Décision

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Mofette c. Morel

2022 QCTAL 34817

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Saint-Jérôme

 

No dossier :

490042 28 20191105 G

No demande :

2884260

 

 

Date :

30 novembre 2022

Devant la juge administrative :

Marie-Louisa Santirosi

 

Crystel Mofette

 

David Grenon

 

Locataires - Partie demanderesse

c.

Pascal Morel

 

Locateur - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Les locataires, par une demande modifiée[1], réclament une réduction de loyer de 400 $ par mois à partir du 1er mars 2019 jusqu’à leur départ temporaire du 15 septembre 2020, 15 000 $ en dommages moraux, 20 000 $ en dommages punitifs suivant l’article 1902 C.c.Q. (harcèlement) ainsi qu’en vertu de la Charte des droits et liberté de la personne, le tout avec intérêts et indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q et le paiement des frais judiciaires.

[2]         Ils demandent la réunion de leur dossier avec celui en non-paiement du locateur, M. Pascal Morel, introduit au 30 août 2019 dans le dossier de cour 479384 28 20190830 ainsi que celui produit le 26 mars 2020 dans le dossier de cour 516013 28 20200326.

[3]         Les locataires dénoncent les recours abusifs ainsi que l’acharnement du locateur à leur égard, le refus systématique de ce dernier à se conformer aux jugements successifs du Tribunal et son mépris de leurs droits fondamentaux.

[4]         Les locataires avaient loué une partie du sous-sol d’un immeuble appartenant au locateur, pour être relocalisés au rez-de-chaussée, le 1er mars 2019.

[5]         Il s’agissait d’un bail verbal et le loyer mensuel s’élevait à 800 $. 

[6]         Le locataire, M. David Grenon, témoigne qu’il était heureux d’avoir trouvé un logement à proximité de l’école de son fils handicapé. Cependant, l’aventure du couple s’est transformée en cauchemar.

[7]         Le 9 septembre 2020, les locataires font parvenir au locateur un avis d’abandon pour le 15 septembre 2020, au motif que le logement est impropre à l’habitation.

[8]         Pour bien comprendre la présente affaire et la remettre en contexte, il s’avère essentiel de relater l’historique judiciaire des parties.


Historique judiciaire

[9]         On ne dénombre pas moins de 12 recours différents, sans compter les convocations pour la gestion du dossier et/ou les remises :

-          Le 28 août 2019, les locataires introduisent une demande pour obliger le locateur à assainir le logement[2].

-          Deux jours plus tard, soit le 30 août 2019, le locateur dépose un recours en résiliation de bail pour non-paiement, mais omet de notifier/signifier la demande aux locataires. Il ne se présente pas à l’audience, ce qui entraîne le rejet de sa réclamation le 10 mars 2020[3].

-          Préalablement, le 5 novembre 2019, les locataires introduisent le présent recours.

-          Le 11 novembre 2019, le locateur se pourvoit en rétractation du jugement rejeté le 10 mars 2020[4].Cette même journée, la demande des locataires, produite le 28 août 2019, est accueillie. Le Tribunal déclare insalubre le logement, donne deux mois au locateur pour remettre l’unité en bonne condition et le condamne à verser aux locataires la somme de 1 000 $ pour leur déménagement temporaire[5].

-          Le 26 mars 2020, le locateur dépose de nouveau une demande en résiliation de bail pour non-paiement de loyer. Ne s’étant pas présenté, lorsque convoqué pour une conférence de gestion, la demande est rejetée, sur le banc, faute de preuve[6].

-          Le locateur réplique le 4 avril 2020, par une demande d’évacuation des locataires, refusée par le Tribunal le 23 juin 2020. Rappelons que nous sommes en pleine pandémie et qu’il y a un jugement concernant l’obligation du locateur de remettre en bonne condition le logement[7].

-          Le 29 avril 2020, le locateur produit un recours en reprise de logement, rejeté également sur le banc lors de la conférence de gestion[8].

-          Le 28 septembre 2020, le locateur produit une demande en résiliation de bail, alléguant le comportement destructeur des locataires et leur refus de lui donner accès au logement. Le recours n’ayant jamais été signifié/notifié est fermé administrativement le 12 novembre 2020.

