cas en l’espèce car les deux médecins se sont prononcés de façon identique sur l’ensemble des sujets, sauf la question des soins de sorte que seule cette question pouvait faire l’objet d’une référence au Bureau d’évaluation médicale[11].      

[66]           Que le membre du Bureau d’évaluation médicale puisse se prononcer sur des questions sur lesquelles le médecin qui a charge ou le médecin désigné ne se sont pas prononcés, soit. Cela ne fait pas en sorte qu’il peut se prononcer sur des questions sur lesquelles ils se sont non seulement prononcés mais aussi entendus.

[67]           Quant à la possibilité pour la CSST d’obtenir l’accord du médecin qui a charge par le biais du rapport complémentaire prévu à l’article 205.1, il est bien établi par la jurisprudence[12]. La CSST devient alors liée par l’avis du médecin qui a charge lorsqu’il entérine les conclusions du médecin désigné.

[68]           Lorsqu’on prend connaissance du rapport complémentaire du 30 janvier 2004, il est évident que le docteur Tousignant exprime clairement son accord avec le diagnostic d’entorse lombaire et avec les limitations fonctionnelles décrites par le docteur Lamoureux.

[69]           Le tribunal estime également qu’en employant l’expression entorse lombaire guérie, le docteur Tousignant rejoint l’avis du docteur Lamoureux quant à la date de consolidation du 11 décembre 2003 et quant à l’absence d’atteinte permanente.

[70]           En effet, la notion de consolidation est définie à l’article 2 de la Loi comme référant à la guérison ou la stabilisation de la lésion sans amélioration prévisible. En se disant d’accord avec le fait que l’entorse lombaire est guérie, le docteur Tousignant reconnaît qu’elle est donc consolidée à la date choisie par le docteur Lamoureux le 11 décembre 2003.

[71]           La notion de guérison qu’il utilise est également opposée à la notion d’atteinte permanente de sorte que le tribunal estime que le docteur Tousignant exprime clairement l’idée que le travailleur ne subit aucune atteinte permanente.

[72]           En somme, le tribunal estime que le docteur Tousignant s’est exprimé clairement pour se rallier à certaines conclusions du docteur Lamoureux.

[73]           Il est vrai que le docteur Tousignant mentionne que l’accident récent a réveillé des problèmes antérieurs et qu’il réfère à de petites hernies discales qui avaient été découvertes. Il est cependant clair qu’il s’agit là simplement d’un historique fait par le docteur Tousignant mais qu’il ne retient nullement ces diagnostics aux fins de son rapport. D’ailleurs, il se pose la question à savoir si c’est à cause de ces hernies discales que le patient persiste à présenter des entorses à répétition. Il s’agit là d’une interrogation et non d’une affirmation qui doit céder le pas devant le diagnostic clairement reconnu d’entorse lombaire guérie. Ceci revient à dire que même si l’accident récent a pu réveiller des problèmes antérieurs, tout est rentré dans l’ordre puisque l’entorse lombaire est guérie même si elle laisse des limitations fonctionnelles de nature préventive telles que suggérées par le docteur Lamoureux.

[74]           En conséquence, les conclusions du docteur Tousignant dans son rapport complémentaire du 30 janvier 2004 devraient être retenues à l’effet que le diagnostic de la lésion est celui d’entorse lombaire consolidée le 11 décembre 2003 sans atteinte permanente mais avec les limitations fonctionnelles surtout préventives décrites par le docteur Lamoureux.

[75]           Subsidiairement, même si le tribunal avait jugé que les notions de consolidation et d’atteinte permanente n’étaient pas clairement décrites par le docteur Tousignant et que le Bureau d’évaluation médicale pouvait se prononcer sur ces dernières, il en serait venu aux mêmes conclusions face à la preuve médicale au dossier, à savoir l’absence d’atteinte permanente et la consolidation au 11 décembre 2003, qui s’appuient clairement sur la preuve contenue aux pages 71, 76, 82, 86, 94, 96, 97 et 109 du dossier. Quant à l’absence d’atteinte permanente, elle se déduit de la mention faite par le docteur Tousignant à certaines attestations médicales, notamment celles des 28 août au 2 octobre 2003, de l’opinion du docteur Lamoureux et de celle du Bureau d’évaluation médicale. Aucune preuve probante ne vient contredire cette absence d’atteinte permanente.

