Homsy c. Google | 2023 QCCA 1220 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
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N° : | |||||
(500-06-001123-211) | |||||
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DATE : | 28 septembre 2023 | ||||
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MICHAEL HOMSY | |||||
APPELANT – demandeur | |||||
c. | |||||
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GOOGLE LLC | |||||
INTIMÉE – défenderesse | |||||
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[1] L’appelant se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Donald Bisson), lequel rejette la demande d’autorisation d’exercer une action collective contre l’intimée[1].
[2] Pour les motifs des juges Morissette et Sansfaçon, auxquels souscrit la juge Lavallée, LA COUR :
[3] ACCUEILLE l’appel, avec les frais de justice en faveur de l’appelant.
[4] RETOURNE le dossier au premier juge afin qu’il tranche des questions dont il n’a pas traité dans son jugement.
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| YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A. | |
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| STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A. | |
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| SOPHIE LAVALLÉE, J.C.A. | |
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Me Jean-Philippe Caron Me Gabriel Bois Me Alessandra Esposito Chartrand | ||
CALEX LÉGAL Me John Archibald INVESTIGATION COUNSEL PC | ||
Pour l’appelant | ||
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Me Mirna Kaddis Me Noah Michael Boudreau FASKEN MARTINEAU DUMOULIN | ||
Pour l’intimée | ||
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Date d’audience : | 2 mai 2023 | |
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MOTIFS DU JUGE MORISSETTE |
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[5] Pour les raisons qui suivent, il y a lieu d’accueillir le pourvoi et de renvoyer le dossier en Cour supérieure pour qu’il y procède comme le propose le juge Sansfaçon, le tout avec les frais de justice en faveur de l’appelant.
― I ―
[6] Il est plus simple, pour bien situer les choses, de reproduire textuellement la description que l’appelant donnait en première instance du groupe qu’il souhaitait représenter. Le paragraphe 5 de sa demande introductive d’instance l’identifiait en ces termes :
User Class: All individuals residing in the Province of Quebec, except for the Excluded Persons*, who used Google Photos and who had their facial biometric identifiers extracted, collected, captured, received, or otherwise obtained by Google from photos uploaded to Google Photos since October 28th, 2015 (the “Class Period”);
Non-User Class: All individuals residing in the Province of Quebec, except for the Excluded Persons, who did not use Google Photos and who had their facial biometric identifiers extracted, collected, captured, received, or otherwise obtained by Google from photos uploaded to Google Photos during the Class Period;
*Excluded Persons” means Google and its parent corporations, subsidiaries, affiliates, predecessors, successors and assigns; and their current or former officers, directors, and legal representatives.
L’appelant déployait sa thèse sur deux principaux axes. Invoquant la Charte des droits et libertés de la personne[2] (la « Charte »), la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé[3] (la « LPRP ») et le Code civil du Québec, il prétendait entre autres choses que l’intimée avait violé les droits à la vie privée et à l’inviolabilité de la personne des membres du groupe. Puis, s’appuyant sur la Loi sur la protection du consommateur[4] (la « LPC »), il faisait aussi valoir que la partie adverse avait fait des représentations trompeuses aux consommateurs usagers de la plateforme Google Photos. Selon lui, en effet, l’intimée aurait omis de les informer convenablement sur sa pratique de procéder à l’extraction, la collecte, la conservation et l’utilisation de
renseignements personnels, soit les données biométriques faciales que recèlent les photos conservées dans Google Photos. Ces données, selon lui, sont propres à chaque membre du groupe et à lui seul, au même titre que le sont les empreintes digitales ou le profil ADN d’un individu. Elles sont donc foncièrement personnelles et privées.
― II ―
[7] Un incident survenu en première instance mérite mention avant de s’arrêter sur la teneur précise du jugement entrepris.
