Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
Gabarit CFP

Cavaluci et Directeur général des élections du Québec

2016 QCCFP 1

COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

DOSSIERS Nos :

1301399
1301402

 

DATE :

14 janvier 2016

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA COMMISSAIRE :

Me Sonia Wagner

______________________________________________________________________

 

 

CATHERINE CAVALUCI

Appelante

Et

DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLECTIONS DU QUÉBEC

Intimé

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

(Articles 33 et 127, Loi sur la fonction publique, RLRQ, c. F-3.1.1)

______________________________________________________________________

 

L’APPEL

[1]           La Commission de la fonction publique (ci-après la « Commission ») est saisie de deux appels déposés par Mme Catherine Cavaluci à l’encontre du Directeur général des élections du Québec (ci-après le « DGEQ »). Le premier appel, fondé sur l’article 33 de la Loi sur la fonction publique[1] (ci-après la « LFP »), conteste la décision du DGEQ de la congédier, le 28 octobre 2014. Le deuxième appel, fondé sur l’article 127 de la LFP, conteste des décisions du DGEQ affectant Mme Cavaluci en matière de conditions de travail, plus particulièrement en ce qui a trait à l’ergonomie de son poste de travail.

[2]           Le DGEQ présente un moyen préliminaire visant l’irrecevabilité des appels de Mme  Cavaluci pour le motif qu’ils sont tardifs. En effet, l’article 33 de la LFP, en matière de congédiement, et l’article 3 du Règlement sur un recours en appel pour les fonctionnaires non régis par une convention collective[2], en matière de conditions de travail, édictent qu’un appel doit être transmis dans les 30 jours, respectivement, de la date d’expédition de la décision contestée et de l’événement qui y donne ouverture.

[3]           Mme  Cavaluci admet qu’elle a déposé ses recours à la Commission au-delà du délai prescrit. Elle prétend qu’elle était dans l’impossibilité d’agir plus tôt.

[4]           La présente décision ne porte que sur le moyen préliminaire présenté par le DGEQ.

LES FAITS

[5]           Seule Mme Cavaluci a témoigné à l’audience. Du témoignage entendu et des pièces déposées par les parties, la Commission retient les faits suivants.

[6]           Mme  Cavaluci est entrée en fonction au DGEQ en février 2010. Elle est en arrêt de travail depuis le mois d’avril 2014.

[7]           Le 17 juin 2014, le médecin traitant de Mme  Cavaluci avise le DGEQ qu’un retour progressif au travail est envisageable à compter du 21 juillet suivant. Il recommande toutefois que le poste de travail de Mme  Cavaluci soit évalué par un ergonome avant que celle-ci ne reprenne ses fonctions.

[8]           Le 25 août 2014, un autre médecin, mandaté par le DGEQ, conclut que Mme  Cavaluci devrait reprendre son travail de façon progressive durant une période de six à huit semaines. Il indique que les ajustements ergonomiques apportés par le DGEQ au poste de travail de Mme  Cavaluci sont adéquats et suffisants. Mme  Cavaluci en est informée, le 8 septembre 2014, et le DGEQ lui demande d’obtenir l’avis de son médecin traitant relativement à ces conclusions.

[9]           Le 14 octobre 2014, Mme  Cavaluci est mise en demeure de fournir, au plus tard le 17 octobre 2014, l’avis demandé de son médecin traitant.

[10]        Le 20 octobre 2014, le DGEQ somme Mme Cavaluci de se présenter au travail le 22 octobre suivant pour effectuer un retour progressif à titre de mesure d’accommodement. Mme  Cavaluci ne se présente pas au travail telle que sommée.

[11]        Le 23 octobre 2014, le DGEQ met en demeure Mme Cavaluci de se présenter au travail le 27 octobre suivant et l’avise que le défaut de s’exécuter entraînera la rupture de son lien d’emploi.

[12]        Le 24 octobre 2014, Mme Cavaluci mandate Me Lysianne Dagenais pour défendre ses droits et lui demande d’utiliser tous les recours possibles pour ce faire. Le même jour, Me Dagenais informe le DGEQ que sa cliente ne sera pas au travail le 27 octobre 2014, les médecins n’ayant pas autorisé un retour au travail sans condition. Elle indique également au DGEQ qu’elle est mandatée par Mme Cavaluci pour contester le congédiement, la suspension ou toute autre mesure qui pourrait résulter de son défaut de se présenter au travail.

