Yong c. Levac-Chenel | 2023 QCTAL 6497 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Montréal | ||||||
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Nos dossiers : | 605325 31 20220106 G 649698 31 20220829 G | Nos demandes : | 3430192 3645217 | |||
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Date : | 02 mars 2023 | |||||
Devant la juge administrative : | Camille Champeval | |||||
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Giao Yong
Haiying Chen |
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Locateurs - Partie demanderesse (605325 31 20220106 G) Partie défenderesse (649698 31 20220829 G) | ||||||
c. | ||||||
Marie-Claude Levac-Chenel |
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Locataire - Partie défenderesse (605325 31 20220106 G) Partie demanderesse (649698 31 20220829 G) | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Le 6 janvier 2022, le locateur réclame la résiliation du bail au motif que la locataire est en retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer et qu’elle le paye fréquemment en retard. Il requiert le recouvrement de 3 400 $, ainsi que les loyers dus lors de l’audience. Le tout avec exécution provisoire malgré l’appel et paiement des frais judiciaires.
[2] Le 29 août 2022, la locataire requiert l’exécution de certains travaux, des dommages moraux de 5 000 $, une diminution de loyer de 40 % à compter du 1er août 2019 et des dommages matériels de 4 340 $. Elle requiert également une ordonnance enjoignant le locateur à changer son adresse postale. Le tout avec intérêts, indemnité additionnelle et paiement des frais judiciaires.
[3] Considérant la connexité entre ces deux demandes, celles-ci ont été réunies afin de favoriser la tenue d’un processus efficace et permettre aux parties d'être entendues et jugées sur la même preuve, conformément à l'article 57 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[1].
Remarques préliminaires
[4] La consultation du bail permet de constater que Giao Young, l’épouse du locateur, y est désignée comme locatrice.
[5] Il est convenu à l’audience de corriger les procédures séance tenante afin de l’y ajouter comme partie demanderesse au recours du locateur et comme partie défenderesse à celui de la locataire.
Le contexte
[6] Les parties sont liées par un bail reconduit, du 1er juillet 2022 au 30 juin 2023 pour un loyer mensuel de 630 $.
[7] Les baux présentés par les parties comportent des différences.
[8] Une mention apparaît sur le bail transmis par la locataire, à l’effet que les locateurs ont reçu 1 260 $, soit le loyer du mois de juillet 2019 et l’équivalent d’un dépôt. Il y est mentionné que le premier loyer à être payé sera celui du mois d’août 2019.
[9] Le bail des locateurs ne comporte aucune de ces mentions. Il y est écrit que le premier loyer à être payé sera celui du mois de juillet 2019.
[10] Les deux baux ont été signés le 14 juin 2019.
[11] Les locateurs admettent avoir reçu la somme de 1 260 $ à la signature du bail.
LA DEMANDE DES LOCATEURS
La preuve
[12] Les locateurs affirment que la locataire leur doit toujours 3 400 $ en date de la première audience, le 2 novembre 2022.
[13] Ils admettent que la locataire paye son loyer tous les mois depuis février 2022 et qu’aucun solde n’a été accumulé depuis.
[14] La locataire nie devoir quelconque somme aux locateurs.
[15] Elle énonce que le logement était en piteux état à son arrivée et n’avoir pu y résider entre les mois d’avril 2021 et novembre 2021 en raison de plusieurs problématiques. Elle a, malgré cela, continué de payer son loyer, dit-elle, admettant toutefois avoir parfois manqué des paiements en raison de difficultés personnelles.
[16] Elle concède avoir retenu le paiement de 2 000 $, vu l’inaction des locateurs devant la multiplication des problèmes chez elle. Il s’agissait pour elle de la seule façon d’exercer une pression sur ces derniers, explique-t-elle.
[17] La locataire affirme avoir convenu d’une entente « finale » avec le locateur, le 6 novembre 2021. À cette date, ce dernier est chez elle, et ils se trouvent dans sa cuisine en compagnie de son conjoint, Yves Quinton (« Quinton »)[2], précise-t-elle.
[18] L’objectif de cette rencontre était de présenter au locateur les nombreuses problématiques du logement. Ce dernier réside au Vermont et ne se présente pour ainsi dire jamais à l’immeuble, précise la locataire.
[19] C’est à force de discussions que les parties conviennent d’une entente, poursuit-elle.
[20] Elle témoigne que le locateur a accepté de recevoir un virement bancaire de 2 000 $, réduisant d’autant une créance de loyers impayés de 3 400 $. Il a également consenti à imputer le dépôt laissé à la signature du bail sur le loyer de janvier 2022 et de renoncer à réclamer le solde de la créance pour compenser la locataire des inconvénients découlant de l’état du logement. Il s’engageait enfin à y exécuter les travaux requis.
[21] La locataire produit la preuve d’un virement Interac effectué le 6 novembre 2021. La somme de 2 000 $ a été virée au locateur.
[22] Pour ces motifs, elle estime ne plus rien devoir au locateur.
[23] Quinton est très impliqué dans la situation de la locataire. Il a communiqué avec le locateur par téléphone et par courriel à de nombreuses reprises, principalement parce qu’il parle et comprend l’anglais, ce qui facilite les échanges.
[24] Les courriels sont aussi souvent envoyés à la fille des locateurs, laquelle s’exprime en français.
[25] Il était présent lors de la rencontre avec le locateur le 6 novembre 2021. Il témoigne que la locataire a viré la somme de 2 000 $ au locateur en échange de son engagement à faire des travaux.
[26] Quinton témoigne de plus avoir remis la somme de 600 $ en argent comptant au locateur en paiement du loyer du mois de décembre 2021.
[27] Le locateur nie cette allégation. Jamais Quinton ne lui a remis la somme de 600 $.
[28] Il nie de plus avoir convenu d’une entente avec la locataire. Cette dernière lui devait 4 765 $, affirme-t-il, rappelant qu’elle n’avait pas payé son loyer pendant 6 mois.
[29] Selon le locateur, tant la locataire que Quinton ont menti lors de leur témoignage.
Première question en litige : quels sont les montants des loyers dus aux locateurs, s’il en est?
[30] L’analyse comparative de l’état de compte fourni par les locateurs et des nombreux courriels échangés entre les parties permet de constater l’existence de disparités importantes entre ce qui est réclamé et ce qui a été payé.
