Décision

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Laviolette et Fabspec inc.

2022 QCTAT 4525

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division de la santé et de la sécurité du travail)

 

 

Région :

Yamaska

 

Dossier :

1229306-62B-2105

Dossier CNESST :

509989166

 

 

 

Saint-Hyacinthe,

le 6 octobre 2022

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA JUGE ADMINISTRATIVE :

Josée Picard

______________________________________________________________________

 

 

 

Chantal Laviolette

 

Partie demanderesse 

 

 

 

et

 

 

 

Fabspec inc.

 

Partie mise en cause

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

L’APERÇU

 

[1]                Madame Chantal Laviolette est embauchée chez Fabspec inc. en mai 2018. En 2019, elle est déclarée admissible au retrait préventif de la travailleuse enceinte. Le 1er juin 2020, elle accouche de son enfant et décide de l’allaiter.

[2]                Quelques semaines avant la fin de son congé parental à la mi-avril 2021, à l’approche de son retour au travail, la travailleuse remplit un Certificat visant le retrait préventif et l’affectation de la travailleuse enceinte ou qui allaite, le certificat, puisqu’elle désire poursuivre son allaitement, mais considère que ses conditions de travail comportent des dangers pour son enfant allaité.

[3]                La Commission rend une décision et informe la travailleuse qu’elle n’est pas admissible au programme Pour une maternité sans danger pendant son allaitement. Se basant sur les informations obtenues de l’employeur, l’organisme considère que ses conditions de travail ne comportent pas de danger pour son enfant allaité[1].

[4]                La travailleuse conteste cette décision. Elle estime que les conditions d’ouverture pour avoir droit au retrait préventif prévu à la Loi sur la santé et la sécurité du travail[2], la Loi, sont remplies. Elle soutient qu’elle était disponible pour une affectation et que son travail comporte des dangers de nature chimique pouvant affecter la santé de son enfant allaité. Elle cible spécifiquement ceux découlant de l’inhalation de propane, de fumées de soudage et d’émanations provenant de deux machines[3]. Comme l’employeur ne lui a pas offert d’affectation à des tâches exemptes de ces dangers, elle considère avoir droit à l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 19 avril 2021.

[5]                Quant à l’employeur, il prétend que la travailleuse n’a pas démontré qu’elle était disponible pour une affectation en avril 2021. De plus, il considère que le certificat rempli par la docteure Parent-Vachon n’est pas conforme à la Loi puisqu’il identifie uniquement des risques et non des dangers. Finalement, il est d’avis que la travailleuse n’est pas exposée à des fumées, des émanations ou du propane exposant son enfant allaité à un danger dans le cadre de son travail.

[6]                Pour les motifs qui suivent, le Tribunal considère que la travailleuse a droit au retrait préventif de la travailleuse qui allaite prévu à la Loi, et ce, à partir du 19 avril 2021.

L’ANALYSE

 

[7]                La Loi prévoit à son article 46 qu’une travailleuse qui fournit à son employeur un certificat attestant que les conditions de son travail comportent des dangers pour l’enfant qu’elle allaite peut demander d’être affectée à des tâches ne comportant pas de tels dangers et qu’elle est raisonnablement en mesure d’accomplir. Si cette affectation n’est pas possible, la travailleuse peut cesser de travailler jusqu’à ce qu’une affectation soit offerte par l’employeur ou jusqu’à la fin de l’allaitement et obtenir de la Commission le versement d’une indemnité de remplacement du revenu[4].

[8]                Ainsi, pour prétendre être admissible à ce programme Pour une maternité sans danger de la Commission, chacune des conditions suivantes doit être démontrée de façon prépondérante par la travailleuse :

  • Elle est une travailleuse au sens de l’article 1 de la Loi;
  • Elle allaite son enfant;
  • Elle est médicalement apte au travail;
  • Elle a remis à son employeur un certificat médical conforme à la Loi et au Règlement sur le certificat délivré pour le retrait préventif et l’affectation de la travailleuse enceinte ou qui allaite;
  • Le certificat identifie un danger pour l’enfant allaité;
  • Elle est disponible pour une affectation.

[9]                Dans le présent dossier, le fait que la travailleuse allaite son enfant et qu’elle est médicalement apte à travailler n’est pas remis en cause. Il en est de même quant à son statut de « travailleur » au sens de la Loi et le fait qu’elle a bien remis le certificat à son employeur.

[10]           Ainsi, aux fins de rendre sa décision, le Tribunal doit répondre aux questions suivantes :

  • Le certificat médical remis à l’employeur est-il conforme à la Loi et au Règlement?
  • Est-ce que la travailleuse était disponible pour une affectation en avril 2021?
  • Existe-t-il un danger pour l’enfant allaité?

Le certificat médical remis à l’employeur est-il conforme à la Loi et au Règlement?

[11]           L’employeur soumet que le certificat remis par la travailleuse n’est pas conforme puisqu’il identifie uniquement des risques pour l’enfant allaité alors que la Loi exige plutôt l’énoncé des dangers. Au soutien de sa prétention, il réfère à la section D du certificat où la docteure Parent-Vachon s’exprime ainsi : « Je crois qu’il y a une possibilité de risque pour l’allaitement en lien avec les émanations gazeuses au travail ».

[12]           Le Tribunal ne partage pas cette position.

