Décision

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Rozon c. SP International inc.

2023 QCCQ 10924

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

BEAUHARNOIS

LOCALITÉ DE

SALABERRY-DE-VALLEYFIELD

« Chambre civile »

 :

760-32-702284-227

 

 

 

DATE :

Le 20 décembre 2023

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

CLAUDE MONTPETIT, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

ISABELLE ROZON

 

et

 

ALAIN LETARTE

 

Demandeurs

 

c.

 

SP INTERNATIONAL INC.

 

Défenderesse

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]                Suite à l’achat chez la défenderesse d’un spa de nage le 23 novembre 2020 livrable au printemps 2021, les demandeurs réclament une somme de 5 671$ en raison des agissements de la défenderesse qui a fait défaut de livrer le bien vendu.

[2]                La défenderesse conteste la demande essentiellement pour deux motifs, soit le retard incontrôlable de son fournisseur chinois à lui livrer le bien en raison de la crise sanitaire mondiale de Covid-19 et aussi en raison de ses multiples tentatives de bonne foi d’obtenir la livraison sans résultat.

QUESTION EN LITIGE

[3]                La défenderesse ayant fait défaut d’exécuter son obligation de délivrance du bien vendu est-elle responsable des dommages subis par les demandeurs?

LE CONTEXTE

[4]                À l’automne 2020, les demandeurs ont le projet d’installer un spa de nage dans leur cour arrière et se rendent chez la défenderesse qui se spécialise dans la vente de spa et des produits et accessoires connexes depuis 2008.

[5]                Le fournisseur exclusif de spa de nage de la défenderesse est la compagnie Vortex dont les produits sont conçus et fabriqués en Chine et ensuite expédiés à un distributeur canadien dont les bureaux sont situés à Vancouver en Colombie-Britannique.

[6]                Le 23 novembre 2020, les demandeurs se rendent chez la défenderesse à Longueuil et après avoir rencontré un représentant des ventes (Éric), décident d’acheter un spa de nage de 17 pieds de longueur et 59 pouces de profondeur ainsi qu’un couvert au prix de 30 656,16$ (taxes incluses) et dont la livraison est prévue au printemps 2021, tel que mentionné au contrat (pièce P-1).

[7]                Les demandeurs versent un acompte de 9 813,16$, laissant un solde de 20 837,90$ payable lors de la livraison.

[8]                Dès que la température le permet au printemps 2021, les demandeurs procèdent aux travaux requis afin de recevoir le spa, dont une plateforme en béton de 20 pieds par 8 pieds et d’autres aménagements.

[9]                Le 12 avril 2021, ils sont prêts à recevoir le spa et en informent la défenderesse.

[10]           Le 17 mai 2021, ils sont sans nouvelles de la défenderesse et s’informent par téléphone.

[11]           Ils sont informés d’un retard causé par la Covid-19 et que le spa sera livré vers le 15 juin.

[12]           Le 3 juin, ils apprennent de la défenderesse que le spa est arrivé par bateau à Vancouver et qu’il doit maintenant être chargé sur un train pour traverser le Canada et qu’il sera bel et bien arrivé pour le 15 juin, tel que prévu.

[13]           Le temps passe et en août 2021, à leur grand désespoir, les demandeurs apprennent de la défenderesse que leur spa n’est pas arrivé à Vancouver, mais qu’il est toujours en Chine.

[14]           À ce moment, la défenderesse demande un montant supplémentaire de 10 000$ sinon ils devront annuler le contrat ou attendre encore. Les demandeurs refusent de payer le 10 000$ et choisissent d’attendre.

[15]           Le 20 août, ils apprennent que le spa est parti de Chine le 19 août et qu’il devrait arriver au Québec le 15 septembre.

[16]           Le 13 septembre, ils appellent chez la défenderesse en prévision de la livraison promise le 15 septembre et sont informés que le spa arriverait entre le 15 et le 30 octobre et qu’un supplément de 3 910$ sera payable en raison de l’augmentation des frais de transport.

[17]           Cette conversation téléphonique du 13 septembre 2021 avec le propriétaire de SP International Inc., monsieur Sylvain Pellerin, est enregistrée et versée en preuve au procès (clé USB, pièce P-7 et retranscription par écrit, pièce P-6).

[18]           Lors de cette conversation téléphonique, le propriétaire Pellerin informe les demandeurs qu’ils devront payer un surplus de 3 910$ pour le transport du spa, soit 230$ du pied (17 x 230$) et il ajoute qu’il ne fera aucun profit en raison de l’augmentation des coûts de transport et de fabrication.

[19]           Il affirme lors de cette conversation que le spa de nage de 17 pieds acheté en novembre 2020 par les demandeurs au coût de 24 299$ se vend maintenant 35 000$.

[20]           À plusieurs reprises, il assure les demandeurs que le spa sera livré au Québec entre le 15 et le 30 octobre prochain.

[21]           Mais surtout, monsieur Pellerin mentionne plusieurs fois que les demandeurs peuvent tout annuler et qu’il remboursera intégralement leur dépôt de 9 813,26$.

