Trépanier et Natrel |
2009 QCCLP 7780 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 19 décembre 2008, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision ou révocation d’une décision rendue le 4 novembre 2008 par la Commission des lésions professionnelles.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles entérine un accord intervenu entre madame Mariette Trépanier (la travailleuse) et Natrel (l’employeur). Elle déclare que la travailleuse a subi, le 25 septembre 2007, une rechute, récidive ou aggravation de l’événement initial du 10 août 2001 «ayant causé une entorse lombaire sur une discopathie C4-C5-C6 avec hernie sous ligamentaire L3-L4, L4-L5 et L5-S1 tel que mentionné par le Dr Jean Côté dans son avis du 18 septembre 2008».
[3] L’audience sur la présente requête s’est tenue à Montréal le 28 septembre 2009 en présence des représentants des trois parties.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] La CSST demande de révoquer la décision rendue le 4 novembre 2008 au motif qu’elle comporte des vices de fond de nature à l’invalider.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Les membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs sont d’avis d’accueillir la requête en révision de la CSST. Ils estiment que la décision comporte une erreur manifeste et déterminante puisque l’accord repose sur la reconnaissance d’un évènement sans que l’on sache de quoi il s’agit et en l’absence de preuve au dossier. Le membre issu des associations d’employeurs retient également que l’accord repose sur un diagnostic qui n’a pas été posé de manière contemporaine à la réclamation.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a lieu de révoquer la décision rendue le 4 novembre 2008.
[7] Le pouvoir de révision et de révocation est prévu à l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[8] La CSST allègue que la décision est entachée de vices de fond au sens du 3e paragraphe de l’article 429.56 de la loi. La notion de «vice de fond (...) de nature à invalider la décision» a été interprétée par la Commission des lésions professionnelles dans les affaires Donohue et Franchellini[2] comme signifiant une erreur manifeste, de droit ou de faits, ayant un effet déterminant sur l’issue de la contestation. Ces décisions ont été reprises de manière constante par la jurisprudence.
[9] Il a été maintes fois réitéré que ce recours ne peut constituer un appel déguisé compte tenu du caractère final d’une décision de la Commission des lésions professionnelles énoncé au troisième alinéa de l’article 429.49 de la loi :
429.49.
(…)
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[10] La Cour d’appel a également été appelée à plusieurs reprises à se prononcer sur l’interprétation de la notion de vice de fond. En 2003, dans l’affaire Bourassa[3], elle rappelle la règle applicable en ces termes :
[21] La notion [de vice de fond] est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d'une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.
[22] Sous prétexte d'un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d'ajouter de nouveaux arguments(4).
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(4) Yves Ouellette. Les tribunaux administratifs au Canada : procédure et preuve. Montréal : Éd. Thémis, 1997. P. 506-508 ; Jean-Pierre Villaggi. « La justice administrative », dans École du Barreau du Québec. Droit public et administratif. Volume. 7 (2002-2003). Cowansville : Y. Blais, 2002. P. 113, 127-129.
[11] La Cour d’appel a de nouveau analysé cette notion dans l’affaire CSST c. Fontaine[4] alors qu’elle devait se prononcer sur la norme de contrôle judiciaire applicable à une décision en révision. Procédant à une analyse fouillée, le juge Morissette rappelle les propos du juge Fish dans l’arrêt Godin[5], et réitère qu’une décision attaquée pour motif de vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision.
[12] De l’avis de la soussignée, la Cour d’appel nous invite à faire preuve d’une très grande retenue en indiquant qu’il ne faut pas utiliser la notion de vice de fond à la légère et en insistant sur la primauté à accorder à la première décision et sur la finalité de la justice administrative. La première décision rendue par la Commission des lésions professionnelles fait autorité et ce n'est qu'exceptionnellement que cette décision pourra être révisée.