[13]           Selon l’article 46 de la Loi, le certificat doit effectivement attester que les conditions de travail de la travailleuse comportent des dangers pour l’enfant que la travailleuse  allaite. Or, malgré le mot « risque » employé par la docteure Parent-Vachon à la section D du certificat, elle coche la case « J’atteste que les conditions de travail de la travailleuse comportent des dangers physiques pour elle-même à cause de son état de grossesse, ou pour l’enfant à naître ou allaité » à la section E – Attestation. De plus, à la section où le médecin peut faire des suggestions à l’employeur pour faciliter l’affectation, elle inscrit que la travailleuse ne doit pas être exposée à des substances potentiellement toxiques dans une zone de soudure, tels le chrome, le nickel, le plomb et le manganèse. Au surplus, le Tribunal considère que l’utilisation par la docteure Parent-Vachon du terme « risque » plutôt que « danger » ne peut faire perdre un droit à la travailleuse, le médecin n’étant probablement pas au fait de la portée juridique de ces termes. Face à ces éléments, le Tribunal considère, contrairement à l’employeur, que le certificat contient une attestation que les conditions de travail de la travailleuse comportent des dangers pour l’enfant qu’elle allaite.

[14]           Pour le reste, la forme et la teneur du certificat remis à l’employeur sont conformes au formulaire prévu à l’annexe I du Règlement sur le certificat délivré pour le retrait préventif et l’affectation de la travailleuse enceinte ou qui allaite[5]. Aussi, la docteure Parent-Vachon y mentionne qu’elle a bien consulté le rapport du médecin désigné par le directeur de la santé publique de la région dans laquelle se trouve l’établissement de l’employeur, la docteure Fortin, le tout conformément à l’alinéa 3 de l’article 33 de la Loi. Conséquemment, le Tribunal conclut que le certificat remis à l’employeur est conforme à la Loi.

Est-ce que la travailleuse était disponible pour une affectation en avril 2021?

[15]           À l’audience, la travailleuse affirme qu’elle était disponible pour exercer des tâches exemptes de danger pour son enfant allaité dès le 17 avril 2021, soit le lendemain de la fin de ses prestations versées en vertu du Régime québécois d’assurance parentale, alors que l’employeur soutient le contraire.

[16]           Après analyse, le Tribunal conclut que la travailleuse était disponible pour être affectée à des tâches ne comportant pas de danger pour son enfant allaité à partir du 19 avril 2021. Voici pourquoi.

[17]           Tout d’abord, concernant la date retenue par le Tribunal, il s’agit de celle où une place dans une garderie a été offerte à la travailleuse pour son enfant allaité. Cet élément est établi par un document déposé par la travailleuse, signée par la directrice de la garderie en question, déclarant que le « 19 avril 2021, une place s’est libérée dans notre pouponnière » et « nous avons offert à Madame Laviolette une place pour son garçon […] ».

[18]           L’employeur considère que cet élément de preuve doit être rejeté puisqu’il a été rédigé après l’audience, soit le 29 juin 2022. Sa valeur probante serait entachée en raison du délai entre les faits pertinents et la rédaction du document. Le Tribunal ne retient pas cet argument. En effet, à l’époque pertinente, la travailleuse n’avait aucun intérêt à requérir la rédaction de ce document auprès de la directrice de la garderie. C’est seulement dans le cadre du présent litige que cette information devenait pertinente.

[19]           L’employeur avance également que cet élément de preuve constitue du « self service evidence ». Cette règle ne trouve cependant pas application en l’espèce. En effet, celle-ci vise à éviter des situations où une personne fabrique une preuve servant à appuyer ses prétentions. Ce n’est cependant pas le cas en l’espèce. Rien ne démontre que le document n’a pas été rédigé et signé par la directrice de la garderie, une personne qui, au surplus, est totalement étrangère au présent dossier et n’y a aucun intérêt.

[20]           L’employeur considère également que ce document entache la crédibilité de la travailleuse puisqu’elle aurait affirmé à l’audience sous serment que son enfant avait une place en garderie le 17 avril 2021 et non, le 19 avril 2021. Le Tribunal ne retient pas cette position de l’employeur.

[21]           La travailleuse a plutôt témoigné que son retrait préventif devait débuter le 17 avril 2021 puisque ses prestations versées en vertu du Régime québécois d’assurance parentale ont pris fin le 16 avril 2021. Ceci dit, même si la travailleuse avait confirmé à l’audience que sa place en garderie était effective à partir du 17 avril 2021, il y aurait eu lieu de conclure à une simple erreur de sa part. En effet, celle-ci ne pouvait être attendue au travail le 17 avril 2021, comme la place en garderie ne pouvait se libérer à cette date, puisqu’il s’agit d’un samedi. Or, les semaines de travail chez l’employeur s’étalent du lundi au vendredi[6]. Ainsi, la date du 17 avril 2021 a été nommée à l’audience uniquement parce qu’il s’agit de la date où la travailleuse se retrouvait sans revenu[7].

[22]           Ainsi, le Tribunal considère que la travailleuse était disponible pour une réaffectation à des tâches exemptes de danger pour son enfant allaité dès le 19 avril 2021, date où elle pouvait laisser son enfant à la garderie et se présenter au travail.

[23]           À ce stade-ci, le Tribunal rappelle que le droit prévu à l’article 46 de la Loi n’équivaut pas à un droit pour la travailleuse de cesser de travailler et de recevoir des indemnités lorsqu’elle est en présence de dangers pour son enfant allaité au travail. Il s’agit plutôt du droit de demander à être affectée à d’autres tâches, au choix de l’employeur, exemptes de ces dangers. Ce n’est donc que dans la situation où l’employeur n’offre aucune réaffectation que la travailleuse peut cesser de travailler et réclamer des indemnités à la Commission, et ce, jusqu’à ce qu’une réaffectation ait lieu ou jusqu’à la fin de l’allaitement[8].

[24]           Ainsi, lorsque la travailleuse remet le certificat à son employeur le 1er mars 2021[9], elle lui réclame, d’avance et implicitement[10], une affectation le 19 avril suivant à des tâches où les dangers qui y sont identifiés sont absents. L’employeur argue que la travailleuse n’a pas manifesté son intérêt ou son intention d’être réaffectée lorsqu’elle a discuté avec le directeur d’usine le 9 mars 2021, se limitant à l’informer qu’elle ne pourrait revenir au travail en raison de son allaitement, son enfant n’étant pas encore sevré.

