Décision

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C A N A D A

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

 

 

 

COMITÉ D’ENQUÊTE DU

CONSEIL DE LA MAGISTRATURE

__________________________________________

Numéro de dossier :

2022-CMQC-024

 

 

 

Québec, ce 28 mars 2023

 

 

 

 

 

PLAINTE DE :

 

 

 

Monsieur Mathieu Guay-Toussaint

 

 

 

 

 

À L’ÉGARD DE :

 

 

 

Madame la juge Chantal Paré,

Cour municipale de la Ville de Laval

 

 

__________________________________________

 

 

 

 

EN PRÉSENCE DE :

Madame la juge Chantale Pelletier, présidente

 

Madame la juge Julie Veilleux

 

Monsieur le juge Bernard Mandeville

 

Maître Claude Rochon

 

Madame Mélanie Mercure

 

RAPPORT D’ENQUÊTE

 

[1]                Le comité enquête sur la plainte de M. Mathieu Guay-Toussaint à l’égard de la juge Chantal Paré, juge à la Cour municipale de la Ville de Laval.

[2]                Le 20 janvier 2022, à la suite d’un commentaire du plaignant, la juge ordonne son arrestation et sa détention le temps qu’elle décide si elle le citera pour outrage au tribunal.

[3]                Le comité d’enquête doit déterminer si la conduite de la juge constitue un ou des manquements au Code de déontologie de la magistrature (Code).

LE CONTEXTE

[4]                Le 20 janvier 2022, la juge rend une décision rejetant une demande d’ordonnance de ne pas troubler la paix en vertu de l’article 810 du Code criminel dans laquelle le plaignant est défendeur.

[5]                Les parties ne sont pas assistées par avocats.

[6]                M. Guay-Toussaint demande s’il peut obtenir une copie de la décision, ce qui donne lieu à l’échange suivant :

La juge :

Non Monsieur, je n’ai pas l’obligation de rendre un jugement écrit. C’est terminé. Merci, bonne journée.

M. Guay-Toussaint :

Comment est-ce que je me procure une copie?

La juge :

Faites votre demande Monsieur. Vous n’aurez pas une copie écrite mais, faire une demande de CD data. Faites votre demande au greffe. Moi, la loi ne m’oblige pas à déposer une décision écrite.

M. Guay-Toussaint :

Pas obligée de t’énerver.

La juge :

Pardon?

M. Guay-Toussaint :

J’ai juste demandé comment obtenir une copie.

[7]                Immédiatement, la juge ordonne son arrestation et sa détention et se retire afin de décider si elle le citera pour outrage au tribunal.

[8]                Le plaignant est détenu par deux agents de sécurité dans le corridor à l’extérieur de la salle d’audience.

[9]                Environ sept minutes plus tard, la juge revient en salle d’audience et informe le plaignant qu’elle ne le citera pas pour outrage au tribunal.

[10]           Dans sa plainte, le plaignant estime que la juge a agi de façon disproportionnée en le faisant arrêter et détenir. Il ajoute que dans la nuit qui a suivi, il a fait un cauchemar.

L’ANALYSE

[11]           L’avocate qui assiste le Conseil soutient que la juge aurait manqué aux articles 1 et 2 du Code.

[12]           L’avocat de la juge réplique que cette dernière a adopté un comportement approprié aux circonstances afin de ne pas miner son autorité.

[13]           Pour les raisons qui suivent, le comité d’enquête conclut que les propos et la conduite de la juge constituent des manquements à l’article 8 du Code.

L’article 1

 

Le rôle du juge est de rendre justice dans le cadre du droit

 

[14]           La procédure d’outrage au tribunal est peu employée en matière criminelle. La Cour suprême indique d’ailleurs que celle-ci doit être utilisée dans les cas les plus manifestes lorsqu’il est urgent et impératif d’agir immédiatement[1].

[15]           Lors de son témoignage devant le comité d’enquête, la juge mentionne qu’elle détient le plaignant puisqu’elle croyait perdre juridiction.

[16]           Il s’agit d’une interprétation erronée de la procédure d’outrage au tribunal.

[17]           Toutefois, comme le rappelle la Cour supérieure sur l’application de l’article 1 du Code[2] :

[73] Ce n’est que si le juge agit de mauvaise foi ou par pur caprice, n’applique pas la loi délibérément ou agi[t] pour un but détourné que la disposition peut être invoquée devant l’organisme disciplinaire. []

[18]           En l’espèce, le comité conclut que la mauvaise interprétation du droit par la juge ne constitue pas un manquement à l’article 1.

L’article 2

 

Le juge doit remplir son rôle avec intégrité, dignité et honneur

 

[19]           Suivant le contexte de cette affaire, le comité d’enquête estime que les manquements déontologiques commis par la juge se rapprochent davantage de ceux de l’article 8 que de l’article 2.


L’article 8

 

Dans son comportement public, le juge doit faire preuve de réserve, de courtoisie et de sérénité

 

[20]           La société confie des responsabilités importantes aux membres de la magistrature. Le juge incarne non seulement la justice, il est également le gardien des droits et libertés des justiciables.

[21]           Dans Therrien[3], la Cour suprême évoque l’importance de ce rôle :

[151] […] Par ailleurs, on ne saurait ignorer le rôle unique incarné par le juge dans cette même société, ainsi que l’extraordinaire vulnérabilité du justiciable qui se présente devant lui, alors qu’il cherche à faire déterminer ses droits ou encore, alors que sa vie ou sa liberté est en jeu. Ce justiciable a, avant toute chose, le droit à ce que justice soit rendue à son égard et que se dégage une perception à cet effet dans la population en général, […]

[Soulignement ajouté]

[22]           Les juges s’expriment par leurs décisions, mais aussi par les actions qu’ils posent au quotidien dans les salles d’audience.

