Décision

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U.T. c. Centre intégré de santé et de services sociaux de Lanaudière

2025 QCCA 157

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

SIÈGE DE

 

 MONTRÉAL

 :

500-09-030706-238, 500-09-030722-235

(705-06-000011-214)

 

DATE :

12 février 2025

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A.

CHRISTINE BAUDOUIN, J.C.A.

PETER KALICHMAN, J.C.A.

 

 

 : 500-09-030706-238

 

U.T.

M.X.

APPELANTES – demanderesses

c.

 

CENTRE INTÉGRÉ DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DE LANAUDIÈRE

RICHARD MONDAY

YVONNE BRINDUSA VASILIE

PHILIPPE TURCOT, en sa qualité de liquidateur de la SUCCESSION DE MARCEL TURCOT

ISABELLE TURCOT, en sa qualité de liquidatrice de la SUCCESSION DE MARCEL TURCOT

INTIMÉS – défendeurs

et

 

FEMMES AUTOCHTONES DU QUÉBEC INC.

INTERVENANTE

 

 

 : 500-09-030722-235

 

RICHARD MONDAY

YVONNE BRINDUSA VASILIE

PHILIPPE TURCOT, en sa qualité de liquidateur de la SUCCESSION DE MARCEL TURCOT

ISABELLE TURCOT, en sa qualité de liquidatrice de la SUCCESSION DE MARCEL TURCOT

APPELANTS – défendeurs

et

 

U.T.

M.X.

INTIMÉES – demanderesses

et

 

CENTRE INTÉGRÉ DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DE LANAUDIÈRE

MIS EN CAUSE – défendeur

 

 

ARRÊT

 

 

  1.                 Les appelantes U.T. et M.X. se pourvoient contre un jugement de la Cour supérieure (l’honorable Lukasz Granosik) rendu le 16 août 2023 et rectifié le 21 août 2023, rejetant leur demande d’autorisation d’exercer l’action collective contre l’intimé le Centre intégré de santé et de services sociaux de Lanaudière, mais l’accueillant contre trois médecins y ayant exercé leur profession. Ces derniers se pourvoient aussi contre cette décision.
  2.                 Pour les motifs de la juge Baudouin, auxquels souscrivent les juges Marcotte et Kalichman, LA COUR :
  3.                 ACCUEILLE l’appel dans le dossier 500-09-030706-238, avec les frais de justice contre l’intimé le CISSS de Lanaudière;
  4.                 INFIRME en partie le jugement de première instance;
  5.                 AUTORISE l’action collective en dommages-intérêts compensatoires et punitifs contre le CISSS de Lanaudière;
  6.                 IDENTIFIE ainsi les principales questions communes de fait et de droit qui seront traitées collectivement en ce qui concerne le CISSS de Lanaudière, en sus de celles déjà identifiées par le jugement d’instance :
  1.      Est-ce que le CISSS de Lanaudière a manqué à son obligation d’assurer un milieu de soins sécuritaire pour tous les patients fréquentant son établissement, en s’assurant notamment que les femmes d’origine atikamekw reçoivent le même niveau et la même qualité de soins que les autres patients?
  2.      Est-ce que le CISSS de Lanaudière a toléré des pratiques discriminatoires envers les femmes d’origine atikamekw ou omis de prendre des mesures pour les empêcher ou les faire cesser, constituant ainsi une violation de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec ou une faute au sens du Code civil du Québec?
  3.      La culture et les pratiques de racisme et de discrimination systémiques à l’égard des femmes d’origine atikamekw prévalant au CISSS de Lanaudière ont-elles facilité ou contribué à la pratique de stérilisation sans consentement ou sans consentement libre et éclairé ou à leur insu, constituant ainsi une violation de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec ou une faute au sens du Code civil du Québec?
  4.      Est-ce que les préposés du CISSS de Lanaudière ont participé ou permis que soient posées des interventions stérilisantes dans les cas des patientes d’origine atikamekw en raison de stéréotypes ou de préjugés voulant que la préservation de leur fertilité soit moins importante en raison de leur origine ethnique ou nationale, leur condition sociale, leur genre, constituant ainsi une violation à l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, une violation de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés ou du Code civil du Québec?
  5.      Par leurs actes, leur silence ou leur inaction, les infirmières et les autres préposés du CISSS de Lanaudière qui pratiquent notamment dans l’unité des naissances de l’hôpital de Joliette, ont-ils manqué à leur devoir d’information et se sont-ils rendus complices des abus commis à l’endroit des membres du groupe, faisant en sorte qu’ils se poursuivent, violant leurs obligations légales et déontologiques et engageant ainsi la responsabilité du CISSS de Lanaudière en tant que commettant au sens de l’art. 1463 du Code civil du Québec?
  6.        Les infirmières et autres préposés du CISSS de Lanaudière, qui pratiquent notamment dans l’unité des naissances de l’hôpital de Joliette, ont-ils commis une faute engageant leur responsabilité et celle de l’établissement en ne dénonçant pas les stérilisations faites sans consentement ou faites à l’insu des femmes d’origine atikamekw aux autorités responsables?
  7.      Le CISSS de Lanaudière peut-il être solidairement responsable des dommages subis par les femmes d’origine atikamekw avec le ou la médecin qui a procédé à l’intervention stérilisante sans consentement libre et éclairé ou à l’insu des femmes d’origine atikamekw?
  8.      Les stérilisations réalisées sans consentement libre et éclairé ou à l’insu des femmes d’origine atikamekw constituent-elles une agression à caractère sexuel sujettes à l’imprescriptibilité prévue à l’article 2926.1 du Code civil du Québec?
  1.                 REJETTE l’appel dans le dossier 500-09-030722-235, avec les frais de justice en faveur des intimées U.T. et M.X.

 

 

 

 

GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A.

 

 

 

 

 

CHRISTINE BAUDOUIN, J.C.A.

 

 

 

 

 

PETER KALICHMAN, J.C.A.

 

 

Me Léa Lemay Langlois

Me Maryse Décarie-Daigneault

dionne schulze

Pour U.T. et M.X.

 

Me Marie-Nancy Paquet

Me Blanche Fournier

Mme Charlène Langlois, stagiaire en droit

lavery, de billy

Pour le Centre de santé et de services sociaux de Lanaudière

 

Me Mathieu Bernier-Trudeau

Me Karine Joizil

Me Charlotte Simard-Zakaïb

Me Gabrielle Beetz

mccarthy tétrault

Pour Richard Monday, Yvonne Brinduas Vasilie, Philippe Turcot, en sa qualité de liquidateur de la succession de Marcel Turcot et Isabelle Turcot, en sa qualité de liquidatrice de la succession de Marcel Turcot

 

Me Jean-Marc Lacourcière

trudel johnston & lespérance

Pour Femmes autochtones du Québec inc.

 

Date d’audience :

26 novembre 2024


 

 

MOTIFS DE LA JUGE BAUDOUIN

 

 

  1.                 Le présent dossier a comme toile de fond des allégations d’atteintes graves aux droits fondamentaux de patientes issues de la communauté atikamekw de Manawan qui, en raison de leur origine ethnique et sans avoir donné de consentement libre et éclairé, auraient été stérilisées à leur insu ou de manière contrainte au Centre intégré de services sociaux de Lanaudière (« CISSS »), et plus particulièrement, au Centre hospitalier régional de Lanaudière (« CHRDL »), anciennement l’hôpital de Joliette, en raison d’une culture institutionnelle et d’un environnement empreints de préjugés, de biais et de racisme systémique.
  2.                 Les deux pourvois en cause sont logés à l’encontre d’un jugement de la Cour supérieure (l’honorable Lukasz Granosik) rendu le 21 août 2023[1], qui accueille la demande d’autorisation des représentantes U.T. et M.X. d’exercer une action collective en dommages-intérêts et punitifs sur la base des fautes commises par trois médecins ayant exercé la gynécologie obstétrique au CISSS. Il rejette toutefois cette demande contre l’établissement de santé, estimant que les représentantes n’ont pas réussi à démontrer l’existence d’une cause défendable à l’égard de ce dernier. Selon le juge, les médecins n’étant pas les préposés du CISSS, leurs fautes, si prouvées, ne peuvent engager la responsabilité de l’établissement au sein duquel ils exercent et aucune autre faute ne peut être imputée au CISSS dans ce contexte. Le juge exclut ainsi tout lien de droit entre les allégations d’un climat de racisme systémique impuni et le préjudice qu’auraient subi les représentantes, bien qu’il reconnaisse par ailleurs l’existence de ce racisme prévalant à l’hôpital de Joliette au moment des faits. Il estime que « les vestiges d’un contexte colonial […] n’ont aucune incidence sur l’essence de l’action collective envisagée »[2].
  3.            Les représentantes et les médecins[3] portent en appel ce jugement. Les premières cherchent à infirmer le refus du juge d’autoriser leur recours à l’égard du CISSS. Elles soulèvent que le juge a erré en droit en concluant à l’inexistence d’un syllogisme juridique suffisant entre les faits allégués et les conclusions recherchées contre l’établissement, comme l’exige le paragraphe 575(2) C.p.c., et réfutent sa conclusion selon laquelle aucune faute ne peut être imputée au CISSS en ce qui concerne ces stérilisations faites à leur insu ou imposées. Le juge aurait en sus omis de considérer des éléments de preuve étayant la faute distincte de l’établissement.
  4.            Les seconds soutiennent pour leur part que le juge a commis des erreurs dans l’évaluation des paragraphes (1) et (3) de l’article 575 C.p.c. relatifs à l’existence de questions communes et à la description du groupe et que le recours n’aurait pas dû être autorisé à leur égard.
  5.            Je précise aussi que Femmes autochtones du Québec inc. a obtenu le statut d’intervenante dans le cadre du présent appel afin de soutenir les arguments des représentantes[4].
  6.            Pour les motifs qui suivent, j’estime qu’il y a lieu d’accueillir l’appel des représentantes à l’endroit du CISSS et de rejeter le pourvoi déposé par les trois médecins impliqués dans les évènements décrits aux procédures.

