Décision

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R. c. Goncalves

2024 QCCQ 3724

 

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

« Chambre criminelle et pénale »

 

:

500-01-238198-227

DATE :

15 juillet 2024

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

NADIA BÉRUBÉ, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

SA MAJESTÉ LE ROI

Poursuivant-Intimé

c.

 

PAUL GONCALVES

Accusé-Requérant

 

 

JUGEMENT SUR UNE REQUÊTE EN EXCLUSION DE LA PREUVE

(Articles 7, 8, 9, 10b) et 24 (2) de la Charte canadienne des droits et libertés)

 

 

  1. APERCU

[1]                Il est peu litigieux d’affirmer que la prolifération et la banalisation des armes à feu représentent un fléau qu’il faut endiguer.

[2]                Il est incontestable que les policiers ont, dans le cadre de leur fonction, à prendre quotidiennement des décisions rapides et lourdes de conséquences.

[3]                Une de ces conséquences est que leurs décisions seront ultérieurement scrutées à la loupe par les protagonistes du système judiciaire.

[4]                Il va sans dire qu’il appartient aux juges de prendre les décisions qui s’imposent, aussi difficiles ou impopulaires soient-elles.

[5]                Soupeser les intérêts en cause et prendre la décision qui s’impose n’est pas une tâche facile, particulièrement en matière d’armes à feu. Personne ne veut voir ses enfants grandir dans une société où il est tout à fait normal d’aller faire le plein d’essence, aux petites heures du matin, un semi-automatique à portée de main.

[6]                 Le droit des citoyens de ne pas être importunés par la police et le devoir de la police d’enquêter sur les crimes et de protéger le public entrent inévitablement en conflit. Ce conflit surgit souvent dans des situations d’interpellation sur le domaine public.

[7]                L’article 9 de la Charte dénonce l’impératif constitutionnel à la lumière de laquelle doivent être pondérés les droits concurrents des citoyens et les devoirs de l’État.

[8]                Paul Goncalves, ci-après (le « Requérant »), fait face aux accusations suivantes :

  1. Le ou vers le 25 septembre 2022 à Montréal, district de Montréal, a eu en sa possession une arme à feu à autorisation restreinte, à savoir : un pistolet semi-automatique Polymer 80 sans être titulaire du permis qui les y autorise et du certificat d’enregistrement de cette arme, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 91 (1) b) (3) a) du Code criminel.
  2. Le ou vers le 25 septembre 2022, à Montréal, district de Montréal, a eu en sa possession un dispositif prohibé autre qu’une réplique, à savoir : un chargeur haute capacité sans être titulaire d’un permis qui les y autorise, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 91 (2)  (3) a) du Code criminel.
  3. Le ou vers le 25 septembre 2022, à Montréal, district de Montréal, a occupé un véhicule automobile où il savait que se trouvait une arme à feu à autorisation restreinte soit : un pistolet semi-automatique Polymer 80, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 94 (1) (2) a) du Code criminel.
  4. Le ou vers le 25 septembre 2022, à Montréal, district de Montréal a eu en sa possession, en vue d’en faire le trafic, des substances de l’annexe I, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 5 (2) (3) a) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

[9]                En effet, le 25 septembre 2022, un pistolet semi-automatique Polymer 80, ainsi que 4 grammes de cocaïne et un montant de 1 765,00$ canadiens, ont été trouvés en possession du Requérant.

[10]           Une requête visant l’exclusion de ces items a été déposée et entendue le 21 mai 2024. Il est convenu par les parties que le sort de la requête scellera l’issue des accusations.

[11]           Le Requérant allègue que les policiers n’avaient pas de motifs raisonnables et probables de procéder à son arrestation sans mandat. Ce faisant, l’arrestation étant illégale, la fouille l’est également et l’arme et les stupéfiants trouvés en sa possession devraient être exclus.

[12]           Le Requérant ajoute que son droit au silence a également été brimé par une question qui lui a été posée sur la présence d’arme à feu et ce, avant qu’il ait eu l’occasion d’exercer ses droits. Il invoque au surplus une violation de son droit à l’avocat étant donné le délai encouru entre la lecture de ses droits et l’opportunité pour lui de parler à l’avocat de son choix. Selon le Requérant, ces violations multiples et successives commandent l’exclusion de la preuve.

[13]           Le Poursuivant soumet que les policiers avaient suffisamment de motifs pour procéder à l’arrestation du Requérant pour possession d’arme et que la fouille accessoire est donc légale. En effet, selon le Poursuivant, les agissements du Requérant rencontraient le seuil nécessaire permettant son arrestation.

[14]           S’il s’avérait que le Tribunal conclut à une violation, le Poursuivant soumet que la preuve ne devrait pas être exclue car la conduite des policiers ne constituait pas un acte délibéré ni un mépris flagrant, pas plus qu’un modus operandi. Il ajoute que l’expectative de vie privée étant moindre à l’égard d’un véhicule, la preuve devrait être sauvegardée.

[15]           Quant aux allégations du Requérant à l’égard de la violation de son droit à l’avocat, le Poursuivant soumet que le délai encouru est raisonnable et s’explique par les circonstances de l’arrestation. Selon le Poursuivant, la pondération des critères juridiques applicables permet au Tribunal d’admettre la preuve sans déconsidérer l’administration de la justice.

 

  1. QUESTIONS EN LITIGE

 

[16]           Est-ce que les faits constatés par le Sergent Hamelin étaient suffisants pour constituer des motifs raisonnables et probables lui permettant de procéder à l’arrestation de l’accusé pour possession d’arme à feu?

[17]           Dans l’éventualité d’une réponse négative, qu’en est-il de l’analyse en vertu du paragraphe 24 (2) de la Charte?

[18]           Est-ce que des violations supplémentaires au droit à l’avocat et au silence ont été commises et quelle en est l’incidence?

 

 

III.  PREUVE

[19]           La preuve déposée dans le cadre du voir-dire consiste en les témoignages des policiers impliqués dans l’arrestation du Requérant ainsi que le dépôt de pièces, soit : Le contrôle de détenu (Pièce A-1), Un plan de cours d’une formation donnée par la GRC en matière de détection des personnes armées (A-2), ainsi qu’une clé USB contenant un extrait d’une caméra de surveillance (Pièce P-1). Le Requérant n’a quant à lui pas témoigné dans le cadre du voir-dire.

1.  La preuve testimoniale

[20]           Le Tribunal se propose de résumer l’essence des témoignages entendus dans le cadre de la preuve à charge et d’ensuite noter les points qui sont ressortis en contre-interrogatoire. Il est utile de mentionner que l’analyse de la crédibilité et la fiabilité du témoin principal, et sur qui repose les motifs raisonnables et probables de croire, comporte une particularité.

[21]           En effet, le Sergent Hamelin a, dans un premier temps, longuement expliqué les faits sur lesquels il s’est basé et qui justifiaient selon lui de procéder à l’arrestation du Requérant pour possession d’arme à feu. Ce n’est qu’une fois sa version donnée que le Poursuivant lui a demandé de visionner un extrait d’une caméra de surveillance filmant la séquence qu’il venait tout juste de relater au Tribunal.

[22]           La preuve révèle que c’était la première fois que le Sergent Hamelin visionnait cet extrait. Ledit extrait a été déposé par le Poursuivant comme Pièce P-1. Le Tribunal a eu le bénéfice de visionner cet extrait et en fera un résumé dans les pages qui suivent.

[23]           Au risque de divulgâcher le sort que le Tribunal réserve aux arguments du Requérant, il importe de souligner que les images colligées par la caméra de surveillance ont pesé lourd dans la balance, et ce, au détriment du poids accordé aux propos rapportés par le Sergent Hamelin.

 

1.1  Témoignage du Sergent Hamelin

 

[24]           Il est policier au Service de police de la ville de Montréal (SPVM) depuis environ 30 ans et il a présentement le grade de Sergent.

[25]           Le 25 septembre 2022, il est assigné à la sécurité du Marathon de Montréal. Il débute son quart de travail à 4 heures du matin. Autour de 5h00-5h30, il se rend à la station-service Petro-Canada située au coin de la rue Guy et du boulevard Notre-Dame Ouest. Il est conducteur d’un véhicule Dodge Caravan identifié au SPVM. Son intention est de mettre de l’essence dans son véhicule avant le début du Marathon. Il entre donc par le coin sud-est et s’installe à la pompe située la plus au sud de la station d’essence.

