Roy c. Pavage Méga inc. | 2024 QCCQ 1588 | |||||
COUR DU QUÉBEC | ||||||
« Division des petites créances » | ||||||
CANADA | ||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||
DISTRICT DE | LONGUEUIL | |||||
« Chambre civile » | ||||||
N° : | 505-32-704744-201 | |||||
| ||||||
DATE : | 26 avril 2024 | |||||
______________________________________________________________________ | ||||||
| ||||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | LUC HERVÉ THIBAUDEAU, J.C.Q. | ||||
______________________________________________________________________ | ||||||
PATRICE ROY | ||||||
MARIE-CHANTALE DA-PATRO | ||||||
Demandeurs | ||||||
c. | ||||||
PAVAGE MÉGA INC. | ||||||
Défenderesse | ||||||
______________________________________________________________________ | ||||||
| ||||||
JUGEMENT | ||||||
______________________________________________________________________ | ||||||
I- APERÇU | ||||||
[1] M. Patrice Roy et Mme Marie-Chantale Da-Patro réclament 8 500 $ à Pavage Méga inc. (Méga) Ils prétendent que celle-ci leur vend et installe à leur résidence un pavage d’asphalte qui ne peut servir à un usage normal pendant une durée raisonnable. L’ouvrage présente plusieurs fissures et affaissements peu après son exécution.
[2] Méga prétend d’abord que le recours des demandeurs est prescrit. Ensuite, elle avance que l’affaissement du revêtement est causé par les véhicules que l’on y stationne trop longtemps, par le gel et dégel du sol et par les conditions avoisinantes, dont le remblai, la glaise et les racines d’arbres.
[3] La demande doit être accueillie en partie, pour un montant de 5 750 $. L’ouvrage réalisé par Méga ne peut servir à un usage normal pendant une durée raisonnable. Méga doit rembourser aux demandeurs le prix des services d’installation.
[4] Voici pourquoi.
II- CONTEXTE
[5] Le 18 juillet 2017, M. Roy se fait solliciter par Méga, à son domicile. On lui offre de procéder à la réfection de l’entrée de stationnement en y installant un nouveau pavage d’asphalte. Le représentant de Mega se présente chez M. Roy à deux reprises le même jour. Il l’assure que le travail sera bien exécuté, garantissant « une belle job ». Les demandeurs acceptent.
[6] Les travaux sont complétés le jour même. Méga facture 5 250 $ au demandeur, incluant les taxes[1].
[7] En 2019, M. Roy constate un affaissement de l’asphalte ainsi que des fissures. Le 11 septembre 2019, il contacte Méga. Il se fait alors dire que les employés de Méga sont très occupés et qu’il leur est impossible de venir constater ses doléances. Il ne reçoit aucune communication de retour de Méga et ce, jusqu’à ce que l’hiver débute.
[8] M. Roy contacte de nouveau Méga en juillet 2020. Il rapporte encore une fois les fissures et l’affaissement du pavage et il demande que Méga vienne constater la situation. Alors qu’il demande à la représentante de Méga de s’identifier, celle-ci met fin à la conversation.
[9] M. Roy rapporte à l’audience que les défauts qu’il constate à l’ouvrage de Méga s’empirent avec le temps.
[10] Le 9 juillet 2020, M. Roy transmet une de mise en demeure à Méga, utilisant un formulaire fourni par l’Office de protection du consommateur. Il demande que Méga reprenne ses travaux afin d’assurer que l’asphalte ne fissure plus et ne s’affaisse pas. En cas de non-exécution, il demande d’être compensé à hauteur de 7 000 $. La lettre est livrée à Méga le 15 juillet 2020[2].
[11] Le 30 novembre 2020, M. Roy demande à un autre entrepreneur l’émission d’une soumission pour refaire les travaux de Méga[3].
[12] Le 9 décembre 2020, M. Roy consulte une avocate. Il lui en coute 114,97 $ pour obtenir ses conseils[4].
[13] Ne recevant aucune réponse de Méga à sa lettre de mise en demeure, M. Roy et Mme Da-Patro déposent leur demande devant cette Cour le 14 décembre 2020.