[31] Ainsi, l’état de compte mentionne que le dépôt de 630 $ donné par la locataire à la signature du bail a été appliqué au loyer du mois d’octobre 2020, alors que la locataire écrit au locateur les 20 et 21 avril 2021, pour lui demander d’encaisser le loyer laissé en dépôt à la signature du bail.
[32] Le locateur répond le 23 avril 2021 : il accepte d’encaisser le dépôt du loyer en paiement du loyer de décembre 2020, ce à quoi la locataire réplique que le loyer de décembre avait déjà été payé et que la somme laissée en dépôt doit plutôt être imputée au loyer de janvier 2021. Elle conclut ne devoir que février, mars et avril.
[33] Le locateur répond : « Ok, le total est trois loyers manquants que vous devez payer ».
[34] Pourtant, la locataire a payé un loyer le 16 mars 2021, de ce qui appert de l’état de compte.
[35] De plus, un paiement de 630 $ a été fait pour le mois de décembre 2021, toujours de ce qui appert de ce document.
[36] Le Tribunal conclut que la locataire a payé 5 420 $ entre le 1er janvier et le 1er décembre 2021, alors que le locateur aurait été en droit de percevoir 7 560 $.
[37] Le loyer de janvier 2022, de plus, n’a pas été payé.
[38] Il existe donc un solde dû de 2 770 $[3].
Seconde question en litige : les parties ont-elles convenu d’une entente quant aux loyers dus?
[39] La preuve est insuffisante pour conclure à l’existence d’une entente entre les parties, laquelle aurait réduit la dette de la locataire à néant.
[40] La position du locateur, à savoir qu’il n’a jamais renoncé à recevoir les loyers dus est par ailleurs renforcée par deux messages envoyés les 12 et 19 novembre 2021, dans lesquels il écrit toujours attendre le paiement du reste des sommes. Ces messages sont restés sans réponse, ce qui a de quoi étonner, considérant la position de la locataire à ce jour. Elle n’a pas cherché à rectifier la position qui y est exprimée par le locateur.
[41] De plus, il appert clairement des nombreux échanges de courriels que le dépôt de 630 $ donné à la signature du bail a été appliqué au loyer de janvier 2021 et non janvier 2022, comme en témoigne la locataire. Elle ne peut donc avoir convenu de cet élément avec le locateur.
Totalité des loyers dus au moment de l’audience.
[42] Vu ce qui précède, force est de conclure que la locataire doit au locateur la somme de 2 770 $.
[43] La locataire est en retard de plus de trois semaines, aussi ce motif de résiliation de bail est justifié, sous réserve des conclusions tirées de l’analyse de la demande de la locataire.
Troisième question en litige : la locataire a-t-elle payé son loyer fréquemment en retard?
[44] Les locateurs allèguent que la locataire paye son loyer fréquemment en retard.
[45] État de compte à l’appui, et tel que vu plus haut, ils énoncent qu’elle n’a pas payé le loyer pour les mois de juin à novembre 2021. Elle a payé son loyer le 2 décembre 2021, n’a pas payé le loyer de janvier 2022. La locataire a payé le loyer le 2 février 2022, le 5 mai 2022 et le 5 octobre 2022, les autres paiements ayant été effectués le 1er du mois.
[46] Il appert cependant d’un courriel daté du 27 février 2021 que le locateur a autorisé la locataire à payer son loyer avant le 5 de chaque mois, ce qu’il a d’ailleurs omis de souligner lors de son témoignage.
[47] Ainsi, en considérant qu’elle avait jusqu’au 5 pour payer son loyer, la locataire a l’a payé en retard à 7 reprises au cours des 18 derniers mois, le dernier retard remontant à janvier 2022.
[48] Ces retards ne rencontrent pas les critères exigés par l’article
[49] Le Tribunal rappelle toutefois à la locataire son obligation de payer son loyer à temps, à l’intérieur des délais établis par le locateur.
LA DEMANDE DE LA LOCATAIRE
État du logement en date de la première audience, le 2 novembre 2022
[50] Dans un courriel du 20 avril 2021, la locataire décrit les problématiques vécues dans le logement :
« Je sais qu’il es pour le dernier mois que je quitterais mais personne n’a prévu le covid, je n’ai pas prévu me ramasser pue de revenu et sérieusement l’appartement a besoin de beaucoup d’amour se qui fais que je ne peux jamais jouir pleinement de mon appartement.
L’eau froide du bain coule toujours et la toilette est fini… j’en ai parler au plombier et je n’ai jamais eu de retour donc impossible de prendre un bain et la toilette coule et es difficile à flusher. Cette hiver, le chauffage a coûté une fortune, car les fenêtres sont tous finis j’ai du mettre du zip partout mais sa na pas suffit… j’ai parler aussi de tuyaux de laveuse qui coule toujours au plombier, je n’ai pas eu de retour non plus.
(…)
Et pour finir… et je crois que c’est le pire…
Puisse que le tuyau de laveuse coule j’avais mis une serviette afin de continuer à faire mon lavage… dimanche, j’ai décidé de changer la serviette et elle était pleine de crotte de souris ou de rat, je ne suis pas experte mais je sais que c’est des crottes de rongeurs… »
(sic)
[51] La locataire écrit de nouveau aux locateurs le 21 avril 2021 :
« Serais il possible qu’on puisse s’entendre à un arrangement?
Que vous preniez mon dépôt et je crois qu’avec tous les problèmes de plomberie, les souris et le cout du chauffage extrêmement cher, car je payais même pas sa pour mon 5 1/2 je puisse avoir droit à une réduction? Je crois qu’on a tous pas envie d’aller à la régie, je sais que je vous en doit mais je sais aussi que j’ai des droits donc jouir pleinement de mon appartement se qui n’est visiblement jamais le cas…
Mon copain reviens d’ici quelques jours alors je pourrais lui demande de vous appeler et d’entendre? »
(sic)
[52] Le locateur répond le 23 avril 2021. Il écrit ignorer que l’appartement composait avec diverses problématiques et rappelle à la locataire de communiquer avec lui pour les lui dénoncer, le cas échéant. Il écrit de plus :
« Nous pensons que votre loyer est déjà très raisonnable. Nous ne pouvons pas réduire votre loyer additionnellement.
(…) Nous allons trouver quelqu’un pour régler tous les problèmes tant que possible. (…) Nous pourrons retourner à Montréal bientôt et régler tous les problèmes en personne. »
[53] La lecture des courriels laisse deviner l’exaspération croissante de la locataire face à l’état général du logement et à l’inaction des locateurs.
