Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Nkamba) c. Ville de Gatineau | 2023 QCTDP 14 | |||||
TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE | ||||||
| ||||||
CANADA | ||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||
DISTRICT DE | GATINEAU | |||||
| ||||||
N° : | 550-53-000046-212 | |||||
| ||||||
DATE : | 4 mai 2023 | |||||
______________________________________________________________________ | ||||||
| ||||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | SOPHIE LAPIERRE | ||||
AVEC L’ASSISTANCE DES ASSESSEURES : |
Me Marie Pepin, avocate à la retraite Me Carolina Manganelli | |||||
______________________________________________________________________ | ||||||
| ||||||
| ||||||
COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE, agissant dans l’intérêt public et en faveur de LUCK KAHILA NKAMBA | ||||||
Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
ville de gatineau | ||||||
et | ||||||
matthieu lambert | ||||||
et | ||||||
christopher perron | ||||||
Partie défenderesse | ||||||
et | ||||||
luck kahila nkamba | ||||||
Partie plaignante et victime | ||||||
| ||||||
______________________________________________________________________ | ||||||
| ||||||
JUGEMENT | ||||||
______________________________________________________________________ | ||||||
| ||||||
[1] La Commission des droits de la personne et de la jeunesse (CDPDJ) agit en faveur de M. Luck Kahila Nkamba (M. Nkamba) et dans l’intérêt public.
[2] La CDPDJ reproche à Ville de Gatineau et ses deux policiers, M. Matthieu Lambert et M. Christophe Perron, d’avoir exercé du profilage discriminatoire lors d’un incident survenu le 16 février 2018. À cette occasion, M. Nkamba est passager d’un taxi Uber que les policiers interceptent parce qu’ils constatent que M. Nkamba ne porte pas sa ceinture de sécurité. Interpellé par le policier Perron, M. Nkamba refuse de s’identifier et proteste en affirmant qu’il portait sa ceinture. Devant son refus de s’identifier, les policiers procèdent à l’arrestation de M. Nkamba, le menottent et le fouillent. Ils l’identifient et lui remettent deux constats d’infraction.
[3] N. Nkamba est un homme noir.
[4] La CDPDJ réclame à la partie défenderesse de verser à M. Nkamba la somme de 20 000 $ à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral. De plus, elle réclame la somme de 2 000 $ au policier Lambert à titre de dommages-intérêts punitifs, et 4 000 $ au policier Perron, au même titre.
[5] La CDPDJ demande également au Tribunal d’ordonner une série de mesures dans l’intérêt public, dont l’adoption et la mise en œuvre d’une politique visant à lutter contre le profilage racial, la collecte et la publication systématique de données anonymisées concernant l’appartenance raciale perçue et/ou présumée des individus faisant l’objet d’une interception policière, et de dispenser de la formation par un expert sur le profilage racial assortie d’un processus d’évaluation des acquis chez les policiers.
[6] De leur côté, la Ville et ses policiers soutiennent que l’intervention policière était justifiée, fondée sur des motifs légitimes. Ils ont agi dans le respect des droits de M. Nkamba, sans égard à sa race et/ou la couleur de sa peau.
[7] Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :
1) La CDPDJ satisfait-elle son fardeau d’établir, par une preuve prima facie, que la race et/ou la couleur de peau de M. Nkamba a joué un rôle dans l’interpellation puis l’arrestation de M. Nkamba de façon à constituer du profilage discriminatoire fondé sur la race?
2) Si oui, la Ville et ses policiers ont-ils, par une preuve prépondérante, réussi à réfuter l’allégation de profilage racial, ou à la justifier au sens de la loi et la jurisprudence?
3) S’il y a eu profilage racial, M. Nkamba a-t-il subi un préjudice moral commandant une indemnisation à hauteur de celle que réclame la CDPDJ?
4) S’il y a eu profilage racial, les policiers Lambert et Perron ont-ils agi de façon intentionnelle, ouvrant le droit à M. Nkamba à obtenir des dommages-intérêts punitifs?
5) Les mesures réparatrices demandées par la CDPDJ dans l’intérêt public sont-elles appropriées dans les circonstances?
[8] Le 16 février 2018, M. Nkamba sort avec un ami dans une boîte de nuit d’Ottawa. Vers 2 h du matin, il commande un taxi Uber pour retourner chez lui.
[9] M. Nkamba s’assoit à l’avant et boucle sa ceinture de sécurité. Alors qu’il est presque arrivé à destination, le véhicule est intercepté par les policiers Lambert et Perron.
[10] L’intervention se termine par l’arrestation de M. Nkamba et la remise de deux constats d’infraction : l’un pour ne pas avoir porté sa ceinture de sécurité, et l’autre pour entrave parce qu’il a refusé de s’identifier.
***
[11] Quatre témoins racontent le déroulement des événements : M. Nkamba, le chauffeur de taxi M. Daniel Eji, et les deux policiers. Leurs versions sont contradictoires sur plusieurs faits pertinents à l’analyse.
[12] Une bonne partie des événements est filmée par M. Eji. Cependant, la vidéo n’est retrouvée par ce dernier que quelques jours avant le début de l’audience.
[13] Cette vidéo apporte un éclairage crucial non seulement sur ce qui s’est passé, mais aussi sur la fiabilité de la mémoire des témoins et leur crédibilité.
[14] La CDPDJ fonde son recours sur les articles suivants de la Charte des droits et libertés de la personne[1] :
4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.
10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.
Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.
12. Nul ne peut, par discrimination, refuser de conclure un acte juridique ayant pour objet des biens ou des services ordinairement offerts au public.
24. Nul ne peut être privé de sa liberté ou de ses droits, sauf pour les motifs prévus par la loi et suivant la procédure prescrite.
24.1. Nul ne peut faire l’objet de saisies, perquisitions ou fouilles abusives.
25. Toute personne arrêtée ou détenue doit être traitée avec humanité et avec le respect dû à la personne humaine.
29. Toute personne arrêtée ou détenue a droit, sans délai, d’en prévenir ses proches et de recourir à l’assistance d’un avocat. Elle doit être promptement informée de ces droits.
49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.
En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.
[15] Il y a deux ans à peine, le 13 janvier 2021, dans la décision Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Nyembwe) c. Ville de Gatineau[2] le Tribunal condamnait Ville de Gatineau et deux de ses policiers au paiement de dommages-intérêts pour compenser le préjudice subi par un citoyen noir victime de profilage racial. Ce jugement contient certains aspects forts importants pour comprendre le profilage racial. Le Tribunal estime utile de reproduire certains passages particulièrement éclairants du jugement avant de débuter l’analyse à la présente affaire :
[295] Une allégation de profilage racial sera rarement prouvée par des preuves directes. Sauf exception, il ne faut en effet pas compter que les policiers, même par inadvertance, admettent avoir été influencés par des stéréotypes raciaux dans l’exercice de leurs pouvoirs discrétionnaires d’intercepter et d’arrêter quelqu’un. Par ailleurs, un policier peut subjectivement ignorer qu’il se livre à du profilage racial. Le phénomène sera donc essentiellement prouvé par inférences tirées de preuves circonstancielles, indirectes et indicielles, et par présomptions de fait.
[…]
[297] La discrimination est beaucoup plus complexe que les premières pensées qui viennent à l’esprit. À l’ère du « politiquement correct » et de la promotion du multiculturalisme, les gens sont conscients, particulièrement les personnes en autorité, des risques qu’ils prennent s’ils parlent ouvertement des préjugés qu’ils entretiennent, surtout les préjugés négatifs à l’égard des personnes racisées. La discrimination raciale est ainsi souvent ambiguë et indirecte, voire insidieuse. Lorsqu’elle est dénoncée, la réponse en est généralement une de négation sur fond d’indignation, voire de menaces de représailles.
