Yule c. Roussy | 2021 QCTAL 31438 | |||||||
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||||
Bureau dE Gaspé | ||||||||
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Nos dossiers : | 581320 08 20210721 X 584765 08 20210823 X | No demande : | 3446122 | |||||
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Date : | 18 juillet 2022 | |||||||
Devant le juge administratif : | Serge Adam | |||||||
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Diane Yule
Léo Réhel |
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Locataires - Partie demanderesse | ||||||||
c. | ||||||||
Patrick Roussy |
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Locateur - Partie défenderesse | ||||||||
et | ||||||||
Gino Dégarie |
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Locataire
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D É C I S I O N
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[1] Les locataires demandent la rectification d'une décision rendue le 7 décembre 2021 aux motifs suivants, à savoir que le soussigné a omis de statuer sur leur demande.
« 88. Le membre qui l’a rendue peut rectifier une décision entachée d’erreur d’écriture ou de calcul, ou de quelque autre erreur matérielle ou qui, par suite d’une inadvertance manifeste, accorde plus qu’il n’était demandé ou omet de prononcer sur une partie de la demande.
Il peut le faire, d’office ou à la demande d’une partie, tant que la décision n’a pas été inscrite en appel ou en révision ou tant que l’exécution n’a pas été commencée.
La demande de rectification suspend l’exécution de la décision et interrompt le délai d’appel ou de révision jusqu’à ce que les parties aient été avisées de la décision. »
[3] Selon les dispositions dudit article 88 de notre Loi, une partie peut demander la rectification d'une décision entachée d'erreur d'écriture ou de calcul, ou de quelques autres erreurs matérielles ou qui, par suite d'une inadvertance manifeste, accorde plus qu'il n'était demandé ou omet de prononcer sur une partie de la demande.
[4] Ainsi, le fardeau de la preuve incombe aux locataires qui doivent démontrer ou indiquer l'erreur, dans la mesure qu'elle soit manifeste, ou le cas échéant, que le Tribunal a omis de statuer sur une partie de la demande ou s'est prononcé au-delà de la demande.
[5] Or, à sa face même, le Tribunal constate dans sa décision datée du 7 décembre 2021 l’omission de statuer sur la demande des locataires pourtant étant partie demanderesse dans l’un des deux dossiers entendus en même temps, durant l’audience tenue le 24 novembre 2021.
[6] Le Tribunal est donc convaincu qu'il y a matière à rectification, quant à la résiliation du bail, vu l’omission totale du soussigné à statuer sur la demande des locataires.
[7] Vu l'article 5.1 du Tarif des frais exigibles par le Tribunal administratif du logement (Régie du logement), les locataires auront aussi droit au remboursement de leurs frais.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[8] DÉCLARE que les locataires ont droit au remboursement, par le Tribunal administratif du logement, des frais payés pour la demande de rectification;
[9] RECTIFIE la décision rendue le 7 décembre 2021 pour que chacune des parties demanderesses puisse avoir sa décision, lesquelles se liront comme suit :
DÉCISION RECTIFIÉE
Dossier 584765
[1] Le locataire Gino Dégarie réclame de son locateur des dommages moraux (5 000 $), des dommages punitifs (5 000 $), des dommages matériels (2 022,49 $), une diminution de loyer de 100 $ rétroactivement au 19 avril 2021 le tout avec intérêts et frais. Le locataire réclame également l'émission d'une ordonnance d'effectuer des réparations au logement notamment pour le bain, la toilette, coupe-froid manquant à la porte d'entrée, galerie et escalier extérieur, ventilateur de la cuisine, plafond de la cuisine en plus d'émettre une ordonnance de cesser d'importuner le locataire de multiples façons.
[2] Les parties sont liées par un bail à durée indéterminée depuis plusieurs années au loyer mensuel de 400 $.
[3] Il s'agit d'une petite maison érigée avec deux autres maisons sur un lot de terre de plusieurs hectares.
Dommages matériels, moraux et punitifs
[4] Le locataire au soutien de sa demande en dommages moraux, punitifs et matériels, témoigne avoir été harcelé par le locateur, depuis son retour de Montréal, soit depuis mars 2020 et il a vu ainsi sa jouissance des lieux fortement diminuée, en plus de vivre du stress et des inconvénients, vu l'attitude de son propriétaire.
[5] Ainsi, le locateur a circulé avec son véhicule à d'innombrables reprises avec son véhicule automobile sur le terrain entourant son logis très lentement, et ce, jusqu'à une dizaine de fois par jour et à toute heure de la journée.
[6] Régulièrement, le locateur bloquait l'accès au locataire, notamment durant l'hiver en stationnant son véhicule de telle façon qu'il lui était impossible de se servir de son propre véhicule en plus de stationner son véhicule le soir en laissant ses lumières allumées directement sur les fenêtres du logement.
[7] Nombre de fois, le locateur non seulement ne se contentait pas de stationner son véhicule, mais filmait ou photographiait le logis sur tous les angles possibles ou encore demeurait des heures dans celui-ci pour observer la résidence du locataire.
[8] Le locateur a fait de nombreux travaux, notamment la construction d'une roulotte en travaillant tout près de la résidence du locataire, et ce, à toute heure de la journée, mais spécifiquement le soir et même la nuit en utilisant de nombreux outils, notamment des génératrices, des outils électriques bruyants et en inondant son espace de travail de spots de lumières intenses, dérangeant ainsi d'une façon significative sa jouissance et sa vie privée.
[9] Le locateur a eu et a un comportement agressif alors qu'à de multiples occasions il a menacé le locataire notamment de lui casser les jambes, notamment une fois alors que la voisine du locataire a témoigné avoir bel et bien entendu le locateur d'émettre la même menace d'une voix forte suffisamment pour l'avoir entendu.
[10] Les voisins du locataire, Mme Diane Yule et Léo Réhel ont corroboré tous les éléments du témoignage de ce dernier, car non seulement ont-ils été témoins de tous les faits rapportés, mais ils furent également victimes du même locateur et de la même façon.
[11] Le locataire de même que ses voisins ont dû faire appel aux policiers une quarantaine de fois en raison de l'attitude du locateur, puisqu'ils craignaient ce dernier.
[12] Le locateur ne se contente pas de circuler avec son véhicule, mais aussi de marcher tout près de la résidence du locataire et toujours avec un objet dans ses mains, marteau, barre de fer et autres objets, notamment des outils.