[13] Dans le présent dossier, le premier juge administratif était saisi de la contestation par la travailleuse d’une décision de la CSST refusant de reconnaître qu’elle a subi une récidive, rechute ou aggravation le 25 septembre 2007. Dans sa décision du 4 novembre 2008, le premier juge administratif entérine un accord intervenu entre la travailleuse et l’employeur. La CSST n’était pas intervenue au dossier, elle n’était donc pas partie au litige et à l’accord.
[14] La travailleuse et l’employeur ont convenu de ceci :
LES PARTIES CONVIENNENT DE CE QUI SUIT :
[1] Retenir l’avis médical du Dr Jean Côté en date du 18 septembre 2008 (joint à la présente).
[2] Reconnaître que la travailleuse a subi une rechute, récidive ou aggravation le 25 septembre 2007 de l’événement initial survenu le 10 août 2001.
[3] L’événement survenu le 25 septembre 2007 est une rechute, récidive ou aggravation ayant causé une entorse lombaire mal guérie sur une discopathie C4-C5-C6 avec hernie sous ligamentaire L3-L4, L4-L5 et L5-S1 confirmant que la travailleuse est en suivi médical depuis le 10 août 2001.
[4] Le présent accord lie les parties et dès qu'il sera entériné par un commissaire, il constituera la décision de la Commission des lésions professionnelles qui a un caractère obligatoire.
[5] Les parties reconnaissent avoir reçu l'assistance nécessaire, déclarent bien saisir la portée du présent accord et en être satisfaites.
[15] L’avis du Dr Côté auquel il est fait référence est ainsi libellé :
À qui de droit,
La présente certifie que je soigne Mme Mariette Trépanier depuis le 2001/08/11 et depuis le 2008/01/16 j’ai noté une dégénérescence de son état au niveau lombaire en lien avec l’événement de août 2001.
Dx : Entorse lombaire. RRA.
discopathie C4C5C6 hernie
sous ligamentaire L3L4 L4L5 L5S1
[16] Le premier juge administratif entérine cet accord et déclare que la travailleuse a subi, le 25 septembre 2007, une rechute, récidive ou aggravation de l’événement initial du 10 août 2001 «ayant causé une entorse lombaire sur une discopathie C4-C5-C6 avec hernie sous ligamentaire L3-L4, L4-L5 et L5-S1 tel que mentionné par le Dr Jean Côté dans son avis du 18 septembre 2008».
[17] Ce faisant le premier juge administratif exerce le pouvoir qui lui est dévolu à l’article 429.46 de la loi :
429.46. Tout accord est constaté par écrit et les documents auxquels il réfère y sont annexés, le cas échéant. Il est signé par le conciliateur et les parties et lie ces dernières.
Cet accord est entériné par un commissaire dans la mesure où il est conforme à la loi. Si tel est le cas, celui-ci constitue alors la décision de la Commission des lésions professionnelles et il met fin à l'instance.
Cette décision a un caractère obligatoire et lie les parties.
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1997, c. 27, a. 24.
[18] D’entrée de jeu, la Commission des lésions professionnelles précise qu’il n’est pas question ici d’un défaut de compétence même si la CSST allègue un excès de compétence et un refus d’exercer sa compétence. Le premier juge administratif était saisi d’une contestation portant sur l’existence d’une récidive, rechute ou aggravation. La loi prévoit spécifiquement un processus de conciliation (429.44 à 429.48) et confère au commissaire le pouvoir d’entériner un accord s’il est conforme à la loi. Le premier juge administratif, en entérinant cet accord, agissait donc dans le cadre de sa compétence.
[19] Comme le souligne la Commission des lésions professionnelles dans Les Magasins Hart inc. et Déry[6], le rôle du juge administratif dans ce contexte est bien différent :
[15] L’accord est entériné par un commissaire dans la mesure où il est conforme à la loi. Si tel est le cas, celui-ci constitue alors la décision de la Commission des lésions professionnelles et il met fin à l'instance. On comprend que pour en arriver à une telle décision, le rôle de la Commission des lésions professionnelles est bien différent de celui qu’elle exerce à la suite d’une enquête et audition. Pour entériner un accord afin que ce dernier constitue la décision, la Commission des lésions professionnelles doit s’assurer que l’accord est conforme à la loi.