[25]           Or, dès la remise du certificat par la travailleuse, il appartenait à l’employeur de lui offrir concrètement une affectation sans danger pour son enfant allaité. En effet, comme le mentionne la Commission des lésions professionnelles dans la décision Diotte et Le Bistro-Plus[11], « la remise du certificat visant le retrait préventif à l’employeur comporte en soi une demande de la part de la travailleuse d'être affectée à des tâches ne comportant pas les dangers identifiés au certificat ». Dans l’affaire Agence Pichette et Jeanty[12], la Commission des lésions professionnelles se prononce d’ailleurs sur les caractéristiques que doit revêtir cette offre d’affectation et mentionne :

[39] Une offre d’affectation doit être claire et non équivoque. La travailleuse doit pouvoir connaître le travail qu’elle aura à effectuer et à quel moment elle devra se rendre au travail. […].

 

[40] En l’espèce, la preuve ne permet pas au tribunal de reconnaître qu’une affectation avait été faite et signifiée clairement à la travailleuse après le second certificat.  La travailleuse avait donc droit dans ce contexte à l’indemnité de remplacement du revenu3.  Et ce, même si l’employeur a démontré de l’ouverture dans le choix d’une assignation raisonnable et qui pouvait limiter les déplacements.  Cette intention aurait dû se traduire par une affectation concrète.

[26]           Or, dans le présent dossier, aucune affectation n’a été proposée à la travailleuse. Elle n’a reçu aucun appel de la part de l’employeur après que le certificat lui ait été remis le 1er mars 2021. Lorsqu’elle a contacté son directeur d’usine le 9 mars 2021, il n’y a eu aucun échange à ce sujet. Le 29 avril 2021, le président déclare à l’agente de la Commission que la travailleuse « ne sera ni en affectation, ni en retrait préventif ».

[27]           Force est de constater que l’employeur n’a pas envisagé affecter la travailleuse à d’autres tâches lors de son retour au travail prévu le 19 avril 2021 apparemment parce qu’il considérait qu’il n’existait aucun danger pour l’enfant allaité sur ses lieux de travail. Toutefois, peu importe la raison à l’origine de sa décision, il demeure qu’il a fait le choix de n’offrir aucune affectation à la travailleuse.

[28]           L’employeur est d’avis que la travailleuse n’était pas disponible pour une affectation puisque la seule raison qui justifiait son refus de retourner au travail résidait dans l’allaitement de son enfant, et ce, plusieurs fois par jour.

[29]           Ce n’est pas ce que le Tribunal retient du témoignage probant de la travailleuse. Celle-ci a plutôt répété que la raison pour laquelle elle n’est pas retournée au travail est qu’elle allaitait et qu’il y avait un danger pour son enfant allaité si elle se présentait à son poste de travail. C’est plutôt le cumul des deux raisons qui expliquait son refus à retourner à son emploi. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle a décliné la place offerte pour son enfant à la garderie.

[30]           Au surplus, tout comme dans la décision Dufour et Marianne Phaneuf & Michel Lavoie[13], le Tribunal considère qu’il devient théorique de se questionner sur un possible refus de la travailleuse si une affectation avait effectivement été offerte :

[35] La question de savoir si la travailleuse aurait ou non accepté une affectation devient alors théorique puisque l’employeur n’a pas démontré avoir offert une telle affectation. Avant d’arrêter le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à une certaine date, le Tribunal considère qu’il aurait fallu que l’employeur offre à la travailleuse un retour au travail en affectation, ce qui n’a pas été fait. Une simple déclaration de la travailleuse à son agente de la Commission voulant qu’elle ne désire pas retourner travailler chez cet employeur ne fait pas en sorte de briser le lien d’emploi. La travailleuse n’a jamais fait part à son employeur de son intention de démissionner, si tel avait été le cas. Il n’y a donc pas de bris du lien d’emploi.

 

[36] Par ailleurs, il n’y a pas eu d’offre réelle d’affectation de la part de l’employeur et ensuite un refus de la travailleuse à cette offre.

 

[31]           Finalement, l’employeur attire l’attention du Tribunal sur les informations fournies par la travailleuse dans un document qu’elle a transmis à la Commission le 6 mai 2021. À son avis, elles démontrent qu’elle n’était pas disponible pour une affectation. Il réfère notamment à la question répondue négativement par la travailleuse « Actuellement, êtesvous disponible pour une affectation? » et où elle précise que la « date prévue de disponibilité pour une affectation » est le 30 août 2021.

[32]           Le Tribunal estime que ces réponses doivent être lues en fonction de la compréhension de la travailleuse quant aux deux questions posées. En effet, elle témoigne qu’elle n’était pas « disponible » à ce moment pour retourner au travail puisqu’il existait toujours des dangers pour son enfant allaité sur les lieux de travail. Quant à la date avancée de « disponibilité » du 30 août 2021, elle explique qu’elle avait espoir que son enfant soit en mesure d’être sevré d’ici l’automne 2021 et que la prochaine rentrée scolaire allait lui permettre d’obtenir une place en garderie pour lui. Elle allait donc, selon ses prévisions, cesser son allaitement à la fin août 2021, permettant un retour au travail à son poste habituel.

[33]           Conséquemment, les réponses données par la travailleuse sur ce formulaire ne changent pas la réelle disponibilité de la travailleuse pour une affectation chez son employeur le lundi 19 avril 2021, considérant qu’elle avait une place en garderie pour son enfant allaité et pouvait donc se libérer pour se rendre chez son employeur.

Existe-t-il un danger pour l’enfant allaité?

