Laforest c. Époxy Pro Design (9268-7268 Québec inc.) | 2022 QCCQ 50 | |||||||||
COUR DU QUÉBEC | ||||||||||
« Division des petites créances » | ||||||||||
CANADA | ||||||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||||||
DISTRICT DE | IBERVILLE | |||||||||
LOCALITÉ DE | SAINT-JEAN-SUR-RICHELIEU | |||||||||
« Chambre civile » | ||||||||||
N° : | 755-32-009285-208 | |||||||||
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DATE : | 10 janvier 2022 | |||||||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | LUC POIRIER, J.C.Q. | ||||||||
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MYRIAM LAFOREST ALEXANDRE GRENIER | ||||||||||
Partie demanderesse | ||||||||||
c. | ||||||||||
ÉPOXY PRO DESIGN 9268-7268 QUÉBEC INC. | ||||||||||
Partie défenderesse | ||||||||||
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JUGEMENT | ||||||||||
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[1] Madame Myriam Laforest et monsieur Alexandre Grenier réclament 9 749,53 $ à la compagnie 9268-7268 Québec inc. (Époxy Pro Design) afin de corriger des travaux qu’ils jugent mal effectués par la défenderesse. D’une façon plus spécifique, il s’agit d’un plancher d'époxy qui ne respecterait pas les règles de l’art.
[2] La partie défenderesse conteste la réclamation puisqu’elle considère, au contraire, que le travail a été bien fait et que si des imperfections peuvent exister, celles-ci ne relèvent pas du travail effectué par Époxy Pro Design. À titre d’exemple, la présence de morceaux de bois dans l’époxy proviendrait soit de morceaux de bois qui tombent dans l’époxy ou de la présence de morceaux de bois dans le béton qui, lorsqu’il est sablé, peut faire ressortir ces imperfections.
[3] Également, Époxy Pro Design demande la rétractation du jugement prononcé le 24 février 2021.
QUESTIONS EN LITIGE
[4] La rétractation de jugement doit-elle être accueillie ?
[5] La partie demanderesse a-t-elle fait la preuve d’une déficience dans les travaux d’Époxy Pro Design ?
CONTEXTE
[6] En 2019, monsieur Grenier et madame Laforest construisent une nouvelle maison située à Mont-Saint-Grégoire. Dans le cadre de la finition de la maison, ils optent pour un plancher d’époxy directement sur le béton du sous-sol.
[7] À cette fin, ils contactent madame Élizabeth St-Jacques de la compagnie Époxy Pro Design qui, à l’été 2019, va sur les lieux voir les travaux à effectuer. Après la visite de madame St-Jacques, un contrat est signé au montant de 6 553,58 $ (pièce P-3), contrat qui prévoit l’application d’époxy au sous-sol de la résidence de monsieur Grenier et madame Laforest.
[8] Les travaux ont lieu sur 2 jours commençant le 14 octobre 2019.
[9] Trouvant le résultant insatisfaisant, madame Laforest en avise la défenderesse (pièce P-7).
[10] Afin de satisfaire ses clients, Époxy Pro Design applique une troisième couche d’époxy mais les résultats sont toujours insatisfaisants aux yeux de madame Laforest et monsieur Grenier.
[11] Époxy Pro Design décide de ne plus faire d’autres correctifs au plancher de la résidence des demandeurs puisqu’elle considère que le plancher est convenable, qu’il sera impossible de satisfaire madame Laforest, et que si des imperfections existent, elles ne proviennent pas des travaux réalisés par Époxy Pro Design mais de la qualité même du béton ou d’autres facteurs dont la gestion appartient à la partie demanderesse.
[12] Comme le plancher n’est pas à leurs goûts, les demandeurs procèdent à la préparation d’une estimation afin de le refaire. (pièce P-6).
[13] C’est dans ce contexte que le Tribunal doit décider du bien-fondé de la réclamation.