LE CONTEXTE

  1.            Les représentantes, U.T. et M.X., sont des femmes autochtones atikamekw de Manawan. Elles souhaitent exercer pour le compte des membres du groupe une action en dommages et intérêts et dommages punitifs pour les gestes fautifs et illégaux posés à leur endroit par trois médecins exerçant alors auprès du CISSS, les Dr Richard Monday, Dre Yvonne Brindusa Vasilie et Dr Marcel Turcot. Ceux-ci auraient procédé à leur stérilisation ainsi que celle de certaines de leurs patientes autochtones sans avoir obtenu leur consentement libre et éclairé.
  2.            Leur recours est aussi dirigé contre le CISSS, un établissement de santé publique en vertu de la Loi sur les services de santé et les services sociaux (LSSSS), qui exploite notamment le CHRDL, tant pour sa faute directe que pour les fautes commises par ses employés lors de la prestation des soins.
  3.            Dans le cadre de la demande d’autorisation des représentantes, le groupe est défini de la manière suivante :

Toutes les femmes d’origine atikamekw qui ont subi une intervention chirurgicale ayant porté atteinte à leur fertilité sans avoir donné leur consentement libre et éclairé, notamment en raison du contexte de discrimination systémique auquel a contribué chacun des Défendeurs, au CISSS de Lanaudière, depuis décembre 1971, ainsi que leurs proches ayant subi des dommages à titre de victimes par ricochet.

  1.            Les représentantes ont toutes deux fréquenté le CISSS pour des suivis de grossesses et allèguent avoir fait l’objet de stérilisation sans leur consentement ou sans consentement libre et éclairé à la suite d’un accouchement à l’hôpital de Joliette. Selon elles, tant les médecins que l’établissement ont commis des fautes engageant leur responsabilité civile, et ont porté atteinte à leurs droits protégés par la Charte québécoise des droits et libertés de la personne[5]. Les représentantes prétendent également détenir un recours en vertu de la Charte canadienne[6] à l’égard du CISSS pour violation de leur droit à l’égalité, protégé par l’article 15(1) et allèguent divers manquements au respect de leurs droits conférés par la LSSSS.
  2.            U.T. a accouché par césarienne à l’hôpital de Joliette lors de sa dernière grossesse. Tel qu’on le constate de son dossier médical auprès du CISSS, elle a signé un formulaire de consentement à une anesthésie et à une césarienne, mais n’a jamais consenti à une ligature des trompes de Fallope[7]. Pourtant, U.T. allègue que la Dre Vasilie aurait, lors de la césarienne, procédé à l’installation de clips de Filshie, sans que ni cette dernière ni aucun membre du personnel soignant n’aient discuté avec elle de cette procédure[8]. Ce n’est que quelques années plus tard, après avoir souffert de symptômes liés à cette ligature des trompes, et croyant être enceinte à nouveau, qu’on lui aurait appris qu’elle avait été stérilisée à son insu[9].
  3.            M.X. a été suivie au CISSS pour ses grossesses. Elle aurait fait l’objet de propos désobligeants, menaçants et racistes de la part de son médecin traitant, le Dr Monday[10]. Ce dernier se serait montré insistant pour qu’elle subisse une ligature des trompes de Fallope, estimant qu’elle avait déjà eu trop d’enfants et qu’elle n’avait pas les capacités d’en prendre soin[11]. Après son dernier accouchement, le Dr Monday l’aurait recontactée et aurait à nouveau insisté pour qu’elle subisse une opération chirurgicale stérilisante. M.X. aurait fini par céder aux pressions, croyant alors, selon les informations reçues, que cette opération était réversible[12]. Quelques années plus tard, désirant de nouveau devenir enceinte, elle subit une réanastomose afin de retirer les clips de Filshie[13]. Cette opération s’est toutefois avérée infructueuse et M.X. n’a jamais pu avoir d’autres enfants. Tout comme U.T., elle allègue souffrir de nombreuses conséquences physiques, psychologiques et relationnelles de cette stérilisation[14].
  4.            Afin de bien saisir l’ensemble du portrait, il importe de comprendre qu’au-delà des gestes ponctuels reprochés aux médecins et employés du CISSS, les représentantes campent ces atteintes graves dans une perspective plus large de racisme systémique profondément enraciné au sein de l’établissement, comme dans de nombreuses institutions publiques au Canada et issu des politiques gouvernementales discriminatoires à l’égard des peuples autochtones. Cette réalité a d’ailleurs été reconnue et dénoncée dans plusieurs rapports publics rendus à l’échelle nationale, dont certains ciblent particulièrement l’hôpital de Joliette et son personnel soignant et dont les vestiges ont été rappelés récemment encore, dans la foulée de la mort de Joyce Echaquan en 2020. Ces rapports ou plusieurs extraits de ceux-ci sont déposés dans le dossier par les représentantes.

LE JUGEMENT ENTREPRIS

  1.            À l’étape de l’autorisation de l’action collective, le juge procède, comme il se doit, à un examen des critères de l’article 575 C.p.c. qui, pour rappel est ainsi libellé :

575.  Le tribunal autorise l’exercice de l’action collective et attribue le statut de représentant au membre qu’il désigne s’il est d’avis que:

575.  The court authorizes the class action and appoints the class member it designates as representative plaintiff if it is of the opinion that

  les demandes des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes;

(1)  the claims of the members of the class raise identical, similar or related issues of law or fact;

  les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées;

(2)  the facts alleged appear to justify the conclusions sought;

  la composition du groupe rend difficile ou peu pratique l’application des règles sur le mandat d’ester en justice pour le compte d’autrui ou sur la jonction d’instance;

 

(3)  the composition of the class makes it difficult or impracticable to apply the rules for mandates to take part in judicial proceedings on behalf of others or for consolidation of proceedings; and

  le membre auquel il entend attribuer le statut de représentant est en mesure d’assurer une représentation adéquate des membres.

(4)  the class member appointed as representative plaintiff is in a position to properly represent the class members.

  1.            Le juge tranche d’emblée que les représentantes peuvent assurer une représentation adéquate des membres du groupe en vertu du paragraphe 4 de l’article 575 C.p.c., et ce, tant à l’égard des victimes directes que celles par ricochet[15]. Cette détermination n’est pas remise en cause en appel.
  2.            Il examine ensuite le second paragraphe de l’article 575 C.p.c., et conclut que les représentantes ont su démontrer l’existence d’une cause défendable à l’égard des médecins, en raison de leur défaut d’avoir obtenu un consentement libre et éclairé auprès de leurs patientes membres du groupe, avant de procéder aux interventions chirurgicales stérilisantes[16]. Je précise immédiatement que cette conclusion n’est pas remise en cause en appel par les médecins, ces derniers s’en tenant à invoquer une erreur du juge dans l’analyse du premier et du troisième critère de l’article 575 C.p.c. sur lesquels je reviendrai.
  3.            Le juge estime cependant que les représentantes n’ont pas satisfait ce fardeau envers le CISSS en échouant à mettre de l’avant un syllogisme juridique convaincant qui permettrait de retenir la responsabilité de l’établissement à l’égard des stérilisations imposées ou réalisées sans leur consentement libre et éclairé au sein de ses installations[17].  Le juge rappelle qu’en droit civil québécois, les médecins ne sont pas les préposés des établissements de santé et que les responsabilités de ces acteurs à l’égard des patients obéissent à des logiques différentes[18].
  4.            De manière plus ciblée, le juge n’est pas convaincu par l’allégation des représentantes selon laquelle le CISSS n’aurait pas fourni des soins de santé adéquats et sécuritaires conformément aux articles 5 et 100 de la LSSSS[19]. Il conclut que les représentantes n’ont pas comme tel été privées de soins ou de services et qu’on ne peut ainsi parler d’une omission fautive de la part du CISSS et de son personnel[20]. Toujours selon le juge, le CISSS ne peut être tenu responsable de ne pas avoir obtenu le consentement libre et éclairé des patientes à l’intervention chirurgicale effectuée, ou d’avoir omis de contre-vérifier son existence et sa qualité, cette obligation relevant exclusivement de la responsabilité du médecin[21]. Qui plus est, selon lui, l’obligation du personnel soignant de contre-vérifier le consentement écrit donné par la patiente, prévue à la LSSSS, est relative à la tenue de dossiers et non pas de l’exécution d’une obligation substantive, puisque dans un tel cas de figure, « il s’agirait d’une immixtion fautive et en porte à faux avec le contrat médical et les devoirs de l’établissement »[22]. De surcroît, il estime qu’aucune allégation des représentantes ne permet de conclure que les stérilisations qu’elles affirment avoir subies, résultent de politiques, de mesures ou de règlements du CISSS, ou sont la conséquence d’une action, d’un geste ou d’une parole d’un de ses préposés[23].
  5.            En fait, quant au contexte plus général dans lequel ces chirurgies se seraient déroulées, le juge est d’avis que peu importe les constats des divers rapports déposés au sujet de l’existence d’une culture de racisme systémique envers les personnes autochtones dans les institutions publiques comme le CISSS, et bien qu’il la tienne pourtant pour acquise, il n’existe « aucun rapport avec les concepts allégués de discrimination systémique, « d’héritage colonial », etc..., et la validité d’un consentement à une opération ou intervention chirurgicale ayant pour conséquence de rendre les demanderesses stériles »[24].
  6.            En ce qui concerne la prétention des représentantes selon laquelle le CISSS aurait dû connaître l’existence d’une pratique répandue de stérilisation non consentie sur des patientes atikamekw au sein de son établissement, le juge estime qu’il n’existe pas « une certaine preuve » permettant de soutenir cette allégation[25].
  7.            Finalement, le juge se dit satisfait de l’existence de questions communes en vertu de l’article 575(1) C.p.c.[26] dans le cadre du recours intenté contre les médecins, tant en ce qui concerne l’absence de consentement, le préjudice subi par les représentantes et leur famille, ainsi que la prescriptibilité du recours. Il est finalement d’avis que le groupe, tel que défini dans la procédure, satisfait aux exigences du troisième paragraphe de ce même article.

