Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Beauchemin | 2025 QCCDCPA 10 |
CONSEIL DE DISCIPLINE |
ORDRE DES COMPTABLES PROFESSIONNELS AGRÉÉS DU QUÉBEC |
CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
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No : | 47-24-00447 |
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DATE : | 26 mars 2025 |
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LE CONSEIL : | Me LYDIA MILAZZO | Présidente |
M. JOCELYN GUIMOND, CPA | Membre |
M. JACQUES PELLETIER, CPA | Membre |
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CLAUDE MAURER, CPA, en sa qualité de syndic adjoint de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec |
Plaignant |
c. |
PAUL BEAUCHEMIN |
Intimé |
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DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION
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CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE CONSEIL DE DISCIPLINE PRONONCE UNE ORDONNANCE INTERDISANT LA DIVULGATION, LA PUBLICATION ET LA DIFFUSION DU NOM DE LA SOCIÉTÉ MENTIONNÉE DANS LA PLAINTE ET DANS LES DOCUMENTS DÉPOSÉS EN PREUVE, AINSI QUE DE TOUT RENSEIGNEMENT PERMETTANT DE L’IDENTIFIER, ET CE, AFIN DE PRÉSERVER LE SECRET PROFESSIONNEL. |
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APERÇU
- Monsieur Claude Maurer, le plaignant, reproche à M. Paul Beauchemin, l’intimé, de s’être placé en situation où il y a conflit entre son intérêt personnel et celui d’une cliente et d’avoir commis un acte dérogatoire à l’égard de celle-ci.
PLAINTE
- Avec l’autorisation du Conseil, une plainte modifiée a été déposée, laquelle est ainsi libellée :
- À Montréal, entre les ou vers les 26 janvier 2018 et 30 avril 2018, s’est placé en situation où il y a conflit entre son intérêt personnel ou l’intérêt de la société au sein de laquelle il exerce sa profession et celui de son client ou des clients de la société ou en donner l’apparence, notamment en donnant son accord, à titre de vice‑président finances et associé de la société [A], sa cliente, à une proposition de mandat de préparation des états financiers provenant de la société Beauchemin Trépanier comptables professionnels agréés inc., son cabinet, s’attribuant par le fait même un taux d’intérêt pouvant aller jusqu’à 1,25 % par mois (16,075 % par an) en cas de retard de paiement de la part de sa cliente, contrevenant ainsi à l’article 36.12 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés, et à l’article 59.2 du Code des professions;
- À Montréal, entre le ou vers le 10 décembre 2015 et le ou vers le 30 janvier 2018, s’est placé en situation où il y a conflit entre son intérêt personnel ou l’intérêt de la société au sein de laquelle il exerce sa profession et celui de son client ou des clients de la société ou en donner l’apparence, a commis un acte dérogatoire à l’honneur et à la dignité de la profession à l’occasion de la préparation des états financiers de la société [A], sa cliente, en calculant et comptabilisant des intérêts annuels calculés au taux préférentiel de l’institution financière de la société plus 3,25 %, soit 6,25 % l’an, au bénéfice de Beauchemin Force et Vie inc., sa société de gestion, sur le montant des 44 actions de catégorie G, lesquelles dans leur description ne prévoyaient qu’un dividende annuel, préférentiel et cumulatif établi à un taux équivalent au taux cible du financement à un jour de la Banque du Canada, plus trois pour cent (3 %) par an à même les profits ou les fonds disponibles pour fins de dividendes, lesquels ne pouvaient être versés en cas de déficit accumulé, contrevenant ainsi à l’article et 36.12 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés et à l’article 59.2 du Code des professions;
Se rendant ainsi passible des sanctions prévues à l’article 156 du Code des professions, RLRQ, c. C-26.
[Transcription textuelle, sauf anonymisation]
- Le plaignant explique que la modification au chef 2 de la présente plainte, soit le retrait de l’infraction, fondée sur la notion de conflit d’intérêts en vertu de l’article 36.12 de l’ancien Code de déontologie des comptables professionnels agréés[1] (Code de déontologie), découle d’une décision du Tribunal des professions dans une affaire récente impliquant l’intimé[2]. L’appel de l’intimé a été accueilli en partie en ce qu’il fut acquitté de cette infraction sur les chefs 4 et 5, car, tout comme dans le cas présent, le client était conscient du conflit d’intérêts et y avait effectivement consenti. Sa culpabilité en vertu de l’article 59.2 du Code des professions pour la même conduite a toutefois été maintenue par le Tribunal des professions.
