McDermott et Century Mining Corporation |
2010 QCCLP 6564 |
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Dossier 323224-08-0707
[1] Le 19 juillet 2007, monsieur Jean McDermott (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 4 juillet 2007 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 24 mai 2007. Elle donne suite à un avis rendu par un membre du Bureau d’évaluation médicale le 9 mai 2007 et déclare que le diagnostic en relation avec l’événement du 13 juin 2005 est une hernie discale L4-L5 foraminale droite et que cette lésion est consolidée le 24 novembre 2006 sans nécessité de soins après cette date. La CSST déclare que la lésion a entraîné une atteinte permanente à l’intégrité physique et des limitations fonctionnelles. Elle déclare également qu’elle est justifiée de poursuivre le versement des indemnités de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’elle se prononce sur la capacité du travailleur à exercer un emploi.
Dossier 362622-08-0810
[3] Le 28 octobre 2008, le travailleur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la CSST rendue le 20 octobre 2008 à la suite d’une révision administrative.
[4] Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 17 juillet 2008 et déclare que le travailleur a la capacité d’exercer l’emploi convenable de préposé au service à la clientèle à compter du 18 juillet 2008 et que cet emploi pourra lui procurer un revenu annuel de 17 728,57$. La CSST déclare également que le travailleur a droit aux indemnités de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’il occupe l’emploi déterminé ou au plus tard jusqu’au 18 juillet 2009. Après cette date, le travailleur a droit à une indemnité réduite de remplacement du revenu.
[5] Une audience a été convoquée le 11 janvier 2010. Le travailleur était présent et représenté. La CSST était représentée. À cette date, le représentant du travailleur a soulevé un moyen de droit soit que l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale était irrégulier. L’audience a été ajournée au 4 mars 2010 afin de permettre aux parties de présenter une preuve complète et une argumentation concernant le moyen soulevé par le représentant du travailleur.
[6] L’audience a donc eu lieu le 4 mars 2010. Le travailleur était présent et représenté. L’employeur était absent. La représentante de la CSST a avisé le tribunal de son absence à l’audience.
[7] Le dossier a été mis en délibéré le 4 mars 2010.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[8] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer irrégulière la procédure ayant conduit à l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale du 9 mai 2007. Il demande donc de déclarer nulles les décisions rendues par la CSST le 4 juillet 2007 et le 20 octobre 2008 à la suite d’une révision administrative.
L’AVIS DES MEMBRES
[9] Conformément aux dispositions de l’article 429.50 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), le soussigné a obtenu l’avis des membres qui ont siégé auprès de lui sur la question faisant l’objet de la présente contestation.
[10] Le membre issu des associations d’employeurs de même que le membre issu des associations syndicales sont d’avis d’accueillir le moyen de droit soulevé par le travailleur. La CSST a contrevenu aux obligations prévues soit de transmettre le rapport du médecin désigné par la CSST au médecin qui a charge du travailleur et de lui accorder 30 jours afin qu’il puisse étayer ses conclusions. Dans le présent dossier, la preuve ne permet pas de conclure avec certitude que le médecin qui a charge du travailleur a bien reçu le rapport du médecin désigné par la CSST et la procédure d’évaluation médicale a été enclenchée par la CSST avant l’expiration du délai de 30 jours prévu à l’article 205.1 de la loi. Dans les circonstances, l’avis du Bureau d’évaluation médicale du 9 mai 2007 doit être déclaré irrégulier.
[11] Les membres sont d’avis d’annuler les décisions rendues par la CSST le 4 juillet 2007 et le 20 octobre 2008. Dans le premier cas, la décision est nulle parce que l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale est irrégulier. Dans le second, la décision est prématurée puisque la CSST ignore les atteintes permanentes et les limitations fonctionnelles qui résultent de la lésion professionnelle du 13 juin 2005 et qu’elle ne pouvait donc se prononcer sur la capacité du travailleur à exercer un emploi.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[12] Le tribunal doit d’abord décider de la légalité de l’avis rendu par un membre du Bureau d’évaluation médicale le 9 mai 2007.
[13] Les faits relatifs à cette question sont les suivants :
[14] Le travailleur est mécanicien pour l’employeur.
[15] Le 13 juin 2005, le travailleur subit un accident du travail alors qu’il ressent une vive douleur au dos en manipulant une « Z-Way » valve;
[16] Le même jour, le travailleur consulte le docteur Bélassi qui diagnostique une entorse lombaire.
[17] Le 17 août 2005, le docteur Nicloux retient un diagnostic d’entorse lombaire avec sciatalgie droite.
[18] Le 18 octobre 2005, le travailleur rencontre le docteur Jacques Desnoyers, médecin désigné de la CSST. Dans son rapport d’expertise, il conclut à un diagnostic d’hernie discale foraminale L4-L5 droite et que cette lésion n’est pas consolidée. Il suggère des traitements et il est d’avis qu’il est trop tôt pour se prononcer sur l’existence d’une atteinte permanente à l’intégrité physique.