[23]           Dans Identité caviardée et Descôteaux[4], le comité d’enquête rappelle ainsi en quoi consistent les obligations de réserve et de sérénité :

[24] La notion de réserve est définie comme la « (q)ualité de quelqu’un, de son comportement, qui montre de la prudence et de la discrétion » et comme la « (q)ualité qui consiste à se garder de tout excès (dans les propos, etc.) ».

[25] La sérénité décrit « le caractère d’une personne calme, en contrôle de ses actes, de ses pensées et de ses paroles ».

[26] Ces qualités sont requises, à l’occasion des audiences, dans le but d’en faciliter et favoriser le déroulement, dans un esprit empreint de calme et de respect. La sérénité est également nécessaire à la prise de décision du juge.

[Références omises)

[24]           En l’espèce, la situation est une illustration de ce que la société attend du comportement des juges.

[25]           Le plaignant a certes manqué de courtoisie en tutoyant la juge. Cependant, l’écoute de l’enregistrement des débats démontre que la demande du plaignant, pourtant banale, irrite la juge et sa réponse est inutilement sèche.

[26]           Ce manque évident de sérénité amène la juge à une décision excessive, soit la mise en détention injustifiée du plaignant. Elle aurait pu simplement lui demander de sortir de la salle.

[27]           L’avocat de la juge soutient que la détention fut de courte durée et peu contraignante. Là n’est pas la question. Une détention non nécessaire dans les circonstances constitue une réaction disproportionnée à la remarque du plaignant.

[28]           Les juges des cours municipales siègent au quotidien dans les salles où le volume de dossiers est élevé. La majorité des défendeurs sont non assistés d’un avocat et connaissent peu le système judiciaire. Ces juges sont confrontés parfois à des réactions désobligeantes des justiciables. Tout en s’assurant de maintenir le décorum et le bon ordre, les juges doivent demeurer patients, courtois et respectueux.

[29]           L’autorité d’un juge s’exerce d’abord par la sagesse de ses interventions. Le respect de son autorité s’obtient davantage par un comportement qui s’élève au-dessus de la mêlée.

[30]           Les attentes de la société à l’égard des juges sont élevées[5].

[111] La population exigera donc de celui qui exerce une fonction judiciaire une conduite quasi irréprochable. À tout le moins exigera-t-on qu’il paraisse avoir un tel comportement. Il devra être et donner l’apparence d’être un exemple d’impartialité, d’indépendance et d’intégrité. Les exigences à son endroit se situent à un niveau bien supérieur à celui de ses concitoyens. […]

[31]           Dans la décision de Plante et Provost, le juge a détenu le plaignant à la suite de propos sarcastiques tenus par celui-ci. Le comité d’enquête conclut à un manquement déontologique[6] :

[83] À la lumière de la preuve, le Comité conclut que la rapidité de la réaction du juge aux propos du plaignant, peut-être sarcastiques, le ton familier avec lequel il s’adresse à lui, et la gravité des conséquences de sa décision de priver le plaignant de son droit à la liberté, sans lui permettre de s’expliquer et sans lui donner quelque explication, constitue un manquement à l’article 2 du Code de déontologie.

[32]           En l’espèce, bien que certains faits soient à distinguer avec la décision Plante et Provost, il demeure que « la disproportion entre l’incident et la privation de liberté du plaignant est un comportement dénotant un manque de réserve et de retenue »[7].

[33]           Une personne raisonnable, impartiale et bien informée peut conclure que le comportement de la juge mine la confiance du public dans la magistrature et, par conséquent, sa considération dans l’administration de la justice.

[34]           Dans le cas présent, les actions de la juge contreviennent à ses obligations de réserve, courtoisie et sérénité prévues à l’article 8 du Code.

LA SANCTION APPROPRIÉE

[35]           Les avocats ont suggéré une réprimande dans l’éventualité où le comité concluait à un manquement déontologique.

[36]           Tant dans ses commentaires écrits[8] que lors de son témoignage, la juge est apparue consciente du caractère inapproprié de sa conduite. Elle précise que cette expérience a été un « test d’humilité » et qu’une situation semblable ne se reproduira plus.

[37]           De plus, celle-ci n’a pas d’antécédents déontologiques.

[38]           La suggestion des avocats est appropriée en l’espèce et satisfait la mission éducative et réparatrice du Conseil.

 

[39]           POUR CES MOTIFS, le comité d’enquête conclut que la juge Chantal Paré a enfreint l’article 8 du Code de déontologie de la magistrature et recommande au Conseil de la magistrature une réprimande.

 

 

 

Madame la juge Chantale Pelletier,

Présidente du comité

 

 

 

 

Madame la juge Julie Veilleux

 

 

 

 

 

 

 

Monsieur le juge Bernard Mandeville

 

 

 

 

Maître Claude Rochon

 

 

 

 

Madame Mélanie Mercure

 

 

 

 

Me Giuseppe Battista

Battista Turcot Israel s.e.n.c.

pour la juge Chantal Paré

 

Me Lucie Joncas

Joncas Nouraie Roy Massicotte

pour le Conseil de la magistrature du Québec

 

 

 

 


[1] Arradi, [2003] 1 R.C.S. 280; K. (B.), [1995] 4 R.C.S.186.

[2] Dubois c. Conseil de la magistrature du Québec, 2007 QCCS 4761.

[3] [2001] 2 R.C.S. 3, 2001 CSC 35.

[4] 2022 CanLII 116234 (QC CM).

[5] Préc., note 3.

[6] Plante et Provost, CMQC 22.

[7] Ibid., par. 84.

[8] Pièce AC-4.

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