Québec (Ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles) et Bouchard |
2015 QCCFP 11 |
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COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DOSSIER N°: |
1300918 |
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DATE : |
9 juin 2015 |
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DEVANT LES COMMISSAIRES : |
Me Louise Caron |
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Me Sonia Wagner |
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MINISTÈRE DE L’IMMIGRATION ET DES COMMUNAUTÉS CULTURELLES QUÉBEC |
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REQUÉRANT |
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Et |
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FRANÇOISE BOUCHARD
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INTIMÉE |
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DÉCISION REQUÊTE EN RÉVISION |
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(Article |
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[1] Le ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles[1] (ci-après appelé le « MICC ») demande à la Commission de réviser la décision du commissaire Robert Hardy[2] qui a ordonné au MICC de verser à Mme Françoise Bouchard, aux titres de réclamation, les montants suivants :
· à titre de dommages pécuniaires, avec intérêts et indemnité additionnelle à compter du 27 février 2014, la différence entre le montant de la rémunération qui lui a été versée et celui qu’elle aurait dû recevoir, et ce, pour les jours qui auraient été ouvrables pour elle durant sa période de retour progressif et pour tous les jours ouvrables de la période qui a suivi la fin du retour progressif prévu, jusqu’à la date de cette décision, moins les sommes qui auront pu lui être versées, le cas échéant, à titre de rémunération pour un autre travail dans la fonction publique ou ailleurs;
· à titre de dommages moraux, un montant de 10 000 $, avec intérêts et indemnité additionnelle à compter du 27 février 2014, jusqu’à la date de cette décision;
· à titre de dommages pour atteinte à la dignité et à la réputation, un montant de 10 000 $, avec intérêts et indemnité additionnelle à compter du 19 mai 2011, jusqu’à la date de cette décision;
· à titre de dommages-intérêts punitifs, un montant de 20 000 $, avec intérêts et indemnité additionnelle à compter du 19 mai 2011, jusqu’à la date de cette décision.
[2] Cette décision du commissaire Hardy fait suite à une première décision[3], datée du 18 novembre 2013, dans laquelle il déclarait que Mme Bouchard avait été l’objet d’une mesure disciplinaire déguisée en étant irrégulièrement déplacée de son emploi de cadre, classe 4, et dans laquelle il réservait « sa compétence pour déterminer la nature des dommages causés à Mme Bouchard et leur quotité ». Cette première décision n’a pas fait l’objet d’une requête en révision.
[3] La Commission en révision résume d’abord les faits entourant cette affaire et, par la suite, expose la décision du commissaire Hardy.
[4] En février 2009, Mme Bouchard a été nommée directrice du Centre d’expertise sur les formations acquises hors du Québec (ci-après le « CEFAHQ »), un emploi de cadre, classe 4. En 2011, cet emploi de directrice a été rehaussé comme étant dorénavant un emploi de cadre, classe 3. Le 19 mai 2011, le MICC a annoncé à Mme Bouchard qu’il la déplaçait de son emploi à un autre emploi de cadre, classe 4.
[5] À la suite de cette annonce, Mme Bouchard a souffert d’une dépression qui a entraîné un arrêt de travail; à la date de l’audience portant sur sa réclamation en dommages, le 15 septembre 2014, elle n’avait pas encore repris le travail. Bien que son médecin l’ait déclarée apte à un retour progressif au travail à partir du 27 février 2014, il a toutefois précisé qu’elle ne pouvait pas réintégrer le MICC et qu’elle devait intégrer un poste équivalent dans un autre ministère. À cet égard, il appert de la preuve que le MICC a recommandé une seule fois Mme Bouchard à un organisme de la fonction publique, mais sa candidature n’a pas été retenue. De son côté, Mme Bouchard a d’elle-même offert ses services dans le cadre des offres affichées dans l’Info-carrière, une publication électronique du Centre des services partagés du Québec et, au moment de son témoignage, elle était en attente de réponses (paragraphes 27 et 28 de la décision).
[6] Le commissaire Hardy, dans la décision dont il est demandé révision, accorde à Mme Bouchard des montants à différents titres : dommages pécuniaires, dommages moraux, dommages pour atteinte à la dignité et à la réputation et dommages-intérêts punitifs, le tout avec intérêts et indemnité additionnelle.
[7] Pour décider de la réclamation de Mme Bouchard, le commissaire Hardy examine d’abord l’application de l’immunité civile prévue à l’article 438 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[4] (ci-après la « LATMP ») au présent dossier. Cet article se lit comme suit :
438. Le travailleur victime d’une lésion professionnelle ne peut intenter une action en responsabilité civile contre son employeur en raison de sa lésion.
[La Commission en révision souligne]
[8] À la suite de son analyse de l’application de cet article, le commissaire Hardy conclut que cette immunité s’applique jusqu’au moment où le médecin de Mme Bouchard la déclare apte à un retour progressif au travail, soit jusqu’au 27 février 2014.
[9] Le raisonnement suivi par le commissaire Hardy pour en arriver à cette conclusion se trouve aux paragraphes 93 à 110 de sa décision.
[10] Ainsi, après analyse de la preuve, le commissaire Hardy conclut, au paragraphe 102 de sa décision, qu’il « est plus probable qu’improbable que [l’invalidité de Mme Bouchard], sa dépression, aurait été reconnue comme une lésion professionnelle étant donné que son médecin, comme elle l’a dit, considérait qu’elle découlait d’un événement survenu dans le cadre de sa relation de travail avec le MICC ».
[11] Il conclut, en s’appuyant sur l’arrêt Genest[5] de la Cour d’appel, que l’immunité civile s’applique même si Mme Bouchard n’a fait aucune réclamation à la Commission de la santé et de la sécurité au travail (ci-après la « CSST ») (paragraphe 103 de la décision).
[12] Le commissaire Hardy examine par la suite dans quelle mesure cette immunité s’applique et décide qu’« à compter du moment où la lésion professionnelle n’existe plus, il ne saurait exister une immunité civile pour empêcher d’obtenir compensation des dommages qu’occasionne le défaut de l’employeur d’attribuer à une personne un emploi équivalent, dans ce cas-ci, dans un autre ministère que le MICC, que sa condition nécessite » (paragraphes 107 et 109 de la décision).
[13] Conséquemment, le commissaire Hardy établit les dommages auxquels a droit Mme Bouchard.
