McGill University c. Association McGillienne des Professeur.e.s. de droit (AMPD) / Association of McGill Professors of Law (AMPL) | 2024 QCCS 1761 | |||||
COUR SUPÉRIEURE | ||||||
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CANADA | ||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||
DISTRICT DE MONTRÉAL | ||||||
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N° : 500-17-129903-244 | ||||||
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DATE : Le 15 mai 2024 | ||||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : | L’HONORABLE | MARC ST-PIERRE, J.C.S. | ||||
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MCGILL UNIVERSITY -et- THE ROYAL INSTITUTION FOR THE ADVANCEMENT OF LEARNING Demanderesses c.
ASSOCIATION MCGILLIENNE DES PROFESSEUR. E. S DE DROIT (AMPD) / ASSOCIATION OF MCGILL PROFESSORS OF LAW (AMPL) -et- STUDENTS’ SOCIETY OF MCGILL UNIVERSITY (SSMU) -et- PALESTINIENS ET JUIFS UNIS (PAJU) -et- INDEPENDENT JEWISH VOICES -et- JOHN DOE -et- JANE DOE Défendeurs | ||||||
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JUGEMENT (Injonction provisoire) | ||||||
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[1] CONSIDÉRANT que la demande en injonction vise en particulier à obtenir le démantèlement d’un campement installé par des manifestants sur un terrain propriété de l’une des demanderesses et où l’autre demanderesse opère une institution d’enseignement;
[2] CONSIDÉRANT pour fins de mise en contexte que l’action des manifestants fait partie d’un mouvement nord-américain présent dans quelques dizaines d’universités aux États-Unis en lien avec les événements en cours dans la bande de Gaza où des dizaines des milliers des Palestiniens sont morts, blessés ou dépossédés par l’armée israélienne;
[3] CONSIDÉRANT d’abord avant de procéder à l’analyse que la cour considère qu’elle peut se prononcer même si les demanderesses ne poursuivaient initialement à titre de défendeurs que John Doe et Jane Doe, ce qui de l’avis du soussigné rendait leur procédure irrecevable;
[4] CONSIDÉRANT de fait que le procédé consistant à présenter une demande d’injonction sans véritable défendeur aurait pu permettre aux demanderesses de procéder ex parte pour ensuite poursuivre tout contrevenant informé de l’ordonnance rendu pour entrave à la justice;
[5] CONSIDÉRANT que la cour est d’avis que ça aurait été d’entériner une violation à la règle audi alteram partem si elle avait permis aux demanderesses de procéder ainsi même si dans l’espèce les demanderesses avaient réussi à avertir certaines associations dont des membres participent à la manifestation;
[6] CONSIDÉRANT que le jugement de la Cour suprême du Canada dans Greenpeace Canada et Valerie Langer[1] invoqué par les demanderesses ne règle pas le problème de l’avis du soussigné;
[7] CONSIDÉRANT en effet que dans cette affaire des personnes identifiées nommément comme défendeurs avaient été assignées par la demanderesse, ce qui leur avaient d’ailleurs permis de contester l’injonction même à l’étape du provisoire;
[8] CONSIDÉRANT de plus que la juge McLachlin qui a rendu le jugement pour la cour a écrit que l’ajout des deux défendeurs John Doe et Jane Doe ne changeait rien;
[9] CONSIDÉRANT que cette déclaration de la juge McLaughlin est congruente avec l’absence de demande d’ordonnance s’adressant aux défendeurs dans les conclusions de la procédure en injonction provisoire des demanderesses, du jamais vu;
[10] CONSIDÉRANT cependant que les demanderesses ont finalement accepté la suggestion de la cour de reconnaître comme défenderesses plutôt que simplement que comme amicus curiae les associations qui se sont présentées en salle d’audience au matin de la présentation de l’injonction pour la contester;