[13] Même ses visiteurs, lorsque ceux-ci acceptent ses invitations trouvent les agissements bizarres et non appropriés tellement que sa mère a pleuré pendant sa dernière visite, car elle en avait peur tant pour elle que pour son fils.
[14] Le locataire Gino Dégarie réclame donc la somme de 5 000 $ en dommages punitifs et invoque l'article
[15] Selon le locataire, cette façon de faire avait comme seul et unique but d'expulser le locataire pour des raisons obscures non expliquées ou tout simplement sans aucune raison.
[16] Le locataire a témoigné avoir tout fait pour se dénicher un nouveau logement, ne pouvant plus demeurer dans ce logement, mais avec la pénurie de logements actuellement en Gaspésie, non seulement ceux-ci sont rares, mais ils sont fort dispendieux.
[17] Il réitère encore aujourd'hui être à la recherche d'un logement sans succès et soutient avoir déjà eu l'idée de quitter son logement et de vivre dans un motel ou un hôtel de la région tellement il est à bout de ses ressources humaines face à une telle situation.
[18] Il évite de sortir de son logement et barre celui-ci avec une barre de fer tellement il a peur du locateur.
[19] Il doit prendre des médicaments afin de l'aider à dormir, car sans ceux-ci il ne peut y arriver tellement sa crainte est omniprésente, explique-t-il.
[20] Il réclame de plus des dommages matériels au montant total 2 022,49 $, soit 129,99 $ pour l'achat d'une caméra constituer son dossier par de nombreuses vidéos, un montant de 1 432,50 $ en revenus perdus, la somme de 400 $ en frais judiciaires pour l'envoi par son avocat d'une mise en demeure et le remboursement de ses frais d'aide juridique qu'il a payés.
[21] Sur ces demandes en dommages, le locateur a débuté son témoignage en exposant une demande reconventionnelle afin de résilier le bail du locataire et de son expulsion du dit logement.
[22] Le soussigné le rappelle alors à l'ordre et lui explique qu'une telle demande ne peut pas être présentée sauf par une demande écrite de sa part préalablement.
[23] Il témoigne également de son incapacité de se trouver un avocat, car personne ne veut le représenter et expose son intention de reprendre le logement du locataire dans un futur proche.
[24] S'en est suivi, un long récit du locateur fort laborieux et décousu de sens tellement que le soussigné dû le rappeler encore une fois afin de se concentrer sur la demande du locataire.
[25] Essentiellement le locateur nie en bloc tout le témoignage du locataire tout en admettant en contre-interrogatoire avoir quitté son travail pour cause de santé mentale et suivre des traitements avec un psychiatre à la demande des policiers, suite à l'une de ses quatre arrestations pour entrave à la paix publique et menace de voies de fait sur autrui et d'une courte détention d'une journée suite à l'une des nombreuses interventions des policiers soit avec le locataire ou avec ses voisins, Mme Yule et M. Réhel.
[26] Le locateur a de plus, à maintes occasions, parlé d'armes avec rayon laser que pouvait avoir en sa possession son locataire ce qui fut nié par ce dernier jugeant cette allégation totalement stupide, voire inventée ou imaginée de toute pièce par son propriétaire.
[27] Au surplus, le locateur craint le locataire en invoquant le passé criminel et explique ainsi la présence d'une arme avec lui lorsqu'il marche près de la résidence du locataire.
[28] Le locataire ne nie pas son passé criminel tout en précisant qu'il a purgé sa peine et qu'il mène maintenant une vie exemplaire n'ayant jamais eu de faute civile, pénale ou criminelle, même pas pour un excès de vitesse avec son véhicule, tient-il à préciser.
[29] Le locataire a admis toutefois que depuis le dernier avertissement de mon collègue le juge administratif Luk Dufort en maintenant les ordonnances émises par la juge Micheline Leclerc, soit depuis la demande de remise acceptée par ce dernier, afin que le locateur puisse se trouver un avocat, la situation s'est sensiblement améliorée de sorte qu'il n'a pu vu le locateur depuis cette date.
Diminution de loyer
[30] Sur la question de la diminution de loyer, la preuve révèle une ordonnance émise par la juge Leclerc ci-haut référée, laquelle ordonne au locateur de se choisir un entrepreneur en construction afin de vérifier tous les travaux ou réparations à faire et d'effectuer ceux-ci sans délai;
[31] Or, le locataire et le locateur témoignent de la visite dudit entrepreneur et le locateur a accepté les devis de son entrepreneur pour les réparations à faire notamment la galerie, les marches de celle-ci, le bain inutilisable et pour toutes autres réparations y mentionnées mais les travaux n'ont pu être entamés par un manque de temps dudit entrepreneur avec la situation causée par la pandémie, notamment le manque de main d'œuvre et le surplus de travail de ce dernier.
[32] Le soussigné maintiendra cette ordonnance et précisera la date ultime où des travaux devront être exécutés.
DÉCISION
Dommages punitifs et moraux
[33] Dans une étude sur l'article
« De façon générale, le harcèlement suppose une conduite qui, en raison de l'effet dérangeant qu'elle produit avec une certaine continuité dans le temps, est susceptible de créer éventuellement, chez la victime, une pression psychologique suffisante de manière à obtenir le résultat ultimement recherché par l'auteur de cette conduite. Plus spécifiquement, le harcèlement interdit aux termes de l'article 1902 pourrait, à notre avis, être décrit comme suit :
Une conduite se manifestant par des paroles ou des actes et ayant comme conséquence de restreindre, de façon continue, le droit d'un locataire à la jouissance paisible des lieux ou d'obtenir qu'il quitte le logement.
(...)