- Suivant ces enseignements, les parties ont convenu de retirer l’infraction en vertu de l’article 36.12 du Code de déontologie dans le cadre du chef 2 du présent dossier et de retenir uniquement l’article 59.2 du Code des professions.
- L’intimé enregistre un plaidoyer de culpabilité à l’égard des deux chefs de la plainte, telle que modifiée.
- Après s’être assuré du caractère libre et volontaire de ce plaidoyer, le Conseil, unanimement et séance tenante, déclare l’intimé coupable des infractions reprochées à chacun des chefs.
- À la demande des parties, le Conseil prononce la suspension conditionnelle de l’article 59.2 du Code des professions à l’égard du chef 1, de sorte que l’article 36.12 du Code de déontologie en vigueur à l’époque des infractions soit retenu comme disposition de rattachement pour ce chef :
36.12. Le membre ne doit pas se placer en situation où sa loyauté envers son client ou envers son employeur peut être entachée.
Sous réserve de l’article 36.13, le membre ne doit pas se placer en situation où il y a conflit entre son intérêt personnel ou l’intérêt de la société au sein de laquelle il exerce sa profession et celui de son client ou des clients de la société ou en donner l’apparence.
Le membre doit révéler à son client ou à son employeur tout intérêt ainsi que toute relation ou lien d’affaires dont celui-ci devrait être informé.
- L’article 59.2 du Code des professions est la disposition législative invoquée au soutien du chef 2 :
59.2. Nul professionnel ne peut poser un acte dérogatoire à l’honneur ou à la dignité de sa profession ou à la discipline des membres de l’ordre, ni exercer une profession, un métier, une industrie, un commerce, une charge ou une fonction qui est incompatible avec l’honneur, la dignité ou l’exercice de sa profession.
- En outre, les parties présentent une recommandation conjointe sur sanction.
- Elles suggèrent d’imposer à l’intimé, sur chacun des chefs, une période de radiation de six (6) mois, ces périodes devant être purgées de manière concurrente.
- De plus, l’avocat de l’intimé informe le Conseil que ce dernier fait déjà l’objet d’une radiation temporaire de 18 mois qui lui est imposée dans le cadre d’un autre dossier disciplinaire et qui est devenue exécutoire en septembre 2024 à la suite d’un jugement du Tribunal des professions rejetant en partie l’appel sur culpabilité de l’intimé[3].
- Il précise que selon l’entente entre les parties, les périodes de radiation imposées dans le cadre du présent dossier devront être purgées de façon concurrente à la période de radiation imposée dans cet autre dossier.
- Les parties s’entendent aussi pour qu’un avis de la présente décision soit publié, aux frais de l’intimé, dans un journal circulant dans le lieu où il a son domicile professionnel, conformément à l’article 156 al. 7 du Code des professions.
- Enfin, l’intimé accepte d’être condamné au paiement des déboursés.
QUESTION EN LITIGE
Est-ce que la recommandation conjointe sur sanction déconsidère l’administration de la justice ou est contraire à l’intérêt public?
- Le Conseil répond dans la négative à cette question et décide de donner suite à la recommandation conjointe sur sanction.
PREUVE
- Le plaignant dépose, de consentement avec l’intimé, une preuve documentaire[4].
- Dans le cadre d’un exposé conjoint des faits, les parties relatent les faits suivants, en faisant référence aux pièces déposées :
A. PRÉSENTATION DE L’INTIMÉ
1. Monsieur Paul Beauchemin (ci-après « l’Intimé ») a été inscrit pour la première fois au tableau de l’Ordre des comptables agréés du Québec le 2 février 1989 (ci-après « l’Ordre »).
2. Au moment des faits reprochés à la présente plainte, il était membre en règle de l’Ordre.
3. L’Intimé exerçait alors sa profession au sein de la société Beauchemin Trépanier, comptables professionnels agréés inc. (ci-après « Beauchemin Trépanier »).
B. HISTORIQUE
4. L’enquête du plaignant a débuté à la suite d’une demande d’enquête datée du 22 novembre 2021 formulée par M. [B], qui a reçu des services de l’Intimé par le biais de sa société, [la société A].
