Décision

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Organisation mondiale sikhe du Canada c. Procureur général du Québec

2024 QCCA 254

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

NOS:

500-09-029537-214, 500-09-029539-210, 500-09-029541-216

500-09-029544-210, 500-09-029545-217, 500-09-029546-215

500-09-029549-219, 500-09-029550-217

(500-17-108353-197) (500-17-109731-193) (500-17-109983-190)

(500-17-107204-193)

 

DATE :

29 février 2024

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

MANON SAVARD, J.c.Q.

YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 

N°: 500-09-029537-214

(500-17-108353-197)

 

ORGANISATION MONDIALE SIKHE DU CANADA

AMRIT KAUR

APPELANTES – intervenantes

c.

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

INTIMÉ – défendeur

et

ICHRAK NOUREL HAK

CONSEIL NATIONAL DES MUSULMANS CANADIENS (CNMC)

CORPORATION DE L’ASSOCIATION CANADIENNE DES LIBERTÉS CIVILES

MIS EN CAUSE – demandeurs

et

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

QUEBEC COMMUNITY GROUPS NETWORK

MOUVEMENT LAÏQUE QUÉBÉCOIS

POUR LES DROITS DES FEMMES DU QUÉBEC – PDF QUÉBEC

AMNISTIE INTERNATIONALE, SECTION CANADA FRANCOPHONE

LIBRES PENSEURS ATHÉES

MIS EN CAUSE – intervenants


et

L’ASSOCIATION DE DROIT LORD READING

MISE EN CAUSE

 

N°: 500-09-029539-210

(500-17-107204-193) (500-17-108353-197) (500-17-109731-193) (500-17-109983-190)

 

MOUVEMENT LAÏQUE QUÉBÉCOIS

APPELANT/INTIMÉ INCIDENT – intervenant

c.

 

COMMISSION SCOLAIRE ENGLISH-MONTREAL

MUBEENAH MUGHAL

PIETRO MERCURI

INTIMÉS/APPELANTS INCIDENTSdemandeurs

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

JEAN-FRANÇOIS ROBERGE, ès qualités

SIMON JOLIN-BARRETTE, ès qualités

MIS EN CAUSE – défendeurs

et

ICHRAK NOUREL HAK

CONSEIL NATIONAL DES MUSULMANS CANADIENS (CNMC)

CORPORATION DE L’ASSOCIATION CANADIENNE DES LIBERTÉS CIVILES

ANDRÉA LAUZON

HAKIMA DADOUCHE

BOUCHERA CHELBI

COMITÉ JURIDIQUE DE LA COALITION INCLUSION QUÉBEC

FÉDÉRATION AUTONOME DE LENSEIGNEMENT

MIS EN CAUSE – demandeurs

et

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

QUEBEC COMMUNITY GROUPS NETWORK

L’ASSOCIATION DE DROIT LORD READING

ORGANISATION MONDIALE SIKHE DU CANADA

AMRIT KAUR

AMNISTIE INTERNATIONALE, SECTION CANADA FRANCOPHONE

POUR LES DROITS DES FEMMES DU QUÉBEC PDF QUÉBEC

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA (AFPC)

MIS EN CAUSE – intervenants


et

ASSOCIATION DES COMMISSIONS SCOLAIRES ANGLOPHONES DU QUÉBEC

FÉDÉRATION DES FEMMES DU QUÉBEC

FONDS D’ACTION ET D’ÉDUCATION JURIDIQUE POUR LES FEMMES

INTERVENANTS

 

N°: 500-09-029541-216

(500-17-107204-193) (500-17-108353-197) (500-17-109731-193) (500-17-109983-190)

 

L’ASSOCIATION DE DROIT LORD READING

APPELANTE – intervenante

c.

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

INTIMÉ – défendeur

et

ANDRÉA LAUZON

HAKIMA DADOUCHE

BOUCHERA CHELBI

COMITÉ JURIDIQUE DE LA COALITION INCLUSION QUÉBEC

ICHRAK NOUREL HAK

CONSEIL NATIONAL DES MUSULMANS CANADIENS (CNMC)

CORPORATION DE L’ASSOCIATION CANADIENNE DES LIBERTÉS CIVILES

MIS EN CAUSE – demandeurs

et

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

QUEBEC COMMUNITY GROUPS NETWORK

MOUVEMENT LAÏQUE QUÉBÉCOIS

MIS EN CAUSE – intervenants

 

N°: 500-09-029544-210

(500-17-107204-193)

 

FÉDÉRATION AUTONOME DE L’ENSEIGNEMENT

APPELANTE – demanderesse

c.

 

JEAN-FRANÇOIS ROBERGE, ès qualités

SIMON JOLIN-BARRETTE, ès qualités

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

INTIMÉS – défendeurs

 

et

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA (AFPC)

MISE EN CAUSE – intervenante

et

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

QUEBEC COMMUNITY GROUPS NETWORK

MOUVEMENT LAÏQUE QUÉBÉCOIS

L’ASSOCIATION DE DROIT LORD READING

MIS EN CAUSE

 

N°: 500-09-029545-217

(500-17-109731-193)

 

ANDRÉA LAUZON

HAKIMA DADOUCHE

BOUCHERA CHELBI

COMITÉ JURIDIQUE DE LA COALITION INCLUSION QUÉBEC

APPELANTS – demandeurs

c.

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

INTIMÉ – défendeur

et

L’ASSOCIATION DE DROIT LORD READING

MISE EN CAUSE – intervenante

et

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

QUEBEC COMMUNITY GROUPS NETWORK

MOUVEMENT LAÏQUE QUÉBÉCOIS

MIS EN CAUSE

et

ALLIANCE DES CHRÉTIENS EN DROIT

FÉDÉRATION DES FEMMES DU QUÉBEC

FONDS D’ACTION ET D’ÉDUCATION JURIDIQUE POUR LES FEMMES

INTERVENANTS

 


N°: 500-09-029546-215

(500-17-107204-193) (500-17-108353-197) (500-17-109731-193) (500-17-109983-190)

 

ICHRAK NOUREL HAK

CONSEIL NATIONAL DES MUSULMANS CANADIENS (CNMC)

CORPORATION DE L’ASSOCIATION CANADIENNE DES LIBERTÉS CIVILES

APPELANTS – demandeurs

c.

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

INTIMÉ – défendeur

et

ORGANISATION MONDIALE SIKHE DU CANADA

AMRIT KAUR

AMNISTIE INTERNATIONALE, SECTION CANADA FRANCOPHONE

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

QUEBEC COMMUNITY GROUPS NETWORK

MOUVEMENT LAÏQUE QUÉBÉCOIS

L’ASSOCIATION DE DROIT LORD READING

POUR LES DROITS DES FEMMES DU QUÉBEC – PDF QUÉBEC

LIBRES PENSEURS ATHÉES

MIS EN CAUSE – intervenants

 

N°: 500-09-029549-219

(500-17-107204-193) (500-17-108353-197) (500-17-109731-193) (500-17-109983-190)

 

POUR LES DROITS DES FEMMES DU QUÉBEC – PDF QUÉBEC

APPELANT/INTIMÉ INCIDENT – intervenant

c.

 

COMMISSION SCOLAIRE ENGLISH-MONTREAL

MUBEENAH MUGHAL

PIETRO MERCURI

INTIMÉS/APPELANTS INCIDENTS – demandeurs

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

JEAN-FRANÇOIS ROBERGE, ès qualités

SIMON JOLIN-BARRETTE, ès qualités

MIS EN CAUSE – défendeurs

et

ANDRÉA LAUZON

HAKIMA DADOUCHE

BOUCHERA CHELBI

COMITÉ JURIDIQUE DE LA COALITION INCLUSION QUÉBEC

FÉDÉRATION AUTONOME DE L’ENSEIGNEMENT

ICHRAK NOUREL HAK

CONSEIL NATIONAL DES MUSULMANS CANADIENS (CNMC)

CORPORATION DE L’ASSOCIATION CANADIENNE DES LIBERTÉS CIVILES

MIS EN CAUSE – demandeurs

et

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

MOUVEMENT LAÏQUE QUÉBÉCOIS

QUEBEC COMMUNITY GROUPS NETWORK

L’ASSOCIATION DE DROIT LORD READING

ORGANISATION MONDIALE SIKHE DU CANADA

AMRIT KAUR

AMNISTIE INTERNATIONALE, SECTION CANADA FRANCOPHONE

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA (AFPC)

MIS EN CAUSE – intervenants

et

ASSOCIATION DES COMMISSIONS SCOLAIRES ANGLOPHONES DU QUÉBEC

FÉDÉRATION DES FEMMES DU QUÉBEC

FONDS D’ACTION ET D’ÉDUCATION JURIDIQUE POUR LES FEMMES

INTERVENANTS

 

N°: 500-09-029550-217

(500-17-107204-193) (500-17-108353-197) (500-17-109731-193) (500-17-109983-190)

Appel incident de la Commission scolaire English Montreal et al.

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

JEAN-FRANÇOIS ROBERGE, ès qualités

SIMON JOLIN-BARRETTE, ès qualités

APPELANTS/INTIMÉS INCIDENTS – défendeurs

c.

 

ICHRAK NOUREL HAK

CONSEIL NATIONAL DES MUSULMANS CANADIENS (CNMC)

CORPORATION DE L’ASSOCIATION CANADIENNE DES LIBERTÉS CIVILES FÉDÉRATION AUTONOME DE L’ENSEIGNEMENT

ANDRÉA LAUZON

HAKIMA DADOUCHE

BOUCHERA CHELBI

COMITÉ JURIDIQUE DE LA COALITION INCLUSION QUÉBEC

INTIMÉS – demandeurs

et

COMMISSION SCOLAIRE ENGLISH-MONTREAL

MUBEENAH MUGHAL

PIETRO MERCURI

INTIMÉS/APPELANTS INCIDENTS demandeurs

et

QUEBEC COMMUNITY GROUPS NETWORK

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

MOUVEMENT LAÏQUE QUÉBÉCOIS

L’ASSOCIATION DE DROIT LORD READING

POUR LES DROITS DES FEMMES DU QUÉBEC – PDF QUÉBEC

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA (AFPC)

ORGANISATION MONDIALE SIKHE DU CANADA

AMRIT KAUR

AMNISTIE INTERNATIONALE, SECTION CANADA FRANCOPHONE

LIBRES PENSEURS ATHÉES

MIS EN CAUSE – intervenants

et

FRANÇOIS PARADIS, ès qualités

ASSOCIATION DES COMMISSIONS SCOLAIRES ANGLOPHONES DU QUÉBEC

FÉDÉRATION DES FEMMES DU QUÉBEC

FONDS D’ACTION ET D’ÉDUCATION JURIDIQUE POUR LES FEMMES

INTERVENANTS

 

N°: 500-09-029550-217

(500-17-107204-193) (500-17-108353-197) (500-17-109731-193) (500-17-109983-190)

Appel incident de Quebec Community Groups Network

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

JEAN-FRANÇOIS ROBERGE, ès qualités

SIMON JOLIN-BARRETTE, ès qualités

APPELANTS/INTIMÉS INCIDENTS – défendeurs

c.

 

ICHRAK NOUREL HAK

CONSEIL NATIONAL DES MUSULMANS CANADIENS (CNMC)

CORPORATION DE L’ASSOCIATION CANADIENNE DES LIBERTÉS CIVILES FÉDÉRATION AUTONOME DE L’ENSEIGNEMENT

ANDRÉA LAUZON

HAKIMA DADOUCHE

BOUCHERA CHELBI

COMITÉ JURIDIQUE DE LA COALITION INCLUSION QUÉBEC

COMMISSION SCOLAIRE ENGLISH-MONTREAL

MUBEENAH MUGHAL

PIETRO MERCURI

INTIMÉS/MIS EN CAUSE INCIDENTS – demandeurs

et

QUEBEC COMMUNITY GROUPS NETWORK

MIS EN CAUSE/APPELANT INCIDENT – intervenant

et

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

MOUVEMENT LAÏQUE QUÉBÉCOIS

L’ASSOCIATION DE DROIT LORD READING

POUR LES DROITS DES FEMMES DU QUÉBEC – PDF QUÉBEC

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA (AFPC)

ORGANISATION MONDIALE SIKHE DU CANADA

AMRIT KAUR

AMNISTIE INTERNATIONALE, SECTION CANADA FRANCOPHONE

LIBRES PENSEURS ATHÉES

MIS EN CAUSE – intervenants

et

FRANÇOIS PARADIS, ès qualités

ASSOCIATION DES COMMISSIONS SCOLAIRES ANGLOPHONES DU QUÉBEC

FÉDÉRATION DES FEMMES DU QUÉBEC

FONDS D’ACTION ET D’ÉDUCATION JURIDIQUE POUR LES FEMMES

INTERVENANTS

 


 

 

TABLE DES MATIÈRES

 

 

I.    OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES   18

II.    PRÉSENTATION GÉNÉRALE DU LITIGE    19

A.   Présentation de la Loi   19

1.    Préambule 20

2.    Chapitre I : affirmation de la laïcité de l’État (art. 1 à 5)  20

3.    Chapitres II et III : interdiction de porter un signe religieux (art. 6) et services à visage découvert (art. 7 à 10)              23

4.    Chapitre IV : dispositions diverses (art. 11 à 17)  29

5.    Chapitre V : dispositions modificatives (art. 18 à 30)    29

6.    Chapitre VI : dispositions transitoires et finales (art. 31 à 36)  30

B.   Jugement de première instance      33

C.   Moyens d’appel  35

III.   ANALYSE  39

PARTIE I : ARGUMENTS CONSTITUTIONNELS NON RATTACHÉS AUX DROITS FONDAMENTAUX              39

A.   Partage des compétences législatives     39

1.    Cadre d’analyse  39

2.    Qualification de la Loi   43

a.    Éléments intrinsèques  43

b.    Éléments extrinsèques  49

c.    Effets de la Loi   51

d.    Conclusion sur la qualification 52

3.    Classification de la Loi  53

4.    Conclusion 54

B.   Lois préconfédératives  55

1.    Considérations préliminaires  55

2.    Acte de Québec  57

3.    Lois coloniales antérieures à la Confédération    74

a.    Loi sur les rectoreries   75

b.    Loi Hart    90

C.   Architecture constitutionnelle et principes non écrits   93

D.   Article 31 de la Charte canadienne   103

PARTIE II : ARGUMENTS FONDÉS SUR LES DROITS FONDAMENTAUX    108

A.   Recours aux dispositions de dérogation   108

1.    Portée des dispositions de dérogation     109

a.    Article 33 de la Charte canadienne   109

b.    Article 52 de la Charte québécoise   116

2.    Portée de l’arrêt Ford   119

a.    Article 33 de la Charte canadienne   119

b.    Article 52 de la Charte québécoise   123

3.    Règle du stare decisis et exceptions 124

a.    Nouvelle question juridique   124

i.    Article premier de la Charte canadienne    125

ii.    Dérogation à l’application des deux chartes 129

iii.   Dérogation aux droits judiciaires (art. 23-38 de la Charte québécoise) et aux garanties juridiques (art. 7-14 de la Charte canadienne)              130

iv.   Évolution du droit international et de la jurisprudence de la Cour suprême 132

b.    Modification de la situation ou de la preuve 137

4.    Conclusion 141

B.   Violation des droits fondamentaux et réparations déclaratoires ou pécuniaires              141

1.    Inapplicabilité des art. 2 et 7 à 15 de la Charte canadienne et 1 à 38 de la Charte québécoise              143

2.    Effet des articles 33 de la Charte canadienne et 52 de la Charte québécoise sur le contrôle judiciaire et les réparations qui peuvent en découler              149

a.    Absence de contrôle judiciaire de la conformité de la Loi avec les art. 2 ou 7 à 15 de la Charte canadienne ou avec les art. 1 à 38 de la Charte québécoise ainsi qu’avec leurs dispositions justificatrices respectives              150

b.    Inapplicabilité du par. 24(1) de la Charte canadienne et des art. 49 de la Charte québécoise ainsi que 142 et 529 C.p.c. comme source de contrôle judiciaire              158

c.    Récapitulatif     161

3.    Argument subsidiaire : doctrine des questions théoriques    163

4.    Conclusion 171

5.    Observations additionnelles sur l’usage des dispositions de dérogation et sur le rôle des institutions démocratiques              172

C.   Égalité des sexes 175

1.    Article 28 de la Charte canadienne   176

a.    Prétentions des parties 176

b.    Principes d’interprétation applicables 180

i.    Observations générales sur l’article 28 de la Charte canadienne     180

ii.    Règles d’interprétation de la Charte canadienne  182

c.    Sens et portée de l’article 28 de la Charte canadienne   183

2.    Article 28 : texte, contexte et jurisprudence 184

i.    Articles 28 et 1 de la Charte canadienne    193

ii.    Articles 28 et 33 de la Charte canadienne   195

iii.   Récapitulatif     206

3.    Article 50.1 de la Charte québécoise 207

D.   Droits linguistiques constitutionnellement protégés    209

1.    Article 23 de la Charte canadienne   209

2.    Dispositif du jugement de première instance     211

3.    Bref retour sur les motifs livrés en première instance   212

4.    Cadre d’application de l’article 23 de la Charte canadienne    213

a.    Prétentions des parties 213

b.    Principes d’interprétation applicables 217

c.    Genèse des droits garantis par l’article 23 de la Charte canadienne  218

i.    Origine    218

ii.    Portée     220

5.    Analyse et décision     225

a.    État actuel de la jurisprudence relative à l’article 23     225

b.    Effet de l’article 23 en l’occurrence  243

E.    Éligibilité aux élections législatives provinciales  247

1.    Bref retour sur les motifs livrés en première instance   249

2.    Analyse    250

a.    Privilège parlementaire 250

b.    Article 8 et paragraphe 1° de l’annexe III de la Loi 259

i.    Suffisance du fondement factuel     259

ii.    Obligation pour les députés d’avoir le visage découvert et article 3 de la Charte canadienne              262

Interprétation de l’article 3 de la Charte canadienne     263

Application à l’article 8 al. 1 et au paragraphe 1° de l’annexe III de la Loi    267

iii.   Article premier de la Charte canadienne    268

iv.   Remarque additionnelle 270

c.    Article 6 et paragraphes 1° et 6° de l’annexe II de la Loi  271

F.    Exercices de dénombrement  274

IV.   CONCLUSION    276

ANNEXE : LOI SUR LA LAÏCITÉ DE L’ÉTAT 280

 


 

 

ARRÊT

 

 

[1]                Par jugement daté du 20 avril 2021[1], la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Marc-André Blanchard), déclare inopérantes, sous deux rapports, certaines dispositions de la Loi sur la laïcité de l’État[2], loi validée pour le reste. Voici la portion pertinente du dispositif de ce jugement (dont on verra plus loin la portée et dont les composantes seront réexaminées en détail) :

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[…]

Dans le dossier 500-17-108353-197 (Le dossier Hak)

[1128] ACCUEILLE en partie la demande;

[1129] DÉCLARE que le premier paragraphe de l’Annexe III de la Loi sur la laïcité de l’État, RLRQ c. L-0.3, lu en conjonction avec le premier alinéa de l’article 8 de cette même loi, viole l’article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés;

[1130] DÉCLARE que cette violation ne peut se justifier aux termes de l’article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés;

[1131] DÉCLARE inopérant le premier paragraphe de l’Annexe III de la Loi sur la laïcité de l’État, RLRQ c. L-0.3, en vertu de l’article 52 de la Charte canadienne des droits et libertés;

[1132] Avec les frais de justice incluant les frais d’experts;

[1133] REJETTE les autres demandes et interventions;

[1134] Sans frais de justice.