[9] Le 12 octobre 2021, le juge Bisson, qui entendit cette requête quelques mois avant de procéder sur la demande d’autorisation de l’appelant, la rejeta pour deux motifs distincts[5]. Dans le cas de la déclaration assermentée d’un cadre de l’intimée et des pièces à son soutien, le juge s’arrête sur la grande technicité de ce que l’intimée annonçait vouloir introduire en preuve et il conclut que permettre le versement au dossier d’une telle preuve entraînerait « la tenue d’un procès avant le procès ». S’il y a éventuellement lieu de débattre de ces éléments de preuve, c’est au fond que cela devra être fait, et non au stade de l’autorisation. Quant à l’interrogatoire de l’appelant, il aurait visé à établir que les allégations de l’appelant étaient générales, vagues, incomplètes et dénuées de fondement. Si tel était effectivement le cas, commente le juge, l’appelant en ferait les frais dans le cadre du débat à venir sur l’autorisation : « Le demandeur vivra ou périra avec sa procédure telle que rédigée. Il n’appartient pas [à la défenderesse] de venir la compléter avec un interrogatoire. »[6]
[10] Ce jugement était de nature à alerter l’appelant sur de possibles déficiences dans les allégations de sa procédure écrite. Il n’a cependant pas jugé nécessaire de déposer une procédure amendée avant l’audition de sa demande d’autorisation.
― III ―
[11] Après avoir cité les diverses dispositions pertinentes des lois invoquées par l’appelant[7], le juge reproduit les quatre critères que fixe l’art.
[12] Cette disposition, rappelle le juge, a fréquemment été interprétée par la Cour suprême du Canada[8]. Il extrait de cette jurisprudence les principes qui doivent le guider et il mentionne notamment un passage de l’arrêt Infineon[9] relatif à l’exigence d’établir que « les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées » (ce qu’on appelle aussi la démonstration d’une « cause défendable » ou « soutenable »). La disposition en cause dans cet arrêt de 2013 était l’alinéa 1003b) de l’ancien Code de procédure civile mais elle est identique au paragr. 575 2° du code actuel. Les juges LeBel et Wagner écrivaient ceci à ce sujet (je souligne) :
[134] […] Bien que cette condition soit relativement peu exigeante, de simples affirmations sont insuffisantes sans quelque forme d’assise factuelle. Comme nous l’avons déjà souligné, les allégations de fait formulées par un requérant sont présumées vraies. Mais elles doivent tout de même être accompagnées d’une certaine preuve afin d’établir une cause défendable.
[13] Analysant ensuite de très près les allégations de l’appelant, puis en les confrontant aux pièces produites au soutien de ces allégations, pièces dont il scrute le contenu, le juge conclut que les prétentions d’actes illicites formulées contre l’intimée découlent de simples affirmations, sans aucune assise factuelle.
[14] Par voie de conséquence, le juge est d’avis que l’exigence d’une « certaine preuve » tirée de l’arrêt Infineon n’est pas satisfaite. Cela constitue une défaillance au regard du critère du paragr. 575 2° C.p.c. Aussi le juge rejette-t-il la demande d’autorisation de l’appelant.
― IV ―
[15] L’appelant soulève trois moyens, dont un seul importe ici. Selon lui, le juge aurait erré en lui imposant un fardeau de preuve qui n’a pas d’application au stade d’une demande d’autorisation d’une action collective. Il n’était tenu ici, insiste-t-il, qu’à un fardeau de démonstration. S’étant déchargé de ce fardeau, poursuit-il, il était en droit d’obtenir l’autorisation qu’il recherchait.
[16] Cet argument emporte l’adhésion de mon collègue le juge Sansfaçon. Avant de conclure dans le même sens que lui, je souhaite ajouter quelques observations sur la portée de cet argument.
[17] L’étape de l’autorisation, précise la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, est un simple mécanisme de filtrage[10]. À ce stade, la partie en demande aura gain de cause sur l’autorisation si elle satisfait au fardeau réduit qui est le sien, soit un « simple fardeau de “démonstration” du caractère soutenable du “syllogisme juridique” »[11]. On ajoute qu’en analysant ce syllogisme juridique sous cet angle, les faits allégués dans la demande doivent être tenus pour avérés[12]. Quant aux pièces produites au soutien des allégations, elles ont pour seul but d’étayer le caractère soutenable des prétentions et ne servent aucunement à établir – en clair, à prouver – l’existence d’un fait quelconque. Il en est ainsi à tel point que le juge saisi de la demande doit s’abstenir d’exprimer un avis sur la force probante de ces pièces[13].