[20] Pour analyser les prétentions de la CSST, rappelons brièvement les faits ayant conduit au litige.
[21] La lésion professionnelle initiale du 10 août 2001 survient lorsque la travailleuse, qui occupe un emploi d’opératrice chez l’employeur, soulève une boîte de godets vides. Elle ressent alors une douleur lombaire. Le seul diagnostic reconnu pour cette lésion professionnelle est une entorse lombaire. La lésion professionnelle est consolidée le 13 septembre 2001, sans nécessité de soins après cette date, sans atteinte permanente à l’intégrité physique ni limitations fonctionnelles.
[22] C’est ce qu’a déclaré la Commission des lésions professionnelles dans une décision rendue le 25 avril 2003[7]. Précisons que dans cette décision la Commission des lésions professionnelles a refusé de reconnaître une relation entre l’entorse cervicale diagnostiquée par le Dr Côté (médecin traitant de la travailleuse) et l’évènement accidentel ou les traitements reçus en physiothérapie.
[23] Notons également que la présence d’une discopathie cervicale et lombaire est déjà notée au dossier tant au niveau radiologique (tomodensitométries en décembre 2001 et résonances magnétiques en septembre 2002) que par les médecins. Dans sa décision d’avril 2003, la Commission des lésions professionnelles commente elle aussi cette condition de dégénérescence discale multiétagée.
[24] Le 5 octobre 2007, la travailleuse soumet une réclamation à la CSST pour récidive, rechute ou aggravation. Elle indique comme date de récidive, rechute ou aggravation le 12 mai 2003. Il faut savoir qu’en mai 2003 la travailleuse a eu un arrêt de travail de quelques semaines pour une entorse lombaire mais n’a pas soumis de réclamation à la CSST.
[25] La procureure de la CSST signale que la réclamation pour 2003 était en dehors du délai prévu à la loi. Cet argument est inopportun dans le cadre de la présente requête alors que la CSST en 2008 a elle-même, à raison, analysé la réclamation de la travailleuse à la lumière des rapports médicaux contemporains. On retrouve au dossier les éléments suivants :
-une lettre du 25 septembre 2007[8] adressée à la CSST par la chiropraticienne qui suit la travailleuse depuis le 5 septembre 2007 pour une cervico-brachialgie gauche aigüe;
-un rapport médical du Dr Côté du 16 janvier 2008 avec un diagnostic de «discopathie C4 C5 C6 et hernie sous-ligamentaire L3-L4, L4-L5, L5-S1».
[26] La procureure de la CSST reproche au premier juge administratif d’avoir entériné un accord qui repose uniquement sur «un petit papier de médecin» alors que l’ensemble de la preuve au dossier ne soutient pas la conclusion. Elle écrit dans sa requête que la Commission des lésions professionnelles «doit exercer sa juridiction et examiner si la preuve médicale prépondérante permet d’établir un lien entre la condition de la travailleuse et le diagnostic lié à la RRA».
[27] Or tel que signalé plus haut le rôle du premier juge administratif qui entérine un accord n’est pas de soupeser l’ensemble de la preuve. Dans une décision récente, Winners Merchants inc. et Leblanc[9], la Commission des lésions professionnelles fait un rappel et une revue de la jurisprudence sur le rôle du juge administratif dans le cadre de l’entérinement d’un accord :
[43] La Commission d’appel, dans l’affaire Vaillancourt et Imprimerie Canada inc.9, définit le rôle comme suit :
La Commission d’appel considère que son rôle, à titre de tribunal, n’est évidemment pas d’empêcher le règlement des litiges dont elle est saisie mais bien plutôt d’en favoriser le règlement, ce qui est d’ailleurs formellement confirmé par les termes mêmes de l’article 421 précité.
