Droit de la famille — 231966 | 2023 QCCA 1446 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
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N° : | |||||
(705-04-023664-226) | |||||
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DATE : | 10 novembre 2023 | ||||
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X APPELANT – demandeur A… C…, en sa qualité de tuteur à X AN… G…, en sa qualité de tutrice à X | |||||
APPELANTS – demandeurs | |||||
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[1] Le jugement dont appel a rejeté la demande d’émancipation, non contestée, de l’appelant[1].
[2] Ce dernier, qui était âgé de 13 ans et 10 mois au moment de l’audition de sa demande, a cherché à démontrer l’existence d’un motif sérieux permettant d’obtenir sa pleine émancipation, tel que le requiert le second alinéa de l’article
[3] Afin de faire cette démonstration, il a témoigné et fait témoigner ses parents.
[4] Lors de son témoignage, il s’est dit prêt à assumer de plus grandes responsabilités et a exprimé sa confiance envers ses parents, affirmant que cette pleine émancipation lui permettrait d’« avoir des immeubles à son nom ».
[5] Sa mère et son père ont tous deux affirmé qu’ils voulaient sensibiliser leur fils au monde des affaires et développer son sens des responsabilités. Le père, entrepreneur en construction et agriculteur, a ajouté qu’il souhaitait que son fils devienne propriétaire d’immeubles afin de bénéficier de la même chance « de se développer » que lui et ses enfants aînés ont eue dans leur jeunesse.
[6] Le juge lui a refusé sa demande pour des motifs qu’il convient de reproduire au long :
[11] La demande de pleine émancipation du mineur doit être faite que dans son intérêt et pour un motif sérieux. Ce motif doit toucher à l’importance et à l’intérêt réel pour le mineur d’accéder à la pleine capacité.
[12] Il est reconnu que la pleine émancipation, telle que demandée en l’espèce, est une mesure d’exception puisqu’elle prive le mineur des protections que lui procure la loi. Ainsi, le critère du motif sérieux doit être interprété restrictivement et dans la mesure où son meilleur intérêt est satisfait et que la pleine émancipation satisfasse un besoin réel puisqu’il le privera de certaines protections que la loi lui accorde.
[13] À l’évidence, l’enfant représente une fierté pour ses parents qui lui reconnaissent une maturité qui, selon eux, le rend apte à participer pleinement au monde des adultes. Malgré toute la fierté qu’ils manifestent à l’égard de leur enfant pour l’introduire immédiatement au monde des adultes et de lui faire bénéficier d’une autonomie précoce, le Tribunal est d’avis qu’une telle émancipation n’est pas justifiée dans les circonstances et, à tout le moins, prématurée.
[14] Malgré que la loi ne soit pas explicite sur le sujet, le Tribunal est d’avis qu’une limite d’âge minimale de 16 ans s’impose pour accéder à une pleine émancipation puisque cette limite d’âge est imposée à un mineur qui requiert la simple émancipation. Cette conclusion suffit à disposer de la présente demande. Toutefois, le Tribunal disposera de l’argument du motif sérieux invoqué pour justifier la pleine émancipation demandée.
[15] La détermination du motif sérieux relève de l’appréciation du Tribunal. La suffisance d’un motif sérieux doit revêtir une importance et un intérêt réel et actuel pour l’enfant pour qu’il puisse bénéficier d’une pleine capacité juridique.
[16] De l’avis du Tribunal, que l’enfant puisse accomplir des tâches à un plus jeune âge, avec intérêt et sérieux, qu’il recherche des responsabilités et qu’il bénéficie de la confiance de ses parents, ces éléments démontrent une certaine précocité mais pas au point de le faire basculer dans le monde des adultes.
[17] Les circonstances de la vie n’ont pas fait en sorte que l’enfant soit forcé d’assumer seul des responsabilités qui sont autrement dévolues au monde des adultes telles la disparition des parents ou une absence de soutien de leur part.
[18] En l’espèce, l’enfant bénéficie de la confiance et du support de ses parents. L’enfant bénéficie probablement d’une plus grande maturité que tout autre enfant de son âge. Les circonstances de la vie n’ont pas obligé l’enfant d’assumer des responsabilités autrement dévolues aux adultes. Au contraire, l’enfant bénéficie du soutien sûrement indéfectible de ses parents.