[298] Le profilage racial s’attache principalement à la motivation des agents de police. Il se produit lorsque la race ou les stéréotypes raciaux conscients ou inconscients concernant la criminalité ou la dangerosité jouent un rôle dans la sélection ou le traitement des suspects. Il ne doit pas être toléré.
[…]
[305] Il y a profilage racial même lorsque la conduite policière autrement objectivement justifiée, est influencée par des stéréotypes négatifs liés à la race ou la couleur de peau de la personne qui en est l’objet.
[313] Tenant compte de la nature de la preuve à analyser pour décider si le profilage racial a influencé un comportement, l’évaluation de la crédibilité des témoins est essentielle à la détermination du rôle que le phénomène a pu jouer dans une situation.
[314] Lorsque la décision d’un agent de la paix est influencée ou motivée subjectivement d’une quelconque façon par des considérations de race ou de couleur, elle est contaminée. Le juge doit alors conclure qu’il y a profilage discriminatoire, même si la décision peut paraître objectivement motivée après coup. Ceci est d’autant plus vrai lorsque l’analyse révèle que la décision n’était pas objectivement motivée.
(Citation omise)
(Références omises)
***
[16] En 2015, dans l’arrêt Bombardier[3], la Cour suprême du Canada fait sienne la définition de profilage racial proposée par la CDPDJ :
[33] En l’espèce, la Commission avance que M. Latif a été victime de profilage racial. D’abord élaboré à l’occasion de certains recours intentés contre des services policiers pour abus de pouvoir, le concept de profilage racial a depuis été étendu à d’autres contextes :
Le profilage racial désigne toute action prise par une ou des personnes en situation d’autorité à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes, pour des raisons de sûreté, de sécurité ou de protection du public, qui repose sur des facteurs d’appartenance réelle ou présumée, tels [sic] la race, la couleur, l’origine ethnique ou nationale ou la religion, sans motif réel ou soupçon raisonnable, et qui a pour effet d’exposer la personne à un examen ou à un traitement différent.
Le profilage racial inclut aussi toute action de personnes en situation d’autorité qui appliquent une mesure de façon disproportionnée sur des segments de la population du fait, notamment, de leur appartenance raciale, ethnique ou nationale ou religieuse, réelle ou présumée.
(Soulignements reproduits)
(Références omises)
[17] Le profilage racial est une forme particulière de discrimination interdite par l’article 10 de la Charte.
[18] Dans l’arrêt Bombardier, la Cour suprême enseigne que l’analyse d’une allégation de discrimination comporte deux volets.
[19] Pour le premier volet de l’analyse, la partie demanderesse doit d’abord apporter la preuve de trois éléments : 1) une distinction, exclusion ou préférence; 2) fondée sur un ou plusieurs motifs prohibés; 3) qui a pour effet de brimer le droit à l’égalité dans la reconnaissance ou l’exercice d’un ou plusieurs droits ou libertés protégés par la Charte[4].
[20] Le premier élément constitutif de la discrimination dans une affaire de profilage racial est l’existence d’une différence de traitement ou d’un traitement inhabituel de la personne auprès de qui l’intervention policière se produit. L’analyse consiste à comparer le traitement auquel la personne a été soumise par les policiers avec celui qui est généralement réservé à d’autres personnes, dans des circonstances semblables, afin de déterminer si elle a reçu un traitement inhabituel ou différencié[5].
[21] Le deuxième élément constitutif de la discrimination est la présence d’un lien entre la décision ou le geste contesté et l’un des motifs prohibés par l’article 10 de la Charte.
[22] Il existe différentes formes de discrimination, dont la discrimination involontaire[6], ainsi que des gestes ou comportements discriminatoires inconscients[7].
[23] Le lien requis entre le comportement reproché et un motif énuméré à l’article 10 de la Charte n’équivaut pas au lien de causalité en matière de responsabilité civile, à savoir une conséquence logique, directe et immédiate entre le comportement et sa conséquence. Il suffit que le motif prohibé soit un facteur ayant participé au traitement différencié pour conclure à la discrimination[8].
[24] Le profilage racial est relatif à la motivation des personnes en situation d’autorité (ici les policiers) qui, consciemment ou non, sont influencées dans leurs interactions avec d’autres personnes par la race ou la couleur de celles-ci ou par des stéréotypes qu’elles entretiennent à leur égard[9]. Ces personnes en autorité peuvent être inconscientes du rôle de leurs préjugés ou de stéréotypes dans leurs interactions avec les citoyens[10]. En conséquence, il peut y avoir profilage racial lors d’une intervention policière légale[11].
[25] La preuve de l’intention de discriminer ou d’un état d’esprit raciste chez les policiers n’est pas nécessaire afin de conclure à la présence de profilage discriminatoire[12].
[26] Quant au troisième élément constitutif de la discrimination, il exige que le traitement différencié lié à un motif prohibé résulte en une atteinte aux droits à l’égalité d’une personne dans la reconnaissance ou l’exercice d’une de ses libertés ou d’un de ses droits fondamentaux garantis par la Charte[13].
[27] Si la preuve est prépondérante sur ces trois éléments, la partie demanderesse satisfait son fardeau d’établir, prima facie, l’existence d’une discrimination interdite par l’article 10 de la Charte[14].
[28] Alors, il revient à la partie défenderesse soit de réfuter les allégations de discrimination, soit de les justifier. Il s’agit du deuxième volet de l’analyse.
[29] Plus particulièrement, ce deuxième volet de l’analyse consiste à déterminer si les policiers ont pu établir, par une preuve prépondérante, que leurs actions étaient sans lien avec le motif prohibé par la Charte et ainsi réfuter les allégations de discrimination[15], ou ont pu établir que leurs actions étaient justifiées par la loi ou la jurisprudence[16]. S’ils y parviennent, le tribunal conclut à l’absence de discrimination interdite par la Charte.
[30] L’analyse en deux volets doit se faire à chaque étape de l’intervention policière[17]. Une intervention à l’origine sans lien avec un motif prohibé par la Charte peut évoluer alors que s’introduisent dans la séquence des gestes et décisions des policiers, consciemment ou inconsciemment, des biais liés à un motif interdit par la Charte.
[31] Puisque la preuve directe de la discrimination est souvent difficile, voire impossible à faire, le tribunal s’appuie généralement sur une preuve circonstancielle[18] en tenant compte du contexte social qui sert de toile de fond à l’analyse[19].
[32] Placé devant des versions contradictoires des mêmes événements, le Tribunal recherche la vérité par l’analyse de la crédibilité et de la fiabilité des témoignages[20]. La Cour d’appel distingue la crédibilité de la fiabilité de la manière suivante, dans l’arrêt J.R. c. R.[21] :
[49] Comme le soutient l'appelant, les notions de fiabilité et de crédibilité sont distinctes. La fiabilité a trait à la valeur d'une déclaration faite par un témoin alors que la crédibilité se réfère à la personne. Mon collègue, le juge François Doyon, expose fort bien la différence qu'on doit faire entre ces concepts :
La crédibilité se réfère à la personne et à ses caractéristiques, par exemple son honnêteté, qui peuvent se manifester dans son comportement. L'on parlera donc de la crédibilité du témoin.
La fiabilité se réfère plutôt à la valeur du récit relaté par le témoin. L'on parlera de la fiabilité de son témoignage, autrement dit d'un témoignage digne de confiance.
Ainsi, il est bien connu que le témoin crédible peut honnêtement croire que sa version des faits est véridique, alors qu'il n'en est rien et ce, tout simplement parce qu'il se trompe; la crédibilité du témoin ne rend donc pas nécessairement son récit fiable.