Ainsi, dans la mesure où les termes de cette entente ne débordent pas le cadre de l’appel dont la Commission d’appel est saisie, dans la mesure où les conclusions qui y sont recherchés par les parties ne vont pas à l’encontre de l’ordre publique et plus spécialement des dispositions inhérentes aux législations et règlements dont l’application relève de sa compétence, et, enfin dans la mesure où les termes de l’entente ne sont pas fondés sur des faits manifestement faux ou inexacts, la Commission d’appel se doit d’en prendre acte et de rendre sa décision suivant les termes de cette entente qu’elle a elle-même favorisée en application de l’article 421 de la loi.
[44] Dans l’affaire Les produits plastiques Jay inc. et Charron et CSST10, une altercation entre travailleurs a lieu dans l’établissement de l’employeur. La CSST a reconnu que les travailleurs ont été victimes de lésions professionnelles. Dans un cas, elle a reconnu les diagnostics de « contusion au dos et névrose structurelle », dans l’autre, de « névrose post-traumatique ».
[45] Alors que les litiges doivent être entendus au Bureau de révision, les parties signent une entente voulant que les diagnostics psychiques ne soient pas en relation avec l’événement survenu au travail. Le Bureau de révision refuse d’entériner les ententes.
[46] La Commission d’appel considère qu’elle ne « voit pas en quoi de telles ententes seraient contraires à la Loi ». Elle affirme que le rôle de la Commission d’appel11 n’est pas d’empêcher le règlement des litiges mais plutôt de les favoriser. Elle réitère les critères énoncés dans l’affaire Vaillancourt12, à savoir que lorsque les conclusions recherchées ne débordent pas le cadre de l’appel, qu’elles ne sont pas contraires à l’ordre public et qu’elles ne s’appuient pas sur des faits manifestement faux ou inexacts, la Commission d’appel doit prendre acte de l’entente et rendre une décision en conséquence.
[47] La Commission des lésions professionnelles rappelle ici que ces propos de la Commission d’appel sont d’autant plus exacts depuis 1998 alors que le législateur a donné une importance claire à la conciliation comme mode alternatif de solution des litiges.
[48] Majoritairement basés sur la décision Vaillancourt13, certains autres critères ont été élaborés :
• Les termes de l’accord ne doivent pas déborder le cadre de l’appel;
• Les conclusions recherchées ne doivent pas aller à l’encontre de l’ordre public;
• Les conclusions recherchées ne doivent pas aller à l’encontre des dispositions de la Loi et des règlements applicables;
• L’accord doit respecter les dispositions du Cadre de l’exercice de la conciliation à la Commission des lésions professionnelles;
• Les termes de l’accord ne doivent pas être fondées sur des faits manifestement faux ou inexacts;
• L’accord doit être conclu entre toutes les parties;
• Les parties doivent avoir la capacité juridique;
• Le consentement des parties doit être libre et éclairé.
[49] Dans le cadre de la présente requête, la CSST n’allègue aucun manquement à ces critères. Elle allègue que les faits sont insuffisants pour être prépondérants.
[50] Sur le rôle du juge administratif quant à la preuve présentée, plusieurs décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles en discutent.
[51] Dans l’affaire Perron et Cambior inc.14 la Commission des lésions professionnelles rappelle avec justesse que les questions de faits qui sont au cœur d’un litige doivent être tranchées au mérite par la Commission des lésions professionnelles lorsqu’il y a audition. Toutefois, le débat que les parties veulent éviter en concluant un accord doit être respecté. C’est le propre du processus de conciliation :
[48] La CSST reproche à la Commission des lésions professionnelles de ne pas avoir indiqué, dans la décision entérinant l’accord intervenu, pour quelles raisons elle n’était pas liée par le rapport final du médecin traitant. Le tribunal ne croit pas que ce reproche soit justifié. Lorsqu’elle entérine un accord, la Commission des lésions professionnelles n’a pas à faire une appréciation de la preuve ou à interpréter les règles de droit applicables comme elle est tenue de le faire lorsqu’elle rend une décision sur le mérite du cas après audition des parties. Les exigences quant à la motivation ne sont pas les mêmes. La seule obligation que lui impose la loi est de s’assurer que l’accord est conforme à la loi. Dans le cas particulier qui nous occupe, le tribunal est d’avis que l’accord intervenu était conforme à la loi et que la Commission des lésions professionnelles n’a commis aucune erreur de droit manifeste en entérinant cet accord. Il s’agit d’un accord qui s’inscrit dans le cadre de la contestation qui était devant la Commission des lésions professionnelles et qui s’appuie sur des éléments de preuve, en l’occurrence les opinions unanimes de trois psychiatres, qui supportent parfaitement les conclusions recherchées. La Commission des lésions professionnelles n’avait pas à discuter du statut du docteur Elfassi ni à expliquer pourquoi elle ne se considérait pas liée par le rapport final de ce dernier dans le contexte d’une décision entérinant un accord. Elle n’avait pas à trancher un débat que les parties ont justement voulu éviter en concluant un accord.