[34]           La travailleuse prétend qu’il existe un danger de nature chimique pour son enfant allaité lorsqu’elle effectue son travail chez son employeur. Ce danger correspond à une atteinte à la santé de son enfant par l’ingestion de son lait maternel, contaminé par des substances chimiques inhalées sur ses lieux de travail. Ces substances sont : du propane, les fumées de soudage présentes dans l’usine et les émanations provenant de la table à brûler ou de la machine à couper les plaques d’acier.

[35]           L’employeur, quant à lui, soumet qu’aucun danger, de quelque nature que ce soit, n’a été établi par la travailleuse, la preuve ne démontrant que des appréhensions de sa part. Plus précisément, il affirme notamment que la travailleuse n’effectue aucune activité de soudage et qu’elle ne se situe pas à l’intérieur de zones où s’effectuent de telles activités. Il soumet au surplus que la contamination du lait maternel par les substances ciblées par la travailleuse n’a pas été démontrée.

[36]           Après analyse de la preuve présentée, le Tribunal conclut qu’il a été démontré, de façon prépondérante, l’existence d’un seul danger, soit celui de la contamination du lait maternel de la travailleuse par l’inhalation de fumées de soudage. Voici pourquoi.

[37]           Le Tribunal rappelle qu’un banc de trois commissaires a précisé en quoi consiste le fardeau de preuve qui incombe à la travailleuse enceinte qui veut se voir reconnaître le droit à une réaffectation ou à un retrait préventif de son emploi en vertu de la Loi dans l’affaire Centre hospitalier de St.Mary et Iracani[14] :

[91] Cela étant, la question à laquelle le présent tribunal doit maintenant répondre est de savoir à partir de quel moment les « risques » présents dans un milieu de travail deviennent un « danger » pour la travailleuse ou pour l’enfant à naître.

 

[92] La Commission des lésions professionnelles conclut que pour constituer un « danger », les risques doivent être réels. Un risque virtuel, une crainte ou une inquiétude n’est pas suffisant pour conclure à un « danger ». La preuve doit démontrer que le risque est réel, que malgré tous les efforts faits pour le contrôler ou l’éliminer, il demeure présent et peut entraîner des conséquences néfastes pour la travailleuse enceinte ou pour l’enfant à naître. Enfin, pour qu’il constitue un « danger physique » au sens de l’article 40 de la LSST, ce risque doit présenter une probabilité de concrétisation qui est non négligeable.

 

[93] Chaque cas est un cas d’espèce et doit faire l’objet d’une évaluation. La nature des risques, la probabilité de concrétisation des risques identifiés dans le milieu de travail et la gravité des conséquences sont les éléments déterminants pour décider si les conditions de travail comportent des « dangers physiques » pour la travailleuse enceinte ou pour l’enfant à naître.

[38]           La jurisprudence constante du Tribunal applique ces mêmes critères à la travailleuse qui allaite[15].

[39]           La Commission des lésions professionnelles rappelle toutefois que le risque zéro n’est pas l’objectif recherché par la Loi :

[87] Le tribunal en vient également à la conclusion qu’il ne faut pas interpréter l’article 40 de la loi comme signifiant qu’aucun risque ne doit être présent. L’exigence d’une preuve de « risque zéro» viderait de son sens l’article 40. Le droit prévu à l’article 40 est celui de demander d’être affecté à des tâches ne comportant pas de « dangers » pour la travailleuse enceinte ou l’enfant à naître. Si l’on interprétait la notion de « danger » comme signifiant qu’aucun risque ne devrait être présent, il deviendrait impossible de réaffecter la travailleuse. Elle devrait tout simplement cesser de travailler pendant toute la durée de sa grossesse. Pourtant, le tribunal a depuis longtemps reconnu que «d’indemniser une travailleuse lorsqu’il y a absence de danger serait contraire au but du droit au retrait préventif»24.

[Note omise et transcription textuelle]

[40]           Il est également établi que le fardeau de preuve imposé à la travailleuse est analysé en fonction de la prépondérance de la preuve. Toutefois, il y a lieu de préciser que dans le cas où le médecin désigné par le directeur de la santé publique confirme les dangers identifiés par le médecin de la travailleuse, ceux-ci sont considérés comme avérés et il appartient alors à l’employeur d’établir leur inexistence de façon prépondérante. Ce principe est notamment établi dans l’affaire Bertrand et Laval Volkswagen ltée[16] :

[19] Il est bien établi que si le médecin consulté confirme les dangers, le certificat revêt une valeur déterminante quant à sa force probante. Les dangers qui y sont mentionnés sont tenus pour avérés3.

 

[20] Toutefois, lorsque le médecin consulté infirme l’existence des dangers, la force probante du certificat émis par le médecin traitant s’en trouve atténuée. Les dangers qui y sont mentionnés ne peuvent plus être considérés comme avérés4.

 

[21] Dès lors, toute la question doit être évaluée sous l’angle de la prépondérance de la preuve5.

 

[41]           Ces balises maintenant établies, le Tribunal procède à une analyse distincte de chacun des dangers allégués par la travailleuse, compte tenu des particularités de chacun d’entre eux.

Danger relié à l’inhalation de propane

[42]           La travailleuse explique qu’il survient des fuites de propane à l’usine et que l’inhalation de ce gaz peut contaminer son lait maternel et engendrer des conséquences pour son enfant allaité. Quant à l’employeur, il considère qu’elle n’a pas fait la preuve que ses fuites occasionnelles sont suffisantes pour contaminer le lait de la travailleuse et ainsi causer des dangers pour son enfant allaité.

[43]           Considérant que ce danger n’est pas identifié par le médecin désigné par le directeur de la santé publique, le Tribunal doit évaluer si la travailleuse a démontré par prépondérance de preuve son existence. Après analyse, le Tribunal partage la position de l’employeur.