[50] Une personne crédible peut donc faire une déclaration non fiable.
(Référence omise)
[33] Quant à la crédibilité, la Cour suprême du Canada, dans R. c. Gagnon[22], écrit ceci, un enseignement toujours d’actualité :
20 Apprécier la crédibilité ne relève pas de la science exacte. Il est très difficile pour le juge de première instance de décrire avec précision l’enchevêtrement complexe des impressions qui se dégagent de l’observation et de l’audition des témoins, ainsi que des efforts de conciliation des différentes versions des faits. […]
[34] Finalement, dans Mensah[23], le Tribunal rappelait ce qui suit :
[87] Dans l’arrêt Pointejour Salomon c. La Reine, la Cour d’appel suggère une démarche de résolution des versions contradictoires en les analysant sous ces deux angles, mais en privilégiant l’appréciation de la fiabilité qui fait davantage appel à la logique et à l’objectivité.
(Référence omise)
[35] La CDPDJ propose une analyse visant deux moments distincts de l’interaction entre M. Nkamba et les policiers.
[36] Dans un premier temps, elle invite le Tribunal à s’attarder aux motifs de l’interception du véhicule. La CDPDJ reconnait que si le Tribunal conclut que M. Nkamba ne portait pas sa ceinture de sécurité pendant que le véhicule circulait, il n’y a pas de profilage racial au stade de l’interception.
[37] Deuxièmement, la CDPDJ propose que le Tribunal s’attarde à l’analyse de l’arrestation, particulièrement au menottage de M. Nkamba. Elle soutient que le menottage n’était pas nécessaire dans les circonstances et résulte d’un biais qui veut que les personnes noires ont une tendance à recourir à la violence.
[38] La partie défenderesse rétorque que si le Tribunal conclut que M. Nkamba ne portait pas sa ceinture de sécurité pendant que le véhicule circulait, alors il faut conclure que les policiers inventent de toutes pièces un motif pour intercepter le taxi et interpeller M. Nkamba parce qu’il est une personne noire, ce que le Tribunal devrait rejeter.
[39] Troisièmement, la partie défenderesse soutient que le Tribunal devrait rejeter tout le témoignage de M. Nkamba sur l’interception et son arrestation, vu son absence totale de crédibilité. La partie défenderesse suggère que la perception des événements de M. Nkamba est teintée de son propre biais défavorable à l’égard des policiers qui interagissent avec des personnes noires.
[40] Guidé par le cadre d’analyse en matière de profilage racial exposé précédemment, voyons maintenant ce que la preuve révèle.
***
[41] À ce sujet, trois versions se contredisent.
[42] D’abord, M. Nkamba prétend qu’il porte sa ceinture de sécurité lorsque le véhicule circule, mais l’enlève en arrivant devant chez lui. Voyant les gyrophares et puisque M. Eji poursuit sa route pour se ranger, il la remet en place. Finalement, il l’enlève une fois le véhicule garé, avant que les policiers se rendent à côté de la voiture.
[43] De son côté, M. Eji affirme avec beaucoup de certitude que M. Nkamba porte sa ceinture de sécurité du moment qu’il monte à bord du taxi, sans interruption, jusqu’au moment où un des deux policiers le tire par la main pour le forcer à sortir du taxi. Il ajoute que M. Nkamba détache sa ceinture avec sa main demeurée libre pendant que le policier le tire par l’autre main.
[44] Finalement, les deux policiers témoignent que M. Nkamba ne porte pas sa ceinture alors qu’ils suivent le taxi circulant sur le boulevard du Plateau. Ils confirment leur constatation en allumant leurs phares d’approche. Au moment de l’interception, M. Nkamba ne porte pas sa ceinture.
[45] Comment réconcilier ces témoignages?
***
[46] Lorsque M. Nkamba monte à bord du véhicule de M. Eji à Ottawa, il s’assoit à l’avant et boucle sa ceinture de sécurité, comme il le fait toujours. Le Tribunal ne doute pas de son témoignage à ce sujet.
[47] M. Eji explique que si un passager ne boucle pas sa ceinture, un signal sonore l’indique lorsque la voiture se met en mouvement. Il demande alors à son client de s’attacher. Le Tribunal considère cela plausible.
[48] Le signal cesse-t-il après un certain temps ou demeure-t-il actif en continu jusqu’à ce que le passager boucle sa ceinture? Ces questions demeurent sans réponse à l’issue de l’audience.
[49] Ceci dit, le véhicule s’engage sur le boulevard du Plateau où habite M. Nkamba. Il circule vers le sud. Deux ronds-points se succèdent, celui de l’Amérique-Française puis celui du boulevard Amsterdam.
[50] M. Eji témoigne qu’il voit une voiture de police dans une rue transversale au rond-point de l’Amérique-Française. Elle n’est pas en mouvement. Il n’y prête pas attention, tout concentré sur sa destination, car il est dans un secteur qu’il ne connait pas.
[51] Puis, M. Eji aperçoit une voiture de police derrière lui, gyrophares allumés. Il poursuit sa course sur quelques mètres, tourne à droite sur le boulevard Amsterdam et se range immédiatement sur le côté.
[52] Cependant, son souvenir des événements est imprécis et fluctuant. Pour ce motif, le Tribunal considère ce témoignage peu fiable.
[53] Il témoigne d’abord qu’il y avait beaucoup de circulation cette nuit-là sur le boulevard, pour ensuite dire plutôt qu’il y avait « a few cars » dans le rond-point de l’Amérique-Française.
[54] Il témoigne d’abord qu’il a eu un « eye contact » avec les policiers, pour ensuite dire qu’il ignore si les policiers l’ont vu, pour finalement admettre qu’il n’a même pas vu combien de policiers se trouvaient dans le véhicule.
[55] On comprend que M. Eji tient pour acquis que la voiture de police qu’il aperçoit dans une rue transversale au rond-point de l’Amérique-Française est la même que celle qui l’intercepte. Il témoigne que les policiers « turn around to follow me », mais il ne les a pas vus le faire.
[56] Le Tribunal ne retient pas son témoignage au sujet des circonstances précédant l’interception.
[57] Pour leur part, les policiers témoignent qu’ils patrouillent en direction sud sur le boulevard du Plateau. Il y a alors peu de circulation. Le taxi de M. Eji se retrouve devant eux, juste après le rond-point de l’Amérique-Française. Ils le suivent sur deux à trois cents mètres en s’en approchant suffisamment pour constater que le passager ne porte pas sa ceinture de sécurité. Ils allument le phare d’approche pivotant pour éclairer l’habitacle et confirment que le passager ne porte pas sa ceinture. Ils actionnent les gyrophares. Les voitures sont alors presque au rond-point Amsterdam et M. Eji tourne à droite puis se range sur le côté.
[58] Le Tribunal retient le témoignage des policiers et détermine qu’ils suivent le taxi sur quelques centaines de mètres avant l’interception et sont à même d’observer à l’intérieur de l’habitacle du taxi en marche.
***
[59] M. Nkamba portait-il sa ceinture lorsque les policiers aperçoivent le taxi et s’en approchent?
[60] Le Tribunal écarte le témoignage de M. Eji voulant que M. Nkamba portait sa ceinture en continu jusqu’à ce qu’il la détache de sa main libre pendant que les policiers le tirent hors de la voiture par son autre main. Cette affirmation est contredite par M. Nkamba qui déclare que sa ceinture est détachée lorsque les policiers arrivent à la voiture. Elle est aussi contredite par la vidéo filmée par M. Eji qui montre la ceinture détachée lorsque les policiers arrivent et surtout, ne montre pas que M. Nkamba détache sa ceinture de sa main libre en sortant de la voiture.