QUESTIONS EN LITIGE

  1.            Dans le cadre de leur pourvoi respectif, les parties soumettent diverses questions en litige, qu’il y a lieu de regrouper comme suit.
  2.            D’abord, en ce qui concerne l’appel logé par les médecins, je suis d’avis que les quatre questions formulées dans leur mémoire d’appel consistent essentiellement à se demander si le juge a commis une erreur révisable dans son appréciation des critères énoncés aux paragraphes (1) et (3) de l’article 575 C.p.c. J’estime ensuite que les questions soumises par les parties dans le cadre du pourvoi contre le CISSS se recoupent et peuvent être ainsi globalement reformulées :
  1. Le juge a-t-il erré en droit dans son appréciation du paragraphe (2) de l’article 575 C.p.c. en concluant qu’aucune faute ne pouvait être imputée au CISSS?
  2. Le juge a-t-il erré en droit en omettant, sans motif, des éléments de preuve démontrant la faute d’omission imputée au CISSS?
  3. Si cette honorable Cour conclut que le critère de l’article 575 (2) C.p.c. est satisfait à l’égard du CISSS, l’action collective doit-elle être autorisée? Ou autrement dit, la demande d’autorisation soulève-t-elle des questions communes à l’égard du CISSS?
  1.            Je traiterai de l’ensemble des questions soulevées par les deux pourvois, relatives à l’application des exigences de l’article 575 C.p.c. dans un premier temps, avant d’aborder la seconde question soumise par les représentantes, à savoir si le juge a omis, dans le cadre de son analyse, de considérer certains éléments de preuve démontrant la faute du CISSS.

ANALYSE

La norme d’intervention

  1.            Il est maintenant bien établi que le juge d’autorisation possède un large pouvoir discrétionnaire dans l’évaluation des critères de l’article 575 C.p.c., lesquels sont cumulatifs.  Une cour d’appel doit faire preuve d’une grande déférence à l’égard de son « important pouvoir d’appréciation » et de son « importante marge de manœuvre »[27] dans l’évaluation de ces conditions lors de la révision d’une décision d’une demande d’autorisation d’exercer une action collective[28]. Au stade de l’autorisation cependant, le juge exerce un rôle de filtrage qui consiste à écarter les demandes frivoles ou manifestement mal fondées[29] et non pas à préjuger de la valeur des arguments soumis ou des chances de succès au fond. Il s’agit d’un seuil peu élevé[30].
  2.            À cette étape en effet, le fond du litige n’a pas à être examiné davantage, outre que pour déterminer si une simple possibilité d’avoir gain de cause a été établie : une possibilité « réaliste » ou « raisonnable » n’est même pas exigée[31]. De plus, les faits allégués sont tenus pour avérés et seules des allégations vagues, générales ou imprécises devront être complétées par une « certaine preuve » afin justement de contrer ce flou, ces imprécisions ou approximations qui peuvent exister au stade préliminaire d’une action collective[32].
  3.            Les principaux avantages de l’action collective demeurent « l’économie de ressources judiciaires, l’accès à la justice et la modification des comportements »[33]. Les critères d’autorisation doivent être interprétés et appliqués de manière large et généreuse pour favoriser l’exercice des actions collectives en tant que moyen de réaliser simultanément les objectifs de dissuasion et d'indemnisation des victimes[34].
  4.            Voyons maintenant à l’aune de ce qui précède, comment le juge a analysé ces différents critères ainsi que les arguments présentés par les parties devant la Cour.

Le paragraphe 575 (1) C.p.c. : les questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes

  1.            Le critère de la communauté de question énoncé au premier paragraphe de l’article 575 C.p.c. doit bénéficier, à l’instar des autres critères, d’une interprétation large et souple. Il suffit au juge autorisateur d’identifier une seule question qui permet de faire progresser le règlement des réclamations de tous les membres du groupe de manière appréciable[35]. Ce critère n’exige pas une réponse identique ou une réponse qui bénéficie à chacun des membres du groupe de la même façon ou dans la même mesure[36]. La Cour suprême rappelle que « la seule présence d’une question de droit ou de fait identique, connexe ou similaire suffit pour satisfaire ce critère, sauf si cette question ne joue qu’un rôle négligeable quant au sort du recours »[37].
  2.            Aussi, une action collective peut soulever des questions dites communes, même s’il existe des différences entre les membres du groupe[38]. Comme l’enseigne cette Cour dans Asselin, il est toujours possible, au stade des réparations, de mettre en place des mesures et des modalités pour prendre en compte les disparités qu’il pourrait y avoir entre les membres d’une action collective[39]. Le représentant du groupe n’a également pas besoin d’avoir de cause directe à l’encontre de chacun des défendeurs[40].
  3.            En l’espèce, l’absence de questions communes est soulevée d’abord par les médecins, mais aussi, de manière subsidiaire par le CISSS dans la mesure où l’appel des représentantes devait être accueilli contre lui. Ayant en effet rejeté le recours des représentantes sur la base d’absence de syllogisme juridique, le juge n’est évidemment pas allé plus loin dans son analyse des autres critères et ne s’est par conséquent pas prononcé sur la présence de questions identiques, similaires ou semblables dans le cadre du pourvoi touchant le CISSS.
  1. Les médecins
  1.            Les médecins soulèvent comme principal argument l’absence de pratique commune entre eux et le fait que l’obtention d’un consentement libre et éclairé s’inscrit à l’intérieur de paramètres et de communications échangées avec chaque patiente dans le cadre d’une relation thérapeutique unique. Ils réfutent ainsi l’idée que l’absence de consentement alléguée puisse faire l’objet d’un examen collectif et qualifie plutôt cette analyse de « hautement individuelle et subjective » qui n’est pas susceptible de faire avancer le litige à l’égard des autres patientes du même médecin.  En sus, ils ajoutent que la détermination du préjudice subi par chacune des membres du groupe se prête à une analyse distincte, tant quant aux pertes pécuniaires qu’aux dommages physiques et psychologiques qu’elles allèguent avoir subis et qu’il en va de même pour les questions relatives à la prescription puisque le point de départ sera nécessairement tributaire de chaque cas d’espèce.
  2.            Les médecins ne me convainquent pas que le juge a commis une erreur manifeste ou déterminante dans son évaluation du premier critère d’autorisation énoncé à l’article 575 C.p.c. La demande d’autorisation identifie plus d’une question commune à tous les membres du groupe dont la réponse est susceptible de faire progresser le sort du litige. 
  3.            Le juge conclut qu’en l’espèce, l’absence de consentement des représentantes à l’intervention chirurgicale stérilisante constitue une question connexe à tous les membres du groupe de nature à faire progresser le litige. Le fait qu’il puisse bien sûr exister des nuances ou distinctions entre elles, ou certaines spécificités individuelles et subjectives ne constitue pas un empêchement à cette détermination[41], surtout dans une perspective objective, comme ici, où l’absence de consentement s’inscrit dans une pratique systémique de stérilisation discriminatoire visant les patientes autochtones.
  4.            Je ne vois aucun motif d’intervention dans l’appréciation et l’analyse du juge quant à cette question. La preuve de l’existence d’une pratique institutionnalisée et systémique de stérilisation imposée aux femmes autochtones et d’un certain modus operandi des médecins à cet égard, de même que le caractère discriminatoire de leur conduite au sens de la Charte des droits et libertés de la personne peuvent certes à ce stade être qualifiées de questions communes à tous les membres du groupe et faire avancer de manière non négligeable ce débat. Dans la mesure où des différences ou des questions sous-jacentes relatives à l’obtention d’un consentement libre et éclairé des membres du groupe se posaient dans le cadre du déroulement de l’instance, il sera toujours possible pour le juge du fond de mettre en place des modalités afin de tenir compte des différents cas de figure entre les membres du groupe. On peut par exemple imaginer des distinctions entre les cas de patientes qui, comme U.T., ont subi une stérilisation au moment d’une césarienne ou autre intervention sans en avoir été préalablement avisées et/ou sans que le dossier médical ne contienne de formulaire écrit attestant de l’obtention de ce consentement et d’autres patientes qui, à l’instar de M.X., n’auraient pas reçu les informations appropriées ou dans leur langue leur permettant de bien saisir la nature et les conséquences de ce à quoi elles consentaient vraiment. Cela n’est pas un empêchement à la détermination de questions communes touchant l’absence de consentement des membres du groupe à ce stade.
  5.            Le juge ne commet pas non plus d’erreur en ce qui concerne l’identification des autres questions communes portant sur l’existence d’une pratique discriminatoire envers les patientes autochtones, l’ampleur des dommages subis par ces dernières, la prescriptibilité du recours ou même l’impossibilité d’agir des membres du groupe, le cas échéant. Ces questions imposent à chacune des membres le même fardeau de démonstration et nécessiteraient l’administration d’une importante preuve dont l’action collective, dans un souci de proportionnalité, cherche justement à éviter la répétition. Par exemple, et comme le juge et les représentantes le soutiennent à juste titre, la qualification des stérilisations imposées comme violence sexuelle au terme de l’article 2926.1. C.c.Q., si avérée, est une question commune à toutes et qui ne nécessite pas une évaluation des circonstances spécifiques de chacune des membres du groupe[42].
  6.            Ainsi, les médecins ne réussissent pas à démontrer l’existence d’une erreur manifeste et déterminante du juge dans son évaluation du premier critère énoncé à l’article 575 C.p.c. qui permettrait de justifier l’intervention de la Cour.
  1. Le CISSS
  1.            Tel qu’énoncé précédemment, le juge ne traite pas des questions communes concernant l’établissement puisqu’il rejette la demande d’autorisation déposée par les représentantes à son égard sur la base de l’absence de syllogisme juridique. Le CISSS soutient néanmoins de manière subsidiaire, dans l’optique où l’appel des représentantes serait accueilli, que le recours ne soulève pas de questions communes susceptibles de faire avancer le débat pour l’ensemble des membres du groupe.
  2.            J’estime que le CISSS a tort. Tout comme pour les médecins, les questions soumises à l’égard du CISSS satisfont le premier critère de l’article 575 C.p.c. La nature systémique des actes et des omissions reprochées au CISSS se prêtent bien à une analyse commune, tout en gardant à l’esprit « qu’il n’est pas nécessaire que les demandes individuelles des membres du groupe soient fondamentalement identiques les unes aux autres[43] ».
  3.            Ainsi, les questions qui suivent, proposées par les représentantes, permettront, à mon avis, de faire progresser la réclamation de tous les membres du groupe :