L'effet de durabilité de la conduite fautive est une composante essentielle dans l'identification du harcèlement. À l'instar du harcèlement sexuel ou discriminatoire spécifique au logement, nous croyons que la continuité dans le temps s'établit soit par la répétition de certains actes, soit par un seul acte grave dans la mesure où il cause un préjudice nocif continu dans le temps. »[1]
L'auteur rajoute :
« Toute conduite ayant pour conséquence de restreindre la jouissance du locataire ne constitue pas nécessairement du harcèlement. La présence de ce contexte global et celle du harcèlement nous paraissent liées. D'une part, sans contexte, la conduite fautive ne constitue probablement pas du harcèlement. Il se peut fort bien que le locateur ait simplement agi dans un cadre où il a mal délimité ses droits et ses obligations. D'autre part, la preuve d'un contexte particulier peut faciliter la reconnaissance du harcèlement lorsqu'il se manifeste subtilement, sporadiquement ou depuis peu de temps ou encore si le locateur est en mesure de justifier raisonnablement ses actes. Il appartient au locataire de prouver le harcèlement et au locateur de justifier sa conduite. »[2]
« Lorsque le comportement du locateur constitue du harcèlement, mais que, par ailleurs, le locataire a lui-même une conduite fautive, nous retrouvons trois tendances. Suivant la personne à l'origine des troubles et selon la gravité du comportement respectif de chacune des parties, le tribunal pourra priver le locataire de son droit d'invoquer le harcèlement à son égard, prendre en compte la conduite du locataire dans la détermination du montant à accorder, ne retenir que la faute du locateur, celui-ci ne pouvant se faire justice lui-même. Il appartient au locataire de prouver le harcèlement et au locateur de justifier sa conduite. »[3]
« Lorsque le locateur a agi dans l'exercice de ses droits, le locataire devra également établir, le cas échéant, le caractère excessif et déraisonnable. »[4]
[34] L'ensemble de la preuve accablante au surplus démontre un harcèlement régulier et constant par le locateur vis-à-vis le locataire lequel multiplie les embûches pour le voir quitter le logement concerné. Le locateur s'est livré à une escalade dans ses manœuvres dans le but évident de l'inciter à quitter les lieux loués. Ces manœuvres ont même eu comme résultat que le locataire a même tenté de se dénicher un logement, mais sans succès.
[35] Ce faisant, le locateur contrevenait ainsi à l'article
« 1902. Le locateur ou toute autre personne ne peut user de harcèlement envers un locataire de manière à restreindre son droit à la jouissance paisible des lieux ou à obtenir qu'il quitte le logement.
Le locataire, s'il est harcelé, peut demander que le locateur ou toute autre personne qui a usé de harcèlement soit condamné à des dommages-intérêts punitifs. »
[36] L'article
« 1621. Lorsque la loi prévoit l'attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.
Ils s'apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l'étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenue envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers. »
[37] Le Tribunal fait siens les propos du juge administratif Jean Bisson, dans la cause Durocher c. Gestion Immobilère Solitec[5] :
« Ces dommages punitifs doivent sanctionner le comportement inacceptable des locateurs qui font fi des droits des locataires et les dissuader de poursuivre dans cette veine. Les locateurs insatisfaits d'une décision contre eux et qui, malicieusement, multiplient les tracasseries dans le but d'inciter les locataires à quitter le logement ne peuvent prétendre agir de bonne foi. Les dommages punitifs doivent viser à prévoir toute récidive et punir le comportement répréhensible. L'attitude des locateurs depuis le mois d'octobre 2001 et de leurs mandataires à l'audience laisse croire qu'une somme trop basse n'atteindra pas le but de tels dommages. »
[38] Le Tribunal fera donc droit à la réclamation de dommages punitifs pour harcèlement dans le but de restreindre le droit à la jouissance du locataire voire à obtenir son départ et accordera ceux-ci à la somme réclamée de 5 000 $.
[39] Le locataire réclame également une somme de 5 000 $ pour troubles et inconvénients résultant du préjudice qu'il a subi.
[40] Ce type de dommages, appelé aussi dommages moraux, vise à compenser le stress, les inquiétudes, la fatigue et les troubles et inconvénients de toutes sortes qu'a pu éprouver la partie lésée. Ce dommage est difficile à évaluer contrairement aux dommages pécuniaires, qui sont plus aisément quantifiables en raison de leur caractère objectif.
[41] Néanmoins, les dommages moraux ne peuvent se présumer et doivent être prouvés selon les règles de prépondérance. En effet, « Le dommage ne se présume jamais; il doit être prouvé selon les règles ordinaires de prépondérance »[6]. S'il s'agit de dommages moraux, « ...la difficulté à chiffrer un préjudice non économique ne doit pas équivaloir à une dispense d'avoir à prouver sa survenance (...) Le simple fait que le préjudice soit moral ne permet pas de se contenter d'une simple affirmation générale. »[7] expliquant qu'on a subi un quelconque préjudice.
[42] Concernant ces dommages, le soussigné veut d'abord rappeler le principe si bien énoncé par le présent Tribunal :
« Sous ce titre, on entend les pertes non pécuniaires subies par les locataires, pour les angoisses, les inconvénients, les problèmes de quelque nature qu'on a pu leur faire subir. L'évaluation de tels dommages demeure un défi important, car, sans nécessairement en laisser le quantum à la discrétion du tribunal, la jurisprudence a établi des balises vastes et larges, pour en arriver finalement à donner comme règle que ces pertes non pécuniaires doivent être équitables et raisonnables. »[8]
[43] Sous ce chef et en tenant compte de ces principes et de la preuve, le montant réclamé de 5 000 $ est considéré raisonnable, car le soussigné peut facilement se convaincre de la détresse morale, d'un stress continu, d'un profond désarroi et d'une perte de jouissance des lieux qu'un tel comportement a inévitablement apporté au locataire pendant les quelques 18 mois qu'ont duré ces agissements fortement répréhensibles du locateur.
Dommages matériels
[44] Pour les sommes réclamées en dommages matériels, le Tribunal n'accordera que celui de la facture de l'achat de la caméra, car pour tous les autres items soit que ceux‑ci soient des frais indirects (mise en demeure, frais d'avocat et frais d'aide juridique) ou encore d'une absence de preuve sur la perte de revenus du locataire.
Diminution de loyer
[45] Concernant la demande en diminution de loyer, le Tribunal s'en tiendra à la perte de jouissance perdue à cause de l'inertie du locateur à procéder aux réparations qu'il a par la suite accepté d'entreprendre.
[46] Or, vu l'admission de ces réparations par le locateur, le Tribunal accordera au locataire la somme globale de 350 $ à partir de la date de la mise en demeure jusqu'à la date de l'audience tenue le 24 novembre 2021 et accordera une diminution de 50 $ par mois à partir du 1er décembre 2021 et pour tous les mois suivants, et ce, jusqu'à ce que les réparations promises aient été entièrement exécutées.
[47] En outre, le Tribunal émettra l'ordonnance réclamée par le locataire.
Dossier : 581320
[48] Les locataires Diane Yule et Léo Réhel réclament de leur locateur des dommages moraux (1 000 $), une diminution de loyer de 100 $ rétroactivement au mois de novembre 2020, le tout avec intérêts et frais. Les locataires réclament également l’émission d’une ordonnance de cesser d’importuner les locataires de multiples façons.
[49] Les parties sont liées par un bail à durée indéterminée depuis plusieurs années au loyer mensuel de 400 $.
