Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Ngalang | 2025 QCCDCPA 4 |
CONSEIL DE DISCIPLINE |
ORDRE DES COMPTABLES PROFESSIONNELS AGRÉÉS DU QUÉBEC |
CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
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No : | 47-24-00465 |
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DATE : | 21 février 2025 |
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LE CONSEIL : | Me ISABELLE MARTEL | Présidente |
Mme CYNTHIA COURTOIS, CPA auditrice | Membre |
M. MICHELIN BÉLISLE, CPA auditeur | Membre |
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M. CLAUDE MAURER, CPA, en sa qualité de syndic adjoint de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec |
Plaignant |
c. |
M. JACQUES NGALANG, CPA |
Intimé |
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DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION
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CONFORMÉMENT À L’ARTICLE142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE CONSEIL DE DISCIPLINE A PRONONCÉ UNE ORDONNANCE DE NON-DIVULGATION, DE NON-PUBLICATION ET DE NON-DIFFUSION DU NOM DE LA CLIENTE DE L’INTIMÉ MENTIONNÉ DANS LA PLAINTE, DANS LA PREUVE, DANS LES DOCUMENTS DÉPOSÉS EN PREUVE AINSI QUE DE TOUT RENSEIGNEMENT PERMETTANT DE L’IDENTIFIER, DIRECTEMENT OU INDIRECTEMENT, ET CE, POUR ASSURER LE RESPECT DU SECRET PROFESSIONNEL.
INTRODUCTION
- Le 12 septembre 2024, M. Claude Maurer, le plaignant, en sa qualité de syndic adjoint de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec (l’Ordre), dépose une plainte contre M. Jacques Ngalang, l’intimé.
PLAINTE
- La plainte disciplinaire est ainsi libellée :
- À Saint-Laurent, depuis le ou vers le 1er août 2024, entrave le travail du syndic adjoint Claude Maurer dans l’exercice de ses fonctions en omettant de donner suite dans les délais indiqués aux correspondances datées des 8 juillet 2024 et 23 juillet 2024, le tout contrairement à l’article 77 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés et aux articles 114 et 122 du Code des professions;
[Transcription textuelle]
- L’intimé est inscrit au tableau de l’Ordre au moment des événements visés par la plainte[1].
- L’intimé enregistre un plaidoyer de culpabilité à l’égard de l’unique chef de la plainte et confirme qu’il plaide coupable de façon libre, éclairée et volontaire. Il comprend également que le Conseil n’est pas lié par la recommandation conjointe sur sanction soumise par les parties[2].
- Ce plaidoyer de culpabilité engendre une reconnaissance par l’intimé que les faits reprochés constituent des fautes déontologiques[3].
- Considérant le plaidoyer de culpabilité de l’intimé, le Conseil le déclare, séance tenante, coupable du chef de la plainte, comme plus amplement décrit au dispositif de la présente décision.
- Les parties recommandent au Conseil d’imposer à l’intimé une période de radiation de 30 jours. Elles demandent aussi d’ordonner qu’un avis de la présente décision soit publié, aux frais de l’intimé, dans un journal circulant dans le lieu où il a son domicile professionnel. Enfin, elles suggèrent qu’il soit condamné au paiement des déboursés[4].
QUESTION EN LITIGE
- Le Conseil doit répondre à la question en litige suivante : la recommandation conjointe sur sanction des parties est-elle susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou contraire à l’intérêt public?
- Pour les motifs exposés ci-après, le Conseil répond par la négative à la question en litige, entérine la recommandation conjointe et impose la sanction recommandée conjointement par les parties.
CONTEXTE
- Les parties se sont entendues pour produire de consentement les pièces SP-1 à SP-6.
- En outre, un Exposé conjoint des faits[5] décrit les circonstances entourant la commission de l’infraction énoncée à la plainte.
- Le Conseil reproduit les extraits de ce document qui exposent le contexte du présent dossier :
[…]
- Le 10 novembre 2023, le bureau du syndic de l'Ordre des comptables professionnels agréés du Québec reçoit une demande d'enquête à l'effet que l'Intimé a commis une infraction disciplinaire.
- Monsieur Claude Maurer, syndic adjoint (ci-après: le Plaignant), a par la suite ouvert une enquête disciplinaire.
- Entre les mois de novembre 2023 et juin 2024, le Plaignant communique avec l'Intimé afin d'obtenir diverses informations.
