A.C. c. J.C. |
2021 QCCS 1261 |
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COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT D’ |
ALMA |
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No : |
160-17-000063-202 |
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DATE : |
29 mars 2021 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
NICOLE TREMBLAY, J.C.S. |
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A... C... |
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Demanderesse |
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c. |
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J... C... |
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Défenderesse |
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-et- |
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CURATEUR PUBLIC DU QUÉBEC |
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Mis en cause |
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JUGEMENT |
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[1] Le Tribunal entend une demande pour pleine émancipation judiciaire.[1]
[2] A... C..., née le [...] 2003, est la fille de J... C....[2]
[3] Jusqu’en juillet 2020, elle résidait [dans la province A] avec sa mère, J... C..., le conjoint de cette dernière ainsi que les deux enfants du couple, les demi-sœur et demi-frère d’A... C..., X 11 ans et Y 5 ans.
[4] À partir de juillet 2020, A... C... revient au Québec où elle réside quelques semaines à Ville A chez son parrain, C... C..., le frère de J... C....[3]
[5] Il faut préciser que son arrivée au Québec accompagnée de sa demi-sœur X, résulte d’une chicane familiale survenue dans les jours précédant leur départ de [la province A] et à la demande de J... C...
[6] Suite à différents échanges houleux entre J... C... et son frère C... C..., il est convenu que ce dernier raccompagne X à Ville B chez la sœur de son père, Madame D… Ca... Par la suite, X est retournée [dans la province A] dans sa famille.
[7] Quant à A... C..., le 4 août 2020, C... C... la raccompagne à Ville C chez la grand-mère maternelle, H… A…, où elle réside depuis.
[8] D’ailleurs, H... A... introduit une demande de garde pour A... C... pour laquelle, le 3 novembre 2020, Madame la juge Sandra Bouchard, j.c.s., émet une ordonnance de sauvegarde lui confiant la garde d’A... C..., l’autorisant à souscrire pour A... C... à tous les formulaires et demandes requises lui permettant d’obtenir une carte d’assurance-maladie du Québec, procéder au renouvellement des prescriptions de médicaments d’A... C... sans le consentement de J... C..., ordonnant à J... C... de conserver dans un endroit sécuritaire où A... C... n’a pas accès le passeport de celle-ci, et recommandant aux parties de poursuivre leur démarche auprès des centres jeunesse afin d’évaluer la possibilité de recevoir aide, accompagnement et recommandations quant à la situation qui prévalait à cette époque.[4]
[9] Au moment de l’audience, le 3 novembre 2020, A... C... fréquentait déjà un établissement scolaire à Ville C, avait débuté un emploi étudiant et un suivi médical était amorcé.
[10] J... C... désire rapatrier A... C... [dans la province A] et lui fournir un logement puisqu’il est inconcevable pour son conjoint et pour elle qu’elle revienne vivre à leur résidence avec la fratrie. Elle offre de lui payer sa scolarité dans un établissement scolaire A et surtout, elle insiste pour continuer le suivi médical requis pour A... C...
[11] Il faut spécifier qu’A... C... souffre de différents ennuis de santé. J... C... a entrepris plusieurs démarches auprès d’un médecin de famille, d’une infirmière en psychiatrie, d’un audiologiste, d’un psychiatre et d’un gastro-entérologue entre 2014 et 2020.[5]
[12] A... C... qui atteindra l’âge de la majorité, le [...] 2021, souhaite continuer à vivre chez H... A... à Ville C, poursuivre ses études, travailler comme étudiante dans une chaîne de restauration rapide et continuer le suivi médical déjà entrepris depuis l’automne 2020.
[13] A... C... a-t-elle la maturité voulue afin d’obtenir sa pleine émancipation deux mois et demi avant l’âge de sa majorité?
[14] A... C... souffre d’anxiété et un diagnostic convergeant vers la bipolarité semble ressortir à la lecture des rapports de l’infirmière en psychiatrie et du médecin de famille la suivant depuis plusieurs années [dans la province A].
[15] J... C... s’est dévouée pour ses trois enfants, et a déployé des efforts et du temps pour comprendre et soutenir A... C...
[16] Il faut dire que la maladie n’a pas épargné ses enfants. Précisons qu’Y a souffert d’un cancer du foie il y a environ trois ans et demeure toujours suivi médicalement malgré qu’il semble bien aller fréquentant actuellement la maternelle.
[17] A... C... tourmente J... C... en raison de la fréquentation d’un amoureux virtuel demeurant au Texas à qui elle a acheminé par internet des photos coquines, voire en costume d’Ève par le passé.
[18] A... C... confirme avoir rompu avec cet amoureux virtuel mais assume les envois de photos qu’elle a elle-même initiés.
[19] Le Tribunal croit essentiel de lui rappeler que ces actes peuvent la mettre dans une situation fâcheuse, tel se retrouver sur un site pornographique contre sa volonté et en l’absence de consentement.
[20] Malgré cet épisode déplorable, le Tribunal comprend les inquiétudes de J... C... mais considère qu’A... C... démontre beaucoup de maturité et de débrouillardise pour son âge.