[50] Il s’agit d’une petite maison érigée avec deux autres maisons sur un lot de terre de plusieurs hectares.
Dommages moraux et diminution de loyer
[51] Les locataires au soutien de leur demande en dommages moraux, témoignent avoir été harcelés par le locateur, depuis son retour de Montréal, soit depuis mars 2020 et ils ont vu ainsi leur jouissance des lieux fortement diminué en plus de vivre du stress et des inconvénients, vu l’attitude de leur propriétaire.
[52] Ainsi, le locateur a circulé avec son véhicule à d’innombrables reprises avec son véhicule automobile sur le terrain entourant leur logis très lentement, notamment près de la fenêtre de la salle de bain, et ce jusqu’à une dizaine de fois par jour et à toute heure de la journée, violant ainsi leur vie privée.
[53] Nombre de fois, le locateur non seulement ne se contentait pas de stationner son véhicule mais filmait ou photographiait le logis sur tous les angles possibles ou encore demeurait des heures dans celui-ci pour observer la résidence du locataire, souvent avec les phares allumés.
[54] Le locateur a fait de nombreux travaux, notamment la construction d’une roulotte en travaillant tout près de la résidence des locataires et ce à toute heure de la journée mais spécifiquement le soir et même la nuit en utilisant de nombreux outils notamment des génératrices, des outils électriques bruyants et en inondant son espace de travail de spots de lumières intenses, dérangeant ainsi d’une façon significative leur jouissance et leur vie privée.
[55] Le locateur a eu et a un comportement agressif alors qu’à de multiples occasions il a menacé les locataires tout en tenant des propos incohérents.
[56] Le voisin des locataires, M. Gino Dégarie, a corroboré tous les éléments du témoignage de ces derniers car non seulement a-t-il été témoin de tous les faits rapportés mais il fut également victime du même locateur et de la même façon.
[57] Les locataires de même que leur voisin ont dû faire appel aux policiers une quarantaine de fois en raison de l’attitude du locateur, puisqu’ils craignaient ce dernier.
[58] Le locateur ne se contente pas de circuler avec son véhicule mais aussi de marcher tout près de la résidence des locataires et toujours avec un objet dans ses mains, tels que scie à chaine, torche au propane allumée et autres objets.
[59] Les locataires réclament donc la somme de 1 000 $ en dommages moraux et punitifs pour tout le stress vécu durant tous ces mois depuis l’envoi de leur mise en demeure expédiée au locateur en novembre 2020.
[60] Selon les locataires, cette façon de faire avait comme seul et unique but de les expulser pour des raisons obscures non expliquées ou tout simplement sans aucune raison.
[61] La locataire témoigne qu’elle craint tellement le locateur qu’elle n’a pas sorti de son logis depuis plus de 15 mois.
[62] Sur ces demandes en dommages, le locateur a débuté son témoignage en exposant une demande reconventionnelle afin de résilier le bail des locataires et de leur expulsion dudit logement.
[63] Le soussigné le rappelle alors à l’ordre et lui explique qu’une telle demande ne peut pas être présentée sauf par une demande écrite de sa part préalablement.
[64] D’ailleurs, le locateur a même exigé le départ des locataires pour le 1er juin 2021, sans aucun fondement tel que stipulé dans la décision du juge administratif Luk Dufort, datée du 19 novembre 2021.
[65] Il témoigne également de son incapacité de se trouver un avocat, car personne ne veut le représenter.
[66] S’en est suivi, un long récit du locateur fort laborieux et décousu de sens tellement que le soussigné dû le rappeler encore une fois afin de se concentrer sur la demande du locataire.
[67] Essentiellement le locateur nie en bloc tout le témoignage des locataires tout en admettant en contre interrogatoire avoir quitté son travail pour cause de santé mentale et suivre des traitements avec un psychiatre à la demande des policiers, suite à l’une de ses quatre arrestations pour entrave à la paix publique et menace de voies de faits sur autrui et d’une courte détention d’une journée suite à l’une des nombreuses interventions des policiers soit avec les locataires ou avec leur voisin M. Gino Dégarie.
[68] Le locateur a de plus, à maintes occasions, parlé d’armes avec rayon laser que pouvait avoir en sa possession ses locataires ce qui fut nié par ces derniers jugeant cette allégation totalement stupide voire inventée ou imaginée de toute pièce par son propriétaire.
Décision
Dommages punitifs et moraux
[69] Dans une étude sur l'article
« De façon générale, le harcèlement suppose une conduite qui, en raison de l'effet dérangeant qu'elle produit avec une certaine continuité dans le temps, est susceptible de créer éventuellement, chez la victime, une pression psychologique suffisante de manière à obtenir le résultat ultimement recherché par l'auteur de cette conduite. Plus spécifiquement, le harcèlement interdit aux termes de l'article 1902 pourrait, à notre avis, être décrit comme suit :
Une conduite se manifestant par des paroles ou des actes et ayant comme conséquence de restreindre, de façon continue, le droit d'un locataire à la jouissance paisible des lieux ou d'obtenir qu'il quitte le logement.
(...)
L'effet de durabilité de la conduite fautive est une composante essentielle dans l'identification du harcèlement. À l'instar du harcèlement sexuel ou discriminatoire spécifique au logement, nous croyons que la continuité dans le temps s'établit soit par la répétition de certains actes, soit par un seul acte grave dans la mesure où il cause un préjudice nocif continu dans le temps. »[9]
[70] L'auteur rajoute :
« Toute conduite ayant pour conséquence de restreindre la jouissance du locataire ne constitue pas nécessairement du harcèlement. La présence de ce contexte global et celle du harcèlement nous paraissent liées. D'une part, sans contexte, la conduite fautive ne constitue probablement pas du harcèlement. Il se peut fort bien que le locateur ait simplement agi dans un cadre où il a mal délimité ses droits et ses obligations. D'autre part, la preuve d'un contexte particulier peut faciliter la reconnaissance du harcèlement lorsqu'il se manifeste subtilement, sporadiquement ou depuis peu de temps ou encore si le locateur est en mesure de justifier raisonnablement ses actes. Il appartient au locataire de prouver le harcèlement et au locateur de justifier sa conduite. »[10]
« Lorsque le comportement du locateur constitue du harcèlement, mais que, par ailleurs, le locataire a lui-même une conduite fautive, nous retrouvons trois tendances. Suivant la personne à l'origine des troubles et selon la gravité du comportement respectif de chacune des parties, le tribunal pourra priver le locataire de son droit d'invoquer le harcèlement à son égard, prendre en compte la conduite du locataire dans la détermination du montant à accorder, ne retenir que la faute du locateur, celui‑ci ne pouvant se faire justice lui-même. Il appartient au locataire de prouver le harcèlement et au locateur de justifier sa conduite. »[11]
« Lorsque le locateur a agi dans l'exercice de ses droits, le locataire devra également établir, le cas échéant, le caractère excessif et déraisonnable. »[12]
[71] L'ensemble de la preuve accablante au surplus démontre un harcèlement régulier et constant par le locateur vis-à-vis les locataires lequel multiplie les embûches pour les voir quitter le logement concerné. Le locateur s’est livré à une escalade dans ses manœuvres dans le but évident de les inciter à quitter les lieux loués.