[61] Le Tribunal écarte en partie le témoignage de M. Nkamba au sujet du port de sa ceinture de sécurité qu’il prétend avoir enlevée, rebouclée puis réenlevée. En fait, son témoignage se concilie, dans une certaine mesure, avec celui des policiers. Voici comment.
[62] Selon les policiers, ils suivent le taxi sur une courte distance, entre deux cents et trois cents mètres, avant d’arriver devant la résidence de M. Nkamba. Cette distance donne un temps suffisant aux policiers pour observer l’intérieur de l’habitacle, du moins le positionnement des ceintures qu’ils décrivent de façon détaillée.
[63] Le Tribunal croit que M. Nkamba détache sa ceinture alors que le véhicule ralentit et s’approche de chez lui, après le rond-point de l’Amérique-Française. Les policiers s’approchent et voient qu’il ne la porte pas. Ils le confirment avec l’utilisation du phare d’approche puis actionnent les gyrophares. M. Nkamba remet alors sa ceinture. M. Eji tourne sur le boulevard Amsterdam, et M. Nkamba détache sa ceinture une fois le véhicule stationné.
[64] La CDPDJ ne suggère pas, avec raison, que les policiers ont vu que les occupants du taxi étaient des personnes noires. Dans ce cas, pour quelle raison les policiers interceptent-ils le taxi de M. Eji?
[65] Le seul motif de l’interception que la preuve permet de retenir est que M. Nkamba ne porte pas sa ceinture à un certain moment alors que le taxi circule et que cela a été observé par les policiers.
[66] En conséquence, le Tribunal estime inutile de traiter de la prétention de la Ville et de ses policiers puisque le jugement de la Cour municipale[24], qui reconnait M. Nkamba coupable de l’infraction d’avoir circulé sans porter sa ceinture de sécurité, est déterminant dans l’analyse du présent Tribunal.
***
[67] La CDPDJ ne réussit pas à convaincre le Tribunal que lors de l’interception, il y a eu différence de traitement, soit le premier critère à prouver pour établir la discrimination interdite par la Charte. L’interception du taxi parce que M. Nkamba ne porte pas sa ceinture de sécurité est justifiée et n’est pas motivée par la couleur de peau de M. Nkamba.
[68] En conséquence, le Tribunal conclut que l’interception n’est pas le fruit d’un profilage racial.
***
[69] Qu’il conteste ou non le motif de son interpellation, dès lors qu’il est informé de l’infraction qu’on lui reproche, M. Nkamba a l’obligation de s’identifier lorsque le policier le lui demande. Le policier peut l’arrêter s’il refuse de s’identifier. Il doit libérer M. Nkamba dès qu’il s’identifie ou que son identification est confirmée[25].
[70] Le policier qui procède à une arrestation peut employer la force, dont le menottage, si cela est nécessaire selon les circonstances. La jurisprudence soumise par les parties offre des illustrations de ces principes.
[71] Dans l’affaire Mensah[26], au cours de son interpellation, M. Mensah s’agite, s’emporte, affiche un air menaçant, tout en protestant sur les motifs de son interpellation. Dans ces circonstances, le Tribunal considère qu’il était justifié pour les policiers de le menotter.
[72] Dans l’affaire Labelle[27], la personne interceptée est en état d’ébriété, mais offre sa pleine collaboration lors de son interpellation. Malgré cela, les policiers la menottent. Il est jugé que, dans ces circonstances, les policiers ont utilisé une force plus grande que nécessaire en procédant au menottage.
[73] Dans l’affaire Wayland[28], une dame est interpellée et les policiers découvrent qu’elle a plusieurs amendes impayées à son dossier. Elle est menottée lors de son interpellation. Pourtant, son comportement ne présente aucun danger. Il est décidé que la discrétion des policiers a été mal exercée lorsqu’ils l’ont menottée.
[74] Finalement, dans l’affaire Khoury[29], la personne interpellée ne refuse pas de s’identifier, mais les policiers lui passent les menottes quand même. L’usage des menottes est jugé injustifié parce que cette personne ne présentait aucune menace pour les policiers dans l’ensemble des circonstances mises en preuve.
[75] Revenons à ce qui s’est passé avec M. Nkamba.
***
[76] Lorsqu’il est interrogé au préalable, M. Nkamba décrit ainsi la scène où le policier le sort du véhicule. Il dit :
Et je n’ai pas trop grande mémoire de ce qui s’est passé parce que ce qui s’est passé après cela était tellement brusque et violent que tout ce que je peux vous dire, c’est que lorsque j’ai présenté mes poignets, à peine que j’avais fini de dire ce que j’avais à dire, je me suis retrouvé dehors.
Donc, on m’a tiré par les vêtements. Je ne pourrais pas dire si c’était les collets, quelle partie de mon corps, mais de façon excessive, force et violence, on m’a soutiré de cette voiture-là.[30]
(Transcription textuelle)
[77] Peu avant l’audience, M. Eji retrouve la vidéo qu’il a filmée. La scène captée par M. Eji est très différente de celle décrite par M. Nkamba. On y voit que le policier Lambert ne fait que poser sa main sur le poignet de M. Nkamba qui sort doucement du taxi par lui-même.
[78] Devant l’évidence, M. Nkamba persiste et tente maladroitement de justifier son témoignage antérieur. Il concède que le policier ne l’a pas tiré « par les collets », mais insiste pour dire « par les vêtements » alors que la vidéo ne montre rien de tel.
[79] Il concède que le policier ne l’a pas sorti violemment de la voiture, mais insiste pour dire qu’il s’agit tout de même de violence psychologique.
[80] Il fait preuve de la même réticence devant la vidéo de M. Eji concernant le menottage suivant sa sortie du taxi. À l’interrogatoire préalable, M. Nkamba déclare :
On m’a menotté et les menottes étaient bien assez serrées et sévères.
On ne m’a pas épargné. Donc, que ça soit au niveau des épaules ou du coude ou quoi que ce soit, tout n’a pas été épargné. On m’a menotté.[31]
(Transcription textuelle)
[81] La vidéo montre plutôt que M. Nkamba ne résiste pas et que le menottage se déroule calmement, sans heurts. Malgré cela, M. Nkamba insiste pour dire que le menottage était violent parce que si rapide qu’il s’agit « d’un record du monde » et qu’en soi, il constitue une menace d’emprisonnement.
[82] Pour sa part, interrogé au préalable, le policier Perron admet que M. Nkamba n’offre aucune résistance à son arrestation. Il le menotte quand même « [p]arce que c’est une question de sécurité, pour lui autant que pour nous. On ne sait pas à qui on a affaire, on ne sait pas s’il a une arme sur lui »[32]. Il ajoute que le menottage n’est pas systématique lors de chaque arrestation puisque chacune d’elle est différente. Finalement, il reconnait qu’il n’y avait aucun indice de la présence d’une arme sur M. Nkamba.
[83] Son témoignage à l’audience n’ajoute rien.
[84] Quant au policier Lambert, il explique à l’audience que M. Nkamba n’offre aucune résistance à son arrestation, que son menottage est « facile et calme ». Il contredit le témoignage au préalable du policier Perron en affirmant que le menottage est systématique en cas de refus de s’identifier parce que les policiers ignorent la raison du refus de s’identifier de la personne interpellée.
[85] De façon surprenante, alors que le rapport d’événement ne contient aucune mention de symptômes de consommation d’alcool, le policier Lambert ajoute qu’il détecte une odeur d’alcool chez M. Nkamba, ce qui pouvait le rendre agressif.