[11] CONSIDÉRANT que le tribunal peut en conséquence se prononcer sur la demande d’injonction et entendre la demande de radiation d’allégations des défenderesses AMPD/AMPL et SSMU;
[12] CONSIDÉRANT que cette demande de radiation d’allégations vise les paragraphes 32 à 35 de la demande introductive portant sur les négociations entre les représentants de l’université et certains représentants des manifestants qui seraient couvertes par le privilège du litige;
[13] CONSIDÉRANT que sous réserve du paragraphe 35, seulement le paragraphe 32 comprend de l’information relative au contenu de ce qui a été l’objet des discussions entre l’université et les représentants des manifestants;
[14] CONSIDÉRANT que le paragraphe 35 réfère à un courriel du président de l’université à la communauté universitaire faisant effectivement état du contenu des négociations mais puisque dans un document public ne peut pas faire l’objet du privilège du litige;
[15] CONSIDÉRANT en ce qui concerne le paragraphe 32 que ce n’est pas parce que les informations y contenues ou certaines d’entre elles ont fait l’objet d’un affidavit dans un autre dossier de cette cour ni qu’elles sont couvertes par la communication ci-dessus référé du président de l’université qu’il y a renonciation au privilège;
[16] CONSIDÉRANT également que, selon le dernier argument des demanderesses, l’allégation ne bénéficie pas uniquement à la partie adverse en ce sens que l’allégation voulant que les négociateurs représentant les manifestants aient refusé la proposition quant à la limitation de la durée du campement peut jouer en leur faveur (les demanderesses);
[17] CONSIDÉRANT donc qu’il y a de faire droit à la demande des défenderesses AMPD/AMPL et SSMU mais uniquement en regard de l’allégation au paragraphe 32 de la procédure des demanderesses;
[18] CONSIDÉRANT maintenant que sur la demande d’injonction provisoire, la cour doit l’évaluer en fonction de quatre (4) critères bien connus, soit l’urgence, l’apparence de droit, le préjudice sérieux ou irréparable et la balance des inconvénients;
[19] CONSIDÉRANT que sur l’examen des critères applicables, la cour croit qu’il n’y aurait pas lieu et serait même contre-indiqué de se prononcer sur autre chose que l’urgence dans la mesure où elle en viendrait à la conclusion qu’il n’y en pas;
[20] CONSIDÉRANT à cet égard que la question de l’apparence de droit soulève des questions complexes notamment quant à la confrontation de deux droits fondamentaux, celui relatif à la jouissance de la propriété et celui relatif à la liberté d’expression comme le plaident les défenderesses AMPD, AMPL, SSMU et PAJU, ce que la cour ne croit cependant pas;
[21] CONSIDÉRANT néanmoins qu’il y aurait lieu d’envisager une évolution du droit à la liberté d’expression pour y inclure l’occupation pacifique comme le propose la défenderesse Independant Jewish Voices compte tenu notamment que ça se fait maintenant de façon courante en tant que moyen pour passer un message selon l’expression de l’un des procureurs de la défenderesse PAJU;
[22] CONSIDÉRANT qu’une détermination dans le sens proposée par cette défenderesse pourrait faire en sorte que la cour ne trouverait pas en présence d’un droit clair donnant ainsi ouverture à l’examen de la balance des inconvénients, en pratique ceux subis par les personnes éventuellement touchées par l’ordonnance, ici, les manifestants;
[23] CONSIDÉRANT que le résultat de l’analyse de ce critère peut influer sur l’issue de la cause;
[24] CONSIDÉRANT donc que la question est importante en plus d’être complexe de sorte qu’une analyse plus approfondie que ce qui se fait normalement dans contexte d’une injonction provisoire est souhaitable;
[25] CONSIDÉRANT maintenant sur l’urgence que les demanderesses ne peuvent faire état d’aucun incident sérieux ou violent depuis l’érection des premières tentes sur le campus le 27 avril 2024;