[Notre soulignement]
[52] Dans l’affaire Beaulieu et Gemitech inc.15, la Commission des lésions professionnelles rappelle :
Le premier commissaire était tenu d’entériner l’accord dans la mesure où il était conforme à la loi. Il devait non pas procéder à sa propre appréciation de la preuve et à l'interprétation de l’article 365, mais plutôt vérifier que l’accord procède d’un consentement libre et éclairé, qu’il ne déborde pas l’objet du litige, qu’il ne soit pas fondé sur des faits manifestement faux ou inexacts et qu’il n’aille pas à l’encontre de l’ordre public.
[Notre soulignement]
[53] Dans l’affaire Goulet et Fabrique Saint-Romuald16, la Commission des lésions professionnelles indique :
[37] En somme, la Commission des lésions professionnelles ne retient pas la prétention de la CSST à l’effet qu’il lui appartient de vérifier si la preuve au dossier supporte à première vue les conclusions de l’accord. Il lui faut plutôt vérifier si les faits admis par les parties justifient les conclusions de l’accord, ce qui est le cas en l’espèce.
[54] Dans l’affaire Services Matrec inc. et Ringuette17 la Commission des lésions professionnelles indique :
[23] Le premier commissaire a, de plus, commis une autre erreur de droit en analysant la force probante de l’expertise du docteur Desmarchais. Lorsqu’il s’agit d’entériner un accord, le commissaire n’a pas à faire une analyse de la preuve comme il le ferait dans le cadre d’une audience au mérite. Dans la mesure où des éléments de preuve au dossier peuvent, prima facie, justifier les conclusions recherchées, il n’a pas à discuter de cette preuve ni à l’apprécier, ce qu’a fait le premier commissaire dans le cas présent.
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9 19621-03A-90 (1993) C.A.L.P. 1227 .
10 C.A.L.P. 83280-60-9610, 5 juin 1997, Y.Tardif.
11 Et du Bureau de révision.
12 Précitée, note 9.
13 Précitée, note 9.
14 [2003] C.L.P.1641.
15 [2003] C.L.P. 811 (décision sur requête en révision).
16 [2006] C.L.P. 906 (décision sur requête en révision).
17 [2005] C.L.P. 1692 (décision accueillant la requête en révision).
[28] À la lumière de ces enseignements, ni le premier juge administratif ni la soussignée n’ont à analyser l’ensemble de la preuve pour en apprécier la force probante. Leur rôle se limite à vérifier si l’accord est conforme à la loi[10].
[29] La CSST allègue trois erreurs à cet égard.
[30] Premièrement elle prétend que l’accord est fondé sur un fait manifestement faux ou inexact soit l’absence d’évènement. Reproduisons de nouveau le paragraphe 3 de l’accord :
[3] L’événement survenu le 25 septembre 2007 est une rechute, récidive ou aggravation ayant causé une entorse lombaire mal guérie sur une discopathie C4-C5-C6 avec hernie sous ligamentaire L3-L4, L4-L5 et L5-S1 confirmant que la travailleuse est en suivi médical depuis le 10 août 2001.