[86] De plus, le rapport d’événement[33] qui, outre d’indiquer erronément que les policiers circulaient en direction nord plutôt que sud sur le boulevard du Plateau, met en lumière une erreur renversante : le rapport relate comment le policier Perron est celui qui s’adresse à M. Nkamba, l’interpelle, lui demande de s’identifier précisément trois fois, sous peine d’être arrêté. Selon le rapport, c’est le policier Perron qui ouvre la portière, arrête M. Nkamba, effectue le contact initial sur son bras droit, le sort du véhicule et le menotte.
[87] Cette version est maintenue lors des interrogatoires au préalable.
[88] Cette histoire aurait vraisemblablement été maintenue à l’audience, n’eût été de la vidéo filmée par le chauffeur et communiquée quelques jours avant l’audience, sur laquelle on voit que c’est plutôt le policier Lambert qui interagit avec M. Nkamba.
[89] La crédibilité des policiers ne sort pas grandie de cette méprise.
[90] Dans les circonstances, la CDPDJ parvient à établir, par une preuve prima facie, que le menottage de M. Nkamba constitue un traitement inhabituel, qui sort de l’ordinaire, et constitue un traitement différencié.
[91] À première vue, le menottage de M. Nkamba ne s’explique que par son appartenance à un groupe racisé du fait de la couleur de sa peau, un motif interdit par l’article 10 de la Charte.
[92] Le visionnement de la vidéo filmée par M. Eji amène le Tribunal à se demander ce qu’un citoyen peut faire de mieux que M. Nkamba lorsqu’interpellé par les policiers. M. Nkamba est calme, poli, se déplace lentement et collabore, outre son refus de s’identifier parce qu’il est convaincu que les policiers ont tort de l’arrêter.
[93] Le Tribunal n’a aucune peine à imaginer qu’au lieu de le menotter, les policiers auraient pu, sans danger pour eux ou autrui, inviter M. Nkamba à poser ses mains sur le véhicule après en être sorti en lui expliquant qu’ils vont procéder par palpation à la recherche de son portefeuille pour pouvoir l’identifier vu son refus.
[94] Le Tribunal croit que si M. Nkamba avait été une personne blanche, avec le même comportement calme et poli, les policiers ne l’auraient pas menotté.
[95] Le deuxième critère énoncé par la jurisprudence est satisfait.
[96] La jouissance et/ou l’exercice, en pleine égalité, de certains des droits fondamentaux de M. Nkamba ont été compromis par les agissements des policiers. Par le menottage, il a été privé de sa liberté de façon discriminatoire. La fouille par palpation dont il a fait l’objet doit être jugée abusive[34] et a également eu sur lui un effet discriminatoire. Le Tribunal considère que le droit de M. Nkamba de recevoir des services ordinairement offerts au public sans discrimination a aussi été compromis[35].
[97] Le Tribunal ne retient pas que M. Nkamba a été arrêté et détenu sans être traité avec humanité et le respect dû à la personne humaine[36].
[98] Dans l’arrêt Bombardier[37], la Cour suprême du Canada enseigne que même si la partie demanderesse ne doit apporter qu’une preuve prima facie de la discrimination, cela ne fait pas en sorte qu’il existe une présomption de discrimination, une nuance de taille :
[88] On ne peut présumer, du seul fait de l’existence d’un contexte social de discrimination envers un groupe, qu’une décision particulière prise à l’encontre d’un membre de ce groupe est nécessairement fondée sur un motif prohibé au sens de la Charte. En pratique, cela reviendrait à inverser le fardeau de preuve en matière de discrimination. En effet, même circonstancielle, une preuve de discrimination doit néanmoins présenter un rapport tangible avec la décision ou la conduite contestée.
[99] Pour contrer la preuve prima facie de discrimination, la partie défenderesse doit réfuter les allégations de discrimination en démontrant que les policiers ont agi sans égard à la race ou la couleur de la peau de M. Nkamba. Cette preuve amène généralement les policiers à démontrer qu’ils disposaient de motifs objectifs, raisonnables, crédibles et légaux d’agir[38]. La preuve doit permettre de conclure que l’intervention policière n’a pas compromis de droit à l’égalité de la victime[39].
[100] Dans l’affaire Mensah[40], le Tribunal explique ce fardeau de preuve en disant que « à moins que le défendeur ne présente soit des éléments de preuve réfutant l’allégation [de discrimination], soit une défense la justifiant, soit une combinaison des deux », la discrimination interdite sera retenue.
[101] Plus précisément, le Tribunal écrit, dans l’affaire Miller[41], ce qui suit :
[197] Afin de réfuter l’existence de profilage discriminatoire « à première vue », la partie défenderesse doit quant à elle démontrer de manière prépondérante que chaque étape de l’intervention :
1) était fondée sur des motifs raisonnables;
2) n’était pas influencée par l’un ou l’autre des motifs interdits de discrimination;
3) ne constituait pas un traitement différencié ou inhabituel.
[198] Si elle échoue, le Tribunal conclura alors à l’existence de profilage discriminatoire.
(Référence omise)
[102] Dans la présente affaire, la preuve ne suggère pas que les policiers Perron et Lambert soient racistes ni agissent consciemment en fonction de la couleur de la peau de M. Nkamba. Mais leur conduite et leurs décisions peuvent obéir à des préjugés inconscients et la loi ne fait alors pas de différence : il y a tout de même profilage racial.
[103] De nos jours, l’existence du profilage racial systémique au sein des corps de police au Québec et au Canada est connue du public et reconnue par les tribunaux[42]. Malgré cette conscientisation collective, le profilage racial est loin de se résorber, encore moins d’être disparu. C’est ce qu’expose le juge Yergeau, dans une remarquable synthèse historique, dans la récente affaire Luamba[43].
***
[104] La Ville et les policiers Perron et Lambert justifient le menottage de M. Nkamba par le fait qu’il s’agit d’une pratique systématique selon le policier Lambert, et parce qu’il s’agit d’une question de sécurité, selon les deux policiers.
[105] Cependant, les parties défenderesses n’offrent aucune preuve convaincante au soutien de leurs prétentions.
[106] Quant au caractère systématique du menottage lorsqu’une personne refuse de s’identifier, ils produisent une Directive opérationnelle sur l’arrestation et la remise en liberté provisoire d’un prévenu avec ou sans condition[44], tel qu’elle existe le 20 janvier 2022. Or, les événements se sont déroulés en février 2018. Au surplus, cette Directive prévoit que le policier n’utilise que la force nécessaire et peut mettre les menottes au besoin, référant le lecteur à une autre directive sur l’emploi de la force, qui n’est pas produite à la Cour.
[107] Finalement, la justification basée sur la sécurité de M. Nkamba et des policiers n’est qu’une généralité, une hypothèse, qu’aucun des faits mis en preuve ne soutient.
[108] Le Tribunal conclut que la CDPDJ s’est acquittée de son fardeau de prouver, par une preuve prépondérante, que M. Nkamba a été victime de profilage racial le 16 février 2018, lors du menottage effectué par les policiers Perron et Lambert, ce qui est interdit par l’article 10 de la Charte.
[109] La CDPDJ réclame solidairement à la Ville et ses deux policiers la somme de 20 000 $ à titre de dommages-intérêts pour le préjudice moral subi par M. Nkamba. De plus, elle réclame 4 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs au policier Perron, ainsi que 2 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs au policier Lambert.
[110] Les dommages-intérêts pour préjudice moral visent à indemniser la victime en raison de l’atteinte à ses droits extrapatrimoniaux protégés par la Charte[45]. Le préjudice moral est non apparent et affecte la personne dans sa nature intime[46].
