Décision

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Benzaquen et Ministère de la Justice

2024 QCCFP 16

 

COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

DOSSIER No :

2000104

 

DATE :

6 août 2024

______________________________________________________________________

 

DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF :

Denis St-Hilaire

______________________________________________________________________

 

 

 

Kathy Benzaquen

Partie demanderesse

 

et

 

MINISTÈRE DE LA JUSTICE

Partie défenderesse

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

(Article 33, Loi sur la fonction publique, RLRQ, c. F-3.1.1)

______________________________________________________________________

 

[1]               Le 1er mars 2024, Mme Kathy Benzaquen dépose un recours à la Commission de la fonction publique (Commission) en vertu de l’article 33 de la Loi sur la fonction publique[1] (LFP).

[2]               Elle conteste la décision de son employeur, le ministère de la Justice (Ministère), de l’intégrer, le 5 décembre 2023, dans la classe d’emplois de technicienne juridique, classe nominale, alors qu’elle détenait la classe d’emplois de secrétaire principale.

Mme Benzaquen considère que sa nouvelle classe d’emplois ne correspond pas au travail qu’elle effectue et qu’elle devrait plutôt être intégrée dans la classe d’emplois de technicienne principale en administration.

[3]               La question en litige est donc la suivante : le 5 décembre 2023, est-ce que Mme Benzaquen aurait dû être intégrée dans la classe d’emplois de technicienne principale en administration compte tenu des tâches principales et habituelles qu’elle effectue?

[4]               Mme Benzaquen doit convaincre la Commission du bien-fondé de sa prétention. En effet, à titre de partie demanderesse dans un recours visant à contester son classement, lors d’une intégration à une classe d’emplois nouvelle ou modifiée, elle doit s’acquitter de son fardeau de preuve selon la règle de la balance des probabilités. Dit autrement, sa preuve doit être plus convaincante que celle du Ministère pour que la Commission accueille son recours et fasse droit à sa demande.

[5]                 La Commission considère que Mme Benzaquen ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve et rejette son recours.

OBJECTION SUR LA POURSUITE DU TÉMOIGNAGE DE Mme BENZAQUEN

[6]               Le 16 mai 2024, au terme de la première journée d’audience, Mme Benzaquen, qui n’était alors pas représentée par un avocat, a déclaré que son témoignage était terminé. Ainsi, il était prévu de commencer la deuxième journée d’audience par son contreinterrogatoire.

[7]               Or, le 28 mai 2024, deux jours avant cette seconde journée d’audience, Me Jean Lortie informe la Commission qu’il va maintenant représenter Mme Benzaquen.

[8]               Le 30 mai 2024, lors de la deuxième journée d’audience, le Ministère a soulevé une objection contre le fait que Me Lortie procède à l’interrogatoire de Mme Benzaquen puisque cette dernière avait annoncé que son témoignage était terminé.

[9]   Il invoque qu’aucune raison valable ne justifie de permettre l’interrogatoire de Mme Benzaquen.

[10]           Pour sa part, Me Lortie réplique qu’il est dans l’intérêt de tous que le témoignage se poursuive immédiatement par son interrogatoire puisque le contreinterrogatoire du Ministère n’est pas encore commencé. De plus, il souligne que Mme Benzaquen a annoncé que son témoignage était terminé alors qu’elle était non représentée. Au surplus, aucune règle de droit ne fait obstacle à la poursuite du témoignage par son interrogatoire dans de telles circonstances.

[11]           La Commission rejette l’objection et permet que Mme Benzaquen soit interrogée par son procureur. Le Ministère demande que les motifs du rejet de son objection soient consignés dans la présente décision.

[12]           La Loi sur la justice administrative[2] (LJA) permet une large discrétion en pareilles circonstances selon ses articles 9 à 12 :

9. Les procédures menant à une décision prise par le Tribunal administratif du Québec ou par un autre organisme de l’ordre administratif chargé de trancher des litiges opposant un administré à une autorité administrative ou à une autorité décentralisée sont conduites, de manière à permettre un débat loyal, dans le respect du devoir d’agir de façon impartiale.

10. L’organisme est tenu de donner aux parties l’occasion d’être entendues.

Les audiences sont publiques. Toutefois, le huis clos peut être ordonné, même d’office, lorsque cela est nécessaire pour préserver l’ordre public.

11. L’organisme est maître, dans le cadre de la loi, de la conduite de l’audience. Il doit mener les débats avec souplesse et de façon à faire apparaître le droit et à en assurer la sanction.

Il décide de la recevabilité des éléments et des moyens de preuve et il peut, à cette fin, suivre les règles ordinaires de la preuve en matière civile. Il doit toutefois, même d’office, rejeter tout élément de preuve obtenu dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux et dont l’utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. L’utilisation d’une preuve obtenue par la violation du droit au respect du secret professionnel est réputée déconsidérer l’administration de la justice.

12. L’organisme est tenu:

1° de prendre des mesures pour délimiter le débat et, s’il y a lieu, pour favoriser le rapprochement des parties;

2° de donner aux parties l’occasion de prouver les faits au soutien de leurs prétentions et d’en débattre;

3° si nécessaire, d’apporter à chacune des parties, lors de l’audience, un secours équitable et impartial;

4° de permettre à chacune des parties d’être assistée ou représentée par les personnes habilitées par la loi à cet effet.