Dans le dossier 500-17-109731-193 (Le dossier Lauzon)

[1135] REJETTE la demande et l’intervention;

[1136] Sans frais de justice.

Dans le dossier 500-17-109983-190 (Le dossier English Montreal School Board)

[1137] ACCUEILLE en partie la demande;

[1138] DÉCLARE que le premier alinéa de l’article 4, les articles 6, 7, 8, 10, le premier et le deuxième alinéa de l’article 12, les articles 13, 14 et 16, lus en conjonction avec le paragraphe 7 de l’annexe I, le paragraphe 10 de l’annexe II et le paragraphe 4 de l’annexe III de la Loi sur la laïcité de l’État, RLRQ c. L-0.3, violent l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés;

[1139] DÉCLARE que ces violations ne peuvent se justifier aux termes de l’article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés;

[1140] DÉCLARE inopérants le premier alinéa de l’article 4, les articles 6, 7, 8, 10, le premier et le deuxième alinéa de l’article 12, les articles 13, 14 et 16, lus en conjonction avec le paragraphe 7 de l’annexe I, le paragraphe 10 de l’annexe II et le paragraphe 4 de l’annexe III de la Loi sur la laïcité de l’État, RLRQ c. L-0.3, en vertu de l’article 52 de la Charte canadienne des droits et libertés pour toute personne, tant physique que morale, qui peut bénéficier des garanties prévues à l’article 23 de cette même Charte;

[1141] Avec les frais de justice, incluant les frais d’experts, au bénéfice des demanderesses.

Dans le dossier 500-17-107204-193 (Le dossier FAE)

[1142] REJETTE la demande et l’intervention;

[1143] Sans frais de justice.

[2]                Le procureur général du Québec de même que Me Simon Jolin-Barrette, en sa qualité de ministre de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion (tel qu’il était alors) et M. Jean-François Roberge, en sa qualité de ministre de l’Éducation (tel qu’il était alors)[3], font appel des conclusions énoncées aux paragraphes 1128 à 1132 du jugement de première instance (conclusions relatives au caractère inopérant du paragraphe 1° de l’annexe III de la Loi en conjonction avec l’art. 8 al. 1 de la Loi, et ce, au regard de l’art. 3 de la Charte canadienne des droits et libertés[4]). Le président de l’Assemblée nationale, M. François Paradis (tel qu’il était alors)[5], intervient devant notre cour à ce sujet, faisant valoir divers arguments rattachés au privilège parlementaire dont le jugement de première instance discute en marge du débat relatif à l’art. 3 de la Charte canadienne.

[3]                Le PGQ fait en outre appel des conclusions énoncées aux paragraphes 1137 à 1141 du jugement de première instance (conclusions relatives au caractère inopérant de certaines dispositions de la Loi eu égard aux garanties prévues par l’art. 23 de la Charte canadienne). Le Mouvement laïque québécois[6] se pourvoit lui aussi contre ces dernières conclusions, tout comme l’organisme Pour les droits des femmes du Québec – PDF Québec[7].

[4]                Sous divers angles, les personnes ou groupes de personnes suivants font également appel des autres conclusions du jugement de première instance, qui rejettent, en totalité ou en partie, leurs recours ou leurs interventions :

- Fédération autonome de l’enseignement[8];

- Ichrak Nourel Hak, Conseil national des musulmans canadiens et Corporation de l’Association canadienne des libertés civiles[9];

- Andréa Lauzon, Hakima Dadouche, Bouchera Chelbi et Comité juridique de la Coalition Inclusion Québec[10];

- Organisation mondiale sikhe du Canada et Amrit Kaur[11];

- L’Association de droit Lord Reading[12].

[5]                La Commission scolaire English-Montreal, Mubeenah Mughal et Pietro Mercuri[13] ainsi que le Quebec Community Groups Network[14], se pourvoient également par appel incident.

[6]                Certaines des parties appelantes ou appelantes incidentes ont parallèlement statut de mises en cause dans les dossiers les unes des autres. Enfin, les autres parties agissant devant la Cour y sont à titre de mises en cause seulement ou d’intervenantes (Président, Fédération des femmes du Québec et Fonds d’action et d’éducation juridique pour les femmes[15], Commission canadienne des droits de la personne[16], Association des commissions scolaires anglophones du Québec[17], Amnistie internationale, section Canada francophone[18], Alliance de la fonction publique du Canada[19] et Alliance des chrétiens en droit[20]).

[7]                Il n’est pas utile de donner ici le détail de chacun des appels, appels incidents et interventions ni de relater immédiatement les différents points de vue défendus par chacune des parties. Il suffira de dire pour le moment que le débat d’appel est, pour l’essentiel, une reprise de celui qui s’est déroulé devant la Cour supérieure, renforcé par la participation de nouvelles parties intervenantes et enrichi par des arguments supplémentaires liés aux erreurs qui, selon les uns et les autres, entacheraient le jugement de première instance. Comme on le constatera par ailleurs, même si l’on peut diviser les parties en deux groupes, pour ou contre la Loi respectivement, les approches diffèrent parfois sensiblement selon les protagonistes d’un même groupe, qui font valoir une variété de moyens. Il est donc plus simple d’en discuter ultérieurement, dans le cadre de chacun des chapitres de l’analyse à laquelle se livrera la Cour.

[8]                Cette analyse, disons-le immédiatement, conduira à une réformation partielle du jugement de première instance. Ainsi, à l’instar du juge de première instance, la Cour estime que :

                    la Loi est valide au regard du partage constitutionnel des compétences déterminé par la Loi constitutionnelle de 1867[21];

                    la Loi ne contrevient ni aux principes non écrits de la Constitution canadienne, ni à l’architecture de celle-ci, ni à quelque loi ou principe préconfédératif ayant valeur constitutionnelle;

                    les art. 33 et 34 de la Loi, qui dérogent respectivement aux art. 1 à 38 de la Charte des droits et libertés de la personne[22] et aux art. 2 et 7 à 15 de la Charte canadienne, sont conformes aux dispositions de dérogation prévues par ces chartes (art. 52 de la première et 33 de la seconde), dispositions dont l’usage est sujet aux seules conditions de forme énoncées par l’arrêt Ford c. Québec (Procureur général)[23], conditions remplies en l’espèce;

                     en raison de ces dispositions dérogatoires valides, la Loi est soustraite à l’examen judiciaire qui aurait autrement pu en être fait au regard des art. 2 et 7 à 15 de la Charte canadienne et des art. 1 à 38 de la Charte québécoise et il n’y a pas lieu de se pencher sur la question ni d’envisager un jugement déclaratoire ou une quelconque autre réparation;

                    la Loi n’enfreint ni l’art. 28 de la Charte canadienne ni l’art. 50.1 de la Charte québécoise (égalité des sexes);

                    l’art. 6 et les paragraphes 1° et 6° de l’annexe II de la Loi (interdiction du port de signes religieux pour les président/vice-présidents de l’Assemblée nationale et le ministre de la Justice) n’enfreignent pas l’art. 3 de la Charte canadienne (éligibilité aux élections législatives);

                     l’art. 8 al. 1 de la Loi, dans son application aux personnes que vise le premier paragraphe de l’annexe III de ladite loi (obligation du visage découvert dans l’exercice des fonctions des membres de l’Assemblée nationale), porte atteinte aux droits que consacre l’art. 3 de la Charte canadienne, sans justification au sens de l’article premier de celle-ci, et doit par conséquent être déclaré inopérant en vertu de l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982[24];

                    les exercices de dénombrement pratiqués par le gouvernement avant l’adoption de la Loi ne dérogent à aucune norme constitutionnelle ou législative.

[9]                Par contre, de l’avis de la Cour, la Loi ne déroge pas à l’art. 23 de la Charte canadienne et n’affecte pas les droits scolaires linguistiques que cette disposition reconnaît aux citoyens canadiens appartenant à la minorité anglophone du Québec. Le jugement de première instance sera donc infirmé sur ce point.

[10]           Avant d’exposer les motifs qui mènent la Cour à ces conclusions, quelques observations préliminaires sont de mise, que suivront un rappel du contenu de la Loi et un résumé du jugement de première instance.

I. Observations préliminaires

[11]           Que la Loi soit objet de controverse n’étonne évidemment pas. Elle soulève en effet un débat véritable et légitime, auquel sont transposables les propos récents de notre collègue le juge Mainville dans A. B. c. Procureur général du Québec[25] :

[38] Comme j’ai eu l’occasion de le signaler dans un autre contexte, lorsque se soulèvent, comme ici, des questions sur les rapports entre l’État et les religions, sur lesquelles de profondes divergences peuvent raisonnablement exister au sein d’une société libre et démocratique, il y a lieu pour les tribunaux d’agir avec prudence et circonspection vu la diversité des approches à ces questions et la difficulté de former une conception uniforme de la signification de la religion dans la société. Le rôle et l’impact de la religion dans la société, de même que les formes de l’expression publique d’une conviction religieuse et de sa place au sein des institutions publiques, ne sont pas les mêmes suivant les époques et les contextes. Ils varient en fonction de facteurs sociologiques et idéologiques mouvants, des traditions nationales et des exigences imposées par la protection des droits et libertés d’autrui et le maintien de l’ordre public dans une société donnée. La conception de la symbolique religieuse et sa place dans l’espace public ne sont d’ailleurs pas perçues de façon identique par chaque société. Des visions divergentes de ces questions peuvent donc exister au sein d’une même société et d’une société à l’autre, sans pour autant nécessairement en conclure qu’une vision plutôt qu’une autre mène inéluctablement à la violation de la liberté de religion.

[Renvoi omis]

[12]           Et si le débat public est vif en ce qui touche l’impact de la Loi sur les libertés de religion et d’expression et la portée même de celles-ci, il l’est tout autant en ce qui concerne le droit à l’égalité, et particulièrement à l’égalité des sexes.

[13]           L’on peut certainement entretenir des opinions diverses au sujet de la Loi et de son opportunité, que ce soit politiquement, sociologiquement ou moralement. Le présent arrêt, toutefois, ne s’intéressera évidemment qu’à l’aspect juridique du débat. La Cour, comme avant elle la Cour supérieure, agit en effet ici dans le cadre d’un processus de contrôle de la légalité de la Loi, processus initié par différents groupes de justiciables, et ne statue pas sur la sagesse de celleci. Son champ d’intervention est par conséquent limité.

[14]           Bien sûr, on ne peut occulter le fait que les questions juridiques ont souvent une connotation politique (au sens large) ou sont indissociables du contexte politique (au même sens large). Cela n'est pas anormal : après tout, les lois, comme les chartes qui protègent les droits et libertés, sont elles-mêmes l’expression juridique d’une volonté politique, celle du législateur ou du constituant. Le droit est donc parfois bien près du politique. Mais c’est néanmoins par la seule lorgnette juridique que seront tranchées les nombreuses questions soumises à la Cour dans le cadre du présent dossier.

II. Présentation générale du litige

A. Présentation de la Loi

[15]           La Loi sur la laïcité de l’État, telle qu’adoptée et sanctionnée le 16 juin 2019, compte trente-six articles et trois annexes, le tout chapeauté d’un préambule de huit paragraphes. Elle est divisée en six chapitres :

                    le premier (art. 1 à 5) affirme la laïcité de l’État québécois et précise la portée de la Loi ainsi que les obligations générales qui en découlent;

                    le deuxième comporte une seule disposition (art. 6), qui interdit aux personnes mentionnées dans l’annexe II de la Loi le port d’un signe religieux dans l’exercice de leurs fonctions;

                    le troisième (art. 7 à 10) impose aux personnes mentionnées dans les annexes I et III de la Loi d’exécuter leurs fonctions à visage découvert (sauf exception), obligeant en même temps la clientèle des services publics et parapublics à se découvrir le visage, temporairement, pour des raisons d’identification ou de sécurité;

                    le quatrième (art. 11 à 17), sous la rubrique « Dispositions diverses / Miscellaneous Provisions », pourvoit à la primauté de la Loi sur les lois antérieures et postérieures (sauf exception) ainsi qu’à ses modalités d’application, prohibe les accommodements relatifs aux art. 6 et 8 et précise la portée ou l’effet de certaines normes;

                    le cinquième (art. 18 à 30) modifie la Charte québécoise et la Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État et visant notamment à encadrer les demandes d’accommodements pour un motif religieux dans certains organismes[26];

                    le sixième et dernier chapitre contient des dispositions transitoires et finales (art. 31 à 36), dont deux ont une importance particulière aux fins du présent litige : par l’intermédiaire des art. 33 et 34, le législateur exerce en effet le pouvoir dérogatoire qui lui est dévolu par l’art. 52 de la Charte québécoise et par l’art. 33 de la Charte canadienne.

[16]           Voyons plus avant ce qu’il en est.

[17]           Signalons que, sauf exception, les paragraphes qui suivent ne reproduiront pas les dispositions de la Loi, dont le texte est toutefois joint au présent arrêt.

1. Préambule

[18]           Le préambule, dont l’effet juridique, principalement interprétatif, est limité, présente les motifs qui ont guidé la rédaction de la Loi ainsi que l’objet de celle-ci. On y trouve donc une déclaration de l’intention législative, articulant la thèse qui fonde la Loi et qui se veut un compromis entre droits collectifs, droits individuels et volonté de raffermir le principe de la neutralité religieuse de l’État, élevé, sous le vocable de « laïcité de l’État », au rang d’élément prépondérant de l’ordre juridique québécois.

[19]           Comment la Loi met-elle cette déclaration d’intention en œuvre?

2. Chapitre I : affirmation de la laïcité de l’État (art. 1 à 5)

[20]           Les art. 1 et 2 de la Loi posent d’abord le principe même de la laïcité de l’État québécois et définissent celle-ci :

1. L’État du Québec est laïque.

1. The State of Québec is a lay State.

2. La laïcité de l’État repose sur les principes suivants :

 la séparation de l’État et des religions;

 la neutralité religieuse de l’État;

 l’égalité de tous les citoyens et citoyennes;

 la liberté de conscience et la liberté de religion.

2. The laicity of the State is based on the following principles:

(1) the separation of State and religions;

(2) the religious neutrality of the State;

(3) the equality of all citizens; and


(4) freedom of conscience and freedom of religion.

[21]           Ces deux dispositions, a priori, reflètent en substance l’état actuel du droit, sauf sur un point où elles établissent un lien formel inédit.

[22]           Les différents États fédéral et provinciaux constitutifs de la fédération canadienne sont en effet laïques (même s’il n’est pas fréquent que ce qualificatif soit utilisé pour les décrire), c’est-à-dire qu’ils sont « indépendant[s] vis-à-vis du clergé et de l'Église, et plus généralement de toute confession religieuse »[27]. Il est vrai que l’expression « séparation de l’État et des religions » (ou « séparation de l’Église et de l’État ») n’est pas une expression courante du droit canadien et québécois, mais cette séparation correspond à une double réalité[28] : il n’existe pas de religion officielle au Canada ou dans les provinces[29] et, dans l’exercice de leurs pouvoirs et de leurs fonctions, les instances étatiques n’ont plus de liens opérationnels avec les religions ou leurs institutions (encore qu’il demeure quelques points d’intersection entre elles[30]). Elles sont tenues à une obligation de neutralité religieuse aujourd’hui bien établie[31]. Celle-ci résulte ellemême « de l’interprétation évolutive de la liberté de conscience et de religion »[32] et coexiste avec cette dernière, que les chartes canadienne et québécoise consacrent désormais. Cette neutralité religieuse impose à l’État le respect, en toute égalité, de la liberté de religion des individus, mais l’empêche en même temps de se livrer à une pratique religieuse, d’adopter ou de favoriser une croyance, y compris par l’intermédiaire de ses représentants[33]. On peut en ce sens parler bel et bien d’une séparation entre l’État et les religions[34].

[23]           Là où la Loi innove, peut-être, c’est lorsqu’elle inclut expressément au nombre des principes constitutifs de la laïcité « l’égalité de tous les citoyens et citoyennes / the equality of all citizens ». Ce principe d’égalité, caractéristique fondamentale des sociétés démocratiques, est déjà garanti par notre droit et notamment par l’art. 15 de la Charte canadienne (en ce qui concerne l’État) ainsi que par l’art. 10 de la Charte québécoise (ce dernier garantit l’exercice en toute égalité des droits reconnus par cette charte et vise les acteurs étatiques autant que les acteurs privés). Si la Loi relie le principe d’égalité à la laïcité, c’est vraisemblablement en raison des tensions entre les préceptes religieux et l’égalité, tout particulièrement l’égalité des sexes et, plus généralement, l’égalité des genres ou des identités de genre.