[19] Ainsi, la Cour suprême avait aussi mentionné ce qui suit dans l’arrêt Infineon, où la partie intimée était celle qui avait obtenu en Cour d’appel l’autorisation d’exercer une action collective (je souligne) : « L’intimée n’est pas tenue, en effet, de présenter une preuve absolue de l’allégation, ni même d’établir celle‑ci selon la prépondérance des probabilités. À la présente étape, il suffit qu’elle démontre que sa cause est défendable au moyen d’allégations et d’éléments de preuve en appui[14]. »
[20] On peut avancer l’idée qu’une « preuve absolue » serait une preuve concluante qui vide une question de fait en litige entre les parties dès qu’elle est jugée recevable. Une preuve « selon la prépondérance des probabilités » serait une preuve jugée concluante à l’issue d’un procès ou, à la rigueur et dans certains cas, une preuve vraisemblable, versée au dossier au cours du procès ou autrement, et que l’on peut déjà traiter comme concluante parce qu’il n’est pas prévu de la contredire et qu’elle satisfait à la norme civile de la prépondérance de preuve.
[21] Mais, comme nous sommes au stade de l’autorisation d’une action collective, ces notions usuelles ne s’appliquent plus telles quelles à la situation de l’appelant.
[22] C’est le sens qu’on peut prêter à la citation tirée de l’arrêt Infineon et reproduite ci‑dessus au paragr. [19]. L’appelant, selon ce passage, n’aurait qu’à appuyer ses allégations par des « éléments de preuve »[15], dont on peut comprendre qu’il pourrait s’agir d’éléments de preuve prima facie, c’est-à-dire probants, mais peut-être seulement jusqu’à preuve du contraire. La preuve contraire resterait ainsi à faire par la partie adverse, quoique dans un cadre autre, on peut le supposer, que la demande d’autorisation, c’est-à-dire habituellement lors de l’audition au fond de l’affaire en cours. Après tout, une preuve est une preuve, c’est plus qu’un simple argument, si plausible soit-il, et je ne vois pas en quoi parler d’une « certaine preuve »[16] peut euphémiser la notion juridique de preuve au point d’en faire autre chose qu’une preuve, c’est-à-dire en faire la simple affirmation de ce que l’on souhaite démontrer contre la partie adverse.
[23] Cette lecture de l’arrêt Infineon est cependant elle aussi à revoir, à la lumière de l’arrêt Oratoire Saint‑Joseph.
[24] Je reprends pour fins de commodité un extrait de cet arrêt que cite aussi mon collègue le juge Sansfaçon[17] :
[59] En outre, à l’étape de l’autorisation, les faits allégués dans la demande sont tenus pour avérés, pourvu que les allégations de fait soient suffisamment précises : Sibiga, par. 52; Infineon, par. 67; Harmegnies, par. 44; Regroupement des citoyens contre la pollution c. Alex Couture inc.,
Je paraphrase : ainsi donc, si les faits allégués sont suffisamment clairs, précis et spécifiques, la partie en demande est dispensée de fournir une « certaine preuve » au soutien de ce qu’elle allègue. Voilà qui à mon avis constitue une nouvelle atténuation des exigences préalables à l’obtention d’une autorisation. C’est néanmoins l’état actuel du droit positif.
[25] La question de savoir si des allégations sont vagues, générales ou imprécises au point de pouvoir difficilement être tenues pour avérées me semble être une question de fait. Il en résulterait normalement que, sur un point de ce genre, une erreur ne serait révisable en appel qu’à condition d’être manifeste et déterminante. Toutefois, en l’occurrence, j’estime que le juge de première instance, en particulier aux paragraphes 21 et 22 de ses motifs, s’est mépris sur la portée de l’arrêt Oratoire Saint‑Joseph et que ce dont il a tenu rigueur à l’appelant ne lui était pas opposable aux termes de cet arrêt. Il s’agit ici d’un cas limite mais, après avoir hésité quelque peu, je préfère me rallier à l’opinion de mon collègue le juge Sansfaçon et trancher le pourvoi comme il le suggère.