[44]           Le directeur d’usine témoigne que la ligne d’alimentation de propane est située à l’extérieur. Elle est activée uniquement lorsque du découpage doit être effectué dans l’usine. Des boyaux se retrouvent donc au sol, à l’intérieur, afin d’alimenter différentes machines. Il admet qu’il peut effectivement survenir des fuites détectées par l’odeur du propane et confirmées par la présence de bulles qui se forment sur le boyau lorsque de l’eau y est déposée. Il affirme que ces fuites ne sont pas quotidiennes et lorsqu’elles sont détectées, le département de l’entretien s’occupe de colmater la brèche.

[45]           Le fardeau de preuve repose sur les épaules de la travailleuse. Or, elle n’a pas démontré de façon prépondérante que ces fuites occasionnelles et de courte durée, puisque prises en charge rapidement, sont suffisantes pour contaminer son lait maternel.

[46]           En effet, le Tribunal n’a pas une connaissance d’office des effets de l’inhalation de propane sur le lait maternel. Peut-elle causer une contamination de celui-ci? Dans l’affirmative, considérant que l’exposition de la travailleuse dans le présent dossier est minime, sporadique et de courte durée, en quelle quantité? Cette hypothétique contamination du lait maternel peut-elle entraîner des effets chez l’enfant allaité?

[47]           Le dossier ne contient aucune preuve à ce sujet. La docteure Fortin, médecin désignée par le directeur de la santé publique, et la docteure Parent Vachon, médecin de la travailleuse, ne font pas référence au propane dans leur avis médical. Tout au plus, cette dernière mentionne sur le certificat qu’il y a un risque en lien avec « les émanations gazeuses », sans préciser de quel gaz il s’agit. Quant aux suggestions du médecin relatives à la réaffectation de la travailleuse par l’employeur, elle cible uniquement les substances qui se retrouvent dans les zones de soudure.

[48]           Compte tenu de ces éléments, ce danger n’est pas retenu par le Tribunal.

Danger relié à l’inhalation d’émanations provenant de la table à brûler

[49]           La travailleuse rapporte un danger qui existe lorsqu’elle opère la table à brûler en raison des émanations de gaz qui s’en dégagent. Cependant, compte tenu de la preuve présentée, le Tribunal ne peut retenir ce danger.

[50]           En effet, il est démontré par les témoignages de la travailleuse et du directeur d’usine que cette table à brûler a été démantelée par l’employeur pendant le congé de maternité de la travailleuse, aux alentours du mois de décembre 2020. Ainsi, la travailleuse ne peut prétendre qu’il existait un danger pour son enfant allaité lors de son retour au travail prévu le 19 avril 2021 en raison de cette machine puisqu’elle n’existait plus dans l’entreprise. Bien qu’elle ait été embauchée comme « brûleur » en mai 2018, le Tribunal doit se placer à la date prévue pour le retour au travail pour l’évaluation du danger pour l’enfant allaité.

[51]           Ce danger n’est donc pas retenu par le Tribunal.

 

Danger relié à l’inhalation d’émanations provenant de la machine à couper les plaques

[52]           La travailleuse affirme que son exposition aux émanations se dégageant de plaques lorsqu’elles sont coupées avec un outil appelé « tortue » au poste de la machine « Sheer » entraîne une contamination de son lait maternel, causant un danger pour son enfant allaité. L’employeur considère que la travailleuse n’a pas démontré que cette exposition entraîne une contamination de son lait maternel et donc, un danger pour son enfant allaité.

[53]           Le Tribunal note que ce danger n’est pas identifié par le médecin désigné par le directeur de la santé publique, celle-ci n’identifiant que les dangers reliés aux fumées de soudage. Ainsi, il doit évaluer si la travailleuse a démontré par prépondérance de preuve l’existence d’un danger lorsqu’elle effectue son travail à ce poste. Après analyse, le Tribunal conclut que la travailleuse n’a pas rempli son fardeau de preuve.

[54]           Tout d’abord, les parties s’entendent pour dire que la travailleuse n’exerce pas fréquemment cette opération de découpage de plaques puisque les pièces arrivent déjà usinées chez l’employeur. Peu de retouches ont donc à être effectuées. L’exposition de la travailleuse n’est donc pas importante.

[55]           Ensuite, la preuve portant sur le contenu des émanations n’est pas claire. La travailleuse explique que ce sont des jets tantôt de « de propane », tantôt de « de feu » ou « de gaz » qui coupent les plaques d’acier. Le directeur d’usine, quant à lui, témoigne qu’il voit « plus de feu que de boucane » lors de la découpe, précisant que « ce n’est pas comparable à du soudage ». L’acier qui est ainsi « brûlé » par la machine tombe au sol, laissant peu de particules en suspension dans l’air au-dessus de la plaque.

[56]           Le Tribunal conçoit bien que l’opération de découpage de plaques d’acier peut provoquer certaines émanations. Le contraire serait plutôt étonnant. Toutefois, la preuve est mince sinon inexistante sur ce qui est émis dans l’air lors de cette opération. Est-ce du feu? Du propane? Ou plutôt des substances provenant de la plaque elle-même? Si c’est le cas, sontelles toxiques? Le Tribunal l’ignore et la preuve présentée par la travailleuse repose principalement sur sa croyance que ces émanations sont dangereuses pour son enfant.

[57]           Celle-ci a d’ailleurs souvent répété à l’audience que son employeur n’avait pas présenté une preuve que cette opération de découpage de plaques ne représentait pas un danger pour son enfant allaité. Elle mentionne également qu’à sa connaissance, il n’y a jamais eu d’analyse de ces émanations chez son employeur. Or, devant le Tribunal, le fardeau de preuve appartient à la travailleuse. Bien qu’il ne soit pas nécessaire de présenter une preuve scientifique pour être admissible à un retrait préventif, un minimum est nécessaire pour établir une preuve prépondérante de la présence de substances toxiques dans l’air, suffisantes pour contaminer le lait maternel et entraînant un danger pour son enfant allaité. D’autant plus que cette tâche n’est pas effectuée fréquemment par la travailleuse.