[Soulignements de la Commission]

[13]           De plus, la LFP octroie tous les pouvoirs nécessaires à la Commission afin d’exercer sa compétence, notamment pour sauvegarder les droits des parties :

119. La Commission a tous les pouvoirs nécessaires à l’exercice de sa compétence; elle peut notamment rendre toute ordonnance qu’elle estime propre à sauvegarder les droits des parties et décider toute question de fait ou de droit.

[14]           Le droit d’être entendu des parties, la règle audi alteram partem, est un principe fondamental qui guide notre système de justice, autant devant les tribunaux judiciaires que devant les tribunaux administratifs, et ce, depuis plusieurs années. Se fondant sur une jurisprudence qui en avait déjà tracé les premiers jalons, la Cour suprême du Canada affirmait déjà ce principe en 1979[3].

[15]           Le droit d’être entendu n’est pas absolu[4]. Il s'agit d'une question de circonstances dans chaque affaire. La Commission a eu l’occasion de prendre en considération cette règle fondamentale à plusieurs reprises, notamment dans le contexte d’une demande de rejet sommaire[5] et d’une demande de révision[6], et elle a défini ce principe comme signifiant que tout doit être mis en œuvre afin de permettre à une partie de s’exprimer relativement à la source du conflit[7]. Pour la Commission, le droit d’être entendu signifie aussi de faire valoir ses moyens dans le respect des droits de la partie adverse[8].

[16]           D’ailleurs, une entrave au droit d’être entendu constitue un motif de révision d’une décision rendue par la Commission en vertu de l’article 123 de la LFP :

123. Une décision de la Commission doit être rendue par écrit et motivée. Elle fait partie des archives de la Commission.

La Commission peut, sur demande, réviser ou révoquer toute décision qu’elle a rendue:

1° lorsqu’est découvert un fait nouveau qui, s’il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

2° lorsqu’une partie n’a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

3° lorsqu’un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

Dans le cas visé au paragraphe 3° du deuxième alinéa, la décision ne peut être révisée ou révoquée par le membre qui l’a rendue.

[Soulignement de la Commission]

[17]           C’est également en se basant sur le droit d’être entendu que la Commission a permis à plusieurs reprises à des tiers d’intervenir dans un litige afin de protéger certains droits fondamentaux[9].

[18]           La LJA impose aux décideurs de s’assurer que les parties aient l’occasion de se faire entendre. Au surplus, elle impose également à ces derniers d’apporter aux parties, si nécessaire, un secours équitable et impartial[10].

[19]           L’amalgame de ces deux obligations milite en faveur d’accorder la permission à Mme Benzaquen de poursuivre son témoignage par interrogatoire alors qu’elle est nouvellement représentée par procureur.

[20]           En effet, cette dernière était non représentée au moment elle a déclaré que son témoignage était terminé, ignorant probablement l’impact d’une telle décision et la prudence qu’elle aurait dû adopter. De plus, le contre-interrogatoire du Ministère n’était pas commencé, ne causant ainsi aucun préjudice à la partie adverse. La Commission doit faire preuve de souplesse lorsque la situation le permet.

[21]           La Commission considère que le témoignage de Mme Benzaquen s’avère crucial dans le contexte d’un litige relatif à son intégration à une classe d’emplois puisqu’elle est la mieux placée pour expliquer la nature de son travail.

[22]           D’autant plus que les tribunaux s’inscrivent de plus en plus dans une philosophie de recherche de la vérité en favorisant le droit d’être entendu des parties, surtout dans le contexte où le remède permis par le tribunal ne cause aucun préjudice à la partie adverse, comme c’est le cas en l’espèce.

[23]           Il est dans l’intérêt de la justice d’agir avec souplesse et de faire la lumière sur le litige. La Commission a agi de façon impartiale afin de favoriser le droit d’une partie d’être entendue et d’assurer un débat loyal. Elle a apporté auprès d’une partie qui était non représentée, à un moment crucial, un secours équitable et impartial.

CONTEXTE

[24]           De 2002 à 2010, Mme Benzaquen occupe un emploi d’adjointe à la magistrature.

[25]           De 2010, jusqu’au moment de son intégration dans la classe d’emplois de technicien juridique le 5 décembre 2023, elle est secrétaire principale.

[26]           L’intégration de Mme Benzaquen dans la classe d'emplois de technicien juridique fait passer son salaire annuel de 59 245 $ à 60 231 $, ainsi il n’y a pas de perte financière directe.

[27]           Elle est non syndiquée, mais la Convention collective des fonctionnaires 20202023 s’applique à elle, avec certaines restrictions, telles que le prévoit la Directive concernant les conditions de travail des fonctionnaires[11].

[28]           Afin de comprendre ce qui a conduit le Ministère à intégrer l’emploi de Mme Benzaquen dans la classe d’emplois de technicien juridique, une brève mise en contexte s’impose.

 

 

Les travaux de classification du Ministère

[29]           En mai 2022, le Ministère interpelle le Secrétariat du Conseil du trésor (SCT) relativement à des problématiques au niveau des emplois de soutien dans les tribunaux et à la magistrature. Principalement, la pénurie de main-d’œuvre au Québec entraîne une compétition avec les secteurs privé et municipal afin de recruter du personnel.

[30]           Ainsi, des travaux en matière de classification de certains emplois dans le domaine judiciaire se tiennent de juin à décembre 2022. L’objectif est de bien documenter les attributions et les responsabilités du personnel visé et de comprendre l’organisation du travail dans les différents palais de justice afin de proposer une classification des emplois renouvelée et répondant aux besoins actuels.