[26]           Il constate qu’un véhicule est à la pompe située à gauche de celle à laquelle il est. Il s’agit d’une Porsche Cayenne noire d’un modèle assez récent. Leurs véhicules sont tous deux orientés vers l’est, soit vers le dépanneur. Il remarque qu’un homme est en train de faire le plein d’essence de ce véhicule Porsche.

[27]           Il constate que l’homme, plus tard identifié comme étant le Requérant, en le voyant, se colle exagérément sur son véhicule alors qu’il est du côté passager arrière. Il a un mouvement brusque en le voyant. Le Sergent Hamelin voit ses deux mains qui sont à l’avant de son corps vers sa ceinture, comme s'il était en train de fouiller ou comme s’il avait quelque chose à cacher. Il trouve ce mouvement particulier, l’homme étant exagérément collé vers son véhicule.

[28]           Il décide de feindre de faire le plein tout en regardant la pompe à gauche de laquelle il se trouve. Il voit que le Requérant est toujours en train de manipuler quelque chose sur le devant de la taille, comme pour se cacher des gens. L’environnement est silencieux et on n’entend que les pompes. Le Requérant est hypervigilant et nerveux et regarde sans cesse à gauche et à droite. Il se lève même sur les pieds pour regarder au-dessus de son véhicule en regardant vers la rue Notre-Dame, comme s’il redoutait que quelqu’un arrive, comme si d’autres policiers allaient surgir.

[29]           Il voit et entend le Requérant cogner sur la carrosserie de son véhicule plus ou moins vis-à-vis de la porte arrière, de façon discrète, afin d’attirer l’attention de la passagère. Il tente d’attirer son attention à plusieurs reprises avant qu’elle ne réponde. Elle a finalement ouvert sa porte légèrement. Le Requérant enlève alors de son cou un sac à bandoulière de marque Gucci et dit à la dame assise, passagère avant du véhicule : « Take this, take this, hide this » et ce, de façon douce. Le Requérant portait ledit sac en bandoulière sur son épaule gauche et l’a donné à la passagère de la main droite.

[30]           Il décrit le sac comme étant beige foncé, presque kaki avec le logo Gucci. Il dit que le sac est large et semblait bizarrement lourd. Il en déduit que le sac ne contient pas qu’un portefeuille. Il voit que la passagère prend le sac et referme la porte. Il constate que le sac est anormalement lourd lorsque le sac est en mouvement. Il dit que ce qu’il vient de décrire dure 2-3 minutes.

[31]           C’est fort de ces observations qu’il conclut qu’il s’agit du comportement typique d’un homme armé.

[32]           Il peut affirmer cela car il a suivi une formation auprès de ENSALA, cette formation visant, entre autres, la détection des gens armés, les endroits où peuvent se cacher des armes ainsi que les comportements et caractéristiques typiques des gens armés. Il mentionne également que cette formation, combinée à son expérience, démontre que les armes sont souvent retrouvées dans des sacs à bandoulière. La formation suivie par le Sergent Hamelin a eu lieu il y a environ 5 ans.

[33]           Le Sergent Hamelin attend que le Requérant se déplace avant d’appeler des renforts et ainsi éviter que le Requérant ne s’enfuie et ne se débarrasse de l’arme. Il fait, pendant ce temps, semblant de mettre de l’essence afin de ne pas éveiller les soupçons. Il voit le Requérant s’avancer dans le stationnement. Il ne quitte pas tant que le Requérant n’a pas tourné sur la rue. Il voit que le Requérant part en trombe. Il le suit à distance car il attendait les renforts et le moment propice afin de procéder à l’interception du véhicule du Requérant de manière sécuritaire.

[34]           Alors que le Requérant allait entrer dans un stationnement sous-terrain, il décide d’intercepter le véhicule du Requérant dans l’entrée de garage. Il sait à ce moment que d’autres policiers appelés en renfort sont présents et prêts à intervenir. Il s’agit d’une intervention à haut risque. Les policiers sont positionnés de manière sécuritaire. L’ordre est donné au Requérant de sortir du véhicule les mains dans les airs et on lui demande de se mettre à genoux. Le Requérant est placé dans le véhicule des agents Laleyan et Boivin. La passagère pleure.

[35]           Une fois les deux passagers maitrisés et le véhicule sécurisé, il y a fouille du véhicule et le sac en bandoulière Gucci est retrouvé sur la banquette côté conducteur et une arme de type glock est retrouvée dans le coffre à gants. Le Sergent Hamelin n’a, pour sa part, participé qu’à l’intervention à haut risque et est ensuite allé vaquer à ses fonctions au Marathon de Montréal.

[36]           Le Sergent Hamelin mentionne que son intention était d’arrêter M. Goncalves et de procéder à une fouille de sa personne et du véhicule Porsche. Il considère qu’il avait les motifs raisonnables de croire que le Requérant était en possession d’une arme dans le véhicule étant donné qu’il a vu le Requérant donner le sac en bandoulière à la passagère du véhicule.

[37]           En contre-interrogatoire, le Sergent Hamelin est confronté aux différences entre les faits constatés et décrits dans son témoignage versus ce qui est « constaté » sur l’extrait de la caméra de surveillance déposé comme Pièce P-1. Il réitère l’essence de ses propos en ajoutant que cela s’est passé rapidement. Il confirme que tout ce qu’il a constaté, soit les paroles, les mouvements, les coups sur le véhicule pour attirer l’attention et l’hypervigilance se retrouve sur la caméra entre 3m53s et 4m03s dudit extrait.

[38]           Plusieurs questions sur la formation qu’il a suivie lui sont également posées, entre autres, sur la nécessité de prendre des notes, sur les statistiques quant aux armes retrouvées dans des sacs à bandoulière et sur le fait qu’il n’a pas suivi de mise à jour dans les dernières années. Il est également question du nombre de saisies d’armes qu’il a faites dans sa carrière.

 

[39]           Il est ensuite question du fait que le Sergent Hamelin a mentionné lors de son témoignage à l’enquête préliminaire que ses constatations relevaient davantage des soupçons que des motifs. Il ne nie pas l’avoir dit lors de son témoignage antérieur mais ajoute qu’il s’est, à ce moment-là, trompé et qu’il n’a pas eu l’occasion avant aujourd’hui de se corriger. Il affirme aujourd’hui être convaincu qu’il avait les motifs nécessaires lui permettant de procéder à l’arrestation du Requérant pour possession d’arme.

[40]           En résumé, le Sergent Hamelin réitère que ses motifs étaient : le mouvement brusque du Requérant quand il le voit, sa nervosité, son hypervigilance, le fait que ses mains étaient devant son corps à la hauteur de sa taille et qu’il semblait manipuler quelque chose, le fait que le Requérant était collé du côté gauche, très collé sur le pistolet à essence et sur le véhicule et qu’il regardait par-dessus le toit de son véhicule et semblait craindre l’arrivée d’autres policiers. Il ajoute que la plupart des hommes qui ont une arme la porte dans leur sac à bandoulière (« man purse »).

1.2  Témoignage de l’Agent Laleyan

[41]           Le 25 septembre 2022, il entend sur les ondes que le Sergent Hamelin a besoin de renfort afin de procéder à l’arrestation d’un individu circulant à bord d’un véhicule Porsche et qui serait armé. Les informations transmises sont à l’effet qu’un sac en bandoulière contenant une arme aurait été remis à la passagère dudit véhicule par un homme qui serait parti par la suite et serait suivi par le Sergent Hamelin. Le suspect aurait manifesté de la nervosité en présence du policier.

[42]           Étant tout près des lieux, il décide de porter assistance au Sergent Hamelin afin de procéder à l’interception et l’arrestation du suspect qui s’avérera être le Requérant.

[43]           Il est 5 h 40 du matin lorsque l’agent Laleyan procède à l’arrestation du Requérant. Il est avec son partenaire, l’agent Boivin. Il s’agit d’une intervention à haut risque considérant la présence d’une arme à feu. Des ordres clairs sont donnés au conducteur, qui les respecte, sort du véhicule et s’agenouille les mains dans le dos afin d’être maitrisé. Il est menotté et amené à l’arrière de leur véhicule où il est mis en état d’arrestation. Ses droits et la mise en garde lui sont donnés. Le Requérant mentionne comprendre ses droits. L’agent Laleyan lui demande s’il a une arme à feu sur sa personne. Il répond par la négative mais mentionne qu’une arme se trouve cependant dans le véhicule.

[44]           Étant donné qu’une autre occupante se trouve dans le véhicule, le Requérant est laissé dans leur voiture de police jusqu’à ce que l’intervention soit complétée. Une arme à feu est effectivement retrouvée dans le coffre à gants. L’arme n’est pas saisie sur place car les policiers veulent préserver la possibilité d’y retrouver des empreintes digitales.