[58]           Il est possible que cette tâche représente un danger. Toutefois, la preuve présentée au Tribunal ne lui permet pas de conclure en ce sens. Ce danger n’est donc pas retenu.

Danger relié à l’inhalation de fumées de soudage

[59]           La travailleuse prétend que ses conditions de travail chez son employeur comportent un danger pour son enfant allaité en raison de la présence de fumées de soudage qui contamine son lait maternel. Elle cible les fumées qui sont présentes dans les usines où elle exerce son travail, mais aussi les fumées qui se dégagent des plaques d’acier qu’elle doit elle-même souder. Quant à l’employeur, il est d’avis que les zones de soudage ne sont pas situées à proximité du poste de travail de la travailleuse. Il avance également que la soudure par pointage que la travailleuse effectue ne représente pas un danger pour son enfant, se basant sur l’opinion de la docteure Fortin.

[60]           Après analyse de la preuve présentée, le Tribunal conclut qu’il y a exposition de la travailleuse aux fumées de soudage chez son employeur et que cette exposition constitue un danger pour son enfant allaité. Voici pourquoi.

 

[61]           Le Tribunal doit déterminer si la travailleuse a démontré, par preuve prépondérante, les éléments suivants :

  • Son exposition à des fumées de soudage dans le cadre de son travail chez son employeur;
  • La contamination de son lait maternel par l’inhalation de ces fumées de soudage et le risque réel de développement de problèmes de santé pour l’enfant allaité par l’ingestion de ce lait maternel contaminé.

[62]           Deux usines de l’employeur sont visées dans le présent litige, celle de Tracy et celle de Sorel. En effet, la travailleuse estime la proportion de son temps de travail à environ 40% à l’usine de Tracy et 60% à l’usine de Sorel. Le directeur d’usine confirme que la travailleuse peut effectivement exercer ses tâches de travail dans les deux usines. Il explique cependant que sa présence à l’usine de Tracy est bien moins importante que dans celle de Sorel, sans toutefois être en mesure d’établir une proportion exacte. Ainsi, le Tribunal écarte l’information fournie à la Commission par le président de l’entreprise selon laquelle la travailleuse ne travaille jamais à l’usine de Tracy.

[63]           Le Tribunal considère que la travailleuse est exposée à des fumées de soudage dans les deux usines. Voici pourquoi.

[64]           Tout d’abord, il est admis par les parties qu’il y a beaucoup d’activités de soudage qui s’effectuent dans l’usine de Tracy. Quant à l’endroit spécifique où la travailleuse effectue son travail de cintrage de plaques d’acier avec un rouleau, les plans de l’usine démontrent qu’il est entouré de postes de travail où des activités de soudage sont effectuées ou peuvent être effectuées.

[65]           L’employeur prétend que positionnée au rouleau, la travailleuse n’est pas située dans une « zone » où elle peut être exposée à des fumées de soudage. Ce n’est cependant pas ce que la preuve reflète. Selon un plan de l’usine, il appert que l’emplacement du rouleau où la travailleuse exerce son travail se situe en face d’un espace d’environ 160 pieds de long qui longe le mur de l’usine où des activités de soudage sont effectuées par des soudeurs. Derrière son poste de travail se situe le mur opposé de l’usine. D’un côté, une table est installée avec un « set-up » de soudure. Enfin, de l’autre côté, un poste de réparation de cuivre est présent. Le directeur d’usine explique qu’il peut survenir à cet endroit certaines périodes intenses, mais plus rares, de soudure. Le Tribunal constate que seulement 35 à 40 pieds séparent la travailleuse du poste de réparation de cuivre à sa gauche, de la table à souder à sa droite et des soudeurs positionnés les plus près derrière elle. Aucun mur ne sépare chacun de ces postes de travail.

[66]           L’employeur soumet que les postes de travail des soudeurs ont un système de captation à la source. Soit. Cependant, ces systèmes n’ont pas la prétention de capter toutes les émanations provenant de la soudure. Le directeur d’usine confirme d’ailleurs que les soudeurs doivent porter, au surplus, un casque à adduction d’air muni de cartouches lorsqu’ils effectuent leur travail. Au surplus, le moment où ces capteurs à la source ont été installés dans l’usine n’a pas été clairement établi par l’employeur, le directeur d’usine confirmant que ce sujet ne fait plus l’objet de suivi par un inspecteur de la Commission seulement depuis le printemps 2022.

[67]           Le Tribunal partage cependant la position de l’employeur quant à la non-exposition de la travailleuse à des fumées de soudage émanant des activités des autres employés à l’usine de Sorel. En effet, selon le témoignage du directeur d’usine, il n’y a pas d’activités de soudage à proprement parler qui s’y déroulent sauf, exceptionnellement, lorsque des pièces usinées doivent être « réparées ». Dans ce cas, des soudeurs qualifiés provenant de l’usine de Tracy viennent sur place pour exercer cette tâche, mais dans un endroit isolé de l’usine, fermé par trois murs. Au surplus, cette zone est à grande distance de la zone des machines où la travailleuse exerce son travail selon le plan de l’usine déposé en preuve.

[68]           Le Tribunal considère toutefois que la travailleuse est exposée à des fumées de soudage lorsqu’elle exerce elle-même cette activité. En effet, celle-ci explique qu’après avoir modelé les plaques dans la forme désirée avec une presse plieuse ou un rouleau, elle effectue les deux étapes suivantes.