[24]           Dans la foulée de l’affirmation de cette laïcité et des principes sur lesquels elle s’appuie, l’art. 3 de la Loi, disposition générale, enjoint à l’ensemble des institutions constitutives de l’État (c.-à-d. les institutions parlementaires, gouvernementales et judiciaires) de se conformer à l’art. 2 (et implicitement à l’art. 1) « en fait et en apparence / in fact and in appearance ». L’art. 4, qui établit le droit de toute personne à des institutions étatiques et à des services publics laïques, ajoute à cette exigence le respect de l’art. 6 de la Loi (interdiction du port de signes religieux par certaines personnes)[35] ainsi que celui du devoir de neutralité défini par la Loi sur la neutralité religieuse de l’État. Sous réserve de quelques exceptions limitées, ce dernier impose principalement aux agents publics d’agir, dans l’exercice de leurs fonctions, sans privilégier ou désavantager quiconque en raison de son appartenance ou de sa nonappartenance à une religion ou encore en raison de leurs propres convictions ou croyances religieuses ou de celles d’une personne en autorité[36].

[25]           Clôturant le chapitre I de la Loi, l’art. 5, sans remettre en cause l’application du principe de laïcité aux tribunaux qu’énumère l’art. 3 al. 2(3°), laisse toutefois au Conseil de la magistrature[37] le soin d’établir les règles de sa mise en œuvre à l’égard des juges de la Cour du Québec, du Tribunal des droits de la personne, du Tribunal des professions et des cours municipales ainsi qu’à l’égard des juges de paix magistrats. La disposition s’explique vraisemblablement par la volonté de respecter le précepte constitutionnel de l’indépendance judiciaire[38], dans ses composantes tant individuelles qu’institutionnelles[39]. L’art. 5 ne s’applique cependant pas à la Cour d’appel et à la Cour supérieure, tribunaux qui ne sont visés que par l’art. 3 al. 2(3°) de la Loi[40]. On peut croire que c’est le même souci de respecter l’indépendance judiciaire, doublé d’une préoccupation relative au partage constitutionnel des compétences en la matière (art. 96 de la LC 1867), qui explique ce choix législatif.

3. Chapitres II et III : interdiction de porter un signe religieux (art. 6) et services à visage découvert (art. 7 à 10)

[26]           La Loi, en ses art. 6 à 10, procède à l’édiction de deux normes de conduite spécifiquement destinées à assurer la laïcité consacrée par ses premiers articles, et ce, au chapitre de l’apparence.

[27]           C’est ainsi que l’art. 6 de la Loi interdit à certains représentants, agents ou mandataires de l’État de porter des signes religieux lorsqu’ils ou elles sont dans l’exercice de leurs fonctions. Sauf exception (art. 9), les art. 7 et 8 obligent en outre le personnel des ministères et des organismes gouvernementaux publics et parapublics, ainsi que les députés de l’Assemblée nationale et autres personnes œuvrant dans les services publics ou parapublics, à agir à visage découvert (même là où le port de signes religieux est par ailleurs permis). Dans certains cas précis[41], cette obligation peut être étendue aux personnes ou sociétés qui contractent avec l’État ou en reçoivent une aide financière (art. 10). La Loi prescrit également qu’une personne désireuse d’obtenir un service public se découvre le visage lorsque la vérification de son identité l’exige, ou encore des motifs de sécurité (art. 8 al. 2).

[28]           S’agissant d’une disposition qui est au cœur du présent débat, il convient de reproduire dès à présent l’art. 6 :

6. Le port d’un signe religieux est interdit dans l’exercice de leurs fonctions aux personnes énumérées à l’annexe II.

Au sens du présent article, est un signe religieux tout objet, notamment un vêtement, un symbole, un bijou, une parure, un accessoire ou un couvre-chef, qui est :

 soit porté en lien avec une conviction ou une croyance religieuse;

 soit raisonnablement considéré comme référant à une appartenance religieuse.

6. The persons listed in Schedule II are prohibited from wearing religious symbols in the exercise of their functions.

A religious symbol, within the meaning of this section, is any object, including clothing, a symbol, jewellery, an adornment, an accessory or headwear, that

(1) is worn in connection with a religious conviction or belief; or

(2) is reasonably considered as referring to a religious affiliation.

[29]           La définition donnée au signe religieux, premier élément balisant l’application de cet interdit, est limitée à l’« objet / object » porteur d’une signification religieuse, qu'il s'agisse d’un vêtement, symbole, bijou, parure, accessoire, couvre-chef ou autre. Elle ne s’étend donc pas à la caractéristique physique, comme la barbe, par exemple, ou un tatouage, même s’il s’agissait-là de marqueurs religieux : le législateur n’a pas voulu viser ce qui se rapporte à l’intégrité du corps lui-même. Par ailleurs, l’objet interdit est celui qui répond à l’une ou l’autre des conditions suivantes : il est porté en lien avec une conviction ou une croyance religieuse ou il peut raisonnablement être considéré comme référant à une appartenance religieuse. Il n’est pas dit que cette définition ne soit pas susceptible de donner prise à des débats d’interprétation, mais elle donne une idée générale des objets que le législateur entend proscrire aux fins de l’art. 6[42].

[30]           Pour bien cerner la portée de cette disposition, cependant, on ne peut s’arrêter à la définition du signe religieux et il faut évidemment lire la disposition en conjonction avec l’annexe II, qui dresse en effet la liste exhaustive des personnes visées par l’interdit, à savoir :

 le président et les vice-présidents de l’Assemblée nationale (le président – ou, en suppléance, l’un ou l’autre des vice-présidents – dirige les séances de l’Assemblée, administre ses services et la représente[43]);

 les juges de paix fonctionnaires, greffiers et shérifs visés par la Loi sur les tribunaux judiciaires ou les greffiers visés par la Loi sur les cours municipales[44], ainsi que le registraire des faillites;

 les membres d’organismes administratifs multifonctionnels et tribunaux administratifs québécois[45] (entités exerçant des fonctions régulatrices et/ou juridictionnelles spécifiquement étatiques);

 les commissaires nommés en vertu de la Loi sur les commissions d’enquête[46], de même que les avocats et notaires agissant pour une telle commission;

 les arbitres (de différends ou de griefs) nommés par le ministre du Travail et dont le nom figure sur la liste dressée par lui en vertu du Code du travail[47] (qui exercent eux aussi des fonctions juridictionnelles);

 le ministre de la Justice et procureur général du Québec, le directeur des poursuites criminelles et pénales, les procureurs aux poursuites criminelles et pénales ainsi que les avocats et notaires de l’État et de ses différentes instances (sauf exception), incluant les cadres juridiques;

 les personnes exerçant la fonction d’avocat à l’emploi d’un poursuivant régi par l’art. 9, par. 2 ou 3 du Code de procédure pénale[48] (sauf exception) et agissant en matière criminelle ou pénale devant un tribunal ou auprès de tiers;

 les avocats et notaires agissant devant un tribunal ou auprès de tiers en vertu d’un contrat de services juridiques conclu avec diverses instances publiques (et qui représentent donc celles-ci – et, conséquemment, l'État – dans leurs relations avec autrui);

 les agents de la paix exerçant principalement leurs fonctions au Québec;

10° les directeurs, directeurs adjoints et enseignants des établissements d’enseignement relevant de la compétence d’un centre de services scolaire institué par la Loi sur l’instruction publique ou par la Loi sur le Centre de services scolaire du Littoral[49] (c.-à-d. les écoles publiques dispensant l’enseignement préscolaire, primaire et secondaire; le personnel enseignant des écoles privées offrant ces programmes n’est pas visé, pas plus que ne l’est celui des cégeps et des universités).

[31]           Comme on le constate, les personnes énumérées par l’annexe II détiennent dans l’exercice de leurs fonctions un pouvoir typiquement étatique ou présentent une incarnation forte de la mission étatique ou encore des exigences de la neutralité de l’État. C’est à elles, et à elles seulement, que l’art. 6 de la Loi interdit le port de signes religieux. Toute autre personne œuvrant pour, auprès ou au nom de l’État québécois a en effet le droit de porter des signes religieux dans l’exercice de ses fonctions (sous réserve de la restriction imposée par l’art. 8 al. 1, infra), ce qui, aux yeux du législateur, n’est pas contraire à la laïcité de l’État. C’est d’ailleurs pourquoi il a limité l’interdiction de tels signes aux seules personnes qu’énumère l’annexe II de la Loi. L’art. 6 de la Loi ne vise par ailleurs pas les entités privées (sauf dans la mesure où une personne du secteur privé agirait comme mandataire de l’État dans les cas prévus par l’annexe II) et pas davantage la conduite des individus dans leur vie privée. Elle ne vise pas non plus l’espace public en général, où le port de signes religieux est permis sans restriction.

[32]           L’obligation de prodiguer et de recevoir des services publics à visage découvert est quant à elle réglée par les art. 7 à 10. Nous ne reproduirons ici que les art. 7 et 8, qui sont le fondement de ce chapitre de la Loi :

7. Pour l’application du présent chapitre, on entend par « membre du personnel d’un organisme » un membre du personnel d’un organisme énuméré à l’annexe I ainsi qu’une personne mentionnée à l’annexe III qui est assimilée à un tel membre.

7. For the purposes of this chapter, “personnel member of a body” means a member of the personnel of a body listed in Schedule I or a person listed in Schedule III who is considered to be such a member.

8. Un membre du personnel d’un organisme doit exercer ses fonctions à visage découvert.

De même, une personne qui se présente pour recevoir un service par un membre du personnel d’un organisme doit avoir le visage découvert lorsque cela est nécessaire pour permettre la vérification de son identité ou pour des motifs de sécurité. La personne qui ne respecte pas cette obligation ne peut recevoir le service qu’elle demande, le cas échéant.

Pour l’application du deuxième alinéa, une personne est réputée se présenter pour recevoir un service lorsqu’elle interagit ou communique avec un membre du personnel d’un organisme dans l’exercice de ses fonctions.

8. Personnel members of a body must exercise their functions with their face uncovered.

Similarly, persons who present themselves to receive a service from a personnel member of a body must have their face uncovered where doing so is necessary to allow their identity to be verified or for security reasons. Persons who fail to comply with that obligation may not receive the service requested, where applicable.

For the purposes of the second paragraph, persons are deemed to be presenting themselves to receive a service when they are interacting or communicating with a personnel member of a body in the exercise of the personnel member’s functions.

[33]           Pour bien saisir la portée de ces dispositions, il faut considérer les annexes I et III de la Loi, la règle prévue par l’art. 8 al. 1 ne visant que les personnes figurant dans ces annexes, ainsi que le précise l’art. 7.

[34]           En gros, on peut dire que l’annexe I vise toutes les institutions et tous les organismes publics et parapublics, des ministères aux centres de la petite enfance, des sociétés d’État aux municipalités, sociétés de transport en commun, centres de services scolaires, collèges d’enseignement général et professionnel ainsi qu’établissements universitaires[50], et autres. Les services prodigués par les « membre[s] du personnel / personnel member[s] » de ces organismes doivent l’être à visage découvert.

[35]           Quant à l’annexe III, elle vise une variété de personnes exerçant des fonctions publiques ou parapubliques ou dispensant des services publics ou parapublics. Mentionnons, par exemple[51], les députés de l’Assemblée nationale et les membres du personnel de celle-ci ou du lieutenant-gouverneur[52], les élus municipaux (sauf exception[53]), les membres des conseils d’administration des centres de services scolaires, ceux des tribunaux administratifs (y compris les arbitres visés par le Code du travail), les agents de la paix, mais aussi les médecins, dentistes ou sages-femmes exerçant leurs fonctions dans un établissement de santé public, de même que les personnes responsables d’un service de garde éducatif en milieu familial subventionné et leur personnel.

[36]           Aucune des personnes visées par les art. 7 et 8 al. 1 ne peut donc exercer ses fonctions autrement qu’à visage découvert[54], sauf l’exception prévue par l’art. 9 (personne dont le visage est couvert pour des raisons de santé ou de handicap ou parce que sa fonction ou sa tâche l’exige).

[37]           Finalement, sans les y obliger, l’art. 10 permet aux organismes énumérés à l’annexe I ainsi qu’aux institutions parlementaires définies à l’art. 3 de la Loi d’exiger de toute personne avec laquelle ils contractent ou à qui ils octroient une aide financière de fournir ses services à visage découvert, « lorsque ce contrat ou l’octroi de cette aide financière a pour objet la prestation de services inhérents à la mission de l’organisme ou lorsque les services sont exécutés sur les lieux de travail du personnel de cet organisme / if the contract or the granting of financial assistance is for the provision of services that are inherent in the body’s mission or if the services are performed in its personnel’s place of work ». La sous-traitance ou l’impartition de services publics ou parapublics peut donc, à ces conditions, engendrer une extension de la règle du service à visage découvert.

[38]           L’obligation que l’art. 8 al. 2 et 3 impose par ailleurs aux bénéficiaires des services offerts par les organismes ou personnes mentionnés dans les annexes I et III est limitée : ces bénéficiaires, lorsqu’ils ou elles se présentent pour recevoir un tel service, doivent « avoir le visage découvert lorsque cela est nécessaire pour permettre la vérification de [leur] identité ou pour des motifs de sécurité / must have their face uncovered where doing so is necessary to allow their identity to be verified or for security reasons ». Une fois cette vérification achevée ou satisfaits les impératifs de sécurité, les bénéficiaires peuvent recevoir le service à visage couvert.

[39]           Il paraît opportun de souligner ici, comme le font valoir les parties opposées à la Loi, que l’art. 8 de celle-ci affecte principalement les femmes qui, par conviction religieuse, portent le niqab ou la burqa, vêtements dont le port est également prohibé par l’art. 6. Il faut toutefois préciser que, sauf lorsqu’elles exercent les fonctions tombant sous le coup des annexes de la Loi, ces personnes sont libres de porter de tels vêtements en raison de leurs convictions religieuses : en effet, sous réserve de se conformer à la règle qu’instaure l’art. 8 al. 2 (qui n’exige qu’un bref dévoilement)[55], les femmes qui portent le niqab ou la burqa ne sont pas exclues des lieux de toutes sortes où l’État s’active ou offre ses services et, en tant qu’utilisatrices de ces services ou comme « acteurs privés »[56], elles ont plein accès à l’espace étatique ou « paraétatique ». Enfin, elles ne sont exclues non plus de l’espace public en général[57], auquel la Loi ne s’intéresse pas, pas plus qu’elle ne cible leur vie privée, d’ailleurs.

4. Chapitre IV : dispositions diverses (art. 11 à 17)

[40]           Passons maintenant à ces dispositions diverses que sont les art. 11 à 17 de la Loi.

[41]           Le premier alinéa de l’art. 11 renforce les objectifs de la Loi en assurant la suprématie de celle-ci sur les lois postérieures, sauf exception législative expresse. Le second alinéa fait réserve à cette suprématie en ce qui concerne les lois antérieures : les art. 1 à 3 de la Loi ne l’emportent pas sur les lois antérieures qui y seraient contraires.

[42]           Les art. 12 et 13 prévoient un régime de supervision et de mise en œuvre de la Loi, régime qui ne s’applique cependant pas aux institutions parlementaires et judiciaires.

[43]           L’art. 14 prohibe de son côté tout accommodement qui aurait pour effet de déroger aux exigences des art. 6 et 8 ou de les adapter à la situation d’un individu.

[44]           Quant aux art. 15 et 16, ils prescrivent respectivement que l’interdiction de porter un signe religieux fait partie intégrante du contrat de services de l’avocat ou du notaire mentionné au par. 8° de l’annexe II (art. 15), aucune convention, entente collective ou contrat de travail ne pouvant par ailleurs contenir de disposition contraire à la Loi, sous peine de nullité (art. 16)[58].

[45]           Enfin, le chapitre IV de la Loi se termine sur l’art. 17, disposition interprétative destinée à préserver le patrimoine mobilier, immobilier et toponymique québécois, marqué par un historique religieux.

5. Chapitre V : dispositions modificatives (art. 18 à 30)

[46]           Les dispositions modificatives du chapitre V de la Loi seront passées sous silence, à l’exception de celles qui touchent la Charte québécoise et l’art. 1 de la Loi sur la neutralité religieuse de l’État, modifications dont la validité a été contestée en première instance. Ainsi, les art. 18 et 19 de la Loi modifient le préambule et l’art. 9.1 de la Charte québécoise afin d’y introduire l’élément « laïcité de l’État / State laicity », qui devient un principe d’interprétation et d’application de cette charte. L’art. 21 de la Loi modifie par ailleurs l’art. 1 de la Loi sur la neutralité religieuse de l’État afin d’assurer la concordance de ces deux lois.

6. Chapitre VI : dispositions transitoires et finales (art. 31 à 36)

[47]           Des six dispositions transitoires et finales de la Loi, trois méritent attention.

[48]           Ainsi, l’art. 31 énonce une exception à l’application de l’art. 6 de la Loi, en préservant le droit de certaines personnes énumérées par l’annexe II – et notamment le personnel enseignant visé par le par. 10° de celle-ci – de porter des signes religieux dans l’exercice des fonctions qu’elles occupaient au moment de l’entrée en vigueur de la Loi et tant qu’elles exercent celles-ci au sein de la même organisation.

[49]           Les art. 33 et 34, respectivement fondés sur les art. 52 de la Charte québécoise et 33 de la Charte canadienne, prescrivent pour leur part ce qui suit :

33. La présente loi ainsi que les modifications qu’elle apporte à la Loi favorisant la neutralité religieuse de l’État et visant notamment à encadrer les demandes d’accommodements pour un motif religieux dans certains organismes s’appliquent malgré les articles 1 à 38 de la Charte des droits et libertés de la personne (chapitre C12).

33. This Act and the amendments made by it to the Act to foster adherence to State religious neutrality and, in particular, to provide a framework for requests for accommodations on religious grounds in certain bodies apply despite sections 1 to 38 of the Charter of human rights and freedoms (chapter C-12).

34. La présente loi ainsi que les modifications qu’elle apporte par son chapitre V ont effet indépendamment des articles 2 et 7 à 15 de la Loi constitutionnelle de 1982 (annexe B de la Loi sur le Canada, chapitre 11 du recueil des lois du Parlement du Royaume-Uni pour l’année 1982).