Est-ce que le CISSS de Lanaudière a manqué à son obligation d’assurer un milieu de soins sécuritaire pour tous les patients fréquentant son établissement, en s’assurant notamment que les femmes d’origine atikamekw reçoivent le même niveau et la même qualité de soins que les autres patients?

 

Est-ce que le CISSS de Lanaudière a toléré des pratiques discriminatoires envers les femmes d’origine atikamekw ou omis de prendre des mesures pour les empêcher ou les faire cesser, constituant ainsi une violation de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec ou une faute au sens du Code civil du Québec?

 

La culture et les pratiques de racisme et de discrimination systémiques à l’égard des femmes d’origine atikamekw prévalant au CISSS de Lanaudière ont-elles facilité ou contribué à la pratique de stérilisation sans consentement libre et éclairé ou à leur insu, constituant ainsi une violation de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec ou une faute au sens du Code civil du Québec?

 

Est-ce que les préposés du CISSS de Lanaudière ont participé ou permis que soient posées des interventions stérilisantes dans les cas des patientes d’origine atikamekw en raison de stéréotypes ou de préjugés voulant que la préservation de leur fertilité soit moins importante en raison de leur origine ethnique ou nationale, leur condition sociale, leur genre, constituant ainsi une violation à l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, une violation de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés ou du Code civil du Québec?

 

Par leurs actes, leur silence ou leur inaction, les infirmières et les autres préposés du CISSS de Lanaudière qui pratiquent notamment dans l’unité des naissances de l’hôpital de Joliette ont-ils manqué à leur devoir d’information et se sont-ils rendus complices des abus commis à l’endroit des membres du groupe, faisant en sorte qu’ils se poursuivent, violant leurs obligations légales et déontologiques et engageant ainsi la responsabilité du CISSS de Lanaudière en tant que commettant au sens de l’art. 1463 du Code civil du Québec?

 

Les infirmières et autres préposés du CISSS de Lanaudière qui pratiquent notamment dans l’unité des naissances de l’hôpital de Joliette ont-ils commis une faute engageant leur responsabilité et celle de l’établissement en ne dénonçant pas les stérilisations faites sans consentement ou faites à l’insu des femmes d’origine atikamekw aux autorités responsables?

 

Le CISSS de Lanaudière peut-il être solidairement responsable des dommages subis par les femmes d’origine atikamekw avec le ou la médecin qui a procédé à l’intervention stérilisante sans consentement libre et éclairé ou à l’insu des femmes d’origine atikamekw?

 

Les stérilisations réalisées sans consentement libre et éclairé ou à l’insu des femmes d’origine atikamekw constituent-elles une agression à caractère sexuel sujette à l’imprescriptibilité prévue à l’article 2926.1 du Code civil du Québec?

  1.            En somme, tant pour les médecins que pour le CISSS, j’estime que la demande d’autorisation satisfait les exigences du premier paragraphe de l’article 575 C.p.c.

Le paragraphe 575 (2) C.p.c. : la suffisance des faits allégués au soutien des conclusions recherchées

  1.            La Cour suprême, dans l’arrêt L’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal c. J.J.[44], rappelle qu’au stade de l’autorisation, le fardeau du ou des représentants consiste simplement à établir l’existence d’une « cause défendable » eu égard aux faits et au droit applicable et qu’il s’agit d’un seuil peu élevé qui ne requiert en effet que d’établir une simple possibilité d’avoir gain de cause sur le fond, même pas une possibilité « réaliste ou raisonnable » En sus de ce qui précède, le juge Brown ajoute :

[…] Tel que je l’ai signalé précédemment, il n’y a en principe pas lieu pour le tribunal, au stade de l’autorisation, de se prononcer sur le bien-fondé en droit des conclusions au regard des faits allégués. Il suffit que la demande ne soit ni « frivole » ni « manifestement non fondée » en droit; en d’autres termes, le demandeur doit établir « une apparence sérieuse de droit » ou encore un « droit d’action qui paraisse sérieux » : Guimond c. Québec (Procureur général), 1996 CanLII 175 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 347, par. 9-11; Berdah c. Nolisair International Inc., 1991 CanLII 3579 (QC CA), [1991] R.D.J. 417 (C.A. Qc), p. 420-421, le juge Brossard; Infineon, par. 63. Le seuil de preuve prévu à l’art. 575(2) C.p.c. est quant à lui plus utilement défini par ce qu’il n’est pas. Premièrement, le demandeur n’est pas tenu d’établir l’existence d’une cause défendable selon la norme de preuve applicable en droit civil, soit celle de la prépondérance des probabilités; en fait, le seuil de preuve requis pour établir l’existence d’une cause défendable est « beaucoup moins exigeant » : Infineon, par. 127; voir aussi par. 65, 89 et 94. Deuxièmement, il n’est pas nécessaire, contrairement à ce qui est exigé ailleurs au Canada, que le demandeur démontre que sa demande repose sur un « fondement factuel suffisant » : Infineon, par. 128. [Renvois omis]

En l’espèce, bien que le juge de première instance rapporte adéquatement les principes applicables, il outrepasse son rôle de filtrage en imposant aux représentantes un seuil de démonstration trop élevé alors que le dossier, tel que constitué suffit amplement, à mon avis, à satisfaire le fardeau d’une cause défendable et repose sur un fondement factuel tout aussi suffisant.

  1.            En l’espèce, bien que le juge rapporte adéquatement les principes applicables, il outrepasse son rôle de filtrage en imposant aux représentantes un seuil de démonstration trop élevé alors que le dossier, tel que constitué, suffit amplement, à mon avis, à satisfaire le fardeau d’une cause défendable et repose sur un fondement factuel tout aussi suffisant.
  2.            D’abord, il convient de régler d’emblée la proposition selon laquelle le CISSS ne peut être tenu responsable pour la faute commise par les médecins étant donné l’absence de lien de préposition entre eux. Personne ne conteste qu’en vertu du droit actuel, les médecins ne sont pas les préposés de l’établissement, bien que le fondement qui soutient ce postulat est remis en question par plusieurs, à l’ère d’une pratique hospitalière spécialisée, complexe et surtout multidisciplinaire[45].
  3.            La demande d’autorisation ne recherche pas ici la responsabilité du CISSS dans le cadre d’un lien de préposition pour la faute commise par les médecins, mais bien la faute directe du CISSS ou celle commise par ses préposés dans la prestation des soins et services offerts aux membres du groupe. Or, eu égard à ces fautes distinctes du CISSS, le juge se prononce ainsi :

[31] Ainsi, elles avancent que le CISSS n’aurait pas fourni des soins de santé adéquats et sécuritaires conformément aux articles 5 et 100 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux (LSSSS), ce qui engagerait sa responsabilité directe. Plus particulièrement, le CISSS aurait permis, par ses actions ou par sa négligence, que des actes fautifs ou de nature criminelle soient perpétrés en toute impunité par les Médecins, dans le contexte des soins fournis au sein même de son établissement, engageant ainsi également sa responsabilité civile directe. Aussi, le CISSS serait responsable de manière indirecte, soit à titre de commettant pour les fautes et les omissions de son personnel qui aurait contribué à la discrimination systémique à l’Hôpital de Joliette en reproduisant des préjugés et stéréotypes envers les patientes atikamekw. C’est entre autres pour cette raison que les demanderesses plaident que l’environnement de discrimination systémique les a empêchées de donner leur consentement libre et éclairé aux stérilisations qu’elles ont subies.

[32] Il faut se rendre à l’évidence que les demanderesses n’ont pas été privées de soins ou de services. Au contraire, elles allèguent avoir reçu des soins, plus précisément des interventions chirurgicales, mais sans avoir donné le consentement libre et éclairé. Il ne s’agit donc manifestement pas d’une omission, qu’elle soit directe, par le CISSS, ou indirecte, par l’inaction de son personnel. Si omission il y a, elle relève en l’occurrence du consentement aux soins, ce qui fait partie du contrat médical entre le patient et le médecin et non de la relation entre le patient et l’établissement.