[19] Le Tribunal ne peut se convaincre que l’enfant possède un intérêt réel et important à accéder à une pleine capacité juridique. Au contraire, les circonstances de la vie de l’enfant lui ont permis d’être entouré de la bienveillance de ses parents qui lui permettront d’atteindre l’âge adulte avec tout leur soutien.
[20] Le Tribunal voit dans l’encouragement des parents une bonté à l’endroit de l’enfant sans qu’il ne soit nécessaire de lui conférer une pleine capacité juridique. Le Tribunal ne peut se convaincre que la situation actuelle de l’enfant nécessite qu’il accède à une pleine capacité juridique. Le Tribunal ne peut identifier un intérêt particulier et propre à l’enfant constituant un motif sérieux à sa pleine émancipation qui, si elle n’était pas accordée, lui causerait préjudice.
[21] La maturité de l’enfant, son degré d’autonomie et la confiance de ses parents ne sont pas suffisants pour devancer sa majorité et le faire basculer dans un autre monde alors qu’il bénéficie du soutien de ses parents.
[22] Le Tribunal est d’opinion que l’émancipation demandée n’est pas nécessaire ou même souhaitable pour l’enfant.[2]
[Transcription textuelle; renvois omis; soulignements ajoutés]
[7] L’appelant soutient que le juge de première instance a erré en droit en fixant à 16 ans l’âge minimal pour obtenir la pleine émancipation d’un mineur. Il plaide que contrairement à la simple émancipation, qui ne peut être demandée que par un mineur âgé d’au moins 16 ans, l’article
[8] Selon l’appelant, en établissant une telle limite d’âge pour prononcer la pleine émancipation, le juge n’aurait aucunement analysé le motif sérieux de sa demande. Il aurait également erré en laissant entendre que ce type d’émancipation est réservé à des cas problématiques. Il se serait ainsi fondé sur son expérience personnelle, en « démontrant un manque d’ouverture » à l’égard de la demande d’émancipation de l’appelant.
[9] Les prétentions de l’appelant ne sont pas fondées.
[10] La Cour estime qu’il n’est pas nécessaire, en l’espèce, de se prononcer sur la question de l’âge minimal pour demander la pleine émancipation puisque le juge a poursuivi son analyse, estimant que la pleine émancipation n’était ni nécessaire ni souhaitable dans l’intérêt de l’enfant[3]. Selon lui, aucun motif sérieux ne justifiait de le déclarer pleinement émancipé.
[11] Il est acquis que le critère du motif sérieux nécessaire pour autoriser la pleine émancipation s’apprécie en fonction de l’intérêt du mineur, une question essentiellement factuelle relevant de l’appréciation du tribunal, comme le professeur Dominique Goubau l’explique :
La demande ne peut en effet être faite que dans l’intérêt du mineur (art.
[12] Le lien que trace le professeur Goubau entre l’existence d’un motif sérieux et l’intérêt de l’enfant – lequel nécessite d’examiner les besoins de ce dernier – s’explique par les termes mêmes de l’article
33. Les décisions concernant l’enfant doivent être prises dans son intérêt et dans le respect de ses droits.
Sont pris en considération, outre les besoins moraux, intellectuels, affectifs et physiques de l’enfant, son âge, sa santé, son caractère, son milieu familial, incluant la présence de violence familiale, y compris conjugale, ou de violence sexuelle, ainsi que les autres aspects de sa situation. | 33. Every decision concerning a child shall be taken in light of the child’s interests and the respect of his rights.
Consideration is given, in addition to the moral, intellectual, emotional and physical needs of the child, to the child’s age, health, personality and family environment, including the presence of family violence, which includes spousal violence, or sexual violence, and to the other aspects of his situation. [Soulignements ajoutés] |
[14] Autrement dit, chaque cas est un cas d’espèce, mais il ressort de l’examen de la jurisprudence qu’une telle demande est examinée à la lumière du degré de maturité et d’autonomie du mineur, et de l’existence d’un motif sérieux, dans son intérêt réel. Par exemple, la volonté d’une personne mineure de 17 ans, dont la mère est décédée récemment, de ne plus vivre chez sa tutrice et de recevoir directement la pension alimentaire que son père verse à cette dernière[5] et le besoin pour une personne mineure de prendre toutes les décisions relatives à son enfant à naître[6] ont été jugés comme étant des motifs sérieux permettant d’obtenir la pleine émancipation. En revanche, dans d’autres affaires, le fait de permettre à une personne mineure de recevoir directement une pension alimentaire, d’obtenir des prestations d’aide sociale ou de quitter le domicile familial[7] n’a pas été considéré comme un motif sérieux justifiant de prononcer la pleine émancipation.
