Décision

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Gestion PA Bégin et Gestion JP Bégin inc. c. Traore

2024 QCTAL 1031

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Québec

 

No dossier :

719864 18 20230628 G

No demande :

3957791

 

 

Date :

11 janvier 2024

Devant le juge administratif :

Stéphan Samson

 

Gestion P.A. Bégin INC. et

Gestion J.P. Bégin Inc.

 

Locatrice - Partie demanderesse

c.

Madioula Traore

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Le Tribunal est saisi de la demande de la locatrice qui réclame à la locataire des dommages pour un montant de 11 156,41 $.

Contexte

[2]         Les parties sont liées par un bail pour la période du 1er juillet 2023 au 30 juin 2024[1].

[3]         Dans la nuit du 4 au 5 février 2023, il y a eu un dégât d’eau majeur dans l’immeuble de douze logements où est situé le logement de la locataire.

[4]         La locatrice prétend que la locataire est responsable du dégât d’eau et que cette dernière doit être condamnée à lui rembourser les dommages qu’elle a subis.

[5]         De l’ensemble de la preuve entendue le Tribunal retient les éléments pertinents suivants.

Preuve de la locatrice

[6]         Comme premier témoin la locatrice fait entendre madame Maryline Landry qui témoigne que dans la nuit du 4 au 5 février 2023, elle a été informée qu’il y avait un important dégât d’eau dans l’immeuble.

[7]         Elle a immédiatement communiqué avec le concierge de l’immeuble afin que ce dernier se rende sur place pour constater l’état des lieux.

[8]         Il appert que le dégât d’eau a été provoqué par le bris d’un tuyau d’alimentation en eau située dans la salle de bains du logement de la locataire.


[9]         Le tuyau s’est brisé à cause du gel provoqué par une fenêtre de la salle de bains laissée ouverte[2].

[10]     Au moment où l’employé de la locatrice s’est rendu sur place le matin du 4 février 2023, la température extérieure était de -31°C, avec le facteur de refroidissement éolien, la température était de -47°C [3].

[11]     À la suite de ce dégât d’eau, des travaux de réparation ont été effectués au coût de 14 031,55 $ tels qu’il appert de la facture produite[4].

[12]     Conformément à son contrat d’assurance,[5] la locatrice a dû assumer une franchise de 5 000 $ sur le coût des travaux de réparation effectuée.

[13]     La locatrice réclame à la locataire ce montant de 5 000 $.

[14]     Elle réclame également un montant qu’elle a assumer pour effectuer les travaux correctifs additionnels qui n’étaient pas entièrement couverts par son contrat d’assurance.

[15]     Au soutien de cette réclamation pour les travaux correctifs additionnels, la locatrice produit les factures ainsi que les bons de travail qu’elle a reçu de son gestionnaire au montant total de 8 680,05 $[6].

[16]     De ce montant l’assureur de la locatrice lui a remboursé un montant de 2 523,64 $[7], la locatrice réclame la différence de 6 156,41 $.

[17]     Préalablement au dépôt de la demande devant le Tribunal administratif du logement, la locatrice a transmis par huissier, à la locataire, la mise en demeure du 13 juin 2023[8] dans laquelle elle mentionne qu’elle la tient responsable du bris du tuyau et lui réclame les dommages qu’elle a subis.

[18]     Le second témoin entendu dans le cadre de la preuve de la locatrice et monsieur Claude Bernier qui est le concierge de l’immeuble depuis 2021.

[19]     Le témoin mentionne qu’à son arrivée sur les lieux, le matin du 4 février 2023 il a constaté qu’il y avait un tuyau d’alimentation d’eau située au sous-sol de l’immeuble qui était fendu.

[20]     La fournaise, qui est située immédiatement en dessous du logement de la locataire, ne fonctionnait plus.

[21]     L’immeuble est chauffé par une fournaise qui distribue de l’eau chaude dans les calorifères de chacun des logements, la fournaise est alimentée par de l’huile à chauffage.

[22]     Au moment où monsieur Bernier est arrivé sur les lieux et plus précisément dans le logement de la locataire, il a constaté qu’il n’y avait personne dans le logement et que la température à l’intérieur était très froide, sous le point de congélation.

[23]     Il y avait une accumulation importante de glace dans le logement de la locataire et la fenêtre de la salle de bain était entrouverte[9].

[24]     Il n’y avait plus de chauffage dans aucun des autres logements de l’immeuble et plusieurs locataires portaient alors leurs vêtements d’hiver en raison du froid qui régnait à l’intérieur de leur logement.

[25]     Il a constaté la présence de plusieurs fuites d’eau dans d’autres logements et il a effectué, en compagnie d’un entrepreneur spécialisé, des travaux de réparation jusqu’à 1h30, le matin du 5 février 2023.

Preuve de la locataire

[26]     Dès le début de son témoignage, la locataire reconnaît qu’elle a quitté son logement en laissant la fenêtre de la salle de bain entrouverte.