[14] Différentes dates sont retenues par le commissaire Hardy pour l’attribution des dommages, des intérêts et de l’indemnité additionnelle. Ainsi, le commissaire Hardy accorde les dommages pécuniaires, avec intérêts et indemnité additionnelle à compter du 27 février 2014, jusqu’à la date de sa décision, le 23 janvier 2015. Il retient, de même, la date du 27 février 2014 pour le calcul des intérêts et de l’indemnité additionnelle pour les dommages moraux. Par ailleurs, pour le calcul des intérêts et de l’indemnité additionnelle pour les dommages pour atteinte à la dignité et à la réputation et pour les dommages-intérêts punitifs, le commissaire les fait courir à compter du 19 mai 2011, jusqu’à la date de sa décision.
[15] Concernant les dommages pécuniaires, le commissaire Hardy les accorde pour les jours qui auraient été ouvrables pour Mme Bouchard durant sa période de retour progressif et pour tous les jours ouvrables de la période qui a suivi la fin du retour progressif prévu, jusqu’à la date de sa décision (paragraphe 114 de la décision).
[16] Concernant les dommages moraux, le commissaire Hardy dit qu’il « comprend que les difficultés exposées par Mme Bouchard et les limitations fonctionnelles relevées par le psychiatre qui l’a reconnue apte au travail existent et perdurent tant qu’elle n’occupe pas un nouvel emploi ». Pour le commissaire Hardy, « il s’agit de dommages moraux indemnisables auxquels on doit associer la perte d’estime d’elle-même et ses conséquences sur sa vie familiale qui tardent pour le même motif à disparaître de son quotidien ». Le commissaire Hardy accorde donc un montant de 10 000 $ à ce titre (paragraphe 122 de la décision).
[17] Aussi, en vertu de l’article 49 de la Charte des droits et libertés de la personne[6] (ci-après la « Charte »), il accorde un montant de 10 000 $ pour atteinte à la dignité et à la réputation (paragraphes 124 à 137 de la décision), de même qu’un montant de 20 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs (paragraphes 138 à 142 de la décision).
[18] Il conclut enfin que Mme Bouchard a droit à l’intérêt légal et à l’indemnité additionnelle sur toutes les sommes que le MICC est tenu de lui verser (paragraphe 150 de la décision).
CRITÈRES D’INTERVENTION EN RÉVISION
[19] L’article 123 de la Loi sur la fonction publique[7] (ci-après la « LFP ») permet la révision des décisions rendues par la Commission. Cet article se lit comme suit :
123. Une décision de la Commission doit être rendue par écrit et motivée. Elle fait partie des archives de la Commission.
La Commission peut, sur demande, réviser ou révoquer toute décision qu'elle a rendue :
1 o lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2 o lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3 o lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3° du deuxième alinéa, la décision ne peut être révisée ou révoquée par le membre qui l'a rendue.
[20] Le MICC appuie sa requête sur la troisième cause donnant ouverture à ce recours.
[21] Au sujet du vice de fond ou de procédure de nature à invalider une décision, les tribunaux supérieurs ont établi que le pouvoir du tribunal à cet égard n’équivaut pas à un droit d’appel et qu’il ne saurait être une invitation à substituer son opinion ou son appréciation de la preuve à celle du premier décideur, ou encore une occasion pour une partie d’ajouter de nouveaux arguments[8]. Le pouvoir de révision interne est un pouvoir de redressement ou de réparation de certaines irrégularités ou d’erreurs commises à l’égard d’une première décision afin qu’elle soit conforme à la loi. L’erreur identifiée dans la première décision doit être suffisamment fondamentale et sérieuse pour invalider la décision.
[22] Dans une décision de 2012 sur le pouvoir de révision de la Commission des lésions professionnelles à l’égard de ses propres décisions, la Cour supérieure a indiqué que ce tribunal administratif avait correctement analysé son pouvoir de révision en exprimant qu’« il y a une erreur manifeste et déterminante lorsqu’une conclusion n’est pas supportée par la preuve et repose plutôt sur des hypothèses, lorsqu’elle s’appuie sur de fausses prémisses, fait une appréciation manifestement erronée de la preuve ou adopte une méthode qui crée une injustice certaine[9] ».
[23] La Commission a souligné à quelques reprises que le vice de fond, assimilé à l’erreur de droit ou de fait, doit être déterminant et présenter des caractéristiques de gravité et d’évidence[10].
[24] Le MICC soutient qu’il existe un vice de fond de nature à invalider la décision du commissaire Hardy.
[25] Le MICC demande donc à la Commission en révision :
· d’accueillir la requête en révision;
· de réviser la décision rendue le 23 janvier 2015 par le commissaire Hardy dans le dossier no 1300918;
· d’annuler les ordonnances rendues le 23 janvier 2015 relativement à l’octroi des dommages pécuniaires, des dommages moraux ainsi que des dommages-intérêts punitifs.
[26] En réponse, Mme Bouchard estime que le MICC n’a pas démontré que la décision rendue par le commissaire Hardy est entachée d’un vice de fond, constituant une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige et qui présente des caractéristiques de gravité et d’évidence invalidant la décision. Elle maintient que c’est à bon droit que le commissaire Hardy a ordonné au MICC de verser les dommages pécuniaires, moraux et punitifs ainsi que l’intérêt légal et l’indemnité additionnelle.
[27]
Elle soutient, en s’appuyant sur les articles
[28] Mme Bouchard demande donc à la Commission en révision de rejeter la requête en révision du MICC et de confirmer les conclusions du commissaire Hardy dans sa décision du 23 janvier 2015.
1. Dommages pécuniaires et moraux
1.1 Argumentation du MICC
[29] Plus précisément, le MICC prétend que le commissaire Hardy commet une première erreur en décidant que l’immunité découlant de l’application de la LATMP aurait pris fin le 27 février 2014 alors que Mme Bouchard devenait apte à un retour progressif au travail.
[30] Le MICC ajoute que le commissaire Hardy commet une deuxième erreur lorsqu’il isole la période de retour au travail de celle du déplacement irrégulier et décide en conséquence que les événements à l’origine de la réclamation en dommages de l’intimée ne sont pas liés aux événements ayant causé la lésion professionnelle présumée.
[31] À cet égard, le MICC renvoie la Commission en révision aux paragraphes 91, 92, 107 et 108 de la décision du commissaire Hardy :
[91] De ces rappels, il faut retenir, d’une part, que les allégations de dommages à soupeser et les motifs à leur origine sont ceux reliés, non pas au refus d’accorder une promotion à Mme Bouchard, mais à la décision de la déplacer irrégulièrement de son emploi pendant la période susdite. Ceci ne veut pas dire que les motifs pour l’avoir déplacée d’emploi ne peuvent pas être les mêmes que ceux pour lesquels des témoins avaient rapporté qu’elle n’avait pas eu la promotion. Il est effectivement indiqué dans la décision principale que la question du déplacement d’emploi de Mme Bouchard s’était posée une première fois en octobre 2010 (par. 463).
