UOML — Local 791 et Construction du Bassin inc. |
2015 QCCLP 6045 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 3 mars 2014, l’Union des opérateurs grutiers - local 791 (Union des opérateurs grutiers) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision d’une décision rendue par cette instance le 31 janvier 2014.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles accueille les moyens préliminaires soulevés par Construction du Bassin inc. et Jos Ste-Croix & Fils, parties intéressées et déclare irrecevable la requête déposée le 3 juin 2013 par laquelle l’Union des opérateurs grutiers conteste une décision de Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 22 mai 2013 à la suite d’une révision administrative.
[3] Une audience est tenue à Montréal le 20 janvier 2015. L’Union des opérateurs grutiers, Construction du Bassin inc. et Jos Ste-Croix & Fils ltée sont représentés à cette audience. Les autres parties intéressées, dont les noms apparaissent à la page frontispice de cette décision, sont absentes.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] S’appuyant sur l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la LATMP), l’Union des opérateurs grutiers demande de réviser la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles puisqu’elle comporte un vice de fond de nature à l’invalider.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d'employeurs recommandent de rejeter la requête en révision. À leur avis, l’Union des opérateurs grutiers tente de démontrer qu’il existe une autre interprétation que celle retenue par le premier juge administratif, en se basant sur de nouveaux arguments. Ils concluent que la décision ne comporte pas d’erreur manifeste et déterminante sur l’issue du litige. Le premier juge administratif a apprécié les faits et a interprété les règles de droit pertinentes pour arriver à une solution qui est une issue possible au litige.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a lieu de réviser la décision qu’elle a rendue le 31 janvier 2014.
[7] L’article 429.49 de la LATMP prévoit qu’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel. Cet article se lit comme suit :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[8] L’article 429.56 de la LATMP prévoit un recours en révision ou en révocation :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[9] Dans l’affaire Franchellini et Sousa[2], la Commission des lésions professionnelles souligne que cette disposition a une portée limitée et qu’elle doit, en conséquence, être interprétée de façon restrictive afin d’assurer la stabilité juridique des décisions rendues par le tribunal. Le recours en révision prévu à l’article 429.56 de la LATMP est un recours exceptionnel.
[10] L’Union des opérateurs grutiers fonde son recours sur le troisième paragraphe de l’article 429.56 de la LATMP. Il prétend que la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 31 janvier 2014 comporte un vice de fond de nature à l’invalider.
[11] La Cour d’appel dans les affaires Bourassa c. C.L.P.[3], C.S.S.T. c. Fontaine[4] et encore récemment dans l’affaire A.M. c. Régie de l’assurance maladie du Québec[5] mentionne que le recours en révision ne constitue pas un appel sous la base des mêmes faits et n’est pas une occasion pour une partie d’ajouter de nouveaux arguments ou d’obtenir une nouvelle interprétation du droit applicable. En d’autres termes, elle insiste sur le fait « qu’un vice de fond ne constitue pas une divergence d’opinions ni même une simple erreur de droit ». Il doit plutôt s’agir « d’une erreur fatale qui entache l’essence même de la décision, sa validité même[6] ». Dans l’affaire Fontaine[7], la Cour d’appel écrit :
[51] En ce qui concerne la raison d’être de la révision pour un vice de fond de cet ordre, la jurisprudence est univoque. Il s’agit de rectifier les erreurs présentant les caractéristiques qui viennent d’être décrites. Il ne saurait s’agir de substituer à une première opinion ou interprétation des faits ou du droit une seconde opinion ni plus ni moins défendable que la première. Intervenir en révision pour ce motif commande la réformation de la décision par la Cour supérieure car le tribunal administratif «commits a reviewable error when it revokes or reviews one of its earlier decisions merely because it disagrees with its findings of fact, its interpretation of a statute or regulation, its reasoning or even its conclusions». L’interprétation d’un texte législatif «ne conduit pas nécessairement au dégagement d’une solution unique» mais, comme «il appart[ient] d’abord aux premiers décideurs spécialisés d’interpréter» un texte, c’est leur interprétation qui, toutes choses égales d’ailleurs, doit prévaloir. Saisi d’une demande de révision pour cause de vice de fond, le tribunal administratif doit se garder de confondre cette question précise avec celle dont était saisie la première formation (en d’autres termes, il importe qu’il s’abstienne d’intervenir s’il ne peut d’abord établir l’existence d’une erreur manifeste et déterminante dans la première décision). Enfin, le recours en révision «ne doit […] pas être un appel sur la base des mêmes faits» : il s’en distingue notamment parce que seule l’erreur manifeste de fait ou de droit habilite la seconde formation à se prononcer sur le fond, et parce qu’une partie ne peut «ajouter de nouveaux arguments» au stade de la révision.