[27]     Elle explique ce comportement par le fait qu’il y avait un problème de moisissure dans son logement et qu’elle désirait enrayer ce problème en permettant une circulation de l’air.

[28]     La locataire mentionne qu’elle ignorait que le fait de laisser la fenêtre de sa salle de bains ouverte pendant une période de grand froid pourrait provoquer le gel et le bris des tuyaux d’alimentation en eau de son logement et ainsi provoquer les dommages à l’immeuble.

[29]     La locataire mentionne qu’elle a quitté son logement le 29 janvier 2023, vers 13 heures, en prévision d’un voyage à l’extérieur pour une période de trois mois. C’est dans ce contexte, qu’elle a laissé la fenêtre de la salle de bain entrouverte.

[30]     En contre-interrogatoire, la locataire confirme de plus qu’elle avait fermé le chauffage de son logement avant de quitter le 29 janvier 2023.

[31]     La locataire prend le temps de s’excuser, auprès de la représentante de la locatrice, des inconvénients que son comportement a pu causer.

[32]     Cependant pour la locataire, elle était justifiée d’agir ainsi en raison du problème récurrent de moisissure présent dans son logement.

Question en litige

La locataire est-elle responsable des dommages causés par le dégât d’eau ?

Analyse et décision

[33]     Selon l’article 1862 du Code civil du Québec, la locataire est présumée responsable de toute dégradation qui survient à son logement pendant le bail. Il appartient à la locataire de démontrer que la perte est survenue sans sa faute ou celle des personnes à qui il permet l’accès au logement tel que mentionné dans l’article 1862 C.c.Q:

« 1862. Le locataire est tenu de réparer le préjudice subi par le locateur en raison des pertes survenues au bien loué, à moins qu'il ne prouve que ces pertes ne sont pas dues à sa faute ou à celle des personnes à qui il permet l'usage du bien ou l'accès à celui-ci.

Néanmoins, lorsque le bien loué est un immeuble, le locataire n'est tenu des dommages-intérêts résultant d'un incendie que s'il est prouvé que celui-ci est dû à sa faute ou à celle des personnes à qui il a permis l'accès à l'immeuble. »

[34]     À titre de gardien du logement, dont elle a l’usage, elle doit s’assurer de l’utiliser de façon prudente et diligente selon l’article 1855 C.c.Q.:

« 1855. Le locataire est tenu, pendant la durée du bail, de payer le loyer convenu et d'user du bien avec prudence et diligence. »

[35]     Lorsque la locataire s’absente de son logement pour une période prolongée, elle doit s’assurer de laisser les lieux sécurisés et notamment de maintenir une température ambiante suffisante.

[36]     Si par son comportement, la locataire trouble les autres locataires, elle doit alors réparer le préjudice causé au locataire tel que prévu à l’article 1860 C.c.Q.:

« 1860. Le locataire est tenu de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires.

Il est tenu, envers le locateur et les autres locataires, de réparer le préjudice qui peut résulter de la violation de cette obligation, que cette violation soit due à son fait ou au fait des personnes auxquelles il permet l'usage du bien ou l'accès à celui-ci.

Le locateur peut, au cas de violation de cette obligation, demander la résiliation du bail. »

[37]     Le Tribunal fait siens les propos qui suivent de la juge administrative Francine Jodoin dans l’affaire Pasara c. Evens[10] lorsqu’elle s’exprime sur le devoir d’un locataire d’assurer la conservation du logement et de veiller aux intérêts du locataire pour ne pas le détériorer :

« [16] Cette obligation impose aux locataires le devoir de ne pas agir de façon à détériorer le bien loué mais aussi à ne pas créer une situation qui met en péril l'intégrité du logement ou de l'immeuble. Bien qu'il s'agisse d'une obligation de moyen, les locataires doivent agir raisonnablement dans le but d'assurer la conservation du logement et veiller ainsi aux intérêts du locateur.


[17] Comme l'expriment les auteurs Lamontagne et Larochelle :

« La prudence est cette «attitude qui consiste à peser à l'avance tous ses actes, à apercevoir les dangers qu'ils comportent et à agir de manière à éviter tout danger, toute erreur, tout risque inutile», alors que la diligence fait référence à la promptitude et à l'empressement dans l'exécution. Le locateur est en droit de se fier à son locataire quant au respect de son devoir de garder le bien loué avec prudence et diligence. »

[18] Sur l'obligation de prévention, ils poursuivent :

« [573] Obligation de prévention. - Alors que certaines menues réparations d'entretien peuvent être exécutées à la fin du bail, notamment celles requises par l'obligation de remise du bien à la fin du bail dans l'état où il était à son début, d'autres réparations doivent être effectuées en cours de bail pour assurer la conservation du bien ou éviter sa détérioration. C'est le cas, par exemple, du remplacement des vitres brisées qui, s'il n'est pas fait avec diligence, peut amener une détérioration de l'immeuble. Non seulement l'obligation de prudence et diligence impose-t-elle au locataire de faire certains travaux, mais aussi d'adopter un comportement préventif de façon générale.