[31]           C’est dans ce contexte que le corps d’emplois de technicien juridique[12] (auparavant nommé technicien en droit) est modifié pour s’adapter aux différentes réalités.

[32]           La démarche mène également à la création de trois autres corps d’emplois (auxiliaire judiciaire, agent aux activités judiciaires et paratechnicien judiciaire).

[33]           2265 employés du Ministère sont touchés (huissier-audiencier, auxiliaire de bureau des services de justice, agent de bureau exerçant des activités à vocation judiciaire, greffier-audiencier, adjoint à la magistrature, adjoint au juge en chef, technicien en droit et secrétaire juridique (contentieux)).

[34]           La classification des emplois des catégories du personnel de soutien et du personnel technique a été mise en place en 1972. Aucune révision en profondeur n’a été réalisée depuis. Les divers changements survenus dans le monde du travail, incluant le travail réalisé dans les palais de justice depuis cette époque, imposent une révision en profondeur de celles-ci.

Les tâches de Mme Benzaquen au bureau de la juge en chef de la Cour supérieure du Québec

[35]           De son témoignage, et de celui de la juge en chef de la Cour supérieure du Québec, l’honorable Marie-Anne Paquette, la Commission retient que Mme Benzaquen effectue l’ensemble des travaux administratifs au bureau de la juge en chef et plus précisément les tâches suivantes :

-          Réviser des lettres et des documents d’ordre administratif et juridique ainsi que des allocutions de la juge en chef ;

-          Dépouiller le courrier, répondre à la correspondance (courrier et courriels) et en assurer le suivi ;

-          Assurer la gestion du système de classement et des archives de la Cour supérieure ;

-          Planifier et prendre en charge l’organisation d’événements à portée provinciale tels que l’Assemblée annuelle des juges de la Cour supérieure, la visite de délégations étrangères, les assermentations ;

-          Organiser des réunions ;

-          Préparer et faire approuver différents formulaires ;

-          Effectuer le suivi et la gestion des ressources financières afin que les décisions appropriées soient prises ;

-          Soutenir l’accueil des nouveaux juges et leur accompagnement jusqu’à la retraite ;

-         Participer à l’élaboration et à la mise à jour du cycle de gestion annuel de la direction de la Cour supérieure ;

-          Distribuer et gérer les mandats administratifs au bureau de la juge en chef.

[36]           Dans le cadre de son travail, elle possède beaucoup d’autonomie pour l’organisation de son horaire et la détermination de ses priorités.

[37]           Elle travaille en étroite collaboration avec Mme Esther Amoin Gbesse qui détient la même classe d’emplois qu’elle soit technicienne juridique, classe nominale. Cette dernière travaille à la Cour supérieure depuis peu puisqu’elle a été embauchée après l’intégration de Mme Benzaquen dans sa nouvelle classe d’emplois. Mme Gbesse est en formation et ainsi elle effectue des tâches bien différentes de celles de Mme Benzaquen.

[38]           L’emploi occupé par Mme Gbesse appartenait également à la classe d’emplois de secrétaire principale avant qu’elle ne l’obtienne.

[39]           Mme la juge en chef Paquette a expliqué que, dans le cadre du processus ayant conduit à l’embauche de Mme Gbesse, elle devait spécifier aux candidates, lors des entrevues de sélection, que les tâches ne correspondent pas à la classe d’emplois de technicienne juridique. Selon elle, l’offre d’emploi n’était pas conforme au travail à réaliser.

[40]           Mme Benzaquen incarne « l’interface » de la Cour supérieure avec le personnel des tribunaux, les partenaires externes et le public. Elle exerce un rôle central dans la communication des orientations et des directives de la Cour supérieure à l’interne et à l’externe. Elle interagit avec les juges, le ministère, le Barreau du Québec et d’autres tribunaux.

[41]           Au fil des années, elle a développé une expertise unique. Elle doit être créative et s’adapter pour créer des processus et pour développer des solutions à certains nouveaux enjeux. Elle doit être discrète et faire preuve de réserve. Elle ne se déplace pas dans le cadre de ses fonctions.

[42]           La Cour supérieure est dotée d’une équipe pour réaliser les mandats d’ordre juridique, conséquemment, Mme Benzaquen n’effectue pas, sauf lors de rares exceptions, des tâches de nature juridique.

[43]           En effet, l’équipe comprend une agente de recherche en droit, un adjoint exécutif juridique, un conseiller juridique et une auxiliaire judiciaire.

[44]           De l’avis de la juge en chef, il n’est pas nécessaire de détenir des connaissances juridiques pour occuper le poste de Mme Benzaquen bien que cela puisse être utile. Elle connaît les tâches effectuées par cette dernière et le volume de travail total, mais pas la répartition du temps relatif à chaque tâche.

[45]           Bref, Mme Benzaquen soutient la juge en chef dans le cadre de ses fonctions de nature administrative puisque cette dernière ne préside pas d’audiences, sauf en de rares occasions. Lorsqu’elle agit à titre de juge, ce n’est pas Mme Benzaquen qui révise ses jugements.

[46]           La Commission retient que Mme Benzaquen soutient la juge en chef dans ses fonctions, de nature administrative, qui consistent à établir les paramètres de planification et de confection des assignations, à défendre l’indépendance judiciaire, à représenter la Cour supérieure dans les médias, à gérer les communications internes et externes, à définir les objectifs à atteindre pour la planification stratégique, à interagir avec les gouvernements et les parties prenantes, à gérer le budget, à assurer le maintien des normes éthiques, à accueillir et intégrer les nouveaux collègues et à les accompagner tout au long de leur carrière de juge.