[33] Par ailleurs, il semble impensable que le personnel du CISSS s’interpose dans la relation exclusive entre une demanderesse et son médecin et contre-vérifie l’existence ou la qualité d’un consentement à une intervention médicale. Il est même probable que, dans un tel cas, il s’agirait d’une immixtion fautive et en porte à faux avec le contrat médical et les devoirs de l’établissement. Même si le CISSS fournit un cadre à la relation médecin-patient, je ne vois aucune allégation voulant que U.T. ou M.X. aient vécu ce qu’elles ont vécu à cause des politiques, mesures, règlements, etc. du CISSS ou des actions, gestes ou paroles des préposés de ce dernier. Même si on semble reprocher au CISSS un suivi incomplet, cet élément ne présente aucun rapport avec la cause de l’action collective et la description du groupe proposé. L’obligation invoquée par les demanderesses d’obtenir et de conserver le consentement écrit de patients à toute anesthésie ou intervention chirurgicale ne concerne pas la validité du consentement, mais plutôt la tenue de dossiers.

[Renvois omis]

  1.            J’estime que le juge commet des erreurs en concluant de manière prématurée qu’il n’existe pas de cause d’action des représentantes à l’égard du CISSS tant pour ses fautes directes que pour celles commises par l’entremise de ses préposés, au motif qu’elles n’ont pas été privées de soins et qu’il n’existe pas de règlement ou de politique interne ou allégations de gestes ou de paroles qui véhiculent ou prônent le genre de comportement reproché par les représentantes. Le juge restreint ainsi indument la cause d’action à l’existence et à la qualité du consentement aux soins qu’il associe et attribue uniquement aux médecins et réfute l’idée qu’un autre membre du personnel soignant puisse s’immiscer dans la relation du médecin et de son patient.

La responsabilité pour les fautes directes de l’établissement

  1.            La demande d’autorisation vise la responsabilité du CISSS et identifie deux fautes directes que je résume ainsi : 1) le CISSS n’a pris aucune mesure pour endiguer le racisme systémique entre ses murs, ce qui a non seulement discriminé et vulnérabilisé les membres du groupe, mais a aussi permis que des stérilisations y soient réalisées sans le consentement ou sans le consentement libre et éclairé de ces membres, en toute impunité; et 2) le CISSS a manqué à ses devoirs et obligations d’assurer aux patientes autochtones un milieu de soins adéquat et sécuritaire, comme l’y oblige la LSSSS et, plus particulièrement, ses articles 5 et 100. J’estime à ce stade que les deux questions peuvent être traitées ensemble, car elles sont interreliées jusqu’à un certain point.
  2.            En ce qui concerne l’existence de racisme systémique, il n’est pas nécessaire d’obtenir copie de politiques ou de directives qui prôneraient, sans ambages et de manière directe, une forme de discrimination envers les patientes autochtones, politiques ou directives qui n’existent vraisemblablement pas. Le traitement discriminatoire institutionnalisé envers ces dernières est amplement décrit dans les nombreux rapports nationaux produits dans le dossier qui font état d’un environnement hostile, raciste et, au mieux, totalement mésadapté aux réalités des femmes autochtones. La preuve présentée à l’appui des allégations des représentantes soutient l’allégation selon laquelle l’accès inéquitable aux soins de santé pour les personnes atikamekw et le mauvais traitement dont elles ont pu être victimes ne pouvaient pas être ignorés par les autorités de l’établissement, et ce, depuis les années 1980[46]. Le rapport du coroner publié en 2021 portant sur la mort de Joyce Echaquan, une femme atikamekw de Manawan décédée au CHRDL, met en lumière non seulement que le racisme systémique est toujours présent à cet endroit en 2020, mais aussi que ces problèmes, dénoncés depuis plus de 40 ans, n’ont pas été résolus[47]. Le rapport de la Commission d’enquête Viens sur les relations entre les autochtones et certains services publics conclut aussi « que les préjugés envers les autochtones demeurent très répandus dans l’interaction entre les soignants et les patients[48]». Comme le précise bien la Cour suprême, ces rapports relatent tous des faits sociaux « qui ne peuvent raisonnablement être contestés[49] ».
  3.            Il n’est pas déraisonnable de conclure que la responsabilité du CISSS pourrait être retenue pour le fait d’avoir laissé perdurer un tel environnement, qu’il ne pouvait par ailleurs ignorer et la demande des représentantes à cet égard n’est ni frivole ni manifestement non fondée en droit.
  4.            De plus, les représentantes ont également satisfait leur fardeau de démonstration quant au caractère systémique des stérilisations imposées ou non consenties de manière libre et éclairée, réalisées sur le corps des femmes autochtones à l’hôpital de Joliette. Elles ont présenté à cet égard « une certaine preuve » qui permet de retenir leurs prétentions au stade de l’autorisation. D’une part, elles ont joint au soutien de leur demande le Rapport du comité sénatorial permanent des droits de la personne sur les stérilisations forcées au Canada qui conclut que ces pratiques visent particulièrement les femmes autochtones et que le racisme systémique dont elles sont victimes ne peut être dissocié des violences obstétricales qu’elles ont subies et continuent de subir. Le Rapport de l’enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées met également en évidence les préjugés et les stéréotypes tenaces relatifs aux compétences maternelles et aux mœurs douteuses des femmes autochtones[50]. Même si la pratique des stérilisations imposées est peu documentée au Québec, son caractère systémique dans la province, de même que sa connaissance par le CISSS peuvent être tenus pour avérés au stade de l’autorisation[51].
  5.            Le juge commet ainsi une erreur en concluant qu'aucun lien ne peut être établi entre le racisme systémique présent à l’hôpital de Joliette et les stérilisations imposées qui y auraient été pratiquées. L’absence de protocole ou de politique visant une stérilisation systématique des femmes atikamekw au CISSS n’est pas une fin de non-recevoir à la responsabilité potentielle de l’établissement. Même en présumant qu’il n’existe aucun protocole ou politique visant la stérilisation systématique des femmes atikamekw au CISSS, cela ne veut pas dire pour autant que la pratique ne s’est pas produite et qu’aucune autre faute directe ne peut lui être reprochée. En outre, le CISSS ne semble avoir adopté aucune mesure positive et contraignante pour enrayer des gestes et attitudes discriminatoires à l’égard des patientes atikamekw, pour faire cesser toute forme d’abus et pour protéger cette population vulnérable. La faute directe alléguée du CISSS prend ici la forme d’une « omission de prendre les mesures qui s’imposent afin de prévenir ou de faire cesser les abus », comme l’enseigne la Cour suprême dans l’arrêt Oratoire[52].
  6.            En ce qui concerne maintenant les manquements aux devoirs et obligations qui incombent au CISSS en vertu de la LSSSS, dont notamment de fournir des soins de santé adéquats et sécuritaires, j’estime que le juge erre lorsqu’il conclut que l’établissement n’a pas pu manquer à une telle obligation, puisque des soins, en l’occurrence une intervention chirurgicale, ont effectivement été offerts aux femmes atikamekw[53]. À mon avis, le juge d’autorisation circonscrit de manière erronée et prématurée la portée de cette obligation. Il ne s’agit pas ici de s’interroger sur la qualité de l’acte chirurgical accompli, qui relève ultimement de la responsabilité des médecins, mais de déterminer si celui-ci a été réalisé sans le consentement des patientes. L’établissement et ses préposés avaient notamment l’obligation de s’assurer que celles-ci soient bien informées de leurs options, ainsi que des conséquences d’une telle intervention sur leur état de santé et leur bien-être, et ce, avant de consentir aux soins proposés[54]. Ce faisant, le juge propose une interprétation indument restrictive de la LSSSS et « compartimentalise » de manière étanche la responsabilité de l’établissement de santé de celle des médecins eu égard à la qualité attendue de l’ensemble des soins offerts et à son obligation d’assurer la sécurité des usagers.
  7.            Finalement, comme le soutiennent les représentantes, l’absence de mesures visant à atténuer les obstacles linguistiques et culturels auxquels sont confrontées les patientes Atikamekw a aussi pu contribuer directement au préjudice subi. Par exemple, l’absence d’agent de liaison culturelle et d’interprète a pu accentuer la vulnérabilité de ces patientes, favoriser la commission des actes de nature discriminatoire par les médecins, de même que leur répétition en toute impunité, et peut constituer un manquement à l’obligation de l’établissement hospitalier de fournir des soins adéquats et sécuritaires en vertu de la LSSSS. La Cour suprême a reconnu dans l’arrêt Eldridge c. Colombie-Britannique[55] que le défaut d’un hôpital de fournir les services d’un interprète gestuel à une personne sourde était discriminatoire, car le patient ne pouvait consentir de manière libre et éclairée à une intervention dont il ne comprenait pas la nature. L’absence d’interprète atikamekw à l’hôpital de Joliette est aussi susceptible de constituer une violation de leur droit à l’égalité en vertu de la Charte canadienne[56] et du droit à la non-discrimination en vertu de la Charte québécoise[57], de même qu’un manquement à l’obligation de fournir des services sans discrimination en vertu de la LSSSS.
  8.            Au stade de l’autorisation, j’estime donc que les représentantes ont satisfait leur fardeau de démontrer l’existence d’une possibilité d’avoir gain de cause sur le fond contre le CISSS pour les fautes directes alléguées contre ce dernier. L’existence de racisme, les omissions du CISSS de prendre les mesures afin de prévenir ou de faire cesser ces abus – surtout en présence d’obligations positives lui incombant, d’assurer le bien-être et la sécurité des patients, tels qu’allégués – peuvent fonder une cause défendable qui n’est ni frivole ni manifestement infondée.