[14] Le 29 janvier 2021, M. Roy reçoit un appel du représentant de Méga qui lui offre de venir corriger les déficiences dont il se plaint, en échange d’un désistement de la demande. Considérant que le stationnement est alors couvert de glace, les parties ne réussissent jamais à s’entendre sur les modalités d’une visite ou d’une compensation. Ils conviennent de reporter le tout au mois de mai 2021[5]. La preuve est muette sur la suite des choses à ce sujet.
A- LE FARDEAU DE PREUVE
[15] Pour réussir dans leur demande, les demandeurs doivent démontrer par une preuve prépondérante le bien-fondé de leurs prétentions. Il s’agit d’une règle de base en matière de preuve, énoncée aux articles 2803 et 2804 du Code civil du Québec[6] (C.c.Q.).
[16] Pour y arriver, sans atteindre la certitude[7], ils doivent produire une preuve qui convainc le Tribunal[8]. La preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante[9]. C’est à la lumière de ce que révèlent les faits les plus probables que les responsabilités sont établies[10]. Cependant, une simple démonstration de la possibilité qu’un fait puisse s’être produit, une hypothèse, n’est pas suffisante[11]. Le Tribunal ne soupèse pas les possibilités. Les faits probables sont ceux qui ont un degré de probabilité supérieur à 50 %[12]. Pour faire rejeter la demande, Méga doit, à son tour, démontrer par preuve prépondérante que le droit allégué par les demandeurs n’existe pas. Cependant, si ceux-ci ne réussissent pas dans leur fardeau, leur demande est rejetée et Méga n’a rien à démontrer.
[17] Une partie échoue à se décharger de son fardeau de la preuve si, au jugement du tribunal, deux versions contradictoires des faits s’équivalent, sans que l’une soit plus vraisemblable que l’autre[13].
B- LE DROIT APPLICABLE
[18] Des travaux de pose de revêtement sont soumis à l’application de la de la Loi sur la protection du consommateur[14] (L.p.c.)[15]. Ceci implique que les articles 34, 37 et 38 L.p.c. régissent les conditions de qualité de l’ouvrage exécuté par Méga. Ces dispositions prévoient ce qui suit :
34. La présente section s’applique au contrat de vente ou de louage de biens et au contrat de service.
37. Un bien qui fait l’objet d’un contrat doit être tel qu’il puisse servir à l’usage auquel il est normalement destiné.
38. Un bien qui fait l’objet d’un contrat doit être tel qu’il puisse servir à un usage normal pendant une durée raisonnable, eu égard à son prix, aux dispositions du contrat et aux conditions d’utilisation du bien.
[19] La garantie des articles 37 et 38 L.p.c. est une application particulière de la garantie contre les vices cachés que l’on retrouve à l’article 1726 C.c.Q.[16] S’agissant d’un contrat de consommation, le régime particulier de la L.p.c. allège le fardeau de preuve du consommateur[17]. Dès que le bien vendu cesse de fonctionner normalement au point où il perd son utilité de façon importante et que le consommateur ne l’aurait pas acheté ou n’aurait pas payé si haut prix s’il avait su, on présume qu’il est affecté d’un vice. Si le consommateur ignore lors de l’achat que le bien est affecté d’un vice, l’article 272 L.p.c. crée une présomption absolue de préjudice donnant ouverture aux remèdes énumérés à cette disposition, dont la réduction de son obligation et l’octroi de dommages[18].
[20] Lorsqu’il est démontré que le bien vendu ne peut servir à un usage normal pendant une durée raisonnable et que le consommateur ignore le défaut du bien lors de l’achat, le commerçant qui veut échapper à sa responsabilité doit démontrer que le consommateur a connaissance du vice lors de l’achat, fait un usage inapproprié du bien, ou qu’une cause externe provoque le défaut dont le consommateur se plaint. Une telle allégation ne doit pas seulement être une hypothèse, elle doit être prouvée[19].
[21] La durée raisonnable de fonctionnement d’un bien est tributaire des attentes raisonnables du consommateur. Ces attentes sont évaluées en utilisant le critère du consommateur moyen[20].
[22] Le consommateur qui constate qu’un bien vendu est affecté d’un vice doit aussi en informer le vendeur par écrit[21]. À moins qu’il s’agisse d’une situation d’urgence, le consommateur qui constate que le bien vendu est affecté d’un vice doit donner au commerçant l’occasion de constater et corriger lui-même le défaut dont il se plaint[22].