[45]           Le Requérant est amené au Centre opérationnel Sud et un court délai est occasionné par la forte affluence lors de la procédure d’entrée dans le garage. Il est 5h52 au moment où ils y entrent.

[46]           Selon le contrôle du détenu déposé comme Pièce A-1, il est 5 h 57 lorsque l’accusé est écroué et 6 h 07 au moment où un message est laissé au service téléphonique de l’aide juridique car aucun avocat n’est, à ce moment-là, disponible pour s’entretenir avec lui. Le Requérant a par la suite une discussion avec une avocate et ce, de 6 h 43 à 6 h 47 et de 6 h 49 à 7 h 08.

[47]           Interrogé sur les raisons pour lesquelles l’agent Laleyan pose au Requérant la question de savoir s’il avait en sa possession une arme à feu, l’agent Laleyan mentionne que c’était pour des raisons de sécurité et ce, même si le Requérant était, à ce moment-là, menotté.

[48]           Il mentionne que six policiers étaient présents lors de l’intervention à haut risque.

[49]           En contre-interrogatoire, il mentionne que les caractéristiques de l’homme armé lui ont été transmises sur les ondes par le Sergent Hamelin. Il était question de son allure, du fait qu’il était nerveux, de gestes particuliers qui correspondent à un individu armé ainsi du fait que le sac à bandoulière a été remis à sa conjointe.

[50]           Il est également questionné sur les formations qu’il a suivies en lien avec les armes à feu ainsi que sur son expérience en la matière.

[51]           Il acquiesce avec la prémisse que de simples caractéristiques ne peuvent donner des motifs, mais peuvent donner des soupçons qui eux, justifient une détention pour fins d’enquête. Il mentionne que la remise d’un sac à bandoulière à quelqu’un d’autre peut avoir pour but de se déresponsabiliser. Il donne des exemples de circonstances qui peuvent constituer des indices de possession d’arme mais ces exemples ne sont pas présents dans le cas sous étude.

[52]           Quant aux droits du Requérant et leur mise en œuvre, il indique avoir expliqué au Requérant, sur les lieux de l’interception, ses droits à l’avocat, au silence ainsi que la mise en garde usuelle. L’opportunité de parler à un avocat ne lui a été offerte qu’à leur arrivée au Centre opérationnel sud et ce, pour des enjeux de sécurité. C’est une fois les droits expliqués, mais avant qu’il ait eu l’opportunité de les exercer, que la question de savoir si une arme était en sa possession lui est posée. L’accusé aurait répondu qu’il n’avait pas d’arme sur sa personne mais qu’une arme se trouvait dans le véhicule, plus spécifiquement dans le coffre à gants.

[53]           Sur la raison pour laquelle le Requérant n’a pas été amené au Centre Opérationnel tout de suite après son arrestation, l’agent Laleyan invoque que la procédure et les circonstances reliées à l’intervention à haut risque, ainsi que l’enquête en cours afin de retrouver l’arme, justifiaient selon lui de retarder le départ du Requérant des lieux de l’interception.

 

[54]           Il ajoute que, selon lui, un mandat de perquisition n’était pas nécessaire pour la fouille du véhicule car il s’agissait d’une fouille accessoire à l’arrestation du Requérant. Il mentionne que peu importe la déclaration incriminante faite par le Requérant à l’effet qu’une arme se trouvait dans le véhicule, ils auraient de toute façon procédé à la fouille dudit véhicule étant donné que les motifs à leur disposition concernaient la présence d’une arme remise par le Requérant à la passagère et se trouvant donc nécessairement encore dans le véhicule.

[55]           À l’époque pertinente, l’agent Laleyan n’avait pas de téléphone cellulaire de service fourni par le SPVM.

1.3  Témoignage de l’Agent Boivin

[56]           Il est partenaire de l’Agent Laleyan et participe à l’intervention à haut risque du Requérant. Il est présent lorsque l’agent Laleyan verbalise le Requérant, son rôle à lui étant de garder le visuel sur le véhicule Porsche intercepté étant donné qu’une autre personne, en l’occurrence la passagère ayant récupéré l’arme, se trouverait toujours à l’intérieur du véhicule.

[57]           Il reçoit l’information de l’Agent Laleyan que l’arme à feu se trouve dans le coffre à gants. Il trouve effectivement ladite arme mais ne la saisit pas car la décision est prise que la Section de l’identification judiciaire (SIJ) sera mise à contribution afin de tenter de prélever des empreintes et/ou des substances biologiques. Il fait mention des démarches qui sont entreprises afin que soit autorisée la détention du Requérant par un Sergent. Il fait mention que la distance entre le lieu de l’interception et le Centre opérationnel est d’environ 10 minutes.

[58]           En contre-interrogatoire, il mentionne que les informations transmises sur les ondes radio par le Sergent Hamelin sont que l’individu a un comportement nerveux, qu’il cache son sac à bandoulière sur son corps et qu’il a donné ledit sac à la passagère. Il confirme que leur décision était prise de procéder à la fouille complète du véhicule et ce, peu importe la déclaration émanant du Requérant et confirmant qu’une arme s’y trouvait bel et bien.

 

2.  La preuve émanant de l’extraction de la caméra de surveillance

[59]           Tel qu’évoqué précédemment, le Tribunal a procédé au visionnement de l’extrait émanant des caméras de surveillance de la station-service Petro-Canada et déposé par le Poursuivant sous P-1. Ledit extrait a une durée de 6 minutes et 37 secondes (6m37s). C’est en termes de minutes et de secondes que le Tribunal a noté ses observations.

[60]           L’angle de vue de la caméra filme l’arrière des pompes à essence et permet de voir arriver le véhicule Porsche du Requérant ainsi que le véhicule conduit par le Sergent Hamelin. Il n’y a pas de son. L’identité du Requérant est admise.

[61]           En effet, à peine quelques secondes après le début de l’extrait, il est vu ladite Porsche arriver et s’immobiliser du côté gauche des pompes à essence. On peut apercevoir que quelqu’un est assis du côté passager avant. Il semble s’agir d’une femme et on voit que sa fenêtre est entrouverte environ à la moitié.

[62]           On voit ensuite la porte du côté conducteur s’ouvrir et le Requérant en sortir, faire le tour par l’arrière et se rendre à la trappe à essence de son véhicule. Il porte jeans et t-shirt et n’a rien dans les mains. Il ouvre sa trappe à essence et s’affaire au pistolet de la pompe avant de rebrousser chemin et se rendre à la fenêtre passager avant, passer sa main dans l’ouverture et ressortir avec ce qui semble être un sac.

[63]           Il se dirige ensuite vers l’avant des pompes et est perdu de vue pendant environ 30 secondes. On le voit ensuite revenir et se diriger vers la même pompe qu’auparavant. Il porte à ce moment-là en bandoulière, sur son épaule gauche, un sac qui semble de couleur brun verdâtre avec motifs.

[64]           On le voit sortir le pistolet de la pompe et l’insérer dans la trappe à essence de son véhicule en utilisant sa main droite. Il regarde en direction de la pompe et son bras gauche est posé sur le dessus de son véhicule au niveau de l’aileron sur le côté droit. Il est perpendiculaire à son véhicule.

[65]           Quelques secondes plus tard, on voit la porte du côté passager avant s’ouvrir. On peut alors clairement confirmer que c’est une femme qui est passagère. La porte est entrouverte et on voit que la passagère semble s’adresser au Requérant. On la voit pencher la tête en sa direction.

[66]           Le Requérant se met alors à bouger, il enlève son bras gauche du dessus de son auto et le rabat le long de son corps et semble l’approcher du milieu de son corps à l’avant. La passagère et le Requérant semblent échanger quelques paroles.

[67]           Pendant ce temps, le Requérant met son coude gauche sur le véhicule et semble appuyer sa tête sur sa main. La passagère gesticule légèrement et on voit le corps du Requérant osciller légèrement et le boyau d’essence bouger. On voit la passagère sortir la langue.

[68]           On voit par la suite le Requérant enlever son bras gauche du véhicule et l’amener vers le milieu de son corps à l’avant et se reculer légèrement de la trappe à essence. La position de son corps par rapport au véhicule change. Il tourne davantage le devant de son corps vers le véhicule. 

[69]           Il remet par la suite sa main gauche sur le dessus de son véhicule et l’enlève rapidement. Il fait par la suite des mouvements rapides, semble regarder autour de lui et porte sa main gauche à l’avant de son corps au niveau de ce qui semble être sa ceinture. Il semble s’y affairer.