[54] Elle leur écrit par exemple, le 17 août 2021 :
« Oui, nous pouvons payé. Et très aisément. Mais vous vous prenez pour qui vous? …. Nous voulons discuter en personne. Cessez de vous cacher derrière des textes et des courriels. Venez constater l’état des lieux et discuter du futur de cette dites appartement. Vous savez très bien qu’il y a des réparations à faire. » (sic)
[55] Et plus tard ce même jour :
« Mon conjoint va vous téléphonez ce soir a 19h. Sans fautes. Pour prendre un rdz-vous avec vous à l’appartement. Ce cirque a assez duré. »
(sic)
[56] Le 28 septembre 2021, Quinton écrit à la fille du locateur :
« Dites à votre mère que comme convenu avec elle et votre père en personne au début du mois de septembre 2021, ici à l’appartement, pour le 1er octobre 2021. Je suis présentement en possession de 4 500 $ en cash.
(…)
(Votre mère) doit prendre un rendez-vous avec ou ou Marie et venir ici l’appartement en personne avec un plombier, ou vous-même pouvez le faire puisque vous vous impliquez vous-même dans les échanges et que nous considérons que vous êtes qualifiable pour donner les instructions pour les réparations à faire au plombier.’
(…)
Dites à votre mère que nous avons respecté notre entente. (when she looked at me right in my eyes and asked putting her hands up and tight together, sir you promise?)
I told her… I promise.
Now it’s time for her to make your father do his part of the deal.
And the deal was 3 months in exchange of some fixes. And then we continue. But we have the full amount.
So… what up now? The ball is on your side. » (sic)
[57] Le 30 septembre 2021, le locateur écrit à la locataire :
« Marie, envoyez-nous les loyers pour trois mois le 1er octobre par transfert électronique. Nous avons déjà trouvé un plombier avec un permis et il va vous contacter la semaine prochaine. (…) »
[58] Le 4 octobre 2021, Quinton écrit aux locateurs;
« Parfait, dites-lui de nous téléphoner au (…) pour les rendez-vous. Soyez avisé que nous avons votre argent en totalité. Nous n’étirons pas le temps.
Nous vous transférerons les 3 mois promis, soit; 1 890 $ le jour des réparations. (au minimum les robinets de douche et la toilette). Si les réparations sont tous effectuées le même jour, alors il nous fera plaisir de vous transférer la totalité due. » (sic)
[59] La locataire exprime devoir composer au quotidien avec des problématiques d’importance, lesquelles troublent sa pleine jouissance du logement, et ce, depuis son arrivée sur les lieux.
[60] Ainsi, poursuit-elle, à son arrivée, le lavabo ne possédait pas de tuyauterie, la baignoire était constamment bouchée et il était impossible de chasser l’eau de la toilette. Elle s’est d’abord adressée à la concierge de l’immeuble. Quinton a lui-même effectué plusieurs travaux correctifs, perdant ainsi une journée d’emploi.
[61] La locataire concède ne pas avoir mis les locateurs en demeure d’agir, mais elle a régulièrement communiqué avec eux, précise-t-elle.
[62] Ils étaient pleinement informés des problèmes dans la salle de bain et d’ailleurs, le locateur lui a même conseillé des méthodes pour déboucher la baignoire lors de la signature du bail, affirme-t-elle.
[63] Avec l’aval du locateur, elle a régulièrement déduit du loyer le coût des produits achetés pour déboucher les drains.
[64] Un plombier s’est présenté trois fois au logement. Il a remplacé une valve d’eau froide à une occasion.
[65] Cette valve n’a cependant pas tenu et à compter d’avril 2021, un débit important d’eau froide a commencé à s’écouler de la baignoire. Jour et nuit, dit la locataire. Elle n’en pouvait plus de ce bruit constant, qu’elle compare à une torture quotidienne.
[66] C’est le motif pour lequel elle a décidé de s’installer dans une roulotte vers la fin du mois de juin 2021, et ce, pour la période estivale. Elle a été dans l’obligation de payer pour la location de cette roulotte, de même que pour prendre ses douches.
[67] Elle concède ne pas avoir avisé le locateur de son déménagement temporaire ni des frais engagés dans le cadre de cette installation. La locataire affirme toutefois avoir avisé le locateur de la problématique. Celui-ci lui a refusé de s’en occuper aussi longtemps que le loyer demeurerait impayé.
[68] La locataire admet avoir retenu le paiement du loyer de manière à exercer de la pression sur le locateur.
[69] Elle réclame 2 000 $ en dommages matériels pour la rembourser de la location de la roulotte. Elle demande également d’être remboursée des frais de déplacement entre Montréal et Saint‑Hyacinthe, où se trouvait la roulotte (300 $), des coûts de la nourriture (300 $) et des frais engagés pour prendre sa douche (140 $).
[70] La valve d’eau froide a été réparée en novembre 2021.
[71] En date de la première date d’audience, le 2 novembre 2022, la locataire décrit ainsi les interventions requises dans le logement :
- Refaire la salle de bain et déboucher les drains par un véritable plombier;
- Décontaminer le logement de la présence de moisissures;
- Réparer la porte principale de l’immeuble, laquelle ne se verrouille pas;
- Réparer sa boîte postale. Son état est tel qu’elle ne reçoit pas toujours son courrier;
- Remplacer les murs pourris du logement, particulièrement derrière la laveuse;
- Exterminer la présence de souris;
- Réparer le radiateur de la cuisine, lequel ne chauffe pas;
- Réparer les fenêtres et la porte arrière lesquelles laissent passer le froid;
- Refermer une trappe dans l’un de ses murs, par laquelle la salle de bain de l’occupante du logement inférieur est clairement visible.
[72] Pour corroborer son témoignage, la locataire présente de nombreuses photographies du logement, sur lesquelles l’on observe ce qui suit.
[73] La porte d’entrée de l’unité est endommagée et comporte de grandes traces de plâtre. La locataire l’a réparée à ses frais à l’hiver 2022, après avoir constaté qu’elle avait été forcée. La fenêtre de la chambre de la locataire ne se ferme pas complètement. La serrure de la boîte aux lettres a été forcée.
[74] La salle de bain du logement inférieur est visible depuis une trappe dans l’un des murs. Un rideau de douche a été suspendu au plafond de l’unité pour éviter que la locataire ne puisse voir sa voisine dans la pièce.