34. This Act and the amendments made by Chapter V of this Act have effect notwithstanding sections 2 and 7 to 15 of the Constitution Act, 1982 (Schedule B to the Canada Act, chapter 11 in the 1982 volume of the Acts of the Parliament of the United Kingdom).

[50]           Il n’est pas nécessaire de commenter ici ces dispositions dérogatoires, qui feront plus loin l’objet d’une analyse complète par la Cour.

*   *   *   *   *   *

[51]           Pour terminer cette présentation de la Loi, il n’est peut-être pas inopportun de rappeler que la question de la laïcité de l’État a fait au Québec l’objet d’une longue conversation sociale et politique. Celle-ci ne date pas de la Révolution tranquille (quoiqu’elle se soit effectivement accélérée au cours des années 1960) et elle a mené à la laïcisation graduelle d’un État québécois qui a longtemps entretenu des rapports serrés, plus ou moins formels, avec l’Église catholique (prioritairement), notamment en matière d’éducation, là où l’art. 93 de la LC 1867 offrait du reste une garantie fondée sur une division religieuse entre catholicisme et protestantisme (disparue en 1997). Cette transformation des relations État québécois-religions est bien résumée par le rapport de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, sous l’égide des professeurs Gérard Bouchard et Charles Taylor[59].

[52]           Il est d’ailleurs pertinent de mentionner ce rapport, publié en 2008, puisque la Loi s’en inspire, du moins dans ses grandes orientations, ainsi que dans sa terminologie : le rapport use ainsi du concept de « laïcité » (terme adopté par la Loi), « comprise dans le contexte de l’idéal plus général de neutralité auquel l’État doit aspirer, s’il veut traiter les citoyens de façon juste »[60]. La Commission Bouchard-Taylor, comme on l’a surnommée, créée en 2007 à la suite d’une série d’événements médiatisés relatifs aux pratiques d’accommodement en matière religieuse, a procédé à une longue enquête au terme de laquelle elle a entre autres proposé une laïcité étatique « ouverte »[61], fondée sur quatre grands principes, ceux de l’égalité morale des personnes, de la liberté de conscience et de religion, de la neutralité de l’État à l’égard des religions et de la séparation de l’Église et de l’État[62]. On reconnaîtra là les quatre piliers de la laïcité définie par l’art. 2 de la Loi.

[53]           Le rapport Bouchard-Taylor proposait également que certains agents de l’État occupant « des postes qui représentent de façon marquée la neutralité de l’État ou dont les mandataires exercent un pouvoir de coercition »[63], à savoir les « [p]résident et viceprésidents de l’Assemblée nationale, juges et procureurs de la Couronne, policiers et gardiens de prison »[64], respectent un « devoir de réserve quant à l’expression de leurs convictions religieuses »[65] et s’abstiennent (ou, plus exactement, soient tenus de s’abstenir) de porter des signes religieux[66]. Comme on le sait, la Loi reprend cette recommandation en son art. 6, encore qu’elle ait ajouté à la liste de ceux et celles qui doivent s’abstenir d’une telle manifestation religieuse plusieurs personnes dont on peut penser qu’aux yeux du législateur elles incarnent l’État, exercent un pouvoir étatique, remplissent une mission essentiellement étatique ou encore doivent afficher une neutralité exemplaire dans l’exercice de leurs fonctions. Au nombre de ces ajouts figure ainsi le personnel enseignant des écoles primaires et secondaires publiques, qui incarneraient l’une des fonctions premières de l’État québécois. Cette inclusion a suscité de vives critiques et s’est souvent trouvée au cœur du débat (y compris dans le présent dossier, où la question du personnel enseignant a pris une place importante, en particulier au chapitre de la preuve). À cet égard, on notera que la Loi s’est écartée du rapport Bouchard-Taylor, qui ne recommandait pas une telle mesure et suggérait même explicitement l’inverse[67].

[54]           On sait qu’après le rapport Bouchard-Taylor, la discussion socio-politique sur la neutralité et la laïcité de l’État a continué, à des degrés d’intensité variables selon les époques et les gouvernements, pour aboutir à l’adoption de la Loi, en juin 2019.

B. Jugement de première instance

[55]           Les parties opposées à la Loi ont soulevé en première instance plusieurs moyens que l’on peut regrouper ainsi : d’un côté, les moyens d’ordre constitutionnel qui ne sont pas foncièrement rattachés à la Charte canadienne ou à la Charte québécoise; de l’autre, les moyens fondés sur ces chartes, et principalement sur la première. S’y ajoutent deux réclamations particulières, l’une liée aux réparations potentielles, l’autre aux exercices de dénombrement menés par le gouvernement avant l’adoption de la Loi. Rappelons que toutes les parties n’ont pas présenté les mêmes moyens, mais nous ferons ici l’économie des distinctions entre ce que chacune d’elles a plaidé précisément, ce dont le jugement de première instance, en ses par. 169 à 188, donne un compte-rendu tout à la fois succinct et fidèle.

[56]           Au terme d’une analyse fouillée des moyens et des arguments des uns et des autres, le jugement de première instance, comme on l’a vu d’entrée de jeu[68], rejette largement la contestation des parties opposées à la Loi, sauf sur deux points d’importance :

- d’une part, il conclut que l’art. 8 al. 1 de la Loi, en ce qu’il s’applique aux députés de l’Assemblée nationale (mentionnés au par. 1° de l’annexe III), enfreint l’art. 3 de la Charte canadienne (disposition protégeant les droits démocratiques des citoyens et citoyennes), et ce, d’une manière qui n’est pas justifiée par l’article premier de celle-ci;

- d’autre part, il conclut que les art. 4 al. 1, 6, 7, 8 et 10, 12 al. 1 et 2, 13, 14, et 16, lus en conjonction avec les paragraphes 7° de l’annexe I, 10° de l’annexe II et 4° de l’annexe III, sont contraires à l’art. 23 de la Charte canadienne (disposition protégeant les droits à l’instruction dans la langue de la minorité).

Les dispositions en question sont en conséquence déclarées inopérantes.

[57]           Au paragraphe 4 de son jugement, le juge offre un condensé de ses conclusions :

[4] En résumé, pour les motifs qui suivent le Tribunal conclut que :

- L’exercice de dénombrement effectué par l’État avant l’adoption de la Loi 21 ne donne pas ouverture au prononcé d’une injonction telle que la demande la Fédération autonome de l’enseignement;

- La Loi 21 possède tous les attributs d’une loi sur l’ordre et la moralité publique, mais elle ne tombe pas dans le champ de compétence fédérale du droit criminel en vertu de l’article 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867, car la règle du stare decisis impose que pour ce faire elle doit comporter une peine, alors que la Loi 21 n’en comporte aucune;

- La Loi 21 relève plutôt du champ de compétence provinciale selon l’article 92(16) de la L.C. 1867 qui traite des matières d’une nature purement locale ou privée dans la province lorsqu’on analyse la Loi 21 uniquement en fonction des personnes qu’elle vise dans le milieu de l’éducation; de l’article 92(4) qui traite de la création et de la tenue des charges provinciales, de la nomination et du paiement des officiers provinciaux pour le reste de la Loi 21, bien que les articles 13 à 16 de la Loi 21 relèvent de l’article 92(13) qui traite de la propriété et des droits civils dans la province puisque ces articles traitent des conventions collectives, alors que la modification de la Charte des droits et libertés de la personne, et donc de la Constitution du Québec, découle de l’article 45 de la Loi constitutionnelle de 1982;

- Les lois préconfédératives, en l’espèce l’Acte de Québec de 1774, la Loi de 1852 sur les « rectoreries » et la Loi Hart de 1832 ne permettent pas d’invalider les dispositions de la Loi 21;

- La Loi 21 ne viole ni l’architecture constitutionnelle canadienne ni la règle de la primauté du droit;

- Les articles 5 et 6 de la Loi 21 ne violent pas le principe de l’indépendance judiciaire;

- La modification de la Charte québécoise ne requiert pas l’application de règle particulière et elle peut se faire avec une majorité simple des membres de l’Assemblée nationale;

- La règle du stare decisis fait en sorte que l’arrêt Ford doit recevoir application. Par conséquent, l’utilisation des clauses de dérogation par le législateur s’avère juridiquement inattaquable;

- L’utilisation par le législateur des clauses de dérogation apparaît excessive, parce que trop large, bien que juridiquement inattaquable dans l’état actuel du droit;

- L’exercice de la discrétion judiciaire milite en faveur du refus de la demande de jugement déclaratoire qui s’appuie sur une interprétation jusqu’à ce jour inédite des termes de l’article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés;

- L’article 28 de la Charte canadienne, qui garantit l’égalité des droits pour les deux sexes, ne possède pas une portée autre qu’interprétative et il ne permet pas d’invalider des lois de façon autonome;

- La conjugaison de l’effet du premier alinéa de l’article 8 de la Loi 21 et du premier paragraphe de son annexe III viole l’article 3 de la Charte canadienne, et en l’absence de toute preuve ou démonstration en vertu de l’article premier de la Charte, il s’ensuit une déclaration du caractère inopérant du premier paragraphe de l’annexe III de la Loi 21 vu l’article 52 de la Charte;

- Le premier alinéa de l’article 4, les articles 6, 7, 8, 10, le premier et le deuxième alinéa de l’article 12, les articles 13, 14 et 16 lus en conjonction avec le paragraphe 7 de l’annexe I, le paragraphe 10 de l’annexe II et le paragraphe 4 de l’annexe III de la Loi 21 violent l’article 23 de la Charte canadienne, tel qu’interprété par la Cour suprême du Canada, qui prévoit des garanties pour les institutions publiques d’enseignement des minorités linguistiques;

- Les défenseurs de la Loi 21 ne parviennent pas à se décharger du fardeau de démontrer qu’il s’agit là de violations qui peuvent se justifier aux termes de l’article premier de la Charte;

- L’article 52 de la Charte canadienne entraîne une déclaration du caractère inopérant de ces articles au bénéfice de toute personne ou entité qui peut jouir des garanties prévues à l’article 23 de cette même Charte.

[Renvois omis]

[58]           Bien qu’il n’en fasse pas mention dans le récapitulatif ci-dessus, le juge rejette également la prétention selon laquelle la Loi enfreindrait la liberté de circulation garantie par l’art. 6 de la Charte canadienne[69]. Il rejette de même la demande de dommagesintérêts que lui présentait le Groupe Lauzon.

C. Moyens d’appel

[59]           Les parties reprennent devant notre cour, pour l’essentiel, le débat qui a eu lieu devant la Cour supérieure, leurs prétentions respectives se trouvant nourries par les motifs du jugement de première instance et l’appui argumentatif des parties autorisées à intervenir en appel. Plus personne ne soutient toutefois que la Loi a un impact sur des personnes relevant de la compétence fédérale ou qu’elle attente à l’art. 6 de la Charte canadienne (liberté de circulation) ou encore, dans un autre ordre d’idées, qu’elle affecte l’indépendance judiciaire[70], sujets qui ne seront donc pas discutés dans le présent arrêt.

[60]           Les parties opposées à la Loi en ont contesté la validité constitutionnelle en invoquant plusieurs arguments distincts dont certains étaient peu compatibles entre eux – ainsi, elles divergent de vues sur la qualification de la Loi, soit sa véritable nature aux fins d’une analyse sur le partage des compétences. Pour bien situer l’ensemble et en faciliter la compréhension, il est opportun de regrouper ces moyens selon quelques catégories communément utilisées en droit constitutionnel. On les abordera ensuite dans un ordre préétabli. Pour l’essentiel, et présentée de manière délibérément synthétique, la contestation de la Loi a comporté deux volets principaux.

[61]           La Loi est d’abord attaquée en invoquant diverses contraintes constitutionnelles qui existaient avant la LC 1982.

[62]           Cela s’entend en premier lieu du partage des compétences législatives fixé par les art. 91 et 92 de la LC 1867. Les opposants à la Loi soutiennent que, correctement qualifiée, celle-ci relève du par. 91(27) et qu’elle ressortit à la compétence du Parlement en matière criminelle. Mais ils ont également fait valoir que, vu sa nature véritable, la Loi a nécessairement pour seule assise possible le pouvoir résiduaire du Parlement que lui reconnaît le premier alinéa de l’art. 91 – celui de « faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada, relativement à toutes les matières ne tombant pas dans les catégories de sujets par la présente loi exclusivement assignés aux législatures des provinces / make Laws for the Peace, Order, and good Government of Canada, in relation to all Matters not coming within the Classes of Subjects by this Act assigned exclusively to the Legislatures of Provinces ».

[63]           À cela, le PGQ a répondu que la nature véritable de la Loi était tout autre et que trois chefs de compétence distincts énumérés à l’art. 92 en autorisaient l’adoption. Il s’agirait selon lui des par. 4 (la création et la tenure des charges provinciales), 13 (la propriété et les droits civils dans la province) et 16 (les matières de nature purement locale ou privée dans la province) de l’art. 92. En outre, le PGQ reproche au juge de première instance d’avoir commis plusieurs erreurs distinctes dans son analyse de ces questions, même s’il estime que le juge conclut à bon droit que la Loi, envisagée sous l’angle du partage des compétences, était intra vires. Pourrait également être invoqué au soutien de la Loi l’art. 45 de la LC 1982 (portant sur la constitution propre à chaque province).

[64]           Sont ensuite déployés contre la Loi des arguments tirés de lois antérieures à la LC 1867 – la contestation fondée sur des lois préconfédératives. Ces lois, dans l’ordre où elles ont été invoquées en plaidoirie, sont les suivantes (leurs titres en entier sont reproduits dans les notes infrapaginales) : l’Acte de Québec[71] de 1774, la Loi Hart[72] adoptée par la législature du Bas-Canada en 1832 et la loi réformant le régime des « rectoreries »[73] — en anglais, rectories —, adoptée en 1851 par la Province du Canada (et ayant reçu l’assentiment royal en 1852). Chacune d’entre elles, selon les opposants à la Loi, contiendrait des dispositions toujours en vigueur et de portée constitutionnelle auxquelles contreviendrait la Loi qui, dans cette mesure, serait ultra vires. L’essentiel de la contestation par le PGQ a consisté à dire qu’aucune partie de ces lois qui serait pertinente à la Loi ne demeure en vigueur en tant que composante de la Constitution.

[65]           Ont aussi été mises à contribution par les opposants à la Loi certaines notions reconnues par la jurisprudence constitutionnelle canadienne : les principes non écrits de la Constitution et l’architecture constitutionnelle, notions dont le PGQ conteste l’applicabilité en l’occurrence. Enfin, selon un autre angle d’attaque, fondé lui aussi sur le partage des compétences législatives, la Loi contreviendrait à l’art. 31 de la Charte canadienne. En effet, son adoption constituerait de la part de l’Assemblée nationale du Québec une tentative de réglementer l’observance religieuse, un champ de compétence dont on prétend qu’il est exclusivement réservé au Parlement du Canada.

[66]           Deuxième volet de la contestation, la Loi est ensuite attaquée au regard de la Charte canadienne et de la Charte québécoise. La liberté de religion garantie par ces chartes (art. 2 de la Charte canadienne et art. 3 de la Charte québécoise) et invoquée dans toutes ses manifestations (croyance, expression, conscience) ainsi que les droits à l’égalité (art. 15 de la Charte canadienne et art. 10 de la Charte québécoise) servent ici de pierre de touche pour remettre en question la validité de la Loi. Cette dernière incorporant cependant des dispositions dérogatoires fondées respectivement sur les art. 33 de la Charte canadienne et 52 de la Charte québécoise, la question de la légalité et de la portée de celles-ci doit être résolue en premier lieu.

[67]           Pour les parties qui se portent à la défense de la Loi, l’arrêt Ford[74] répond de manière concluante à cette première question; leurs adversaires plaident qu’il n’en est rien et que la Cour doit considérer la question sous un angle différent. Le débat relatif à l’art. 33 de la Charte canadienne soulève également la question du sens et de l’effet de l’art. 28 de la même charte, disposition dont les parties opposées à la Loi soutiennent qu’elle garantit l’égalité des sexes, règle à laquelle contreviendraient les art. 6 et 8 al. 1 de la Loi, et ce, sans égard à la disposition dérogatoire. Le même moyen est repris, dans une moindre mesure, en ce qui concerne l’art. 50.1 de la Charte québécoise et l’art. 52 de celle-ci. Les parties qui défendent la Loi font de leur côté valoir que les art. 28 de la Charte canadienne et 50.1 de la Charte québécoise sont de nature strictement interprétative et ne sont pas susceptibles de faire échec à l’utilisation des art. 33 et 52 de ces chartes, respectivement, même s’il s’agissait, par hypothèse, de contrer une discrimination fondée sur le sexe.

[68]           Les art. 3 et 23 de la Charte canadienne échappant à l’art. 33, les parties opposées à la Loi les invoquent tour à tour pour faire invalider les art. 6 et 8 de la Loi ainsi que diverses dispositions afférentes à ces deux articles. Pour le PGQ, selon leurs termes mêmes, ces art. 3 et 23 sont sans application à la situation des parties qui prétendent s’en prévaloir, de sorte qu’elles ne peuvent avoir gain de cause en l’espèce.

[69]           Un dernier point sur les moyens d’appel. Comme on le sait, le jugement de première instance conclut, sans distinguer ses alinéas, que l’art. 8 de la Loi, dans sa totalité, porte atteinte à l’art. 23 de la Charte canadienne et qu’il est par conséquent inopérant en raison de l’art. 52 de la LC 1982. Le PGQ a fait appel de cette conclusion. Devant notre cour, il n’y a cependant plus de débat en ce qui concerne les alinéas 2 et 3 de l’art. 8, que les parties opposées à la Loi ne contestent plus, que ce soit sous le rapport de l’art. 23 de la Charte canadienne ou autrement. La validité du premier alinéa de l’art. 8 demeure toutefois fermement discutée.

[70]           Pour le reste, le présent arrêt sera divisé en deux grandes parties, la première regroupant les arguments qui ne sont pas rattachés aux droits fondamentaux, la seconde ceux qui le sont, dans l’ordre général ci-dessous :

Arguments non rattachés aux droits fondamentaux

- Partage constitutionnel des compétences;

- Lois préconfédératives;

- Architecture constitutionnelle et principes non écrits;

- Art. 31 de la Charte canadienne.