ANALYSE
[14] La première question à laquelle le Tribunal doit répondre est à savoir si le jugement rendu par la greffière spéciale le 5 juin 2020 doit être rétracté.
[15] Le Tribunal a entendu monsieur Michel Martineau et madame Élizabeth St-Jacques tous deux impliqués auprès de la compagnie défenderesse qui ont expliqué la situation entourant l’adresse de la compagnie.
[16] Le Tribunal a également pris connaissance d’un rapport du Registraire des entreprises (pièce P-1) qui indique que l’adresse de la défenderesse est le 1452 du Chemin Mont Loup-Garou à Sainte-Adèle. Or, cette adresse était pourtant connue de la partie demanderesse au moment de l’ouverture du dossier mais n’a pas été inscrite comme étant l’adresse de la partie défenderesse.
[17] À ce jour, la partie défenderesse a toujours sa place d’affaires à cet endroit et le Tribunal considère que les explications données quant à l’absence de la connaissance de la procédure justifient la rétractation du jugement rendu.
[18] D’entrée de jeu, le Tribunal désire souligner qu’il a pris en considération toutes les pièces qui ont été produites lors de l’audition ainsi que tous les témoignages qui ont été rendus, et ce, même s’il n’y sera pas nécessairement fait référence dans la décision.
[19] La partie qui fait valoir un droit doit démontrer par prépondérance de preuve le bien-fondé de ses prétentions, comme le prévoient les articles 2803 et 2804 du Code civil du Québec, qui se lisent ainsi :
«2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention. 2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.»
[20] Il appartient donc à la demanderesse de prouver que le plancher d’époxy installé par la partie défenderesse ne respecte pas les règles de l’art. Cette preuve à faire diffère de la déception que des clients peuvent avoir quant au résultat.
[21] Le Tribunal a bien entendu madame Laforest et monsieur Grenier quant à leurs insatisfactions. Il doit cependant se pencher sur la preuve offerte qui consiste principalement en deux éléments de preuve, soit une série de photographies (pièce P-10) et une estimation par un entrepreneur afin de refaire le travail (pièce P-6).
[22] Il est important de souligner que le Tribunal n’a pas une connaissance d’office quant à la qualité d’un plancher à l’époxy tant sur sa solidité que son apparence. L’article 2806 du Code civil du Québec prévoit que les parties n’ont pas besoin de prouver ce qui est de connaissance d’office du Tribunal :
«2806. Nul n’est tenu de prouver ce dont le tribunal est tenu de prendre connaissance d’office.»
[23] Cette définition de l’article 2806 sous-entend cependant que dès que le Tribunal n’a pas connaissance d’office d’un élément, la preuve doit être faite par la partie qui veut démontrer le bien-fondé de ses prétentions.
[24] Comme l’énonce l’auteure Catherine Piché dans son ouvrage de la Preuve civile[1] la connaissance d’office d’un Tribunal est très limitée.
[25] Certains faits publics peuvent cependant faire partie de la connaissance d’office du Tribunal, tel : la géographie, le fonctionnement de l’état, l’état de guerre du pays, etc.[2] :
140. Fonctionnement de l’état et géographie – Un juge peut prendre connaissance d’office de certains faits publics et notoires reliés au fonctionnement de l’État ou à la géographie ainsi que des faits communément acceptés par tous. Les faits relatifs au fonctionnement de l’État sont les évènements importants dans la vie d’un pays ou d’une province, tels une élection générale, un changement de gouvernement, l’identité ou le décès d’un ministre, l’état de guerre. Les faits géographiques ont trait à l’existence et aux frontières des pays, provinces, municipalités ou autres divisions administratives ou judiciaires.»