[92] D’autre part, les considérations qui précèdent donnent l’occasion d’affirmer tout de suite que, contrairement à la prétention du MICC, si la mesure disciplinaire déguisée, fondée sur le déplacement irrégulier d’emploi administré à Mme Bouchard, lui a occasionné des dommages, la portée de ceux-ci ne saurait se limiter aux seuls mois de mai à décembre 2011. Les contrecoups de la mesure pourraient avoir provoqué des effets sur une plus longue période, voire jusqu’à la date de cette décision-ci.
[107] En effet, l’immunité civile de la LATMP prend appui sur l’existence d’une lésion professionnelle, tel qu’il est exprimé à l’article 438 de cette loi :
438. Le travailleur victime d’une lésion professionnelle ne peut intenter une action en responsabilité civile contre son employeur en raison de sa lésion.
Mais à compter du moment où la lésion professionnelle n’existe plus, il ne saurait subsister une immunité civile pour empêcher d’obtenir compensation des dommages qu’occasionne le défaut de l’employeur d’attribuer à une personne un emploi équivalent, dans ce cas-ci, dans un autre ministère que le MICC, que sa condition nécessite, et ce, toujours à la suite d’une faute, en l’occurrence la mesure disciplinaire déguisée dont a été victime Mme Bouchard. Cela ne constitue pas une demande nouvelle qui pourrait justifier qu’elle inscrive un nouveau recours devant la Commission pour faire valoir ses droits à la suite de la décision initiale non contestée.
[108] La Commission ne croit pas qu’en adoptant l’article 438, le législateur ait voulu aller jusqu’à interdire cela. Si c’était le cas, l’employé à qui ne serait pas attribué un nouvel emploi dans un autre ministère serait sans recours contre l’employeur qui prétendrait indéfiniment ne pas avoir un autre emploi équivalent à lui attribuer. Les droits du travailleur au retour au travail prévus au chapitre VII de la LATMP, dont la possibilité de demander l’intervention de la CSST, ne lui sont plus ouverts.
[32]
Au soutien de ses prétentions, le MICC mentionne qu’aucune preuve n’a
été faite sur la consolidation de la dépression de Mme Bouchard
et que, même s’il y avait eu consolidation de la dépression au 27 février 2014,
Mme Bouchard était incapable d’occuper son emploi prélésionnel
compte tenu de sa limitation fonctionnelle qui l’empêchait de réintégrer le
MICC. Il renvoie la Commission en révision aux articles
[33]
Pour le MICC, l’erreur du commissaire Hardy de considérer la fin de la
lésion professionnelle présumée au 27 février 2014, parce que le médecin
traitant de Mme Bouchard la déclarait apte à un retour
progressif au travail à partir de cette date, constitue le fondement de son
raisonnement et a comme conséquence de contourner l’application de l’immunité
civile de l’article
[34] Selon le MICC, les dommages réclamés par Mme Bouchard ont tous le même fondement, soit son déplacement irrégulier que lui a occasionné une mesure disciplinaire déguisée (paragraphes 91, 92 et 107 de la décision).
[35] Le retour au travail de Mme Bouchard n’est qu’une conséquence de son déplacement irrégulier à l’origine de la lésion professionnelle présumée. En se fondant sur l’arrêt Normandin[14] de la Cour d’appel, le MICC soutient qu’on ne peut isoler la période de retour au travail de celle de son déplacement irrégulier.
[36]
Le MICC conclut que le commissaire Hardy ne pouvait octroyer des
dommages pécuniaires, moraux et punitifs puisque l’immunité civile prévue à l’article
1.2 Argumentation de Mme Bouchard
[37]
Mme Bouchard rappelle qu’à la lumière de la preuve
administrée, le commissaire Hardy décide que l’immunité civile prévue à l’article
[38] Toutefois, elle souligne que le commissaire Hardy, toujours selon son interprétation de la preuve, perçoit une seconde faute du MICC (paragraphes 107 et 109 de sa décision), faute qui n’est pas couverte par l’immunité civile. Le commissaire Hardy reproche au MICC de ne pas avoir réussi à muter Mme Bouchard à un emploi équivalent au sien, soit un emploi de cadre, classe 4, à Montréal, bien qu’il ait été informé depuis la fin de janvier 2014 du retour prochain en emploi de Mme Bouchard.
[39] Mme Bouchard soutient que, à l’évidence, cette conclusion du commissaire Hardy est non seulement conforme à la preuve administrée, mais également respectueuse du droit applicable.
[40]
À l’appui de ses prétentions, Mme Bouchard allègue, en
renvoyant la Commission en révision à l’arrêt Béliveau St-Jacques[16]
et à la décision G.D. c. Centre de santé et des services sociaux,
ainsi qu’à l’auteur Michel Sansfaçon[17],
que l’immunité civile prévue à l’article
[41]
Elle poursuit en citant les auteures Lippel et Vallée[18]
qui adhèrent à cette même logique en indiquant que dans les cas où une
réintégration serait jugée impossible pour des raisons indépendantes des
séquelles d’une lésion professionnelle, une indemnité de perte d’emploi qui
s’ensuivra ne sera pas couverte par l’immunité civile prévue à l’article
[42] Au même effet, elle renvoie la Commission en révision à la décision Smith c. Willis Brazolot & Cie inc.[19] de la Commission des relations de travail.
[43] Pour Mme Bouchard, c’est à juste titre que le commissaire Hardy a déterminé, selon son appréciation de la preuve, que le MICC a commis une faute postérieure à la lésion professionnelle, nécessitant dès lors compensation. Elle renvoie la Commission en révision à la décision Rizzo & Rizzo Shoes Ltd[20] dans laquelle la Cour suprême rappelle que le législateur ne souhaite pas que les tribunaux interprètent ses lois de manière à ce qu’il en résulte des conséquences absurdes.
[44] Au surplus, Mme Bouchard soutient que l’interprétation proposée par le MICC participe à un illogisme et à une incohérence manifeste eu égard à l’immunité civile, extrapolant l’application de celle-ci à tout ce qui touche de près ou de loin un accident de travail.