Arguments fondés sur les droits fondamentaux

- Dispositions de dérogation : art. 33 de la Charte canadienne et art. 52 de la Charte québécoise;

- Violation des droits fondamentaux et réparations déclaratoires et pécuniaires;

- Art. 28 de la Charte canadienne et art. 50.1 de la Charte québécoise;

- Art. 23 de la Charte canadienne;

- Art. 3 de la Charte canadienne;

- Validité des exercices de dénombrement au regard des chartes.

III. Analyse

Partie I : Arguments constitutionnels non rattachés aux droits fondamentaux

A. Partage des compétences législatives

[71]           Lorsque, au regard des art. 91 ou 92 de la LC 1867, un différend survient sur la validité constitutionnelle d’une loi adoptée par le Parlement ou par une législature provinciale, la méthode d’analyse pour trancher la question en litige comprend deux étapes. On doit d’abord qualifier la loi contestée puis, par un processus de classification, la rattacher à un paragraphe (voire à plusieurs d’entre eux) qui figure dans les articles en question. Un arrêt récent de la Cour suprême, Murray-Hall c. Québec (Procureur général)[75], présente une synthèse détaillée et mise à jour de cette méthode d’analyse, dont il fournit aussi une illustration très pertinente ici. Cet arrêt (dont les principes ont été repris dans deux arrêts subséquents de la Cour suprême[76]) et la jurisprudence qu’il répertorie nous guideront dans l’analyse qui suit.

1. Cadre d’analyse

[72]           La qualification d’une loi contestée en vertu des les art. 91 ou 92 de la LC 1867 consiste à identifier son « caractère véritable ». Il s’agit là de la traduction aujourd’hui consacrée d’une expression ancienne et imagée, « the whole pith and substance »[77]. La notion fit son apparition il y a longtemps dans la jurisprudence que le Conseil privé avait développée en droit constitutionnel canadien. On a tenté à plusieurs reprises d’en mieux cerner le sens et de la jouxter à la notion de classification, en se gardant toujours de les confondre entre elles. Voici ce qu’en dit le juge en chef Wagner, au nom d’une formation unanime, dans l’arrêt Murray-Hall :

[23] À l’étape de la qualification, il s’agit de déterminer le caractère véritable de la loi (Renvoi relatif à la Loi sur la nondiscrimination génétique, par. 28, citant Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3, par. 26). Dans la jurisprudence de la Cour, cette opération a été décrite comme visant à dégager l’« objet principal » de la loi (RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, par. 29), sa « caractéristique principale ou la plus importante » (Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, p. 6263), ou encore son « idée maîtresse » (R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463, p. 481482). L’étape de la classification consiste quant à elle à déterminer si le caractère véritable ainsi circonscrit relève de l’un des chefs de compétence du législateur qui a adopté le texte de loi (Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu, par. 25).[78]

[73]           On peut ajouter à ces observations celle relevée par la juge Karakatsanis dans le Renvoi relatif à la Loi sur la nondiscrimination génétique[79] et qu’elle empruntait au juge Binnie. Ce dernier, dans l’arrêt Chatterjee c. Ontario (Procureur général), avait exprimé la chose sous la forme d’une question : « Quel est le caractère essentiel de l’objectif recherché par la loi et de quelle façon cet objectif est-il atteint? »[80]. Sur le même sujet, on a aussi écrit en Cour suprême que, par cette détermination du caractère véritable d’une loi, on cherche à circonscrire ce « [q]u’accomplit […] la loi et dans quel dessein »[81].

[74]           Cette notion peut soulever de réelles difficultés d’application, comme le démontrent, dans le Renvoi relatif à la Loi sur la nondiscrimination génétique, les divergences de vues entre les juges majoritaires et minoritaires, de même que celles entre les juges majoritaires eux-mêmes. En soi, cependant, les propos que l’on vient de citer ne prêtent guère à controverse et ils permettent de préciser le sens que doit recevoir la notion.

[75]           Dans la détermination du caractère véritable d’une loi, l’examen porte sur son objet ainsi que sur ses effets juridiques et pratiques. Pour déterminer l’objet d’une loi, il doit être tenu compte à la fois de ce qu’on appelle la preuve intrinsèque (c.-à-d. le contenu formel de la loi, son titre, sa structure et ses dispositions, notamment là où la loi se fait explicite sur son objectif) et de la preuve extrinsèque (c.-à-d. le contexte qui existait au moment de son adoption, décelable au moyen de sources comme les débats parlementaires, les travaux préparatoires, les publications gouvernementales et d’autres éléments probants comme peuvent l’être, par exemple, les rapports de commissions d’enquête officielles)[82].

[76]           Ajoutons que, toujours selon la jurisprudence récente de la Cour suprême, cet exercice doit être rigoureux. Cela implique que, sans être ni étroite ni formaliste[83], la qualification de la loi doit néanmoins être aussi précise que possible et reposer sur une analyse de la « substance même de la loi »[84]. Rédigeant les motifs des juges majoritaires de la Cour dans les Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, le juge en chef Wagner exprimait la chose en ces termes :

[52] Trois autres points concernant l’identification du caractère véritable sont importants ici. Premièrement, le caractère véritable d’une loi ou disposition attaquée doit être décrit avec le plus de précision possible. Une qualification vague ou générale est inutile, car elle peut faire en sorte que la loi ou disposition en cause se rattache superficiellement à la fois à un chef de compétence fédéral et à un chef de compétence provincial, ou encore avoir pour effet d’exagérer la mesure dans laquelle la loi ou disposition déborde sur la sphère de compétence de l’autre ordre de gouvernement : Transport Desgagnés, par. 35; Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, 2010 CSC 61, [2010] 3 R.C.S. 457 (« Renvoi sur la procréation assistée »), par. 190. Cependant, il ne faut pas confondre qualification précise et qualification étroite. Le caractère véritable devrait plutôt exprimer le caractère essentiel de la loi en termes aussi précis que le permet la loi : Nondiscrimination génétique, par. 32. C’est uniquement de cette façon que le tribunal peut déterminer « de quoi il est question » en fait dans la loi : Transport Desgagnés, par. 35, citant A. S. Abel, « The Neglected Logic of 91 and 92 » (1969), 19 U.T.L.J. 487, p. 490.[85]

[77]           Par ailleurs, si, comme l’écrivait la juge en chef McLachlin dans un autre jugement unanime des neuf juges de la Cour suprême, il faut se garder de « confondre l’objet de la mesure législative avec les moyens choisis pour réaliser cet objet »[86], cela ne signifie pas pour autant que les moyens adoptés sont dénués de pertinence. À ce sujet, le juge en chef Wagner poursuit ses explications en apportant les nuances suivantes :

[53] Deuxièmement, il est dans certains cas permis au tribunal d’inclure dans la définition du caractère véritable d’une loi les moyens choisis dans celleci pour réaliser son objet, pourvu qu’il ne perde pas de vue que le but de l’analyse est d’identifier la matière véritable de la loi ou disposition contestée. […] [I]l est possible dans certains cas que la caractéristique dominante ou l’objet principal de la loi contestée soit si étroitement lié au moyen prévu par celleci que le fait de ne pas accorder de pertinence à ce moyen dans la détermination du caractère véritable ferait en sorte qu’il serait difficile de qualifier avec précision la matière de cette loi. Dans de tels cas, un caractère véritable décrit en termes larges et n’incluant pas le moyen de réalisation prévu constituerait exactement le genre de qualification vague et générale comme « la santé » ou « l’environnement » que notre Cour a dit considérer inutile dans l’arrêt Transport Desgagnés, aux par. 35 et 167 (citant le Renvoi sur la procréation assistée, par. 190).[87]

[78]           Une fois le caractère véritable de la loi bien identifié, on doit s’interroger sur la classification qui lui convient le mieux. Il s’agit à ce stade de déterminer si la loi relève véritablement du chef de compétence invoqué par la partie qui en soutient la validité. Deux paragraphes de l’avis unanime de la Cour suprême déposé dans le Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières font le tour de la question de manière concise et précisent comment doit se dérouler cette classification :

[65] Après qu’ils ont analysé l’objet ainsi que les effets de la loi pour déterminer quel en est le caractère véritable, les tribunaux se penchent sur la question de savoir si la loi, ainsi qualifiée, relève du chef de compétence qui est invoqué pour en soutenir la validité — c’est l’étape de la classification (Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), 2000 CSC 31, [2000] 1 R.C.S. 783, par. 15).  Il peut alors être nécessaire d’interpréter la portée de la compétence visée.  Si le caractère véritable de la loi est classé à bon droit comme relevant d’un des chefs de compétence du gouvernement qui l’a adoptée, la loi est intra vires et valide.

[66] Le droit constitutionnel canadien reconnaît depuis longtemps que le même sujet ou la même « matière » peut avoir à la fois un aspect provincial et un autre fédéral.  Ainsi, une loi fédérale peut régir une matière d’un point de vue et une loi provinciale la régir d’un autre point de vue.  La loi fédérale vise alors un objectif dont le caractère véritable relève de la compétence du Parlement, tandis que la loi provinciale vise un objectif différent qui relève de la compétence provin­ciale (Banque canadienne de l’Ouest, par. 30).  Ce concept, connu sous le nom de doctrine du double aspect, ouvre la voie à l’application concurrente de législations fédérale et provinciales, mais ne crée pas de compétence concurrente sur une matière (comme le fait, par exemple, l’art. 95 de la Loi constitutionnelle de 1867 en matière d’agriculture et d’immigration).[88]

[79]           Au début de l’extrait de ses motifs dans les Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, extrait précité au paragraphe [76] ci-dessus, le juge en chef Wagner annonçait trois points distincts sur lesquels il estimait nécessaire de se prononcer. Le troisième point, qu’il convient de reprendre ici, concerne opportunément le rapport qui doit exister entre qualification et classification. Le juge en chef l’exprimait comme ceci :

[56] Troisièmement, les étapes de la qualification et de la classification de l’analyse relative au partage des compétences sont distinctes, et elles doivent le rester. Autrement dit, le caractère véritable d’une loi ou disposition doit être identifié sans égard aux chefs de compétence législative. Comme l’a souligné le juge Binnie dans l’arrêt Chatterjee c. Ontario (Procureur général), 2009 CSC 19, [2009] 1 R.C.S. 624, au par. 16, si on ne procède pas de façon distincte aux deux étapes de l’analyse, « l’exercice tout entier risque d’être confus et indûment axé sur les résultats ». L’étape de la qualification doit en définitive s’attacher à l’objet et aux effets de la loi ou disposition attaquée.[89]

[80]           Voilà donc délinéé le cadre dans lequel nous devons procéder à l’analyse de la première question à résoudre.

2. Qualification de la Loi

[81]           Nous avons déjà examiné de très près les dispositions de la Loi aux paragraphes ci-dessus[90], et les renvois fréquents à cette partie des présents motifs éviteront d’inutiles redites dans la suite des choses. Il convient néanmoins de s’arrêter de nouveau sur le contenu de la Loi afin de la qualifier.

a. Éléments intrinsèques

[82]           Si l’on considère en premier lieu les éléments intrinsèques, on s’arrêtera d’abord sur le préambule de la Loi, auquel il a été fait référence dans les pages qui précèdent[91] (et qui est cité intégralement en annexe de ces motifs). Ce préambule fait état de l’importance particulière que la laïcité revêt au Québec. La Loi en consacre le caractère prépondérant dans l’ordre juridique québécois, mais seulement pour ce qui concerne l’État. Les origines lointaines et plus récentes de cette évolution démontrent en effet qu’il existe ici un contexte distinctif : sur ce plan, celui de la place de la religion dans la société, rien d’identique à l’évolution qu’a connue la société québécoise n’existe ailleurs au pays[92]. Dans la mesure où ils ne représentent l’État d’aucune façon, où ils ne fournissent pas de services en son nom et où ils n’interagissent pas avec lui dans des circonstances très circonscrites (par exemple, pour l’obtention de documents officiels à des fins d’identification), les résidents du Québec demeurent entièrement libres en tout temps d’afficher leurs convictions religieuses. Il en est ainsi dans leur vie privée – cela va de soi – comme en public, ce qui pour certains se traduira parfois par des choix vestimentaires particuliers, signes de l’adhésion à une stricte orthopraxie par conviction religieuse. La Loi instaure cependant un devoir de réserve pour les titulaires de certaines fonctions rattachées à l’État ou à ses démembrements. De manière générale, dans l’exercice de leurs fonctions, les personnes qui exécutent les multiples actions dont l’État assume la charge doivent le faire, sauf exception, à visage découvert. Et pour certains, qui en raison de leurs fonctions incarnent une mission précise et caractéristique de l’État (par exemple, une mission coercitive, investigatrice ou juridictionnelle), la laïcité leur impose aussi de s’abstenir de porter en qualité officielle un signe religieux.

[83]           Aux art. 1 et 2, la Loi affirme le caractère laïque de l’État du Québec et décompose en quatre principes distincts l’assise de cette laïcité. Cet énoncé, comme on l’a précédemment souligné, reflète pour l’essentiel l’état actuel du droit qui, au Québec comme d’ailleurs dans le reste du pays, se fonde sur une séparation de l’État et des religions : car, de fait, les éléments constitutifs de l’État canadien sont laïques[93]. Certes, on ne trouve pas ailleurs au Canada une affirmation législative semblable à celle de la Loi, qui confère une forme de prééminence à la laïcité de l’État, mais il s’agit là d’une différence de degré plutôt que de nature, et les quatre principes qu’énonce l’art. 2 de cette loi sont déjà bien ancrés en droit public canadien.

[84]           Il importe de tenir compte d’une donnée importante dans la détermination du caractère véritable de la Loi. Cette loi fait pendant à la Loi sur la neutralité religieuse de l’État et s’inscrit dans le prolongement de cette dernière[94]. Entrée en vigueur le 18 octobre 2017 sous un autre gouvernement, la Loi sur la neutralité religieuse de l’État se donnait pour objectif de consacrer la valeur que son titre met en exergue. Son article premier l’exprimait ainsi : « La présente loi affirme la neutralité religieuse de l’État […]. À cette fin, elle impose notamment aux membres du personnel des organismes publics le devoir de neutralité religieuse dans l’exercice de leurs fonctions / This Act affirms the religious neutrality of the State […]. To that end, the Act imposes a duty of religious neutrality, in particular on personnel members of public bodies in the exercise of the functions of office »[95]. Ce devoir est précisé notamment en son art. 4[96]. Et son art. 10, aujourd’hui abrogé parce qu’il a été remplacé par la Loi, édictait déjà des restrictions vestimentaires[97]. Par ailleurs, ses articles 11, 12, 13 et 14, entrés en vigueur entre le 18 octobre 2017 et le 1er juillet 2018, fixent les conditions auxquelles peut être accordée une « demande d’accommodement pour un motif religieux / request for an accommodation on religious grounds » et ils identifient les facteurs à prendre en considération pour traiter une telle demande. L’existence de la Loi sur la neutralité religieuse de l’État démontre donc une volonté d’affirmer, en quelque sorte avant la lettre, la laïcité de l’État québécois. Les art. 11, 33 et 34 de la Loi, qui prétendent lui conférer un caractère prioritaire et dérogatoire aux chartes des droits fondamentaux, sont un indice de l’importance que législateur accorde à cette orientation politique.

[85]           Un autre élément essentiel à retenir d’une étude complète de la Loi est le calibrage ou la modulation des mesures prises en application des principes directeurs affirmés par elle. Une lecture attentive de la Loi fait ressortir ce que ce calibrage comporte de rigoureux. Les principes de la laïcité (art. 2), on l’a vu, s’appliquent notamment aux « institutions judiciaires / judicial institutions » (art. 3 al. 2(3°)) et aux « institutions gouvernementales / government institutions » (art. 3 al. 2 (2°)). Or, la Loi prend bien soin d’adapter le régime qu’elle instaure en fonction des caractéristiques propres à chaque catégorie d’institutions visée par elle.

[86]           Ainsi, l’expression « institutions judiciaires / judicial institutions » (art. 3 al. 2(3°)) doit s’entendre de la Cour d’appel, de la Cour supérieure, de la Cour du Québec, du Tribunal des droits de la personne, du Tribunal des professions et des cours municipales. On a déjà souligné ici[98] que, dans un souci apparent de respecter le principe de l’indépendance judiciaire, la Loi, par son art. 5, confie au Conseil de la magistrature du Québec la responsabilité d’établir les règles destinées à traduire pour les juges visés dans ce même article les exigences de la laïcité. Mais qu’en est-il des institutions judiciaires dont les juges sont nommés en vertu de l’art. 96 de la LC 1867? Comme leur statut dépend d’une loi fédérale, la Loi sur les juges[99], et qu’il ressortit au Conseil canadien de la magistrature de veiller sur leur conduite[100], la Loi ne précise pas de quelle manière, ni par l’entremise de qui, les principes de l’art. 2 pourraient engendrer pour ces juges des « règles » au sens de l’art. 5. Par ailleurs, par le dernier alinéa de l’art. 12, le législateur place les institutions judiciaires hors de portée des autorités ministérielles responsables de l’application de la Loi[101]. Cette dernière, il est vrai, édicte des règles qui paraissent déroger aux chartes canadienne et québécoise, mais on ne saurait prétendre qu’en soi cet exercice du pouvoir législatif porte atteinte à l’indépendance judiciaire.