(Notre soulignement)
[31] La CSST fait valoir qu’on ignore quel est cet évènement, qu’il n’y a au dossier aucune preuve d’un évènement et que la travailleuse n’était plus au travail au moment de sa réclamation, ayant cessé de travailler le 30 juin 2007.
[32] La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision estime qu’il ne s’agit pas là d’un fait manifestement faux ou inexact. Les parties ne décrivent pas un évènement en particulier et le Dr Côté ne réfère à aucun évènement. Il n’y a pas non plus au dossier d’allégation d’évènement.
[33] Cette référence à un «évènement» apparaît être une maladresse de rédaction. La CSST elle-même analyse souvent les dossiers de récidive, rechute ou aggravation en référant à l’évènement de la rechute et à l’évènement d’origine, même s’il n’y a pas nécessairement un évènement dans le sens d’un incident. D’ailleurs, dans le présent dossier, l’agente qui analyse la réclamation note elle-même au dossier que la travailleuse doit démontrer par une preuve médicale objectivée «qu’il y a une RRA en lien avec l’évènement du 25 septembre 2007»[11].
[34] De plus, la reconnaissance d’une récidive, rechute ou aggravation n’exige pas la preuve de la survenance d’un nouvel évènement. Les notions de récidive, rechute ou aggravation ne sont pas définies dans la loi et sont interprétées suivant leur sens courant, soit une reprise évolutive, une réapparition ou recrudescence d’une lésion ou de ses symptômes.
[35] En second lieu, la CSST prétend qu’il y a une erreur puisque l’accord repose sur un nouveau diagnostic d’entorse lombaire, posé par le Dr Côté un an après la réclamation, alors que la CSST a refusé la réclamation pour une récidive, rechute ou aggravation survenue le 25 septembre 2007 en précisant que le médecin a diagnostiqué «une discopathie cervicale C4-C5-C6 et des hernies sous-ligamentaires lombaires L3-L4, L4-L5, L5-S1». Elle prétend que la Commission des lésions professionnelles ne peut tenir compte de ce diagnostic. La travailleuse devait soumettre une nouvelle réclamation si elle souhaitait que ce diagnostic soit analysé.
[36] Elle fait valoir que la Commission des lésions professionnelles tout comme la CSST était liée en vertu de l’article 224 de la loi par le diagnostic posé par le médecin traitant dans son rapport du 18 janvier 2008 (discopathie C4 C5 C6 et hernie sous-ligamentaire L3-L4, L4-L5, L5-S1) et que ce diagnostic est celui de la condition personnelle de la travailleuse.
[37] Le Tribunal ne peut retenir cette prétention. S’il est vrai que la Commission des lésions professionnelles est liée par le diagnostic du médecin traitant, elle procède de novo (art. 377), elle a de larges pouvoirs qui lui permettent d’actualiser la preuve au dossier. Il est vrai qu’à son rapport médical de janvier 2008, le Dr Côté s’est limité au diagnostic concernant la condition de discopathie cervicale et lombaire dont est porteuse la travailleuse. Toutefois, dans sa note de septembre 2008, il indique qu’il a observé une dégénérescence de l’état de cette dernière «au niveau lombaire en lien avec l’évènement de août 2001».
[38] Le terme entorse est souvent galvaudé et utilisé dans son sens large. La reconnaissance d’une récidive, rechute ou aggravation n’implique pas l’identité des diagnostics mais une preuve de relation entre la pathologie présentée lors de la rechute, récidive ou aggravation et la lésion professionnelle initiale. Les parties ont retenu l’opinion du Dr Côté à ce sujet. Cette opinion justifie la conclusion de l’accord.
[39] Le Tribunal ne peut pas conclure que cet accord n’est pas conforme à la loi.
[40] Troisièmement, la CSST invoque que la décision n’est pas suffisamment motivée et qu’elle repose sur l’avis du Dr Côté qui n’est pas lui non plus motivé. Elle dépose la décision rendue par la Cour supérieure dans Rodrigue c. Commission des lésions professionnelles[12] dans laquelle la Cour annule une décision de la Commission des lésions professionnelles pour absence de motivation. La Cour supérieure reprend le test de l’intelligibilité et indique que le lecteur doit être en mesure de comprendre quels sont les éléments qui ont fait pencher la balance.