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YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A. |
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MOTIFS DU JUGE SANSFAÇON |
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[26] Avec égards, je suis d’avis que le juge a erré en droit en imposant un niveau de preuve qui dépasse largement celui applicable à la demande d’autorisation. Simplement présenté, le juge a imposé au requérant qu’il fasse la démonstration du mode de fonctionnement du programme et des algorithmes derrière l’application Google Photo, exigence qui excède le fardeau de preuve qui en est un de démonstration.
[27] La Cour suprême du Canada explique dans l’arrêt Oratoire Saint-Joseph[18] dans quels cas les faits allégués peuvent être simplement tenus pour avérés et dans quels cas il est nécessaire d’appuyer ces faits d’une « certaine preuve » :
[59] En outre, à l’étape de l’autorisation, les faits allégués dans la demande sont tenus pour avérés, pourvu que les allégations de fait soient suffisamment précises : Sibiga, par. 52; Infineon, par. 67; Harmegnies, par. 44; Regroupement des citoyens contre la pollution c. Alex Couture inc.,
[Soulignements ajoutés]
[28] En l’espèce, les faits allégués permettant à l’appelant de supporter une cause défendable devaient être tenus pour avérés à moins qu’ils soient vagues, généraux ou imprécis, auxquels cas la cause d’action s’apparenterait plus à une hypothèse ou à une opinion, ce qui impliquerait que l’appelant présente une « certaine preuve » afin de soutenir ses prétentions.
[29] En l’espèce, les faits allégués dans la demande en autorisation sont suffisamment précis pour qu’ils puissent être tenus pour avérés.
[30] L’appelant allègue avoir acheté un téléphone intelligent doté du système d’exploitation mobile Android sur lequel l’application Google Photo est préinstallé. Il allègue également que cette application peut aussi être, et de fait a été, installée par les membres sur plusieurs autres types d’appareils intelligents, incluant ceux dotés d’autres systèmes d’exploitation et d’ordinateurs personnels.
[31] L’appelant ajoute que cette application est dotée d’une fonctionnalité qui permet à l’usager de regrouper rapidement les personnes qui se trouvent sur les photos prises à l’aide du téléphone ou d’un autre appareil lorsque ces photos sont téléchargées (« uploaded ») sur les serveurs de l’intimée, cette dernière opération étant nécessaire puisqu’elle qui est partie intégrante du fonctionnement de l’application et est activée par défaut lorsque le membre utilise l’application. Quant au regroupement, il se fait à l’aide d’un programme qui recueille, à partir des photos ainsi téléchargées, les caractéristiques de leur visage (les données biométriques faciales) des personnes photographiées.
[32] La cause d’action de l’action collective proposée par l’appelant est que l’intimée, en procédant ainsi à l’extraction, à la collecte, à la conservation et à l’utilisation des données biométriques faciales des membres, violerait illicitement et intentionnellement le droit à la vie privée des membres du groupe puisqu’elle ne leur a pas fourni un préavis suffisant, ni obtenu leur consentement éclairé, et n’a pas publié de politiques de conservation des données biométriques, exigences prévues dans la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé[19] (la « LPRPSP »).