[21] Précisons que depuis le conflit mère-fille, J... C... n’a pas soutenu financièrement A... C... ou H... A... qui en assume la garde.
[22] Elle confie au Tribunal avoir les moyens de la soutenir et de lui payer de l’hébergement si elle revient [dans la province A].
[23] Elle avance avoir déboursé 13 000 $ en honoraires professionnels pour se battre dans le processus entrepris par A... C... et précédemment contre les démarches juridiques d’H... A... et celles de C... C... qui avait lui aussi demandé la garde d’A... C... à Ville A préalablement à son arrivée à Ville C.
[24] Dès l’automne 2020, A... C... obtient, en fréquentant le Pavillon A du Centre des services scolaires A, l’équivalence de son diplôme secondaire québécois pour intégrer le Collège A à compter de janvier 2021.[6]
[25] Dès janvier 2021, A... C... débute le programme sciences humaines au Collège A auquel elle s’inscrira pour l’automne 2021 et l’hiver 2022 pour obtenir son diplôme, et elle anticipe s’inscrire en psychologie à l’Université.[7]
[26] Elle travaille à Ville C dans une chaîne de restauration rapide comme caissière et au service à la clientèle tout comme elle le faisait [dans la province A].[8]
[27] Elle prétend travailler environ vingt-cinq heures par semaine tout en réussissant académiquement. À la lecture de ses talons de paie, J... C... soulève qu’elle effectue moins d’heures. Le Tribunal convient de la possibilité d’un nombre d’heures inférieur sans en tenir rigueur à A... C...
[28] J... C... tente de diminuer la crédibilité et la débrouillardise d’A... C... en résumant son incapacité à bien entretenir sa chambre lorsqu’elle résidait [dans la province A], à ne pas exécuter les tâches domestiques qu’elle lui confiait et à vouloir toute son attention en privant X et Y de temps de qualité.
[29] A... C... rencontre déjà sur une base régulière un médecin de famille à Ville C, a été soutenue par une travailleuse sociale offrant des services à la Clinique de médecine de son médecin en attendant de recevoir les services d’un psychologue lesquels débuteront ce 26 mars 2021 et a l’intention, dès sa majorité, de s’inscrire pour être suivie par un psychiatre l’aidant à déterminer un diagnostic, lequel serait un trouble limite de personnalité, selon son médecin de famille actuel qui ne peut cependant le confirmer puisque n’étant pas spécialiste,.
[30] Au Québec, les mineurs de 14 ans et plus peuvent recevoir et décider des soins de santé qu’ils requièrent sans le consentement de leurs parents ou tuteurs bien que ces derniers doivent être informés.[9]
[31] Le Tribunal croit J... C... lorsqu’elle décrit l’attitude de sa fille A... C... lorsqu’elle vivait sous son toit.
[32] Par contre, le Tribunal n’est aucunement surpris de la prise en charge d’A... C... et de son changement de comportement depuis qu’elle réside chez sa grand-mère, H... A...
[33] Combien de fois des parents reçoivent des compliments quant aux agissements et aux comportements de leurs enfants lorsqu’ils sont ailleurs.
[34] L’adolescence s’avère une période ingrate autant pour les parents que pour les jeunes.
[35] Au surplus, J... C..., unique parent reconnu d’A... C..., a dû gérer l’adolescence de cette dernière en plus de ses ennuis de santé, tout en prenant soin et en éduquant, soutenu par son conjoint, ses deux autres enfants X et Y, lequel faut-il le rappeler a souffert d’un cancer.
[36] Il y a deux côtés à une médaille aussi mince soit-elle.
[37] A... C... se sentant plus écoutée et respectée par H... A... semble avoir trouvé la paix intérieure lui permettant de performer académiquement, de requérir les soins médicaux nécessaires compte tenu de son état de santé, de travailler afin de subvenir en partie à ses besoins tout en économisant pour ses études universitaires.
[38] Elle a même réussi à tisser des liens d’amitiés avec certaines collègues de travail.
[39] En ce qui concerne la prise de médicaments, les reçus de pharmacie produits laissent planer un doute quant leur prise régulière.[10]
[40] Il faut rappeler à A... C... l’importance de prendre les médicaments selon la posologie recommandée.
[41] L’âge de la majorité [dans la province A] tout comme au Québec s’avère 18 ans.
[42] L’entêtement de J... C... à vouloir rapatrier A... C... [dans la province A] contre son gré se veut désolant.
[43] Le Tribunal peut comprendre l’anxiété de J... C... face aux décisions prises par A... C... mais il ne réussit pas à s’expliquer le déni de la mère quant au cheminement constructif effectué par l’enfant soutenue par H... A... depuis le 4 août 2020.
[44] En plus, pour la punir ou par vengeance, A... C... se voit refuser tout contact téléphonique avec X et Y, et ce depuis août 2020.
[45] Pour expliquer son refus de communication entre A... C... et ses deux autres enfants, J... C... témoigne du refus catégorique de son conjoint, le père d’X et d’Y.