- Le 19 juin 2024, dans le cadre de son enquête, le Plaignant envoie un courriel à l'Intimé dans lequel sont joints une lettre et un questionnaire #4 qu'il lui demande de remplir. Plusieurs documents et informations sont alors demandés à l'Intimé et un délai de réponse lui est accordé jusqu'au 3 juillet 2024.
- Le 8 juillet 2024, comme le délai accordé est dépassé, le Plaignant transmet un nouveau questionnaire (# 5) à l’lntimé, dans lequel il lui est notamment demandé de répondre aux questions 4 à 6 du questionnaire #4. Un nouveau délai de réponse lui est accordé jusqu'au 22 juillet 2024.
- Le 23 juillet 2024, devant l'absence de retour de l’lntimé, le Plaignant transmet par courriel à l'Intimé une lettre intitulée Avis final, dans lequel il lui rappelle ne pas avoir « reçu de réponse à mes correspondances antérieures dont vous trouverez copies ci-jointes » et « qu'à défaut de répondre à mes demandes, au plus tard le 31 juillet prochain, une plainte disciplinaire pour entrave sera déposée contre vous sans autre avis ni délai ».
- Le 24 juillet 2024, l'Intimé reçoit également signification d'une copie de l'Avis final du 23 juillet 2024.
- L'intimé ne donnera pas suite au Plaignant dans les délais indiqués aux correspondances, ni même jusqu'à la date de dépôt de la plainte disciplinaire.
- Le 7 février 2025, l'Intimé transmet finalement les documents et informations demandés dans les correspondances datées des 8 juillet 2024 et 23 juillet 2024.
- L'Intimé reconnait qu'il a commis l'infraction reprochée au chef n° 1 de la plainte disciplinaire.
[…]
[Transcription textuelle; références omises]
ANALYSE
- Les principes de la recommandation conjointe
- La recommandation conjointe sur sanction constitue un outil important pour le système de justice puisqu’elle contribue à son efficacité[6], et elle est nécessaire à une saine administration de la justice[7].
- Le Tribunal des professions enseigne qu’une recommandation conjointe ne doit pas être écartée « afin de ne pas discréditer un important outil contribuant à l’efficacité du système de justice, tant criminel que disciplinaire »[8].
- La Cour suprême du Canada rappelle d’ailleurs, dans l’arrêt Nahanee[9], qu’une recommandation conjointe « procure aux parties une certitude raisonnable que la position dont elles ont convenu constituera la décision ».
- Ajoutons que le Tribunal des professions confirme que « rien n’empêche un individu non représenté d’être partie à une recommandation commune »[10].
- Dans l’arrêt Anthony-Cook[11], la Cour suprême précise qu’en présence d’une recommandation conjointe, ce n’est pas le critère de la « justesse de la peine » qui s’applique, mais celui, plus rigoureux, de savoir si la peine serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou serait par ailleurs contraire à l’intérêt public[12].
- L’adoption du critère de l’intérêt public vise la protection de la recommandation conjointe des parties et permet « au système de justice de fonctionner de manière efficace et efficiente »[13].
- La Cour d’appel du Québec[14] réitère l’importance des recommandations conjointes et l’exigence du test posé par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Anthony-Cook[15].
- Plus particulièrement en droit disciplinaire, le Tribunal des professions confirme qu’en présence de recommandations conjointes, la démarche d’un conseil de discipline consiste à déterminer si les sanctions recommandées sont susceptibles de déconsidérer l’administration de la justice ou, par ailleurs, contraires à l’intérêt public, et non pas à imposer la sanction qu’il trouve la plus appropriée[16].
- Le Conseil est donc tenu de suivre les principes de droit qui régissent son pouvoir d’intervention en présence d’une recommandation conjointe des parties.
- Conséquemment, le Conseil centre son analyse sur les fondements de la recommandation conjointe et sur ses bénéfices pour le système de justice afin de déterminer si les sanctions proposées sont, dans les circonstances, contraires à l’intérêt public ou de nature à déconsidérer l’administration de la justice[17].
- Les fondements de la recommandation conjointe sur sanction
- Les parties soutiennent que la recommandation conjointe sur sanction soumise assure la protection du public, n’est pas contraire à l’intérêt public ni susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.
- À la lumière de la preuve soumise et des représentations des parties, le Conseil retient ce qui suit.