La responsabilité de l’établissement pour les fautes de ses préposés

  1.            Dans le cadre de la demande introductive d’instance, les représentantes allèguent notamment que les employés du CISSS connaissaient ou devaient connaître l’existence d’une pratique répandue de stérilisations sans consentement ou sans consentement libre et éclairé auprès des femmes atikamekw au sein de son établissement et que, par leurs actes, leur silence et leur inaction, ces employés et notamment les infirmières, se sont rendus complices des abus perpétrés[58].
  2.            Le CISSS plaide essentiellement l’absence de substrat factuel pouvant établir sa responsabilité en lien avec les fautes de ses employés, puisque selon lui, il n’existe aucune preuve que ces derniers connaissaient l’existence de ces pratiques.
  3.            La demande d’autorisation laisse voir plusieurs fautes susceptibles d’être imputées au personnel soignant du CISSS. Les pièces déposées par les représentantes afin de soutenir ces allégations, les dossiers médicaux[59] et les différents rapports d’enquête[60]  sont suffisants à ce stade pour démontrer un syllogisme juridique permettant de fonder leurs prétentions. J’estime que le juge d’autorisation commet une erreur révisable lorsqu’il affirme que la demande ne contient aucune preuve qui permettrait d’imputer un geste positif ou une omission de la part des employés du CISSS, et que le récit des représentantes contredit même à certains égards ces prétentions[61]. Avec égards, le juge s’approprie le rôle du juge du fond en faisant ressortir des « contradictions » dans la preuve, alors que sa tâche consistait simplement à constater l’existence d’un syllogisme juridique possible.
  4.            Par exemple, U.T. rapporte avoir fait l’objet de pression de la part des médecins, mais aussi du personnel soignant pour qu’elle consente à se faire stériliser lors de ses premières visites à la clinique de gynécologie obstétrique du CISSS de Lanaudière, qui se sont soldées par des avortements[62]. Elle ne parle pas bien le français et aucun service d’interprète ne lui est offert pour assurer une bonne compréhension des informations médicales[63].
  5.            Une faute pourrait ainsi être inférée du comportement du personnel soignant, notamment des infirmières, qui devaient non seulement veiller à préserver la liberté et la dignité de cette patiente selon leur code de déontologie, mais qui avaient aussi l’obligation, en vertu de l’article 8 de la LSSSS, de s’assurer qu’elle était informée de la nature de l’opération qu’elle allait subir, des risques et des conséquences de celle-ci, d’autant que la mauvaise compréhension de la langue française par U.T. et l’absence de service d’interprétation étaient susceptibles d’alerter le personnel hospitalier quant à de possibles difficultés de bien comprendre ses options thérapeutiques. Bien que le médecin soit ultimement responsable d’obtenir le consentement de ses patients, les membres du personnel hospitalier étaient également tenus, en vertu de l’article 8 de la LSSSS, de fournir les informations nécessaires à la patiente, de s’assurer du caractère libre et éclairé de son consentement, et de le consigner par écrit conformément à l’article 52.1 du Règlement sur l’organisation et l’administration des établissements[64].
  6.            Par ailleurs, j’estime à cet égard que le juge circonscrit précocement la portée de l’article 52.1 du Règlement sur l’organisation et l’administration des établissements des soins de santé[65], sur l’obligation de consigner le consentement à toute intervention chirurgicale, lorsqu’il affirme au paragraphe 33 de son jugement, que cette obligation ne concerne pas la validité du consentement, mais bien la simple tenue des dossiers. Cette obligation de consigner le consentement par écrit a très rarement fait l’objet d’une discussion jurisprudentielle, et sa portée n’a jamais été limitée à la simple tenue des dossiers, comme l’entend le juge d’autorisation[66]. De toute évidence, il s’agit d’une disposition polysémique dont l’interprétation pourra être débattue au fond, mais qui ne pouvait être tranchée en l’absence d’indices jurisprudentiels au stade de l’autorisation.
  7.            Toujours selon la demande, U.T. se présente par la suite à l’hôpital de Joliette pour accoucher par césarienne[67]. Elle remplit un formulaire de consentement à la césarienne et à l’anesthésie, tel qu’il appert de son dossier médical du CISSS de Lanaudière joint à la demande[68]. Or, comme il ressort du compte-rendu opératoire, U.T. subit alors une ligature des trompes de Fallope, à laquelle elle n’a jamais consenti[69]. Dans ce contexte, il est tout à fait raisonnable, au stade de l’autorisation, de déduire que certaines infirmières et autres membres du personnel hospitalier savaient que la chirurgienne ayant pratiqué l’opération n’avait pas obtenu le consentement de la patiente, puisque notamment le dossier était muet à cet égard, contrairement aux prescriptions de la loi. Pourtant, personne n’est intervenu pour empêcher la commission de cet acte. On peut aisément constater la présence de personnel soignant lors de l’intervention subie à la lecture même du dossier médical de U.T. Il s’agit d’une autre faute, qui, si prouvée, pourrait engager la responsabilité du CISSS. Ce substrat factuel est donc suffisant en l’espèce.
  8.            Finalement, l’absence de dénonciation de la part des infirmières et des autres membres du personnel hospitalier, malgré la connaissance alléguée des gestes posés par les médecins pourrait servir de fondement à une autre conduite fautive envers les employés du CISSS. En vertu de l’article 233.1 de la LSSSS, les infirmières et autres préposés étaient légalement tenus de dénoncer cet accident à l’établissement hospitalier.
  9.            Cet article est ainsi rédigé :

233.1  Tout employé d’un établissement, toute personne qui exerce sa profession dans un centre exploité par l’établissement, tout stagiaire qui effectue un stage dans un tel centre de même que toute personne qui, en vertu d’un contrat de services, dispense pour le compte de l’établissement des services aux usagers de ce dernier doit déclarer, au directeur général d’un établissement ou, à défaut, à une personne qu’il désigne, tout incident ou accident qu’il a constaté, le plus tôt possible après cette constatation. Une telle déclaration doit être faite au moyen du formulaire prévu à cet effet, lequel est versé au dossier de l’usager.

233.1 Any employee of an institution, any person practising in a centre operated by an institution, any person undergoing training in such a centre or any person who, under a service contract, provides services to users on behalf of an institution must, as soon as possible after becoming aware of any incident or accident, report it to the executive director of the institution or to a person designated by the executive director. Such incidents or accidents shall be reported in the form provided for such purposes, which shall be filed in the user’s record.

 

Le directeur général de l’établissement ou, à défaut, la personne qu’il désigne rapporte, sous forme non nominative, à l’agence, selon une fréquence convenue ou lorsque celle-ci le requiert, les incidents ou accidents déclarés.

The executive director of the institution or the person designated by the executive director shall report, in non-nominative form, all reported incidents or accidents to the agency at agreed intervals or whenever the agency so requires.

  1.            L’article 8 de la LSSSS précise qu’un accident constitue « une action ou une situation où le risque se réalise et est, ou pourrait être, à l’origine de conséquences sur l’état de santé ou le bien être d’un usager (…) », ce qui de toute évidence englobe le cas d’une stérilisation non consentie ou consentie de manière non libre et éclairée. Cette dénonciation aurait pu mener à la suspension par l’établissement des privilèges du médecin, en vertu de l’article 235.1 de la LSSSS, à la mise en place des mesures de contrôle plus larges et ainsi, éviter que d’autres telles stérilisations soient réalisées. Ces obligations maintenant prévues à la LSSSS ne font que reprendre les bonnes pratiques attendues du personnel soignant.
  2.            Ces inférences sur les fautes que pourraient avoir commis les membres du personnel hospitalier sont également soutenues par les témoignages recueillis par le Comité sénatorial permanent des droits de la personne dans leur rapport sur les stérilisations forcées et contraintes au Canada[70]. Les extraits suivants expliquent l’implication des infirmières et des membres du personnel hospitalier dans ces atteintes graves à l’intégrité des femmes victimes dans différentes circonstances qui s’apparentent à celles décrites par les représentantes en l’espèce :

Des infirmières et des médecins sont revenus. Je pouvais les entendre parler. Mon partenaire, qui était assis à ma gauche près de ma tête, m’a dit que l’équipe médicale était regroupée à mes pieds. Une infirmière s’est alors approchée de moi à ma droite et m’a dit très fort que je ne pourrais pas avoir d’autres enfants, et qu’il valait mieux que je subisse une ligature des trompes. J’étais confuse et je regardais mon partenaire. L’infirmière s’est alors tournée vers lui et lui a dit : « Elle ne peut pas avoir d’autres enfants. Il est dans son intérêt qu’elle subisse cette intervention. » Mon partenaire m’a répété ce que l’infirmière avait dit, et j’ai demandé alors si c’était réversible. Elle a répondu que oui.

Je n’ai pas eu le temps de réfléchir et je n’avais pas les idées claires. L’infirmière m’a dit que je devais prendre une décision. J’ai été contrainte de décider, toujours exposée, avec mon abdomen encore ouvert après la césarienne, et mes bras toujours attachés et engourdis. Je me suis crue obligée de dire oui. Quelques instants plus tard, j’ai senti une odeur de brûlé et je me suis dit : « Est-ce qu’ils ont brûlé mes trompes? » Ensuite, le médecin a refermé la plaie.

Je faisais confiance à l’équipe médicale, mais j’ai su que quelque chose n’allait pas lorsque j’ai senti l’odeur de chair brûlée. Ce sont des étrangers, avec qui je n’avais jamais eu de contact, qui ont insisté pour que je subisse une ligature des trompes. L’équipe médicale a profité de moi dans un état de vulnérabilité.

      ***

Personne ne m’a demandé ce que je voulais. Personne ne m’a expliqué pourquoi j’avais apparemment besoin qu’on fasse cela, et je n’ai signé aucun formulaire. Je n’ai toujours pas une idée précise des options qui s’offraient à moi et des raisons pour lesquelles on m’a dit qu’il valait mieux me stériliser. Je sais maintenant que la stérilisation est irréversible[71].