[13]        Le 28 octobre 2014, le DGEQ congédie Mme Cavaluci. La lettre de congédiement mentionne qu’elle peut en appeler de cette décision devant la Commission conformément à l’article 33 de la LFP.

[14]        Le 13 novembre 2014, Me Dagenais dépose, au nom de Mme Cavaluci, une plainte pour congédiement illégal auprès de la Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec[3] (ci-après la « CSST »), fondée sur l’article 32 de la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles[4] (ci-après la « LATMP »). Mme Cavaluci en est informée par un accusé de réception de la CSST daté du 19 novembre 2014.

[15]        Selon Mme Cavaluci, c’est le 12 décembre 2014, dans le cadre d’une discussion avec une employée de la Commission des normes du travail concernant son relevé de fin d’emploi, qu’elle est informée de la possibilité d’appel à la Commission de la décision du DGEQ de la congédier et du délai de 30 jours pour ce faire. Le jour même, Mme Cavaluci dépose ses deux appels auprès de la Commission.

[16]        Mme Cavaluci témoigne avoir donné le mandat à Me Dagenais d’utiliser tous les recours possibles pour défendre ses droits et son intégrité physique. Selon Mme Cavaluci, Me Dagenais l’aurait rassurée en ces termes : « occupez-vous de vous, je m’occupe du reste ».

[17]        Mme Cavaluci insiste sur le fait que le mandat donné à Me Dagenais visait « tous » les recours. Elle rapporte ne pas avoir discuté avec son avocate des différents recours qui pouvaient être entrepris pour contester son congédiement. Il n’a jamais été question non plus de l’appel possible auprès de la Commission, mentionné au dernier paragraphe de sa lettre de congédiement.

[18]        Lors d’une conversation téléphonique contemporaine au congédiement, MDagenais l’informe qu’elle est à l’étape de déposer une plainte en vertu de l’article 32 de la LATMP. Mme Cavaluci ne demande pas à son avocate en quoi consiste ce recours ni quels sont les autres recours envisageables.

[19]        Mme Cavaluci ne s’explique pas pourquoi Me Dagenais n’a pas déposé d’appel en matière de congédiement auprès de la Commission. Considérant le mandat donné à MDagenais, elle a tenu pour acquis que celle-ci allait entreprendre tous les recours possibles pour contester son congédiement, incluant le recours prévu à l’article 33 de la LFP.

[20]        Mme Cavaluci admet que ni son état physique, ni son état psychologique ne l’empêchaient d’agir.

L’ARGUMENTATION

de Mme Cavaluci

[21]        Mme Cavaluci prétend que son impossibilité d’agir résulte d’une erreur de bonne foi de son avocate d’alors, Me Dagenais, mandatée pour entreprendre tous les recours possibles pour contester son congédiement. Or, Me Dagenais n’a pas déposé d’appel auprès de la Commission de la décision du DGEQ de congédier Mme Cavaluci. MDagenais a par ailleurs déposé une plainte pour congédiement illégal en vertu de l’article 32 de la LATMP auprès de la CSST.

[22]        Pour Mme Cavaluci, ce qui frappe dans la lettre du DGEQ du 28 octobre 2014, c’est le premier paragraphe : elle est congédiée. Le dernier paragraphe de cette lettre, qui indique la possibilité d’un appel auprès de la Commission et le délai pour transmettre un tel recours, lui apparaît dès lors secondaire.  

[23]        Selon Mme Cavaluci, c’est au professionnel d’outiller son client, de l’informer des recours possibles et de le guider vers le meilleur. En conséquence, elle n’avait pas à questionner Me Dagenais pour connaître les recours qu’elle avait entrepris ou qu’elle allait entreprendre en vue de contester son congédiement. Mme Cavaluci n’a jamais discuté avec Me Dagenais du recours prévu à l’article 33 de la LFP.

[24]        En mandatant une avocate pour entreprendre tous les recours possibles pour défendre ses droits et son intégrité physique, Mme Cavaluci est d’avis qu’elle a été diligente. En effet, la diligence inclut le fait de laisser le professionnel mandaté faire son travail.