[70]           Il se distance par la suite du véhicule, change de position pour se placer davantage face à la passagère dont la porte est toujours entrouverte et plie ses genoux en avançant son milieu de corps (au niveau de ce qui semble être sa ceinture) vers l’avant. Il se replace par la suite en position plus droite et davantage tourné vers son véhicule tout en gardant sa main gauche au niveau du milieu de son corps à l’avant.

[71]           Il refait des mouvements similaires en direction de la passagère. Sa main gauche est toujours au niveau du milieu de son corps et semble bouger. Il regarde autour de lui. Il fait par la suite des mouvements dans les airs avec sa main gauche tout en semblant échanger avec la passagère. Il remet la main sur le dessus de son véhicule et l’enlève rapidement pour ensuite reprendre les mêmes mouvements de déhanchement. La main gauche semble placée au niveau de la taille.

[72]           La passagère ferme sa porte à 3m48s. Le Requérant a encore à ce moment-là la main au niveau de sa taille et sa main semble en mouvement. C’est à 3m50s que l’on voit sur la caméra le devant du véhicule du Sergent Hamelin arriver dans le coin inférieur droit de la caméra et se diriger aux pompes situées à gauche du Requérant.

[73]           On voit le Requérant regarder en direction des pompes à sa gauche et remettre la main sur le dessus de son véhicule. On voit le véhicule du Sergent Hamelin se stationner. Il est 3m55s au moment où le véhicule policier semble immobilisé. La porte côté conducteur du Sergent s’ouvre à 3m58s. On voit le policier sortir de son véhicule et sa porte se refermer à 4m03s.

[74]           On voit alors le policier se diriger vers la pompe à essence de son côté. La portière de la passagère est alors entre-baillée et elle a la main sur la poignée. Le Requérant est, quant à lui, vis-à-vis de la trappe à essence de son véhicule. Il fait face à son véhicule. La portière de la passagère se referme alors que le policier semble s’affairer aux pompes de son côté. La fenêtre de la passagère est toujours entrouverte.

[75]           On voit que le Requérant est tourné légèrement en direction du policier et a sa main gauche sur le côté arrière de son véhicule près de l’aileron. Le policier sort le boyau d’essence à 4m15s et semble l’insérer dans son véhicule. À 4m18s, le Requérant sort le boyau de son véhicule et le remet dans la pompe. La portière de la passagère s’ouvre au même moment et se referme pendant que le Requérant s’affaire à fermer la trappe à essence de son véhicule.

[76]           Le Requérant passe ensuite derrière son véhicule afin de se rendre côté conducteur et prendre place dans son véhicule. Le policier semble pendant ce temps regarder son téléphone cellulaire et remettre le boyau dans la pompe.

[77]           La Porsche est mise en marche et il est 4m55s lorsqu’elle est perdue de vue dans le côté supérieur gauche de la caméra. On voit que le Sergent Hamelin regarde en direction du Requérant à ce moment-là. On le voit par la suite utiliser son « walkie-talkie» et s’affairer à la pompe à essence de façon intermittente et ce, jusqu’au moment où il embarque dans son véhicule à 6m24s et s’en va.

[78]           Entre le moment où l’on voit sur la caméra le véhicule policier se stationner à la pompe à 3m53s et le moment où la porte côté conducteur du Sergent Hamelin s’ouvre à 3m58s, on voit le Requérant enlever son sac en bandoulière et le remettre à la passagère.

[79]           En fait, le sac est remis à la passagère pendant que, de manière simultanée, le Sergent Hamelin ouvre sa porte et sort de son véhicule. Il est alors 3m59s. La portière de la passagère se referme à 4m05s alors que le Sergent Hamelin est devant la pompe de gauche. Sa portière à lui s’est refermée à 4m03s.

 

3. La preuve retenue

[80]           L’exercice auquel le Tribunal doit se livrer a cette particularité qu’il doit soupeser les faits tels que décrits par le Sergent Hamelin dans son témoignage, aux images de ces mêmes faits captés par une caméra de surveillance. Si le récit du Sergent Hamelin pris isolément laissait présager des circonstances pouvant justifier ultimement son intervention, un visionnement attentif desdites images apporte un éclairage tout autre.

[81]           L’impact des contradictions relevées entre son témoignage et les images est déterminant, tant au niveau de la question de la violation alléguée, que sur l’effet de ces incongruités sur la question ultime de l’exclusion de la preuve.

 

 

 

 

 

IV. PRINCIPES JURIDIQUES

 

  1. Pouvoir de procéder à une arrestation sans mandat : motifs raisonnables et probables de croire

 

1.1 Le droit

[82]           Le droit en matière de motifs raisonnables pour procéder à l’arrestation d’un individu n'est pas controversé. Le policier doit avoir subjectivement des motifs raisonnables pour procéder à l'arrestation et ceux-ci doivent être objectivement justifiables, c'est-à-dire qu’une personne raisonnable se trouvant à la place de l'agent de police doit pouvoir conclure qu'il y avait effectivement des motifs raisonnables et probables de procéder à l'arrestation[1].

[83]           L’article 495 du Code criminel permet à un policier d’arrêter une personne sans mandat s’il croit, pour des motifs raisonnables, qu’elle a commis ou est sur le point de commettre un acte criminel[2].

[84]           Une simple possibilité que l’infraction en cause soit commise est insuffisante pour justifier une arrestation sans mandat tout comme l’est une intuition policière ou des soupçons.

[85]           L’arrêt récent de notre Cour suprême, Beaver[3], à son paragraphe 72, fait la nomenclature des principes essentiels régissant une arrestation sans mandat. Les voici, ci-après, résumés :

- Une arrestation sans mandat requiert l’existence de motifs d’arrestation subjectifs et objectifs[4].

- Il faut se demander si le policier croyait sincèrement que le suspect avait commis l’infraction[5].

- Les motifs d’arrestation subjectifs sont souvent établis par le témoignage du policier[6], ce qui oblige le juge du procès à évaluer la crédibilité du policier[7].

- Les motifs subjectifs du policier doivent être justifiables d’un point de vue objectif.

- Cette appréciation tient compte du point de vue d’une personne raisonnable possédant des connaissances, une formation et une expérience comparables à celles du policier[8].

- Les éléments de preuve fondés sur la formation et l’expérience du policier ne devraient pas être acceptés sans réserve, mais il n’y a pas lieu non plus de se montrer trop sceptique à leur égard[9].

- Il ne faut pas nécessairement faire preuve de déférence à l’égard du point de vue du policier sur les circonstances du fait de sa formation ou de son expérience[10].

- Les motifs du policier de procéder à l’arrestation doivent être plus qu’une intuition[11].

- Dans l’évaluation des motifs d’arrestation objectifs, il faut reconnaître que, souvent, la décision du policier d’effectuer une arrestation doit être prise rapidement dans une situation instable qui évolue vite.

- La réflexion judiciaire n’est pas un luxe que celuici peut s’offrir.

- Le policier doit prendre sa décision en fonction des renseignements dont il dispose, lesquels sont souvent loin d’être exacts ou complets[12].

- Il faut garder à l’esprit que déterminer s’il existe des motifs suffisants pour justifier un exercice scientifique ou métaphysique, mais plutôt un exercice qui commande l’application du bon sens, de la flexibilité et de l’expérience pratique quotidienne[13].

- Les « motifs raisonnables et probables » constituent une norme plus rigoureuse que celle des « soupçons raisonnables ». Les soupçons exigeant une possibilité d’un crime, alors les motifs exigent la probabilité[14].

- La police n’a pas besoin, avant de procéder à une arrestation, de disposer d’une preuve suffisante à première vue pour justifier une déclaration de culpabilité[15], ni établir par prépondérance des probabilités que l’infraction a été commise[16].

- Il faut plutôt avoir des motifs raisonnables de croire qu’une personne est impliquée dans l’infraction[17].

- Des motifs raisonnables de croire existent s’ils possèdent « un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi »[18].  

- La police n’est pas non plus tenue de pousser l’enquête pour trouver des facteurs disculpatoires ou pour écarter des explications possiblement innocentes pour les événements[19].

- La police ne peut pas invoquer des éléments de preuve découverts après l’arrestation pour justifier les motifs d’arrestation subjectifs ou objectifs[20].  

- Lorsqu’un policier donne l’ordre à un autre policier de procéder à une arrestation, il faut que le policier qui a donné l’ordre ait eu des motifs raisonnables et probables. Il importe peu que le policier qui procède à l’arrestation ait eu ou non luimême des motifs raisonnables et probables[21].