5. Le 14 février 2024, le Plaignant a déposé une plainte disciplinaire contre l’Intimé pour des manquements en matière de conflit d’intérêts alors qu’il rendait des services comptables à la société [A], laquelle contient deux (2) chefs d’infraction.
C. PREUVE
6. Les parties produisent de consentement toutes les pièces mentionnées à la Liste des pièces (audience sur culpabilité et sanction) de la partie plaignante.
7. Depuis avril 2006, l’Intimé effectuait des mandats pour la société [A].
8. Le ou vers le 17 mai 2014, l’Intimé est devenu actionnaire et administrateur de la société [A].
9. La société Beauchemin Force et Vie inc., société de gestion de l’Intimé, est également devenue actionnaire à cette date.
Chef no 1
10. Le 26 janvier 2018, l’Intimé donne son accord, en signant à titre de vice-président finances et associé [de la société A], à une proposition de mandat de préparation des états financiers de la société Beauchemin Trépanier.
11. M. [B], président [de la société A], n’a pas apposé sa signature sur ce document.
12. Ladite proposition de mandat comprend la clause suivante : « Nos honoraires doivent être acquittés en entier dans un délai de 30 jours à compter de la date de facturation. Passé cette échéance, des intérêts au taux pouvant aller jusqu’à 1,25 % par mois (16,075 % par an) s’appliqueront sur le solde impayé. »
13. Le 17 mai 2019, Beauchemin Trépanier dépose une demande en services impayés aux petites créances (dossier 500-32-709002-192) en lien avec le mandat mentionné au paragraphe 10. Cette demande est déposée par l’Intimé, à titre de dirigeant de Beauchemin Trépanier. La partie défenderesse est [la société A].
14. Dans son jugement, l’Honorable Diane Quenneville, J.C.Q. constate la situation de conflit d’intérêts en mentionnant ce qui suit : « Hors (sic) dans ce mandat, la défenderesse devait être représentée par son président [M. B], mais c’est Paul Beauchemin, représentant de la demanderesse mais aussi associé et vice-président finance de la défenderesse, qui signe le mandat; »
15. La juge fait également mention du fait que lorsque [M. B] avait signé le mandat de préparation des états financiers en 2014, aucune mention d’intérêt n’était prévue advenant un retard dans le paiement des honoraires. Ainsi, elle n’accorde pas les intérêts au taux de 16.075 % l’an.
16. L’Intimé reconnaît avoir commis l’infraction reprochée au chef no 1 de la plainte modifiée, à savoir :
1. […]
Chef no 2
17. Le 17 mai 2014, l’Intimé a signé une convention unanime des actionnaires à titre personnel ainsi qu’à titre de président de la société Beauchemin Force et Vie Inc. [M. B] a également signé cette convention, à titre personnel ainsi qu’à titre de président de la société intervenante, [la société A].
18. L’article 26 de cette convention prévoit que toute nouvelle mise de fonds investie par les actionnaires portera intérêt au taux préférentiel de l’institution financière de la société plus 3.25 %, soit 6.25 % l’an.
19. L’investissement de l’Intimé dans la société par le biais de sa société de gestion s’est notamment effectué par le biais d’achat d’actions de catégorie « G », soit des actions d’investissement.
20. Les détenteurs d’actions de actions de catégorie « G » ont le droit de recevoir un dividende annuel, préférentiel et cumulatif établi à un taux équivalent au taux cible du financement à un jour de la Banque du Canada plus 3 % par an à même les profits ou les fonds disponibles pour fins de dividendes.
21. Or, l’Intimé a calculé et comptabilisé dans les états financiers [de la société A], pour les années 20159, 201610 et 201711, des intérêts calculés sur le montant des actions « G » établies à 110 000 $ présentées au capital-actions de la société.
22. Le montant de 110 000 $ a été considéré comme étant une somme avancée par la société Beauchemin Force et Vie Inc., faisant ainsi bénéficier l’Intimé d’un taux d’intérêt de 6.25 % par année à même les profits ou les fonds disponibles pour fins de dividendes.