1.3 Réplique du MICC
[45]
Le MICC réitère que la réaffectation de Mme Bouchard
dans un autre ministère est une conséquence de son déplacement irrégulier et
que le commissaire Hardy a donc commis une erreur de droit en décidant qu’une
telle réaffectation n’est pas incluse dans la période de la lésion
professionnelle, période couverte par l’immunité civile de l’article
[46] Si, comme Mme Bouchard le prétend dans sa défense, « bien [que le MICC] ait été informé depuis la fin janvier 2014 du retour en emploi de l’intimée, [le MICC] a commis une faute en ne déployant pas de moyens suffisants afin de permettre la réaffectation de l’intimée » et que cette faute est postérieure à la lésion professionnelle, il s’agit pour le MICC d’une seconde faute post-lésion. Or, si tel est le cas, le MICC allègue que le commissaire Hardy a alors commis une erreur de droit en se saisissant d’un litige qui n’a pas fait l’objet d’un appel.
[47] En effet, l’appel du 8 octobre 2011 de Mme Bouchard concernait uniquement son déplacement abusif, ce fait constituant une mesure disciplinaire déguisée. En conséquence, si le MICC a réellement commis une nouvelle faute relativement à la réaffectation post-lésion de Mme Bouchard, le MICC prétend que celle-ci devait, pour en saisir la Commission, déposer un nouvel appel contestant les manquements du MICC à l’égard de sa réaffectation.
[48] Concernant le moment où auraient pris fin les droits de Mme Bouchard découlant de l’application de la LATMP, le MICC ne fait aucun commentaire additionnel, Mme Bouchard n’ayant pas réfuté ses arguments voulant que le commissaire Hardy a commis une erreur en décidant que ces droits avaient pris fin le 27 février 2014.
1.4 Analyse
[49] Concernant l’attribution de dommages pécuniaires et moraux, la Commission en révision doit répondre aux questions suivantes :
1.
Le commissaire Hardy a-t-il commis une erreur de droit déterminante
lorsqu’il a conclu que l’immunité civile prévue à l’article
2. Le commissaire Hardy a-t-il commis une erreur de droit déterminante en concluant qu’en ne réussissant pas à muter Mme Bouchard à un emploi de cadre, classe 4, dans un autre ministère, le MICC a commis une faute qui n’est pas couverte par l’immunité civile de la LATMP?
[50] Pour les motifs exposés plus bas, la Commission en révision répond par l’affirmative à ces deux questions.
[51]
Après avoir fait une analyse de la preuve et de la jurisprudence, le
commissaire Hardy conclut que l’immunité civile prévue à l’article
[52] Plus précisément, il conclut, au paragraphe 102 de sa décision, qu’« il est plus probable qu’improbable que son invalidité, sa dépression, aurait été reconnue comme une lésion professionnelle étant donné la preuve que son médecin, comme elle l’a dit, considérait qu’elle découlait d’un évènement survenu dans le cadre de sa relation de travail avec le MICC ». Et il ajoute, au paragraphe 103, que l’application de l’immunité civile de la LATMP ne dépend pas du fait qu’il y ait eu ou non de réclamation à la CSST.
[53] Cette conclusion ne fait pas l’objet de la requête en révision. La Commission en révision constate d’ailleurs qu’elle est conforme à la jurisprudence en la matière.
[54] Toutefois, pour le commissaire Hardy, cette immunité a pris fin le 27 février 2014, soit la date à compter de laquelle Mme Bouchard a été déclarée apte à retourner progressivement au travail, dans un autre ministère que le MICC. C’est ce qui ressort de ses propos aux paragraphes 107 et 109 de la décision.
[55] La Commission en révision est d’avis que cette conclusion constitue une erreur de droit qui est déterminante pour l’issue du litige et un vice de fond qui est de nature à invalider la décision.
[56] En effet, l’expertise médicale, demandée par l’assureur de Mme Bouchard et datée du 13 janvier 2014, recommandait la prolongation de l’arrêt de travail pour quatre semaines et la reprise progressive du travail, selon l’échéancier prescrit (paragraphe 22 de la décision). Il était aussi précisé dans la même expertise médicale, tel qu’il appert du paragraphe 23 de la décision :
Comme au mois d’août 2013, j’estime que le contexte de travail est lié à sa dépression et que la perspective de retourner dans le même milieu professionnel constitue un facteur décisif quant à la prolongation de son invalidité.
Considérant l’immense appréhension qu’éprouve madame à retourner dans le même milieu professionnel, une mesure administrative qui permettrait de changer de ministère augmenterait de beaucoup les chances de succès d’un retour au travail à court ou à moyen terme.
[La Commission en révision souligne]
[57] Le médecin traitant de Mme Bouchard a conclu dans le même sens dans son billet médical en inscrivant : « [e]lle ne peut pas réintégrer le même ministère. Elle doit intégrer un poste équivalent dans un autre ministère » (paragraphe 24 de la décision).
[58] Pour la Commission en révision, il apparaît clairement de la preuve médicale que Mme Bouchard souffrait toujours d’une lésion professionnelle, le 27 février 2014, date prescrite pour un retour progressif au travail. Il ne fait aucun doute que la dépression de Mme Bouchard était liée à son contexte de travail et qu’elle ne pouvait en conséquence réintégrer le MICC le 27 février 2014.
[59] Ainsi, le commissaire Hardy a gravement erré en concluant que la lésion professionnelle avait pris fin le 27 février 2014.
[60]
D’ailleurs, comme le soutient le MICC, aucune preuve n’a été faite concernant
la consolidation de la dépression de Mme Bouchard et, en
l’absence d’une telle preuve, une présomption s’applique à l’effet qu’elle est
incapable d’exercer son emploi, et ce, conformément à l’article
46. Le travailleur est présumé incapable d'exercer son emploi tant que la lésion professionnelle dont il a été victime n'est pas consolidée.
[61] La Commission en révision note que Mme Bouchard n’a fait aucun commentaire pour réfuter les arguments du MICC selon lesquels le commissaire Hardy a fait une erreur en décidant que l’immunité civile cessait de s’appliquer à partir du 27 février 2014. Les prétentions de Mme Bouchard sont plutôt que c’est à juste titre que le commissaire Hardy a déterminé, selon son appréciation de la preuve, que le MICC avait commis une deuxième faute, postérieure à la lésion professionnelle, nécessitant compensation.
[62] La Commission en révision n’est pas d’accord avec cette conclusion du commissaire Hardy. Ce dernier commet une deuxième erreur en distinguant la période de retour progressif au travail de Mme Bouchard de celle de son déplacement irrégulier, lequel est à l’origine de la lésion professionnelle et donc du recours en dommages.
[63] Après avoir conclu que la lésion professionnelle n’existait plus depuis le 27 février 2014, le commissaire Hardy considère en effet que l’employeur a commis une faute en ne réussissant pas à muter Mme Bouchard à un autre emploi équivalent au sien. Toutefois, le commissaire Hardy affirme tout de même que c’est à cause de sa condition, qui fait suite à la mesure disciplinaire déguisée, que Mme Bouchard doit être mutée dans un autre ministère.