[25]        Au soutien de ses prétentions, Mme Cavaluci renvoie la Commission à quatre décisions[5] dans lesquelles il a été décidé que l’erreur d’un procureur constitue une impossibilité d’agir.

[26]        Mme Cavaluci rappelle qu’elle a posé des gestes concrets qui démontrent qu’elle voulait contester son congédiement. Elle a mandaté une avocate. Elle n’a pas été négligente et dès qu’elle a été informée de la possibilité d’un recours auprès de la Commission, elle a elle-même agi.

[27]        Selon Mme Cavaluci, le retard dans le dépôt de ses appels à la Commission, au-delà du délai de 30 jours, résulte de l’erreur de Me Dagenais.

[28]        Mme Cavaluci demande donc à la Commission de proroger le délai prévu à l’article 33 de la LFP et à l’article 3 du Règlement sur un recours en appel pour les fonctionnaires non régis par une convention collective afin de lui permettre de contester son congédiement.

du DGEQ

[29]        Le DGEQ rappelle à la Commission qu’elle peut proroger un délai fixé par la LFP lorsqu’elle considère que le fonctionnaire a été dans l’impossibilité d’agir plus tôt.

[30]        Selon le DGEQ, même si Mme Cavaluci avait mandaté une avocate, son devoir de diligence demeurait entier. Elle devait donc continuer à veiller à ses affaires et, pour ce faire, elle devait questionner son avocate.

[31]        En effet, la lettre l’informant de son congédiement mentionnait qu’elle bénéficiait d’un recours à la Commission en vertu de l’article 33 de la LFP. Mme Cavaluci aurait dû questionner son avocate à ce sujet, à défaut de faire la démarche personnelle de prendre connaissance de cette disposition. De plus, elle aurait pu demander des informations à son avocate lorsqu’informée, par accusé de réception, du recours pour congédiement illégal fondé sur l’article 32 de la LATMP déposé auprès de la CSST. Pour le DGEQ, en ne questionnant pas son avocate, Mme Cavaluci a manqué à son devoir de diligence.

[32]        Le DGEQ poursuit en indiquant que pour plaider l’erreur de son avocate, encore faut-il qu’il y ait effectivement erreur. Pour le DGEQ, Me Dagenais a choisi de contester le congédiement de Mme Cavaluci au moyen du recours fondé sur l’article 32 de la LATMP. Il s’agit de la stratégie privilégiée par Me Dagenais. Or, on ne peut pas qualifier d’erreur, de la part d’un procureur, le choix d’un recours plutôt qu’un autre.

[33]        Selon le DGEQ, Mme Cavaluci avait donné un mandat général à son avocate, sans spécifier de recours particulier, et Me Dagenais a effectivement déposé un recours pour contester le congédiement de sa cliente. On ne peut dès lors parler d’erreur ou de négligence de la part de Me Dagenais.

[34]        Le DGEQ renvoie la Commission à deux décisions[6] traitant de l’impossibilité d’agir au sens de l’article 120 de la LFP.

[35]        Le DGEQ demande donc à la Commission de rejeter les appels de Mme Cavaluci pour les motifs qu’ils sont tardifs et qu’elle n’était pas dans l’impossibilité d’agir, au sens de l’article 120 de la LFP, pour exercer ses droits dans le délai prescrit de 30 jours.

ANALYSE ET MOTIFS

[36]        Les dispositions pertinentes de la LFP sont les suivantes :

33.        À moins qu'une convention collective de travail n'attribue en ces matières une compétence à une autre instance, un fonctionnaire peut interjeter appel devant la Commission de la fonction publique de la décision l'informant :

[…]

3° de son congédiement;

[…]

Un appel en vertu du présent article doit être fait par écrit et reçu à la Commission dans les 30 jours de la date d'expédition de la décision contestée.

[…]

120.      La Commission peut proroger un délai fixé par la loi lorsqu'elle considère qu'un fonctionnaire a été dans l'impossibilité d'agir plus tôt ou de donner mandat d'agir en son nom dans le délai prescrit.

127.      Le gouvernement prévoit par règlement, sur les matières qu'il détermine, un recours en appel pour les fonctionnaires qui ne sont pas régis par une convention collective et qui ne disposent d'aucun recours sur ces matières en vertu de la présente loi.