[75] Sur l’un des clichés, la baignoire de la locataire est remplie d’eau noire. Sur d’autres, les joints de céramique sont noirs. La baignoire comporte de grandes traces brunes. Des taches noires sont visibles au plafond de la salle de bain. Le cadre intérieur des fenêtres est noirci. Un carreau de céramique est soulevé et laisse apparaître un plancher manifestement pourri.
[76] La locataire débouche ses drains de manière hebdomadaire, à l’aide de produits spécialisés, ce qui lui en coûte environ 12 $ par semaine. Elle rappelle disposer de moyens financiers limités. Elle demande de condamner le locateur à la somme de 1 600 $ pour la rembourser des dépenses faites à ce chapitre.
État du logement en date de la seconde audience, le 10 février 2023
[77] La locataire indique que malgré l’engagement du locateur à dépêcher un plombier au logement après la première audience, personne ne s’est présenté. Un rendez-vous avait été fixé le 16 décembre 2022, mais annulé en raison d’une tempête de neige. Elle n’a eu aucune nouvelle du locateur depuis.
[78] Tant la locataire que Quinton témoignent que le locateur ne s’est pas déplacé au logement depuis la dernière audience. Rien n’a été fait, disent-ils. Ils ont acheté des charnières pour les portes de placards de la cuisine et ont eux-mêmes posé les portes.
[79] Le logement comporte donc toujours les problématiques décrites quelques mois plus tôt, donc certaines se sont aggravées.
[80] L’eau chaude coule du robinet de la baignoire dès que la douche est activée, de telle sorte que les réserves d’eau chaude s’épuisent rapidement, dit la locataire. De plus, la baignoire se remplit, car le drain est de nouveau bouché.
[81] La cuvette des toilettes est inclinée. Les carreaux au sol sont pourris. Elle présente un vidéo de la pièce filmé le matin même de l’audience. L’on y voit quelqu’un détacher un carreau de céramique du sol simplement en le soulevant.
[82] Des taches persistent à apparaître au plafond de la cuisine bien que plusieurs couches de peinture y aient été apposées en décembre 2022.
[83] La locataire s’est résignée à réparer elle-même sa boîte aux lettres, après ne pas avoir reçu son courrier pendant une semaine, suivant le refus de Poste Canada de lui en faire la livraison.
[84] Elle présente par ailleurs un rapport d’inspection de la ville de Montréal, lequel comporte de nombreuses photographies de l’immeuble et des logements.
[85] L’immeuble y apparaît comme étant négligé. Les balcons sont en piètre état. Le système de verrouillage de la porte principale est manifestement défectueux. Les marches de l’escalier commun sont grandement endommagées. Le plafond de la salle de bain du logement inférieur à celui de la locataire est complètement ouvert, laissant apparaître sa structure. Du ruban adhésif entoure un tuyau sous un évier. Un logement situé au sous-sol est vacant. Le plafond de la salle de bain de cette unité est complètement défoncé. De la poussière et des débris recouvrent le sol. Selon la locataire, cette unité est inhabitée depuis environ 2 ans.
[86] Le 19 août 2022, l’inspectrice de la ville expédie une missive au locateur. Ce dernier assure ne l’avoir reçue qu’à la fin du mois de septembre 2022. Elle y écrit avoir inspecté l’immeuble le même jour et constaté qu’il n’est pas conforme aux exigences du Règlement sur la salubrité, l’entretien et la sécurité des logements. Une liste de travaux est jointe à la lettre.
[87] Concernant le logement habité par la locataire, l’inspectrice requiert l’exécution des interventions suivantes :
« Réparer et/ou ajuster la fenêtre non étanche; Installer les portes d’armoire et tiroirs manquants dans la cuisine; corriger le problème de moisissures du logement à la source; refaire le joint d’étanchéité de la baignoire et réparer le mur au besoin; nettoyer la baignoire; débloquer le renvoi de la baignoire; réparer ou remplacer le robinet de la baignoire. »
[88] Tout comme Quinton, la locataire déplore les interventions minimales des locateurs, et, quand ils agissent, la piètre qualité de ces interventions.
[89] Quinton témoigne par ailleurs avoir dénoncé les nombreuses problématiques du logement au locateur lors de leurs communications, de même qu’à la fin 2021, lorsqu’ils se sont rencontrés au logement. Le locateur se limite à proposer de faire des évaluations sans poser d’action, lance Quinton.
[90] Le manque de considération des locateurs envers la locataire se traduit aussi par leur négligence à changer leur adresse postale, déplore cette dernière, dont le témoignage est corroboré par Quinton. Elle continue de recevoir de nombreuses lettres à l’attention des locateurs.
La position des locateurs
[91] Le locateur soulève le défaut de la locataire de l’avoir informé de la teneur des travaux à être effectués dans le logement. Elle ne lui a pas dénoncé les problématiques, aussi comment peut-il en être tenu responsable, s’exclame-t-il à plusieurs reprises, réitérant avoir été difficile sinon impossible d’entrer en contact avec la locataire ou Quinton.
[92] Il nie avoir reçu des appels de Quinton après 2020.
[93] Il témoigne avoir habité le logement avec sa famille avant l’arrivée de la locataire. Les lieux étaient propres et bien entretenus, aussi l’état déplorable de l’unité ne peut que découler de la négligence de la locataire, selon lui.
[94] Ainsi, les traces apparaissant au plafond de la cuisine ne s’apparentent pas à des moisissures, mais sont plutôt causées par de la graisse, dit-il. La locataire ne nettoie pas la salle de bain, ce qui explique l’état de la pièce, poursuit-il.
[95] Il témoigne avoir exécuté trois interventions au logement, entre 2019 et 2021. Il admet le bris d’un tuyau de plomberie en 2020, et concède que la locataire ait pu en subir des inconvénients pendant deux semaines. Mais il a corrigé le problème, insiste-il.
[96] Il a reçu la liste des travaux demandés par la locataire en 2021. Son plombier a travaillé pendant 7 heures, dit-il, et malgré cela, le loyer n’a pas été payé.
[97] Suivant cette intervention, jamais n’a-t-il été informé que les problèmes perduraient. Il l’ignorait, répète-t-il. Il vient d’ailleurs d’apprendre que des carreaux de céramique se détachent du sol.
[98] Le locateur souligne que le loyer de la locataire est peu élevé et qu’il n’a pas été augmenté depuis son arrivée.
[99] Il indique par ailleurs avoir récemment débuté des travaux par ordre de priorité, comme réparer le plafond du logement inférieur. Il précise avoir annulé la visite du plombier en décembre 2022, l’inspectrice de la ville ayant conclu à son inutilité.