[23] Par ailleurs, puisque Méga prétend que la réclamation des demandeurs est prescrite, il faut mentionner les articles 2925 et 2926 C.c.Q. qui prévoient le délai de prescription extinctive et son point de départ :
2925. L’action qui tend à faire valoir un droit personnel ou un droit réel mobilier et dont le délai de prescription n’est pas autrement fixé se prescrit par trois ans.
[24] L’article 2880 C.c.Q. prévoit que ce délai commence à courir le jour où le droit d’action prend naissance. Si ce droit d’action résulte d’un préjudice qui se manifeste graduellement ou tardivement, l’article 2926 C.c.Q. stipule que le délai de prescription court à partir du moment où il se manifeste pour la première fois.
[25] Ces principes étant établis, il s’agit maintenant de les appliquer
C- APPLICATION
[26] La preuve non contredite révèle que c’est en 2019 que l’ouvrage réalisé par Méga commence à s’affaisser et que les fissures apparaissent. C’est donc à ce moment que le dommage allégué par les demandeurs commence à se manifester. La demande étant déposée le 14 décembre 2020, le droit d’action des demandeurs n’est pas prescrit.
[27] Les photographies déposées à l’audience ainsi que le témoignage de M. Roy non contredit démontrent que l’ouvrage complété par Méga est affecté de fissures en plusieurs endroits[23]. Certaines d’entre elles sont d’ailleurs assez longues.
[28] Méga soumet que sa facture mentionne que son ouvrage est garanti pour un an seulement et que cette garantie couvre les réparations et les affaissements mais pas les fissures. Il convient toutefois que pour une installation du type de celle qui est complétée chez M. Roy, on ne s’attend pas à ce que des fissures se manifestent. Toutefois il précise qu’un recouvrement d’asphalte ne peut durer indéfiniment.
[29] Le Tribunal peut concevoir que l’ouvrage complété n’est pas éternel mais retient quand même qu’il ne fait pas partie des attentes raisonnables du consommateur moyen de voir des fissures se manifester dans un pavage d’asphalte après deux ans[24].
[30] Il faut aussi ajouter que les garanties prévues à la L.p.c. sont d’ordre public et que l’on ne peut demander à un consommateur d’y déroger par convention[25]. C’est la raison pour laquelle le Tribunal écarte la garantie d’un an qui figure à la facture de Méga. La garantie à laquelle les demandeurs ont droit est la garantie d’usage normal pour une durée raisonnable prévue aux articles 37 et 38 L.p.c. Cette durée s’apprécie en fonction du prix payé pour le service ou le produit, les dispositions du contrat et les conditions d’utilisation du bien. Ces critères d’appréciation figurent à l’article 38 L.p.c. reproduit plus haut.
[31] Dans le présent cas, les représentations de Méga lors de la conclusion du contrat ainsi que le prix qu’elle demande pour compléter les travaux justifient les demandeurs de s’attendre à ce que l’ouvrage dure plusieurs années[26]. Puisque ce n’est pas le cas, le vice est présumé[27].
[32] Méga ne fait pas la preuve que les demandeurs ne font pas un usage approprié de leur espace de stationnement, qu’ils l’entretiennent mal ou que l’usure prématurée résulte d’une cause externe[28]. On ne peut alléguer une simple possibilité de ces causes d’exonération. Il faut les démontrer par preuve prépondérante[29], ce qui n’est pas fait.
[33] Le Tribunal conclut que l’ouvrage exécuté par Méga ne peut servir à un usage normal pendant une durée raisonnable. Il y a un vice d’usage. Ce vice est dénoncé dans un délai raisonnable de sa découverte[30]. Aucune preuve ne démontre que les demandeurs ne permettent pas à Méga de le constater.
[34] Celui qui paie pour la pose d’un pavage a droit à une compensation équitable si le travail est mal exécuté[31]. Ici, le représentant de Méga soulève que la soumission qui est déposée en demande[32] vise des travaux plus étendus que ceux qui sont effectués chez M. Roy. On y suggère non seulement une nouvelle excavation mais aussi la pose de gravier sur une épaisseur de douze pouces. M. Roy le reconnait d’ailleurs.