[87]           En plusieurs autres endroits de la Loi, on décèle le même rigoureux calibrage. Les principes de la laïcité (art. 2) s’appliquent aussi aux « institutions gouvernementales / government institutions » (art. 3 al. 2 (2°)), soit « les organismes énumérés aux paragraphes 1° à 10° de l’annexe I / the bodies listed in paragraphs 1 to 10 of Schedule I ». L’art. 4 vient ajouter à ces principes une exigence particulière, dont on doit comprendre qu’elle s’applique elle aussi aux « institutions gouvernementales » telles que précédemment définies. Pour illustrer, notons d’abord que ces institutions comprennent, entre autres organismes, ce que l’on peut appeler, pour écourter la démonstration, « le milieu de l’Éducation »[102], ainsi que ce que l’on peut appeler, toujours pour alléger le texte, « le milieu de la Santé et des Services sociaux »[103]. Mais la Loi module méticuleusement la portée des obligations ou des interdictions ainsi prévues. On peut en donner comme exemple une précision qu’apportent au premier alinéa de l’art. 4 de la Loi les mots « la laïcité de l’État exige le respect de l’interdiction de porter un signe religieux prévue au chapitre II de la présente loi […] par les personnes assujetties à cette interdiction / State laicity requires compliance with the prohibition on wearing religious symbols under Chapter II of this Act […] by the persons subject to that prohibition ». Ces personnes sont celles énumérées dans l’annexe II de la Loi, celles, répétons-le, qui « détiennent dans l’exercice de leurs fonctions un pouvoir typiquement étatique ou [qui] présentent une incarnation forte de la mission étatique ou encore des exigences de la neutralité de l’État »[104]. Cela signifie que, dans le milieu de l’Éducation, et aux termes de l’annexe II de la Loi, sont seuls visés par l’interdiction de porter un signe religieux, non pas l’ensemble du personnel, mais « les directeurs, directeurs adjoints et enseignants des établissements d’enseignement relevant de la compétence d’un centre de services scolaire institué par la Loi sur l’instruction publique ou par la Loi sur le Centre de services scolaire du Littoral (c.-à-d. les écoles publiques dispensant l’enseignement préscolaire, primaire et secondaire […]) »[105]. Ces personnes sont pour leur part le visage de la mission d’instruction publique que s’est donné l’État québécois. En revanche, dans le milieu de la Santé et des Services sociaux, l’interdiction du port d’un signe religieux est sans application, car le personnel des organismes qui le composent ne figure pas dans l’énumération de l’annexe II de la Loi. On verra cependant ci-dessous que certaines restrictions aux pratiques vestimentaires peuvent néanmoins avoir cours dans ce dernier milieu.

[88]           En d’autres termes, et c’est une caractéristique de la Loi, elle cible avec précision ce sur quoi elle prétend exercer son action. Un troisième aspect de la Loi fournit une autre manifestation de ce phénomène. A priori, la Loi impose des restrictions sur des comportements par ailleurs licites : en ce sens, au Québec, il n’est évidemment pas interdit de porter un signe religieux, que ce soit en public ou à plus forte raison en privé, ni même de se couvrir le visage en public par conviction religieuse et par adhésion volontaire à une quelconque orthopraxie. Or, parmi les restrictions ou les contraintes qu’impose la Loi, celles qui hypothétiquement pourraient toucher le plus grand nombre de personnes parce que ce sont celles auxquelles la Loi confère la portée d’application la plus grande, sont aussi celles dont il y a tout lieu de croire qu’elles visent les comportements en réalité, et de loin, les moins répandus. En somme, la portée des restrictions est inversement proportionnelle à l’ampleur de la pratique que censurent ces restrictions : l’aire d’application de la Loi est la plus vaste là où ce qui est visé par elle constitue une pratique à la fois très affirmée mais très marginale.

[89]           Ainsi, lorsque l’on se reporte au texte de loi, on voit que le chapitre III, qui donne effet à l’obligation d’exercer certaines fonctions ou de solliciter des services « à visage découvert / with face uncovered », est la partie de la Loi dotée de la portée d’application la plus grande. Par le biais d’une définition, celle que donne l’art. 7 de l’expression « membre du personnel d’un organisme / personnel member of a body », sont ici visées toutes les personnes employées par un organisme énuméré à l’annexe I, de même que toute personne énumérée à l’annexe III (l’art. 7 les assimile à de tels « membre[s] du personnel d’un organisme / personnel member[s] of a body »), laquelle s’étend bien audelà des seuls effectifs de la fonction publique du Québec, entendue au sens strict ou étroit de l’expression[106]. Le premier alinéa de l’art. 8 dispose que les personnes ainsi identifiées doivent exercer leurs fonctions à visage découvert. Et il paraît fort plausible, sinon certain, qu’une personne qui se couvre le visage par adhésion à une orthopraxie tombera aussi sous le coup de l’art. 6. Sont atteintes de la sorte toutes les personnes qui exercent des fonctions étatiques et qui figurent directement ou indirectement dans les annexes I, II ou III de la Loi. En revanche, ces restrictions perdent considérablement de leur portée dès lors qu’il s’agit, non plus d’exercer une fonction ou de dispenser un service au nom de l’État, mais plutôt de « recevoir un service par un membre du personnel d’un organisme / receive a service from a personnel member of a body ». Dans ce cas, précise le deuxième alinéa de l’art. 8, l’obligation pour une personne de se présenter à visage découvert ne s’impose que « lorsque cela est nécessaire pour permettre la vérification de son identité ou pour des motifs de sécurité / where doing so is necessary to allow their identity to be verified or for security reasons »[107].

[90]           Si l’on rapproche ce qui précède de certaines des pratiques vestimentaires et des orthopraxies dont il a été question dans la preuve présentée en première instance, on doit conclure que le port du hijab (ou du foulard islamique) sera sans aucun effet sur l’obtention de services par un organisme gouvernemental mais constituera un empêchement d’exercer les fonctions des personnes énumérées à l’annexe II de la Loi, et celles-là seulement[108] – c’est l’effet de l’art. 6 de la Loi ainsi que des mots « par les personnes assujetties à cette interdiction / by the persons subject to that prohibition » à la toute fin du premier alinéa de l’art. 4. En ce qui concerne les personnes qui portent le niqab ou la burqa, l’impact sera considérable, au point notamment de les priver de toute perspective d’emploi dans des organismes publics ou parapublics de compétence provinciale. En revanche, un service dispensé par un organisme gouvernemental ne pourra leur être refusé que pour des considérations de vérification d’identité ou de sécurité et, comme on le notait plus haut, « [u]ne fois cette vérification achevée ou satisfaits les impératifs de sécurité, les bénéficiaires [pourront] recevoir le service à visage couvert »[109]. Voilà l’effet net de la Loi.

[91]           Il est superflu pour les fins de la qualification de la Loi de revenir en détail sur ses art. 11 à 17. Ce sont des dispositions de mise en application des règles de fond que contient la Loi. Rappelons cependant que, toujours dans une optique de calibrage des obligations et des interdictions de la Loi, l’art. 31 crée une série d’exceptions destinées à protéger les droits acquis de certaines personnes[110].

b. Éléments extrinsèques

[92]           Nous tournant maintenant vers les éléments extrinsèques, on voit en consultant les débats parlementaires que la finalité centrale de la Loi figura au premier plan dès le dépôt du projet de loi. Et le membre du gouvernement qui pilotait le projet demeura par la suite constant dans ses déclarations sur l’objectif visé par la Loi.

[93]           Lors du dépôt du projet de loi le 28 mars 2019, le ministre de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, qui à l’époque en avait la responsabilité, le présenta en ces termes, en soulignant d’emblée le calibrage auquel il a été fait allusion précédemment :

Ce projet de loi vise à affirmer la laïcité de l'État et à préciser les exigences qui en découlent.

À cette fin, le projet de loi indique que la laïcité de l'État repose sur quatre principes, soit la séparation de l'État et des religions, la neutralité religieuse de l'État, l'égalité de tous les citoyens et citoyennes ainsi que la liberté de conscience et la liberté de religion. Il prévoit que les institutions parlementaires, gouver­nementales et judiciaires sont tenues de respecter ces principes dans le cadre de leur mission. Toutefois, à l'égard des juges de la Cour du Québec, du Tribunal des droits de la personne, du Tribunal des professions et des cours municipales ainsi que des juges de paix magistrats, il confie au Conseil de la magistrature la responsabilité d'établir des règles traduisant les exigences de la laïcité de l'État et d'assurer leur mise en œuvre.[111]

[94]           Le même ministre déclarait ce qui suit dans une conférence de presse tenue elle aussi le 28 mars 2019 :

Ce matin, c'est avec une grande fierté, au nom du gouvernement du Québec, que j'ai déposé le projet de loi sur la laïcité de l'État. Il s'agit d'une avancée historique. La laïcité de l'État est la suite logique de la Révolution tranquille et de la déconfessionnalisation du système scolaire québécois.

[…]

Ce projet de loi propose d'inscrire la laïcité de l'État comme principe formel, comme valeur fondamentale et comme outil d'interprétation des lois du Québec. Que nos institutions parlementaires, gouvernementales et judiciaires respectent le concept de laïcité de l'État, d'interdire le port de signes religieux aux personnes en situation d'autorité, y compris les enseignants, de faire en sorte qu'au Québec les services publics soient donnés et reçus à visage découvert et qu'il n'existe pas d'accommodement religieux possibles lorsqu'on traite de la laïcité de l'État, notamment pour la réception de services à visage découvert.[112]

[95]           Deux mois plus tard, le 29 mai 2019, le ministre s’exprimait de nouveau alors que l’Assemblée adoptait le principe de la loi :

Le projet de loi est un geste d'affirmation de la laïcité de l'État, qui s'articule autour de quatre principes : la séparation de l'État et des religions, la neutralité religieuse de l'État, l'égalité de tous les citoyennes et citoyens et la liberté de conscience et de religion.

Une réalité s'impose : actuellement, la laïcité demeure inachevée au Québec, en fait comme en droit. Ce projet de loi vise à lui donner corps et à franchir une étape significative. Ce que nous proposons, c'est un modèle de la laïcité à la québécoise qui se distingue autant de la laïcité à la française que du multiculturalisme à la canadienne. De ce modèle québécois découlent des mesures législatives qui sont de nature à spécifier les exigences reliées au choix d'un État laïque par le Québec.

[…]

Plusieurs nous ont par ailleurs dit que la laïcité commençait par l’école et, en tant qu’institution structurante de la société, celle-ci se devait d’être exempte de pressions religieuses, qu’elles soient implicites ou explicites. Pour le gouvernement et pour plusieurs intervenants, il ne fait aucun doute que l’enseignant joue un rôle majeur dans la vie de nos enfants. La Cour suprême l’a reconnu en affirmant qu’en raison de la position de confiance qu’ils occupent ils exercent une influence considérable sur leurs élèves. On ne peut relativiser leur influence auprès de cette clientèle, comme on ne peut minimiser la mission particulière dont ils sont investis, encore moins leur position d’autorité et de confiance. Il en va de même de la liberté de conscience des enfants.[113]

[96]           Par ailleurs, bien que le projet de loi ait été controversé sous divers aspects, la lecture des débats confirme une chose. Personne n’a soutenu à quelque moment que ce soit que le projet avait pour objet de punir, de pénaliser ou de stigmatiser les personnes dont les convictions religieuses subiraient une contrainte en raison de l’affirmation de la laïcité de l’État au moyen des mesures proposées ici. Comme l’a conclu à bon droit le juge de première instance, la preuve extrinsèque ne laisse aucun doute quant au fait « que le gouvernement considère que la laïcité doit devenir un principe formel et une valeur fondamentale de la société québécoise »[114]. En ce sens, l’argument selon lequel la finalité véritable de la Loi serait occulte et son adoption constituerait un détournement de pouvoir se révèle dénué de tout fondement en fait.

c. Effets de la Loi

[97]           Le premier et le principal effet juridique de la Loi aura été de rehausser le principe de la laïcité en le déplaçant de l’état de latence relative où il se trouvait vers le statut d’une valeur fondamentale au Québec. C’est là l’effet convergent de la Loi, de la Loi sur la neutralité religieuse de l’État et de la Charte québécoise, modifiées l’une et l’autre par la Loi : de la déconfessionnalisation à la neutralité religieuse de l’État puis vers la laïcité, l’évolution des textes consacre l’État laïque.

[98]           Des effets juridiques beaucoup plus concrets s’ensuivent. Tout d’abord, divers obstacles juridiques empêcheront désormais que, s’agissant de l’État, l’on fasse entorse aux quatre principes affirmés par l’art. 2 de la Loi et renforcés par l’art. 3. Cependant, comme on l’a déjà écrit[115], ces principes sont déjà largement assimilés par le droit public en vigueur au Canada, y compris au Québec. Mais il y a beaucoup plus. Dans tout ce qui touche à sa présence vis-à-vis du public en général, l’État devra se manifester par l’entremise d’agents tenus de travailler à visage découvert, peu importe leurs convictions religieuses. Par contre, les usagers des services de l’État ne seront tenus de se découvrir le visage que dans des cas très précis et de portée fort réduite. Enfin, les détenteurs de fonctions imprégnées d’une forte représentativité étatique, de même que les enseignants et les directeurs (ou directeurs adjoints), parce qu’ils incarnent l’autorité dans les institutions scolaires du secteur public, devront s’abstenir de porter des signes religieux dans l’exercice de ces fonctions.

[99]           L’un des effets concrets, et non des moindres, de ce nouveau régime sera de restreindre l’accès à l’emploi dans le secteur public, entendu au sens large, à deux groupes distincts de personnes : celles dont la religion leur impose de se couvrir le visage en public et celles qui, également par conviction religieuse, portent en public un vêtement ou un autre signe qui les identifie à une confession religieuse particulière. Les premières n’auront pratiquement plus accès à des emplois dans le secteur public. Les secondes y auront encore largement accès, mais une liste non négligeable de fonctions fortement représentatives de l’État leur sera fermée. Pour le second groupe de personnes, ce résultat est en partie tempéré par l’art. 31 de la Loi, mais on ne saurait sous-estimer les conséquences que ce nouveau régime engendrera pour bon nombre d’individus de convictions religieuses diverses.

[100]      En outre, on ne peut sous-estimer non plus les effets potentiels des art. 12, 13 et 14 de la Loi. Par le biais de ces dispositions, la Loi rend possibles à compter du 27 mars 2019 des mesures disciplinaires et de surveillance contre toute personne énumérée aux annexes II et III de la loi, ou visée par l’art. 7, et qui refuserait de se conformer aux art. 6 et 8 dès lors que ceux-ci, ou l’un d’entre eux, s’appliquent à elle. Elle empêche en outre toute forme d’accommodement, dérogation ou adaptation (autres que ceux y prévus) quant au respect des exigences des art. 6 et 8.

d. Conclusion sur la qualification

[101]      Vu le contenu de la Loi, son lien avec la Loi sur la neutralité religieuse de l’État, la longue évolution qui a engendré le contexte de son adoption, et vu ce qui ressort de la preuve extrinsèque, on peut conclure ce qui suit sur le caractère et l’objet véritables de cette loi, considérée ici comme un tout. Son objet est d’affirmer la laïcité de l’État en tant que principe fondamental du droit public québécois, de fixer les exigences qui en découlent, de garantir le droit à des institutions parlementaires, gouvernementales et judiciaires laïques et d’encadrer les conditions d’exercice de certaines fonctions au sein de ces institutions et des organismes de l’État.

[102]      Cela étant, il y a lieu de donner raison au PGQ lorsqu’il soutient que, s’agissant de la Loi, le jugement de première instance comporte une erreur de qualification. En s’arrêtant sur les art. 6 et 8 de la Loi, le juge écrit que ceux-ci « s’avèrent relever de la nature de dispositions traitant de la religion dans une perspective se rattachant traditionnellement au droit criminel »[116] (et ce, malgré que la Loi ne comporte pas de dispositions pénales, ni a fortiori criminelles, comme le juge le notera lui-même, d’ailleurs). Or, cette qualification est indûment étroite et elle confond l’objet de la loi avec les moyens – seulement certains d’entre eux, d’ailleurs – utilisés pour accomplir cet objet[117]. La qualification précédente, proposée par le PGQ, est conforme à la réalité. Mais, vu la suite de son analyse, cette erreur du juge de première instance est sans conséquence.

3. Classification de la Loi

[103]      Sous cette rubrique, le PGQ reproche au juge de première instance de s’être d’abord demandé si, conformément au par. 91(27) de la LC 1867, l’on pouvait rattacher la Loi à la compétence fédérale sur le droit criminel. Il est vrai que, selon une jurisprudence fermement établie, il devait plutôt déterminer si la Loi pouvait trouver une assise dans une compétence de la province puisque c’est bien la législature provinciale, et non le Parlement fédéral, qui l’a adoptée[118]. Ce n’est pas la voie prise par le juge qui, comme on vient tout juste de le voir, a estimé que certaines dispositions de la Loi « trait[ent] de la religion dans une perspective se rattachant traditionnellement au droit criminel ».

[104]      Or, il est acquis qu’il n’existe pas de lien général ou inhérent entre le droit criminel et la religion[119] (contrairement à ce que certains pourraient être tentés d’inférer des motifs livrés en première instance[120]). Et le fait que la moralité publique intéresse parfois le droit criminel ne saurait justifier qu’on assimile toute question de moralité publique à un objet propice à une législation criminelle. En dernière analyse, cependant, et au stade de la classification, le juge de première instance a estimé qu’il lui était impossible de conclure à un empiètement sur la compétence fédérale en matière de droit criminel parce qu’il manquait un élément essentiel à la Loi : celle-ci « ne comporte pas de sanctions de la nature de celles qui permettraient sa classification comme relevant du droit criminel »[121].

[105]      Sur ce dernier point, on pourrait aisément se rallier au constat du juge de première instance, mais ce serait superflu car la perspective adoptée ici est à l’inverse de celle qui s’imposait. On devait se demander : « Compte tenu de sa qualification, peuton fonder la Loi sur l’un ou sur plusieurs des chefs de compétence énumérés à l’art. 92 de la LC 1867? ». La réponse ne peut être qu’affirmative, ce que le juge a d’ailleurs reconnu. Il est clair, en effet, qu’à divers titres, comme l’explique le juge[122], la Loi se rattache simultanément aux par. 92(4) (création et tenure des charges provinciales, nomination et paiement des officiers provinciaux), (13) (propriété et droits civils dans la province) et (16) (matières d’une nature purement locale ou privée dans la province).

[106]      Enfin, il n’est guère douteux non plus que plusieurs dispositions de la Loi, par exemple son préambule, ses art. 1, 2 et 3, et les modifications qu’elle a apportées au préambule et à l’art. 9.1 de la Charte québécoise, se qualifient aux termes de l’art. 45 de la LC 1982 comme modifications à la constitution de la province. Du reste, il n’y a pas de raison de principe pour que de telles modifications, même adoptées en invoquant le par. (1) de l’art. 33 de la Charte canadienne, ne soient pas valides, sous réserve bien entendu du par. (3) du même art. 33.