- Par son plaidoyer de culpabilité à l’égard du chef d’infraction, l’intimé reconnaît avoir contrevenu à l’article 114 C. prof.[18], cette disposition de rattachement étant retenue aux fins de l’imposition de la sanction :
114. Il est interdit d’entraver de quelque façon que ce soit un membre du comité, la personne responsable de l’inspection professionnelle nommée conformément à l’article 90, un inspecteur ou un expert, dans l’exercice des fonctions qui lui sont conférées par le présent code, de le tromper par des réticences ou par de fausses déclarations, de refuser de lui fournir un renseignement ou document relatif à une inspection tenue en vertu du présent code ou de refuser de lui laisser prendre copie d’un tel document.
- La faute commise par l’intimé est grave et se situe au cœur de l’exercice de la profession.
- L’intimé, en décidant de ne pas collaborer avec le Bureau du syndic comme il l’a fait, contrevient à l’article 114 C. prof.[19], mettant ainsi la protection du public en péril[20].
- Le Bureau du syndic est assurément un rouage essentiel pour que l’Ordre accomplisse sa mission de protection du public. Le professionnel qui entrave une enquête du syndic empêche celui-ci, par le fait même, de mener à terme cette enquête et conséquemment, de veiller à la protection du public.
- Rappelons qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait eu réalisation de conséquences pour constater la gravité de l’infraction commise par l’intimé, puisque l’absence de celles-ci ne constitue pas un facteur atténuant[21].
- Les facteurs subjectifs atténuants suivants sont retenus :
- l’intimé a enregistré un plaidoyer de culpabilité et a admis les faits;
- il n’a aucun antécédent disciplinaire[22];
- les informations et documents demandés par le plaignant ont été transmis avant la présente audition.
- En revanche, l’intimé est un professionnel d’expérience, puisqu’il est tout de même membre de l’Ordre depuis plus de 14 ans[23], et il a entravé le plaignant pendant environ six mois, ce qui représente deux facteurs aggravants.
- Le plaignant, premier gardien de l’intérêt de la protection du public[24], évalue la sanction comme étant dissuasive envers l’intimé, ce qui incidemment a un impact sur le risque de récidive.
o La jurisprudence
- Le plaignant remet au Conseil des autorités[25] afin de souligner les principes jurisprudentiels pour l’établissement d’une sanction juste et raisonnable eu égard aux circonstances de l’infraction, et ceux devant le guider lorsque des recommandations conjointes lui sont soumises.
- Parmi les autorités reçues, on y trouve également des précédents[26] pour soutenir que la recommandation des parties se situe dans la fourchette des sanctions imposées dans des circonstances analogues pour des infractions semblables.
- Plus particulièrement, le plaignant réfère le Conseil à la décision Jacobs[27] qui mentionne :
[23] […] lorsque l’entrave cesse, et en l’absence d’antécédents disciplinaires, la fourchette varie de l’amende à quelques mois de radiation.. Lorsque les informations demandées ne sont pas fournies au moment de l’audition devant le conseil de discipline, la sanction peut être un peu plus élevée, notamment par l’ajout d’une amende.
[Référence omise]
- En somme, la recommandation conjointe soumise tient compte des précédents en semblable matière et considère l’ensemble des éléments pertinents du dossier, notamment les faits particuliers de la présente affaire, la gravité objective de l’infraction commise par l’intimé et les facteurs subjectifs qui lui sont propres.
DÉCISION DU CONSEIL
- Le Conseil considère que la gravité objective de l’infraction est importante, que cette infraction est au cœur de l’exercice de la profession et qu’elle ternit l’image de la profession de comptable.
- L’intimé se doit d’exercer sa profession et ses activités en respectant les exigences réglementaires mises en place par son Ordre afin de protéger le public.
- En devenant membre d’un ordre et en contrepartie des privilèges conférés par la loi, le professionnel acquiert « le droit exclusif au titre et le pouvoir tout aussi exclusif de poser certains actes[28] ».
- Conséquemment, l’intimé, à titre de membre de l’Ordre, doit assumer les responsabilités qui en résultent et les obligations déontologiques qui en découlent. Il doit collaborer avec l’Ordre.
- Le Conseil considère que le processus disciplinaire devrait avoir pour effet de le dissuader de récidiver et de lui rappeler ses obligations déontologiques. Le public doit être en mesure de compter sur des professionnels soucieux de respecter les obligations déontologiques qui vont de pair avec le privilège d’exercer une profession.
- La protection du public et sa sécurité l’exigent.
- Évaluant l’ensemble des considérations présentées par les parties à la lumière des faits particuliers, de la nature de l’infraction, de l’expérience de l’intimé, de son absence d’antécédents disciplinaires, de son plaidoyer de culpabilité et des facteurs subjectifs atténuants et aggravants, le Conseil juge que de faire droit à la recommandation conjointe des parties n’amènerait pas une personne renseignée et raisonnable, au fait de toutes les circonstances pertinentes, à perdre confiance dans le système disciplinaire.