[41] Or la portée de l’obligation de motivation (art. 429.50 de la loi) doit nécessairement être nuancée dans le cadre d’une décision entérinant un accord. Dans cette affaire, le juge Léger explique que la motivation implique un exercice d’analyse et d’introspection. Il constate que la décision rendue «ne contient aucune appréciation de la preuve entendue et analysée».
[42] Le juge administratif qui entérine un accord n’a pas à faire cet exercice d’analyse de la preuve, cela atténue l’obligation de motivation. Dans une décision récente, Gestion Ressources Richer inc. et Lemire[13], où la CSST fait ce même reproche d’une motivation insuffisante pour une décision entérinant un accord, la Commission des lésions professionnelles rejette cette prétention :
[47] En ce qui a trait aux arguments concernant l'emploi convenable, il y a lieu d'emblée d'écarter celui voulant que la juge administratif ait commis une erreur, en ne motivant pas sa décision d'entériner l'accord sur cette question. Le rôle dévolu au commissaire en vertu de l'article 429.46 de la loi consiste à entériner l'accord après avoir vérifié sa conformité à la loi et il n'a pas à indiquer les raisons qui l'amènent à considérer que l'accord est conforme à la loi.
[43] Certes il aurait été souhaitable dans le présent dossier que l’accord soit davantage élaboré. Cependant la révision ne constitue pas un mécanisme de contrôle de la qualité et, dans le cadre de l’entérinement d’un accord, c’est de la conformité à la loi qu’il faut s’assurer. Il n’y a pas d’erreur à cet égard.
[44] La CSST soutient que pour se protéger de l’arbitraire il faut savoir ce sur quoi les parties se sont basées. En l’espèce, même si l’accord est laconique, on comprend à sa lecture que les parties ont retenu l’opinion du médecin traitant de la travailleuse, le Dr Côté.
[45] Finalement, le Tribunal signale qu’il ne peut retenir les autres considérations soulevées par la CSST. L’allégation qu’il s’agit d’une entente vite faite n’est pas prouvée. De toute façon, cela n’affecte pas sa conformité à la loi. Il en va de même quant à l’impact financier de cet accord au dossier de l’employeur. Cela n’a pas d’incidence sur la conformité à la loi.
[46] La CSST n’a pas démontré que la décision de la Commission des lésions professionnelles du 4 novembre 2008 entérinant l’accord intervenu entre la travailleuse et son employeur comporte des vices de fond de nature à l’invalider. Sa requête en révision est rejetée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête en révision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail.
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Lucie Nadeau |
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M. Jean-François Lahaie |
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C.D.D.S. |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Lukasz Granosik |
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OGILVY RENAULT |
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Représentant de la partie intéressée |
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Me Gaétane Beaulieu |
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PANNETON LESSARD |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783
[3] Bourassa c. Commission des lésions professionnelles, [2003] C.L.P. 601 (C.A.)
[4] [2005] C.L.P. 626 (C.A.). La Cour d’appel réitère cette interprétation quelques semaines plus tard dans CSST c. Touloumi, [2005] C.L.P. 921 (C.A).
[5] Tribunal administratif du Québec c. Godin, [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.)
[6] C.L.P. 3022302-14-0611, 16 novembre 2007, S. Sénéchal
[7] C.L.P. 183796-71-0205, R. Langlois
[8] C’est la date que la CSST retient comme date de récidive, rechute ou aggravation.
[9] C.L.P. 283313-64-0602, 28 juillet 2009, P. Perron
[10] Voir Gestion Ressources Richer inc. et Lemire, C.L.P. 242299-05-0408, 15 octobre 2009, C.-A. Ducharme.
[11] Notes évolutives de la CSST du 28 février 2008.
[12] C.S. Montréal 500-17-035647-075, 18 décembre 2007, j. Léger, 2007LP-240
[13] Précité note 10
AVIS :
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