[26] Certaines connaissances courantes font aussi partie de la connaissance d’office. L’auteure Catherine Piché décrit d’ailleurs cette connaissance courante de la façon suivante[3] :
«141. Ainsi, le juge a une connaissance judiciaire des lois de la nature, du cours ordinaire des choses, des divisions naturelles ou artificielles du temps et du sens ordinaire des mots. Un plaideur n’est pas tenu de prouver la loi de la pesanteur, l’heure normale ou avancée, le fait qu’il neige l’hiver ou qu’une rue fait partie de la municipalité où siège le Tribunal.»
[27] Par contre, si des faits ne sont pas assez notoires, les Tribunaux refusent généralement de considérer que le Tribunal peut en avoir une connaissance d’office. L’auteure Piché énumère certains faits qui ne sont pas suffisamment notoires afin d’illustrer ce propos[4] :
«Par ailleurs, les tribunaux refusent de prendre connaissance d’office de certains faits qui ne sont pas suffisamment notoires. Ils ont notamment refusé de prendre connaissance d’office de la valeur marchande de biens incendiés et du fait que les syndicats québécois exerceraient une coercition idéologique sur leurs membres. Au surplus, ils ont refusé de prendre connaissance d’office de la norme de l’avocat normalement prudent et diligent.»
[28] Le Tribunal considère que la qualité du travail d’époxy tombe justement dans cette catégorie. Il appartient donc, à ce moment, à la partie demanderesse de faire la preuve de la qualité ou de la déficience du produit installé.
Application des principes au présent dossier
[29] Comme le Tribunal l’indiquait précédemment, la preuve administrée afin d’établir la qualité du travail d’Époxy Pro Design se limite à la production de photographies, d’une estimation et du témoignage des demandeurs.
[30] Tout d’abord au niveau du témoignage des demandeurs, le Tribunal ne peut considérer ces derniers comme ayant les qualités nécessaires pour juger d’un travail technique. Comme il était mentionné précédemment, le Tribunal ne peut fonder sa décision sur l’insatisfaction de la partie demanderesse, mais bien sur des faits qui sont objectivement prouvables.
[31] Les photos, par exemple, peuvent servir parfois de preuves. Cependant, les photos produites en l’instance (pièce P-10) ne peuvent éclairer le Tribunal sans explications par un expert. Le Tribunal ne peut tirer de conclusions du travail de la partie défenderesse d’autant plus que la manière de prendre une photographie peut améliorer ou détériorer l’aspect du sujet qui a été photographié.
[32] Quant à l’estimation qui a été produite sous la cote P-6, le Tribunal ne peut utiliser cette estimation afin de conclure à un manquement de la partie défenderesse. Dans un premier temps, il a été établi, lors de l’audition, que le représentant de Concept Sol qui a préparé l’estimation ne s’est jamais rendu sur les lieux. Il est donc difficile qu’il puisse, à l’aide de photos, statuer sur la qualité du travail.
[33] Dans un deuxième temps, l’estimé lui-même (pièce P-6) ne se prononce pas sur la qualité du travail de la partie défenderesse. Il se contente d’établir un prix pour un travail à être fait.
[34] Finalement, le représentant de Concept Sol n’est pas venu témoigner, ce qui aurait peut-être facilité la preuve de la partie demanderesse.
[35] Le Tribunal rappelle qu’il appartient à la demanderesse de faire cette preuve du manquement de la partie défenderesse, ce qui n’a pas été fait en l’instance.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[36] ACCUEILLE la demande de rétractation de la partie défenderesse;
[37] RÉTRACTE le jugement rendu le 24 février 2021 par madame Galina Karageorgieva;
[38] REJETTE la réclamation de la partie demanderesse;
[39] AVEC frais de justice contre cette dernière;
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| __________________________________ LUC POIRIER, J.C.Q. |
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Date d’audition : 13 décembre 2021
[1] Catherine Piché, La Preuve civile, 5e édition, Éditions Yvon Blais, p. 80.
[2] Idem, p. 80, par. 140.
[3] Idem p. 80, par.
[4] Idem, p. 85.
AVIS :
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