-          Le locateur reloue l’unité. Les locataires demandent au Tribunal de déclarer nul et illégal le nouveau bail, ce qui leur sera accordé, le 1er décembre 2021[9].

-          Le 22 décembre 2021, le locateur se pourvoit en rétractation de la décision, refusée de nouveau. Le locateur est déclaré forclos de produire toute autre demande dans ce dossier[10].

-          Le locateur produit une nouvelle demande en résiliation de bail pour loyer impayé le 22 juillet 2021, tout en omettant de se présenter à l’audience. La demande est rejetée et il est déclaré forclos de présenter une nouvelle demande dans cette affaire[11].

-          Le locateur produit le 12 août 2021 un autre recours en résiliation contre les locataires leur reprochant, cette fois, d’avoir saccagé le logement. Cette demande n’a pas encore procédé devant le Tribunal[12].

[10]     Outre la panoplie de recours, la soussignée a émis deux décisions interlocutoires dans la présente affaire. La première fois, le locateur ne s’est simplement pas présenté à l’audience demandant à la dernière minute, une remise sous prétexte qu’il était à l’extérieur du pays jusqu’au 30 septembre 2021[13].

[11]     Le second jugement interlocutoire fait suite à l’affirmation du locateur qu’il fut en contact avec quelqu’un infecté par le virus de la Covid-19. La remise fut accordée en spécifiant que la prochaine fois si le locateur ne pouvait se présenter, il devrait faire une demande pour témoigner en visioconférence.

[12]     Ceci étant, le locateur ne s’est pas présenté à la reprise d’audience, ce qui démontre un manque d’intérêt au dossier et semble souligner un cynisme autant pour la réclamation que pour la partie demanderesse.

[13]     Pour compléter ce tableau, ajoutons que lors de l’audience, M. Michel Sabourin, un ami d’enfance du locateur qu’il hébergeait durant la période d’occupation des locataires, témoignera de la vantardise du locateur qui se targuait de ne jamais faire les rénovations au logement et d’être en mesure de les évincer pour défaut de paiement.

[14]     Outre, les locataires, et M. Sabourin, la soussignée entendra Mme Jacynthe Dumont, inspectrice au Service d’urbanisme, M. Benoit F Lamarche inspecteur en prévention d’incendie et M. Ranis Salhi, inspecteur pour la Régie du bâtiment.

Faits

[15]     Les locataires ont pris possession du logement en mars 2019 situé au rez-de-chaussée d’un immeuble divisé en deux unités locatives. Auparavant, ils avaient vécu au sous-sol.

[16]     Les problèmes débutent assez rapidement au mois de mars. Leurs griefs auprès du locateur restent lettre morte.

[17]     Les locataires déposent alors une plainte au Service d’urbanisme de la municipalité, le 7 juillet 2019. À ce moment, ils doivent affronter non seulement une infiltration d’eau au sous-sol, mais la présence de vermines, de moisissures.

[18]     Mme Jacynthe Dumont, inspectrice, témoignera de sa première inspection effectuée le 4 septembre 2019 et confirme entre autres, la présence de vermines telles que fourmis charpentières et souris. 

[19]     Des modifications avaient été faites au sous-sol. Or, le locateur n’avait demandé aucun permis pour ces travaux. Mme Dumont mentionne l’ajout d’une fenêtre directement installée sur l’un des murs de la fondation, et l’existence d’une seconde fenêtre ne pouvant être ouverte. Mme Dumont constate au sous-sol de la moisissure qui s’est développée au bas des murs, et qu’il y a une capacité sanitaire inférieure aux nombres de chambres-occupants de la bâtisse. Elle relate qu’une partie de la toiture était à découvert permettant à la vermine d’accéder facilement à l’intérieur du logis, et constate l’accumulation des débris dans la cour ainsi qu’une mauvaise qualité d’air. 

[20]     Un constat est émis.

[21]     Mme Dumont reprend le dossier en juillet 2021, mais ne constate aucune amélioration lors de sa seconde visite. Au contraire, la moisissure s’est propagée jusqu’au milieu des murs du sous-sol.

[22]     Mme Dumont relate ses difficultés à faire parvenir de nouveaux constats au locateur, ce dernier étant souvent en voyage, en plus de ne pas répondre aux courriels. En outre, il n’habiterait pas l’adresse qu’il lui avait communiquée.