[76]           Il peut paraître contradictoire de reconnaître l’existence de limitations fonctionnelles alors qu’aucune atteinte permanente n’est reconnue. Cependant, comme le médecin qui a charge était d’accord avec le médecin désigné et qu’il se ralliait à son opinion, il n’y avait plus de litige à trancher par le Bureau d’évaluation médicale et en conséquence, le présent tribunal ne peut aucunement s’immiscer dans ce débat. Il ne peut que reconnaître l’existence de limitations fonctionnelles convenues entre le médecin désigné de la CSST et le médecin qui a charge du travailleur et que conclure, en l’absence de contradiction entre ces deux opinions, à l’absence de juridiction du Bureau d’évaluation médicale pour trancher un litige inexistant.

[77]           D’ailleurs, les limitations fonctionnelles émises par les docteurs Lamoureux et Tousignant le sont surtout à titre préventif et non à titre de conséquences fonctionnelles d’une lésion professionnelle. Cette notion de limitations fonctionnelles préventives a été maintes fois reconnue par la jurisprudence. Ainsi, une certaine jurisprudence a établi que les limitations fonctionnelles peuvent découler non seulement de l’impossibilité actuelle de poser certains gestes mais également de la nécessité d’éviter de poser certains gestes sous peine de récidive, rechute ou aggravation[13].

[78]           Une certaine jurisprudence reconnaît même que ces limitations fonctionnelles préventives peuvent exister en l’absence d’atteinte permanente[14]. Il fut également reconnu que de telles limitations préventives n’empêchent pas de conclure qu’elles sont permanentes[15].

[79]           Qu’elles soient préventives ou non, le présent tribunal ne peut que constater que le médecin qui a charge s’est rangé du côté de l’avis du médecin désigné par la CSST ce qui fait que de telles limitations existent. Le docteur Lamoureux les décrit comme étant à titre « surtout préventif », ce qui fait en sorte qu’elles ont à tout le moins également un certain côté curatif en plus de l’aspect préventif découlant de la lésion initiale.

[80]           Le tribunal rappelle que la question de la relation entre les limitations fonctionnelles et la lésion professionnelle est une question médicale qui appartient au médecin qui a charge lequel s’est dit en accord avec le médecin désigné par la CSST et le présent tribunal est donc lié par cette conclusion suivant les principes prévus à l’article 224 de la Loi.

[81]           De toute façon et subsidiairement, même si le tribunal avait conclu que la question des limitations fonctionnelles pouvait être soumise au Bureau d’évaluation médicale, force est de constater que ce Bureau d’évaluation médicale, tout comme le docteur Lamoureux et le docteur Tousignant, conclut à l’existence de limitations fonctionnelles en lien avec la lésion. Une simple étude de dossier déposée par un médecin omnipraticien n’aurait pu convaincre le tribunal d’écarter les avis des orthopédistes qui se sont prononcés dans ce dossier.

[82]           Reste la question des soins qui elle ne fait pas l’objet d’un accord entre le docteur Tousignant et le docteur Lamoureux. Le docteur Tousignant estime que des traitements de physiothérapie à répétition doivent être prodigués pour éviter des récidives. Il émet l’hypothèse d’un cours d’hygiène posturale mais emploie la forme interrogative de sorte qu’on ne peut pas conclure à une affirmation de sa part. On constate également que le docteur Nguyen, en octobre 2003, recommandait de la physiothérapie.

[83]           Le 4 novembre 2003, le physiothérapeute Lafrenière suggérait lui aussi la poursuite des traitements de physiothérapie.

[84]           D’un autre point de vue, la docteure Dafniotis, orthopédiste, indique qu’il n’y a plus de traitements à offrir en date du 6 novembre 2003. Le docteur Lamoureux ne voit pas non plus l’utilité de traitements additionnels, si ce n’est des mesures d’hygiène posturale et des exercices d’assouplissement qui ne constituent pas, à vrai dire, des « soins ou des traitements », concept qui doit être interprété globalement dans le cadre de la Loi.

[85]           Or, l’article 189 de la Loi situé au chapitre de l’assistance médicale indique que les soins ou traitements sont ceux fournis par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux[16] ou la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones Cris[17].