[86]           Il incombe au poursuivant de démontrer que l’arrestation du Requérant est fondée sur des motifs raisonnables de croire à la commission d’une infraction pour procéder à son arrestation[22].

[87]           Ceci étant, le seuil requis afin de conclure à la présence de motifs raisonnables et probables n’est pas atteint, l’arrestation sera ainsi illégale. Si une arrestation est illégale, la détention qui en résulte constitue une violation de l’article 9 de la Charte et la fouille qui s’ensuit et qui n’est pas autrement justifiée ou justifiable est contraire à l’article 8 de la Charte et par le fait même, abusive.

1.2 L’analyse

[88]           Une première impression du témoignage du Sergent Hamelin, entendu sans avoir eu le bénéfice de visionner les images captées de l’événement, laissait présager une constellation de faits s’apparentant à des motifs raisonnables et probables.  Les images, quant à elles,  tendent davantage à démontrer qu’une personne raisonnable se trouvant à la place du Sergent Hamelin n’aurait pu conclure, comme il l’a fait, en quelques secondes, que le Requérant avait en sa possession une arme.

[89]           Qui plus est, ces images laissent un arrière-goût sur la façon dont les faits ont été rapportés par le Sergent Hamelin. En effet, les contradictions sont nombreuses et grossières et la chronologie de l’événement ne concorde pas. Même en gardant en tête qu’un extrait d’une seule caméra ne fournit pas autant d’informations qu’un contact humain rapproché par un policier expérimenté, le Tribunal a la désagréable impression de s’être fait tromper.

 

 

[90]           Ainsi, selon le Sergent Hamelin, la séquence des événements est la suivante :

-          À sa vue, le Requérant a un mouvement brusque et se colle exagérément sur son véhicule;

-          Ses mains sont au niveau de sa taille à l’avant de son corps et semble manipuler quelque chose;

-          Il est nerveux, hypervigilant et regarde sans cesse de droite à gauche;

-          Il le voit lever ses pieds de terre afin de regarder au-dessus de son véhicule afin de voir si d’autres policiers arrivaient;

-          Il voit le Requérant cogner sur la carrosserie afin d’attirer l’attention de la passagère et l’entend lui dire en lui remettant son sac en bandoulière « Take this, take this, hide this »;

-          Le sac était large et anormalement lourd.

[91]           Il en tire donc la conclusion qu’il est en présence d’un homme armé car le requérant en a toutes les caractéristiques selon son expérience et sa formation.

[92]           Là où le bât blesse c’est qu’il est impossible, de l’avis du Tribunal, que le Sergent Hamelin ait pu constater ce qu’il dit avoir constaté et selon la séquence qu’il décrit. Même en tenant pour acquis que le Sergent Hamelin avait un angle de vue différent que celui de la caméra dont les images extraites ont été déposées et visionnées par le Tribunal, son témoignage ne concorde pas à plusieurs niveaux avec lesdites images.

[93]           Ces incohérences sont tellement grandes que le Tribunal n’a d’autre choix que d’en tirer une inférence négative pour le Sergent Hamelin et de mettre de côté son témoignage.

[94]           Le Tribunal a procédé au visionnement de la caméra et en a résumé avec précision le contenu. Sans revenir avec détail sur la description faite de la séquence vidéo d’une durée de 6m37s, ce qui en émane est plutôt que:

-          Avant que le sergent Hamelin arrive, le Requérant est déjà collé sur son véhicule et fait plusieurs mouvements rapides, a par moment sa main sur la carrosserie et porte ses mains sur le devant de son corps et semble s’y affairer;

-          Il regarde également autour de lui à gauche et à droite;

-          Le Sergent Hamelin arrive à 3m50s;

-          Il est stationné et stationnaire à 3m53s, sa porte s’ouvre à 3m58s et le Sergent Hamelin sort à 3m59s.

-          C’est entre 3m53s et 3m58s que le Requérant est observé en train d’enlever son sac en bandoulière et le remettre à la passagère;

-          En fait, le sac est remis à la passagère pendant que, de manière concomitante, le Sergent Hamelin ouvre sa porte et sort de son véhicule;

-          La portière de la passagère se referme à 4m05s, alors que le Sergent Hamelin est devant la pompe de gauche alors que sa portière à lui s’est refermée à 4m03s.

[95]           Le sergent Hamelin a témoigné à l’effet qu’il a bien pu voir et entendre le Requérant car il était tout près, à la pompe tout juste à côté, et que l’environnement de la station d’essence était silencieux et que l’on n’entendait que le bruit des pompes.

[96]           Ainsi, de l’aveu même du Sergent Hamelin, le Tribunal doit retenir de son témoignage que c’est entre 3m53s et 4m03s que le sergent Hamelin voit et entend tout. Quelques 10 secondes tout au plus pendant lesquelles il a noté :  

-          le mouvement brusque;

-          les mains portées au niveau de sa taille à l’avant;

-          la nervosité;

-          l’hypervigilance;

-          les coups sur l’auto;

-          les tentatives d’attirer l’attention de la passagère;

-          les regards au-dessus de son véhicule;

-          les pieds levés sur les pointes afin de regarder vers la rue Notre-Dame;

-          la lourdeur anormale du sac;

-          les paroles à la passagère lui intimant de prendre le sac et le cacher.

 

 

[97]           C’est enhardi de ces quelques secondes d’observations qu’il est convaincu qu’il a les motifs raisonnables et probables de croire que le Requérant a, dans son sac à bandoulière, une arme à feu.

[98]           Le simple fait dénumérer tout ce que le Sergent Hamelin mentionne avoir constaté et ce, en aussi peu de temps, est suffisant pour clore le débat et conclure à la trop grande faiblesse des motifs d’arrestation.

[99]           Il a beaucoup été question du comportement d’une personne armée, du contexte dans lequel les armes à feu sont souvent retrouvées ou des endroits où les gens armés les dissimulent habituellement, entre autres dans les « man purse ».

[100]       Dans le même ordre d’idées, le Tribunal croit nécessaire de mentionner que lors du voir-dire, le Sergent Hamelin et les agents Laleyan et Boivin ont fait grand état de leur formation et de leur expérience sur les caractéristiques physiques et comportementales de quelqu’un qui porte ou a en sa possession une arme et qui tente de la dissimuler aux forces de l’ordre.

[101]       Le Tribunal reconnait que les policiers ont une expertise et des qualifications innées et acquises en la matière. La question n’est pas de savoir si les policiers peuvent réciter ce qu’ils savent d’expérience ou ce qu’ils ont appris en formation ou à la lecture de décisions judiciaires sur les caractéristiques habituelles d’une personne armée.

[102]       La véritable question est davantage : Est-ce que les faits générateurs de ces caractéristiques existent bel et bien dans le cas sous étude? Est-ce que la preuve soumise au Tribunal supporte ces constatations et ont un ancrage dans la réalité et pas seulement en théorie. L’adéquation sac à bandoulière Gucci dans une rutilante Porsche Cayenne égal arme n’est pas suffisante.

[103]       Il y avait bel et bien une possibilité, et l’intuition du policier s’est avérée, mais cela ne suffit pas selon les standards de notre droit. Encore moins lorsque le Tribunal constate de ses propres yeux que la réalité révèle davantage des soupçons, comme semblait lui-même le penser le Sergent Hamelin lors de son témoignage à l’enquête préliminaire, que des motifs raisonnables et probables.

[104]       Ainsi, l’arrestation du Requérant était illégale puisque les motifs retenus au soutien de son arrestation ne remplissent pas le seuil requis afin de justifier son arrestation sans mandat pour possession d’arme à feu. Le corollaire est donc que la fouille accessoire qui s’en est suivie doit donc être déclarée abusive.

 

 

 

2. L’exclusion de la preuve : les critères de 24 (2) de la Charte

 2.1  Le droit

[105]       L’analyse du paragraphe 24(2) exige que l’on détermine les droits protégés par la Charte qui ont été violés et prévoit l’exclusion des éléments de preuve obtenus en contravention de un ou plusieurs droits garantis par la Charte s’il est établi que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

[106]       Il y a deux éléments à considérer pour déterminer si des éléments de preuve doivent être écartés en application du paragraphe 24(2). Le premier élément, la condition de base, consiste à se demander si les éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte à un droit ou à une liberté garantie par la Charte. Si la condition de base est remplie, le second élément, l’élément évaluatif, consiste à se demander si, eu égard aux circonstances, l’utilisation des éléments de preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice[23].        