Ce règlement établit, en outre, les règles de procédure qui doivent être suivies.

La Commission de la fonction publique entend et décide d'un appel. Le paragraphe 2° du premier alinéa de l'article 116, en ce qui concerne les règles de procédure, ne s'applique pas à cet appel.

[La Commission souligne]

[37]        La disposition pertinente du Règlement sur un recours en appel pour les fonctionnaires non régis par une convention collective est la suivante :

3.          Le recours d'un fonctionnaire est formé par la transmission d'un avis écrit au sous-ministre ou au dirigeant de l'organisme dans les 30 jours de l'événement qui y donne ouverture. Ce délai est de rigueur.

Le fonctionnaire doit aussi transmettre une copie de cet avis à son supérieur immédiat ainsi qu'à la Commission de la fonction publique.

L'avis doit être signé par l'appelant et contenir son nom, son adresse, sa classe d'emplois, la mention de la directive sur laquelle se fonde son recours, ainsi qu'un exposé sommaire des faits, des motifs invoqués et des conclusions recherchées. Il est accompagné, le cas échéant, d'une copie de la décision faisant l'objet de l'appel.

[La Commission souligne]

[38]        Conformément à l’article 33 de la LFP, un fonctionnaire peut en appeler de son congédiement devant la Commission dans les 30 jours de la date de l’expédition de cette décision. En matière de conditions de travail, un délai de 30 jours est également prévu et il court à compter de l’événement donnant ouverture au recours. Dans les deux cas, le délai de 30 jours peut être prorogé par la Commission si le fonctionnaire a été dans l’impossibilité d’agir plus tôt ou de donner mandat d’agir en son nom dans le délai prescrit.

[39]          En l’espèce, les parties admettent que les deux recours de Mme Cavaluci auprès de la Commission sont prescrits. En effet, Mme Cavaluci a déposé ses appels à la Commission le 12 décembre 2014. Or, en considérant que la décision de congédier Mme Cavaluci constitue aussi le dernier événement donnant ouverture à un recours en matière de conditions de travail, Mme Cavaluci avait jusqu’au 27 novembre 2014 pour déposer ses appels en respectant les délais de 30 jours.

[40]        Le DGEQ soulève donc l’irrecevabilité des appels de Mme Cavaluci parce qu’ils ont été déposés au-delà du délai de prescription.

[41]        Mme Cavaluci admet que ni son état physique, ni son état psychologique ne l’empêchaient d’agir plus tôt. Elle allègue toutefois une impossibilité d’agir résultant de l’erreur de son avocate d’alors de ne pas avoir déposé d’appel auprès de la Commission dans le délai imparti.

[42]        La preuve révèle en effet que Mme Cavaluci a mandaté une avocate pour exercer des recours en vue de contester son congédiement. Celle-ci a d’ailleurs déposé un recours pour congédiement illégal auprès de la CSST. Elle n’a toutefois déposé aucun recours auprès de la Commission pour contester le congédiement de sa cliente :  Mme Cavaluci a elle-même déposé ses appels à la Commission, le 12 décembre 2014.

[43]         La Commission doit donc d’abord déterminer si le défaut d’un avocat de déposer un appel dans le délai imparti peut constituer une impossibilité d’agir au sens de l’article 120 de la LFP. Dans l’affirmative, la Commission devra décider si Mme Cavaluci s’est déchargée de son fardeau de prouver, selon la balance des probabilités, qu’elle se trouvait dans une telle impossibilité d’agir.

[44]        Comme l’a souligné le DGEQ, la Commission s’est déjà prononcée au sujet de l’impossibilité d’agir visée à l’article 120 de la LFP. Toutefois, il s’agissait généralement pour la Commission de statuer sur l’impossibilité d’agir d’un appelant en raison d’une incapacité physique ou psychologique, une dépression par exemple. Ce n’est pas la question en l’espèce.

[45]        La notion d’« impossibilité d’agir » que l’on retrouve à l’article 120 de la LFP est un emprunt au droit civil québécois. En effet, cette notion est d’abord apparue à l’article 2232 du Code civil du Bas-Canada, devenu l'article 2904 du Code civil du Québec à la suite de la réforme du Code civil :

2904. La prescription ne court pas contre les personnes qui sont dans l'impossibilité en fait d'agir soit par elles-mêmes, soit en se faisant représenter par d'autres.