[15] De la lecture de la jurisprudence et de la doctrine, il ressort que la pleine émancipation est une mesure d’exception et que le fardeau est exigeant[8]. À ce sujet, les auteurs Brigitte Roy et Gérard Guay écrivent :
496. Tout mineur peut demander au tribunal de le déclarer pleinement émancipé, et ce, pour un motif sérieux. Le caractère sérieux du motif invoqué est laissé à l’appréciation du juge, lequel est extrêmement exigeant à ce sujet puisque l’effet principal d’une demande reçue favorablement est de priver le mineur de la protection que la loi lui offre en raison de son âge. Ainsi, a été jugé insuffisant le fait pour le mineur de vouloir obtenir son permis de conduire, de vouloir toucher des prestations d’aide sociale ou de pouvoir réclamer une pension alimentaire de même que le fait pour un parent de ne pas être capable d’exercer toute l’autorité souhaitée sur son enfant ou, encore, l’abdication des parents dans leur tâche d’éducation ou leurs responsabilités.[9]
[Renvoi omis]
[16] En l’espèce, lors de l’audition de la demande, la question de l’existence d’un motif sérieux a été posée à plusieurs reprises par le juge de première instance et a donné lieu à des réponses évasives du père, lequel a évoqué à quelques occasions l’intérêt pour son fils de devenir immédiatement propriétaire d’immeubles, ainsi que des discussions avec son fiscaliste qui l’auraient amené à penser que l’émancipation de son fils pourrait « être bénéfique ».
[17] La conclusion du juge selon laquelle aucun motif sérieux ne justifie la pleine émancipation repose sur la preuve, soit les témoignages des parents et de l’appelant. Ce dernier ne démontre aucune erreur révisable dans cette conclusion.
[18] Bien que le juge ne le mentionne pas – et il n’avait pas à le faire – il convient de rappeler que le Code civil du Québec permet à l’appelant d’acquérir certaines responsabilités sans qu’il soit nécessaire de lui conférer la pleine capacité juridique. L’article
[19] En terminant, il convient de préciser que la règle de l’article
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[20] REJETTE l’appel, avec les frais de justice.
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| MARTIN VAUCLAIR, J.C.A. | |
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| SOPHIE LAVALLÉE, J.C.A. | |
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| PATRICK BUCHHOLZ, J.C.A. (AD HOC) | |
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Me Sarto Landry | ||
SARTO LANDRY AVOCAT | ||
Pour les appelants | ||
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Date d’audience : | 28 septembre 2023 | |
Mise en délibéré : | 29 septembre 2023 | |
[1] Droit de la famille — 2339,
[2] Jugement entrepris, paragr. 11-22.
[3] Id., paragr. 18-22.
[4] Dominique Goubau, Le droit des personnes physiques, supra, note 1, no 539; Voir aussi Gérard Guay et Brigitte Roy, La tutelle au mineur, 3e éd., coll. « Répertoire de droit », Montréal, Chambre des notaires du Québec/Wilson & Lafleur, 2023, no 496; Pascale Berardino, « Minorité et émancipation », dans Jurisclasseur Québec, « Droit civil », vol. « Personnes et famille », Montréal, Lexis Nexis, 2011 (feuilles mobiles, à jour au 21 avril 2017), p. 10/56.
[5] X c. A.B.,
[6] X c. R.F.,
[7] X c. L.R.,
[8] X c. L.R., supra, note 7; J.-A.R. c. C.D. (2004), EYB 2004-69256 (C.S.), paragr. 5; Gérard Guay et Brigitte Roy, La tutelle au mineur, supra, note 4, no 496; Mario Provost « L’enfant », dans Jean‑Pierre Senécal (dir.), Droit de la famille québécois, Toronto, Lexis Nexis Canada, 1991 (feuilles mobiles, mise à jour no 505, 2023), no 51-265.
[9] Gérard Guay et Brigitte Roy, La tutelle au mineur, supra, note 4, no 496.
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