[23]     De manière concomitante, il semblerait que les taxes municipales demeurent impayées.

[24]     M. Benoit F Lamarche, inspecteur en prévention d’incendie, reçoit le mandat de vérifier s’il existe un danger pour le feu. Il se rend au logement le 6 novembre 2019.

[25]     Il constate l’insalubrité du logement en plus du retrait du mur de gypse qui aurait été endommagé par un dégât d’eau, mais rien d’alarmant côté incendie.

[26]     L’inspecteur mandaté par la Régie du bâtiment, M. Sahli se rend au logis vers le 14 septembre 2020. Il relève plusieurs non-conformités dont des fils électriques à découvert, plaques de finition manquantes ainsi qu’une boite électrique ouverte.

[27]     La locataire, Mme Crystel Mofette, témoigne qu’elle a habité le logement situé au sous-sol en 2018, jusqu’à ce que les occupants du rez-de-chaussée quittent vers le mois de mars 2019. C’est durant cette période qu’elle remarque un refoulement d’eau provenant de la fosse septique.

[28]     Il s’agit d’eau souillée qui infiltre le sous-sol. Or, les locataires ont encore des biens meubles dans cette partie du logis qu’ils ont habité avant d’être relogés.

[29]     Elle tente de rejoindre le propriétaire sans succès.


[30]     En octobre 2019, le système central de chauffage cesse de fonctionner. Le locateur leur remet un bloc de chauffage d’appoint. Les locataires ajoutent d’autres appareils d’appoint dans les chambres.

[31]     Ils seront privés de chauffage jusqu’en septembre 2020, soit jusqu’à l’abandon du logement.

[32]     Les locataires mandatent Expair Environnement (9362-2454 Québec inc.) pour une analyse microbienne à la suite de l’infiltration d’eau au sous-sol[14].

[33]     Le rapport réalisé le 2 septembre 2019, conclut à une sérieuse contamination fongique de l’air dans le sous-sol ainsi que la présence de moisissure à divers endroits lors de l’inspection visuelle. Le document mentionne un niveau élevé de spores à un degré supérieur à ce qui serait approprié ainsi qu’à une contamination fongique précédente produite par infiltration d’eau. 

[34]     Cela signifie que le locateur n’avait pas corrigé la situation lors de la première infiltration.

[35]     Le 10 mars 2020[15], le Tribunal déclare le logement insalubre et donne deux mois au locateur pour le remettre en bonne condition. Entre autres, le logis doit être décontaminé.

[36]     Le locateur malgré le jugement, n’effectuera aucune réparation. En fait, il évitera de communiquer avec les locataires. Pourtant, l’avis d’abandon mentionne leur nouvelle adresse.

[37]     La locataire ajoute que lors de leur départ, elle fut obligée de jeter des meubles et effets mobiliers souillés par l’eau et/ou moisis, dont un divan, des décorations de Noël, des chaises de cuisine, du matériel de coiffure et une chaise hydraulique.

[38]     La santé des trois enfants qui manifestaient des symptômes grippaux lors de l’occupation du logis s’améliore après leur départ. 

[39]     Alors qu’ils ont quitté le logement insalubre, les locataires constatent que des débris sont ramassés dans la cour, que le gazon est coupé et surtout qu’une personne semble habiter le logement. Ils ne voient aucun ouvrier permettant de croire que des travaux sont en cours.

[40]     Poste Canada les informe que la serrure de la boîte aux lettres fut changée.

[41]     Les locataires font parvenir une mise en demeure au propriétaire lui soulignant qu’il n’a pas le droit de changer les serrures et le sommant de se conformer au jugement du mois de mars 2020.

[42]     Son silence les incite à produire un recours pour faire déclarer illégal le bail conclu avec un tiers.

[43]     Outre les demandes, les recours récurrents non notifiés/signifiés, dont une demande en reprise de logement, le locateur produit une plainte pénale contre le locataire alléguant, selon le rapport de police, que le logement fut rénové.

[44]     Or, cette déclaration contredit la constatation de Mme Grenon, inspectrice de la ville qui a fait la seconde visite durant la même période que la plainte.