[69]           Premièrement, elle joint le côté de deux plaques et appose à la jonction de celles-ci des petits points de soudure avec une « machine à souder » qu’elle manipule avec ses mains. Ce point de soudure sert, au départ, à maintenir « collés » les deux côtés des plaques. Deuxièmement, elle effectue trois traits de soudure d’une longueur de 6 à 8 pouces aux deux extrémités et au milieu de la jonction. Ces trois soudures un peu plus longues qu’un simple point visent à s’assurer que le tout reste en place compte tenu de la pression exercée par les pièces. Toutes ces soudures seront retirées par la suite par des soudeurs qualifiés qui s’occuperont de la soudure complète et finale des deux plaques. La travailleuse précise finalement qu’il n’y a pas de système de captation à la source installé lors de cette activité et que le casque avec visière qu’elle porte n’empêche pas l’air de se rendre à son nez, les casques à adduction d’air étant réservés aux soudeurs.

[70]           Dans son témoignage, le directeur d’usine ne nie pas que la travailleuse puisse avoir à poser des points de soudage sur les plaques qu’elle forme. Il affirme cependant que la travailleuse n’effectue aucune autre soudure que celle par petits points. Il maintient que le véritable travail de soudure doit être exécuté par des soudeurs qualifiés. Le Tribunal n’est pas sans savoir que cette distinction par le directeur d’usine n’est pas étrangère au fait que la docteure Fortin, médecin désigné par le directeur de la santé publique, opine dans ses recommandations que les activités de soudage risquant d’exposer la travailleuse à des substances potentiellement toxiques doivent être éliminées, à l’exception du « procédé de soudage par point […] qui ne présente pas de risque pour la travailleuse qui allaite ».

[71]           Après analyse, le Tribunal retient comme probant la version de la travailleuse. Dans son témoignage, alors qu’elle semble ignorer cette opinion de la docteure Fortin, la travailleuse décrit avec conviction les deux étapes de sa soudure, soit la première avec des points de soudage et la deuxième avec les trois traits de soudure de 6 à 8 pouces de long. De plus, elle verbalise spontanément que c’était la première fois qu’elle faisait de la soudure et qu’elle trouvait ses soudures « belles ».

[72]           Quant au témoignage du directeur d’usine, il n’apparait pas en totale contradiction avec les affirmations de la travailleuse.

[73]           Tout d’abord, il admet que les opérateurs, comme la travailleuse, peuvent être appelés à effectuer de la soudure par pointage. Selon son estimation, ces « points » de soudure ont deux à trois pouces de long. À ce stade-ci, le Tribunal ignore si cette soudure peut véritablement être qualifiée « par pointage » puisque les soudures peuvent tout de même atteindre trois pouces de long selon le directeur d’usine.

[74]           Ensuite, au soutien de sa déclaration, le directeur d’usine répète à deux reprises que les opérateurs ne sont pas qualifiés pour faire « de longues soudures ». Il explique également qu’« on ne fait pas des passes de soudage sur toute la longueur parce que les soudeurs doivent les enlever ensuite ». Ainsi, ils  ne font pas ça « tout le long du joint de la pièce ». Or, la travailleuse n’a jamais prétendu qu’elle effectuait de longues soudures tout le long du joint entre les deux côtés des plaques.

[75]           De plus, certains éléments affectent la fiabilité du témoignage du directeur d’usine par rapport à celui de la travailleuse concernant la longueur des soudures effectuées par cette dernière. Notons qu’il a été nommé à ce poste à la fin de l’année 2018, soit seulement huit mois avant le départ de la travailleuse en retrait préventif à cause de sa grossesse. Bien qu’il effectue des tournées quotidiennes de ses trois usines au cours de cette période, son bureau physique est situé à l’usine de Tracy, réduisant le temps passé à l’usine de Sorel. De plus, l’opération de soudage effectuée par la travailleuse ne représente que 20% de son temps de travail, réduisant encore plus les possibilités que le directeur d’usine ait pu constater visuellement les soudures de la travailleuse.

[76]           Maintenant que le Tribunal conclut à une exposition de la travailleuse à des fumées de soudage, y a-t-il une preuve prépondérante que cette exposition entraîne la contamination de son lait maternel et par la suite, un danger pour la santé de son enfant allaité? Le Tribunal répond positivement à cette question.

[77]           Tel qu’indiqué précédemment, la jurisprudence[17] établit le principe de la force probante du certificat délivré par le médecin de la travailleuse lorsqu’il constate les mêmes dangers que le médecin désigné par le directeur de la santé publique. À ce sujet, la Commission des lésions professionnelles mentionnait dans l’affaire Héma Québec et Hémond[18] :

[45] Dans l’affaire Cité de la santé de Laval et Houle la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles conclut qu’un certificat émis par le médecin traitant, confirmé par le directeur de la santé publique de la région dans laquelle se trouve l’établissement, a une valeur déterminante quant à sa force probante. Selon le tribunal, les dangers qui y sont mentionnés doivent être tenus comme avérés à moins d’une preuve prépondérante ou contraire concluante, quant à l’inexistence de danger pour la travailleuse enceinte.

 

[78]           Il s’agit de la situation qui se présente dans le présent dossier. D’une part, le médecin de la travailleuse, la docteure Parent-Vachon, mentionne dans ses propres termes qu’elle « croit qu’il y a une possibilité de risque pour l’allaitement en lien avec les émanations gazeuses au travail ». Bien que cette formulation semble peu convaincante, elle indique clairement au bas du certificat que la travailleuse doit éviter d’être exposée à des substances potentiellement toxiques dans une zone de soudure.

[79]           Quant aux recommandations de la docteure Fortin, médecin désigné par le directeur de la santé publique, ce danger y est également identifié. En effet, elle indique que l’affectation est recommandée immédiatement si l’employeur ne peut éliminer à la travailleuse toute activité de soudage risque de l’exposer à des substances potentiellement toxiques ou toute activité dans une zone de soudage risquant de l’exposer à des substances potentiellement toxiques émises par d’autres travailleurs. Elle donne, à titre d’exemple, le chrome, le nickel, le plomb et le manganèse.