[46]        Dans l’arrêt Gauthier c. Beaumont[7], la Cour suprême exposait ainsi le fondement des règles en matière de prescription et sa position quant à la notion d’impossibilité d’agir :

Les cas de suspension de la prescription, et notamment l’impossibilité absolue en fait d’agir, sont des exceptions au principe qu’énonce le premier alinéa de l’art. 2232 C.c.B.C. : la prescription court contre toutes personnes. La prescription est un concept essentiel au droit civil qui trouve sa raison d’être dans l’utilité pratique et l’intérêt social. Comme Mazeaud l’indique, «[l]’ordre public est intéressé à la disparition des obligations après une longue inaction du créancier.[[8]»  La prescription apparaît comme une institution destinée à introduire la sécurité dans les relations juridiques en atténuant les séquelles liées à l’effet érosif du temps sur la mémoire et sur la valeur des éléments de preuve et en incitant les créanciers à la diligence. Le juge Lamer (aujourd’hui Juge en chef), dans l’arrêt Oznaga c. Société d’exploitation des loteries et courses du Québec [[9]], alors qu’il traitait spécifiquement de délais autres que de pure prescription, écrit :

[] il faut prendre bien garde de ne point relaxer la computation des délais, de déchéance comme de procédure, au point de les rendre presque inopérants, car ces clauses servent la justice et ont pour raison d’être la protection de droits que le législateur a voulu à certaines conditions privilégier, fût-ce au détriment de ceux des autres en les plaçant à l’abri des plaideurs qui se manifestent tardivement []

Aussi ne faudrait-il donc pas élargir outre mesure la notion de « l’impossibilité absolue en fait d’agir » que prévoit l’art. 2232 du Code civil comme fondement d’une suspension des délais applicable en matière de prescription.

[la Commission souligne]

[47]        À cet égard, la doctrine enseigne que la négligence d’un procureur ne constitue pas une impossibilité d’agir qui suspend la prescription :

Bien qu’il soit impossible d’en faire une liste complète, on peut certainement mentionner certaines situations que les tribunaux n’ont pas considérées comme une impossibilité d’agir. L’ignorance de la loi ou de ses droits ne constitue pas une impossibilité d’agir, pas plus que la négligence d’un procureur qui aurait laissé prescrire un recours[10].

[la Commission souligne]

[48]        Toutefois, la position des tribunaux diffère en matière d’impossibilité d’agir selon que le délai outrepassé soit le délai pour introduire le recours lui-même ou un délai de procédure dans le cadre d’un recours dûment intenté, par exemple le délai pour la mise en état du dossier et l’inscription pour instruction et jugement prévu à l’article 173 du nouveau Code de procédure civile[11].

[49]        En effet, confrontée à la question de savoir si une impossibilité d’agir peut résulter de l’erreur d’un avocat, la Cour supérieure s’exprimait ainsi dans l’affaire Sisbro Investments Inc.[12] :

[29]       Si la Cour suprême a maintes fois reconnu le principe qu'une partie ne peut pas être privée d'un droit par l'erreur de ses avocats, sans injustice à l'égard de la partie adverse, lorsque cette erreur consiste dans le non-respect d'un délai procédural dans l'exécution d'un mandat - même s'il s'agit d'un délai de déchéance -, on ne peut s'appuyer sur le même principe lorsque le droit d'intenter l'action est éteint avant que celle-ci ne soit entreprise.

[30]    En effet, il est bien établi que la procédure doit servir le droit; comme corollaire, les tribunaux ont adopté la position de ne pas faire perdre à une partie un droit à cause d'une erreur ou du non-respect d'un délai procédural.

[31]     Par contre, on ne peut étendre ce principe aux situations où il n'est pas question d'un délai procédural non respecté, mais bien d'une situation où le droit d'action est éteint avant l'institution de l'action.