[64] Des propos du commissaire Hardy, la Commission en révision comprend qu’il a tenté d’inférer une faute au MICC, étrangère à la lésion professionnelle et non couverte par l’immunité civile de la LATMP. Le commissaire Hardy a justifié sa compétence pour se prononcer sur cette prétendue faute de l’employeur de ne pas avoir réussi à muter Mme Bouchard dans un autre ministère en reconnaissant toutefois un lien avec la lésion professionnelle. Plus précisément, le commissaire Hardy déclare au paragraphe 107 de sa décision :
[107] […] Mais à compter du moment où la lésion professionnelle n’existe plus, il ne saurait subsister une immunité civile pour empêcher d’obtenir compensation des dommages qu’occasionne le défaut de l’employeur d’attribuer à une personne un emploi équivalent, dans ce cas-ci, dans un autre ministère que le MICC, que sa condition nécessite, et ce, toujours à la suite d’une faute, en l’occurrence la mesure disciplinaire déguisée dont a été victime Mme Bouchard. Cela ne constitue pas une demande nouvelle qui pourrait justifier qu’elle inscrive un nouveau recours devant la Commission pour faire valoir ses droits à la suite de la décision initiale non contestée.
[La Commission en révision souligne]
[65] La Commission en révision est d’avis que le raisonnement du commissaire Hardy, pour conclure à une faute du MICC postérieure au 27 février 2014 et étrangère à la lésion professionnelle de Mme Bouchard, est complexe, contradictoire et illogique.
[66]
Pour la Commission en révision, il ne fait aucun doute que tous les
dommages réclamés par Mme Bouchard ont le même fondement, soit
son déplacement irrégulier qui a été considéré comme une mesure disciplinaire
déguisée. Ce déplacement irrégulier étant à l’origine de la lésion
professionnelle, l’immunité civile prévue à l’article
[67] La présente affaire se distingue de la décision Smith c. Willis Brezolot & Cie inc. de la Commission des relations du travail soumise par Mme Bouchard.
[68] Dans cette décision, la Commission des relations du travail déclare, au paragraphe 43, que « l’immunité civile prévue à la LATMP s’étend aux évènements constitutifs de la lésion professionnelle et aux dommages en lien avec cette lésion ». Elle donne toutefois droit à la réclamation puisque « le congédiement est survenu postérieurement à la lésion professionnelle et qu’il n’était donc pas un évènement qui a pu engendrer la lésion ». Pour la Commission des relations du travail, l’immunité civile ne pouvait exonérer l’employeur pour tout geste illégal commis après la survenance d’une lésion professionnelle. Dans cette affaire, la réintégration était impossible à cause de la rupture du lien de confiance entre les parties. L’immunité civile ne pouvait donc pas s’appliquer puisque le congédiement ne résultait pas de la lésion professionnelle. Dans la présente affaire, la preuve médicale a plutôt démontré que la réintégration de Mme Bouchard au sein du MICC est impossible justement à cause de sa lésion professionnelle et d’une incapacité fonctionnelle qui perdure.
[69]
La Commission en révision est d’avis que le commissaire Hardy ne pouvait
donc pas accorder à Mme Bouchard des dommages pécuniaires, ni
des dommages moraux compte tenu de l’application de l’immunité civile de
l’article
2. Dommages-intérêts punitifs
2.1 Argumentation du MICC
[70]
Dans sa requête, le MICC soutient que les dommages-intérêts punitifs de
20 000 $ octroyés par le commissaire Hardy portent sur l’atteinte à
la dignité et non sur l’atteinte à la réputation, ce qui constituerait une
première erreur. En effet, le MICC comprend des propos du commissaire Hardy que
celui-ci écarte l’attribution de dommages pour l’atteinte à la dignité, considérant
que ceux-ci sont visés par l’immunité civile de l’article
[71] Au soutien de ses prétentions, le MICC renvoie la Commission en révision au paragraphe 137 de la décision du commissaire Hardy où celui-ci mentionne qu’« en ce qui concerne l’aspect plus spécifique de dignité, la Commission tient compte que les volets psychologiques, émotionnels et physiques auraient pu être possiblement autrement compensés par la CSST au chapitre des dommages moraux pour la période de mai 2011 jusqu’à janvier 2014 ».
[72] Toutefois, selon le MICC, bien qu’ayant écarté l’octroi de dommages pour atteinte à la dignité, le commissaire Hardy, au paragraphe 139 de sa décision, énonce plusieurs faits qui témoigneraient de la volonté du requérant de causer une atteinte à la dignité, et ce, pour justifier l’octroi de dommages-intérêts punitifs.
[73] Le MICC reconnaît par ailleurs que le commissaire Hardy a accordé un montant de 10 000 $ pour atteinte à la réputation, en conformité avec les enseignements de la Cour d’appel dans l’arrêt Ghanouchi. Il aurait donc pu octroyer des dommages-intérêts punitifs seulement pour cette atteinte à la réputation, pourvu qu’il ait été démontré que le MICC a voulu porter atteinte de façon intentionnelle à la réputation de Mme Bouchard. Cette preuve n’ayant pas été faite, le commissaire Hardy devait rejeter la réclamation de dommages-intérêts punitifs pour cette atteinte.
[74] Concernant l’atteinte intentionnelle, le MICC soutient que le commissaire Hardy commet une deuxième erreur déterminante en assimilant « le cumul de tous les écarts observés par rapport aux règles et aux bonnes pratiques en matière de gestion des ressources humaines » (paragraphe 139 de la décision) à une volonté, un désir du MICC de causer les conséquences de sa conduite fautive. Inférer ainsi, des gestes posés par le service des ressources humaines du MICC dans la gestion du dossier de Mme Bouchard, la volonté de lui causer des dommages, est déraisonnable et contraire aux enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Hôpital St-Ferdinand[22].
[75] Pour le MICC, le commissaire Hardy devait donc rejeter la réclamation de Mme Bouchard concernant les dommages-intérêts punitifs.
[76] Par ailleurs, le MICC allègue que si la Commission en révision en arrivait à la conclusion que l’octroi de dommages-intérêts punitifs est raisonnable, il soumet que le montant de 20 000 $ est excessif et qu’il constitue la troisième erreur déterminante au sujet de ces dommages. Selon le MICC, ce montant excède de beaucoup ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.