[45]     Les locataires veulent être indemnisés pour leurs biens matériels perdus, leur vie brisée par les évènements, la perte de temps engendrée par tous les conflits, le manque de diligence du locateur, les difficultés à notifier ce dernier, leurs déménagements et leurs déplacements à répétition au Tribunal. Ils témoignent que même si le locateur ne leur signifiait pas les poursuites, ils recevaient ponctuellement les convocations et se rendaient au Tribunal afin de ne prendre aucune chance.

[46]     Le procureur des locataires argumente l’importance d’envoyer un message sur ce type de comportement inacceptable.

Analyse des faits et application du droit

[47]     Les articles 6 et 1375 C.c.Q., prévoient que les parties doivent exercer leurs droits selon les exigences de la bonne foi, une norme de comportement qui implique honnêteté et transparence dans les relations civiles

[48]     À ceci, l’article 7 du Code civil stipule :

« 7. Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d'une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l'encontre des exigences de la bonne foi. »


[49]     Concernant l'article 7, le Ministre fait les commentaires suivants :

« Cet article consacre la théorie de l'abus de droit reconnue tant par la doctrine que par la jurisprudence et en précise la portée. Comme l'article 6, il introduit au code une règle reposant sur le respect des principes de justice et de valeurs morales et sociales dans l'exercice des droits en indiquant les deux axes de l'abus de droit : l'intention de nuire ou l'acte excessif et déraisonnable.

Si, dans son application, la théorie de l'abus de droit fait souvent appel aux principes et notions de la responsabilité civile, dont celles de la faute et du préjudice, elle demeure cependant distincte. Car l'abus n'est ni une simple erreur ni une négligence : il survient lorsqu'un droit, dont la licéité n'est pas mise en cause, dont l'exercice normal est pleinement légitime, est mis en œuvre d'une manière contraire aux exigences de la bonne foi. L'abus existe donc parce que cet exercice, en cherchant à nuire, ne respecte pas le domaine d'exercice des droits d'autrui ou parce que la manière étant excessive et déraisonnable, elle vient rompre le jeu d'équilibre entre les droits des uns et des autres ».

[50]     En la présente affaire, les faits ne favorisent pas le locateur, M. Morel. La soussignée peut induire de son comportement de la mauvaise foi autant dans la conduite de ses affaires que par l’abus du système judiciaire.

[51]     Le locateur n’a respecté ni ses obligations locatives ni les jugements de la cour. Il a bafoué les droits locatifs des locataires même lorsqu’un jugement le contraignait à décontaminer le logement et dédommager les locataires. Ses divers recours furent entrepris pour tenter de les dissuader de poursuivre leurs démarches, pourtant légitimes.

[52]     Le locateur se présente rarement au Tribunal et lorsqu’il le fait, c’est essentiellement pour demander une remise.

Réduction de loyer

[53]     Les locataires réclament 400 $ par mois de réduction de loyer rétroactivement au 1er mars 2019 jusqu’à l’abandon du logement en septembre 2020.

[54]     En vertu du Code civil du Québec (C.c.Q.), le locateur doit délivrer le bien loué en bon état de réparation de toute espèce (1854 al. 1 C.c.Q.), d'habitabilité (1910 C.c.Q.) et de propreté (1911 C.c.Q.).

[55]     Il est aussi tenu de garantir que le logement peut servir à l'usage pour lequel il est loué et de l'entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail (1854 al. 2 C.c.Q.). L'incapacité du locateur de satisfaire à ces obligations de base donne ouverture entre autres à la réduction de loyer.

[56]     Cette sanction vise à rétablir l'équilibre des obligations corrélatives des parties. À ce chapitre, il faut regarder le défaut d’usage et de fonctionnalité et non les conséquences de la perte de jouissance.

[57]     Le Tribunal et la jurisprudence considèrent habituellement que la privation de chauffage rend inhabitable un logement. Dans le présent dossier, cet élément à lui seul permet d’octroyer la réduction de loyer. À ceci, ajoutons la moisissure qui s’est propagée au sous-sol, la vermine et les défauts électriques. Tous ces maux permettent au Tribunal d’allouer une réduction de loyer de 400 $ par mois, à compter du mois de mars 2019 à septembre 2020, pour un total de 7 200 $ pour les 18 mois concernés.

Autres dommages

[58]     Les locataires réclament des dommages moraux de 15 000 $ et 20 000 $ en dommages punitifs. 