     ***

J’étais très jeune lorsque j’ai eu ma fille. J’avais 15 ans. Mes parents n’étaient pas des parents à qui je pouvais dire que j’étais enceinte. Donc, cette période de ma vie était traumatisante et je ne l’ai dit à personne. J’ai dû quitter l’école parce que cela commençait à se voir et, en fait, c’est mon directeur qui a informé ma mère que j’étais enceinte.

Je me souviens de sa naissance, de la douleur pendant l’accouchement. Je me souviens également qu’une femme noire était dans la chambre avec moi, une infirmière auxiliaire. Malgré toute la douleur, je me rappelle qu’elle s’est disputée avec le médecin. Je me souviens encore aujourd’hui de sa voix et de la sévérité dans sa voix lorsqu’elle lui a dit « vous ne pouvez pas faire cela; vous devez obtenir la permission de le faire ». Le médecin a répondu qu’il était trop tard, qu’il ne voulait pas me voir revenir, avoir un enfant après l’autre et vivre cela, voire pire. Il a dit « nous ne nous retrouverons plus jamais dans cette situation ». Je ne savais pas du tout de quoi il parlait. J’étais en train d’accoucher et j’avais 15 ans, mais j’ai découvert qu’il avait fait quelque chose qui m’empêcherait d’avoir d’autres enfants. On n’en a jamais discuté avec moi ni avec ma mère, qui m’accompagnait pendant mon séjour à l’hôpital. Il n’en a jamais été question.

[Nos soulignements]

  1.            Des témoignages d’infirmières ont également été recueillis par les autrices du rapport de recherche sur les stérilisations imposées sur des Premières Nations et Inuit au Québec. L’extrait suivant soutient les allégations des représentantes selon lesquelles les membres du personnel hospitalier savaient que des médecins réalisaient des chirurgies stérilisantes sur des patientes autochtones, mais n’agissaient pas par peur de représailles :

Une professionnelle de la santé aujourd’hui à la retraite s’est remémoré les circonstances et le traitement réservé à certaines patientes innues dans les années 1960-1970 (33-TE-2). La barrière de la langue ainsi que l’absence d’interprètes sont des enjeux qui ont eu un effet sur l’exercice du consentement libre et éclairé de ces patientes. Elle relate aussi que des ligatures des trompes ont été pratiquées à l’insu des patientes et que le médecin en place avait un grand pouvoir de décision qu’il n’était pas possible de contester. Elle explique : « Peut-être que tu signes même si ça ne te tente pas. Tout le monde avait très peur. C’est comme si on était... une affaire militaire. C’était : Ça, ça, ça. » Et elle ajoute :

Mais je sais qu’il en faisait (en référence à la ligature des trompes) comme il était le seul chirurgien. Ce sont les infirmières qui en parlaient. Elles trouvaient ça de valeur. Mais comme on avait toutes peur, on n’avait personne à [qui] déclarer, ou je ne sais pas, [pour] se défendre aussi. Le chirurgien, tu ne l’accuses pas comme ça.

[Nos soulignements]

  1.            En somme, les allégations de la demande introductive d’instance, les pièces et les rapports déposés mettent ainsi en lumière la possibilité que des fautes soient retenues contre les membres du personnel soignant, et plus particulièrement : 1) de ne pas s’être assurés, avant la chirurgie, que les patientes étaient informées de la nature de l’intervention à laquelle elles allaient être soumises, en comprennent les conséquences raisonnablement prévisibles et notamment son caractère irréversible et qu’elles y consentaient; 2) de ne pas être intervenus, le cas échéant, durant la procédure, alors qu’ils savaient ou auraient dû savoir que le médecin réalisait cet acte médical sans avoir obtenu de consentement libre et éclairé; et 3) de ne pas avoir dénoncé les agissements des médecins aux autorités de l’établissement, permettant ainsi qu’une telle pratique persiste et qu’un signalement aurait pu prévenir la commission d’autres cas semblables.
  2.            Au stade de l’autorisation, et bien que ces éléments doivent bien sûr être démontrés au procès, j’estime ainsi que les représentantes ont satisfait leur fardeau de présenter une cause défendable.

Le paragraphe (3) de l’article 575 C.p.c. : la composition du groupe

  1.            En ce qui concerne le troisième critère de l’article 575 C.p.c. relatif à la description du groupe, telle que proposée par les représentantes, les médecins échouent à me convaincre que le juge a commis une erreur manifeste et déterminante dans son analyse à cet égard. La description du groupe est précise, repose sur des critères objectifs permettant d’en identifier les membres[72] et n’est pas définie trop largement. La conclusion du juge au paragraphe 50 du jugement, selon laquelle la taille du groupe pouvait réalistement être estimée à une centaine de personnes, excluant les victimes par ricochet, peut s’inférer de plusieurs allégations de la demande d’autorisation et l’absence d’un nombre exact de victimes ne constitue pas une erreur en soi. De plus, contrairement à ce que soulèvent les médecins, le troisième paragraphe de l’article 575 C.p.c. n’exige pas un nombre minimal de personnes faisant partie du groupe. Le critère d’autorisation nécessite simplement que la composition du groupe rende difficile ou peu pratique la poursuite du recours par voie ordinaire, ce qui est le cas en l’espèce. Les médecins ne montrent de surcroît aucune erreur manifeste et déterminante du juge à cet égard, se contentant d’exprimer leur désaccord avec ses conclusions.
  2.            Somme toute, en ce qui concerne l’évaluation du juge des différents critères de l’article 575 C.p.c. donnant ouverture à une demande d’autorisation d’exercer une action collective par les représentantes U.T. et M.X. à l’encontre du Dr Richard Monday, Dre Yvonne Brindusa Vasilie, la succession du Dr Marcel Turcot et du CISSS, je suis d’avis que le juge a commis une erreur de droit en outrepassant son rôle de filtrage et en décidant qu’il n’existait pas de syllogisme juridique suffisant ni de cause défendable à l’égard du CISSS, tant pour sa faute directe que celle de ses préposés. En revanche, j’estime que le juge n’a pas commis d’erreur dans son évaluation du premier et troisième critère de l’article 575 C.p.c. La demande d’autorisation identifie plus qu’une question commune à tous les membres du groupe dont la réponse est susceptible de faire progresser le débat de manière non négligeable. Le groupe est adéquatement circonscrit.
  3.            Ne reste que la question soulevée par les représentantes selon laquelle le juge aurait omis de tenir compte de certaines pièces, plus particulièrement les pièces P-14 et P-15 dans le cadre de son jugement. Vu les conclusions auxquelles j’arrive au sujet de l’existence d’un syllogisme juridique, et vu aussi la facture du jugement, qui sans nécessairement y référer de manière précise, tient compte du contexte colonial et de la discrimination systémique qui prévaut à l’hôpital de Joliette, j’estime que ce moyen n’est pas fondé.  Je suis aussi d’avis qu’il n’y a pas lieu de se pencher plus amplement sur les arguments de droit international soumis par les intervenantes vu le caractère suffisant des règles juridiques internes.
  4.            À la lumière de l’analyse qui précède, je propose d’accueillir l’appel logé par les représentantes contre le CISSS de Lanaudière et de rejeter celui formé par les médecins Richard Monday, Yvonne Brindusa Vasilie et la succession de Marcel Turcot, et de laisser l’action collective se poursuivre.

 

 

 

CHRISTINE BAUDOUIN, J.C.A.

 


[1]   U.T. c. Centre intégré de santé et de services sociaux de Lanaudière, 2023 QCCS 3180 [jugement entrepris].

[2]  Id., paragr. 38.

[3]   Monday c. U.T., 2023 QCCA 1340. Les médecins ont obtenu la permission d’appeler et leur appel a été joint à celui des représentantes pour une audition commune.

[4]   Femmes autochtones du Québec inc. c. Centre intégré de santé et de services sociaux de Lanaudière, 2024 QCCA 483.

[5]  Charte des droits et libertés de la personne,  L.R.Q., c. C-12.

[6]  Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11.

[7]  Pièce P-6, dossiers médicaux de la demanderesse U.T., (extraits), M.A., vol. confidentiel, p. 605-610.

[8]  Demande modifiée, paragr. 45 et s.

[9]  Id., paragr. 47 et s.

[10]  Id., paragr. 54.

[11]  Id., paragr. 55-56.

[12]  Id., paragr. 61.

[13]  Id., paragr. 62.

[14]  Id., paragr. 65. Le cas d’une autre patiente, A.B. est aussi présenté, mais celle-ci ne semble pas être désignée comme représentante du groupe.

[15]  Jugement entrepris, supra, note 1, paragr. 14.

[16]  Id., paragr. 26.

[17]  Id., paragr. 28 et s.

[18]  Id., paragr. 29.

[19]  Id., paragr. 32.

[20]  Ibid.

[21]  Id., paragr. 33.

[22]  Ibid.

[23]  Id., paragr. 33.

[24]  Id., paragr. 36.

[25]  Id., paragr. 39-40.

[26]  Id., paragr. 43 et s.

[27]  Cozak c. Procureur général du Québec, 2021 QCCA 1376, paragr. 4, demande d'autorisation d'appel à la Cour suprême rejetée, 24 mars 2022, no 39964.

[28]  L’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal c. JJ, 2019 CSC 35, paragr. 10, 11 et 202. Voir aussi Desjardins Cabinet de services financiers inc. c. Asselin, 2020 CSC 30, paragr. 2; Vivendi Canada inc. c. Dell’Aniello, 2014 CSC 1, paragr. 34; Harvey c. Vidéotron, 2021 QCCA 1183, paragr. 22; Karras c. Société des loteries du Québec, 2019 QCCA 813, paragr. 18-23.