[100] Il dispose de peu de moyens, aussi comment pourrait-il faire exécuter des travaux si les locataires ne payent pas leurs loyers, s’interroge-t-il. Il éprouve en effet des difficultés à percevoir le loyer de plusieurs locataires de l’immeuble.
[101] Il souligne que la machine à laver appartient à la locataire, aussi ne peut-il être tenu responsable des dommages causés par l’électroménager.
[102] Enfin, les locateurs témoignent avoir fait leur changement d’adresse. Ils ne comprennent pas pourquoi la locataire continue de recevoir du courrier à leurs noms.
Droit applicable et analyse
Les obligations des locateurs
[103] Les articles
« 1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.
Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l'usage pour lequel il est loué, et de l'entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail. »
« 1864. Le locateur est tenu, au cours du bail, de faire toutes les réparations nécessaires au bien loué, à l'exception des menues réparations d'entretien; celles-ci sont à la charge du locataire, à moins qu'elles ne résultent de la vétusté du bien ou d'une force majeure. »
[104] Les obligations mentionnées à l’article
[105] Un locateur ne pourra se soustraire à son obligation de résultat qu’en invoquant la force majeure, l’acte d’un tiers ou du créancier de l’obligation équivalant à force majeure, ou encore en prouvant que l’inexécution de l’obligation alléguée se situe complètement en dehors du champ de ses obligations. S’il s’agit d’une obligation de garantie, la défense de force majeure, tout comme celle d’absence de faute, sont irrecevables[4].
[106] C'est donc dire qu'une fois le manquement établi, le locateur ne peut invoquer simplement sa diligence raisonnable ou se contenter de rapporter la preuve d'un comportement prudent et diligent pour s'exonérer de sa responsabilité.
[107] Autrement dit, comme l’exprime la juge administrative Jocelyne Gravel :
« [6] Le locateur a donc la responsabilité légale de procurer la pleine jouissance des lieux loués pendant toute la durée du bail. De plus, il ne peut se dégager de cette responsabilité en prouvant par exemple sa diligence à tenter de régler le problème, que les délais ont été occasionnés par ses ouvriers ou par manque de ressources financières. La force majeure et la faute du locataire sont donc les seuls moyens de défense pouvant le libérer d'une obligation de « résultat ».[5] »
[108] Tel que l’expriment les auteurs Isabelle Jodoin et Pierre Gagnon au sujet de l’article
« Cet article énonce les principales responsabilités du locateur : fournir, au début du bail en bon état, le logement visé (délivrance) et procurer au locataire, en tout temps, une occupation confortable et conforme à l’usage auquel il est destiné (jouissance paisible). Il s’agit d’une obligation de résultat, et non seulement de moyens. Par conséquent, il ne suffit pas pour le locateur de tenter de résoudre les problèmes relatifs à la location. Il doit les régler, sauf dans des situations exceptionnelles relevant de la force majeure[6]. »
Les obligations de la locataire
[109] L'article
[110] Un locataire doit également maintenir le logement en bon état de propreté, selon l'article
La mise en demeure
[111] Un locataire a « l’obligation de dénoncer au locateur toute situation préjudiciable en temps utile et opportun et de le mettre en demeure d'exécuter ses obligations en lui laissant alors un délai raisonnable pour rétablir la situation, le tout, avant d'intenter un recours. La dénonciation vise à porter à la connaissance du locateur un trouble, un défaut, un manquement, et la mise en demeure, à rappeler au locateur que, à défaut d'exécution des obligations dans le délai accordé, recours judiciaire sera entrepris pour obtenir réparation[7]. »
[112] Comme l’indique la juge administrative Francine Jodoin dans la décision Gongoroiu c. Modabbernia : « bien que l'existence d'une obligation confère au locataire le droit d'exiger qu'elle soit exécutée entièrement, correctement et sans retard, l'envoi d'une mise en demeure constitue un prérequis à la sanction de ce droit[8] ».
[113] Les auteurs Thérèse Rousseau-Houle et Martine de Billy soulignent par ailleurs ce qui suit[9] :
« Pour se prévaloir du recours en diminution de loyer, le locataire doit préalablement avoir fait parvenir au locateur une mise en demeure afin de lui permettre d'apporter les correctifs qui s'imposent. Sur ce point, les décisions de la Cour provinciale et de la Régie reconnaissent unanimement que l'omission de la mise en demeure est fatale au locataire. »
[114] Ce principe est repris par l’auteur Denis Lamy, dans son livre portant sur la diminution de loyer :
« Cette obligation formelle du locataire de dénoncer un trouble ou une défectuosité a son locateur se retrouve autant dans les décisions récentes que dans les décisions les plus anciennes de la régie du logement. De plus, suivant la jurisprudence, cette dénonciation doit être précise, elle ne doit pas être tardive et encore moins dénoncée lors du procès, sous peine de rejet de la demande[10]. »
[115] Certaines circonstances peuvent cependant amener à conclure que le débiteur de l’obligation a été mis en demeure de plein droit, tel que le prévoit l’article
[116] À ce sujet, le juge administratif Luk Dufort s’exprime comme suit[11] :
« [104] Cela étant dit, lorsque les locateurs sont informés valablement par un locataire[10] ou présumés informés[11] qu’il y a perte de jouissance du logement et que ces derniers n’agissent pas pour remédier à la situation, il peut y avoir mise en demeure de plein droit. » (citations omises)
[117] En d’autres mots, comme l’écrit le juge administratif Serge Adam[12] :
« Il faut cependant préciser que certaines décisions énoncent que la mise en demeure ne serait pas nécessaire si le locateur connaît[1] ou est présumé connaître la situation[2]. »
(citations omises)
[118] Ces écrits sont inspirés du principe énoncé par la Cour du Québec, notamment dans la décision Massabo-Portanelli c. Lauzon[13], dans laquelle le juge Bourduas mentionne :
« Dans le cas qui nous occupe, la jouissance paisible des lieux et la garantie que le locataire puisse exercer son commerce devait exister pendant toute la durée du bail. Personne n'est à l'abri d'un accident. Mais quand ce dernier arrive, le locateur doit tout faire pour remettre rapidement les lieux dans leur état d'habitabilité. Or, un mois complet s'écoule sans que rien ne se produise. Dans l'affaire Habitations Desjardins[1], la Cour a décidé que le locateur doit fournir la jouissance du bien loué de façon continue. Le locateur est en demeure constante de fournir cette prestation au locataire et lorsque cette prestation n'est pas fournie, le temps dans lequel elle devait l'être est écoulé. » (nos soulignés); (références omises).