[Références omises]
[12] Dans l’affaire Amar et CSST[8], la Cour d’appel rappelle que : « L’interprétation d’un texte législatif ne conduit pas nécessairement au dégagement d’une solution unique. L’exercice d’interprétation exige de l’interprète de procéder à des choix qui, bien qu’encadrés par les règles d’interprétation des lois, sont sujets à une marge d’appréciation admissible ».
[13] C’est donc à la lumière de ces principes que doit être analysée la requête en révision déposée par l’Union des opérateurs grutiers.
Le litige
[14] Le premier juge administratif est saisi d’une requête déposée par l’Union des opérateurs grutiers par laquelle elle conteste une décision de la CSST confirmant le rapport d’intervention d’un inspecteur. La décision de l’inspecteur entérine la procédure d’installation de poutres de pont pour une route minière, à savoir le prolongement de la route 167 effectué par Construction du Bassin inc. en la déclarant conforme à la Loi sur la santé et la sécurité du travail[9] (la LSST) et au Code de sécurité pour les travaux de construction[10].
[15] Devant le premier juge administratif, les entrepreneurs Jos Ste-Croix & Fils ltée et Construction du Bassin inc., parties intéressées présentent deux moyens préliminaires. Ils plaident l’irrecevabilité de la requête présentée par l’Union des opérateurs grutiers puisque cette dernière n’a pas d’intérêt juridique à contester la décision de la CSST. En conséquence, elle ne peut demander la révision de la décision de l’inspecteur en vertu de l’article 193 de la LSST.
[16] Premièrement, ils prétendent que l’Union des opérateurs grutiers n’est pas une personne lésée par la décision de l’inspecteur car aucun de ces membres n’est visé par le rapport d’intervention et elle n’est pas une association représentative au sens de la LSST et de la réglementation applicable. Deuxièmement, ils allèguent que le débat est théorique car les travaux visés dans le rapport de l’inspecteur sont terminés. Ainsi, la décision que rendrait la Commission des lésions professionnelles aurait un caractère déclaratoire, ce que la LATMP ne prévoit pas.
L’audience devant le premier juge administratif
[17] Quatre témoins sont entendus devant le premier juge administratif. Monsieur Pascal Pelletier, directeur de Diamants Stornoway (Canada) inc., maître d’œuvre sur le chantier de construction de la route, confirme que les 17 ponts ont été réalisés et qu’une procédure spécifique a été soumise à la CSST pour chacun d’entre eux. Il ajoute que ces travaux sont complétés depuis le 16 décembre 2013 et qu’aucun grutier n’a travaillé sur ce chantier.
[18] Monsieur Bertrand Guay, ingénieur et co-actionnaire de Jos Ste-Croix & Fils ltée, confirme la date de fin des travaux d’installation des poutres de pont et ajoute qu’aucun autre travail de même nature doit être effectué.
[19] Monsieur Evans Dupuis, directeur de l’Union des opérateurs grutiers, mentionne que ce syndicat affilié à la FTQ - Construction représente 70 % des grutiers au Québec Les deux ont leur propre personnalité juridique. Monsieur Dupuis affirme que l’Union des opérateurs grutiers a un intérêt dans tout ce qui concerne les opérations de levage d’où la contestation de la décision rendue par la CSST. Il prétend que la procédure autorisée par l’inspecteur contrevient au Code de sécurité des travaux de la construction et présente des dangers d’accidents sérieux et confirme, par ailleurs, qu’aucun grutier n’a travaillé sur le chantier.