[72] Ce faisant, le locateur contrevenait ainsi à l'article
« 1902. Le locateur ou toute autre personne ne peut user de harcèlement envers un locataire de manière à restreindre son droit à la jouissance paisible des lieux ou à obtenir qu'il quitte le logement.
Le locataire, s'il est harcelé, peut demander que le locateur ou toute autre personne qui a usé de harcèlement soit condamné à des dommages-intérêts punitifs. »
[73] L'article
« 1621.Lorsque la loi prévoit l'attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.
Ils s'apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l'étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers. »
[74] Le Tribunal fait siens les propos du juge administratif Jean Bisson, dans la cause Durocher c Gestion Immobilère Solitec[13] :
Ces dommages punitifs doivent sanctionner le comportement inacceptable des locateurs qui font fi des droits des locataires et les dissuader de poursuivre dans cette veine. Les locateurs insatisfaits d'une décision contre eux et qui, malicieusement, multiplient les tracasseries dans le but d'inciter les locataires à quitter le logement ne peuvent prétendre agir de bonne foi. Les dommages punitifs doivent viser à prévoir toute récidive et punir le comportement répréhensible. L'attitude des locateurs depuis le mois d'octobre 2001 et de leurs mandataires à l'audience laisse croire qu'une somme trop basse n'atteindra pas le but de tels dommages.
Le Tribunal fera donc droit à la réclamation de dommages moraux et punitifs pour harcèlement dans le but de restreindre le droit à la jouissance des locataires voire à obtenir leur départ et accordera ceux-ci à la somme réclamée de 1 000 $.
Quant à la diminution de loyer et en tenant compte de la preuve, le montant réclamé de 100 $ par mois est considéré raisonnable car le soussigné peut facilement se convaincre de la détresse morale, d’un stress continu, d’un profond désarroi et d’une perte de jouissance des lieux qu'un tel comportement a inévitablement apporté aux locataires pendant les 12 mois qu’ont duré ces agissements fortement répréhensibles du locateur, soit depuis leur envoi de leur mise en demeure datée du xx novembre 2020.
[75] En outre, le Tribunal émettra l’ordonnance réclamée par les locataires.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
Dossier 584765
[76] CONDAMNE le locateur à payer au locataire Gino Dégarie la somme de 10 000 $ à titre de dommages punitifs et moraux, avec les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article
[77] CONDAMNE le locateur à payer au locataire Gino Dégarie la somme de 350 $, plus les intérêts au taux légal plus l'indemnité prévue à l'article
[78] ORDONNE au locateur de cesser d'intimider et de harceler le locataire et de limiter les échanges au minimum en plus de cesser toute circulation près de la résidence du locataire soit à une distance de 50 mètres de celle-ci sauf celle prévue par un avis d'au moins 48 heures à l'avance de la visite prochaine du locateur ou d'une circulation près de la résidence du locataire, en plus d'indiquer dans cet avis, le but de cette visite ou intrusion près des locataires et des travaux devant y être effectués et le temps requis. Ces travaux devant être faits entre 9 h. A.M. et 16 h. P.M. de la même journée;
[79] ORDONNE au locateur d'entreprendre et de terminer les travaux prévus dans les devis présentés pas son entrepreneur, et ce, dans les deux mois des présentes. Ces travaux étant ceux énumérés dans la demande du locataire, notamment la galerie et les marches de celle-ci ainsi que le bain, devenu inutilisable;
[80] DIMINUE le loyer de 50 $ par mois à partir du mois de décembre 2021 jusqu'à ce que les travaux prévus dans les devis soient entièrement terminés;
[81] PERMET au locataire d'opérer compensation pour les sommes qui lui sont dues, à même les loyers futurs.
Dossier 581320 :
[82] CONDAMNE le locateur à payer aux locataires Diane Yule et Léo Réhel la somme de 1 000 $ à titre de dommages punitifs et moraux, avec les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article
[83] CONDAMNE le locateur à payer aux locataires Diane Yule et Léo Réhel la somme de 1 200 $ représentant la diminution globale de loyer accordé aux locataires, plus les intérêts au taux légal, plus l'indemnité prévue à l'article
[84] PERMET aux locataires d'opérer compensation pour les sommes qui leur sont dues, à même les loyers futurs;
[85] ORDONNE au locateur de cesser d’intimider et d’harceler les locataires et de limiter les échanges au minimum en plus de cesser toute circulation près de la résidence des locataires soit à une distance de 50 mètres de celle-ci sauf celle prévue par un avis d’au moins 48 heures à l’avance de la visite prochaine du locateur ou d’une circulation près de la résidence des locataires en plus d’indiquer dans cet avis, le but de cette visite ou intrusion près des locataires et des travaux devant y être effectués et le temps requis. Ces travaux devant être faits entre 9 h. AM et 16 h. PM de la même journée.
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Serge Adam | ||
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Présence(s) : | Me Laurence Côté-Lebrun, avocate des locataires | ||
Date de l’audience : | 17 juin 2022 | ||
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Yule c. Roussy | 2021 QCTAL 31438 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Gaspé | ||||||
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Nos dossiers : | 581320 08 20210721 G 584765 08 20210823 G | Nos demandes : | 3306933 3325883 | |||
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Date : | 07 décembre 2021 | |||||
Devant le juge administratif : | Serge Adam | |||||
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Diane Yule
Léo Réhel
Gino Dégarie |
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Locataires - Partie demanderesse (581320 08 20210721 G) (3306933) (584765 08 20210823 G) (3325883) | ||||||
c. | ||||||
Patrick Roussy |
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Locateur - Partie défenderesse (581320 08 20210721 G) (3306933) (584765 08 20210823 G) (3325883) | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Le locataire réclame de son locateur des dommages moraux (5 000 $), des dommages punitifs (5 000 $), des dommages matériels (2 022,49 $), une diminution de loyer de 100 $ rétroactivement au 19 avril 2021 le tout avec intérêts et frais. Le locataire réclame également l’émission d’une ordonnance d’effectuer des réparations au logement notamment pour le bain, la toilette, coupe-froid manquant à la porte d’entrée, galerie et escalier extérieur, ventilateur de la cuisine, plafond de la cuisine en plus d’émettre une ordonnance de cesser d’importuner le locataire de multiples façons.