[107]        Pour déterminer si la découverte de l’arme et des stupéfiants est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, il faut examiner les répercussions que cette utilisation aurait à long terme sur la confiance du public dans l’administration de la justice, en mettant en balance les trois questions décrites par la Cour suprême dans l’arrêt Grant[24], à savoir :

(1) la gravité de la conduite étatique attentatoire à la Charte;

(2) l’incidence de la violation sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte;

(3) l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond[25].

[108]       Le paragraphe 24(2) de la Charte n’est pas une règle d’exclusion automatique qui empêche l’utilisation de tous les éléments de preuve obtenus de façon inconstitutionnelle. De tels éléments de preuve ne seront écartés que si l’accusé démontre qu’eu égard aux circonstances, leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice[26]. La mise en balance des considérations pertinentes en vertu du paragraphe 24(2) est une décision de nature qualitative qui ne permet pas une précision mathématique[27].

 

A)    Gravité de la conduite attentatoire de l’État

[109]       La première question de l’analyse requise pour l’application du paragraphe 24(2) consiste à déterminer si la conduite étatique attentatoire à la Charte est si grave que le Tribunal doit s’en dissocier. Pour ce faire, le Tribunal doit situer la conduite attentatoire à la Charte sur une échelle de culpabilité. 

[110]       À une extrémité de l’échelle, on trouve la conduite qui constitue un mépris délibéré ou insouciant des droits garantis par la Charte, une situation de violations systémiques de la Charte ou une dérogation importante aux normes prescrites par la Charte. À l’autre extrémité de l’échelle, on trouve des violations moins graves de la Charte, comme les violations commises par inadvertance, techniques, mineures ou résultant d’une erreur compréhensible. Plus la conduite étatique attentatoire à la Charte est grave, plus il est nécessaire que les tribunaux s’en dissocient[28].

[111]       Je fais miens les propos sur l’état du droit tel que résumé par mon confrère le Juge Cimon, dans la décision Makhoulian[29], aux paragraphes 300 à 302, quant à ce dont la société s’attend du travail d’un policier :

[300] L’État doit démontrer que les policiers se sont conduits d’une manière compatible avec ce qu’ils croyaient subjectivement, raisonnablement, et non négligemment, être la loi.

[301] Bien qu’étant un facteur important, la bonne foi des policiers ne peut être invoquée si l’atteinte à la Charte découle d’une erreur déraisonnable ou de la méconnaissance de l’étendue de leurs pouvoirs, puisque ceux-ci sont tenus de connaître l’état du droit et de s’assurer que leurs pratiques respectent les développements jurisprudentiels quant à la Charte.

[302] Si l’ignorance de la loi n’est pas un moyen de défense pour un accusé, elle ne peut davantage constituer un moyen pour démontrer la bonne foi d’un policier.

(Références omises)

B)    Incidence de la violation

[112]       La deuxième question de l’analyse requise pour l’application du paragraphe 24(2) porte sur l’incidence de la violation sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte. Il s’agit de déterminer les intérêts protégés par le droit pertinent prévu à la Charte et d’évaluer la portée « réelle de l’atteinte par la violation de la Charte aux intérêts protégés par le droit »[30].

[113]       Comme pour la première question, le Tribunal doit situer cette incidence sur une échelle. Plus grande est l’incidence sur les intérêts du Requérant protégés par la Charte, plus grand est le risque que l’utilisation des éléments de preuve soit susceptible de suggérer que les droits garantis par la Charte ne revêtent pas d’utilité réelle pour les citoyens, ce qui engendrerait donc le cynisme et déconsidérerait l’administration de la justice[31].

 

C)   Intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond

[114]        La troisième question de l’analyse requise pour l’application du paragraphe 24(2) tient compte des préoccupations sociétales et vise à déterminer si la fonction de recherche de la vérité que remplit le procès criminel serait mieux servie par l’utilisation ou par l’exclusion des éléments de preuve[32]. Parmi les facteurs pertinents pour répondre à cette question, mentionnons la fiabilité des éléments de preuve, l’importance de ceuxci pour la cause de la poursuite et la gravité de l’infraction en cause[33].

[115]       La société a toujours intérêt à ce que les affaires soient jugées sur le fond, notamment par un processus précis et fiable d’appréciation des faits en ce qui concerne la preuve pertinente. Les trois critères énoncés dans l'arrêt Grant[34] affirment que cet intérêt doit parfois céder le pas à des valeurs dans l'administration de la justice qui lui sont extrinsèques. Il est maintenant bien établi que lorsque les deux premiers critères militent fortement en faveur de l'exclusion, le troisième critère fera rarement pencher la balance en faveur de l’utilisation de la preuve obtenue en violation de la Charte[35].

[116]       Il n'y a pas d'exception générale à ces principes si la preuve en question est une preuve matérielle. Bien que l’on puisse prétendre qu'une telle preuve pourrait militer en faveur de son utilisation en raison de sa forte fiabilité intrinsèque, la Cour suprême, dans l'arrêt Grant[36], n'a nullement suggéré que le troisième critère oblige à utiliser une preuve obtenue en violation de la Charte. Une telle suggestion contredirait effectivement la jurisprudence affirmant que, dans les cas où les deux premiers critères favorisent l'exclusion de la preuve, le troisième justifiera rarement son utilisation[37].

 

D)   Mise en balance

[117]       La dernière étape de l’analyse requise pour l’application du paragraphe 24(2) consiste à mettre en balance chacune des questions pour déterminer si l’utilisation des éléments de preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Cette mise en balance a une fonction prospective : elle vise à faire en sorte que les éléments de preuve obtenus au moyen d’une violation de la Charte ne déconsidèrent pas davantage le système de justice. Elle a également une portée sociétale : elle ne vise pas à sanctionner la conduite de la police, mais à s’attaquer aux préoccupations systémiques concernant les importantes répercussions de l’utilisation des éléments de preuve sur la considération à long terme portée au système de justice[38].

[118]       Bien que les deux premières questions agissent généralement en tandem, il n’est pas nécessaire que les deux étayent l’exclusion pour qu’un tribunal puisse conclure que l’utilisation des éléments de preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice[39]. Comme l’a affirmé la Cour dans l’arrêt Le[40], « c’est la somme, et non la moyenne, de ces deux premières questions qui détermine si la balance penche en faveur de l’exclusion ». En d’autres termes, c’est le poids cumulatif des deux premières questions que les juges du procès doivent considérer et mettre en balance par rapport à la troisième question lorsqu’ils examinent si les éléments de preuve devraient être écartés. C’est pourquoi la troisième question — qui milite généralement en faveur de la conclusion selon laquelle l’utilisation des éléments de preuve n’est pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice — fera rarement pencher la balance en faveur de l’utilisation des éléments de preuve lorsque les deux premières questions, considérées ensemble, militent fortement en faveur de l’exclusion[41].

2.2   L’analyse

[119]       L’illégalité de l’arrestation emporte l’illégalité de la fouille qui était, en l’espèce, accessoire. Aucune autorisation judiciaire n’a été demandée par les policiers pour fouiller le véhicule et considérant la conclusion du Tribunal sur la faiblesse des motifs évoqués au soutien de l’arrestation du Requérant, il va sans dire que le fardeau, afin qu’un mandat de perquisition soit obtenu, n’est pas non plus rempli. Cela signifie que la fouille du véhicule est également contraire aux droits garantis par la Charte.

[120]       Le Tribunal a déjà statué que la conduite du policier ayant fait les constatations à la base de l’arrestation et transmises à ses collègues étaient trop parcellaires et ne remplissaient pas le seuil requis afin de justifier l’arrestation et ce qui s’en est suivi. Ces constatations, qui pouvaient paraître logiques et plausibles à l’écoute du témoignage du Sergent Hamelin, prennent un tout autre sens à la suite du visionnement d’une caméra installée à la station-service Petro-Canada et déposée en preuve.

[121]       Cette capture des événements scelle le sort de l’analyse et convainc le Tribunal que, sans être de mauvaise foi, le policier a agi trop rapidement et a pris à la légère l’exercice des pouvoirs d’arrestation que sa fonction lui accorde. Ses intentions étaient peut-être louables mais ne peuvent constituer une excuse, particulièrement pour un policier ayant 30 ans d’expérience sur le terrain. Force est de constater que les années d’expérience sont parfois un couteau à double tranchant. Il est possible qu’à force de côtoyer des gens criminalisés et/ou armés, certains policiers d’expérience en viennent à oublier que la Charte s’applique à tous les citoyens et ce, de manière égale.