[20] Enfin, monsieur François Patry, responsable des dossiers de santé et de sécurité au travail à la F.T.Q. - Construction local 7916 (F), affirme qu’à l’occasion, les syndicats affiliés déposent des demandes de révision.
La décision du premier juge administratif
[21] Le premier juge administratif précise d’entrée de jeu que le litige concerne l’intérêt juridique de l’Union des opérateurs grutiers à contester la décision de la CSST rendue le 22 mai 2013 à la suite d’une révision administrative. Il rappelle qu’il doit être démontré qu’elle est une personne lésée conformément à l’article 193 de la LSST :
193. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission à la suite d'une demande faite en vertu de l'article 191.1 peut, dans les 10 jours de sa notification, la contester devant la Commission des lésions professionnelles.
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1979, c. 63, a. 193; 1985, c. 6, a. 545; 1992, c. 11, a. 76; 1997, c. 27, a. 46.
[22] De l’analyse de la preuve, il retient que la raison d’être de l’Union des opérateurs grutiers est la défense et la protection des intérêts de ses membres. Il constate qu’aucun grutier n’a travaillé sur le chantier visé par le rapport d’intervention. Aucun grutier n’a demandé la révision de la décision de l’inspecteur, ni mandaté l’Union des opérateurs grutiers de procéder en son nom. Celle-ci n’est pas directement visée par le rapport d’intervention. Ses membres ne le sont pas non plus. Le premier juge administratif conclut que l’Union des opérateurs grutiers n’a pas d’intérêt direct à contester la décision de la CSST.
[23] Le premier juge administratif dispose de l’argument principal de l’Union des opérateurs grutiers, selon lequel, elle a un intérêt à faire respecter la LSST et, s’agissant de dispositions d’ordre public, la notion d’« intérêt juridique » s’interprète de manière large et libérale pour favoriser la réalisation des objectifs visés par la LSST. Dans ce contexte, les paramètres pour reconnaître l’intérêt pour agir devant la Commission des lésions professionnelles doivent être élargis.
[24] Il analyse cette question en référant par analogie à la décision de la Cour d’appel dans l’affaire Ligue Catholique pour les droits de l’homme c. Hendricks[11], dans laquelle les critères pour définir l’intérêt pour agir en matière constitutionnelle ou de reconnaissance d’invalidité des actions de l’état sont énoncés. Il en dégage les principes suivants :
[39] Il ressort de cet arrêt que les tribunaux reconnaîtront plus facilement l’intérêt d’un requérant lorsqu’il veut intervenir dans un débat déjà initié par une partie lésée que pour lui reconnaître un intérêt à initier un litige lorsqu’il n’est pas directement affecté par l’issu de ce dernier.
[40] Dans le présent dossier, la requérante ne demande pas de participer à un litige déjà introduit par une personne lésée par le rapport d’intervention du 28 mars 2013. Elle initie elle-même le litige et sans sa contestation, ce dernier n’a plus d’existence. C’est donc en fonction des critères retenus en matière de représentation de l’intérêt public que la Commission des lésions professionnelles doit analyser l’intérêt à agir de la requérante.
[41] La requérante doit alors démontrer qu'elle est directement touchée par le litige et qu'il n'y a pas d'autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la cour.
[25] Il précise que l’intérêt de l’Union des opérateurs grutiers, outre la question de sécurité des travailleurs, touche aussi l’intérêt économique de ses membres, ce qui ne rejoint pas les objectifs de la LSST, tels qu’ils sont définis à l’article 2.
[26] Le premier juge administratif est aussi d’avis qu’il existe d’autres moyens efficaces de saisir le tribunal de cette question. En effet, les travailleurs présents sur le chantier de construction et leurs associations représentatives avaient la capacité de demander la révision du rapport d’intervention de l’inspecteur et d’amener ce débat devant la Commission des lésions professionnelles.