[2] Les parties sont liées par un bail à durée indéterminée depuis plusieurs années au loyer mensuel de 400 $.
[3] Il s’agit d’une petite maison érigée avec deux autres maisons sur un lot de terre de plusieurs hectares.
Dommages matériels, moraux et punitifs
[4] Le locataire au soutien de sa demande en dommages moraux, punitifs et matériels, témoigne avoir été harcelé par le locateur, depuis son retour de Montréal, soit depuis mars 2020 et il a vu ainsi sa jouissance des lieux fortement diminuée, en plus de vivre du stress et des inconvénients, vu l’attitude de son propriétaire.
[5] Ainsi, le locateur a circulé avec son véhicule à d’innombrables reprises avec son véhicule automobile sur le terrain entourant son logis très lentement, et ce, jusqu’à une dizaine de fois par jour et à toute heure de la journée.
[6] Régulièrement, le locateur bloquait l’accès au locataire, notamment durant l’hiver en stationnant son véhicule de telle façon qu’il lui était impossible de se servir de son propre véhicule en plus de stationner son véhicule le soir en laissant ses lumières allumées directement sur les fenêtres du logement.
[7] Nombre de fois, le locateur non seulement ne se contentait pas de stationner son véhicule, mais filmait ou photographiait le logis sur tous les angles possibles ou encore demeurait des heures dans celui-ci pour observer la résidence du locataire.
[8] Le locateur a fait de nombreux travaux, notamment la construction d’une roulotte en travaillant tout près de la résidence du locataire, et ce, à toute heure de la journée, mais spécifiquement le soir et même la nuit en utilisant de nombreux outils, notamment des génératrices, des outils électriques bruyants et en inondant son espace de travail de spots de lumières intenses, dérangeant ainsi d’une façon significative sa jouissance et sa vie privée.
[9] Le locateur a eu et a un comportement agressif alors qu’à de multiples occasions il a menacé le locataire notamment de lui casser les jambes, notamment une fois alors que la voisine du locataire a témoigné avoir bel et bien entendu le locateur d’émettre la même menace d’une voix forte suffisamment pour l’avoir entendu.
[10] Les voisins du locataire, Mme Diane Yule et Léo Réhel ont corroboré tous les éléments du témoignage de ce dernier, car non seulement ont-ils été témoins de tous les faits rapportés, mais ils furent également victimes du même locateur et de la même façon.
[11] Le locataire de même que ses voisins ont dû faire appel aux policiers une quarantaine de fois en raison de l’attitude du locateur, puisqu’ils craignaient ce dernier.
[12] Le locateur ne se contente pas de circuler avec son véhicule, mais aussi de marcher tout près de la résidence du locataire et toujours avec un objet dans ses mains, marteau, barre de fer et autres objets, notamment des outils.
[13] Même ses visiteurs, lorsque ceux-ci acceptent ses invitations trouvent les agissements bizarres et non appropriés tellement que sa mère a pleuré pendant sa dernière visite, car elle en avait peur tant pour elle que pour son fils.
[14] Le locataire réclame donc la somme de 5 000 $ en dommages punitifs et invoque l’article
[15] Selon le locataire, cette façon de faire avait comme seul et unique but d’expulser le locataire pour des raisons obscures non expliquées ou tout simplement sans aucune raison.
[16] Le locataire a témoigné avoir tout fait pour se dénicher un nouveau logement, ne pouvant plus demeurer dans ce logement, mais avec la pénurie de logements actuellement en Gaspésie, non seulement ceux-ci sont rares, mais ils sont fort dispendieux.
[17] Il réitère encore aujourd’hui être à la recherche d’un logement sans succès et soutient avoir déjà eu l’idée de quitter son logement et de vivre dans un motel ou un hôtel de la région tellement il est à bout de ses ressources humaines face à une telle situation.
[18] Il évite de sortir de son logement et barre celui-ci avec une barre de fer tellement il a peur du locateur.
[19] Il doit prendre des médicaments afin de l’aider à dormir, car sans ceux-ci il ne peut y arriver tellement sa crainte est omniprésente, explique-t-il.
[20] Il réclame de plus des dommages matériels au montant total 2 022,49 $, soit 129,99 $ pour l’achat d’une caméra constituer son dossier par de nombreuses vidéos, un montant de 1 432,50 $ en revenus perdus, la somme de 400 $ en frais judiciaires pour l’envoi par son avocat d’une mise en demeure et le remboursement de ses frais d’aide juridique qu’il a payés.
[21] Sur ces demandes en dommages, le locateur a débuté son témoignage en exposant une demande reconventionnelle afin de résilier le bail du locataire et de son expulsion du dit logement.
[22] Le soussigné le rappelle alors à l’ordre et lui explique qu’une telle demande ne peut pas être présentée sauf par une demande écrite de sa part préalablement.
[23] Il témoigne également de son incapacité de se trouver un avocat, car personne ne veut le représenter et expose son intention de reprendre le logement du locataire dans un futur proche.
[24] S’en est suivi, un long récit du locateur fort laborieux et décousu de sens tellement que le soussigné dû le rappeler encore une fois afin de se concentrer sur la demande du locataire.
[25] Essentiellement le locateur nie en bloc tout le témoignage du locataire tout en admettant en contre-interrogatoire avoir quitté son travail pour cause de santé mentale et suivre des traitements avec un psychiatre à la demande des policiers, suite à l’une de ses quatre arrestations pour entrave à la paix publique et menace de voies de fait sur autrui et d’une courte détention d’une journée suite à l’une des nombreuses interventions des policiers soit avec le locataire ou avec ses voisins, Mme Yule et M. Réhel.
[26] Le locateur a de plus, à maintes occasions, parlé d’armes avec rayon laser que pouvait avoir en sa possession son locataire ce qui fut nié par ce dernier jugeant cette allégation totalement stupide, voire inventée ou imaginée de toute pièce par son propriétaire.