[la Commission souligne]


 

[50]        Ces principes sont repris quelques années plus tard par la Cour du Québec dans la décision Gilbert[13] à l’égard de faits similaires à ceux de la présente affaire : le demandeur admettait que son recours était prescrit, mais prétendait avoir été dans l'impossibilité d'agir au motif que son avocate avait négligé d’exercer son recours. Après s’être posé la question « est-ce que la négligence du procureur d'une partie à intenter une demande en justice avant que ce droit ne soit éteint par la prescription constitue une "impossibilité d'agir" au sens de l'article 2904 du Code civil du Québec », la Cour concluait, après avoir reproduit les principes énoncés dans l’affaire Sisbro Investments Inc et rapportés plus haut :

[12]       Le Tribunal, qui n'a aucun motif de s'écarter de ces principes, conclut que la négligence du procureur d'une partie à intenter une demande en justice avant que ce droit ne soit éteint par la prescription ne constitue pas une « impossibilité d'agir » au sens de l'article 2904 du Code civil du Québec.

[la Commission souligne]

[51]        La Commission est d’avis qu’il en est de même en l’espèce.

[52]        En effet, contrairement aux situations rapportées dans la jurisprudence citée par Mme Cavaluci, il n’est pas question dans la présente affaire du défaut de l’avocate de Mme Cavaluci de respecter un simple délai procédural dans le cadre d’un recours dûment entrepris. Il s’agit plutôt du fait de ne pas avoir intenté le recours lui-même devant la Commission, et ce, dans le délai de prescription de 30 jours imposé par la LFP et le Règlement sur un recours en appel pour les fonctionnaires non régis par une convention collective.

[53]        Aussi, comme la négligence de l’avocat d'une partie à intenter une demande en justice avant que ce droit ne soit éteint par la prescription ne constitue pas une « impossibilité d'agir » au sens de l'article 2904 du Code civil du Québec, la Commission est d’avis que le défaut d’un procureur de déposer un appel dans le délai imparti de 30 jours ne constitue pas une impossibilité d'agir au sens de l'article 120 de la LFP.

[54]        La Commission ne peut donc pas proroger le délai fixé par la LFP et le Règlement sur un recours en appel pour les fonctionnaires non régis par une convention collective.

[55]        En conséquence, les droits de recours de Mme Cavaluci sont éteints auprès de la Commission et celle-ci ne peut se saisir de ses appels déposés en vertu des articles 33 et 127 de la LFP.


 

[56]        POUR CES MOTIFS, la Commission :

·        ACCUEILLE le moyen préliminaire du Directeur général des élections du Québec;

·        REJETTE les appels de Mme Catherine Cavaluci.

 

 

__________________________________

Sonia Wagner, avocate

Commissaire

 

Me Sylvain Déry

Procureur pour Mme Catherine Cavaluci

Appelante

 

Me Mélissa Houle

Procureure pour le Directeur général des élections du Québec

Intimé

 

Lieu de l’audience : Québec

 

Date de l’audience : 23 octobre 2015

 

 



[1]     RLRQ, c. F-3.1.1.

[2]     RLRQ, c. F-3.1.1, r. 5.

[3]     Depuis le 1er janvier 2016, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) regroupe la Commission des normes du travail (CNT), la Commission de l’équité salariale (CES) et la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST).

[4]     RLRQ c. A-3.001.

[5]     Abattoir St-Alexandre (1982) inc. c. Olimpia & Domingues Quality Meats Inc., SOQUIJ AZ-01036286; Bunchan c. Robic & Associés inc., SOQUIJ AZ-93011339; Lemaire c. 9070-2549 Québec inc., SOQUIJ AZ-02019099; Maritime Insurance Company c. Transport Fafard inc. et Zurich Compagnie Assurances, SOQUIJ AZ-50311954.

[6]     Tremblay et Ministère des Transports du Québec, 2012 QCCFP 39 ; Boivin et Centre des services partagés du Québec, 2011 QCCFP 23.

[7]     [1998] 2 RCS 3, aux pages 36-37.

[8]     H., L. et J. Mazeaud, Leçons de droit civil, t. II, vol. 1, Obligations : théorie générale, 8e éd., par F. Chabas, 1991, à la p. 1206.

[9]     [1981] 2 RCS 113, à la p. 126.

[10]    Céline GERVAIS, La prescription, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 160.

[11]    RLRQ, c. C-25.01.

[12]    Sisbro Investments Inc. c. Aubin, 2003 CanLII 33191 (QC CS).

[13]    Gilbert c. Lachapelle, 2007 QCCQ 1295.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.