[27] Les associations représentatives ont, en effet, un statut particulier sur les chantiers de construction qui leur permet d’être considérées comme des « personnes lésées » par la décision de l’inspecteur. Le premier juge administratif réfère aux dispositions légales pertinentes, soit les articles 194 et 216 de la LSST et l’article 2.2.4 du Règlement sur le code de sécurité pour les travaux de construction. L’article 28 de la Loi sur les relations de travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction identifie les associations syndicales pouvant demander à être reconnues comme une association représentative. La Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ-Construction) est une des associations syndicales identifiées à cette disposition.
[28] Le premier juge administratif conclut :
[53] Les travailleurs présents sur le chantier de construction pouvaient être reconnus des personnes lésées par l’avis d’intervention du 28 mars 2013 s’ils considéraient leur santé ou leur sécurité compromises. Ils pouvaient initier directement une demande de révision ou une contestation à la Commission des lésions professionnelles. Ils pouvaient également donner mandat à une association de les représenter. Les associations représentatives pouvaient également initier ces recours. Il existait donc d’autres moyens efficaces pour soumettre une contestation à la Commission des lésions professionnelles.
[54] Permettre à la requérante d’initier un recours devant la Commission des lésions professionnelles alors qu’elle n’est pas lésée par le rapport d’intervention aurait le même effet que de permettre à toute personne de contester des rapports d’intervention d’inspecteur de la CSST. Ainsi, un entrepreneur pourrait chercher à nuire à un concurrent commercial en initiant des litiges où il n’aurait aucun intérêt direct. Ce n’est pas là l’objet de la LSST.
[55] C’est avant tout à la CSST, par le biais de ses inspecteurs, que revient le rôle d’assurer le respect de la LSST, la réalisation de ses objectifs et la défense de l’intérêt public11.
[56] La Commission des lésions professionnelles en vient donc à la conclusion que la requérante ne dispose pas de l’intérêt légal pour intenter le présent recours et sa requête est irrecevable.
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11 Domtar inc., c. CALP, [1990] C.A.L.P. 989 (C.A).
[29] Il se prononce également sur le deuxième moyen préliminaire bien qu’il ait déjà déclaré irrecevable la requête de l’Union des opérateurs grutiers. À ce sujet, il retient que toutes les poutres de pont sont installées et aucune preuve prépondérante n’établit que cette situation pourrait se reproduire. Ainsi, la décision de la Commission des lésions professionnelles n’aurait aucun effet ni de réparerait aucun préjudice. S’appuyant sur une décision de la Commission des lésions professionnelles en semblables matières, il conclut :
[61] Lorsque la décision à intervenir n’aura aucun effet et ne réparera aucun préjudice comme en l’espèce, la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles veut que la requête soit irrecevable puisque le tribunal ne détient pas le pouvoir de rendre des jugements déclaratoires13. Le second moyen préliminaire est donc également fondé.
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13 F.T.Q. Construction et Hydro-Québec, C.L.P. 302255-04-0610, 17 novembre 2010, M. Racine; R. Piché Dynamitage inc. et 9116-7056 Québec inc., C.L.P. 392068-64-0910, 9 avril 2010, M. Gauthier; S.C.F.P. et Hydro-Québec, C.L.P. 381994-09-0906, 31 mars 2011, R. Arseneau; B. Frégeau & fils inc. et C.S.D. Construction, C.L.P. 274887-62A-0511, 14 février 2006, R. Langlois.
Les motifs de révision
[30] L’Union des opérateurs grutiers estime que le premier juge administratif a commis des erreurs de droit manifestes et déterminantes sur l’issue du litige.