[111] Dans l’arrêt Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (X) c. Commission scolaire de Montréal, la Cour d’appel écrit[47] :
[63] L’exercice consistant à traduire le préjudice moral en dommages, c’est-à-dire en termes monétaires, est toujours délicat. Comme l’écrit le juge Vézina dans Calego International inc. c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, « [m]esurer le dommage moral et l’indemnité conséquente constitue une tâche délicate forcément discrétionnaire », presque arbitraire, serait-on tenté d’ajouter. […]
(Référence omise)
[112] Les dommages-intérêts qui visent à compenser le préjudice moral s’évaluent en fonction des conséquences de l’atteinte aux droits fondamentaux de chaque victime. La même atteinte peut causer un préjudice moral différent d’une victime à une autre. La jurisprudence sert de guide, mais les conséquences de l’atteinte doivent être analysées selon la preuve apportée par la victime à l’audience[48].
[113] Cette analyse personnalisée des conséquences subies par la victime s’inscrit toutefois dans un contexte plus global dont le Tribunal doit tenir compte, celui du profilage racial systémique qui existe au Québec et ses conséquences connues sur ses victimes. Les conséquences préjudiciables du profilage racial perdurent au-delà de l’événement dont la personne a été victime. C’est ce qu’énonce le Tribunal dans l’affaire Nyembwe[49] :
[516] Le profilage racial constitue de la violence dirigée vers certains groupes. L’effet des interventions policières excessives à l’égard des minorités raciales et du fichage des membres des collectivités constitue plus qu’un simple désagrément, ses effets perdurent bien au-delà de l’événement qui en est la manifestation.
(Références omises)
[114] La jurisprudence recèle de nombreux cas d’octroi de dommages-intérêts pour préjudice moral pour atteinte aux droits fondamentaux lors d’interpellations policières en contexte de profilage racial. Le Tribunal s’attarde à trois affaires récentes qui, elles-mêmes, analysent la jurisprudence pour en venir à fixer le montant adéquat des dommages-intérêts pour préjudice moral.
[115] Dans l’affaire Mensah en 2018[50], il est question d’un homme noir intercepté au volant de son véhicule. Les policiers constatent des irrégularités à son dossier de conduite. L’affaire dégénère et la victime est arrêtée, menottée, fouillée, et détenue un certain temps dans l’autopatrouille. Le Tribunal accorde 8 000 $ à la victime.
[116] Dans l’affaire DeBellefeuille en 2020[51], un homme noir est intercepté au volant d’une voiture de luxe devant la garderie de son jeune fils. Les policiers vérifient son identité et le laissent partir. Le Tribunal accorde à la victime 10 000 $.
[117] Dans l’affaire Nyembwe en 2021[52], à la suite d’un signalement fait par une victime de violence conjugale, un homme noir est arrêté, menotté, fouillé, et détenu dans l’autopatrouille, alors qu’il ne correspond pas à la description fournie par la personne à l’origine du signalement. Le Tribunal lui accorde 15 000 $.
[118] À la lumière de ce qui précède, il convient maintenant d’examiner la preuve des conséquences subies par M. Nkamba à la suite de l’incident en litige.
***
[119] Cet incident est le deuxième du même acabit en deux mois et demi pour M. Nkamba. En effet, le 30 novembre 2017, le taxi Uber dans lequel M. Nkamba est passager est intercepté devant chez lui. Les policiers du service de police de la Ville de Gatineau (SPVG) lui demandent de s’identifier sans motif et il refuse. La situation dégénère. M. Nkamba est arrêté, menotté, fouillé et reçoit deux constats d’infraction. Le présent Tribunal a déterminé qu’il a été victime de profilage racial et lui a accordé 10 000 $ à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral[53].
[120] Dans son évaluation du préjudice moral résultant du présent événement, le Tribunal tient compte de la preuve des conséquences de l’incident de février 2018 seulement, de façon à ne pas indemniser deux fois M. Nkamba pour un même préjudice.
[121] Par contre, le préjudice moral qu’il subit n’est pas désincarné, détaché de son vécu. Lorsque M. Nkamba témoigne qu’il vit un choc « en double », il n’a pas tort et celui ou celle qui doit réparation, prend la victime dans l’état où elle se trouve, avec ses vulnérabilités.
[122] Sur le coup, au moment de cette seconde interception en moins de trois mois, M. Nkamba est en état de choc, dit-il. Cet état de choc persiste et il consulte un médecin en clinique sans rendez-vous, le 23 février. Il ne se sent pas apte au travail.
[123] Ce médecin note que ce second incident laisse M. Nkamba bouleversé, mais qu’il va mieux depuis sa dernière visite du 12 janvier précédent en lien avec l’événement de novembre 2017. En réalité, M. Nkamba se présente chez le médecin pour qu’il remplisse un formulaire d’arrêt de travail pour son employeur.
[124] De fait, M. Nkamba s’absente du travail du 23 au 26 février 2018.
[125] M. Nkamba reconnait être une personne fragile. Il souffre de dépression depuis plus de cinq ans, contrôlée par des médicaments. Dans les dix dernières années, il s’absente à quelques occasions du travail alors qu’il est aux prises avec différents stresseurs en lien avec sa vie personnelle et son travail.
[126] L’événement de novembre 2017 ne semble pas, toutefois, l’avoir fragilisé davantage, ce que note le médecin qu’il consulte.
[127] À la suite de cette seconde arrestation de février 2018, M. Nkamba témoigne ressentir de l’humiliation face à ses voisins, une nouvelle fois, comme après l’événement de novembre 2017.
[128] Il se questionne ce qu’il doit faire, désormais, pour rentrer chez lui et éviter les interactions avec le service de police? Il se sent comme une « vache à lait » pour les policiers. Il n’est pas un criminel. Il se demande comment éviter de récolter des constats d’infraction.
[129] Il explique qu’au Québec, selon sa perception, un homme noir finit par s’habituer à ces interpellations policières. Il évoque en avoir été victime trois fois en quatorze mois, dont deux fois correspondent aux incidents de novembre 2017 et février 2018. Avant ces deux incidents, il s’identifiait lorsque les policiers le lui demandaient. Mais, dit-il, à un certain moment, ça suffit. C’est la raison pour laquelle lors des deux derniers incidents, il refuse de s’identifier.
[130] Dans ces circonstances, le Tribunal estime suffisant et raisonnable d’accorder la somme de 7 500 $ à titre de dommages-intérêts pour compenser le préjudice moral subit par M. Nkamba.
***
[131] Dans la présente affaire, les deux policiers sont fautifs. Leurs fautes conjuguées ont causé le préjudice. Ils en sont tenus solidairement responsables[54].
[132] Ville de Gatineau, à titre de commettant, est solidairement responsable de la faute commise par ses policiers[55].
[133] En cas d’atteinte illicite et intentionnelle aux droits protégés par la Charte, le Tribunal peut octroyer des dommages-intérêts punitifs, comme prévu à l’article 49 de la Charte. L’atteinte est illicite et intentionnelle lorsque l’auteur de l’atteinte aux droits protégés par la Charte agit dans un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive, ou agit en connaissant ou ne pouvant ignorer les conséquences probables, inévitables, que sa conduite ou son comportement engendrera[56].
[134] Les dommages-intérêts punitifs visent à dénoncer un comportement blâmable, à punir l’auteur de l’acte illicite et intentionnel, et à le dissuader, comme les membres de la société en général, de répéter ce comportement blâmable[57].
[135] Le Tribunal possède une grande discrétion pour fixer la hauteur des dommages-intérêts punitifs qui ne peuvent toutefois excéder ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive et dissuasive. Ils s’apprécient en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes, dont la gravité de la faute, la situation patrimoniale des fautifs et l’étendue de la réparation à laquelle ils sont déjà tenus[58].