[46] Elle renchérit en expliquant que lorsqu’ils vivaient sous le même toit, A... C... ne tenait aucunement compte des besoins de sa demi-sœur et de son demi-frère allant même jusqu’à dire qu’elle les ignorait, passant la majeure partie de son temps enfermée dans sa chambre.
[47] Il est de connaissance judiciaire que les adolescents, en grande partie, s’isolent régulièrement dans leur chambre et ignorent les autres membres de leur famille. Il ne faut surtout pas conclure que c’est par manque d’amour. Ce cheminement à l’adolescence se résume dans la quête et la recherche de sa propre identité. La plupart des jeunes qui traversent cette période ingrate agissent de la sorte.
[48] Ce n’est certainement pas un motif justifiant l’absence de communication sur une base régulière entre A... C..., X et Y.
[49] Le Tribunal est à même de constater l’existence d’un conflit majeur entre J... C... et A... C...
[50] Il est désolant d’entendre J... C... dénigrer A... C... et ne lui reconnaître aucune qualité.
[51] J... C... n’a qu’un seul objectif, faisant fi des besoins et du désir d’A... C..., celui de la rapatrier contre sa volonté [dans la province A] à trois mois de sa majorité.
[52] A... C... a le droit d’obtenir sa pleine émancipation.
[53] Après avoir analysé l’ensemble des pièces produites au dossier de la Cour et entendu les témoignages d’A... C... et de J... C..., le Tribunal conclut qu’il est dans l’intérêt supérieur de cette enfant de lui accorder la pleine émancipation trois mois avant d’atteindre ses 18 ans.[11]
[54] A... C... sera en mesure d’établir sa résidence au Québec, de continuer ses études collégiales, de travailler et d’aller chercher les ressources médicales requises afin d’établir le bon diagnostic et les soins requis le cas échéant.
[55] Madame la juge Sandra Bouchard, j.c.s., a ordonné la confiscation du passeport d’A... C... pour des raisons sérieuses de crainte d’un départ de l’enfant vers le Texas aux États-Unis où elle fréquentait un amoureux virtuel qu’elle n’avait jamais rencontré physiquement.
[56] Puisque l’enfant sera déclarée émancipée pleinement, le Tribunal ordonnera à la défenderesse de remettre, dans les dix jours du présent jugement, le passeport à la demanderesse.
[57] De plus, afin de sécuriser le choix de résidence de la demanderesse, compte tenu des inquiétudes du Tribunal d’une tentative de rapatriement d’A... C... [dans la province A], le présent jugement sera exécutoire nonobstant appel.
[58] ACCUEILLE la demande;
[59] PRONONCE la pleine émancipation judiciaire de la demanderesse A... C..., née le [...] 2003;
[60] ORDONNE aux parties de ne pas se dénigrer directement, indirectement, par personnes interposées ou par moyens électroniques;
[61] ORDONNE à la défenderesse de permettre un appel téléphonique d’une durée maximale de quinze minutes chacun par semaine à la demanderesse auprès d’X et Y à une journée et une heure fixe à être déterminées par l’intermédiaire des avocates sur réception du présent jugement;
[62] ORDONNE à la demanderesse de ne pas discuter du conflit ayant mené au présent jugement, ni dénigrer la défenderesse et le conjoint de cette dernière lorsqu’elle parlera avec X et Y;
[63] ORDONNE à la défenderesse de transmettre à la demanderesse, par l’entremise des avocates, dans les dix jours du présent jugement le passeport d’A... C..., née le [...] 2003;
[64] ORDONNE l’exécution du présent jugement nonobstant appel;
[65] LE TOUT sans frais de justice compte tenue de la nature des procédures.
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__________________________________NICOLE TREMBLAY j.c.s. |
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Me Nathalie Aubin |
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CLOUTIER AUBIN FUNDARO, AVOCATS |
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Avocats de la demanderesse |
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Me Valérie Audet |
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LAROUCHE ET AUDET AVOCATS |
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Avocats de la défenderesse |
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Curateur public du Québec |
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600, boulevard René-Lévesque Ouest, Montréal (Québec) H3B 4W9 |
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Mis en cause |
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Date d’audience : |
23 mars 2021 |
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[1] Séquences 5-6 du présent dossier de Cour, art. 168(2) et 175 C.c.Q., et 303 et 394 C.p.c.
[2] Pièce P-1 produite le 8 décembre 2020. L’usage des prénoms est de mise afin d’alléger le texte et différencier Mesdames A... C... et J... C... sans manque de courtoisie à leur égard.
[3] Id. note 2, à l’égard de M. C… C...
[4] Id. note 2, à l’égard afin de Mme H… A… et Pièce P-1.
[5] Pièces D-1 À D-7.
[6] Pièces P-1 et P-2.
[7] Pièces P-4 et P-5.
[8] Pièce P-6.
[9] Art. 14 et 17 C.c.Q.
[10] Pièce P-7.
[11] Art. 33 C.c.Q.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.