Le processus de classification dans la fonction publique

[47]           M. Robert Dion, conseiller expert au SCT en matière de classification des emplois, explique à la Commission le processus de classification. Il œuvre dans ce domaine depuis 2002.

[48]           D’abord, il revient au Conseil du trésor (CT) d’établir la classification en vertu de l’article 32 de la Loi sur l’administration publique[13] (LAP) :

32. Pour la fonction publique, le Conseil du trésor:

1° établit la classification des emplois ou de leurs titulaires y compris les conditions minimales d’admission aux classes d’emploi ou aux grades;

2° définit les modes de dotation qui peuvent être utilisés pour combler des emplois;

3° détermine la rémunération, les avantages sociaux et les autres conditions de travail des fonctionnaires.

Le Conseil du trésor peut, en outre, établir le niveau de l’effectif d’un ministère ou d’un organisme.

Le Conseil du trésor peut établir des équivalences aux conditions minimales d’admission visées au paragraphe 1° du premier alinéa, lesquelles peuvent être établies à l’égard d’un emploi.

[Soulignement de la Commission]

[49]           L’article 70 de la LFP spécifie que le processus de classification ne peut faire l’objet de négociation :

70. Les fonctionnaires sont régis par les dispositions de la convention collective qui leur sont applicables ou, à défaut de telles dispositions dans une telle convention collective, par les dispositions de la présente loi et de la Loi sur l’administration publique (chapitre A-6.01). Toutefois, aucune disposition d’une convention collective ne peut restreindre ni les pouvoirs de la Commission de la fonction publique, ni ceux du président du Conseil du trésor ou d’un sous-ministre ou d’un dirigeant d’organisme relativement aux processus de sélection pour le recrutement ou la promotion, à la sélection ou à la déclaration d’aptitudes. En outre, aucune disposition d’une convention collective ne peut restreindre les pouvoirs d’un sous-ministre, d’un dirigeant d’organisme, du gouvernement ou du Conseil du trésor à l’égard de l’une ou l’autre des matières suivantes:

1° la nomination des candidats à la fonction publique ou la promotion des fonctionnaires;

2° la classification des emplois y compris la définition des conditions d’admission et la détermination du niveau des emplois en relation avec la classification;

3° l’attribution du statut de fonctionnaire permanent et la détermination de la durée d’un stage probatoire lors du recrutement ou de la promotion;

4° l’établissement des normes d’éthique et de discipline dans la fonction publique;

5° l’établissement des plans d’organisation et la détermination et la répartition des effectifs.

Un décret adopté en vertu de la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction (chapitre R-20) ou d’une autre loi, ou un document qui en tient lieu ou une convention collective conclue en vue d’un tel décret ne s’appliquent pas aux conditions de travail des fonctionnaires.

[Soulignements de la Commission]

[50]           Le CT jouit également d’une large discrétion en matière d’intégration des fonctionnaires à une classe d’emplois puisqu’il lui revient d’en établir les modalités et les conditions telles que le prévoit l’article 34 de la LAP :

34. Le Conseil du trésor établit les conditions et modalités concernant:

1° l’intégration des fonctionnaires à une classe d’emploi;

2° l’identification, la mise en disponibilité et le placement des fonctionnaires permanents qui sont en surplus dans un ministère ou un organisme.

[51]           Le Ministère est lié par les décisions du CT en matière d’intégration à une classe d’emplois nouvelle ou modifiée et doit les appliquer tel que le prévoit les articles 54 et 54.1 de la LFP :

54. Lors de son entrée en fonction et lorsqu’il change de classe d’emplois ou de grade, le fonctionnaire se voit attribuer, par le sous-ministre ou le dirigeant d’organisme, un classement conformément aux normes déterminées par le Conseil du trésor en vertu de l’article 54.1.

Lors de l’intégration d’un fonctionnaire à une classe d’emplois nouvelle ou modifiée, le sous-ministre ou le dirigeant d’organisme lui attribue un classement conformément aux conditions et modalités fixées par le Conseil du trésor en vertu du paragraphe 1° de l’article 34 de la Loi sur l’administration publique (chapitre A6.01).

54.1. Le Conseil du trésor détermine par règlement les normes pour le classement des fonctionnaires.

[Soulignement de la Commission]

[52]           L’exercice de classification consiste à regrouper et hiérarchiser les emplois de la fonction publique québécoise dans un souci de rationalisation et de compréhension. Considérant les quelques 73000 emplois existants, il est certainement souhaitable de les regrouper selon certains critères malgré leur caractère distinctif.

[53]           C’est la Directive concernant la classification et l’évaluation des emplois de la fonction publique[14] (Directive sur la classification) qui est la pierre angulaire de la classification des emplois. La structure de la classification constitue l'outil de référence servant à évaluer le niveau des emplois de la fonction publique. Elle est expliquée à l’article 3 de cette directive :

3. La structure de la classification regroupe et hiérarchise les emplois à partir de leur nature, de leurs attributions caractéristiques et des qualifications exigées pour les exercer. Elle se compose de catégories d’emplois à l’intérieur desquelles se retrouvent des corps d’emplois, lesquels incluent des classes d'emplois et parfois des grades.