23. L’Intimé reconnaît avoir commis l’infraction reprochée au chef no 2 de la plainte modifiée, à savoir :
2. […]
[Transcription textuelle, sauf anonymisation]
[Transcription des chefs et références omises]
ANALYSE
- Les principes généraux
- La sanction en droit disciplinaire ne vise pas à punir le professionnel[5]. Son but est, avant tout, de protéger le public, de dissuader le professionnel de récidiver et de servir d’exemple aux autres membres de la profession, considérant en dernier lieu le droit du professionnel visé d’exercer sa profession[6].
- Par ailleurs, chaque cas demeure un cas d’espèce. Le Conseil impose la sanction seulement après avoir pris en considération tous les facteurs, objectifs et subjectifs, propres au dossier :
[39] Le Comité de discipline impose la sanction après avoir pris en compte tous les facteurs, objectifs et subjectifs, propres au dossier. Parmi les facteurs objectifs, il faut voir si le public est affecté par les gestes posés par le professionnel, si l’infraction retenue contre le professionnel a un lien avec l’exercice de la profession, si le geste posé constitue un acte isolé ou un geste répétitif […] Parmi les facteurs subjectifs, il faut tenir compte de l’expérience, du passé disciplinaire et de l’âge du professionnel, de même que sa volonté de corriger son comportement. La délicate tâche du Comité de discipline consiste donc à décider d’une sanction qui tienne compte à la fois des principes applicables en matière de droit disciplinaire et de toutes les circonstances, aggravantes et atténuantes, de l’affaire.[7]
[Soulignements ajoutés]
- La gravité d’une infraction s’évalue notamment en fonction de ses conséquences possibles, qu’elles se soient matérialisées ou non[8].
- La « nécessité de s’intéresser d’abord à l’infraction est intimement liée à l’objectif de protection du public alors que la gravité d’une faute ne doit pas être subsumée au profit de circonstances atténuantes lesquelles reflètent davantage de la personnalité du professionnel que de l’exercice de la profession[9] ».
- Le Tribunal des professions dans l’affaire Paquin[10] rappelle que « l’objectif de protection du public occupe une place prédominante » dans le système professionnel.
- Le Tribunal des professions dans l’affaire Serra[11] rappelle toutefois que le droit du professionnel d’exercer sa profession ne doit pas être négligé et que les objectifs de la sanction disciplinaire énoncés dans l’arrêt Pigeon c. Daigneault « s’inscrivent dans l’esprit de la règle fondamentale de l’individualisation et de la proportionnalité[12] ».
- Les fourchettes de peines et les points de départ constituent des balises utiles et offrent aux juges des points de repère pour amorcer leur réflexion[13], mais comme le souligne la Cour suprême du Canada, les peines doivent être individualisées[14].
- Dans le cas présent, les parties présentent une recommandation conjointe sur sanction.
- La suggestion conjointe sur sanction issue d’une négociation rigoureuse dispose d’une « force persuasive certaine » de nature à assurer qu’elle sera respectée en échange du plaidoyer de culpabilité[15].
- La règle devant guider le conseil de discipline dans l’évaluation d’une recommandation conjointe des parties sur sanction est bien connue :
[9] En règle générale, un Conseil de discipline chargé d’imposer une sanction doit déterminer la sanction juste et appropriée afin d’assurer la protection du public. La sanction vise à dissuader le professionnel à récidiver tout en s’assurant de l’exemplarité à l’égard des autres membres de la profession qui pourraient être tentés de poser des gestes semblables et en considérant le droit du professionnel visé d’exercer sa profession.
[10] Cependant, le rôle du Conseil est différent lorsque les parties lui présentent une recommandation conjointe sur sanction. Dès lors, il n’est plus question pour lui de déterminer ce que devrait être la sanction appropriée, ni même d’examiner la justesse de la sanction proposée par les parties, mais uniquement de considérer si celle-ci déconsidère la justice ou est contraire à l’intérêt public.
[11] Dans l’arrêt Nahanee, la Cour suprême du Canada réitère le rôle limité du juge lorsqu’une recommandation conjointe est présentée et explique que ce dernier ne doit s’en écarter « que dans les cas où des personnes renseignées et raisonnables estimeraient que la peine proposée fait échec au bon fonctionnement du système de justice ».[16]
[Transcription textuelle; références omises]
- Dans l’arrêt Anthony-Cook[17], la Cour suprême du Canada énonce cette règle selon laquelle, en présence d’une recommandation conjointe, ce n’est pas le critère de la « justesse de la peine » qui s’applique, mais celui plus rigoureux de savoir si la peine serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou serait, par ailleurs, contraire à l’intérêt public.