[77]
À l’appui de ses prétentions, le MICC renvoie la Commission en révision
à l’article
[78] Enfin, toujours dans l’éventualité où la Commission en révision en arrivait à la conclusion que l’octroi de dommages-intérêts punitifs était raisonnable, le MICC allègue que le commissaire Hardy a commis une quatrième erreur de droit en accordant l’intérêt et l’indemnité additionnelle pour ces dommages à compter du 19 mai 2011. En effet, conformément à la jurisprudence, les intérêts et l’indemnité additionnelle devaient courir uniquement à compter de la date de la décision qui octroie les dommages-intérêts punitifs.
2.2 Argumentation de Mme Bouchard
[79] Mme Bouchard prétend que l’analyse du commissaire Hardy concernant les dommages-intérêts punitifs n’est entachée d’aucun vice de fond.
[80]
Elle indique, en s’appuyant sur l’arrêt Béliveau St-Jacques, que
le recours en dommages-intérêts punitifs fondé sur le deuxième alinéa de l’article
[81]
Conséquemment, Mme Bouchard allègue que tout comme son
recours visant à pallier l’atteinte illicite à sa dignité et à sa réputation en
vertu du premier alinéa de l’article
[82] Selon Mme Bouchard, le commissaire Hardy, après s’être référé à la jurisprudence pertinente de la Cour suprême, cerne à bon droit l’essence des dommages-intérêts punitifs lorsqu’il indique, au paragraphe 142 de sa décision, que ces derniers « ne visent pas à indemniser la victime pour un préjudice personnel et ne sauraient apparaître comme une forme d’enrichissement sans cause […] ils doivent être assez importants pour convaincre leur auteur et ceux qui pourraient être tentés de suivre son exemple d’y renoncer ».
[83] Mme Bouchard allègue, en s’appuyant sur l’arrêt Hôpital St-Ferdinand de la Cour suprême, que l’appréciation, en révision, de l’évaluation des dommages-intérêts punitifs par un juge de première instance est sujette à une norme d’intervention exigeante. Pour Mme Bouchard, l’appréciation du commissaire Hardy, voulant qu’une somme de 20 000 $ soit suffisante et nécessaire pour envoyer le signal approprié, ne peut constituer une erreur présentant des caractéristiques de gravité et d’évidence invalidant sa décision.
[84] Mme Bouchard soutient que l’appréciation du commissaire Hardy quant au quantum des dommages-intérêts punitifs est juste compte tenu de l’ensemble des écarts de comportement discernés chez le MICC par rapport aux règles et aux bonnes pratiques en matière de gestion des ressources humaines qui témoigne de l’intention de porter atteinte à sa dignité (paragraphe 139 de la décision).
[85] Concernant le calcul des intérêts et de l’indemnité additionnelle pour les dommages-intérêts punitifs, Mme Bouchard soutient qu’on ne peut prétendre, comme le fait le MICC, que ceux-ci courent uniquement à compter du jugement qui les octroie.
[86]
Au soutien de ses prétentions, Mme Bouchard renvoie la
Commission en révision à deux décisions de la Cour suprême, les arrêts Gauthier[25]
et De Montigny[26]
dans lesquelles celle-ci aurait décidé de faire courir les intérêts et
l’indemnité additionnelle pour des dommages-intérêts punitifs à partir de
l’introduction de l’instance et non du jugement. Elle cite par ailleurs le
professeur Sébastien Grammond qui indique dans un article récent[27]
que depuis l’arrêt De Montigny ayant consacré un élargissement de la portée
de l’article 1621du Code civil du Québec, on verrait mal pourquoi
on adopterait une règle particulière contraire à celle prévue à l’article
42.[…] la logique exclusivement dissuasive qui semble avoir motivé les arrêts de la Cour d’appel doit maintenant être mise de côté au profit de la conception plus large adoptée par la Cour suprême quant aux objectifs des dommages-intérêts punitifs. Ceux-ci n’étant plus exclusivement tournés vers l’avenir, on voit mal pourquoi on adopterait une règle particulière quant au point de départ du calcul des intérêts.
[87]
Conséquemment, Mme Bouchard prétend qu’au regard du
libellé de l’article
2.3 Réplique du MICC
[88]
Le MICC reconnaît que, tel qu’il appert de la jurisprudence et de la
doctrine, lorsqu’il y a démonstration d’une atteinte à la réputation à la suite
de propos diffamatoires, l’immunité civile prévue à l’article
[89] Concernant l’appréciation du montant de 20 000 $ octroyé à titre de dommages-intérêts punitifs, de même que le point de départ du calcul de ces intérêts, le MICC n’a aucun commentaire additionnel à ajouter.
2.4 Analyse
[90] Dans ses conclusions, le commissaire Hardy accorde un montant de 10 000 $ « pour atteinte à la dignité et à la réputation ». Ce montant n’est pas remis en cause par le MICC, bien que ce dernier s’interroge à quel titre il a vraiment été accordé à la lumière des propos tenus par le commissaire Hardy. La qualification de ces dommages peut avoir une certaine importance eu égard aux dommages-intérêts punitifs accordés (20 000 $), comme le démontrera la Commission en révision. C’est l’attribution de ces dommages-intérêts punitifs qui fait l’objet de la requête en révision du MICC.
[91]
En fait, le commissaire Hardy accorde un montant de 20 000 $ à
titre de dommages-intérêts punitifs, en s’appuyant sur l’article
49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnue par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.
En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.
[92] Concernant les dommages-intérêts punitifs, la Commission en révision doit donc principalement se poser la question suivante :
·
Le commissaire Hardy a-t-il commis une erreur de droit
déterminante lorsqu’il a conclu que Mme Bouchard avait droit aux
dommages-intérêts punitifs prévus à l’article
[93] Pour les motifs qu’elle expose ci-après, la Commission répond par l’affirmative.
[94]
Pour répondre à cette question, la Commission en révision examine
d’abord le droit de Mme Bouchard à de tels dommages dans le cadre
d’une lésion professionnelle couverte par l’immunité civile de l’article
[95] Tout d’abord, la Commission en révision souligne que les tribunaux supérieurs ont reconnu le caractère autonome des dommages-intérêts punitifs, tout en faisant une distinction pour les cas où, comme en l’espèce, il existe un régime étatique d’indemnisation. La Cour suprême, dans l’arrêt De Montigny s’exprime comme suit :
[42] La solution retenue par la juge L’Heureux-Dubé semble
effectivement celle qui s’impose dans les cas où, comme en l’espèce,
l’impératif de préservation des régimes étatiques d’indemnisation est absent du
contexte juridique. L’arrêt Béliveau St-Jacques, on l’a vu, porte
spécifiquement sur l’interaction entre la LATMP, loi provinciale isolant
du régime général de la responsabilité civile les réclamations de victimes
d’accidents du travail, et la Charte québécoise. Comme le note le juge
Gonthier, la LATMP résulte d’un compromis social par lequel les
travailleurs renoncent à la possibilité d’obtenir compensation pleine et
entière par voie d’action civile, alors que les employeurs, eux, ont
l’obligation d’offrir une compensation partielle en cas d’accident (Béliveau
St-Jacques, par. 109). Un tel régime complet et clos sur lui-même, détaché
du concept de faute ou d’acte intentionnel, exclut par sa nature même
l’existence d’un système parallèle de responsabilité qui s’établirait
hypothétiquement sur la base de l’art.