L’état du logement et les dénonciations aux locateurs
[119] En l’instance, la preuve présentée par la locataire est accablante.
[120] Le logement est en piètre état. Il ne s’agit pas uniquement de considérations esthétiques, mais également fonctionnelles et sanitaires. Rien ne permet de conclure à la négligence de la locataire ou au manque d’entretien des lieux.
[121] Les témoignages de la locataire et de Quinton sont convaincants, probants, et soutenus par la preuve documentaire, notamment le rapport d’inspection de la ville.
[122] Les locateurs plaident avoir ignoré cet état des faits, mais le Tribunal ne les croit pas. Voici pourquoi.
[123] La locataire a eu des problèmes avec sa salle de bain dès son arrivée, en 2019. Elle en a informé le locateur par courriel, les 27 octobre et 2 novembre 2019. Elle a également écrit au locateur le 24 juin 2020, 17 juillet 2020 et les 20 et 21 avril 2021. Quinton a écrit au locateur le 1er octobre 2021. Un plombier s’est présenté à trois reprises, suivant des plaintes de la locataire. Elle a régulièrement déduit de son loyer ce qui lui en a coûté pour acheter des produits pour déboucher ses drains. Le locateur a visité le logement le 6 novembre 2021. L’inspectrice a visité le logement l’immeuble le 9 août 2022. Le locateur a obtenu copie de son rapport quelques semaines plus tard. La locataire a déposé son recours le 29 août 2022. Elle a exprimé, lors d’une audience le 31 août 2022 portant sur une demande de rétractation de jugement, ne pouvoir recevoir son courrier en raison de la boîte postale endommagée.
[124] Les problématiques affectant le logement sont donc nombreuses, récurrentes, chroniques, et perdurent depuis des années.
[125] Les locateurs en étaient pleinement informés.
[126] L’état général de l’immeuble reflète d’ailleurs celui du logement. Manifestement, les locateurs s’y intéressent peu.
[127] Bien qu’aucun des messages de la locataire ne contienne de mise en demeure à proprement parler, ils dénoncent toutefois clairement aux locateurs les problématiques vécues dans le logement. Ces derniers n’ont apporté aucun correctif durable. Les interventions minimales en nombre et en qualité n’ont rien réglé.
[128] Aussi, forte des enseignements tirés de la jurisprudence, la soussignée estime que les locateurs ont été mis en demeure de plein droit dès le 20 avril 2020.
La demande en diminution de loyer
Droit applicable
[129] Tel que vu précédemment, la loi impose notamment l’obligation au locateur de procurer au locataire la jouissance paisible du logement[14].
[130] De plus, l’article
« 1912. Donnent lieu aux mêmes recours qu'un manquement à une obligation du bail:
1° Tout manquement du locateur ou du locataire à une obligation imposée par la loi relativement à la sécurité ou à la salubrité d'un logement;
2° Tout manquement du locateur aux exigences minimales fixées par la loi, relativement à l'entretien, à l'habitabilité, à la sécurité et à la salubrité d'un immeuble comportant un logement. »
[131] L'inexécution d'une obligation prévue par la loi ou le bail confère le droit de demander, entre autres, la diminution du loyer[15] . Cette diminution vise à évaluer la valeur objective de la perte locative subie par le locataire en raison de l'inexécution des obligations du locateur.
[132] La perte de jouissance doit être réelle, sérieuse, significative et substantielle[16].
[133] Les principes applicables quant au montant qui peut être alloué sont les suivants :
« Le recours en diminution du loyer a pour but de rétablir l'équilibre dans la prestation de chacune des parties au bail; lorsque le montant du loyer ne représente plus la valeur de la prestation des obligations rencontrées par le locateur parce que certains services ne sont plus dispensés ou que le locataire n'a plus la pleine et entière jouissance des lieux loués, le loyer doit être réduit en proportion de la diminution subie.
Il s'agit en somme de rétablir le loyer au niveau de la valeur des obligations rencontrées par le locateur par rapport à ce qui est prévu au bail; la diminution ainsi accordée correspond à la perte de la valeur des services ou des obligations que le locateur ne dispense plus. Il ne s'agit donc pas d'une compensation pour des dommages ou des inconvénients que la situation peut causer[17]. »
[134] L’auteur Denis Lamy, dans son traité sur la diminution de loyer, détaille les situations pour lesquelles une diminution de loyer peut être accordée. Il écrit ce qui suit :
« Le législateur avait donc clairement à l’esprit des situations qui allaient affecter sérieusement le logement du locataire. Selon les dictionnaires, le mot « sérieux » fait référence au caractère de ce qui mérite attention et considération du fait de son importance, de sa gravité (critique, réel, préoccupant, inquiétant).
Dans l’affaire Beaulieu c. Belleville, le régisseur, Me Daniel Laflamme, faisait sans nul doute référence à ce principe, lorsqu’il fit les commentaires suivants :
De plus, un inconvénient bénin ou une simple trivialité ne permettent pas d’invoquer la garantie, en effet, prétendre le contraire serait d’imposer un fardeau déraisonnable au locateur et rendrait le commerce de location résidentielle presque impossible. Seuls les problèmes réduisant la jouissance des lieux peuvent être considérés. (fin de la citation)
Des défectuosités mineures qui n’occasionnent qu’un simple désagrément aux locataires, sans pour autant diminuer de façon significative et substantielle la jouissance paisible des lieux ou la fonctionnalité du logement, ne justifient donc pas l’intervention du tribunal.
En conséquence, pour obtenir une diminution de loyer, la perte de valeur locative ou la diminution de prestation d’une situation donnée ou encore les défectuosités dénoncées par le locataire doivent lui occasionner une diminution significative réelle ou une perte substantielle. Le trouble ne doit pas être mineur ou n’être qu’un simple préjudice esthétique, il doit être sérieux[18]. »
Analyse
[135] La locataire a rencontré son fardeau de prouver, selon le régime de prépondérance de preuve, avoir subi une perte locative sérieuse, substantielle, du fait des nombreuses problématiques affectant son logement, y incluant sa boîte postale endommagée.
[136] Considérant que la perte locative a varié en nature, en intensité et en durée, le Tribunal estime qu’une diminution de loyer globale de 2 500 $ est juste et appropriée dans les circonstances.
