Cadena c. Singer | 2023 QCTAL 469 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Montréal | ||||||
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No dossier : | 575456 31 20210611 G | No demande : | 3271586 | |||
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Date : | 11 janvier 2023 | |||||
Devant la juge administrative : | Anaïs Gagné | |||||
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Rosa Cadena |
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Locataire - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
David Singer
Zissy Wieder |
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Locateurs - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Par sa demande déposée le 11 juin 2021, la locataire demande une ordonnance en nature afin de faire cesser les bruits excessifs en provenance du logement au-dessus du sien, une réduction de loyer de 50% en raison de la perte de jouissance liée aux bruits et une diminution de loyer de 30% en raison de travaux inexécutés en lien avec une infiltration d’eau dans la salle de bain. Elle réclame également 500 $ à titre de dommages moraux.
[2] À l’audience du 2 mai 2022, la locataire se désiste de sa demande relative à la diminution de loyer de 30% en lien avec des travaux inexécutés à la suite d’une infiltration d’eau dans la salle de bain. De plus, il appert que les bruits excessifs ont cessé depuis le 1er septembre 2021, la locataire du logement au-dessus de celui de la locataire ayant déménagé et donc la demande d’exécution en nature est devenue sans objet.
[3] Les locateurs contestent la demande de diminution de loyer de 50% en raison de la perte de jouissance liée aux bruits, puisqu’ils considèrent qu’il s’agit d’inconvénients normaux du voisinage.
CONTEXTE
[4] Les parties sont liées par un bail de logement du 1er juillet 2020 au 30 juin 2021 pour un loyer mensuel de 720 $, reconduit au 30 juin 2022 pour un loyer mensuel de 745 $.
[5] La locataire occupe le logement avec sa fille depuis 2012.
[6] Le logement, un cinq et demi, est situé au sous-sol d’un triplex.
[7] En mars 2021, le logement du rez-de-chaussée, situé directement au-dessus de celui de la locataire, a été loué par une nouvelle locataire, madame Katia Hamouma (ci-après « Mme Hamouma »).
[8] L’objectif de Mme Hamouma en louant ce logement était d’y opérer une garderie en milieu familial, à la connaissance des locateurs qui ont autorisé cet usage.
QUESTION EN LITIGE
[9] Afin de trancher le litige entre les parties, le Tribunal répondra à la question suivante :
- La locataire a-t-elle droit à une diminution de loyer et à des dommages moraux en lien avec les bruits provenant du logement au-dessus du sien, pour la période du 1er mars au 1er septembre2021?
DIMINUTION DE LOYER ET DOMMAGES ET INTÉRÊTS MORAUX
[10] Le Code civil du Québec[1] (ci-après « C.c.Q. »), aux articles 1851, 1854, 1859 et 1861, prévoit ce qui suit :
« 1851. Le louage, aussi appelé bail, est le contrat par lequel une personne, le locateur, s'engage envers une autre personne, le locataire, à lui procurer, moyennant un loyer, la jouissance d'un bien, meuble ou immeuble, pendant un certain temps.
Le bail est à durée fixe ou indéterminée. »
« 1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.
Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l'usage pour lequel il est loué, et de l'entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail. »
« 1859. Le locateur n'est pas tenu de réparer le préjudice qui résulte du trouble de fait qu'un tiers apporte à la jouissance du bien; il peut l'être lorsque le tiers est aussi locataire de ce bien ou est une personne à laquelle le locataire permet l'usage ou l'accès à celui-ci.
Toutefois, si la jouissance du bien en est diminuée, le locataire conserve ses autres recours contre le locateur. »
« 1860. Le locataire est tenu de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires.
Il est tenu, envers le locateur et les autres locataires, de réparer le préjudice qui peut résulter de la violation de cette obligation, que cette violation soit due à son fait ou au fait des personnes auxquelles il permet l'usage du bien ou l'accès à celui-ci.
Le locateur peut, au cas de violation de cette obligation, demander la résiliation du bail. »
« 1861. Le locataire, troublé par un autre locataire ou par les personnes auxquelles ce dernier permet l'usage du bien ou l'accès à celui-ci, peut obtenir, suivant les circonstances, une diminution de loyer ou la résiliation du bail, s'il a dénoncé au locateur commun le trouble et que celui-ci persiste.