[86]           Ce même article 189 indique que les soins ou traitements peuvent également être ceux que la Commission détermine par un règlement prévoyant les conditions et limites monétaires.

[87]           Il ressort donc de ces dispositions que les soins ou traitements dont traite l’article 212 de la Loi doivent être reçus par le travailleur de la part de tiers et non pas constituer de simples habitudes personnelles ou exercices pratiqués par soi-même, sans frais. D’ailleurs, la notion de soins ou traitements « administrés ou prescrits » laisse entendre qu’ils doivent été prodigués par une tierce personne ou avoir fait l’objet d’une prescription en bonne et due forme, ce qui n’est pas le cas chez un travailleur à qui on demande de poursuivre individuellement et sur une base personnelle des mesures d’hygiène du rachis et des exercices d’assouplissement et de renforcement. On doit donc retenir que le docteur Lamoureux conclut qu’aucun soin ou traitement au sens de l’article 212 ne devait être poursuivi.

[88]           Quant au membre du Bureau d’évaluation médicale, il conclut lui aussi à l’absence de nécessité de soins ou traitements après la date de consolidation.

[89]           Le tribunal estime ainsi que la preuve médicale prépondérante, notamment l’avis de trois orthopédistes, est à l’effet que les soins ou traitements n’étaient plus requis après la date de consolidation.

[90]           D’ailleurs, comme la lésion du travailleur était consolidée sans atteinte permanente et avec des limitations fonctionnelles d’ordre plutôt préventif, il est logique de penser que les soins ou traitements n’étaient plus requis. Le médecin traitant a bien mentionné que l’entorse du travailleur était guérie. Or, une personne guérie n’a généralement pas besoin de traitements ou de soins. L’avis du Bureau d’évaluation médicale est donc bien fondé à ce sujet.

[91]           Quant à la question de la relation entre la discarthrose et l’événement initial, elle devient donc caduque. En effet, comme il ne s’agit pas d’un diagnostic retenu par le médecin qui a charge, diagnostic limité à celui d’entorse lombaire, il devient inutile de se prononcer sur la relation qui pourrait exister avec la lésion subie par le travailleur. Il est bien établi que la question du diagnostic se pose en deux phases : le médecin qui a charge du travailleur ou le Bureau d’évaluation médicale détermine l’existence ou non d’un diagnostic. La CSST puis la Commission des lésions professionnelles par la suite décident pour leur part de la question de la relation entre ce diagnostic et la lésion, ce qui constitue une question légale et non médicale. À défaut par le médecin qui a charge de retenir un diagnostic particulier, la deuxième étape, soit la détermination de la relation, n’a pas besoin d’être franchie ce diagnostic devenant à toutes fins pratiques inexistant au dossier.

[92]           Quant au diagnostic d’entorse lombaire, la preuve unanime au dossier indique qu’elle a bel et bien été causée par récidive, rechute ou aggravation du 15 juillet 2003, laquelle est en relation avec l’événement initial du 17 octobre 2002.

[93]           D’ailleurs, le diagnostic d’entorse lombaire a été posé dès juillet 2003 et la lésion du travailleur a été acceptée sur la base de ce diagnostic. La question est donc réglée depuis longtemps et en l’absence de nouveaux diagnostics retenus par la suite, on ne peut revenir sur cette question.

[94]           De toute façon, le tribunal rappelle que la preuve au dossier milite en faveur de l’existence de cette relation, que ce soit les propos du membre du Bureau d’évaluation médicale au niveau de son avis motivé sur le diagnostic dont les considérants laissent clairement entendre qu’il considère qu’il y a existence d’une relation, ou encore l’avis du docteur Serge Baril de la CSST, en date du 28 juillet 2003, déclarant que la rechute du 16 juillet 2003 est médicalement acceptable. L’effort fait par le travailleur le 15 juillet 2003, en relation avec un récent retour au travail suite à la lésion professionnelle du 17 octobre 2002 milite dans le même sens.