[137] De plus, une diminution de loyer de 150 $ par mois sera accordée à la locataire à compter du 1er mai 2023 et jusqu’à ce que les locateurs terminent les travaux dans le logement, tels que décrits plus bas.
Les dommages pour troubles et inconvénients
[138] Comme l’écrit avec justesse la juge Linda Boucher sur sujet de la nature des dommages moraux :
« [55] Ce type de dommages vise à compenser le stress, les inquiétudes, la fatigue et les troubles et inconvénients de toutes sortes qu'a pu éprouver la partie lésée. Ce dommage est difficile à évaluer contrairement aux dommages pécuniaires, qui sont plus aisément quantifiables en raison de leur caractère objectif.
[56] Les dommages moraux ne peuvent se présumer et doivent être prouvés selon les règles de prépondérance. En effet, « Le dommage ne se présume jamais; il doit être prouvé selon les règles ordinaires de prépondérance »((6)). S'il s'agit de dommages moraux, « ...la difficulté à chiffrer un préjudice non économique ne doit pas équivaloir à une dispense d'avoir à prouver sa survenance. (...) Le simple fait que le préjudice soit moral ne permet pas de se contenter d'une simple affirmation générale »((7)) expliquant qu'on a subi un quelconque préjudice. »[19] (citations omises)
[139] Pour obtenir une telle compensation, la locataire doit prouver le préjudice subi par les fautes ou manquements des locateurs.
Analyse
[140] La locataire a rencontré son fardeau de prouver, selon le régime de prépondérance de preuve, avoir subi des dommages moraux en raison des fautes répétées des locateurs.
[141] La lecture de la trame factuelle conduit le Tribunal à conclure, sans hésitation, que les locateurs sont contrevenus de manière chronique à leurs obligations légales et contractuelles, vu leurs défauts répétés de corriger les nombreuses problématiques affectant le logement au fil des années.
[142] Les conditions de vie de la locataire sont inacceptables.
[143] La soussignée a ressenti consternation et stupéfaction en constatant que la locataire et sa voisine du dessous se voient par une trappe, de grande taille, précisons-le, dans le mur.
[144] La locataire est dans l’obligation d’acheter du produit toutes les semaines pour déboucher les drains.
[145] Elle n’a pu recevoir son courrier de manière régulière, sa boîte postale étant endommagée. Elle a manqué une audience devant ce Tribunal, n’ayant pas reçu l’avis de convocation, ce qui l’a obligée à présenter une demande en rétractation.
[146] Il ne s’est pas passé une semaine sans que la locataire n’ait eu à composer avec une problématique liée au logement.
[147] Le locateur semble être d’avis que le faible loyer payé par la locataire justifie l’état de son logement et de l’immeuble.
[148] Or, rien ne pourrait être plus faux.
[149] La locataire est en droit de vivre dans un logement décent, exempt de toutes réparations, et ce, même s’il s’agit d’un milieu de vie modeste.
[150] L’inaction des locateurs s’est faite au mépris de ces droits.
[151] Trois mois se sont écoulés entre les deux audiences. Les locateurs n’ont posé aucune action pendant cette période. Ils n’ont même pas visité le logement, ce qui démontre, une fois de plus, leur complet désintéressement face à la situation vécue par la locataire.
[152] À l’opposé, la soussignée note l’empressement des locateurs à obtenir une décision sur leur demande en résiliation de bail, le 2 novembre 2022, acceptant difficilement la réunion de leur dossier avec celui de la locataire.
[153] L’analyse de la situation conduit le Tribunal à accorder la somme de 3 000 $ à la locataire à titre de dommages moraux.
Les dommages matériels
[155] Ainsi, seuls les dommages directs et prévisibles associés au manquement reproché peuvent être réclamés.
[156] Au sujet de cette disposition, les auteurs Baudouin et Jobin s’expriment ainsi :
« Le législateur a simplement voulu affirmer ainsi la nécessité d’un lien de causalité étroit entre la faute et le préjudice susceptible d’être réparé. Sans violer le principe de la réparation intégrale, il a voulu éviter que le débiteur ne soit tenu des conséquences et des effets éloignés de son inexécution. Le droit est méfiant à l’égard des préjudices « en cascade ».
(…)
Vu sous un angle différent, est direct le préjudice que le tribunal estime avoir, dans les circonstances particulières de l’espèce, une relation causale qualitativement suffisante avec l’inexécution reprochée[20]. »
Analyse
[157] La demande de condamner les locateurs à rembourser la location de la roulotte est rejetée. La locataire ne les a pas avisés de son intention d’engager de tels frais, privant les locateurs de lui offrir une alternative.
[158] Le même sort est réservé aux dépenses engendrées par les douches prises lors de ce séjour, de même que les frais de déplacement et de subsistance. Notons de plus que les factures attestant de ces dépenses n’ont pas été produites.
[159] Quant à l’achat des produits requis pour déboucher les drains, seules deux factures ont été produites par la locataire, sans qu’elles ne soient liées à une preuve testimoniale plus précise. De plus, la locataire a régulièrement déduit ces dépenses de son loyer mensuel, mais le Tribunal ignore lequel. La locataire ne pourrait être compensée deux fois pour une seule et même dépense.
[160] En somme, la demande de la locataire à ce chapitre est rejetée.
Exécution de certaines obligations : le changement d’adresse postale du locateur
[161] La locataire n’a pas démontré en quoi les locateurs contreviennent à leurs obligations légales et contractuelles à ce chapitre.
[162] La demande est par conséquent rejetée.
Exécution de certaines obligations : les travaux
Droit applicable
[163] Tel que vu plus haut, un locateur a l’obligation d’entretenir et de faire les travaux requis dans le logement, afin d’assurer la jouissance paisible des lieux au locataire.
[164] En cas de défaut du locateur de rencontrer de telles obligations, et devant une preuve permettant de conclure à la nécessité des travaux demandés, un locataire peut exiger l’émission d’une ordonnance visant à obliger le locateur à exécuter ses obligations[21].
[165] Naturellement, afin d’obtenir la réparation d’une composante du logement, un locataire doit d’abord en démontrer la nécessité.