[54]           Il s’agit donc d’une structure hiérarchisée pouvant atteindre quatre paliers puisqu’elle comprend des catégories d’emplois (1), des corps d’emplois (2), des classes d’emplois (3) et, si nécessaire, des grades (4).

[55]           L’évaluation des emplois se fait par une méthode d’appariement comme le précisent les articles 28 à 30 de la même directive :

28. L'évaluation du niveau des emplois consiste à déterminer l'appartenance d'un emploi à une des classes d'emplois et, le cas échéant, à un grade prévu à la classification. Cette évaluation s’effectue au moyen d’une analyse systémique des emplois qui vise à situer l’emploi dans son contexte organisationnel.

29. L’évaluation du niveau des emplois s’effectue au moyen de la méthode d’appariement. Cette méthode consiste à analyser chaque tâche d’un emploi, de les regrouper en fonction de leur champ d’activité et de leur complexité et de les apparier aux attributions caractéristiques d’un corps d’emplois et aux attributions d’une classe d’emplois.

30. La détermination du niveau des emplois est effectuée selon les différentes directives de classification, et ce, en identifiant d'abord la catégorie d'emplois, ensuite le corps d'emplois et enfin, la classe d'emplois et le grade, s'il y a lieu.

[56]           Afin d’apparier un emploi dans la bonne classe d’emplois, le critère à utiliser est celui de l’exercice régulier des attributions principales et habituelles accaparant plus de 50 % du temps comme l’établit l’article 10 de la Directive sur la classification :

10. Les attributions principales et habituelles d’un emploi, qui doivent correspondre aux attributions d’une même classe d’emplois, sont celles exercées régulièrement et accaparant plus de 50 % du temps consacré à l'exercice de l’emploi.

[57]           Il s’agit donc d’un système qui combine une approche qualitative, soit la nature des tâches, et quantitative puisqu’il faut aussi considérer le temps utilisé pour s’acquitter de ces tâches, et ce, durant la période de référence de six mois précédant la date d’intégration, soit du 4 juin au 4 décembre 2023[15] dans le présent dossier.

[58]           L’exercice d’appariement vise donc les tâches et non le profil de la personne qui occupe l’emploi. Dit autrement, il faut éviter de mettre l’accent sur les connaissances et les compétences de cette dernière, mais sur la nature des tâches à réaliser et le temps utilisé pour s’en acquitter.

[59]           L’article 33 de la Directive sur la classification émet d’ailleurs un appel à la prudence afin d’évaluer un emploi en fonction des tâches à accomplir et non pas en raison du profil de la personne qui l’occupe :

31. L’évaluation du niveau d’un emploi doit :

1° être faite en fonction des tâches à accomplir prévues à la description d’emploi et non pas en fonction des connaissances et de la compétence du fonctionnaire qui occupe l’emploi;

2° être faite selon les composantes de la classification des emplois afin d’assurer la relativité ministérielle et interministérielle.

[60]           La classification des emplois dans la fonction publique québécoise n’est pas « scientifique ». Il s’agit plutôt d’un exercice comparatif (appariement), à l’intérieur d’un ensemble vaste et complexe de classes génériques qui permettent de créer des postes spécifiques et distinctifs.

ANALYSE

[61]           L’article 33 de la LFP permet à un fonctionnaire non syndiqué de contester son classement lors de son intégration à une classe d’emplois nouvelle ou modifiée :

33. Un fonctionnaire non régi par une convention collective peut interjeter appel devant la Commission de la fonction publique de la décision l’informant:

1° de son classement lors de son intégration à une classe d’emplois nouvelle ou modifiée;

2° de sa rétrogradation;

3° de son congédiement;

4° d’une mesure disciplinaire;

5° qu’il est relevé provisoirement de ses fonctions.

Un appel en vertu du présent article doit être fait par écrit et reçu à la Commission dans les 30 jours de la date d’expédition de la décision contestée.

Le présent article, à l’exception du paragraphe 1° du premier alinéa, ne s’applique pas à un fonctionnaire qui est en stage probatoire conformément à l’article 13.

[62]           Mme Benzaquen prétend que son intégration à la nouvelle classe d’emplois de technicien juridique le 5 décembre 2023 ne cadre pas du tout avec le travail qu’elle réalise quotidiennement. Selon elle, la classe d’emplois de technicien principal en administration est celle qui correspond à ses tâches principales et habituelles d’où le présent recours.

[63]           L’exercice qui consiste à analyser les tâches effectuées par Mme Benzaquen est de les apparier aux attributions caractéristiques d’un corps d’emplois et aux attributions d’une classe d’emplois doit être effectué avec beaucoup de rigueur. Pour ce faire, la Commission doit se référer à la Directive sur les techniciens en administration (264)[16].

[64]           En effet, les techniciens en administration forment un corps d’emplois qui comprend deux classes d’emplois, soit celle de technicien en administration et celle de technicien principal en administration.

[65]           Les attributions principales et habituelles de la classe d’emplois de technicien en administration consistent à effectuer différents travaux techniques, reliés à la gestion des ressources humaines et à l’organisation du travail, à l’élaboration et à la mise en application de normes d’ameublement ou d’équipement et à exécuter divers travaux à caractère administratif, pour assurer la bonne marche des opérations courantes d’une unité administrative qui œuvre auprès d’une clientèle externe ou interne.