[31] Premièrement, elle soumet que l’interprétation de la notion d’« intérêt légal » retenue en l’espèce par le premier juge administratif est erronée. À cet effet, elle réfère le tribunal à la décision rendue par le juge administratif François Caron de la Commission des relations de travail, dans l’affaire Syndicat des employées et employés de soutien de l’Université de Sherbrooke c. Emploi-Québec[12]. Dans cette affaire, la Commission des relations de travail distingue la notion d’intérêt juridique « en droit privé » et« en droit public ». et réfère à la décision rendue par la Cour d’appel dans l’affaire Henderson Québec (procureur général)[13], dans laquelle on peut lire :
L’appréciation de la suffisance de l’intérêt du requérant dépendra donc de la question litigieuse soumise au tribunal : lorsque celle-ci relève du droit privé, le juge saisi devra apprécier l’intérêt en fonction du critère plus strict de l’article 55 C.p.c., mais il en sera autrement s’il s’agit d’une question de droit public (Bertrand c. Bouchard, (1988) R.J.Q. 1203 (C.S.), désistement d’appel, 1999-08-19; Chiasson c. Québec (P.G.), (2000) R.J.Q. 1836 (C.S.)). Il est établi que les tribunaux ont en ce domaine une très large discrétion, et qu’ils doivent se soucier « du droit du citoyen de faire déclarer si une loi ou une action gouvernementale vont à l’encontre de la charte, lorsque les droits du public sont sérieusement mis en cause, (Droit de la famille - 1769, (1993) R.J.Q. 873; Anjou (Ville) c. Québec (P.G.), REJB 1999-11056 (C.S.)).
(Soulignements de la Cour d’appel.)
[32] Citant les auteurs René Dussault et Louis Borgeat dans l’ouvrage intitulé Traité de droit administratif[14], elle rappelle que le droit administratif et le droit constitutionnel font partie du droit public et elle conclut que le premier juge administratif aurait dû retenir une interprétation moins restrictive. Il avait discrétion nécessaire pour reconnaître à l’Union des opérateurs grutiers la qualité pour agir et ce, dans l’intérêt public.
[33] Quant au deuxième moyen soulevé, s’appuyant sur les critères énoncés par la Cour d’appel dans l’arrêt Conseil du patronat du Québec inc. c. Procureur général du Québec[15], l’Union des opérateurs grutiers soutient que même si les travaux sont terminés, la décision créé un précédent en permettant que des opérations de levage soient réalisées par d’autres personnes que des grutiers. Il était donc nécessaire de se prononcer sur la question.
[34] Le procureur des parties intéressées soumet que les motifs qui soutiennent la requête en révision déposée par l’Union des opérateurs grutiers s’apparentent à un appel. En faisant valoir de nouveaux arguments, le recours qu’elle exerce vise à obtenir une nouvelle interprétation du droit applicable.
Les motifs de rejet de la requête
[35] La Commission des lésions professionnelles rejette la requête en révision pour les raisons suivantes.
[36] L’écoute de l’enregistrement de l’audience tenue devant le premier juge administratif convainc la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision, que l’Union des opérateurs grutiers bonifie l’argumentation soumise devant le premier juge administratif en précisant la notion d’« intérêt légal ».Sur cette question, soit elle reprend avec plus de précisions les arguments présentés devant le premier juge administratif , soit elle en développe de nouveaux en s’appuyant sur une jurisprudence qui n’a pas été portée à son attention ni commentée à l’audience. Or, tel que mentionné précédemment, en énonçant à l’article 429.49 de la LATMP que les décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles sont finales et sans appel, le législateur n’a donné qu’une seule occasion aux parties de présenter une preuve et de faire valoir ses arguments pour convaincre le tribunal de retenir la thèse qu’elles soutiennent.
[37] La Cour d’appel a maintes fois rappelé que le recours en révision n’existe que pour corriger les erreurs qui affectent la validité même d’une décision et non pas dans le but d’obtenir une analyse différente de la question en litige, notamment en bonifiant l’argumentation faite devant le premier juge administratif.
[38] Le premier juge administratif a clairement cerné les questions en litige et a fidèlement rapporté la preuve qui a été soumise, ce qui n’est pas remis en question. De l’appréciation qu’il fait de cette preuve, il en dégage un premier constat à savoir que l’Union des opérateurs grutiers n’est pas directement visée par la décision de l’inspecteur, ce qui n’est pas contesté. Faut- il toutefois considérer qu’elle est une personne lésée par la décision de l’inspecteur du fait que les dispositions de la LSST sont d’ordre public et que dans ce contexte la notion d’« intérêt légal » à contester doit être interprétée plus largement? C’est la thèse avancée par l’Union des opérateurs grutiers.