[19] Le 8 février 2006, le travailleur consulte le docteur Nicloux qui diagnostique une hernie foraminale L4. Il s’agit du dernier rapport médical produit par le docteur Nicloux dans le présent dossier.
[20] À partir du 9 mars 2006, le travailleur consulte le docteur Nguyen dans le cadre du suivi médical concernant son rachis lombaire. Ce sont d’ailleurs les rapports du docteur Nguyen qu’on retrouve au dossier à partir de cette date. En date du 5 mars 2007, le docteur Nguyen diagnostique une lombalgie chronique et il ne consolide pas la lésion.
[21] Le 8 mars 2007, le travailleur rencontre le docteur Louis Bellemare, médecin désigné de la CSST. Dans son rapport d’expertise daté du 21 mars 2007, il conclut à un diagnostic d’hernie discale L4-L5, consolidée le 24 novembre 2006 et à la suffisance des traitements à cette date. Il conclut également que la lésion a entraîné une atteinte permanente à l’intégrité physique de 10 % et des limitations fonctionnelles. Le rapport du docteur Bellemare a été reçu à la CSST le 27 mars 2007 selon le sceau appliqué sur le document.
[22] Selon une correspondance de l’agent d’indemnisation de la CSST adressée au travailleur et datée du 13 avril 2007, une copie de l’expertise du docteur Bellemare est transmise aux docteurs Nicloux et Nguyen. Cette correspondance ne fait état d’aucune demande de rapport complémentaire.
[23] Suite à l’obtention du rapport du docteur Bellemare, la CSST complète une demande au Bureau d’évaluation médicale sur le formulaire d’usage le 18 avril 2007. Le formulaire indique le nom du docteur Nicloux à titre de médecin qui a charge du travailleur mais il ne fait état d’aucune de ses conclusions.
[24] Le 9 mai 2007, le docteur Jean-Marie Bouchard, membre du Bureau d’évaluation médicale, rend son avis dans lequel il conclut à un diagnostic d’hernie discale foraminale droite consolidée le 24 novembre 2006 sans traitement additionnel pour cette condition à partir de cette date. Il conclut à l’existence d’une atteinte permanente à l’intégrité physique de 9 % et à des limitations fonctionnelles.
[25] Dans le présent dossier, la CSST s’est prévalue de son droit que lui confère l’article 204 de la loi :
204. La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qu'il se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'elle désigne, pour obtenir un rapport écrit de celui-ci sur toute question relative à la lésion. Le travailleur doit se soumettre à cet examen.
La Commission assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle détermine en vertu de l'article 115 .
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1985, c. 6, a. 204; 1992, c. 11, a. 13.
[26] La loi prévoit que lorsque la CSST a obtenu le rapport du médecin qu’elle a désigné en vertu de l’article 204 de la loi, elle doit permettre au médecin qui a charge du travailleur de fournir un rapport complémentaire dans lequel il peut présenter ses conclusions ou encore accepter les conclusions du médecin désigné par la CSST. L’article 205.1 de la loi traite de la procédure à suivre :
205.1. Si le rapport du professionnel de la santé désigné aux fins de l'application de l'article 204 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.
La Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216 .
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1997, c. 27, a. 3.
[27] Selon la preuve au dossier, la CSST aurait transmis aux docteurs Nguyen et Nicloux le rapport du docteur Bellemare. Le tribunal s’en remet à la correspondance adressée au travailleur en date du 13 avril 2007 ainsi qu’aux notes évolutives au dossier datées du 12 avril 2007. Le tribunal ignore si ces deux médecins ont bien reçu le rapport du docteur Bellemare et si la CSST a sollicité ces médecins pour obtenir leur opinion sur ce rapport. Aucune correspondance à cet effet est présente au dossier ni le formulaire prescrit par la CSST pour la confection d’un rapport complémentaire.
[28] Toutefois, même dans l’éventualité où les médecins Nicloux et Nguyen auraient reçu le rapport du docteur Bellemare et que la CSST aurait sollicité leur opinion, la preuve démontre que la CSST n’a pas respecté la procédure d’évaluation médicale prévue par la loi. L’article 205.1 est une étape préalable à la demande d’avis à un membre du Bureau d’évaluation médicale. Cette étape exige que le rapport du médecin désigné par la CSST soit transmis au médecin qui a charge du travailleur et que ce dernier peut, dans les 30 jours suivant la date de réception de ce rapport, produire un rapport complémentaire pour présenter ses conclusions ou accepter les conclusions du médecin désigné par la CSST.
[29] Dans le présent dossier, la CSST a adressé une demande d’avis au Bureau d’évaluation médicale le 18 avril 2007, soit seulement 5 jours après avoir transmis copie du rapport Bellemare aux docteurs Nicloux et Nguyen. Or, la loi prévoit spécifiquement que le médecin qui a charge du travailleur dispose de 30 jours de la date de réception du rapport du médecin désigné par la CSST pour fournir à la CSST un rapport complémentaire afin d’étayer ses conclusions.