[66]           La classe de technicien principal en administration est en quelque sorte « le prolongement » de la classe de technicien en administration, classe nominale. Ce « prolongement » peut prendre deux formes. Premièrement, les employés qui exercent les attributions principales et habituelles de chef d’équipe et, deuxièmement, ceux qui remplissent un emploi hautement spécialisé de technicien en administration.

[67]           Dans le cas de Mme Benzaquen, force est de constater qu’elle n’agit pas à titre de chef d’équipe. La Commission doit alors déterminer si elle remplit un emploi hautement spécialisé dans le cadre des attributions de technicien en administration.

[68]           L’article 5 de la Directive sur les techniciens en administration (264) précise ce qu’on entend par un emploi hautement spécialisé :

[…]

Cette classe comprend également les employés qui, de façon principale et habituelle, remplissent un emploi hautement spécialisé dans le cadre des attributions de la classe précédente. On entend par emploi hautement spécialisé, un emploi de technicien en administration qui rencontre sans exception tous les critères énumérés ci-dessous lesquels impliquent la réalisation de tous les travaux énumérés sous chacun de ces critères :

a) la complexité des travaux

Ce critère réfère aux :

i) travaux exigeant des connaissances particulières et additionnelles à celles normalement requises du technicien;

ii) travaux ayant, par rapport à l'ensemble du programme d'activités, un caractère unique, essentiel et déterminant à sa réalisation;

iii) travaux qui en raison de leur complexité font de ceux qui les exécutent les collaborateurs les plus immédiats des professionnels ou de la direction.

b) la créativité

Ce critère réfère aux :

i) travaux exigeant la conception de nouvelles méthodes de travail et l'adaptation de procédés techniques;

ii) travaux exigeant un choix parmi plusieurs lignes de conduite possibles;

iii) travaux exigeant de ceux qui les exécutent une facilité d'adaptation afin de tenir compte de facteurs nouveaux ou de constatations imprévues;

iv) travaux exigeant la recherche de solutions originales.

c) les communications

Ce critère réfère aux :

i) travaux exigeant une coordination avec d'autres unités administratives et nécessitant des échanges d'informations techniques et des discussions pour la réalisation d'objectifs communs ou complémentaires;

OU

ii) travaux ayant pour effet de déterminer ou de normaliser les activités d'autres secteurs.

d) la surveillance reçue

Ce critère réfère aux :

i) travaux effectués sous la surveillance d'un professionnel d'expérience; celui qui les exécute ne peut être sous les ordres d'un autre technicien principal en administration;

ii) travaux définis compte tenu de priorités et d'objectifs généraux et exécutés avec une grande latitude d'action.

Lorsqu’un emploi de technicien en administration est évalué afin de déterminer s’il s’agit d’un emploi de technicien en administration hautement spécialisé, les critères prévus ci-dessus de même que les travaux auxquels ils réfèrent doivent être appliqués en comparaison avec la classe d’emplois prévue à l’article 4. Ces critères ne peuvent pas servir à déterminer le niveau de complexité des emplois autres que ceux appartenant à ce corps d’emplois.

[69]           Pour se qualifier comme technicienne principale en administration, plusieurs critères cumulatifs doivent être rencontrés. En effet, il faut satisfaire tous les critères et cela implique la réalisation de tous les travaux énumérés sous chacun de ces critères.

[70]           M. Dion affirme que, sur les 8645 techniciens en administration, seulement 630 satisfont les critères de la classe d’emplois de technicien principal en administration. Sur ces 630, seulement 10 % à 20 % des personnes occupent un emploi hautement spécialisé. La grande majorité des techniciens principaux en administration se sont donc qualifiés à titre de chef d’équipe.

[71]           La preuve soumise a révélé que Mme Benzaquen effectue divers travaux afin d’assurer le fonctionnement des opérations courantes de la Cour supérieure en appuyant quotidiennement la juge en chef dans la réalisation de ses mandats.

[72]           Au-delà de ce constat, une analyse minutieuse des tâches effectuées par Mme Benzaquen et du temps nécessaire afin de réaliser ces tâches s’impose, pour déterminer si elle aurait dû être intégrée dans la classe d’emplois de technicien principal en administration.

[73]           Bien que Mme Benzaquen effectue un travail très apprécié par la juge en chef de la Cour supérieure, la preuve a offert peu d’exemples concrets de tâches qui pourraient respecter, sans exception, les critères ainsi que de la réalisation des travaux énumérés sous chacun de ces critères, afin de convaincre la Commission qu’elle effectue un emploi hautement spécialisé à titre de technicienne principale en administration.

[74]           De plus, la preuve n’est pas très élaborée et précise sur le temps consacré aux tâches réalisées par Mme Benzaquen.

[75]           Reprenons plus en détail chacune des tâches effectuées par Mme Benzaquen telles que révélées par la preuve.

[76]           Elle rédige et révise des lettres et des documents d’ordre administratif et juridique ainsi que des allocutions de la juge en chef. Il s’agit d’un travail indispensable au sein d’une organisation comme la Cour supérieure. Cette tâche requiert certainement de faire référence aux règles usuelles du français écrit ainsi qu’au vocabulaire administratif et juridique de la Cour supérieure, mais aucun exemple concret n’a été fourni à la Commission pour en dire davantage.

[77]           Mme Benzaquen dépouille le courrier et les courriels, répond à la correspondance et en assure le suivi. Encore une fois, il s’agit d’une tâche quotidienne qui peut s’inscrire dans le travail à réaliser dans toute organisation ou unité administrative. À défaut de précisions, d’exemples ou d’explications additionnelles, il est difficile pour la Commission d’y voir une tâche qui relève d’un emploi hautement spécialisé dans le cadre des attributions d’une technicienne en administration.