[122]       Écarter la mauvaise foi ne suffit pas, cependant, à amenuiser la gravité de la conduite attentatoire de l’État et à sauver la donne. On s’attend à plus des policiers et particulièrement de ceux qui ont l’expérience et la capacité de faire les choses dans les règles de l’art. 

[123]       Il ne suffit pas d’avoir suivi une formation ou d’utiliser certains mots clés pour que l’exercice de son pouvoir d’arrestation soit légal et soit avalisé par le Tribunal. Il faut des faits concrets, ancrés dans la réalité, des observations précises et fiables, un contexte particulier permettant d’inférer la commission d’un crime, des circonstances spécifiques justifiant une décision rapide mais adéquate.

[124]       Le Tribunal réitère que le visionnement des images captant l’événement a beaucoup pesé dans la balance et a jeté un froid sur le travail, la fiabilité et la crédibilité du Sergent Hamelin. Il est tout à l’honneur du Poursuivant de ne pas avoir fait visionner à son témoin l’extrait de la caméra au cœur de l’appréciation du Tribunal. Reste que le Tribunal ne peut mettre de côté l’impression de leurre qui l’habite.

[125]       C’est pour ces raisons que l’analyse du 1er facteur, soit la conduite attentatoire de l’État, milite en faveur de l’exclusion.

[126]        En l’espèce, le Tribunal ne peut cautionner le type de comportement démontré par le Sergent Hamelin. Un citoyen se trouvant de bon droit sur un terrain public, affairé à une tâche ordinaire comme mettre de l’essence, à un moment matinal mais anodin, a le droit de s’attendre à ne pas être «’importuné » par l’État. Interférer avec la libre circulation d’un citoyen de cette manière permet de conclure de manière inéluctable a une incidence importante sur la violation des droits du Requérant. De plus, les faits entendus lors du voir-dire ne laisse entrevoir aucune possibilité de découvrir cette preuve sans la violation des droits du Requérant.

[127]       Ainsi, l’analyse de l’impact de la violation sur le droit du Requérant à ne pas être détenu illégalement, milite également pour l’exclusion.

[128]       Sur l’intérêt de la société à ce que l'affaire soit jugée au fond, le Tribunal ne peut que réitérer à quel point les crimes reprochés au Requérant sont graves. Le caractère hautement nuisible du trafic des drogues et la prolifération des armes à feu dans la grande région montréalaise ont souvent été soulignés par les tribunaux et il s’agit d’une preuve matérielle sans laquelle un acquittement résultera. Toutefois, la découverte d’une preuve matérielle à la suite d’une arrestation sur la base de soupçons est souvent un facteur présent dans ce type de fouille et cet aspect ne peut pas devenir dans tous les cas un obstacle à l'exclusion de la preuve. La protection de l'intégrité du système judiciaire est au cœur de l’analyse et il faut considérer le discrédit à long terme qu'entraînerait la tolérance des violations.

[129]       Il ne faut pas traiter à la légère la perception des policiers. Ceux-ci sont formés pour détecter le crime, mais à la nécessité de protéger la société s’oppose une autre nécessité fondamentale, soit celle de protéger la société contre les abus policiers. Pour atteindre un équilibre raisonnable entre les droits individuels fondamentaux et la protection de la société, la Cour suprême a mis en place une norme souple pour déterminer dans quel contexte la croyance subjective d’un policier selon laquelle il a le droit de faire une arrestation sera avalisée par les tribunaux[42].

[130]       Le Tribunal fait face à une situation où un policier expérimenté a failli à sa tâche d’exercer ses pouvoirs d’arrestation de manière adéquate et dans le respect des garanties qu’offre la Charte à tous les citoyens quels qu’ils soient. Le Tribunal doit se dissocier de la conduite du Sergent Hamelin en excluant la preuve, et ce même si cela mettra fin à l’affaire au fond. Le Tribunal est convaincu qu’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances et qui aurait visionné les images captées de l’événement en viendrait à la conclusion que l’admission de l’arme et des stupéfiants déconsidérerait l’administration de la justice.

[131]       Ainsi, le Tribunal n’a ainsi d’autre choix que d’exclure de la preuve le pistolet semi-automatique Polymer 80, ainsi que les 4 grammes de cocaïne.

 

3. Allégations de violations supplémentaires

[132]       Le Requérant, comme c’est maintenant la norme dans ce type de requêtes, ne se contente pas d’alléguer une violation mais invoque des violations successives, une cascade de conduites attentatoires et ce, afin de convaincre le Tribunal d’exclure la preuve.

[133]       Tel qu’expliqué dans les rubriques précédentes, l’arrestation sans mandat pour insuffisance de motifs justifie à elle seule l’exclusion de la preuve. Le Tribunal a tout de même décidé de considérer sommairement les autres allégations de violations par considération pour l’importance des accusations en cause.

[134]       Le Tribunal considère que les circonstances de cette affaire ne révèlent de prime abord aucune violation au droit du Requérant à l’assistance de l’avocat de son choix, en temps opportun et de manière adéquate[43]. Le délai encouru entre l’arrestation et la détention du Requérant et l’opportunité pour lui dexercer son droit est relativement court et s’explique par l’intervention à haut risque, la présence d’un 2e occupant dans le véhicule, la gravité des accusations et la volonté des policiers de préserver la preuve. Les policiers doivent prendre le temps d’accomplir leur travail correctement et c’est ce qu’ils ont, à cet égard, fait.

[135]       Quant à la violation alléguée au droit au silence. Les policiers se doivent de ne pas tenter de soutirer de la preuve d’une personne détenue avant que cette dernière ait eu l’occasion d’exercer ses droits. Il n’est cependant pas contredit que la sécurité des policiers et du public est un enjeu primordial et ce, particulièrement en matière d’armes à feu.

[136]       Toute question posée à un détenu dans un but de protection doit être limitée aux objectifs étroits pour lesquels ce pouvoir existe. Ce ne sont que les questions motivées uniquement par des préoccupations de sécurité qui sont admissibles[44]. Cependant, considérant que le Poursuivant a pris la position de ne pas utiliser cette déclaration et que la question était circonscrite à des objectifs de sécurité, le Tribunal considère que si violation il y a, elle est de nature technique et n’a pas d’impact sur l’exclusion de la preuve.

 

 

 

 V.  CONCLUSIONS

[137]       Considérant les conclusions du Tribunal sur l’effet de la violation constatée aux articles 9 et 8 de la Charte, il n’appartient pas nécessaire au Tribunal de s’étendre de manière plus poussée sur les autres violations alléguées et sur leur incidence.

[138]       Le Tribunal réitère l’importance de la lutte aux armes à feu mais souligne que les citoyens, quels qu’ils soient, sont en droit de s’attendre à ce que les pouvoirs exercés par les policiers le soient de manière impeccable.

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE la requête en exclusion de la preuve ;

DÉCLARE inadmissibles en preuve l’arme et les stupéfiants saisis.

 

 

 

 

 

__________________________________

NADIA BÉRUBÉ, J.C.Q.

 

 

 

 

Me Khalid Alguima

Directeur des poursuites criminelles et pénales

Procureur du Poursuivant-Intimé

 

Me Alexandre Garel

Avocat de l’Accusé-Requérant

 

 

Date d’audience :

21 mai 2024

 

 

 


[1]  Leventis c. R, 2022 QCCA 291, paragr. 20 qui cite R. c. Storrey, 1990 CanLII 125 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 241.

[2]  R. c. Beaver, 2022 CSC 54, paragr. 71.

[3]  R. c. Beaver, 2022 CSC 54.

[4]  R. c. Storrey, 1990 CanLII 125 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 241, p. 250251; R. c. Latimer, 1997. CanLII 405 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 217, paragr. 26; R. c. Tim, 2022 CSC 12, paragr. 24.

[5]  R. c. Shepherd, 2009 CSC 35, [2009] 2 R.C.S. 527, paragr. 17.

[6]  Précité note 4, p. 251; R. c. Latimer, 1997 CanLII 405 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 217, paragr. 27; R. c. Tim, 2022 CSC 12, paragr. 38.

[7]  R. c. G.F., 2021 CSC 20, paragr. 81; R. c. Beaudry, 2007 CSC 5, [2007] 1 R.C.S. 190, paragr. 4.

[8]  R. c. Storrey, 1990 CanLII 125 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 241, p. 250251; R. c. Latimer, paragr. 26; R. c. Tim, par. 24; R. c. Lafrance, 2017 QCCA 768, paragr 12.             