- Aussi, le Conseil reconnaît l’importance de favoriser la certitude dans les discussions en vue d’un règlement et les avantages pour l’administration du système disciplinaire qui découlent de la négociation d’un plaidoyer de culpabilité et d’une entente en regard de la sanction.
- Le Conseil conclut que la recommandation conjointe des parties n’est pas contraire à l’intérêt public ni susceptible de déconsidérer l’administration de la justice et considère qu’elle doit être retenue.
EN CONSÉQUENCE, LE CONSEIL, UNANIMEMENT, LE 17 FÉVRIER 2025 :
CHEF 1
- A DÉCLARÉ l’intimé coupable d’avoir contrevenu à l’article 114 C. prof. et à l’article 77 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés.
- A PRONONCÉ la suspension conditionnelle des procédures quant au renvoi à l’article 77 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés.
ET CE JOUR :
CHEF 1
- IMPOSE à l’intimé une période de radiation de 30 jours.
- ORDONNE qu’un avis de la présente décision soit publié, aux frais de l’intimé, dans un journal circulant dans le lieu où il a son domicile professionnel, et ce, conformément au septième alinéa de l’article 156 du Code des professions.
- CONDAMNE l’intimé au paiement de l’ensemble des déboursés prévus à l’article 151 du Code des professions.
| __________________________________ Me ISABELLE MARTEL Présidente __________________________________ Mme CYNTHIA COURTOIS, CPA auditrice Membre __________________________________ M. MICHELIN BÉLISLE, CPA auditeur Membre |
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Me Jean Lanctôt et Me Marie-Hélène Lanctôt |
Avocats du plaignant |
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M. Jacques Ngalang |
Intimé (agissant personnellement) |
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Date d’audience : | 17 février 2025 |
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[3] Pivin c. Inhalothérapeutes, 2002 QCTP 32, paragr. 13.
[4] Pièce P-2, paragr. 6-8.
[6] R. c. Binet, 2019 QCCA 669; Langlois c. Dentistes (Ordre professionnel des), 2012 QCTP 52.
[7] Gauthier c. Médecins (Ordre professionnel des), 2013 QCTP 89.
[8] Langlois c. Dentistes (Ordre professionnel des), supra note 6, paragr. 47.
[9] R. c. Nahanee, 2022 CSC 37, paragr. 32.
[10] Notaire (Ordre professionnel des) c. Génier, 2019 QCTP 79, paragr. 29.
[11] R. c. Anthony‑Cook, 2016 CSC 43.
[12] R. c. Nahanee, supra, note 9.
[14] Reyes c. R., 2022 QCCA 1689; Plourde c. R., 2023 QCCA 361; Létourneau c. R., 2023 QCCA 592.
[15] R. c. Anthony‑Cook, supra, note 11.
[16] Notaires (Ordre professionnel des) c. Génier, supra, note 10; Notaires (Ordre professionnel des) c. Marcotte, 2017 CanLII 92156 (QC CDNQ); Notaires (Ordre professionnel des) c. Marcotte, 2019 QCTP 78.
[17] R. c. Binet, supra, note 6.
[18] RLRQ, c. C-26. Le Conseil rappelle l’article 122 du Code des professions n’est pas créateur d’infraction. Voir : Bégin c. Comptables en management accrédités (Ordre professionnel des), 2013 QCTP 45.
[19] C. prof., supra, note 18.
[20] Ingénieurs (Ordre professionnel des) c. Fankhauser, 2016, CanLII 43793 (QC CDOIQ).
[21] Ubani c. Médecins (Ordre professionnel des), 2013, QCTP 64.
[22] Pièce SP-6, paragr. 3.
[25] R. c. Anthony‑Cook, supra, note 11; R. c. Nahanee, supra, note 9; Gaudry c. Chiropraticiens (Ordre professionnel des), 2021 QCTP 48; Serra c. Médecins (Ordre professionnel des), 2021 QCTP 2; Pigeon c. Daigneault, 2003 CanLII 32934 (QC CA).
[26] Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Jacobs, 2023 QCCDCPA 19; Comptables professionnels agréés (Ordre des) v. Huberman, 2022 QCCDCPA 21; Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Dombrowski, 2018 CanLII 52116 (QC CPA).
[27] Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Jacobs, supra, note 26.
[28] Dentistes (Ordre professionnel des) c. Dupont, 2005 QCTP 7.