- Il s’agit d’un seuil élevé. Une recommandation conjointe déconsidérera l’administration de la justice ou sera contraire à l’intérêt public seulement si elle « correspond si peu aux attentes des personnes raisonnables instruites des circonstances de l’affaire que ces dernières estimeraient qu’elle fait échec au bon fonctionnement du système de justice pénale[18] ».
- Son « rejet dénote une recommandation à ce point dissociée des circonstances de l’infraction et de la situation du contrevenant que son acceptation amènerait les personnes renseignées et raisonnables, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris l’importance de favoriser la certitude dans les discussions en vue d’un règlement, à croire que le système de justice avait cessé de bien fonctionner[19]. »
- Selon les enseignements de la Cour d’appel, l’analyse ne doit pas débuter par la détermination de la sanction qui aurait été appropriée, car cela inviterait le tribunal à rejeter la recommandation conjointe en la considérant comme contraire à l’intérêt public par le seul fait qu’elle s’écarte de cette sanction[20].
- L’analyse doit plutôt débuter par le fondement de la recommandation conjointe, incluant les effets bénéfiques pour l’administration de la justice, et ce, afin de déterminer s’il y a un élément, à part la durée ou la sévérité de la peine, qui est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qui est contraire à l’intérêt public[21].
- Par ailleurs, la constatation par le Conseil que la recommandation conjointe ne s’écarte pas des sanctions habituellement imposées en semblable matière fait obstacle en soi à son rejet[22].
- Enfin, il incombe aux parties de faire preuve de la plus grande transparence et d’établir la justesse de leur recommandation, laquelle est issue d’une négociation rigoureuse[23].
- À la lumière des principes précités, le Conseil doit déterminer si, en tenant compte du fondement de la recommandation conjointe et de ses avantages pour le système de justice, la sanction proposée conjointement par les parties est, dans les circonstances pertinentes du présent dossier, de nature à déconsidérer l’administration de la justice ou contraire à l’intérêt public.
- Le fondement de la recommandation conjointe sur sanction
- Le plaignant invoque les principes jurisprudentiels applicables en matière de sanction et de recommandation conjointe sur sanction.
- Par la suite, il informe le Conseil des facteurs dont les parties ont tenu compte pour en arriver à leur recommandation conjointe sur sanction.
- En termes de facteurs objectifs, le plaignant fait référence à la gravité objective importante des infractions, qui se trouvent à être au cœur de l’exercice de la profession et qui risquent de miner la confiance du public envers celle-ci.
- Le plaignant ne soulève qu’un seul facteur subjectif atténuant, soit le plaidoyer de culpabilité de l’intimé.
- Par ailleurs, il fait état des facteurs subjectifs aggravants suivants :
- Les infractions ont perduré pendant une période de trois ans.
- L’intimé avait plusieurs années d’expérience au moment des infractions.
- L’intimé a un antécédent disciplinaire récent[24] concernant également des infractions découlant d’une situation où il agissait à la fois comme actionnaire et comptable professionnel agréé d’un client, ce qui correspond notamment à la situation de conflits d’intérêts faisant l’objet du chef 1; il ne s’agit pas toutefois d’une récidive, car les périodes d’infraction se chevauchent.
- L’intimé a aussi deux antécédents disciplinaires datant respectivement de 2003 et 2012[25]. L’intimé, par l’entremise de son avocat, souligne qu’il ne s’agit pas d’infractions de même nature. Le Conseil constate tout de même qu’il est à nouveau question de situations pouvant porter atteinte à l’objectivité de l’intimé dans le cadre des services rendus à une cliente ou à sa loyauté envers une cliente.
- Le plaignant indique que l’expérience de l’intimé et ses antécédents sont surtout indicatifs d’un risque de récidive élevé.
- Le plaignant évalue ce risque comme étant inexistant à court terme, vu la période de radiation de 18 mois qu’il purge depuis septembre 2024, et faible par la suite en raison de son état de santé et du fait qu’il s’approche de sa retraite.