[33] Voici comment les principales allégations de la demande en autorisation présentent cette cause d’action :
[…]
2. Since October 2015, Respondent, Google, LLC (the "Respondent"), has extracted, collected, stored, and used the facial biometric identifiers of tens of thousands of unwitting individuals throughout Quebec whose faces appear in photos uploaded to Google Photos, a cloud-based photo sharing and storage service included on all Android phones;
3. Facial biometric identifiers are biologically unique and intrinsically private to each Class Member. Like fingerprints and DNA, they enable the identification of an individual with precision in a wide range of circumstances;
4. The Respondent engaged in its extraction, collection, and retention of Quebec residents’ facial biometric data without providing any or adequate notice, obtaining informed consent, or publishing biometric data retention policies;
[…]
13. The Commission d'accès à l’information du Québec has published guidance on biometrics, reproduced as Exhibit P-2, that clearly affirms that biometric information is personal;
14. An investigation report published on October 28, 2020 by the Privacy Commissioner of Canada and privacy commissioners in Alberta and British Columbia, reproduced as Exhibit P-3, stated that biometric data is “is distinctive, stable over time, difficult to change and largely unique to the individual”;
[…]
17. Facial recognition technology works by capturing images that are converted and encoded through the computation of a series of measurements of the human face’s geometry as determined by facial points and contours;
18. This embedding process generates biometric data in the form of a numerical representation of the human face. An individual can then be identified when the unique biometric representation of his or her face is compared against others in a database;
[…]
22. Google Photos is a cloud-based photo-sharing and storage service;
[…]
26. The Google Photos application comes pre-installed on all Android phones, which are set by default to automatically upload photos taken by the user to the cloud-based service;
27. Android is the Respondent’s smartphone operating system software;
28. Google Photos is also available for iOS, Apple’s mobile operating system, and was accessible via web browsers;
[…]
30. Unbeknownst to Class Members, whenever a photo was uploaded to Google Photos, it was scanned for images of faces, and facial biometric identifiers were extracted from any detected face image;
31. Google Photos performed this extraction and collection of facial biometric identifiers without consideration for whether a particular face belonged to a Google Photos user or a non-user whose face happened to appear in the photo;
32. The facial biometric identifiers of the Applicant and other Class Members that were extracted and collected by the Respondent through Google Photos was stored and has remained accessible to the Respondent, its personnel, and any party that the Respondent permits to access such data including, but not limited to, third-party developers through application program interfaces, or “APIs”;
[34] Ainsi, Google Photo permettrait à l’intimée, à partir de la banque de photos déposées par les membres sur ses serveurs (communément appelé le nuage info numérique ou « cloud »), de convertir en données numériques les caractéristiques faciales propres à chaque individu de chacune des personnes photographiées, communément appelées données biométriques faciales. Cette conversion permet à l’utilisateur de l’application de regrouper, parmi ses photos déposées (uploaded) sur les serveurs de l’intimée, les personnes qui possèdent les mêmes caractéristiques faciales, autrement dit les photos de ces personnes, par exemple les photos d’un enfant, d’un ami, etc., choisi par l’utilisateur.
[35] Les allégations de la demande en autorisation portant sur le fonctionnement de cette application, et plus particulièrement de la technologie employée par Google qui permet ce regroupement de personnes en fonction de leurs caractéristiques faciales (les données biométriques faciales) sont appuyées par la pièce P-18, un extrait du site web de l’intimée intitulé « How Google uses pattern recognition to make sense of images »[20] :
How Google uses pattern recognition to make sense of images…Computers don’t ‘see’ photos and videos in the same way that people do. When you look at a photo, you might see your best friend standing in front of her house. From a computer’s perspective, that same image is simply a bunch of data that it may interpret as shapes and information about color values. While a computer won’t react like you do when you see that photo, a computer can be trained to recognize certain patterns of color and shapes.
A computer might also be trained to recognize the common patterns of shapes and colors that make up a digital image of a face. This process is known as face detection, and it’s the technology that helps Google to protect your privacy on services like Street View, where computers try to detect and then blur the faces of any people that may have been standing on the street as the Street View car drove by. If you get a little more advanced, the same pattern recognition technology that powers face detection can help a computer to understand characteristics of the face it has detected. For example, there might be certain patterns that suggest a face is smiling or has its eyes closed. Information like this can be used to help with features like Google Photos’ suggestions of movies and other effects created from your photos and videos.
Similar technology also powers the face grouping feature available in Google Photos in certain countries, which helps computers detect similar faces and group them together, making it easier for users to search and manage their photos.