[95]           La décision de la CSST était également bien fondée quant à la poursuite de l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce que la CSST se prononce sur la capacité de travail. D’ailleurs, par sa décision du 30 mars 2004, la CSST a décidé que le travailleur était capable de reprendre son emploi à compter du 28 mars 2004 et que le versement de l’indemnité de remplacement du revenu prenait fin à cette date.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE en partie la requête de Denis Gauthier, le travailleur;

MODIFIE la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 20 avril 2004 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le diagnostic de la lésion du 15 juillet 2003 est celui d’entorse lombaire consolidée le 11 décembre 2003 sans nécessité de soins ou traitements après cette date;

DÉCLARE que la lésion professionnelle du 15 juillet 2003 n’a pas laissé d’atteinte permanente mais qu’elle a laissé les limitations fonctionnelles suivantes :

Ø       soulever, porter, pousser, tirer des charges de plus de 25 kilos;

 

Ø       travailler en position accroupie;

 

Ø       ramper, grimper;

 

Ø       effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire;

 

Ø       subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale comme celles provoquées par du matériel roulant sans suspension par exemple;

 

DÉCLARE que l’entorse lombaire est reliée à l’événement du 15 juillet 2003;

DÉCLARE que le travailleur avait droit à la poursuite de l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’il redevienne capable de travailler, soit le 28 mars 2004, selon la décision non contestée rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 30 mars 2004.

 

 

 

 

__________________________________

 

Me Jean-François Clément

 

Commissaire

 

 

 

 

M. Jacques Lahaie

C.S.N.

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Josée Blain-Landreville

GROUPE-CONSEIL AON

Représentante de la partie intéressée

 

 



[1]          Domart et Bourneuf, Tome 1, Paris, Références Larousse

[2]          L.R.Q., c. A-3001

[3]          Landry et Centre d’accueil Émilie Gamelin, [1995] C.A.L.P. 1049 ; Gagné et Pyrotex ltée, [1996] C.A.L.P. 323 ; Simard et Vitrerie Wellington enr., C.L.P. 137137-72-0004, 14 novembre 2001, L. Landriault, décision sur requête en révision

[4]          c. A-3.001, r. 2.1.001

[5]          [2004] C.L.P. 555 , révision pendante

[6]          Nobili et Fruits Botner ltée, [1997] C.A.L.P. 734 ; Labrecque et Canadelle ltée, [2003] C.L.P. 1103

[7]          Chiazzese et Corival inc., [1995] C.A.L.P. 1168 ; Lepage c. CSST D.T.E 90T-1037

[8]           Loi sur la justice administrative, LRQ c. J-13

[9]          Morin et José et Georges inc., [2001] C.L.P. 443 ; Courcelles et The Gazette, C.L.P. 126795-72-9911, 31 mars 2000, R. Langlois

[10]         D’Aoust et Toitures Qualitruss inc., C.L.P. 212070-07-0307, 24 février 2004, M. Langlois

[11]         Goderre et R.H. Nugent Équipement Rental ltée, C.L.P. 154843-07-0102, 6 décembre 2001, P. Sincennes; Blanchette et Pétrole J.C. Trudel inc., C.L.P. 132329-08-0002, 13 septembre 2001, Monique Lamarre

[12]         Fortin et Société Groupe EMB Pepsi Canada, [2004] C.L.P. 168 ; Grignano et Récitals Jeans inc., [2000] C.L.P. 329 ; Lussier et Berlines RCI inc., C.L.P. 122844-05-9908, 21 septembre 2000, L. Boudreault

[13]         Gagné et Résidence Christophe Colomb, [1988] C.A.L.P. 305 ; White et Man Ashton Inc., [1994] C.A.L.P. 508 ; Coffrages industriels ltée et Couto, [1997] C.A.L.P. 1164

[14]         Poitras et Béton Demix Longueuil, C.L.P. 107184-31-9811, 7 avril 1999, M.-A. Jobidon; Fournier et Projets de préparation à l’emploi (EMSS), C.L.P. 209145-62-0306, 7 mai 2004, H. Marchand

[15]         Lacasse et Centre hospitalier Ste-Jeanne-d’Arc, C.A.L.P. 22507-60-9010, 27 février 1992, M. Lamarre; Renault et Groupe UCS, [1994] C.A.L.P. 219 ; Vallières et Ville de Hull, C.L.P. 126509-07-9911, 22 juin 2001, M. Langlois

[16]         c. S-4.2

[17]         c. S-5

AVIS :
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