Par exemple, chauffer convenablement les lieux pour éviter le gel des tuyaux, s'assurer d'une certaine surveillance du bien pendant une absence prolongée, faire un usage normal du bien, voir à respecter le programme d'entretien du fabricant sont autant de cas où l'obligation de prudence et de diligence du locataire est applicable. Permettre l'usage du bien à des personnes irresponsables, manquer de surveillance à l'égard des enfants sous sa garde peuvent constituer des manquements à cette obligation. »

[Référence omise et soulignement ajouté]

[38]     La raison pour laquelle un locataire doit maintenir une température minimale dans un logement pour assurer l’intégrité de l’immeuble est expliquée par le régisseur Jean Bisson dans l’affaire Canta c. Mangille[11] :

« La locataire […] maintient la température entre 5 et 10 degrés Celsius au sous-sol et à 17-18 degrés Celsius au rez-de-chaussée. Elle ferme le système de chauffage lorsqu'elle s'absente. Elle agit ainsi par souci d'économie.

Si le législateur exige d'un locateur qu'il garnisse chaque logement d'un système de chauffage permettant de maintenir l'air ambiant à 21oC. Lorsque la température extérieure est de moins 28oC., ce n'est pas seulement pour le confort des occupants mais aussi pour la protection de l'immeuble.

La construction d'un immeuble répond à de nombreuses exigences techniques. Les murs extérieurs doivent protéger l'intérieur des rigueurs du climat. Lorsqu'un mur extérieur est exposé à une température sous le point de congélation et que l'air ambiant intérieur est à 21oC., la différence de température n'est pas soudaine. Si l'on prenait une lecture de la température à divers niveaux à l'intérieur du mur, les relevés montreraient que la température augmente graduellement de l'extérieur vers l'intérieur. Ainsi, le côté intérieur du gypse sera près de 21oC. et la surface extérieure de ce même panneau de quelques degrés de moins, il en va de même de l'isolant utilisé qui sera plus froid du côté plus près de l'extérieur. L'enveloppe extérieure de brique présentera les mêmes caractéristiques.

Ainsi, si la température intérieure est trop basse, le froid extérieur pourra pénétrer plus profondément dans l'épaisseur du mur. Le point de condensation de l'humidité de l'air ambiant ne se fera plus là où il se doit mais pourra se situer au niveau de l'isolant et réduire l'efficacité de ce dernier. Le gel pourrait atteindre les tuyaux qui circulent dans ces murs et les faire éclater.

L'utilisation parcimonieuse du chauffage par la locataire met l'immeuble en danger et constitue un préjudice sérieux pour le locateur qui risque de voir son immeuble endommagé. La locataire s'est engagée à assumer le coût du chauffage, elle devra dès lors chauffer adéquatement et maintenir une température conforme à la réglementation en vigueur. Pour ce faire, elle devra se servir du système de chauffage en place qui a été installé pour répondre aux besoins en chauffage de cet immeuble. »

[39]     En l’instance, la preuve prépondérante démontre que la locataire n’a pas respecté son obligation de maintenir une température adéquate dans le logement ce qui a provoqué le gel et le bris du tuyau et les dommages à l’immeuble.

[40]     Non seulement la locataire a fermé le chauffage de son logement avant de quitter pour une période de trois mois, et ce en plein hiver, au surplus, elle a laissé volontairement la fenêtre de la salle de bain ouverte avant de partir.

[41]     Pour le Tribunal, la locatrice a démontré que la locataire a commis une faute qui engage sa responsabilité.

[42]     Le comportement de la locataire va à l’encontre des règles élémentaires de prudence pour toute personne placée dans les mêmes circonstances.


[43]     La preuve entendue permet de conclure que le tuyau qui s’est brisé, et qui est à l’origine des dommages causés à l’immeuble, s’est brisée par le comportement négligent et insouciant de la locataire.

[44]     En ce qui concerne les dommages réclamés, la preuve de la locatrice est probante et elle n’a pas été contredite par la locataire.

[45]     En conséquence, le Tribunal fera droit à la demande de la locatrice pour le montant total de sa réclamation.

[46]     Puisque dans sa demande la locatrice ne requiert pas une condamnation avec les intérêts et l’indemnité additionnelle, de même que les frais, ces derniers ne seront pas accordés.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[47]     CONDAMNE la locataire à payer à la locatrice la somme de 11 156,41 $.

 

 

 

 

 

 

 

 

Stéphan Samson

 

Présence(s) :

la mandataire de la locatrice

la locataire

Date de l’audience : 

23 novembre 2023

 

 

 


 


[1] Pièce P-1

[2] Pièce P-2

[3] Pièce P-3

[4] Pièce P-4

[5] Pièce P-5

[6] Pièce P-8

[7] Pièce P-6

[8] Pièce P-9

[9] Pièce P-2

[10] 2010 QCRDL 2585.

[11] 2001 R.L. 110 (AZ-50087022).

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