4. Conclusion

[107]      La Loi tente de concilier entre elles certaines orientations profondes de la société québécoise contemporaine. Pour fondamentales qu’elles soient, ces orientations ne sont pas immuables et elles continuent d’évoluer. Ainsi, le lien étroit entre l’Église et l’État qui existait encore au Québec dans les années 1950, ou même après, n’a plus l’emprise qu’il a déjà exercée. À cette époque, le catholicisme imprégnait toujours de sa présence de nombreuses institutions québécoises à vocation publique. Le port de signes religieux s’y imposait pour certains ou certaines comme allant de soi. Cette période de l’histoire assez récente a pu laisser de nombreuses traces mais elle est maintenant révolue. En 2019, confronté à cet état de choses, et aux débats publics qu’il suscitait depuis plus d’une décennie, le législateur a cherché au moyen de la Loi à trouver un équilibre entre des thèmes émergents et nettement plus actuels. Il y a d’une part la liberté de croyance et la liberté de religion, fermement constitutionnalisées depuis 1982. Dans la sphère privée comme dans la sphère publique, chacun est libre de croire ou de ne pas croire, de pratiquer la religion de son choix ou de n’en pratiquer aucune, et de le manifester par sa tenue vestimentaire ou autrement. Il y a d’autre part la neutralité et la laïcité de l’État. L’État n’avantage ni ne désavantage aucune religion. Mais là où sa présence se fait sentir avec le plus d’acuité par l’exercice de certaines fonctions régaliennes ou autres, il affirme sa neutralité en prescrivant que les personnes qui en sont investies et qui incarnent l’État doivent s’abstenir de porter tout signe religieux apparent. Aussi, dans l’exercice de leur liberté de croyance et de religion, ces mandataires ou délégataires de l’État doivent se conformer aux contraintes que leur imposent la neutralité et la laïcité de l’État. On est bien loin, ici, du droit criminel et des autres chefs de compétence du Parlement fédéral.

[108]      En fin de compte, et pour les raisons qui précèdent, il n’y a pas lieu de faire droit aux appels sur ce volet des pourvois.

B. Lois préconfédératives

1. Considérations préliminaires

[109]      Les parties opposées à la Loi, on l’a déjà mentionné, ont invoqué à l’encontre de celle-ci trois lois antérieures à la LC 1867 : rappelons qu’il s’agit de l’Acte de Québec (1774), de la Loi sur les rectoreries (1852) et de la Loi Hart (1832). Il y a maintenant lieu de s’arrêter plus longuement sur ces lois. Comme on le verra, la forme et la teneur des deux dernières d’entre elles ont sensiblement évolué au fil du temps, ce qui impose de suivre de près leur filiation, leur généalogie et leur descendance. Mais le même exercice s’impose pour l’Acte de Québec, car plusieurs lois postérieures à son adoption ont apporté des aménagements de taille à ce qui avait été édicté en 1774, date de sa sanction au Parlement de Westminster.

[110]      Plusieurs de ces lois, il faut le dire, usent abondamment d’une typographie approximative. Leur orthographe et leur syntaxe sont en bonne partie archaïques. Elles emploient un vocabulaire qui fourmille de solécismes, de longueurs inutiles et de redondances obséquieuses. Aussi sont-elles aujourd’hui d’une lecture assez ardue qui ressemble parfois à un travail d’archives. Néanmoins, si l’on se donne la peine de les lire et de les analyser attentivement, ces lois, malgré leurs caractéristiques d’une autre époque, sont pour l’essentiel explicites et claires.

[111]      Avant d’examiner ces trois textes de loi l’un après l’autre, il semble utile de mettre en relief quelques-unes des questions qu’ils suscitent. S’agit-il dans chaque cas de lois de statut constitutionnel? S’inscrivent-elles dans ce qu’il est convenu d’appeler la « constitution formelle » du Québec, ou plutôt dans sa « constitution matérielle »? Plus spécifiquement, chacune de ces lois a-t-elle une portée supralégislative? Convient-il de les traiter toutes trois sur un pied d’égalité ou doit-on distinguer les unes des autres? Et, en dernière analyse, quel impact chacune d’entre elles est-elle susceptible d’avoir aujourd’hui sur la constitutionnalité de la Loi?

[112]      En droit constitutionnel, on distingue souvent entre la constitution « formelle » et la constitution « matérielle »[123], distinction qui à plusieurs égards fait pendant à celle que l’on trace aussi entre une constitution « rigide » et une constitution « souple »[124]. Outre certains principes non écrits[125] et certaines conventions constitutionnelles[126], peuvent aussi faire partie de la constitution matérielle de simples lois, modifiables comme toute autre loi adoptée par une législature locale. Par contraste, sera qualifiée de « formelle » ou de « rigide » une composante écrite de la constitution qui ne pourra être modifiée qu’au moyen d’une procédure spéciale et plus contraignante, autre que celle par laquelle une législature peut modifier une loi. À l’aide de ces distinctions, on peut dégager, là où il y a lieu de le faire, le caractère supralégislatif de certaines lois. En d’autres termes, le statut de lois qui présentent un caractère supralégislatif fait en sorte qu’elles se situent, parfois d’ailleurs à des degrés divers, et parfois aussi par simple convention, hors de portée du principe naguère central et fondamental en droit constitutionnel britannique de la souveraineté parlementaire.

[113]      Ces questions appellent d’importantes nuances, comme l’illustre l’exemple suivant. Parmi les intervenants au dossier qui se portaient à la défense de la Loi, l’un d’entre eux a concédé explicitement et sans hésitation lors des plaidoiries orales devant la Cour que la Charte québécoise est une loi « ordinaire » et que le législateur peut la modifier par une loi adoptée par vote à la majorité simple de l’Assemblée nationale. Cela est exact. Mais, nul doute en raison de l’objet propre à la Charte québécoise, le même législateur ne peut déroger à celle-ci que conformément à son art. 52, c’est-à-dire en énonçant en toutes lettres son intention d’édicter une règle qui « s’applique malgré la Charte / despite the Charter ». Cela aussi est exact, et c’est ce que le législateur a fait en adoptant l’art. 33 de la Loi. Ensemble, ces caractéristiques confèrent à la Charte québécoise un statut particulier parmi les lois « ordinaires », ce qui explique que l’on parle fréquemment d’elle comme d’une loi quasi-constitutionnelle[127]. Et il n’est guère douteux que l’on peut la ranger parmi les lois qui forment la constitution « matérielle » du Québec. Il en est ainsi même si son art. 52 pourrait être abrogé comme toute autre disposition de toute autre loi, sans recourir à une procédure spéciale de modification constitutionnelle applicable aux constitutions formelles et écrites de caractère supralégislatif. En réalité, ce qui confère à la Charte québécoise un statut particulier, c’est, plus que toute autre chose, une convention politique de portée constitutionnelle : il est très improbable, mais cela n’est pas impossible, qu’un gouvernement majoritaire à l’Assemblée nationale se risquerait à infirmer ou à affaiblir le statut particulier de la Charte québécoise. Pour la même raison, on peut difficilement imaginer que, plus de 300 ans après son adoption, un gouvernement britannique majoritaire à la Chambre des communes se risquerait à abroger ou à éroder l’Act of Settlement[128] sur ce qui constitue depuis 1701, ici et ailleurs, la pierre angulaire de l’indépendance judiciaire. Ainsi, certaines lois qui ne font pas partie d’une constitution écrite, mais qui font partie de la constitution matérielle d’un État de droit, ont-elles par convention une portée qui peut ressembler, par analogie, à la portée supralégislative d’une constitution formelle et écrite.

[114]      Le juge de première instance avait pleinement conscience de ces nuances et il comprenait l’importance que revêt cet aspect des choses dans le dossier en cours. Il en traite succinctement mais explicitement dans ses motifs[129]. Le principe de la souveraineté parlementaire, on le sait, vaut à leur échelle respective tant pour le Parlement britannique que pour les assemblées législatives coloniales (à tout le mois à partir d’un certain moment de leur existence), que ce soit celle du Québec, du Bas-Canada, de la Province du Canada, ou encore de la Province de Québec après la LC 1867 (et a fortiori après la LC 1982). Or, entre 1774 et 1982, l’évolution des lois pertinentes, qu’il s’agisse de lois impériales, coloniales ou locales puis postérieures à la Confédération, a eu pour effet évident de moduler à la baisse le caractère supralégislatif des lois préconfédératives, sans pour autant qu’on puisse toutes les assimiler entre elles. Il est donc nécessaire de les examiner une par une pour déterminer si, pourvues ou non d’un statut supralégislatif, l’une ou plusieurs d’entre elles peuvent faire échec à certaines dispositions de la Loi.

[115]      C’est l’évolution du droit constitutionnel canadien entre ces deux dernières dates, 1774 et 1982, qui fournit la solution du problème abordé ici.

2. Acte de Québec

[116]      L’Acte de Québec est une loi du Parlement de Londres, donc une « loi impériale ». Cela le distingue dès le départ de la Loi Hart de 1832 et de la Loi sur les rectoreries de 1852, adoptées respectivement par la législature du Bas-Canada et celle de la Province du Canada. Même si seule la version anglaise de l’Acte de Québec fait foi, il ne paraît pas déplacé ici de mentionner à l’occasion la traduction qui accompagne l’original reproduit dans les appendices aux Statuts révisés du Canada de 1970 et aux Lois révisées du Canada de 1985. Bien que l’Acte de Québec traite de plusieurs choses, ce sont surtout ses art. V, VI, VII et VIII qui, ici, doivent retenir notre attention. Nous y reviendrons.

[117]      On s’accorde très généralement pour dire que, comparativement à la Proclamation Royale d’octobre 1763, apparue dans le sillage du Traité de Paris du mois de février précédent, l’Acte de Québec constituait une mesure de clarification et d’adoucissement des conditions d’occupation initiales, celles que la Couronne britannique avait paru souhaiter instaurer au Québec peu de temps après la défaite française. Mais, aujourd’hui, il importe peu que la mesure ait été animée en partie par la magnanimité du gouvernement britannique ou qu’elle ait eu un but plus froidement politique et intéressé, soit celui de concéder aux habitants du territoire la préservation de leur religion et de leur droit pour obtenir d’eux qu’ils se conforment de meilleur gré aux volontés de l’autorité coloniale. Cette dernière, on le sait, était confrontée aux premières manifestations de la Révolution Américaine, et la démographie de l’ancienne Nouvelle-France n’était pas de nature à en faciliter l’intégration dans l’Empire colonial britannique. Le fait est, donc, que l’art. V de l’Acte de Québec rétablit ou (selon une autre interprétation) confirme en partie les droits des fidèles et du clergé qui professent « la Religion de l’Église de Rome / the Religion of the Church of Rome ». Par ailleurs, l’art. VI permet à la Couronne d’avantager la « Religion Protestante / Protestant Religion » en soutenant son clergé avec les droits tirés des terres désormais propriétés royales, l’art. VII modifie le serment de fidélité au Roi afin d’en rendre possible la prestation par des catholiques et l’art. VIII confirme que le droit civil du Canada reçoit application dans tout litige de nature civile.

[118]      Telle était l’orientation générale de cette loi impériale. D’ailleurs, plusieurs documents de l’époque avaient déjà anticipé cette évolution. On se contentera ici de n’en citer qu’un seul, l’un de ceux dont on peut supposer qu’ils convainquirent les autorités de la métropole de légiférer comme elles le firent. Il s’agit d’un rapport de Francis Maseres, procureur général de la Province de Québec à compter de mars 1766, qui décrit aux autorités de la métropole la situation qu’il a trouvée sur place en arrivant de Londres :

Les Français demandent la tolérance de la religion catholique en s'appuyant d'une part sur la justice d'une telle réclamation, étant donné qu’ils appartiennent presque tous à cette religion, et d'autre part sur la stipulation énoncée à cet égard dans le quatrième article du traité de paix définitif, laquelle se lit comme suit: "Sa Majesté Britannique convient de Son Côté, d'accorder aux Habitants du Canada la Liberté de la Religion Catholique; En conséquence Elle donnera les Ordres les plus précis et les plus effectifs pour que ses nouveaux Sujets Catholiques Romains puissent professer le Culte de leur Religion selon le Rite de l'Eglise Romaine, en tant que le permettent les Loix de la Grande-Bretagne." Ces derniers mots "en tant que le permettent les Loix de la Grande-Bretagne" rendent la stipulation, prise dans son ensemble, bien douteuse en faveur de cette tolérance, car il peut être raisonnablement soutenu que les lois de la Grande-Bretagne ne permettent nullement l'exercice de la religion catholique.

En effet, ces mots semblent indiquer d'abord qu'à l'heure actuelle, il existe une certaine tolérance de la religion catholique dans quelques parties des possessions britanniques, en vertu des lois de la Grande-Bretagne. Et si telle est leur signification, ils ne comportent pas pour cela le droit d'accorder cette tolérance, puisque cette religion présentement n'est tolérée en aucune façon par les lois de la Grande-Bretagne dans quelque partie que ce soit des possessions britanniques.[130]

[119]      L’auteur s’attache ensuite à démontrer l’existence d’une incompatibilité radicale entre le contenu apparent de la Proclamation Royale et l’état effectif des choses ailleurs dans les possessions britanniques. En effet, depuis le règne d’Elizabeth I, les catholiques en Grande-Bretagne, comme partout ailleurs dans ces possessions, n’ont bénéficié d’aucune tolérance religieuse. La suprématie ecclésiastique est attachée à la Couronne en perpétuité, alors qu’il est de l’essence même du catholicisme et de la papauté que le pape, et non une quelconque tête couronnée d’Europe, constitue l’autorité suprême en matière spirituelle. Aussi faut-il envisager, selon Maseres, une mesure de réelle atténuation du régime qui continue d’avoir cours ailleurs dans l’Empire :

Pour ces raisons, nous pouvons conclure que l'exercice de la religion catholique ne peut, en vertu des lois de la Grande-Bretagne, être toléré dans la province de Québec. Néanmoins il est sûrement très raisonnable, et tous ceux qui aiment la paix la justice et la liberté de conscience doivent le désirer, que l'exercice de cette religion soit toléré.

Mais alors, en vertu de quelle autorité sera-t-il toléré? C'est la seule question qui reste à résoudre. Le roi se chargera-t-il seul de le tolérer? […] Il semble que cette mesure devrait être appuyée sur l'autorité beaucoup plus sûre du parlement et que par suite les nouveaux habitants anglais ne pourront la contester ni les catholiques français la soupçonner d'être insuffisante.[131]

Il paraît vraisemblable que cette perception des choses fut l’un des facteurs à l’origine de l’art. V de lActe de Québec.

[120]      D’autre part, par son art. XII, l’Acte de Québec créait un Conseil législatif, dont l’autorité royale nommait les membres, et qui était investi du pouvoir de promulguer des Ordonnances pour « la Police, le bonheur et le bon gouvernement / for the Peace, Welfare and good Government » de la Province. Transmises à Londres, ces Ordonnances pouvaient être désapprouvées par l’administration royale (sa Majesté en Conseil), auquel cas elles devenaient nulles au moment du désaveu (art. XIV).

[121]      Citons les extraits les plus marquants de l’Acte de Québec, ceux les mieux à même de donner une juste image du mécanisme de contrôle ainsi mis en place selon la politique coloniale de la métropole en 1774 :

V. And, for the more perfect Security and Ease of the Minds of the Inhabitants of the said Province”, it is hereby declared, That his Majesty’s Subjects, professing the Religion of the Church of Rome of and in the said Province of Quebec, may have, hold, and enjoy, the free Exercise of the Religion of the Church of Rome, subject to the King’s Supremacy, declared and established by an Act, made in the first Year of the Reign of Queen Elizabeth, over all the Dominions and Countries which then did, or thereafter should belong, to the Imperial Crown of this Realm; and that the Clergy of the said Church may hold, receive, and enjoy, their accustomed Dues and Rights, with respect to such Persons only as shall profess the said Religion.

VI. Provided nevertheless, That it shall be lawful for his Majesty, his Heirs or Successors, to make such Provision out of the rest of the said accustomed Dues and Rights, for the Encouragement of the Protestant Religion, and for the Maintenance and Support of a Protestant Clergy within the said Province, as he or they shall, from Time to Time, think necessary and expedient.

[…]

VIII. […] all Causes that shall hereafter be instituted in any of the Courts of Justice, to be appointed within and for the said Province by his Majesty, his Heirs and Successors, shall, with respect to such Property and Rights, be determined agreeably to the said Laws and Customs of Canada, until they shall be varied or altered by any Ordinances that shall, from Time to Time, be passed in the said Province by the Governor, Lieutenant Governor, or Commander in Chief, for the Time being, by and with the Advice and Consent of the Legislative Council of the same, to be appointed in Manner herein-after mentioned.

[…]

XIV. Provided also, and be it enacted by the Authority aforesaid, That every Ordinance so to be made, shall, within six Months, be transmitted by the Governor, or, in his Absence, by the Lieutenant-governor, or Commander in Chief for the Time being, and laid before his Majesty for his Royal Approbation; and if his Majesty shall think fit to disallow thereof, the same shall cease and be void from the Time that his Majesty’s Order in Council thereupon shall be promulgated at Quebec.

XV. Provided also, That no Ordinance touching Religion, or by which any Punishment may be inflicted greater than Fine or Imprisonment for three Months, shall be of any Force or Effect, until the same shall have received his Majesty’s Approbation.

[122]      Les art. V et VI établissent donc un cadre pour que coexistent catholicisme et protestantisme au Québec, ils encouragent une tolérance réciproque qui, comme le soulignait le procureur Maseres quelque temps avant la sanction de l’Acte de Québec, n’était admise « en aucune façon par les lois de la Grande-Bretagne dans quelque partie que ce soit des possessions britanniques ». Ici, par contraste, le clergé catholique conserve ses moyens de subsistance et la Couronne apporte un soutien comparable au clergé protestant pour veiller à son entretien.