[…]
[45] Ainsi, j’estime qu’une portée trop large a été donnée à l’opinion majoritaire dans l’affaire Béliveau St-Jacques. Celle-ci écartait le recours de l’art. 49, al. 2 dans les seuls cas visés par des régimes publics d’indemnisation, comme celui qui s’applique au Québec en matière de lésions professionnelles. En dehors de ce contexte, rien n’empêche de reconnaître le caractère autonome des dommages exemplaires et, partant, de donner à cette mesure de redressement toute l’ampleur et la flexibilité que son incorporation à la Charte commande. [...]
[La Commission en révision souligne]
[96] Ainsi, le caractère accessoire des dommages-intérêts punitifs est restreint dans le cas particulier des régimes d’indemnisation étatique qui sont d’application exclusive et qui écartent les règles de droit commun de la responsabilité.
[97]
Dans la présente affaire, des dommages-intérêts punitifs ne pourraient
donc être accordés que pour une atteinte non visée par l’immunité civile de l’article
[98]
La Cour d’appel, dans l’arrêt Ghanouchi, fait une analyse de
plusieurs décisions de la Cour suprême et de la Cour d’appel au regard de
l’immunité civile dont bénéficient l’employeur et le coemployé en vertu de l’article
· le principe de l’immunité civile de l’employeur et du coemployé ne tient pas lorsque la réclamation vise essentiellement à réparer une atteinte à la réputation découlant de propos diffamatoires tenus ou publiés, mais il est possible que, dans un cas donné, de tels propos diffamatoires puissent constituer un « accident de travail » et entraîner une « lésion professionnelle »;
· le concept de « lésion professionnelle », au sens de la LATMP, exclut toute idée d’atteinte à la réputation; d’ailleurs, les dommages compensatoires pour atteinte à la réputation ne sont pas pris en compte dans le régime collectif d’indemnisation des accidents de travail[28].
[99]
Ainsi, en présence d’une atteinte à la réputation, il est possible que Mme Bouchard
ait droit à des dommages-intérêts punitifs si les conditions du deuxième alinéa
de l’article
[100] À l’instar
du MICC, la Commission en révision constate que les propos du commissaire Hardy
laissent transparaître certaines contradictions. Au paragraphe 128, le
commissaire Hardy énonce qu’« en théorie, les réclamations de Mme
Bouchard en dommages pour atteinte à la dignité et à la réputation pourraient
être indemnisables dans la mesure où elles répondent aux critères
d’admissibilité de l’article
[101] Toutefois, au paragraphe 137, il mentionne qu’ « en ce qui concerne l’aspect plus spécifique de dignité, [il] tient compte que les volets psychologiques, émotionnels et physiques auraient pu être compensés par la CSST au chapitre des dommages moraux pour la période de mai 2011 jusqu’à janvier 2014 ».
[102] La Commission en révision comprend de ces propos que le commissaire Hardy considère que l’atteinte à la dignité est donc couverte par l’immunité civile de la LATMP.
[103] Or, le commissaire Hardy, dans son analyse des dommages-intérêts punitifs, revient sur l’atteinte à la dignité de Mme Bouchard, aux paragraphes 138 à 141, pour conclure, au paragraphe 142, à l’attribution de dommages-intérêts punitifs. Aucune mention n’est faite d’une atteinte à la réputation.
[104] La Commission en révision croit donc que le commissaire Hardy a commis une grave erreur de droit en accordant des dommages-intérêts punitifs liés à une atteinte à la dignité de Mme Bouchard alors qu’il considère qu’une telle atteinte est couverte par l’immunité civile de la LATMP, et ce, contrairement aux enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Béliveau St-Jacques plus tard précisés dans l’arrêt De Montigny.
[105] Par
ailleurs, si la Commission en révision devait conclure que l’atteinte à la
dignité n’est pas couverte par l’immunité civile de la LATMP, ou encore, si la
Commission en révision devait conclure que les dommages-intérêts punitifs ont
été accordés pour une atteinte à la réputation, encore faudrait-il qu’il ait
été prouvé par Mme Bouchard, tel que requis au deuxième alinéa
de l’article
[106] En effet, quant au caractère intentionnel de l’atteinte illicite, la Cour suprême s’est exprimée ainsi dans l’arrêt Hôpital St-Ferdinand :
[121] En conséquence, il y aura atteinte illicite et
intentionnelle au sens du second alinéa de l’article
[La Commission en révision souligne]
[107] Et la Cour
suprême poursuit en précisant que « la détermination de l’existence d’une
atteinte illicite et intentionnelle dépendra de l’appréciation de la preuve
dans chaque cas et que, même en présence d’une telle atteinte, l’octroi et le
montant des dommages exemplaires aux termes du deuxième alinéa de l’art. 49
et de l’art.
[108] Or, c’est à partir du cumul des gestes posés dans le dossier de Mme Bouchard que le commissaire Hardy infère la volonté du MICC de porter atteinte à sa dignité. Plus précisément, le commissaire Hardy, au paragraphe 139 de sa décision, énonce que « c’est le cumul de tous les écarts observés par rapport aux règles et aux bonnes pratiques en matière de gestion de ressources humaines qui témoignent de l’intention de porter atteinte à la dignité de Mme Bouchard ». C’est la combinaison de tous les écarts qu’il identifie aux paragraphes 139 et 140, auquel il ajoute la mesure disciplinaire déguisée, qui « convainc la Commission de l’intention du ministère de porter atteinte à la dignité de la travailleuse » (paragraphe 141 de la décision).
[109] Ces écarts sont énumérés au paragraphe 139 de la décision du commissaire Hardy et reprennent des faits mis en preuve dans le cadre de sa première décision du 18 novembre 2013.
[110] La Commission en révision est d’avis que cette inférence est déraisonnable et contraire aux enseignements de la Cour suprême dans l’affaire Hôpital St-Ferdinand.