[36] L’appelant ne reproche pas à l’intimée d’offrir aux utilisateurs par le biais de son application Google Photos cette fonctionnalité plus avancée qui permet de convertir l’image de la figure d’une personne photographiée en données biométriques faciales. Il ne soutient pas non plus que l’intimée vole ces données biométriques faciales, ni même qu’elle y accole le nom ou d’autres données permettant d’identifier l’utilisateur ou les autres personnes à l’égard desquelles de telles données ont ainsi été recueillies et entreposées sur ses serveurs. Ce qu’elle lui reproche, c’est que puisque son exécution se fait sur ses serveurs et donc que les données biométriques faciales des personnes photographiées s’y retrouvent (contrairement à ce qui se produirait si cette fonctionnalité était entièrement exécutée sur l’appareil de l’utilisateur), elle viole le droit à la vie privée des membres du groupe puisqu’elle ne leur a pas fourni un préavis suffisant, ni obtenu leur consentement éclairé, ni n’a publié de politique de conservation de leurs données biométriques comme prescrit dans la LPRPSP.
[37] Le juge de première instance estime que l’appelant devait présenter une preuve de ces allégations étant donné qu’elles seraient toutes vagues et hypothétiques.
[38] Avec égards, le juge commet une erreur en exigeant de l’appelant qu’il fasse reposer ces allégations sur une preuve. Ces allégations de fait sont précises, détaillées, concevables et donc aucunement hypothétiques ni ne constituent qu’une opinion. L’appelant allègue s’être procuré un téléphone intelligent doté de l’application Google Photos qui accomplit ce qu’il décrit dans sa demande pour autorisation. Il n’avait certainement pas le fardeau de prouver le fonctionnement détaillé de l’application ni de prouver celui des algorithmes utilisés, lesquels sont d’ailleurs sans doute protégés par quelques secrets industriels.
[39] À mon avis, c’est d’ailleurs ici que le juge commet l’erreur qui a fait bifurquer son analyse sur une mauvaise piste.
[40] L’appelant allègue dans sa demande que l’application Google Photos serait propulsée par programme de reconnaissance faciale appelé FaceNet décrit par trois chercheurs alors à l’emploi de Google inc. dans un article scientifique de 2015 :
29. Google Photos ran a proprietary neural network-based algorithm called FaceNet developed by the Respondent’s researchers that had the highest accuracy in facial recognition at 99.63 %. Produced herewith as Exhibit P-8 is an article describing the FaceNet technology;
[41] Cette allégation a donné vie à un débat inutile sur sa véracité ou son exactitude.
[42] À cette étape des procédures, il m’apparaît que le requérant n’avait pas besoin de prouver, ni même d’identifier le programme qui propulse la fonctionnalité de cueillette des données biométriques faciales de Google Photos. Qu’il s’agisse de FaceNet ou d’un autre programme importe peu, peut-être même aucunement, du moins à cette étape des procédures.
[43] Ainsi, le juge s’est enlisé dans un faux débat portant sur l’absence de preuve que FaceNet soit réellement le programme derrière Google Photos, sur la portée des déclarations de trois auteurs de l’article scientifique qui ne feraient pas de lien direct ou même indirect entre FaceNet et Google Photos, et sur l’absence de preuve de qui ou de l’endroit où cet article aurait été publié.
[44] Il en va de même du débat qui a porté sur l’absence, dans les pièces P-2 à P-4[21], de références spécifiques ou indirectes à l’intimée, qui a mené le juge à conclure que ces pièces ne permettaient pas de prouver les allégations de fait la visant ni de lien entre FaceNet et Google Photos.
[45] Les allégations quant à l’existence du programme Google Photos et de sa fonctionnalité de captage des données biométriques faciales permettant de retrouver rapidement, dans une banque de photos, celles qui intéressent l’utilisateur, apparaissent dès lors très précises et nullement hypothétiques, ce qui suffisait à satisfaire au fardeau de démonstration requis.
[46] Cela dit, si, malgré le fait que les allégations de fait de la demande m’apparaissent suffisamment précises et donc ne requérant pas une « certaine preuve », une telle preuve était requise afin de soutenir la cause d’action de l’appelant. Cette preuve se retrouve à la pièce P-18 tirée du site Internet de l’intimée et reproduite au paragraphe 44 de sa demande en autorisation, où elle y décrit en des termes suffisamment clairs le fonctionnement de la fonctionnalité de regroupement de photos de son application Google Photos.