[136] L’analyse de la preuve du caractère intentionnel de l’acte illicite, en matière de profilage racial, revêt un aspect particulier : le biais inconscient. L’auteur de l’acte illicite, parfois motivé par un biais dont il n’a pas conscience, peut quand même agir de façon intentionnelle au sens de l’article 49 de la Charte s’il ne pouvait ignorer les conséquences de son comportement pour la victime racisée[59].
[137] La jurisprudence a reconnu que « le profilage racial nourrit la méfiance des personnes qui en sont victimes envers les agents de la paix et le système judiciaire, leur envoi le signale qu’elles ne font et ne feront pas partie de la communauté »[60]. Le profilage racial systémique et ses conséquences sont connus de la société québécoise en général[61]. A fortiori, un policier connait ou devrait connaitre les effets pervers du profilage racial et ses conséquences dévastatrices possibles sur les personnes qui le subissent[62].
***
[138] Le témoignage qu’offre le policier Lambert est paradoxal.
[139] Il explique que le profilage racial est « à éviter à tout prix », il en est « très conscient ». Les citoyens interpellés protestent souvent au nom du profilage racial et la seule chose à faire, selon lui, est d’expliquer calmement la situation et tenter une « désescalade », qui n’est parfois pas possible.
[140] Aussi, le policier Lambert affirme qu’il a obligation de connaitre les filtres culturels qui pourraient amener la personne interpellée à mal comprendre son intervention. Le policier doit adapter son comportement en conséquence.
[141] Pourtant, dans le cas de M. Nkamba, le policier Lambert affirme ne pas avoir considéré le fait qu’il est un homme noir dans son analyse, ajoutant qu’il n’a pas compris la réaction de M. Nkamba.
[142] Cette incompréhension, compte tenu de la conscience du policier Lambert de la réalité du profilage racial, est paradoxale. Le Tribunal estime que le policier Lambert savait, ou ne pouvait ignorer, devant les protestations de M. Nkamba sur le fait qu’il se faisait harceler par les policiers, que le menotter alors qu’il n’offre aucune résistance provoquerait un fort sentiment d’injustice chez lui.
[143] À l’audience, le policier Lambert témoigne que M. Nkamba n’a pas mentionné l’incident de 2017 en parlant de harcèlement alors que cela est faux. La vidéo le prouve.
[144] Quant au policier Perron, il témoigne que les accusations de racisme et de profilage racial lors des interpellations de personnes noires sont un phénomène en augmentation dans le cadre de son travail. Il est donc conscient, comme le policier Lambert, qu’il doit moduler son comportement en fonction de cette réalité.
[145] Dans les faits, il ne module pas son comportement, du moins pas en ce qui concerne M. Nkamba. Il le traite comme tous les autres seraient traités, selon lui.
[146] Penser qu’un traitement identique de tous les citoyens interpellés puisse le mettre à l’abri du profilage racial est une erreur et montre une profonde incompréhension de ce phénomène discriminatoire.
[147] Le Tribunal juge que dans les circonstances, devant les protestions de M. Nkamba et son absence totale de résistance et d’indices laissant croire que la sécurité des policiers pouvait être en jeu, le policier Perron savait ou ne pouvait ignorer qu’en menottant M. Nkamba, il provoquerait chez lui un sentiment d’injustice.
[148] La condamnation à la somme de 1 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs à chacun des policiers devrait suffire leur rappeler qu’un traitement identique, sans égard aux différences, ne veut pas dire un traitement exempt de discrimination, et devrait les dissuader de continuer d’agir ainsi. Cette condamnation devrait également leur rappeler qu’ils doivent demeurer vigilants relativement aux biais inconscients qui sous-tendent leurs interactions avec les personnes noires.
[149] La Charte donne le droit à la CDPDJ de s’adresser au Tribunal pour obtenir toutes mesures appropriées contre la personne en défaut de satisfaire la proposition de la CDPDJ à la suite de son enquête, mesures dites dans l’intérêt public[63].
[150] Ces mesures ne sont pas désincarnées, générales ou pédagogiques. Pour être appropriées au sens de la Charte, la ou les mesures doivent se rapporter au litige devant le Tribunal, être soutenues par la preuve et tenir compte de l’ensemble des circonstances[64]. Elles doivent poursuivre un objectif précis, comme la correction d’une situation ou la mise en place de moyens pour tenter d’éviter la perpétuation de comportements contraires à la Charte[65].
***
[151] Dans l’affaire Nyembwe[66], la Ville demandait au Tribunal, dans l’intérêt public, les ordonnances suivantes :
[4] La Commission demande également au Tribunal d’ordonner à la Ville, dans un délai d’un an du jugement à intervenir, de :
a) Formuler des directives permettant de détecter et de contrôler les manifestations de profilage racial parmi ses agents ; et
b) Donner une formation à ses agents sur les risques de profilage qui pèsent sur les personnes de couleur et les membres de minorités visibles.
[152] Dans son jugement du 13 janvier 2021 dans l’affaire Nyembwe, Le Tribunal ne prononçait aucune ordonnance, mais émettait les recommandations suivantes :
[592] RECOMMANDE que tous les membres du Service de police de la Ville de Gatineau lisent le document signé par Victor Armony, Mariam Hassaoui et Massimiliano Mulone, qui s’intitule Rapport final remis au SPVM, Les interpellations policières à la lumière des identités racisées des personnes interpellées, août 2019, ou qu’une présentation des énoncés qu’il contient leur en soit faite dans le cadre de la formation des policiers ;
[593] RECOMMANDE fortement que la Ville et son service de police demandent à une équipe de chercheurs indépendants d’analyser les données de ses interpellations, ou, à défaut, mettent en œuvre les recommandations que les chercheurs Armony, Hassaoui et Mulone ont faites au SPVM dans leur Rapport final remis au SPVM, Les interpellations policières à la lumière des identités racisées des personnes interpellées, août 2019 ;
[153] En début d’audience dans la présente affaire, le Tribunal a indiqué à la CDPDJ son attente quant à l’administration d’une preuve de ce que la Ville a fait depuis le jugement pour la mise en œuvre de ces recommandations, le cas échéant. Au surplus, le Tribunal a invité la CDPDJ à motiver la nécessité, depuis ce jugement, des autres mesures qu’elle demande.
[154] C’est plutôt la Ville qui a administré cette preuve, par le témoignage de Mme Isabelle Plante, appuyée d’une preuve documentaire pertinente.
[155] Du témoignage de Mme Plante, il ressort que la Ville a « embrassé » les recommandations émises dans l’affaire Nyembwe[67], a mis en œuvre ces recommandations et poursuit sa réflexion pour en faire plus.
[156] Voyons en détail comment la Ville s’est approprié ces recommandations.
***
[157] Ce que les intéressés appellent « le rapport Armony » porte le titre Les interpellations policières à la lumière des identités racisées des personnes interpellées – analyse des données du Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM) et élaboration d’indicateurs de suivis en matière de profilage racial[68] et date d’août 2019. L’objectif de ce rapport était « de produire, à partir de données générées par le SPVM dans le cadre de ses activités, des indicateurs quantitatifs sur l’interpellation policière en lien avec l’identité racisée des personnes interpellées ». Pour y arriver, les chercheurs se sont penchés sur l’existence, la définition, les manifestations et les impacts du profilage racial au sein des forces policières.
[158] Mme Isabelle Plante, chef de division du développement et de la stratégie organisationnelle au SPVG, témoigne que la présentation du rapport Armony lors d’une formation donnée aux policiers en lien avec son contenu a débuté en novembre 2021, soit environ 10 mois après la décision rendue dans l’affaire Nyembwe. Environ 430 policiers-patrouilleurs ont reçu la formation au moment de l’audience, et celle-ci se poursuit auprès des autres policiers.
[159] La première des recommandations dans l’affaire Nyembwe[69] est suivie et en voie d’être complétée.