[30] Au surplus, dans le présent dossier, le travailleur a rencontré le membre du Bureau d’évaluation médicale le 2 mai 2007 et son avis a été produit le 9 mai 2007 soit avant l’expiration du délai de 30 jours prévu à l’article 205.1 de la loi.
[31] Le tribunal est d’avis que l’article 205.1 consacre l’importance qu’accorde le législateur à l’opinion du médecin qui a charge du travailleur.
[32] La Commission des lésions professionnelles s’est prononcée à plusieurs reprises sur le moyen soumis par le travailleur[2]. Le tribunal fait sienne la décision rendue par le juge administratif Clément dans l’affaire Rona l’Entrepôt et Ducharme[3], il y a lieu de citer les passages suivants :
« Or, en même temps, la CSST a décidé d’enclencher le processus auprès du Bureau d'évaluation médicale probablement pour des motifs louables comme la réduction du délai de traitement du dossier. Cependant, en agissant ainsi elle contrevenait aux termes mêmes de l’article 205.1 qui est clair à l’effet que le médecin du travailleur a droit à 30 jours pour répondre au rapport du médecin de la CSST, la CSST devant par la suite soumettre ce rapport, en compagnie des autres, au Bureau d'évaluation médicale. C’est donc dire que le Bureau d'évaluation médicale ne peut être saisi du dossier tant que le médecin qui a charge n’a pas fourni son rapport, n’a pas indiqué qu’il n’avait pas l’intention d’en produire ou encore n’a pas fait défaut de le produire dans le délai requis.
En conséquence, la référence au Bureau d'évaluation médicale était prématurée et contrevenait aux termes de l’article 205.1 par lequel le législateur a clairement mentionné son intention de donner ni plus ni moins qu’un droit de réplique au médecin qui a charge avant que le dossier ne soit transmis au Bureau d'évaluation médicale. En agissant prématurément, la CSST n’a pas respecté l’intention du législateur et a transmis le dossier au Bureau d'évaluation médicale sans que le membre désigné ne bénéficie d’un dossier complet. »
[33] Le Bureau d’évaluation médicale existe pour trancher les litiges sur les questions médicales. S’il n’y a pas de contradictions entre le médecin traitant et le médecin désigné par la CSST en vertu de l’article 204 de la loi, il n’y a pas lieu de transmettre le dossier au Bureau d’évaluation médicale. Toujours faut-il que le médecin qui a charge du travailleur ait l’occasion d’étayer ses conclusions dans le délai de 30 jours prévu à la loi. S’il ne fournit pas son rapport ou s’il indique qu’il n’a pas l’intention de le produire, la CSST pourra s’adresser au Bureau d’évaluation médicale après l’expiration du délai de 30 jours prévu à l’article 205.1 de la loi.
[34] L’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale du 9 mai 2007 doit donc être annulé puisqu’il est irrégulier.
[35] Puisque les conclusions médicales, notamment en ce qui concerne l’atteinte permanente à l’intégrité physique et les limitations fonctionnelles, sont déterminantes quant à l’appréciation de la capacité du travailleur d’exercer son emploi, un emploi équivalent ou un emploi convenable, il y a lieu de conclure que la décision rendue par la CSST le 20 octobre 2008 à la suite d’une révision administrative est prématurée.
[36] Dans les circonstances, les requêtes du travailleur sont accueillies.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Dossier 323224-08-0707
ACCUEILLE la requête de monsieur Jean McDermott, le travailleur ;
DÉCLARE que l’avis rendu par le membre du Bureau d’évaluation médicale, le 9 mai 2007, est irrégulier ;
ANNULE la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 4 juillet 2007 à la suite d’une révision administrative.
Dossier 362622-08-0810
ACCUEILLE la requête de monsieur Jean McDermott, le travailleur ;
DÉCLARE qu’il était prématuré pour la CSST de se prononcer sur la capacité du travailleur à exercer un emploi convenable ;
ANNULE la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 20 octobre 2008 à la suite d’une révision administrative.
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Paul Champagne |
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Me Michel Rolland |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Marie-Claude Jutras |
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Vigneault, Thibodeau, Giard |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Lévesque et les Toitures P.L.C. inc., C.L.P. 160953-01A-0103, 11 février 2003, D. Sams; Laverdière et Hôpital de Montréal pour enfants, C.L.P. 184501-72-0205, 21 novembre 2003, F. Juteau; Rona l’entrepôt et Ducharme, C.L.P. 224383-04-0401, 28 septembre 2004, J.-F. Clément; Mérida-Vargas et Services Entretien Distinction inc., 224090-71-0401, 30 mai 2005, Edwin Umanzor-Flores et DHL International Express ltd, C.L.P. , 256068-72-0502, 25 août 2005, J.-Dadid Kushner; L. Turcotte; Potvin et Avantec Métal inc., 257468-64-0502, 6 juin 2008, G. Robichaud; Roy et Action-Démolition HL inc., 323712-62A-0707, 2 juin 2009, S. Arcand; Lazarevic et Brasserie Daniel Lapointe II, 355093-05-0808, 16 novembre 2009, F. Ranger.
[3] Précitée note 1.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.