Il peut aussi obtenir des dommages-intérêts du locateur commun, à moins que celui-ci ne prouve qu'il a agi avec prudence et diligence; le locateur peut s'adresser au locataire fautif, afin d'être indemnisé pour le préjudice qu'il a subi. »
[Nos soulignements]
[11] Ces obligations du locateur sont des obligations de résultat et en conséquence, les moyens de défense que peut faire valoir le locateur sont limités[2].
[12] Cette obligation du locateur de fournir au locataire la jouissance paisible des lieux est balisée par l’article
« 976. Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n'excèdent pas les limites de la tolérance qu'ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux. »
[13] Lorsque le locateur fait défaut de fournir la jouissance paisible des lieux, le locataire peut demander une diminution de loyer selon l’article
« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.
L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir. »
[14] Ainsi, afin de réussir son recours, la locataire doit démontrer, par prépondérance preuve, que les locateurs ont omis de lui fournir la jouissance des lieux. Cette perte de jouissance doit être réelle, sérieuse, significative et substantielle[3] et donc dépasser de façon objective les inconvénients normaux du voisinage, lesquels doivent être tolérés.
[15] La locataire a fait la preuve de deux types de bruits qui troublaient sa jouissance des lieux.
[16] D’abord, des bruits de la garderie tenue par Mme Hamouma survenant du lundi au vendredi, de 7 h à 18 h. Ceux-ci consistaient en des bruits d’enfants qui courent dans le logement au-dessus du sien, de bruits de choses qui tombent et, à l’occasion, de pleurs. Une pause de bruits survenait en après-midi pendant la sieste. La garderie accueillait trois enfants en mars et avril et cinq de mai à septembre.
[17] À noter que la fille de la locataire travaille de nuit et occupe le logement de jour, tandis que la locataire travaille de jour, mais est régulièrement dans le logement en journée.
[18] De plus, la locataire démontre qu’elle entendait des bruits de nature sexuelle en provenance du logement du dessus, trois à quatre fois par semaine, vers 22 h et, à l’occasion, au milieu de la nuit. Ces bruits empêchaient la locataire de dormir.
[19] La locataire a avisé les locateurs des problèmes de bruits par message texte et leur a fait parvenir deux mises en demeure, le 18 mars et le 6 mai 2021.
[20] Les locateurs ont fait diverses interventions verbales auprès de Mme Hamouma afin qu’elle réduise les bruits en provenance de son logement. Ils n’ont pas envoyé d’avis écrit, de mise en demeure ou intenté de recours contre Mme Hamouma. Ils considèrent que les bruits qui sont allégués étaient normaux et devaient être tolérés par la locataire.
[21] Les locateurs n’ont jamais avisé la locataire de leur intention de consentir un bail à une personne pour qu’elle exploite dans le logement situé au-dessus du sien une garderie en milieu familial.
[22] Madame Hamouma nie avoir fait des bruits excessifs dans le logement.
[23] Elle raconte que l’horaire de sa garderie faisait en sorte que les enfants étaient bien encadrés et n’avaient pas réellement l’occasion de faire du bruit.
[24] La locataire indique qu’elle a quitté le logement en septembre 2021 en raison du stress vécu à la suite des plaintes de la locataire et du fait qu’elle ne pouvait exploiter sa garderie en paix. De plus, elle indique avoir ajouté un tapis de mousse dans la salle de jeu des enfants afin de minimiser les bruits. Elle indique que la locataire a frappé dans le plafond de son logement à quelques reprises lorsqu’elle faisait du bruit, ce qui a affecté sa jouissance des lieux.
[25] De 2012 à l’arrivée de Mme Hamouma et depuis son départ en septembre 2021, la locataire n’a jamais eu de problèmes importants avec les bruits provenant du logement au-dessus du sien.
[26] Le Tribunal considère que la preuve prépondérante démontre que les locateurs ont fait défaut de fournir la jouissance paisible des lieux à la locataire pour la période du 1er mars au 1er septembre 2021.
[27] En effet, tant le témoignage de la locataire que celui de sa fille ainsi que les enregistrements entendus démontrent de façon prépondérante des bruits importants et excessifs provenant de l’opération de la garderie.
[28] Quant aux bruits de nature sexuelle, le Tribunal considère qu’il s’agissait de bruits normaux qui doivent être tolérés.