[160] La recommandation d’analyser les données des interpellations est arrivée à point nommé, soit au même moment qu’une démarche entreprise par le ministère de la Sécurité publique pour la collecte des données pertinentes à l’analyse du profilage racial au Québec. Une fiche uniforme de collecte des données sur les interpellations policières a été créée. Son utilisation partielle a débuté en novembre 2022 et la Ville évalue actuellement la qualité du processus de collectes des données et leur fiabilité.
[161] Le Tribunal considère inutile de rendre l’ordonnance demandée par la CDPDJ, qui risque de faire double emploi avec le processus déjà entrepris.
[162] La CDPDJ demande au Tribunal d’ordonner à la Ville d’adopter et de mettre en œuvre une politique visant spécifiquement à lutter contre le profilage racial, précisant ce qu’elle doit contenir et comment elle doit être diffusée au sein du service de police.
[163] À l’audience, la Ville s’est dite ouverte à adopter une telle politique.
[164] Dans ce contexte, le Tribunal ne croit pas utile de rendre une ordonnance, mais formule des conclusions qui constituent une assise pour encourager les parties à collaborer pour appuyer la Ville dans la poursuite de ses démarches pour tenter de contrer le profilage racial au sein du SPVG.
[165] Les formations en matière de profilage racial s’enchaînent au SPVG depuis le jugement dans l’affaire Nyembwe. Les patrouilleurs reçoivent actuellement de la formation sur la collecte des données et les fiches à remplir.
[166] Depuis ce jugement, le SPVG émet de nouvelles directives ou effectue des mises à jour des directives existantes pour y inclure des notions liées au profilage racial et au respect de la Charte.
[167] De plus, la division des normes professionnelles et des affaires internes du SPVG continue de transmettre des fiches ponctuelles d’informations à ses membres, notamment en matière de profilage racial et de diversité en général.
[168] Le Tribunal n’est pas convaincu que d’ordonner à la Ville de dispenser une formation par un expert en profilage racial en dictant le contenu, comme le désire la CDPDJ, est approprié dans les circonstances.
[169] Quant à la mesure des acquis, la Ville s’est également dite ouverte à cet égard. Dans ce contexte, le Tribunal formule des conclusions qui serviront de guide aux parties dans le processus continu de formation et de sensibilisation entrepris par la Ville.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[170] ACCUEILLE partiellement la demande introductive d’instance;
[171] CONDAMNE solidairement les parties défenderesses à verser à M. Luck Kahila Nkamba la somme de 7 500 $ à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral, avec l’intérêt légal, en plus de l’indemnité additionnelle prévue à l’article
[172] CONDAMNE M. Matthieu Lambert à verser à M. Luck Kahila Nkamba la somme de 1 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs, avec l’intérêt légal, en plus de l’indemnité additionnelle prévue à l’article
[173] CONDAMNE M. Christopher Perron à verser à M. Luck Kahila Nkamba la somme de 1 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs, avec l’intérêt légal, en plus de l’indemnité additionnelle prévue à l’article
[174] RECOMMANDE à Ville de Gatineau d’adopter et mettre en œuvre une politique visant spécifiquement à contrer le profilage racial et RECOMMANDE à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse de collaborer pleinement avec le Service de Police de la Ville de Gatineau quant au contenu et à la formulation d’une telle politique;
[175] RECOMMANDE à Ville de Gatineau d’élaborer et mettre en place un processus formel d’évaluation des acquis des policiers en matière de lutte contre le profilage racial et RECOMMANDE à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse de collaborer pleinement avec le Service de Police de la Ville de Gatineau dans l’élaboration du contenu, du processus et de l’analyse de la démarche d’évaluation formelle des acquis;
[176] LE TOUT avec les frais de justice pour lesquels seule Ville de Gatineau est tenue.
| ||
| __________________________________ sophie lapierre, Juge au Tribunal des droits de la personne | |
| ||
Me Geneviève Griffin | ||
BITZAKIDIS CLÉMENT-MAJOR FOURNIER | ||
Pour la partie demanderesse | ||
| ||
Me Mathieu Turcotte | ||
DHC Avocats inc. | ||
Pour les parties défenderesses | ||
| ||
Dates d’audience : | 30 et 31 janvier, 1er, 2 et 3 février 2023 | |
[1] RLRQ, c. C-12 (Charte).
[2] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Nyembwe) c. Ville de Gatineau,
[3] Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation),
[4] Id., par. 34-37.
[5] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Rezko) c. Montréal (Service de police de la Ville de) (SPVM),
[6] Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears Ltd.,
[8] Bombardier, préc., note 3, par. 48-52; DeBellefeuille, préc., note 5, par. 131, 145 et 146; Nyembwe, préc., note 2, par. 161, 186, 314 et 315.
[10] Rezko, préc., note 5, par. 184; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Miller et autres) c. Ville de Montréal (Service de police de la Ville de Montréal) (SPVM),
[12] Bombardier, préc., note 3, par. 40 et 41; DeBellefeuille, préc., note 5, par. 121 et 147; Nyembwe, préc., note 2, par. 297.
[14] Id., par. 64 et 65.
[15] Id., par. 64.
[18] Bombardier, préc., note 3, par. 84; Miller, préc., note 10, par. 186; DeBellefeuille, préc., note 5, par. 141 et 148; Nyembwe, préc., note 2, par. 295-310.
[20] Gestion immobilière Gouin c. Complexe funéraire Fortin,
[21] J.R. c. R.,
[22] R. c. Gagnon,
[23] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Mensah) c. Ville de Montréal (Service de police de la Ville de Montréal),
[24] Pièce D-1, Procès-verbaux de la Cour municipale déclarant M. Nkamba pour contravention aux articles
[25] Code de procédure pénale, RLRQ, c. C-25.1, art. 72-74.
[27] Commissaire à la déontologie policière c. Labelle, 1997 CanLII 23853 (QC CDP).
[28] Commissaire à la déontologie policière c. Wayland, 1999 CanLII 33232 (QC CDP).
[29] Khoury c. Dupuis,
[30] Pièce D-22, Interrogatoire de Luck Kahila-Nkamba, 15 mars 2022, p. 10 et 11.
[31] Id., p. 11.
[32] Pièce P-24, Extrait de l’interrogatoire au préalable de Christopher Perron, 14 septembre 2022, p. 35.
[33] Pièce D-23, Rapport d’événement de l’agent Perron.
[34] Art. 24 et 24.1 de la Charte.
[35] Art. 12 de la Charte.
[36] Art. 25 de la Charte.
[39] Id., par. 143.
[42] R. c. Le,
[43] Luamba c. Procureur général du Québec,
[44] Pièce D-4, Directive opérationnelle du Service de police de la Ville de Gatineau, 25 novembre 2021.
[45] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Succession Hamelin-Piccinin) c. Massicotte,
[46] Bou Malhab c. Métromédia C.M.R. Montréal inc., 2003 CanLII 47948 (QC CA), par. 62 et 63.
[47] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (X) c. Commission scolaire de Montréal,
[48] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (C.A. et un autre) c. Comeau,
[53] 500-53-000043-219, jugement rendu le même jour que le présent jugement.
[54] Code civil du Québec (RLRQ), art. 1526 (C.c.Q.).
[56] Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand,
[57] Id., par. 121; de Montigny c. Brossard (Succession),
[58] Art.
[62] Id., par. 259.
[63] Art. 80 de la Charte.
[64] Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Communauté urbaine de Montréal,
[66] Id.
[67] Id., par. 581-584.
[68] Pièce D-6, résumé du Rapport Les interpellations policières à la lumière des identités racisées des personnes interpellées – analyse des données du Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM) et élaboration d’indicateurs, août 2019.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.