[59]     Les dommages punitifs sont fondés sur l’acharnement (harcèlement du locateur et abus de procédures) et sur le mépris de ce dernier à respecter les droits fondamentaux des locataires.

[60]     Les dommages moraux seraient demandés pour compenser le stress et les inconvénients du refus du locateur de rendre le logement habitable, et des entraves judiciaires dont il a pavé les démarches des locataires.


Harcèlement

[61]     L'article 1902 C.c.Q. prévoit ce qui suit :

« 1902. Le locateur ou toute autre personne ne peut user de harcèlement envers un locataire de manière à restreindre son droit à la jouissance paisible des lieux ou à obtenir qu'il quitte le logement.

Le locataire, s'il est harcelé, peut demander que le locateur ou toute autre personne qui a usé de harcèlement soit condamné à des dommages-intérêts punitifs. »

[62]     Cette disposition témoigne de la volonté du législateur de décourager un locateur qui fait pression sur des locataires ou qui les intimide pour les forcer à quitter un logement[16].

[63]     En l'instance, le Tribunal doit considérer l’inaction du locateur à corriger la situation au logement, à ne pas tenir compte des dénonciations et a déposer de multiples recours afin d’intimider et décourager les locataires.

[64]     Sur ce dernier élément, rappelons que la Cour d'appel du Québec a statué que l'utilisation d'un recours non fondé pouvait constituer du harcèlement prohibé par la loi[17]. A fortiori, le harcèlement sera d’autant plus évident si le locateur s’acharne avec une pluralité de recours.

[65]     L’abus de procédure sert à intimider l’autre partie.

[66]     Le juge administratif Gilbert avait écrit dans le jugement sur le recours en rétractation du locateur concernant l’annulation du bail octroyé à un tiers que la demande était abusive, justifiant ainsi l’ordonnance de limitation procédurale[18]. L’abus de procédure avait ainsi déjà été constaté par ce Tribunal dans ce seul dossier.

[67]     L’analyse des autres recours corrobore la détermination du locateur d’utiliser le système judiciaire afin d’intimider et harceler les locataires.

[68]     Citons comme exemples supplémentaires sa première demande en résiliation de bail introduite à peine deux jours après avoir reçu la demande des locataires ou la seconde qui se voulait une réplique à la décision du 20 mars 2020, constatant l’insalubrité du logement.

[69]     Le refus du locateur à corriger les défauts au logement, l’assainir, son désintéressement, sa désinvolture allant jusqu’à louer l’unité à un tiers alors qu’il n’y avait aucun travail de rénovation ou de décontamination effectuée, est inacceptable et doit être considéré comme une forme pernicieuse de harcèlement.

[70]     Les diverses procédures judiciaires corroborent que le locateur a développé une amertume grandissante et une ténacité sans précédent pour nuire aux locataires, sans se préoccuper des répercussions. 

[71]     Le comportement du locateur a causé un préjudice sérieux aux locataires, mais également à l’image et l’intérêt de la justice en général.

[72]     Dans un système où les ressources judiciaires sont limitées, on ne peut tolérer qu’une partie utilise le processus judiciaire à la légère, à mauvais escient et de façon répétée. Cette conséquence s’additionne au harcèlement subi par les locataires.

[73]     Les principes directeurs pour apprécier le montant de dommages punitifs sont énoncés à l'article 1621 C.c.Q. :

«1621. Lorsque la loi prévoit l'attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.

Ils s'apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l'étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers. »

[74]     En la présente affaire, la soussignée tient compte non seulement de la gravité de la faute, mais également du refus du locateur à se conformer aux jugements, son entêtement et son acharnement auprès des locataires.

[75]     Le Tribunal leur octroie à ce chapitre la somme de 15 000 $.

[76]     Les locataires réclament également un dédommagement en vertu de la Charte des droits et liberté de la personne, notamment des articles 4 et 49 qui prévoient ce qui suit :

« 4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation. »

« 49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnue par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages exemplaires. »

[77]     Une atteinte illicite à un droit reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

[78]     En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le Tribunal peut, en outre, condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.