[22]           La demanderesse est réticente à payer 3 910$ de plus et mentionne à monsieur Pellerin qu’il doit respecter le prix convenu au contrat.

[23]           Elle demande un délai pour réfléchir à ses options et la conversation se termine.

[24]           Déçus et choqués de la situation, les demandeurs décident de faire parvenir à la défenderesse une mise en demeure datée du 27 septembre 2021 dans laquelle ils exigent la livraison du spa le ou avant le 31 octobre et expriment leur refus de payer un surplus de 3 910$, tel que demandé (lettre, pièce P-2).

[25]           Le 14 octobre 2021, les demandeurs reçoivent une lettre de la défenderesse (pièce P-4) les informant que leur contrat est résolu avec effet immédiat :

« SP International      Longueuil, le 14 octobre 2021

Par messager

Madame Isabelle Rozon et

Monsieur Alain Letarte

[…]

Saint-Lazare (Québec) […]

« Sous toutes réserves »

OBJET : Spa Vortex, modèle Aquapace Aquaflow

  Contrat no 17506

 

Madame Rozon, Monsieur Letarte,

Nous accusons réception de votre correspondance datée du 27 septembre 2021, par laquelle vous mettez en demeure SP International Inc. de vous livrer la marchandise mentionnée ci-dessus-, au plus tard le 31 octobre 2021.

En raison de problèmes incontrôlables et imprévisibles éprouvés par notre fournisseur situé en Chine, ainsi que des problèmes affectant le transport maritime par conteneur à l’échelle mondiale, notre société est dans l’impossibilité d’accéder à votre demandeur, malheureusement.

Dans ces circonstances qui relèvent de force majeure, nous devons donc à regret résilier l’entente qui nous liait, avec effet immédiat.

Vous trouverez en conséquence un chèque à votre ordre au montant de 9,813,26 $, en remboursement complet et final.

Veuillez recevoir, Madame Rozon, Monsieur Letarte, nos plus cordiales salutations.

(s)

Sylvain Pellerin, directeur général

SP International Inc.

p.j. (1)  Chèque »

[26]           Par la suite, les demandeurs mandatent Maître Martin Couillard, avocat, afin de faire parvenir une mise en demeure et réclamer une somme de 5 000$ en dédommagement.

[27]           De plus, l’avocat Couillard informe la défenderesse que le chèque de 9 813,26$ en remboursement de l’acompte versé par ses clients sera encaissé, mais sans préjudice à leur recours en dommages-intérêts.

[28]           Par la suite, les demandeurs décident d’acheter un spa de nage de 17 pieds, mais moins profond chez Club Piscine au prix de 32 193$, et ce, en date du 14 novembre 2021, livrable le lendemain le 15 novembre.

[29]           N’ayant reçu aucune réponse à la lettre de leur avocat, les demandeurs introduisent leur recours en division des petites créances de la Cour du Québec le 20 janvier 2022.

LE DROIT

[30]           Les articles suivants du Code civil du Québec et de la Loi sur la protection du consommateur (RLRQ, chap. P-40.1) sont pertinents à l’analyse du présent litige :

« Code civil du Québec :

Art. 1716 : Le vendeur est tenu de délivrer le bien, et d’en garantir le droit de propriété et la qualité.

Ces garanties existent de plein droit, sans qu’il soit nécessaire de les stipuler dans le contrat de vente.

Art. 1717 : L’obligation de délivrer le bien est remplie lorsque le vendeur met l’acheteur en possession du bien ou consent à ce qu’il en prenne possession, tous obstacles étant écartés.

Art. 1736 : L’acheteur d’un bien meuble peut, lorsque le vendeur ne délivre pas le bien, considérer la vente comme résolue si le vendeur est en demeure de plein droit d’exécuter son obligation ou s’il ne l’exécute pas dans le délai fixé par la mise en demeure.

Loi sur la protection du consommateur :

Art. 16 : L’obligation principale du commerçant consiste dans la livraison du bien ou la prestation du service prévus dans le contrat.

Dans un contrat à exécution successive, le commerçant est présumé exécuter son obligation principale lorsqu’il commence à accomplir cette obligation conformément au contrat.

Art. 272 : Si le commerçant ou le fabricant manque à une obligation que lui impose la présente loi, un règlement ou un engagement volontaire souscrit en vertu de l’article 314 ou dont l’application a été étendue par un décret pris en vertu de l’article 315.1, le consommateur, sous réserve des autres recours prévus par la présente loi, peut demander, selon le cas:

a)  l’exécution de l’obligation;

b)  l’autorisation de la faire exécuter aux frais du commerçant ou du fabricant;

c)  la réduction de son obligation;

d)  la résiliation du contrat;

e)  la résolution du contrat; ou

f)  la nullité du contrat,

sans préjudice de sa demande en dommages-intérêts dans tous les cas. Il peut également demander des dommages-intérêts punitifs. »

ANALYSE

[31]           Le Tribunal retient la version crédible des demandeurs que du mois d’avril au mois d’octobre 2021, ils ont été mal informés par les représentants de la défenderesse quant à la date de livraison du spa.