[166] Le professeur Jobin se penche sur cette question dans son traité sur le louage :
« L’appréciation du caractère nécessaire de la réparation est une question de fait dans chaque cas d’espèce; les tribunaux considèrent l’ensemble d’une situation. Malgré quelques décisions contraires, l’appréciation doit se faire de façon objective, comme en matière de garantie d’aptitude, par exemple. La nécessité d’une réparation n’est pas abstraite, mais elle est fonction de l’usage précis pour lequel le bien a été loué (…)[22] »
Analyse
[167] D’emblée, le Tribunal rejette la demande d’exécution de travaux correctifs quant à l’éclairage de l’immeuble, le radiateur de la cuisine, le robinet de la cuisine, le réseau électrique déficient et l’odeur d’eau pourrie dans l’immeuble, la preuve de la locataire étant silencieuse à ces sujets.
[168] La locataire a elle-même installé ses portes d’armoires de cuisine aussi l’intervention des locateurs n’est plus requise.
[169] Le Tribunal ne retient pas la demande de procéder à une extermination de rongeurs, la preuve étant insuffisante à ce sujet.
[170] La locataire a toutefois démontré la nécessité pour les locateurs d’effectuer les travaux suivants :
- Corriger le problème de moisissures dans tout le logement;
- Réparer et/ou ajuster toutes les fenêtres non étanches;
- Réparer ou remplacer le robinet de la baignoire;
- Débloquer la tuyauterie de toutes les composantes de la salle de bain;
- Assurer le fonctionnement de la porte principale de l’immeuble
- Refermer le mur comportant la trappe par laquelle le logement inférieur est visible;
- Réparer ou remplacer le plancher de la salle de bain;
- Réparer l’endroit où s’est produit le dégât d’eau de la laveuse;
- Réparer la boîte postale de la locataire si son état le requiert toujours.
[171] Il est donc ordonné aux locateurs d’exécuter ces diverses interventions dans un délai de 90 jours suivants la présente décision.
[172] Il est certainement pertinent de préciser que ces ordonnances ne se substituent pas aux recommandations émises par la Ville de Montréal.
La compensation
Droit applicable
[173] L'article
« 1673. La compensation s'opère de plein droit dès que coexistent des dettes qui sont l'une et l'autre certaines, liquides et exigibles et qui ont pour objet une somme d'argent ou une certaine quantité de biens fongibles de même espèce.
Une partie peut demander la liquidation judiciaire d'une dette afin de l'opposer en compensation . »
Application
[174] Le Tribunal ayant octroyé des dommages moraux de 3000 $ à la locataire, et celle-ci ayant été condamnée à payer au locateur la somme de 2770 $ à titre de loyers impayés, le Tribunal, en application de l’article
[175] La locataire ne doit par conséquent plus rien aux locateurs, avec pour résultat qu’elle n’est pas en retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer. Ce motif de résiliation de bail est rejeté.
[176] La locataire est toutefois condamnée à leur rembourser les frais de justice.
Autres conclusions
[177] Les locateurs ayant notifié leur demande en mains propres à la locataire, seuls les frais de la demande leur sont accordés, soit 80 $.
[178] Les frais de la demande ne sont pas accordés à la locataire, vu l’exemption. Elle ne peut prétendre à réclamer des frais de notification, ayant elle aussi notifié les locateurs en mains propres.
[179] Enfin, le préjudice causé ne justifie pas d’ordonner l’exécution provisoire de la décision, tel que prévu à l’article 82.1 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[23].
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[180] REJETTE la demande des locateurs;
[181] CONDAMNE la locataire à payer aux locateurs les frais de justice de 80 $;
[182] ACCUEILLE en partie la demande de la locataire;
[183] ORDONNE aux locateurs d’exécuter les travaux suivants, dans un délai de 90 jours suivant la présente décision :
- Corriger le problème de moisissures dans tout le logement;
- Réparer et/ou ajuster toutes les fenêtres non étanches;
- Réparer ou remplacer le robinet de la baignoire;
- Débloquer la tuyauterie de toutes les composantes de la salle de bain;
- Assurer le fonctionnement de la porte principale de l’immeuble;
- Refermer le mur comportant la trappe par laquelle le logement inférieur est visible;
- Réparer ou remplacer le plancher de la salle de bain;
- Réparer l’endroit où s’est produit le dégât d’eau de la laveuse;
- Réparer la boîte postale de la locataire si son état le requiert toujours.
[184] DIMINUE le loyer d’une somme de 2 500 $ et CONDAMNE les locateurs à payer la diminution accordée;
[185] DIMINUE le loyer de 150 $ par mois à compter du 1er mai 2023, et pour tous les mois à venir, tant et aussi longtemps que les locateurs n’exécutent pas les travaux décrits plus haut;
[187] REJETTE la demande quant au surplus.
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Camille Champeval | ||
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Présence(s) : | les locateurs la locataire | ||
Dates des audiences : | 2 novembre 2022 et 10 février 2023 | ||
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[1] RLRQ, chapitre T-15.01.
[2] L’utilisation du nom de famille vise à abréger le texte et non à faire preuve de familiarité ou de prétention.
[3] 7 560 $ + 630 $ – 5 420 $.
[4] 2 Baudouin J.-L. et P.-G. Jobin, Motifs d'exonération dans Les obligations, 6e édition par P.-G. Jobin avec la collaboration de N. Vézina, 2005, EYB2005OBL32, approx. 22 pages.
[5] Geroue c. Joe Caprera inc., R.D.L., 2019-09-24, 2019 QCRDL 30528,
[6] Louer un logement, 2e édition, Éditions Yvon Blais, 2012, page 8.
[7] Danielle Sergerie c. Danielle Mallette, 2018 QCRDL.
[8]
[9] Le bail du logement : Analyse de la jurisprudence, Wilson et Lafleur, 1989, page 101.
[10] Lamy, Denis,
[11] 9332-0422 Québec inc. c. Bolduc, T.A.L., 2020-12-22,
[12] Arsenault c. Gilbert, R.D.L., 2016-04-20, 2016 QCRDL 14025,
[13] Massabo-Portanelli c. Lauzon, C.Q., 2001-09-19,
[14] Article
[15] Article
[16] Baril c. Habitations Van Horne, R.D.L., 2009-10-08,
[17] Gagné c. Larocque, R.L., 31-970501-054G ,1er Décembre 1997, r. Joly.
[18] Lamy, Denis,
[19] Lajeunesse c. Bourque*, R.D.L., 2019-01-09, 2019 QCRDL 760,
[20] Baudouin, Jean-Louis et Jobin, Pierre-Gabriel,
[21] Tel que le prévoit l’article
[22] Jobin, Pierre-Gabriel,
[23] RLRQ, c. T-15.01
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.