[47] L’appelant ajoute dans sa requête en autorisation que l’intimée utiliserait les données ainsi recueillies à des fins commerciales.
[48] Bien qu’il puisse s’agir d’une allégation qui dépasse le simple cadre descriptif de la principale fonctionnalité de Google Photos décrite plus haut, et qu’elle puisse à première vue paraître hypothétique, elle n’est pas fondamentale au recours de l’appelant. Il est possible qu’une fois rendu au fond (le cas échéant), l’appelant ne puisse pas prouver cette allégation. Ce type de difficulté a été traité par la Cour suprême dans Infineon Technologies AG c. Option consommateurs[22], qui rappelle les principes alors applicables :
[136] À l’étape de l’autorisation, la norme de preuve à satisfaire pour démontrer le transfert de la perte ne diffère pas de celle qui s’applique pour démontrer la perte globale. Le requérant doit en effet établir qu’il est possible de soutenir que des pertes ont été transférées.
[137] Compte tenu de ce seuil peu élevé, il ne faut pas s’attendre, à l’étape de l’autorisation du recours, à ce que le requérant présente des témoignages d’expert et propose une méthodologie sophistiquée, ni l’exiger de sa part. De fait, à la présente étape, le requérant n’est même pas tenu de proposer une méthodologie envisageable pour le procès. Pour que, dans la présente affaire, la demande soit accueillie à l’issue du procès, la représentante du groupe devra être en mesure de prouver le transfert des pertes aux acheteurs indirects. La Cour d’appel décrit brièvement ces principes dans Pharmascience, au par. 52 :
Bien que ce syllogisme juridique, décrit à la procédure, puisse être énoncé aisément, il se profile néanmoins derrière ces allégations de la requête en autorisation d’évidentes difficultés de preuve. Toutefois, cette complexité, à tout le moins apparente de l’affaire, est, à ce stade, sans pertinence dans le cadre de la Loi sur le recours collectif au Québec. En effet, il n’appartient pas au juge saisi de la demande d’autorisation d’évaluer les risques et les écueils qui guettent le requérant. Plus encore, même si la juge constatait que certaines réclamations n’avaient aucun fondement, elle ne serait pas autorisée à les exclure immédiatement du débat. Cela découle de la suppression de la requête en irrecevabilité partielle au Code de procédure civile.
[138] À cette étape initiale, la perte globale alléguée par l’intimée et appuyée par les pièces évoquées précédemment suffit à cette dernière pour s’acquitter du fardeau de présenter une cause défendable. Comme le souligne le juge Kasirer, le [traduction] « défi sera majeur au procès, mais il serait malvenu, une fois que le préjudice est allégué, d’affirmer que le recours collectif ne devrait pas suivre son cours après l’étape de l’autorisation parce que le défi est trop grand » (par. 117). Au procès, si l’intimée n’est pas en mesure de démontrer comment la perte a été transférée aux acheteurs indirects ni comment elle doit être calculée, le recours collectif pourrait être rejeté.
[49] Ainsi, avec égards, le premier juge a erré lors de son appréciation du critère de la cause défendable « manifestement mal fondée »[23] quant à l’extraction, la collecte, la conservation et l’utilisation des données biométriques faciales par l’intimée.
[50] Cette conclusion règle le sort de l’appel, mais pas celui de la demande d’autorisation, puisqu’un des éléments cruciaux du syllogisme juridique proposé par l’appelant n’a pas été analysé ni tranché par le juge de première instance.
[51] Ce syllogisme juridique est annoncé aux paragraphes 2 à 4 de la demande en autorisation (reproduits plus haut) et s’énonce comme suit : ce ne sont pas l’extraction, la collecte, la conservation et l’utilisation des données biométriques faciales par l’intimée qui sont reprochés à l’intimée, mais plutôt de le faire sans obtenir l’autorisation expresse des utilisateurs de l’application Google Photos, de même que de celle des personnes qui ont été photographiées sans être utilisateurs de cette application. Puisque ces données ainsi recueillies sont, selon l’appelant, des renseignements personnels, l’intimée contreviendrait alors à diverses lois, dont à la LPRPSP qui prévoit que :
14. Le consentement à la collecte, à la communication ou à l’utilisation d’un renseignement personnel doit être manifeste, libre, éclairé et être donné à des fins spécifiques. Ce consentement ne vaut que pour la durée nécessaire à la réalisation des fins pour lesquelles il a été demandé.