[39] Le premier juge administratif s’interroge sur le bien-fondé de cet argument. Il constate, à la lumière de la jurisprudence, que les tribunaux reconnaissent difficilement à une partie, non directement affectée par la décision contestée, un intérêt pour initier un litige comme c’est le cas en l’espèce. Il lui faut alors démontrer qu’elle est directement touchée par le litige et qu’il n’existe pas d’autre moyen raisonnable et efficace de soumettre la question au tribunal.
[40] Le premier juge administratif retient que l’Union des opérateurs grutiers n’existe pas uniquement pour assurer la sécurité de ses membres sur les chantiers alors que c’est ce qui est au cœur de la question qu’elle souhaite soumettre à la Commission des lésions professionnelles. De plus, une analyse des dispositions légales applicables le convainc qu’il y avait d’autres moyens efficaces de soumettre la question à la Commission des lésions professionnelles.
[41] Il conclut donc que l’Union des opérateurs grutiers n’a pas d’intérêt légal à contester la décision de l’inspecteur et qu’elle ne peut être considérée comme une personne lésée au sens de l’article 193 de la LSST.
[42] L’Union des opérateurs grutiers prétend que cette interprétation est trop restrictive mais, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une interprétation fondée sur l’appréciation des faits et du droit qui mène à une décision raisonnable et légitime. En présentant de nouveaux arguments, l’Union des opérateurs grutiers cherche à démontrer qu’une autre interprétation est possible, ce qui est réaliste, mais ne justifie pas pour autant la révision de la décision.
[43] La Commission des lésions professionnelles estime donc que la décision du premier juge administratif, selon laquelle l’Union des opérateurs grutiers n’est pas une personne lésée par la décision de l’inspecteur et ne peut en demander la révision en vertu de l’article 193 de la loi, ne comporte pas de vice de fond de nature à l’invalider. Ainsi, la conclusion qu’il retient soit de déclarer irrecevable la requête de l’Union des opérateurs à l’encontre de la décision de l’inspecteur est maintenue.
[44] Vu cette conclusion, la Commission des lésions professionnelles n’aurait pas à se prononcer sur le motif de révision soulevé à l’égard du deuxième moyen préliminaire. Quoiqu’il en soit, le tribunal tient à ajouter que le raisonnement développé dans les paragraphes précédents s’applique également à l’égard de celui-ci. En effet, il s’agit à nouveau d’une question d’interprétation. Le premier juge administratif retient de la preuve que l’installation des poutres des ponts est terminée et qu’il n’y a pas d’autres travaux de cette nature prévus sur ce chantier. Ainsi, la décision qu’il rendrait ne règlerait aucun litige actuel et la Commission des lésions professionnelles ne rend pas de jugement déclaratoire. Sa conclusion constitue sans conteste une issue possible au litige.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête en révision déposée par U.O.M.L. - LOCAL 791.
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MARIE BEAUDOIN |
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Me Julie Boyer |
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Représentante de la partie requérante |
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Me Jean-François Bélisle |
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BOURQUE, TÉTREAULT & ASS. |
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Représentant de Construction du Bassin inc. et Jos Ste-Croix Fils ltée |
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Me Maxime Gagné |
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PAQUET, THIBODEAU, BERGERON |
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Représentant de la partie intervenante |
[1] RLRQ, c. A-3.001.
[2] 1998 C.L.P. 783.
[3] 2003 C.L.P. 601 (C.A.) requête pour autorisation de pourvoie à la Cour suprême rejetée, 22 janvier 2004, (3009),
[4] 2005 C.L.P. 626 (C.A.).
[5] 2014 QCCA 1067.
[6] Précitée, note 5.
[7] Précitée, note 4.
[8] 2003 C.L.P.606, p. 610
[9] RLRQ, c. S-2.1.
[10] R.R.Q., S-2.1, r.4.
[11] 2004 R.J.Q. 851.
[12] 2009 CanLII 3501 (QC C.R.T.).
[13] 2007 QCCA 1138.
[14] Vol. 1, 1994, Presse de l’Université Laval, p. 18.
[15] 1988 R.J.Q. 1516 (C.A.).
AVIS :
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