[79]     La Cour suprême a énoncé que les dommages punitifs visent à décourager les comportements sociaux répréhensibles qui ont pour effet de violer les droits et libertés fondamentaux d'autrui. Ils ont également pour but d'exprimer la réprobation de la société d'une conduite intolérable et de prévenir une attitude semblable à l'avenir, autant pour le contrevenant que pour ceux qui seraient tentés de l'imiter. Ils visent donc à dissuader, donner l'exemple, réprimander, punir ou inciter à agir à l'avenir autrement[19].

[80]     Le Tribunal alloue aux locataires en dommages punitifs la somme de 5 000 $ en vertu de la Charte.

[81]     Finalement, les locataires réclament des dommages moraux de 15 000 $.

[82]     L'attribution de dommages moraux obéit aux règles générales du droit commun. Aussi, le Tribunal doit considérer le lien de causalité qui existe entre la faute reprochée et les dommages réclamés. Habituellement, les dommages moraux visent à compenser les troubles, ennuis, inconvénients, la perte de jouissance de la vie, les douleurs et les souffrances psychologiques.

[83]     En l’instance, la preuve est probante que les locataires ont vécu tout ceci, mais également les inconvénients à obtenir l’aboutissement de leur poursuite. Ceci étant, ils devront faire le deuil du logement si bien situé et une partie de leurs droits.

[84]     Leur recours introduit en 2019 visait initialement à obtenir des ordonnances. Les locataires furent obligés d’abandonner leur logis, mais espéraient néanmoins un geste responsable du locateur. Ce dernier s’est entêté. Le locateur a réussi à prolonger le débat pendant 3 ans et pendant ce délai, il a tout entrepris pour nuire aux locataires par toutes sortes de manœuvres déloyales, dont une fausse plainte au pénal.

[85]     La somme de 15 000 $ apparait, dans les circonstances, raisonnable.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[86]     ACCUEILLE la demande des locataires;

[87]     CONDAMNE le locateur à payer aux locataires la somme de 7 200 $ en réduction de loyer, plus les intérêts et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q., à compter du 5 novembre 2019;

[88]     CONDAMNE le locateur à payer aux locataires la somme de 15 000 $ en dommages moraux, plus les intérêts et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q., à compter du 5 novembre 2019;


[89]     CONDAMNE le locateur à verser aux locataires la somme de 20 000 $ à titre de dommages punitifs avec les intérêts et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q., à compter de la présente décision;

[90]     Sans frais compte tenu de l’exemption judiciaire.

 

 

 

 

 

 

 

 

Marie-Louisa Santirosi

 

Présence(s) :

les locataires

Me Thomas Grégoire, avocat des locataires

Date de l’audience : 

5 octobre 2022

 

 

 


 


[1] 25 février 2021 et le 28 février 2022.

[2] Dossier 479384 28 20190830 T j.a Louise Fortin du 10 mars 2020.

[3] 479384 28 20190830 G , j.a Isabelle Normand.

[4] 479384 28 20190830 T j.a Louise Fortin du 10 mars 2020.

[5] 478148 28 20190828 G j.a Louise Fortin, décision du 10 mars 2020.

[6] Dossier 516013 28 20200326 voir pv du 26 février 2021 j.a Linda Boucher.

[7] Dossier 517494 28 20200407 G j.a Daniel Gilbert.

[8] Dossier 520402 28 20200429 voir pv du 26 février 2021, j.a. Linda Boucher.

[9] Dossier 562825 28 20210310 G j.a Annie Hallée.

[10] Dossier 562825 28 20210310 T j.a. Daniel Gilbert.

[11] Dossier 580673 28 20210722 G du 7 octobre 2021.

[12] Dossier 583653 28 20210812.

[13] Jugement interlocutoire du 30 septembre 2021.

[14] Échantillon analysé par AXXONLAB.

[15] Op.cite note 5.

[16] Voir à ce sujet les Commentaires du ministre de la Justice, 1993 Commentaire du ministre de la Justice sur l'article 1902 C.c.Q. EYB1993CM1903.

[17] Choueke c. Coopérative d'habitation Jeanne-Mance (C.A., 2001-06-13), SOQUIJ AZ-50087191, J.E. 2001-1289, [2001] R.J.Q. 1441, [2001] R.D.I. 403 (rés.), [2001] R.R.A. 629 (rés.) Requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., 2002-04-04), 28804.

[18] Voir note 10.

[19] Fidler c. Sun Life du Canada, 2006 (CSC) 30 (2006) 2RCS. 3, paragr. 61.

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