[27] Au surplus, le locateur craint le locataire en invoquant le passé criminel et explique ainsi la présence d’une arme avec lui lorsqu’il marche près de la résidence du locataire.
[28] Le locataire ne nie pas son passé criminel tout en précisant qu’il a purgé sa peine et qu’il mène maintenant une vie exemplaire n’ayant jamais eu de faute civile, pénale ou criminelle, même pas pour un excès de vitesse avec son véhicule, tient-il à préciser.
[29] Le locataire a admis toutefois que depuis le dernier avertissement de mon collègue le juge administratif Luk Dufort en maintenant les ordonnances émises par la juge Micheline Leclerc, soit depuis la demande de remise acceptée par ce dernier, afin que le locateur puisse se trouver un avocat, la situation s’est sensiblement améliorée de sorte qu’il n’a pu vu le locateur depuis cette date.
Diminution de loyer
[30] Sur la question de la diminution de loyer, la preuve révèle une ordonnance émise par la juge Leclerc ci-haut référée, laquelle ordonne au locateur de se choisir un entrepreneur en construction afin de vérifier tous les travaux ou réparations à faire et d’effectuer ceux-ci sans délai;
[31] Or, le locataire et le locateur témoignent de la visite dudit entrepreneur et le locateur a accepté les devis de son entrepreneur pour les réparations à faire notamment la galerie, les marches de celle-ci, le bain inutilisable et pour toutes autres réparations y mentionnées mais les travaux n’ont pu être entamés par un manque de temps dudit entrepreneur avec la situation causée par la pandémie, notamment le manque de main d’œuvre et le surplus de travail de ce dernier.
[32] Le soussigné maintiendra cette ordonnance et précisera la date ultime où des travaux devront être exécutés.
DÉCISION
Dommages punitifs et moraux
[33] Dans une étude sur l'article
« De façon générale, le harcèlement suppose une conduite qui, en raison de l'effet dérangeant qu'elle produit avec une certaine continuité dans le temps, est susceptible de créer éventuellement, chez la victime, une pression psychologique suffisante de manière à obtenir le résultat ultimement recherché par l'auteur de cette conduite. Plus spécifiquement, le harcèlement interdit aux termes de l'article 1902 pourrait, à notre avis, être décrit comme suit :
Une conduite se manifestant par des paroles ou des actes et ayant comme conséquence de restreindre, de façon continue, le droit d'un locataire à la jouissance paisible des lieux ou d'obtenir qu'il quitte le logement.
(...)
L'effet de durabilité de la conduite fautive est une composante essentielle dans l'identification du harcèlement. À l'instar du harcèlement sexuel ou discriminatoire spécifique au logement, nous croyons que la continuité dans le temps s'établit soit par la répétition de certains actes, soit par un seul acte grave dans la mesure où il cause un préjudice nocif continu dans le temps. »[14]
L'auteur rajoute :
« Toute conduite ayant pour conséquence de restreindre la jouissance du locataire ne constitue pas nécessairement du harcèlement. La présence de ce contexte global et celle du harcèlement nous paraissent liées. D'une part, sans contexte, la conduite fautive ne constitue probablement pas du harcèlement. Il se peut fort bien que le locateur ait simplement agi dans un cadre où il a mal délimité ses droits et ses obligations. D'autre part, la preuve d'un contexte particulier peut faciliter la reconnaissance du harcèlement lorsqu'il se manifeste subtilement, sporadiquement ou depuis peu de temps ou encore si le locateur est en mesure de justifier raisonnablement ses actes. Il appartient au locataire de prouver le harcèlement et au locateur de justifier sa conduite. »[15]
« Lorsque le comportement du locateur constitue du harcèlement, mais que, par ailleurs, le locataire a lui-même une conduite fautive, nous retrouvons trois tendances. Suivant la personne à l'origine des troubles et selon la gravité du comportement respectif de chacune des parties, le tribunal pourra priver le locataire de son droit d'invoquer le harcèlement à son égard, prendre en compte la conduite du locataire dans la détermination du montant à accorder, ne retenir que la faute du locateur, celui-ci ne pouvant se faire justice lui-même. Il appartient au locataire de prouver le harcèlement et au locateur de justifier sa conduite. »[16]
« Lorsque le locateur a agi dans l'exercice de ses droits, le locataire devra également établir, le cas échéant, le caractère excessif et déraisonnable. »[17]
[34] L'ensemble de la preuve accablante au surplus démontre un harcèlement régulier et constant par le locateur vis-à-vis le locataire lequel multiplie les embûches pour le voir quitter le logement concerné. Le locateur s’est livré à une escalade dans ses manœuvres dans le but évident de l’inciter à quitter les lieux loués. Ces manœuvres ont même eu comme résultat que le locataire a même tenté de se dénicher un logement, mais sans succès.
[35] Ce faisant, le locateur contrevenait ainsi à l'article
« 1902. Le locateur ou toute autre personne ne peut user de harcèlement envers un locataire de manière à restreindre son droit à la jouissance paisible des lieux ou à obtenir qu'il quitte le logement.
Le locataire, s'il est harcelé, peut demander que le locateur ou toute autre personne qui a usé de harcèlement soit condamné à des dommages-intérêts punitifs. »
[36] L'article
« 1621. Lorsque la loi prévoit l'attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.
Ils s'apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l'étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenue envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers. »
[37] Le Tribunal fait siens les propos du juge administratif Jean Bisson, dans la cause Durocher c. Gestion Immobilère Solitec[18] :
« Ces dommages punitifs doivent sanctionner le comportement inacceptable des locateurs qui font fi des droits des locataires et les dissuader de poursuivre dans cette veine. Les locateurs insatisfaits d'une décision contre eux et qui, malicieusement, multiplient les tracasseries dans le but d'inciter les locataires à quitter le logement ne peuvent prétendre agir de bonne foi. Les dommages punitifs doivent viser à prévoir toute récidive et punir le comportement répréhensible. L'attitude des locateurs depuis le mois d'octobre 2001 et de leurs mandataires à l'audience laisse croire qu'une somme trop basse n'atteindra pas le but de tels dommages. »
[38] Le Tribunal fera donc droit à la réclamation de dommages punitifs pour harcèlement dans le but de restreindre le droit à la jouissance du locataire voire à obtenir son départ et accordera ceux-ci à la somme réclamée de 5 000 $.
[39] Le locataire réclame également une somme de 5 000 $ pour troubles et inconvénients résultant du préjudice qu'il a subi.