[29] Ainsi, le Tribunal considère que la locataire a établi avoir subi une perte de jouissance de son logement en raison des bruits de la garderie en provenance du logement au-dessus du sien, lesquels étaient fréquents, anormaux et constituaient une entrave sérieuse à la jouissance des lieux.
[30] Les locateurs ne pouvaient se contenter de tenter de sensibiliser verbalement Mme Hamouma à la situation et avaient l’obligation de résultat de fournir la jouissance des lieux à la locataire.
[31] Mais il y a plus.
[32] Le Tribunal considère que les locateurs n’auraient pas dû permettre un usage commercial du logement au-dessus de celui de la locataire. En effet, il appert que l’immeuble souffre d’une insonorisation minimale et qu’il n’est pas adapté à ce type d’usage.
[33] L’exercice d’établir un montant de diminution de loyer en cas d’atteinte à la jouissance paisible des lieux d’un locataire vise à rétablir l’équilibre entre les parties. Il vise à rétablir la valeur objective du loyer et non à compenser le locataire des inconvénients subis[4].
[34] Le Tribunal a recensé plusieurs décisions traitant de diminution de loyer en raison des bruits provenant d’une garderie[5].
[35] Ainsi, le Tribunal estime qu’une diminution de loyer de 150 $ par mois est justifiée dans les circonstances, entre le 18 mars[6] et le 31 aout 2021, pour un total de 810 $ à titre de diminution de loyer.
[36] Quant à la demande de dommages moraux[7], le Tribunal y fera droit partiellement.
[37] En effet, tel qu’exposé précédemment, les locateurs ont fait défaut de procurer à la locataire la jouissance paisible de son logement et sont donc responsables du préjudice qui en découle.
[38] Le Tribunal considère que les locateurs n’ont pas fait diligence relativement au problème de bruits provenant de la garderie. D’abord, ils ont autorisé l’exploitation commerciale d’une garderie en milieu familial dans un immeuble dont l’insonorisation n’était pas adéquate à ce genre d’usage et dans une unité située au-dessus d’un autre logement.
[39] Ensuite, malgré les mises en demeure, ils ont omis de prendre des mesures sérieuses afin de réduire les bruits de la garderie en provenance du logement de Mme Hamouna : ils se sont contentés d’avis verbaux.
[40] Le Tribunal retient de la preuve que la locataire a subi un stress important lié aux bruits fréquents de la garderie et lui accordera une somme globale de 300 $ à ce titre.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[41] ACCUEILLE en partie la demande de la locataire;
[42] CONDAMNE les locateurs à payer à la locataire une somme de 1 110 $, plus les intérêts légaux et l'indemnité additionnelle prévue à 1619 du Code civil du Québec, à compter du 11 juin 2021;
[43] CONDAMNE les locateurs à payer à la locataire une somme de 98,50 $ à titre de frais judiciaires et de notification.
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Anaïs Gagné | ||
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Présence(s) : | la locataire Me David Brook, avocat des locateurs | ||
Date de l’audience : | 14 décembre 2022 | ||
Présence(s) : | la locataire le locateur David Singer Me David Brook, avocat des locateurs | ||
Date de l’audience : | 2 mai 2022 | ||
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[1] CCQ-1991.
[2] Baudouin et als, Les obligations, 5e édition, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc. 1998, pp. 36 et 37. « ... dans le cas d’une obligation de résultat, la simple constatation de l’absence du résultat ou du préjudice subi suffit à faire présumer la faute du débiteur, une fois le fait même de l’inexécution ou la survenance du dommage démontré par le créancier. Dès lors, le débiteur, pour dégager sa responsabilité, doit aller au-delà d’une preuve de simple absence de faute, c’est-à-dire démontrer que l’inexécution ou le préjudice subi provient d’une force majeure. Il ne saurait être admis à dégager sa responsabilité en rapportant seulement une preuve d’absence de faute. » (Nos soulignements)
[3] LAMY D., La diminution de loyer, Ed. Wilson & Lafleur Ltée, 2004. pp. 29 et 30.
[4] Deslauriers J., Vente, louage, contrat d’entreprise ou de service, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2013, no. 1225.
[5] Narbonne c. Boliscar, R.L.,
[6] Date de la mise en demeure.
[7] Art. 1458, 1861 (2) et 1863 C.c.Q.
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