[32]           Il était à ce moment difficile, voir impossible, pour eux d’envisager d’autres options avec un autre commerçant en raison du contrat signé avec la défenderesse avec un dépôt important (9 813,26$) et les promesses de livraison faites par leur vendeur Éric et le propriétaire Sylvain Pellerin.

[33]           Lors de son témoignage, monsieur Pellerin a confirmé qu’il avait finalement reçu le spa vendu aux demandeurs à la fin octobre 2021 et qu’il a revendu celui-ci à un autre client sur sa longue liste d’attente, dit-il.

[34]           Son insistance lors de la conversation téléphonique du 13 septembre 2021 avec les demandeurs d’annuler le contrat et de rembourser le dépôt démontre clairement son intention à peine voilée de revendre le spa à un autre client pour un montant plus élevé.

[35]           C’est d’ailleurs ce qu’il confirme avoir fait suite à sa décision de résilier le contrat pour employer ses propres termes.

[36]           Les explications fournies par monsieur Pellerin concernant les raisons pour lesquelles il a décidé de résilier le contrat après avoir reçu la mise en demeure du 27 septembre 2021 ne tiennent pas la route et sont rejetées par le Tribunal.

[37]           La défenderesse a donc contrevenu à ses obligations de délivrance du bien vendu et de respect du contrat tel que prévu au Code civil du Québec et à la Loi sur la protection du consommateur.

LES DOMMAGES

[38]           D’entrée de jeu, le Tribunal estime que les demandeurs ont droit au remboursement des coûts supplémentaires de 2 013,07$ qu’ils ont dû assumer (32 664,23$ - 30 651,16$) pour l’achat d’un spa de nage de même dimension équipé d’un wifi chez Club Piscine.

[39]           Quant au montant de 2 000$ réclamé pour la perte de jouissance paisible du bien vendu pendant toute la saison estivale 2021, le Tribunal estime qu’il y a lieu de réduire cette somme à 500$ en raison des difficultés réelles causées par la pandémie mondiale qui sévissait encore à l’été 2021 et dont la défenderesse a fait état. Il demeure que de faux espoirs ont été donnés aux demandeurs.

[40]           Il y a lieu cependant d’accorder la demande d’une somme de 1 000$ à titre de dommages punitifs (article 272 LPC) en raison de la preuve soumise par les demandeurs qu’ils ont été mis sous pression d’accepter de payer un surplus et de consentir à la résolution du contrat.

[41]           Une telle pratique en situation de crise comme celle de la pandémie mondiale de la Covid-19 doit être l’objet d’une sanction afin de passer un message clair de dissuasion.

[42]           La preuve démontre également que la défenderesse a résolu le contrat avec les demandeurs dans un objectif clair de profiter de la hausse du marché, tel qu’il ressort de la conversation téléphonique produite en preuve et du témoignage de monsieur Pellerin à l’effet qu’il pouvait vendre le spa 10 000$ de plus en raison de l’augmentation du prix du marché.

[43]           Le Tribunal accueille la demande de remboursement des honoraires d’avocats encourus (658,24$, pièce P-10) vu la situation délicate dans laquelle les demandeurs étaient lorsqu’ils ont reçu la lettre confirmant la résolution du contrat et le remboursement de leur dépôt. Ils devaient consulter avant d’agir afin de minimiser leurs dommages et préserver leurs droits.

[44]           La défenderesse devra verser aux demandeurs la somme de 3 171,31$ (2 013,07$ + 500$ + 658,24$) ainsi que des dommages punitifs de 1 000$.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE la demande en partie;

CONDAMNE la défenderesse SP International Inc. à payer aux demandeurs la somme de 3 171,31$ avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle de l’article 1619 à compter de l’assignation du 3 février 2022 et les frais de justice de 201$;


CONDAMNE la défenderesse SP International Inc. à payer aux demandeurs des dommages punitifs de 1 000$ sans intérêt.

 

 

__________________________________

CLAUDE MONTPETIT, J.C.Q.

 

 

Date d’audience : 24 novembre 2023

 

AVIS AUX PARTIES

 

SECTION III

 

EXTRAIT DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE DU QUÉBEC

 

LE DÉPÔT DES ACTES DE PROCÉDURE ET LA PRODUCTION DE DOCUMENTS.

 

108 (2) Tout document ou élément matériel de preuve produit au dossier à titre de pièce doit y demeurer jusqu’à la fin de l’instance, à moins que toutes les parties ne consentent à son retrait. Les parties doivent, une fois l’instance terminée, reprendre possession des pièces qu’elles ont produites; à défaut, le greffier, un an après la date du jugement passé en force de chose jugée ou de l’acte qui met fin à l’instance, peut les détruire. Dans l’un et l’autre cas, le juge en chef du tribunal concerné peut surseoir à la destruction des pièces s’il considère qu’elles peuvent encore être utiles.

 

AVIS :
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