[111] La Commission en révision ne voit pas, dans les gestes posés par le MICC, l’intention de nuire à la réputation ou à la dignité de Mme Bouchard. Il est vrai que plusieurs de ces gestes peuvent démontrer des problèmes au niveau de la gestion des ressources humaines et un comportement quelques fois inapproprié, mais il serait déraisonnable de conclure que le MICC « ne pouvait ignorer les conséquences de son attitude désinvolte, pour ne pas dire cavalière, dans la gestion du dossier de Mme Bouchard » (paragraphe 141 de la décision) et ainsi justifier des dommages-intérêts punitifs. Au surplus, les gestes reprochés mettent en cause différentes personnes. Cumuler les actes de plusieurs personnes pour conclure à une intention de nuire laisse croire à une collusion, ce qui, pour la Commission en révision, n’est aucunement supporté par la preuve.
[112] Par ailleurs, si on considère que les dommages-intérêts punitifs ont été accordés pour une atteinte à la réputation, force est de constater que la preuve de l’intention repose essentiellement sur des actes qui, selon le commissaire Hardy, « témoignent de l’intention de porter atteinte à la dignité de Mme Bouchard » (paragraphe 139 de la décision). Sur l’atteinte illicite à la réputation, la seule preuve retenue par le commissaire Hardy repose sur le témoignage du supérieur immédiat de Mme Bouchard quant à ce qui se serait dit sur l’attitude de celle-ci, alors que le commissaire Hardy reconnaît lui-même que les propos exacts demeurent inconnus (paragraphe 133 de la décision). Il admet même que, « une fois replacée, rien n’indique que la réputation de Mme Bouchard, ternie au MICC, devrait la suivre bien longtemps » (paragraphe 137 de la décision). La Commission en révision considère à nouveau qu’aucune atteinte intentionnelle n’a été prouvée.
[113] La conclusion du commissaire Hardy d’accorder des dommages-intérêts punitifs à Mme Bouchard constitue une erreur de droit et n’est aucunement supportée par la preuve. Le commissaire Hardy a donc gravement erré en accordant de tels dommages.
[114] Par ailleurs, quant au moment où devraient commencer à courir les intérêts et l’indemnité additionnelle, la Commission en révision note que le commissaire Hardy ne justifie pas les raisons pour lesquelles il s’est éloigné du courant jurisprudentiel[31] voulant qu’ils commencent à courir à partir de la date de la décision les octroyant et non avant. La Cour d’appel l’a d’ailleurs récemment rappelé dans l’arrêt Lorrain c. St-Pierre[32] :
[62] En effet,
le juge Dalphond, s’exprimant au nom de la Cour sur ce point dans Genex
Communications inc. c. Association québécoise de l’industrie du disque,
du spectacle et du vidéo[12], expliquait pourquoi le juge, en
matière de dommages punitifs, ne décide pas du pouvoir discrétionnaire dont
l’investit l’article
[La Commission en révision souligne]
[115] En conclusion, il est clair pour la Commission en révision que le Commissaire Hardy a commis des erreurs de droit manifestes constituant des vices de fond de nature à invalider sa décision en ce qui a trait à l’octroi de dommages-intérêts pécuniaires, moraux et punitifs.
[116] POUR CES MOTIFS, la Commission en révision :
· ACCUEILLE la requête en révision du ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles;
· RÉVISE la décision rendue par le commissaire Hardy le 23 janvier 2015 dans le dossier 1300918;
· ANNULE les ordonnances rendues dans cette décision relativement à l’octroi des dommages pécuniaires, des dommages moraux et des dommages-intérêts punitifs.
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_____________________________ Louise Caron, avocate Commissaire |
_____________________________ Sonia Wagner, avocate Commissaire |
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Me Micheline Tanguay |
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Procureure pour le ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles |
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REQUÉRANT |
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Me Pascale Racicot |
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Procureure pour Mme Francine Bouchard INTIMÉE |
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Requête prise en délibéré : 21 avril 2015 |
[1] Ce ministère est désigné comme étant le ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, depuis le 24 avril 2014 (décret no 370-2014).
[2]
Bouchard et Ministère de l'Immigration et des Communautés
culturelles,
[3]
Bouchard et Ministère de l'Immigration et des Communautés
culturelles,
[4] RLRQ, c. A-3.001.
[5]
Genest c. Commission des droits de la personne et des droits de
la jeunesse,
[6] RLRQ, c. C-12.
[7] RLRQ, c. F-3.1.1.
[8]
Tribunal administratif du Québec c. Godin,
[9]
Rona inc. c. Commission des lésions professionnelles,
[10]
Voir notamment Ministère des Transports c. Bérubé, 2011 CanLII
18157 (QC CFP), par. 20 et Centre de services partagés du Québec c. Dussault,
[11] Société de l’assurance automobile du Québec c. Commission de la fonction publique, D.T.E. 99T919 (C.S.), désistement d’appel (C.A., 2002-08-13), 200-09-002781-992.
[12]
Flamand c. Roberge,
[13] Barcelo c. Commission de la santé et de la sécurité de travail du Québec, 1997 CanLII 10709 (QC CA).
[14]
Normandin c. Banque Laurentienne du Canada inc.,
[15]
Béliveau St-Jacques c. Fédération des employées et employés de
services publics inc.,
[16]
Précité, note 15; G.D. c. Centre de santé et des services sociaux
A,
[17] Michel SANSFAÇON, L’indemnisation des victimes d’accidents du travail et des maladies professionnelles, aspects juridiques en droit québécois, 2e édition, Éditions Wilson-Lafleur, p. 339.
[18] Katherin LIPPEL et Guylaine VALLÉE, Santé et sécurité du travail, JurisClasseur Québec, Volume 2, éd. LexisNexis, Fascicule 27, p. 27/88 à 27/89 et 27/96 à 27/97.
[19]
Smith c. Willis Brazolot & Cie inc.,
[20]
Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (re),
[21]
Ghanouchi c. Lapointe,
[22]
Curateur public du Québec c. Syndicat national des employés de
l'hôpital St-Ferdinand,
[23]
Honda Canada Inc. c. Keays,
[24]
Métro Richelieu inc. c. Centre commercial Innovation inc.,
[25]
Gauthier c. Beaumont,
[26]
De Montigny c. Brossard (succession),
[27] Sébastien GRAMMOND, Un nouveau départ pour les dommages-intérêts punitifs, Revue générale de droit, Vol. 42, N°1 (2012) p. 105-124.
[28] Précité, note 21, au par. 35.
[29] Précité, note 22, au par. 121.
[30] Ibid., au par. 122.
[31]
Genex Communications inc. c. Association québécoise de
l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo,
[32]
Lorrain c. St-Pierre,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.