[78]           Elle assure la gestion du système de classement et des archives. Mme Benzaquen a précisé que la Cour supérieure est une cour d’archives mettant ainsi en relief que cette tâche est importante et qu’elle occupe une bonne partie de son temps. D’une part, ni elle ni la juge en chef n’ont été en mesure de préciser combien de temps est nécessaire pour réaliser ce travail. D’autre part, les travaux de classement et d’archivage font référence à des normes spécifiques qu’il faut suivre rigoureusement, laissant peu de place à la complexité et à la créativité. Il s’agit davantage d’un travail de conformité par rapport à des règles existantes.

[79]           Elle planifie et prend en charge l’organisation d’événements à portée provinciale tel que l’assemblée annuelle des juges de la Cour supérieure, la visite de délégations étrangères et les assermentations. Ce sont des exemples concrets d’événements qui nécessitent de la coordination, des communications et des suivis. Il s’agit certainement d’un travail exigeant, mais la Commission ne peut le qualifier de hautement spécialisé.

[80]           Elle organise des réunions, prépare et fait approuver différents formulaires. Cela requiert notamment de réserver des salles, de préparer et de transmettre des documents et d’effectuer le suivi des engagements pris lors de ces rencontres. La preuve est silencieuse sur le temps nécessaire pour effectuer ce travail, mais plus encore, la Commission ne peut, encore une fois, y voir d’exemples de tâches relatives à un emploi hautement spécialisé, dans le cadre des attributions de la classe d’emplois de technicien en administration. La préparation et l’approbation de différents formulaires, à défaut d’explications ou d’exemples, apparaissent relever d’un travail d’exécution relativement simple.

[81]           Elle effectue le suivi et la gestion des ressources financières afin que les décisions appropriées soient prises. Il s’agit d’une tâche qui, à première vue, peut dénoter un niveau de complexité plus important. Quels suivis? Quel type de gestion des ressources financières? Quelles données sont utilisées et traitées? Combien de temps est nécessaire pour effectuer ce travail? Les exemples soumis tels que les réclamations de frais, les accès sécurisés, les suivis budgétaires concernant l’ameublement ne réfèrent pas à des tâches d’un emploi hautement spécialisé.

[82]           Elle soutient l’accueil des nouveaux juges et les accompagne jusqu’à la retraite. Quelle est la nature de cet accompagnement et de ce soutien? Quel temps est consacré à ce travail? La Commission l’ignore puisqu’aucune preuve n’a été administrée à cet égard.

[83]           Elle participe à l’élaboration et à la mise à jour du cycle de gestion annuel de la direction de la Cour supérieure. La preuve n’a pas permis de connaître la teneur et la complexité potentielle de ce cycle de gestion annuel et la contribution de Mme Benzaquen.

[84]           Elle distribue et gère les mandats administratifs au bureau de la juge en chef. De quels mandats administratifs s’agit-il? Que fait-elle précisément? Encore une fois, la preuve ne permet pas de répondre à ces questions.

[85]           La Commission rappelle que la technicienne principale en administration doit occuper soit un emploi de chef d’équipe, soit celui d’une technicienne en administration hautement spécialisée. Mme Benzaquen n’agit pas à titre de chef d’équipe et la preuve ne permet pas à la Commission de conclure qu’elle effectue un travail de technicienne en administration hautement spécialisée. Elle ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve.

[86]           Elle ne remplit pas les quatre critères mentionnés dans la Directive sur les techniciens en administration (264) puisqu’elle ne réalise pas tous les travaux énumérés sous chacun des critères. Ces critères sont certes difficiles à respecter, mais la Commission est liée par ceux-ci lorsqu’elle statue sur la question en litige.

[87]           Ces quatre critères sont la complexité des travaux, la créativité, les communications et la surveillance reçue.

[88]           Le premier critère, celui de la complexité, réfère à trois types de travaux. La preuve a mis en lumière que le poste est unique puisqu’il est réalisé au bénéfice de la seule juge en chef de la Cour supérieure. Par ailleurs, un poste unique n’est pas nécessairement complexe. Les travaux ont certes un caractère unique, essentiel et déterminant afin de soutenir le programme d’activités de la Cour supérieure. Les travaux exigent aussi des connaissances particulières, mais aucune preuve n’a été soumise afin de démontrer qu’ils requièrent des connaissances additionnelles à celles normalement requises d’une technicienne en administration comme l’exige la Directive sur les techniciens en administration (264). La Commission ne peut inférer un niveau de complexité supérieur faute de preuve à cet égard.

[89]           Le deuxième critère, la créativité, fait référence à quatre types de travaux. Au fil des années, Mme Benzaquen a développé une expertise unique. Selon la preuve présentée, elle doit être créative et s’adapter pour créer des processus et pour développer des solutions à certains nouveaux enjeux. La Commission ignore s’il s’agit de nouvelles méthodes de travail ou de l’adaptation de procédés techniques. Est-ce que les travaux exigent un choix parmi plusieurs lignes de conduite possibles? Elle semble faire preuve d’une facilité d’adaptation pour tenir compte de facteurs nouveaux ou de constatations imprévues et pour trouver des solutions originales, mais, encore une fois, la preuve est insuffisante pour convaincre la Commission que le critère de la créativité est rempli.