[40] Ce type de dommages, appelé aussi dommages moraux, vise à compenser le stress, les inquiétudes, la fatigue et les troubles et inconvénients de toutes sortes qu'a pu éprouver la partie lésée. Ce dommage est difficile à évaluer contrairement aux dommages pécuniaires, qui sont plus aisément quantifiables en raison de leur caractère objectif.
[41] Néanmoins, les dommages moraux ne peuvent se présumer et doivent être prouvés selon les règles de prépondérance. En effet, « Le dommage ne se présume jamais; il doit être prouvé selon les règles ordinaires de prépondérance »[19]. S'il s'agit de dommages moraux, « ...la difficulté à chiffrer un préjudice non économique ne doit pas équivaloir à une dispense d'avoir à prouver sa survenance (...) Le simple fait que le préjudice soit moral ne permet pas de se contenter d'une simple affirmation générale. »[20] expliquant qu'on a subi un quelconque préjudice.
[42] Concernant ces dommages, le soussigné veut d'abord rappeler le principe si bien énoncé par le présent Tribunal :
« Sous ce titre, on entend les pertes non pécuniaires subies par les locataires, pour les angoisses, les inconvénients, les problèmes de quelque nature qu'on a pu leur faire subir. L'évaluation de tels dommages demeure un défi important, car, sans nécessairement en laisser le quantum à la discrétion du tribunal, la jurisprudence a établi des balises vastes et larges, pour en arriver finalement à donner comme règle que ces pertes non pécuniaires doivent être équitables et raisonnables. »[21]
[43] Sous ce chef et en tenant compte de ces principes et de la preuve, le montant réclamé de 5 000 $ est considéré raisonnable, car le soussigné peut facilement se convaincre de la détresse morale, d’un stress continu, d’un profond désarroi et d’une perte de jouissance des lieux qu'un tel comportement a inévitablement apporté au locataire pendant les quelques 18 mois qu’ont duré ces agissements fortement répréhensibles du locateur.
Dommages matériels
[44] Pour les sommes réclamées en dommages matériels, le Tribunal n’accordera que celui de la facture de l’achat de la caméra, car pour tous les autres items soit que ceux-ci soient des frais indirects (mise en demeure, frais d’avocat et frais d’aide juridique) ou encore d’une absence de preuve sur la perte de revenus du locataire.
Diminution de loyer
[45] Concernant la demande en diminution de loyer, le Tribunal s’en tiendra à la perte de jouissance perdue à cause de l’inertie du locateur à procéder aux réparations qu’il a par la suite accepté d’entreprendre.
[46] Or, vu l’admission de ces réparations par le locateur, le Tribunal accordera au locataire la somme globale de 350 $ à partir de la date de la mise en demeure jusqu’à la date de l’audience tenue le 24 novembre 2021 et accordera une diminution de 50 $ par mois à partir du 1er décembre 2021 et pour tous les mois suivants, et ce, jusqu’à ce que les réparations promises aient été entièrement exécutées.
[47] En outre, le Tribunal émettra l’ordonnance réclamée par le locataire.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[48] CONDAMNE le locateur à payer au locataire la somme de 10 000 $ à titre de dommages punitifs et moraux, avec les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article
[49] CONDAMNE le locateur à payer au locataire la somme de 350 $, plus les intérêts au taux légal plus l'indemnité prévue à l'article
[50] ORDONNE au locateur de cesser d’intimider et de harceler le locataire et de limiter les échanges au minimum en plus de cesser toute circulation près de la résidence du locataire soit à une distance de 50 mètres de celle-ci sauf celle prévue par un avis d’au moins 48 heures à l’avance de la visite prochaine du locateur ou d’une circulation près de la résidence du locataire, en plus d’indiquer dans cet avis, le but de cette visite ou intrusion près des locataires et des travaux devant y être effectués et le temps requis. Ces travaux devant être faits entre 9H A.M. et 16H P.M. de la même journée;
[51] ORDONNE au locateur d’entreprendre et de terminer les travaux prévus dans les devis présentés pas son entrepreneur, et ce, dans les deux mois des présentes. Ces travaux étant ceux énumérés dans la demande du locataire, notamment la galerie et les marches de celle-ci ainsi que le bain, devenu inutilisable;
[52] DIMINUE le loyer de 50 $ par mois à partir du mois de décembre 2021 jusqu’à ce que les travaux prévus dans les devis soient entièrement terminés;
[53] PERMET au locataire d'opérer compensation pour les sommes qui lui sont dues, à même les loyers futurs.
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Présence(s) : | les locataires Me Laurence Côté-Lebrun, avocat des locataires le locateur | ||
Date de l’audience : | 24 novembre 2021 | ||
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[1] Me Pierre Pratte, « Le harcèlement envers les locataires et l’article 1902 du Code civil du Québec », (1996) 56 R. du B. 3., pages 6, 13.
[2] Me Pierre Pratte, « Le harcèlement envers les locataires et l’article 1902 du Code civil du Québec », (1996) 56 R. du B. 3., p. 7 et ss.
[3] Id. à la page 27.
[4] Id. à la page 28.
[5] Durocher c. Gestion Immobilière Solitec
[6] Éditions Vice-Versa inc. c. Aubry (opinion du juge Beaudoin, dissident)
[7] Ibid.
[8] Obadia c. 3 008 380 Canada inc. 31-940510-040P-940517 et 31-970718-057G, le 11 février 1998.
[9] Me Pierre Pratte, « Le harcèlement envers les locataires et l’article 1902 du Code civil du Québec », (1996) 56 R. du B. 3., pages 6, 13.
[10] Me Pierre Pratte, « Le harcèlement envers les locataires et l’article 1902 du Code civil du Québec », (1996) 56 R. du B. 3., p. 7 et ss.
[11] Id. à la page 27.
[12] Id. à la page 28.
[13] Durocher c. Gestion Immobilière Solitec
[14] Me Pierre Pratte, « Le harcèlement envers les locataires et l'article 1902 du Code civil du Québec », (1996) 56 R. du B.3., pages 6,13.
[15] Me Pierre, Pratte, « Le harcèlement envers les locataires et l'article 1902 du Code civil du Québec », (1996) 56 R.du B. 3, p. 7 et ss.
[16] Id, à la page 27.
[17] Id. à la page 28.
[18] Durocher c. Gestion Immobilière Solitec
[19] Éditions Vice-Versa inc. c. Aubry (opinion du juge Beaudoin, dissident)
[20] ibid.
[21] Obadia c. 3 008 380 Canada inc. 31-940510-040P-940517 et 31-970718-057G, le 11 février 1998.
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