[35] Les principes généraux d’indemnisation prévus au droit commun s’appliquent en droit de la consommation. Les dommages-intérêts doivent compenser seulement le préjudice qui est une conséquence immédiate et directe de la faute commise[33]. Celui qui a droit d’être compensé doit être replacé dans la situation où il se serait retrouvé si l’autre partie avait correctement exécuté ses obligations, mais sans s’enrichir[34]. Le consommateur ne peut profiter de l’existence d’un vice affectant son bien pour procéder à des réparations additionnelles et demander au commerçant d’en défrayer les coûts[35].
[36] Considérant que l’ouvrage ne peut servir à un usage normal pendant une durée raisonnable, les demandeurs ont droit au remboursement du prix de 5 250 $ facturé par Méga. Ils ont aussi droit à 500 $ pour compenser leurs troubles et inconvénients divers.
[37] La demande de remboursement des frais d’avocat n’est pas accordée. Les faits ne démontrent pas un abus de procédure ou une autre situation justifiant son octroi[36].
[38] C’est pourquoi la demande est accueillie en partie, pour un montant de 5 750 $, Ce montant porte intérêts au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle à compter du 9 juillet 2020, date de la mise en demeure.
[39] Finalement, les frais de justice des demandeurs doivent être assumés par Méga, suivant la règle générale de l’article 340 du Code de procédure civile[37].
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[40] ACCUEILLE la demande, en partie;
[41] CONDAMNE la défenderesse Pavage Méga inc. à payer 5 750 $ aux demandeurs Patrice Roy et Marie-Chantale Da-Patro, portant intérêts au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle à compter du 9 juillet 2020;
[42] CONDAMNE la défenderesse Pavage Méga inc. à payer les frais de justice des demandeurs Patrice Roy et Marie-Chantale Da-Patro, au montant de 193 $.
| |
| __________________________________ LUC HERVÉ THIBAUDEAU, J.C.Q. |
| |
| |
Date d’audience : 23 avril 2024 |
[1] Facture du 18 juillet 2017, Pièce P-2
[2] Lettre de mise en demeure du 9 juillet 2020 et preuve de livraison, Pièce P-3.
[3] Soumission du 30 novembre 2020, Pièce P-6.
[4] Facture du 9 décembre 2020, Pièce p-9.
[5] Voir la chronologie des faits déposée par le demandeurs, Pièce P-8.
[6] RLRQ, c. CCQ-1991.
[7] Boiler Inspection and Insurance Company of Canada c. Moody Industries Inc.,
[8] F.H. c. Mc Dougall,
[9] Guimond c. 2844-5195 Québec inc.,
[10] Parent c. Lapointe,
[11] SSQ, société d’assurances générales inc. c. Ford du Canada ltée,
[12] Daunais c. Farrugia,
[13] Lezoka c. Bonenfant,
[14] RLRQ, c. P-40.1.
[15] Poirier c. Béton Bolduc inc.,
[16] Fortier c. Meubles Léon ltée,
[17] Fortin c. Mazda Canada inc.,
[18] Fortin c. Mazda Canada inc.,
[19] Langevin c. Roulottes Chaudière,
[20] Fortin c. Mazda Canada inc.,
[21] Truchon c. Honda Canada inc.,
[22] Truchon c. Honda Canada inc.,
[23] Voir les photographies nos 4 à 8 de la Pièce p-1.
[24] Fortin c. Mazda Canada inc.,
[25] Articles 261-262 L.p.c.; Roberge c. Groupe Laro Alta inc.,
[26] Articles 41 et 42 L.p.c.
[27] Fortin c. Mazda Canada inc.,
[28] Villeneuve c. Club Piscine Plus CPPQ (Brossard) inc.,
[29] Articles 2803-2804 C.c.Q.; Tremblay c. 9180-6778 Québec inc. (Pavco),
[30] Voir la mise en demeure du 9 juillet 2020, Pièce P-3.
[31] Sévigny c. Martel (Pavage 2000),
[32] Soumission du 30 novembre 2020, pièce P-6.
[33] Bolduc c. Jean Croteau (2011) inc. (Meubles Croteau,
[34] Gagnon Desmarais c. 9266-8318 Québec inc. (Auto Max Économie),
[35] Rehmat c. Centre-Ville Volkswagen,
[36] Viel c. Entreprises immobilières du terroir Ltée., 2002 CanLII 41120 (QC CA).
[37] RLRQ, c. C-25.01.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.