[90]           Le troisième critère réfère aux communications requises et elle se décline en deux travaux. Contrairement aux autres critères, celui-ci implique la réalisation de l’un ou l’autre des travaux. La Commission considère que ce critère est satisfait puisque la preuve met en lumière que Mme Benzaquen incarne « l’interface » de la Cour supérieure avec le personnel des tribunaux, les partenaires externes et le public. Elle exerce un rôle central dans la communication des orientations et des directives de la Cour supérieure à l’interne et à l’externe. Elle interagit avec les juges, le Ministère, le Barreau du Québec et d’autres tribunaux. La Commission constate qu’elle exécute ainsi des travaux de coordination avec d’autres unités administratives qui nécessitent des échanges d’informations techniques et des discussions pour la réalisation d’objectifs communs ou complémentaires.

[91]           Le quatrième critère place la surveillance reçue par Mme Benzaquen sous la loupe de la Commission. Ce critère implique la réalisation de deux types de travaux. Ce critère est également satisfait aux yeux de la Commission puisque la preuve établit clairement que Mme Benzaquen est sous l’autorité fonctionnelle de la juge en chef de la Cour supérieure, plus haute autorité de la Cour supérieure. Elle bénéficie également d’une grande latitude d’action.

[92]           Mme Benzaquen n’a pas convaincu la Commission qu’elle satisfait à tous les critères, incluant la réalisation des travaux énumérés sous chacun de ces critères à l’article 5 de la Directive sur les techniciens en administration (264), pour remplir un emploi hautement spécialisé de technicienne principale en administration.

[93]           La Commission réitère que la méthode d’appariement n’est pas une science exacte, mais un système qui regroupe des emplois semblables et non identiques. Les regroupements de ces emplois se font malgré des distinctions, parfois importantes, que l’on peut constater dans le travail quotidien des personnes détenant la même classe d’emplois. Certains emplois d’une même classe se ressemblent beaucoup, d’autres moins.

[94]           Tout dépend de la nature et de la complexité de l’emploi. Il faut éviter de se laisser distraire par le profil de la personne qui occupe l’emploi pour se concentrer sur la complexité inhérente des tâches et le temps nécessaire pour effectuer ces tâches.

[95]           Les attributions des classes d’emplois que l’on retrouve dans les différentes directives sont beaucoup plus larges et englobantes que le contenu d’une description d’emploi relative à chaque poste. Il peut même exister certains chevauchements ou recoupements entre les attributions de certaines classes d’emplois. En fait, ce ne sont pas des unités de rangement étanches. Par ailleurs, l’analyse doit porter sur celles exercées régulièrement et accaparant plus de 50 % du temps consacré à l'exercice de l’emploi.

[96]           Considérant la preuve soumise, la décision d’intégrer Mme Benzaquen dans la nouvelle classe d’emplois de technicienne juridique, classe nominale, ne peut être qualifiée de déraisonnable. En effet, elle effectue, manifestement pour une proportion supérieure à 50 % de son temps, divers travaux de nature technique liés à l’administration de la justice au sein de la Cour supérieure du Québec. Les tâches exécutées par Mme Benzaquen permettent un appariement avec les attributions caractéristiques de cette classe d’emplois.

[97]           En conséquence, la Commission rejette le recours de Mme Benzaquen puisqu’elle ne satisfait pas tous les critères pour détenir la classe d’emplois de technicienne principale en administration.

POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE :

REJETTE le recours de Mme Kathy Benzaquen.

 

                                                      Original signé par :

 

__________________________________

Denis St-Hilaire

 

 

Me Jean Lortie

Procureur de Mme Kathy Benzaquen

Partie demanderesse

 

Me Natacha Lavoie

Procureure du ministère de la Justice

Partie défenderesse

 

 

 

Audience tenue par visioconférence

 

 

Dates de l’audience :

16, 30 mai et 5 juillet 2024

 


[1] RLRQ, c. F-3.1.1.

[2]  RLRQ., c. J-3.

[3]  Martineau c. Comité de discipline de l’institution de Matsqui, 1979 CanLII 184 (CSC), [1980] 1 R.C.S. 602.

[4]  Hall c. Commission des lésions professionnelles, 1999 CanLII 31914 (QC CS).

[5]  Pipon et Ministère des Transports et de la Mobilité durable, 2024 QCCFP 10.

[6]  El Harchiche et Ministère de la Cybersécurité et du Numérique, 2023 QCCFP 1.

[7]  Hall Munn et Ministère de l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion, 2016 QCCFP 12.

[8]  Verreault et Ministère de l'Énergie et des Ressources naturelles, 2014 QCCFP 30.

[9]  Lemieux et Secrétariat du Conseil du trésor, 2024 QCCFP 15; Lemieux et Secrétariat du Conseil du trésor, 2024 QCCFP 9; Gagnier et Tribunal administratif du logement, 2022 QCCFP 5; Thibault et Ministère des Transports, 2021 QCCFP 9; Pipon et Ministère des Transports, 2021 QCCFP 30; Levasseur et Commission de la fonction publique, 2020 QCCFP 11; Therrien et Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2018 QCCFP 40.

[10]  Préc., note 2, articles 10 et 12.

[12]  C.T. 229379 du 5 décembre 2023.

[13]  RLRQ, c. A-6.01.

[15]  C.T. 229380 du 5 décembre 2023, annexe 2, article 3.

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