[26] CONSIDÉRANT que même une confrontation avec des contre-manifestants le 2 mai 2024, invoquée par les demanderesses, s’est faite pacifiquement grâce notamment ou principalement à l’intervention de la police municipale et peut-être aussi à cause de la retenue des manifestants et des contre-manifestants;
[27] CONSIDÉRANT que confronté aux questions insistantes du tribunal, les demanderesses sont revenues constamment sur la question de sécurité mise en danger de fait que les services de sécurité de l’université non plus que le service de police municipale ni le corps des pompiers municipaux ne peuvent avoir accès au campement pour y faire des inspections;
[28] CONSIDÉRANT qu’au-delà des dénégations des défenderesses dans plusieurs déclarations assermentées des participants ou d’autres témoins, ils affirment que c’est faux, le soussigné de toutes façons n’émet pas d’ordonnance d’injonction à titre préventif au cas où quelque chose de purement hypothétique surviendrait dans le futur;
[29] CONSIDÉRANT par ailleurs que le seul événement précis pouvant appeler à une intervention rapide de la cour alléguée par les demanderesses est la collation des grades du printemps qui requiert que les travaux pour l’aménagement des lieux commencent au plus tard le 13 mai, c’est-à-dire le jour de la présentation de la demande d’injonction;
[30] CONSIDÉRANT toutefois que dans leurs propres allégations au soutien de leur demande d’injonction, les demanderesses expliquent qu’elles ont trouvé une voie alternative pour tenir la cérémonie;
[31] CONSIDÉRANT que la sage décision de relocalisation de l’événement par l’université fait en sorte que les demanderesses ne peuvent pas justifier l’urgence par la cérémonie de collation des grades[2];
[32] CONSIDÉRANT en regard du critère de l’urgence que les circonstances de la présente affaire ne justifient pas la Cour supérieure d’émettre une ordonnance pour forcer l’évacuation des terrains des demanderesses par les manifestants;
[33] CONSIDÉRANT que les autres conclusions dans la demande d’injonction sont soit à leur face même mal fondées, comme la demande d’ordonner à toute personne de ne pas protester sur les terrains de l’université en violation de ses politiques et de ses procédures, ou accessoires à l’ordonnance relative au démantèlement.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL : [34] ACCUEILLE en partie la demande de radiations d’allégation des défenderesses AMPD/AMPL et SSMU; [35] ORDONNE aux demanderesses de radier le paragraphe 32 dans leur demande introductive d’instance et de produire une procédure modifiée d’ici 10 jours; [36] REJETTE leur demande en injonction provisoire; [37] LE TOUT, frais de justice à suivre.
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| __________________________________ MARC ST-PIERRE, J.C.S. |
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Me Jacques S. Darche
Me Patrick Plante
Me Hugo Saint Laurent
BORDEN LADNER GERVAIS SENCRL, SRL pour les demanderesses
Me Alexandre B. Romano
Melançon Marceau Grenier Cohen s.e.n.c. pour les défenderesses
ASSOCIATION MCGILLIENNE DES PROFESSEUR.E.S DE DROIT (AMPD) / ASSOCIATION OF MCGILL PROFESSORS OF LAW (AMPL) ET STUDENTS’ SOCIETY OF MCGILL UNIVERSITY (SSMU)
Me Julius H. Grey
Me Geneviève Grey
Me Papa Adama Ndour
Me Pamela Lazzara
GREY CASGRAIN S.E.N.C. pour la défenderesse Palestiniens et Juifs Unis (PAJU)
Me Maxwell Silverman pour la défenderesse Independent Independant Jewish Voices
Me Jean Nicolas Loiselle pour la Ville de Montréal et monsieur Fady Dhager
Date d’audience : 13 mai 2024
[1] [1996] 2 S.C.R. 1048.
[2] Non plus peut-être l’existence d’un préjudice sérieux ou irréparable.
AVIS :
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