[80]           Il est vrai que la docteure Fortin opine que le procédé de soudage par point ne présente pas de risque pour la travailleuse qui allaite. Le Tribunal a cependant déjà retenu que la travailleuse exerçait plus que de la soudure « par point », ses soudures pouvant s’étendre jusqu’à une longueur de trois pouces selon l’employeur ou de huit pouces selon la travailleuse.

[81]           Ainsi, conformément à ce principe, en l’absence de preuve présentée quant à l’inexistence de ce danger pour l’enfant allaité lorsque la mère est exposée à des fumées de soudure, le Tribunal prend pour avérée son existence dans le présent dossier.

[82]           Il est vrai que n’est pas établie la concentration précise dans l’air de ces fumées de soudage auxquelles la travailleuse est exposée à ses postes de travail. La jurisprudence a cependant déclaré, dans une situation semblable, que « l'esprit de la loi est de protéger l'enfant allaité des dangers auquel est exposée sa mère dans son environnement de travail » et que cet objectif « doit primer et il y a lieu de « favoriser le retrait préventif plutôt que d'exposé l'enfant allaité » »[19].

[83]           L’employeur a déposé certaines décisions au soutien de ses prétentions. Il y a cependant lieu de les distinguer des faits du présent dossier. Dans l’affaire Poitras et Services préhospitaliers Paraxion inc.[20], la preuve médicale au dossier était contradictoire, le médecin désigné par le directeur de la santé publique considérant que l’exposition alléguée ne présentait pas de risque appréciable pour l’enfant allaité. Dans la décision Pressé et Ville de Mont-Tremblant[21], les deux médecins impliqués étaient en accord sur l’absence de danger.

[84]           Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, le Tribunal conclut qu’il y a preuve prépondérante de danger pour l’enfant allaité de la travailleuse en raison de l’exposition de sa mère à des fumées de soudure à son lieu de travail, et ce, à partir du 19 avril 2021. La travailleuse a donc droit au retrait préventif en raison de son allaitement.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

ACCUEILLE la contestation de madame Chantal Laviolette, la travailleuse;

INFIRME la décision de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail rendue le 14 mai 2021, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la travailleuse a droit au retrait préventif de la travailleuse qui allaite à compter du 19 avril 2021;

DÉCLARE que la travailleuse a droit aux indemnités prévues à la Loi sur la santé et la sécurité du travail.

 

 

__________________________________

 

Josée Picard

 

 

 

Mme Chantal Laviolette

Pour elle-même

 

 

Me Priscilla Boisier

LUSSIER SERVICES JURIDIQUES

Pour la partie mise en cause

 

 

Date de la mise en délibéré : 8 août 2022

 


[1]  Décision de la Commission du 14 mai 2021, à la suite d’une révision administrative.

[2]  RLRQ, c. S-2.1.

[3]  La travailleuse déclare à l’audience ne pas réclamer la reconnaissance d’un danger au point de vue ergonomique tel que mentionné initialement au certificat.

[4]  Articles 48 et 36 de la Loi.

[5]  RLRQ c S-2.1, r 3. Voir l’article 40, al. 2 de la Loi.

[6]  Voir l’information contenue au tableau à la page 4 du dossier.

[7]  Le Tribunal souligne au passage que la date du 24 avril a également été avancée par la travailleuse lors de son témoignage. Toutefois, après réception de copies de courriels après l’audience, il appert qu’elle faisait plutôt référence au mois d’avril en 2022, élément qui est donc sans pertinence dans le présent litige puisque postérieur à la demande de retrait préventif d’avril 2021.

[8]  Article 47 de la Loi : « Si l’affectation demandée n’est pas effectuée immédiatement, la travailleuse peut cesser de travailler jusqu’à ce que l’affectation soit faite ou jusqu’à la fin de la période de l’allaitement. »

[9]  Deux dates sont identifiées au dossier comme celle où la travailleuse a remis son certificat à son employeur : le 25 février et le 1er mars 2021. Le Tribunal retient la date du 1er mars 2021 comme date où le certificat a été remis puisque la docteure Parent-Vachon note à la section C  du certificat qu’elle a reçu le Rapport de consultation le 1er mars 2021. La remise du certificat ne peut donc être antérieure à cette date.

[10]  Diotte et Le Bistro-Plus, C.L.P. 159214-72-0104, 14 juin 2001, C.-A Ducharme, Dufour et Marianne Phaneuf & Michel Lavoie, 2017 QCTAT 4635, Girard et Ville de Longueuil-Service de Police, 2021 QCTAT 3901.

[11]  Précitée note 10.

[12]  2010 QCCLP 7412.

[13]  2017 QCTAT 4635.

[14]  [2007] C.L.P. 397.

[15]  Chouinard et Régie intermunicipale de police Thérèse-de Blainville, 2016 QCTAT 4006; Bertrand et Laval Volkswagen ltée, 2019 QCTAT 5163.

[16]  2019 QCTAT 5163. Voir également : Héma Québec et Emond, 2011 QCCLP 1128; Commission scol. Premières-Seigneuries et Chassé, 2015 QCCLP 2191.

[17]  Cité de la santé de Laval et Houle, [1988] C.A.L.P. 843, requête en évocation rejetée, [1989] C.A.L.P. 655 (C.S.); Larouche et C.T.A.Q.M., C.L.P. 194916-02-0211, 11 avril 2003, C. Bérubé; Brossard et Ambulances Radisson (Les), C.L.P. 299200-64-0609, 9 mars 2007, J. David; Cusson Leduc et Ambulances Demers inc., C.L.P. 390816-62A-0910, 7 juin 2010, D. Rivard; Héma Québec et Emond, 2011 QCCLP 1128; Dubord et Ambulance Chicoutimi inc., 2022 QCTAT 3138.

[18]  2011 QCCLP 1128.

[19]  Gingras et Corporation d'administration Morin et Tremblay inc., 2015 QCCLP 6355.

[20]  2021 QCTAT 2042.

[21]  2019 QCTAT 5484.

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