[9]  R. c. MacKenzie, 2013 CSC 50, [2013] 3 R.C.S. 250, paragr. 6465.

[10]  R. c. Chehil, 2013 CSC 49, [2013] 3 R.C.S. 220, paragr. 45 et 47; R. c. MacKenzie, 2013 CSC 50, [2013] 3 R.C.S. 250, paragr. 63.

[11]  R. c. Chehil, 2013 CSC 49, paragr. 47.

[12]  R. c. Golub, 1997 CanLII 6316 (ON CA), 34 OR (3d) 743 (C.A.), p. 750, juge Doherty.

[13]  R. c. Canary, 2018 ON CA 304, 361 C.C.C. (3d) 63, paragr. 22, la juge Fairburn (maintenant juge en chef adjointe de l’Ontario), citant l’arrêt MacKenzie, paragr. 73.

[14]  R. c. Chehil, 2013 CSC 49, paragr. 27; R. c. Debot, 1989 CanLII 13 (CSC), [1989] 2 R.C.S. 1140, p. 1166.

[15]  R. c. Storrey, 1990 CanLII 125 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 241, p. 251; R. c. Shepherd, 2009 CSC 35, [2009] 2 R.C.S. 527, paragr. 23; R. c. Tim, 2022 CSC 12, paragr. 24; R. c. Lafrance, 2017 QCCA 768, paragr 12.

[16]  Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100, paragr. 114; voir aussi R. c. Henareh, 2017 BCCA 7, paragr. 39 (CanLII); R. c. Loewen, 2010 ABCA 255, 490 A.R. 72, paragr. 18

[17]  R. c. MacKenzie, 2013 CSC 50, paragr. 74; R. c. Debot, 1989 CanLII 13 (CSC) p. 1166.

[18]  Mugesera, paragr. 114; R. c. Al Askari, 2021 ABCA 204, 28 Alta. L.R. (7th) 129, paragr. 25; R. c. Omeasoo, 2019 MBCA 43, [2019] 6 W.W.R. 280, paragr. 30; R. c. Summers, 2019 NLCA 11, 4 C.A.N.L.R. 156, paragr. 21.

[19]  R. c. Chehil, 2013 CSC 49, [2013] 3 R.C.S. 220, paragr. 34; R. c. Shepherd, 2009 CSC 35, [2009] 2 R.C.S. 527, paragr. 23; R. c. Ha, 2018 ABCA 233, 71 Alta. L.R. (6th) 46, paragr. 34; R. c. MacCannell, 2014 BCCA 254, 359 B.C.A.C. 1, paragr. 4445; R. c. Rezansoff, 2014 SKCA 80, 442 Sask. R. 1, paragr. 28; E. G. Ewaschuk, Criminal Pleadings & Practice in Canada (3e éd. (feuilles mobiles)), § 5:40

[20]  R. c. Biron, 1975 CanLII 13 (CSC), [1976] 2 R.C.S. 56, p. 72; R. c. Brayton, 2021 ABCA 316, 33 Alta. L.R. (7th) 241, paragr. 43; R. c. Ha, 2018 ABCA 233, paragr. 2023; R. c. Montgomery, 2009 BCCA 41, 265 B.C.A.C. 284, paragr. 27; Ewaschuk, § 5:40.

[21]  Debot, 1989 CanLII 13 (CSC), [1989] 2 R.C.S. 1140, p. 1166 et 1167.

[22]  R. c. Shepherd,  2009 CSC 35, paragr. 16.

[23]  R. c. Beaver, 2022 CSC 54, paragr. 94 voir R. c. Plaha (2004), 2004 CanLII 21043 (ON CA), 189 O.A.C. 376, paragr. 44, le juge Doherty, qui a créé cette expression; R. c. Strachan, 1988 CanLII 25 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 980, p. 1000; R. c. Tim, 2022 CSC 12, paragr. 74; R. c. McSweeney, 2020 ONCA 2, 451 C.R.R. (2d) 357, paragr. 57; R. c. Lauriente, 2010 BCCA 72, 283 B.C.A.C. 215, paragr. 35; S. C. Hill, D. M. Tanovich et L. P. Strezos, McWilliams’ Canadian Criminal Evidence (5e éd. (feuilles mobiles), § 19:22.

[24]  R. c. Grant, 2009 CSC 32 (CanLII), [2009] 2 R.C.S. 353; R. c. Beaver, 2022 CSC 54, paragr. 116.

[25]  R. c. Grant, 2009 CSC 32 (CanLII), paragr. 71; R. c. Le, 2019 CSC 34, [2019] 2 R.C.S. 692, paragr. 139142; R. c. Tim, 2022 CSC 12, paragr. 74;  R. c. Lafrance, 2022 CSC 32, paragr. 90.

[26]  R. c. Collins, 1987 CanLII 84 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 265, p. 280; R. c. Tim, 2022 CSC 12, paragr. 75.

[27]  R. c. Grant, 2009 CSC 32 (CanLII) paragr. 86 et 140; R. c. Harrison, 2009 CSC 34, [2009] 2 R.C.S.  494, paragr. 36; R. c. Tim, 2022 CSC 12, paragr. 98.   R. c. Beaver, 2022 CSC 54, paragr. 117; Cormier c. R, 2021 QCCA 620 paragr. 13

[28]  R. c. Beaver, 2022 CSC 54, paragr. 120; R. c. Grant, 2009 CSC 32 (CanLII) paragr. 7274; R. c. Le, 2019 CSC 34, [2019] 2 R.C.S. 692, paragr. 143; R. c. Côté, 2011 CSC 46, [2011] 3 R.C.S. 215, paragr. 47; R. c. Tim, 2022 CSC 12, paragr. 82; R. c. Lafrance, 2022 CSC 32, paragr. 93.

[29]  R. c. Makhoulian, décision du Juge Serge Cimon du 3 juin 2024 (540-01-096812-204).

[30]  R. c. Grant, 2009 CSC 32 (CanLII) paragr. 76.

[31]  R. c. Grant, 2009 CSC 32 (CanLII) paragr. 7677; R. c. Le, 2019 CSC 34, [2019] 2 R.C.S. 692, paragr. 151; R. c. Tim, 2022 CSC 12, paragr. 90; R. c. Lafrance, 2022 CSC 32, paragr. 96; R. c. Beaver, 2022 CSC 54, paragr. 123.      

[32]  R. c. Grant, 2009 CSC 32 (CanLII), paragr. 76.

[33]  R. c. Grant, 2009 CSC 32 (CanLII), paragr. 7984; R. c. Harrison, 2009 CSC 34, paragr. 33; R. c. Côté, 2011 CSC 46, [2011] 3 R.C.S. 215, paragr. 47; R. c. Paterson, 2017 CSC 15, paragr. 5152.    R. c. Beaver, 2022 CSC 54, paragr. 88.

[34]  R. c. Grant, 2009 CSC 32 (CanLII).

[35]  Cormier c. R., 2021 QCCA 620, paragr. 24 citant R. v. McGuffie, 2016 ONCA 365, paragr. 62-63, citée avec approbation dans R. c. Paterson, 2017 CSC 15  et  R. c. Le, 2019 CSC 34. Voir aussi R. c. Stevens, 2016 QCCA 1707.

[36]   R. c. Grant, 2009 CSC 32 (CanLII).

[37]  Cormier c. R., 2021 QCCA 620, paragr. 25.

[38]  R. c. Grant, 2009 CSC 32 (CanLII), paragr. 6970 et 8586; R. c. Le, 2019 CSC 34, [2019] 2 R.C.S. 692, paragr. 139; R. c. Tim, 2022 CSC 12, paragr. 98. R. c. Beaver, 2022 CSC 54, paragr.133.

[39]  R. c. Le, 2019 CSC 34, [2019] 2 R.C.S. 692, paragr. 141.

[40]  R. c. Le, 2019 CSC 34, [2019] 2 R.C.S. 692.

[41]  R. c. Le, 2019 CSC 34, [2019] 2 R.C.S. 692, paragr. 142; R. c. Paterson, 2017 CSC 15, [2017] 1 R.C.S. 202, paragr. 56; R. c. Lafrance 2022 CSC 32 paragr. 90.

 

[42]  R. c. Fadel, 2015 QCCA 1233, paragr. 27 et 41 qui cite Storrey p. 249 à 251.

[43]    R. c. Brunelle, 2021 QCCA 1317, paragr. 64 à 67 et 76-77

[44]  R. v. Patrick, 2017 BCCA 57, paragr. 94 à 101 et 102 (demande d’autorisation d’appel rejetée, C.S.C., 2017-10-02, 37514).

 

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