- Le plaignant indique que la suggestion d’imposer à l’intimé des périodes de radiation de six (6) mois dans le présent dossier, à être purgées de manière concurrente, s’appuie surtout sur la sanction imposée à l’intimé dans le cadre de l’antécédent plus récent, soit la décision rendue en 2022[26]. L’intimé s’est alors vu imposer des périodes de radiation de six mois, concurrentes, sur deux chefs (chefs 4 et 5) visant des situations similaires à celle donnant lieu à la présente plainte, sans toutefois constituer une récidive, car survenues durant une période contemporaine. Cette sanction fut maintenue en appel.
- Le plaignant soumet deux autres précédents au soutien de la recommandation conjointe sur sanction, soit les affaires Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Chenail[27], et Lacroix c. Comptables en management accrédités[28].
- Il souligne que dans l’affaire Lacroix, il est aussi question d’un professionnel ayant effectué un prêt à ses clients dans l’intérêt de sa société de gestion, pour lequel il s’est vu imposer des périodes de radiation d’un an, à être purgées de manière concurrente, lesquelles furent réduites à des périodes de six (6) mois par le Tribunal des professions.
- L’avocat de l’intimé qualifie de très faible le risque de récidive de l’intimé s’il décide de retourner à la pratique en faisant référence à sa situation personnelle et à ses problèmes de santé. Il indique que son client n’a pas l’intention de revenir à la pratique mais qu’il ne veut pas, non plus, se priver de cette possibilité.
- Il informe le Conseil que son client priorise sa santé en ce moment.
- Son client ne pratique plus dans un cabinet de comptables. Il décrit sa pratique actuelle comme étant moins axée sur la comptabilité (il ne fait pas de tenue de livres), bien qu’il soit signataire de chèques pour une fabrique à titre de membre du Conseil d’administration de cette société. Il porte assistance de manière bénévole à des personnes âgées en matière d’impôts.
- Enfin, l’avocat de l’intimé souligne que les sanctions suggérées découlent d’une négociation sérieuse entre deux avocats expérimentés et qu’elles sont particularisées en lien avec le professionnel, l’intimé, présent devant le Conseil.
- Conclusion
- Le Conseil réitère le principe fondamental édictant qu’en matière de recommandation conjointe sur sanction, lorsqu’un conseil de discipline s’attarde à examiner la justesse de la sanction proposée conjointement, au lieu de se limiter à la question de son incidence sur l’intérêt public ou l’administration de la justice, il commet une erreur de droit[29].
- La Cour d’appel écrit que « [l]’adoption du critère d’intérêt public vise la protection de la recommandation conjointe des parties et permet “au système de justice de fonctionner de manière efficace et efficiente[30].” »
- Considérant le fondement de la recommandation conjointe et ses avantages pour le système de justice, le Conseil est d’avis que la sanction proposée conjointement par les parties n’est pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ni contraire à l’intérêt public.
- Ainsi, le Conseil donne suite à la recommandation conjointe sur sanction.
EN CONSÉQUENCE, LE CONSEIL, UNANIMEMENT ET SÉANCE TENANTE, LE 13 FÉVRIER 2025 :
Sur le chef 1
- A DÉCLARÉ l’intimé coupable de l’infraction prévue à l’article 36.12 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés, en vigueur à l’époque.
- A SUSPENDU les procédures quant à l’article 59.2 du Code des professions.
Sur le chef 2
- A DÉCLARÉ l’intimé coupable de l’infraction prévue à l’article 59.2 du Code des professions.
ET CE JOUR :
- IMPOSE à l’intimé, sur chacun des deux chefs, une période de radiation de six (6) mois.
- ORDONNE que ces périodes de radiation soient purgées de manière concurrente.
- ORDONNE la publication d’un avis de la présente décision, aux frais de l’intimé, dans un journal circulant dans le lieu où il a son domicile professionnel, conformément à l’article 156 al. 7 du Code des professions.
- CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés en vertu de l’article 151 du Code des professions, incluant les frais de publication.
| ____________________________________ Me LYDIA MILAZZO Présidente ____________________________________ M. JOCELYN GUIMOND, CPA Membre ____________________________________ M. JACQUES PELLETIER, CPA Membre |
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Me Jean Lanctôt et Me Sophie Boucher |
Avocats du plaignant |
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Me Jean-Claude Dubé |
Avocat de l’intimé |
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Date d’audience : | 13 février 2025 |
Suspension du délibéré : | 20 mars 2025 |
Reprise de délibéré : | 24 mars 2025 |
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