Un consentement qui n’est pas donné conformément au premier alinéa est sans effet.
[Soulignement ajouté] | 14. Consent to the collection, communication or use of personal information must be manifest, free, and enlightened, and must be given for specific purposes. Such consent is valid only for the length of time needed to achieve the purposes for which it was requested.
Consent given otherwise than in accordance with the first paragraph is without effect.
[Emphasis added] |
[52] Là se trouve le véritable reproche adressé par l’appelant à l’intimée.
[53] Que la conservation des données biométriques faciales ne le soit que l’espace du moment requis afin d’effectuer l’opération de regroupement des photos, ou que ces données soient conservées de façon permanente, ne devient alors qu’un des faits qui devront être prouvés au fond et qui pourront être considérés afin de déterminer s’il y a faute et, le cas échéant, si des dommages doivent être accordés.
[54] Vu la conclusion du juge selon laquelle la cause n’était pas défendable quant à l’extraction, la collecte, la conservation et l’utilisation des données biométriques faciales par l’intimée, il n’a pas jugé nécessaire de traiter de la question portant sur le consentement, à savoir si l’intimée a fourni des préavis suffisants ou a obtenu le consentement suffisant du demandeur et des autres membres, ou encore si elle leur a fait des fausses représentations. Et puisque le juge n’a pas jugé utile de trancher ces questions, l’appelant n’a pas demandé à la Cour de contrôler de conclusion à leurs égards, et n’a donc pas jugé utile de produire l’ensemble de la preuve qui y réfère.
[55] Par conséquent, il y a lieu de retourner le dossier au premier juge afin qu’il en dispose, de même que des autres questions non traitées.
[56] Je propose donc d’accueillir l’appel, avec les frais de justice en faveur de l’appelant, et de retourner le dossier au premier juge afin qu’il tranche des questions dont il n’a pas traité dans son jugement.
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STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A. |
[1] Homsy c. Google,
[2] RLRQ c. C-12.
[3] RLRQ c. P-39.1.
[4] RLRQ c. P-40.1.
[5] Homsy c. Google,
[6] Id., paragr. 33, citant Li c. Equifax inc.,
[7] Les art. 1, 2, 13, 14 et 17 de la LPRP, les art.
[8] Notamment dans les arrêts Infineon Technologies AG c. Option consommateurs,
[9] Infineon, id., paragr. 134.
[11] L’Oratoire Saint‑Joseph, supra, note 8, paragr. 58, citant Pharmascience inc. c. Option Consommateurs,
[16] Comme on l’a vu, c’est pourtant l’expression qu’emploie la Cour suprême dans l’arrêt Infineon.
[18] L’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal c. J.J.,
[19] RLRQ c. P-39.1.
[20] Pièce P-18, non produite en appel, mais dont l’extrait est reproduit au paragr. 44 de la demande pour autorisation. Le juge, qui estime que l’appelant n’a présenté aucune « certaines preuves » afin de soutenir sa cause d’action, ne traite pas des allégations contenues dans ce paragraphe ni même de cette pièce, et n’explique pas pourquoi il ne tient pas compte des fonctionnalités de Google Photos tel que décrit par l’intimée elle-même, description qui supporte pourtant les principales allégations de fait de la demande en autorisation.
[21] Guide de la Commission d’accès à l’information du Québec intitulé Biométrie : principes à respecter et obligations légales des organisations (Pièce P-2); Enquête conjointe sur La Corporation Cadillac Fairview limitée par le commissaire à la protection de la vie privée du Canada, la commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Alberta et le commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de la Colombie-Britannique (Pièce P-3); Projet de loi fédéral C-11 intitulé Loi de 2020 sur la mise en œuvre de la Charte du numérique (Pièce P-4).
[22] Infineon Technologies AG c. Option consommateurs,
[23] Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello,
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