[29]  Desjardins Cabinet de services financiers inc. c. Asselin, 2020 CSC 30, paragr. 27, citant L’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal c. JJ, 2019 CSC 35, paragr. 56, citant Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59, paragr. 61, 125 et 150.

[30]  L’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal c. JJ, 2019 CSC 35, paragr. 58.

[31]  Ibid; Tessier c. Economical, compagnie mutuelle d’assurance, 2023 QCCA 688, par. 27.

[32]  L’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal c. JJ, 2019 CSC 35, paragr. 59; Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59, paragr. 134.

[33]  Hollick c. Toronto (Ville de), 2001 CSC 68, paragr. 27, tel qu’énoncé dans Western Canadian Shopping Centres Inc. c. Dutton, 2001 CSC 46, paragr. 27 et s.

[34]  Sibiga c. Fido Solutions inc., 2016 QCCA 1299, paragr. 97.

[35]  Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, 2014 CSC 1, paragr. 46 et 54.

[36]  Id., paragr. 46; Lachaine c. Air Transat A.T. Inc., 2024 QCCA 726, paragr. 23.

[37]   Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, 2014 CSC 1, paragr. 58. Voir aussi Comité d’environnement de la Baie inc. c. Société d’électroluse et de chimie Alcan ltée, (1990) RJQ 655.

[38]   Barratto c. Merck Canada inc., 2018 QCCA 1240, paragr. 71-72.

[39]  Asselin c. Desjardins Cabinet de services financiers inc., 2017 QCCA 1673, paragr. 156; Baratto c. Merck Canada inc., 2018 QCCA 1240, paragr. 72.

[40]  Banque de Montréal c. Marcotte, 2014 CSC 55, paragr. 32; Sibiga c. Fido Solutions inc., 2016 QCCA 1299, paragr. 39.

[41]  Beaulieu c. Facebook, 2022 QCCA 1736, paragr. 60 et 62.

[42]  D.E. (Guardian ad litem) v. British Columbia, 2005 BCCA 134, paragr. 70 et s.

[43]   L’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal c. JJ, 2019 CSC 35, paragr. 44.

[44]  Id., paragr. 58. Voir aussi M.L. c. Guillot, 2021 QCCA 1450.

[45]  Certains auteurs en effet, même après la décision de la Cour dans Camden-Bourgault, continuent d’envisager la reconnaissance d’une responsabilité contractuelle universelle des professionnels de la santé à l’égard des patients à qui ils offrent des soins et services. Voir entre autres Baudouin, J.-L., P. Deslauriers et B. Moore, La responsabilité civile, volume 2 – Responsabilité professionnelle, 9e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2020, paragr. 2-106; D. Chalifoux, « Vers une nouvelle relation commettant-préposé », (1984) 44 R. du B. 815; F. Tôth, « Contrat hospitalier moderne et ressources limitées : conséquences sur la responsabilité civile », (1990) 20 R.D.U.S. 313, 332 et s.; « La responsabilité civile hospitalière pour la faute médicale », dans Service de la formation permanente, Barreau du Québec, vol. 24, Développements récents en droit de la santé, Montréal, Éditions Yvon Blais, 1991, p. 33; J.-P. Ménard, « La responsabilité hospitalière pour la faute médicale », dans Service de la formation permanente, Barreau du Québec, Le devoir de sécurité et la responsabilité des établissements de santé, vol. 179, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2002, p. 139. Voir aussi : P. Hébert, Pour une interprétation renouvelée du critère de l'exécution des fonctions de l'article 1463 C.c.Q., mémoire de maîtrise, Université Laval, 2006.

[46]  Pièce P-15, Conseil attikamek-montagnais, « Étude sur les services de santé des réserves atikamekw et montagnaises », 1982, M.A., vol. 5, p. 1120 et s.

[47]   Pièce P-2, Rapport d’enquête de la coroner concernant le décès de Joyce Echaquan.

[48]   Pièce P-1, Commission d’enquête (Commission Viens) sur les relations entre les Autochtones et certains services publics : écoute, réconciliation et progrès, Rapport final, (extraits), M.A., vol. 3, p. 471).

[49]  R. c. Williams, [1998] 1 R.C.S. 1128; R. c. Spence, 2005 CSC 71, paragr. 5.

[50]  Pièce P-10, Rapport de l’enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, M. A., vol. 3, p. 686, 697 et 714.

[51]  Il est vrai, comme l’a fait remarquer notamment l’avocate du CISSS à l’audience, qu’il existe peu de données statistiques sur le nombre de stérilisations contraintes subies par des femmes autochtones au Québec, et la demande ne fait état que de trois cas répertoriés à l’hôpital de Joliette. On pourrait douter, comme l’expose le CISSS dans son mémoire, du caractère véritablement systémique de la pratique dans les hôpitaux québécois. De fait, les représentantes joignent à leur demande une étude québécoise publiée en 2022 sur la problématique des stérilisations imposées aux femmes des Premières Nations et inuit au Québec. Cette étude, basée sur un appel à témoignage, fait état de très peu de stérilisations forcées réalisées au Québec. Or, les autrices du rapport notent les limites de leur approche méthodologique qui pourrait expliquer le faible taux de cueillette de témoignages, et une sous-représentation de la problématique (Pièce P-14, Rapport de l’UQAT, Consentement libre et éclairé et les stérilisations imposées de femmes des Premières Nations et Inuit au Québec, M.A., vol. 4, p. 1106.). Plusieurs facteurs peuvent expliquer le faible taux de dénonciation de ces stérilisations subies, tels que la honte, le déni, la peur, les barrières culturelles et la méconnaissance du processus de recueil des témoignages (Ibid). Le rapport du Comité sénatorial souligne également que l'insuffisance des données et des recherches au Québec « nuit à la reconnaissance de la gravité du problème chez les femmes des Premières Nations et Inuites » de la province (Id., p. 597). Il est permis de penser comme le juge d’instance, que beaucoup plus de femmes ont en réalité subi de telles opérations sans leur consentement, et de tenir pour avéré, au stade de l’autorisation, le caractère systémique de ces stérilisations auprès de cette population marginalisée.

[52]  L’Oratoire SaintJoseph du MontRoyal c. J.J., 2019 CSC 35, paragr. 63. J’estime par ailleurs que la responsabilité de l’établissement hospitalier apparaît encore plus clairement dans le présent dossier que dans l’action collective initiée par le demandeur JJ contre l’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal et la congrégation religieuse intimée, puisque l’obligation d’assurer la sécurité des patients est explicitement inscrite dans la loi, et ne découle pas seulement d’un simple devoir civil de diligence. Voir aussi Conseil pour la protection des malades c. Centre intégré de santé et de services sociaux de la Montérégie-Centre, 2019 QCCS 3934.

[53]  Jugement entrepris, paragr. 31 et s.

[54]  LSSSS, art. 8.

[55]  Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 RCS 624, paragr. 69-80.

[56]  Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11, art. 15(1).

[58] Voir notamment demande modifiée, paragr. 95-100.

[59]  Arès c. Venner, [1970] R.C.S. 608.

[60]  Ibid., supra, note 49.

[61] Jugement entrepris, paragr. 36 et 37.

[62] Ibid.

[63] Ibid.

[64] Règlement sur l’organisation et l’administration des établissements, ch. S-5, r.5, art. 52.1 : « Le consentement d’un bénéficiaire ou de son représentant légal à une anesthésie ou à une intervention chirurgicale doit être attesté par un document écrit signé par le bénéficiaire ou son représentant légal et ce document doit faire état de l’obtention par le bénéficiaire des informations appropriées, concernant notamment les risques ou les effets possibles. Cet écrit doit être contresigné par le médecin ou le dentiste traitant et conservé dans le dossier du bénéficiaire / The consent of a beneficiary or his legal representative to anesthesia or surgery shall be supported by a written document signed by the beneficiary or his legal representative specifying that the beneficiary has obtained appropriate information, particularly about possible risks or effects. The document must be countersigned by the attending physician or dentist and be preserved in the beneficiary’s record ».

[65] Ibid.

[66] Voir Lacasse c. Lefrançois, 2007 QCCA 1015; Guénard c. Houle, 2010 QCCS 2628. Il est vrai que cet article figure sous le chapitre « Dossier des bénéficiaires », mais cette disposition vise un type de consentement particulier, celui relatif à une anesthésie ou une intervention chirurgicale. Aucun autre type de soins ne nécessite, en vertu de ce règlement, de preuve écrite du consentement. Ce formalisme implique deux aspects : d’une part, les infirmiers et le personnel hospitalier jouent un rôle actif dans l’obtention du consentement, car ils sont chargés de faire signer le formulaire, qui sera ensuite validé par le médecin traitant. Ces membres du personnel sont donc conscients lors de l’opération chirurgicale que le consentement a été ou non donné à une intervention. D’autre part, ce formulaire de consentement engage l’hôpital à garantir des soins sécuritaires et adéquats. En effet, l’hôpital assume une responsabilité supplémentaire en s'assurant que le consentement pour cette intervention, qui impacte considérablement l'intégrité de la personne, soit obtenu de manière éclairée et volontaire.

[67] Ibid.

[68] Pièce P-6, Dossiers médicaux de la demanderesse U.T., M.A., vol. confidentiel, p. 605.

[69] Id., p. 606.

[70] Pièce P-3.1, Comité sénatorial permanent des droits de la personne, Les cicatrices que nous portons : la Stérilisation forcée et contrainte de personnes au Canada – Partie II », juillet 2022, M.A., vol. 3, p.558 et s.

[71] Id., p. 570-571.

[72] George c. Québec (Procureur général), 2006 QCCA 1204.

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