[123]      En matière de propriété et de droits civils, l’art. VIII, disposition qui préfigure le par. 92(13) de la LC 1867, maintient les choses en l’état tel qu’elles existaient avant 1763. Et ce maintien en l’état, qu’on retrouvera à diverses étapes de l’évolution ultérieure, annonce l’art. 129 de la LC 1867.

[124]      Enfin, les art. XIV et XV consacrent à leur manière le caractère supralégislatif de l’Acte de Québec, mais dans un sens bien différent de celui que l’on donne aujourd’hui à ce qualificatif. Ainsi, s’il est loisible au « Conseil pour les affaires de la province de Québec / Council for the Affairs of the Province of Quebec » (art. XII) d’adopter les Ordonnances qu’il considère opportunes, celles-ci ne peuvent survivre à la désapprobation royale exprimée de Londres (art. XIV) et, lorsqu’elles concernent la religion, elles ne peuvent prendre effet sans avoir préalablement reçu cette sanction (ou cet assentiment) du souverain exprimée elle aussi de Londres (art. XV). On est donc loin ici d’une constitution écrite et formelle dont l’interprétation relèverait du pouvoir judiciaire et qui attribuerait des compétences législatives selon une liste fermée de critères substantiels (comme le font les art. 91 et 92 de la LC 1867) ou qui énumèrerait une série de droits fondamentaux dont elle préciserait la teneur (comme le fait la Charte canadienne). Il est toutefois indéniable que l’Acte de Québec énonce en 1774 une partie importante de la constitution formelle du Québec. Et celle-ci prévoit une forme de contrôle supralégislatif puisque les décisions de « sa Majesté en Conseil » peuvent l’emporter sur celles de la législature coloniale et les priver de tout effet.

[125]      Par la suite, au gré des réformes constitutionnelles qui s’échelonneront sur près d’un siècle et demi, les institutions mises en place par l’Acte de Québec subiront de profondes transformations. La période demande qu’on s’y arrête brièvement et, répétonsle, une constante s’en dégage. Si l’on garde à l’esprit, comme fil d’Ariane, ce qu’il advint du caractère supralégislatif des lois impériales, on constate que celui-ci ne cessa de s’étioler, au point, éventuellement, d’être supplanté en totalité par la suprématie législative des législatures locales puis du constituant canadien.

[126]      Moins de vingt ans après l’entrée en vigueur de l’Acte de Québec, l’Acte constitutionnel de 1791[132] opérait quelques changements de taille dans la configuration des institutions coloniales.

[127]      L’Acte constitutionnel de 1791 abrogea certaines dispositions de l’Acte de Québec et modifia la constitution de la Province de Québec en créant deux nouvelles provinces, le Bas-Canada et le Haut-Canada. Celles-ci, on le sait, sont les ancêtres du Québec et de l’Ontario actuels. Leur territoire coïncide en partie avec celui de ces deux futures provinces qui apparaîtront en 1867. Mais surtout, l’Acte constitutionnel de 1791 instaure une forme (embryonnaire) de gouvernement représentatif, en ajoutant au Conseil législatif dont est désormais dotée chaque province une Assemblée législative dont les membres sont élus (art. XIII-XXV). À la manière, encore une fois, du futur art. 129 de la LC 1867, les lois « en force / in force » le jour du « commencement de cet Acte / Commencement of this Act » le demeurent dans chacune des nouvelles provinces, jusqu’à ce qu’elles soient abrogées ou modifiées par les autorités respectives de cellesci (art. XXXIII).

[128]      Le pouvoir royal de surveillance, par sanction ou par désaveu, des lois votées dans ces colonies, demeure toutefois en place, avec quelques aménagements (art. XXXXXXII). Beaucoup plus explicite que l’art. XV de l’Acte de Québec, l’art. XXXV de l’Acte constitutionnel de 1791 confirme ou complète un ensemble de règles relatives à l’entretien du clergé, à la fois protestant ou catholique, au moyen de « Dûs et Droits accoutumés / accustomed Dues and Rights », « Dixmes / Tythes », « Rentes et profits / Rents and Profits » prélevés à cette fin. Sous réserve de précisions mentionnées ci-dessous, le même article réitère une caractéristique importante de l’Acte de Québec, la reconnaissance explicite du clergé catholique et de ses attributs. L’importance que revêt la question religieuse à l’époque ressort d’ailleurs des dispositions détaillées qui suivent (art. XXXVI-XLI). Il nous faudra revenir de plus près sur cet aspect des choses. Cela est corroboré par l’art. XLII, où sont énumérés plusieurs aspects du régime des cultes religieux qui, au moyen d’une réserve catégorique, sont en quelque sorte enchâssés dans la constitution telle que l’interprète le Parlement de Westminster. S’agissant en effet d’initiatives des législatures coloniales portant, comme on le verra plus loin, sur l’un des sujets réservés en matière de religion, la voie tracée pour ces législatures est fort étroite, ce que fait voir l’art. XLII :

XLII. [] whenever any Act or Acts shall be passed by the Legislative Council and Assembly of either of the said Provinces, […] every such Act or Acts shall, previous to any Declaration or Signification of the King’s Assent thereto, be laid before both Houses of Parliament in Great Britain; and that it shall not be lawful for his Majesty, his Heirs or Successors, to signify his or their Assent to any such Act or Acts, until thirty Days after the same shall have been laid before the said Houses, or to assent to any such Act or Acts, in case either House of Parliament shall, within the said thirty Days, address his Majesty, his Heirs or Successors, to withhold his or their Assent from such Act or Acts; and that no such Act shall be valid or effectual to any of the said Purposes, within either of the said Provinces, unless the Legislative Council and Assembly of such Province shall, in the Session in which the same shall have been passed by them, have presented to the Governor, Lieutenant Governor, or Person administering the Government of such Province, an Address or Addresses, specifying that such Act contains Provisions for some of the said Purposes herein-before specially described, and desiring that, in order to give Effect to the same, such Act should be transmitted to England without Delay, for the Purpose of being laid before Parliament previous to the Signification of his Majesty’s Assent thereto.

[129]      On observe donc en l’espèce un infléchissement, certes relatif, vers la souveraineté parlementaire. Cela se manifeste de deux façons. L’Acte constitutionnel de 1791 instaure dans les deux provinces du Canada une première forme, rudimentaire, de démocratie élective. Le pouvoir royal de sanction et de désaveu des lois que confirmait l’art. XIV de l’Acte de Québec, et qui ressortissait à la prérogative royale, dépend maintenant, sur certaines questions névralgiques, notamment celles relatives à la religion, du bon vouloir du Parlement de Westminster.

[130]      Vient ensuite l’Acte d’Union, 1840[133], qui lui aussi est une loi impériale. Aux termes de celle-ci, le Bas-Canada et le Haut-Canada fusionnent pour devenir la Province du Canada. Comme les provinces qu’elle remplace, la Province du Canada est pourvue d’un Conseil législatif et d’une Assemblée législative. De la même façon que l’Acte de Québec avait assoupli l’exigence du serment d’allégeance, l’Acte d’Union, 1840 permet désormais que l’affirmation solennelle tienne lieu de serment pour les personnes dont la religion interdit le serment traditionnel[134]. Ici encore, les lois adoptées au Bas-Canada et au HautCanada, et toujours en vigueur, continuent de l’être telles quelles jusqu’à leur abrogation ou modification par la législature de la Province du Canada (art. XLVI). Quant aux lois votées par cette dernière, le mécanisme de leur assentiment ou de leur désaveu par le souverain demeure en place (art. XXXVII-XXXIX). L’Acte d’Union, 1840 permet en outre à la législature de la Province du Canada de modifier la carte électorale, la répartition des élus sur le territoire, de même que certains aspects de la procédure électorale. Cela dit, toute loi qui comporte de telles mesures ne peut être présentée au Gouverneur pour recevoir la sanction royale que si elle a été votée aux deux tiers des voix des membres du Conseil et de l’Assemblée (art. XXVI). En somme, pour significatives qu’elles soient, les modifications apportées par l’Acte d’Union, 1840 à l’ordre constitutionnel en place paraissent moins conséquentes que celles introduites successivement par l’Acte de Québec et par l’Acte constitutionnel de 1791, du moins sur le strict plan de la prise de décision législative.

[131]      Un aspect de cette évolution mérite néanmoins une mention particulière. Les art. XLII de l’Acte constitutionnel de 1791 et de l’Acte d’Union, 1840 sont pratiquement identiques. Les différences entre eux sont de pure forme, ainsi le premier vise « the said Provinces [du Bas-Canada et du Haut-Canada] », le second vise « the said Province [du Canada, issue de l’Union] ». L’un et l’autre de ces textes énumèrent toute une gamme de questions qui, de près ou de loin, touchent à la religion protestante ou catholique, à l’entretien du clergé et à la gestion des affaires ecclésiastiques. L’un et l’autre assujettissent les lois coloniales qui abordent ces nombreuses questions à une procédure distincte pour l’obtention menant à l’assentiment du souverain ou au désaveu royal. L’un et l’autre précisent notamment que cette procédure reçoit application dans le cas de toute loi adoptée par une législature coloniale et dont les dispositions « in any Manner relate to or affect the Enjoyment or Exercise of any Form or Mode of Religious Worship »[135]. Ce régime, entré en vigueur en 1791, et dont on peut convenir qu’il s’inscrit dans le prolongement de l’art. XV de l’Acte de Québec, avait donc eu cours pendant tout près de cinquante ans au moment de l’Union et par la suite il demeurera en existence pendant quelques années.

[132]      Une autre étape est franchie quand survient, quelque quatorze ans plus tard, en 1854, une nouvelle loi impériale, An Act to empower the Legislature of Canada to alter the Constitution of the Legislative Council for that Province, and for other Purposes[136]. Malgré ce qu’elle laisse entendre par son titre, cette loi dans son effet va bien au-delà de la constitution du Conseil législatif de la Province du Canada. La loi transforme aussi, et d’une manière qui doit être soulignée ici, les attributions respectives du Parlement de Westminster et de la législature coloniale, ce qu’elle fait en ces termes :

VI. The Forty-second Section of the said recited Act of Parliament, providing that in certain Cases Bills of the Legislative Council and Assembly of Canada shall be laid before both Houses of Parliament of the United Kingdom, is hereby repealed; and, notwithstanding anything in the said Act of Parliament or in any other Act of Parliament contained, it shall be lawful for the Governor to declare that he assents in Her Majesty’s Name to any Bill of the Legislature of Canada, or for Her Majesty to assent to any such Bill if reserved for the Signification of Her Pleasure thereon, although such Bill shall not have been laid before the said Houses of Parliament; and no Act heretofore passed or to be passed by the Legislature of Canada shall be held invalid or ineffectual by reason of the same not having been laid before the said Houses, or by reason of the Legislative Council and Assembly not having presented to the Governor such Address as by the said Act of Parliament is required.

En matière de législation relative à la religion et aux modalités des cultes en territoire québécois, on atteint ainsi la fin du régime apparu avec l’Acte constitutionnel de 1791. Ce que visait l’art. XLII de l’Acte d’Union, 1840 relève désormais de la législature coloniale  le gouverneur conservant par ailleurs la faculté de refuser la sanction d’une loi.

[133]      L’évolution graduelle, soutenue et croissante vers une autonomie législative et constitutionnelle des législatures locales se poursuit avec le Colonial Laws Validity Act, 1865[137], qui précède de peu la LC 1867. Il semble que certaines ambiguïtés subsistaient sur ce que la transformation progressive des textes avait pu accomplir jusque-là. Aussi le Parlement britannique jugea-t-il opportun de clarifier les choses. Le préambule de cette loi de 1865 constate notamment que « Doubts have been entertained respecting the Validity of divers Laws enacted or purporting to have been enacted by the Legislatures of certain of Her Majesty’s Colonies ». D’où il suit que « it is expedient that such Doubts should be removed ». C’est ce que le Colonial Laws Validity Act, 1865 s’emploie à faire, sur deux plans. D’une part, il incorpore une notion restrictive des lois du Parlement britannique qui doivent recevoir application dans les colonies (continuons néanmoins de les appeler ici « lois impériales ») : ce n’est le cas que lorsqu’une telle loi « is made applicable to such Colony by the express Words or necessary Intendment of [the] Act » (art. 1). D’autre part, le Parlement réitère qu’en présence d’une incompatibilité (« repugnancy ») entre une loi impériale et une loi coloniale, cette dernière, dans la mesure de cette incompatibilité, « shall […] be and remain absolutely void and inoperative » (art. 2). Mais il ne faut pas se méprendre sur l’objectif poursuivi ici par le Parlement. Dissipant toute équivoque à ce sujet, le regretté professeur Hogg et son coauteur précisent ce qui suit sur ce point :

By narrowly defining the class of imperial statutes, and thereby confining the doctrine of repugnancy, the Act was intended to extend rather than restrict the powers of the colonial legislatures. Nevertheless, the Act did leave the colonial legislatures powerless to alter any imperial statute which by its own terms applied to the colony. If the colony wished to alter or repeal such an imperial statute it had to persuade the imperial Parliament to enact the required law.[138]

Est ainsi particularisé à la baisse le statut des lois anglaises de réception, une notion qui a encore pleinement cours aujourd’hui[139]. On comprend donc que, « [absent] express Words or necessary Intendment of any Act of Parliament » (art. 1), de telles lois peuvent être modifiées ou abrogées par une législature locale dans ses champs de compétence.

[134]      La LC 1867 aura peu à dire sur la question examinée ici[140], à cette nuance près que, à l’image des art. VIII de l’Acte de Québec, XXXIII de l’Acte constitutionnel de 1791 et XLVI de l’Acte d’Union, 1840, elle répartit entre les entités législatives nouvellement créées les compétences exercées jusque-là par la législature de la Province du Canada. L’art. 129 de la LC 1867, une clé de voûte de la Constitution, édicte par ailleurs ceci[141] :

129. Sauf toute disposition contraire prescrite par la présente loi, — toutes les lois en force en Canada, dans la Nouvelle-Écosse ou le Nouveau-Brunswick, lors de l’union, — tous les tribunaux de juridiction civile et criminelle, — toutes les commissions, pouvoirs et autorités ayant force légale, — et tous les officiers judiciaires, administratifs et ministériels, en existence dans ces provinces à l’époque de l’union, continueront d’exister dans les provinces d’Ontario, de Québec, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick respectivement, comme si l’union n’avait pas eu lieu; mais ils pourront, néanmoins (sauf les cas prévus par des lois du parlement de la Grande-Bretagne ou du parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande), être révoqués, abolis ou modifiés par le parlement du Canada, ou par la législature de la province respective, conformément à l’autorité du parlement ou de cette législature en vertu de la présente loi.

129. Except as otherwise provided by this Act, all Laws in force in Canada, Nova Scotia, or New Brunswick at the Union, and all Courts of Civil and Criminal Jurisdiction, and all legal Commissions, Powers, and Authorities, and all Officers, Judicial, Administrative, and Ministerial, existing therein at the Union, shall continue in Ontario, Quebec, Nova Scotia, and New Brunswick respectively, as if the Union had not been made; subject nevertheless (except with respect to such as are enacted by or exist under Acts of the Parliament of Great Britain or of the Parliament of the United Kingdom of Great Britain and Ireland,) to be repealed, abolished, or altered by the Parliament of Canada, or by the Legislature of the respective Province, according to the Authority of the Parliament or of that Legislature under this Act.

[135]      La prochaine date d’importance est l’année 1931, lorsqu’une loi du Parlement britannique, le Statut de Westminster[142], reçoit la sanction royale. Cette avant-dernière étape parachève presque l’évolution commencée modestement en 1774 avec l’Acte de Québec. Il appert tout d’abord que le Colonial Laws Validity Act, 1865 n’avait pas dissipé toutes les ambiguïtés qu’il s’était donné pour objectif d’éliminer. La chose ressort clairement du jugement du Conseil privé dans l’affaire Nadan v. The King[143]. L’affaire concernait l’effet d’une disposition du Code criminel canadien (l’art. 1025) aux termes de laquelle étaient abolis en matière criminelle les appels autorisés par prérogative du souverain. Le Conseil privé conclut, tant en raison de cette prérogative ancienne et consacrée par la jurisprudence qu’à cause de la teneur de deux lois britanniques, le Judicial Committee Act[144] de 1833 et le Judicial Committee Act[145] de 1844, que le Parlement canadien ne pouvait supprimer au moyen de l’art. 1025 du Code criminel les appels formés de cette façon. En d’autres termes, l’art. 1025 tombait sous le coup de l’art. 2 du Colonial Laws Validity Act, 1865 et il était donc sans effet en l’espèce. Or, dans le but de résorber ce qui demeurait incertain quant à la portée des lois du Parlement de Westminster, une conférence impériale tenue en 1930 se pencha de nouveau sur la question. Elle en vint à la conclusion qu’une convention constitutionnelle faisait désormais obstacle à l’extension des lois impériales à la manière illustrée par l’arrêt Nadan v. The King.

[136]      Issu de ces débats, le Statut de Westminster affirme dans le troisième alinéa de son préambule l’existence de la convention constitutionnelle en question[146] :

Considérant qu’il est conforme au statut constitutionnel consacré de statuer que nulle loi émanant désormais du Parlement du Royaume-Uni ne doit s’étendre à l’un quelconque desdits Dominions comme partie de la législation de ce Dominion, sauf à la demande et avec l’agrément de celui-ci; […]

[…] whereas it is in accord with the established constitutional position that no law hereafter made by the Parliament of the United Kingdom shall extend to any of the said Dominions as part of the law of that Dominion otherwise than at the request and with the consent of that Dominion: […]

Pour donner pleinement effet à cette convention, on instituait donc en 1931 entre les lois fédérales ou provinciales d’une part, et les lois impériales d’autre part, un régime nettement plus restrictif pour ces dernières que celui en place au moment de la sanction du Statut de Westminster. Il suffit de reproduire quelques dispositions de cette loi pour en bien saisir les effets :

2. (1) La Loi de 1865 relative à la validité des lois des colonies ne doit s’appliquer à aucune loi adoptée par le Parlement d’un Dominion postérieurement à la proclamation de la présente loi.

(2) Nulle loi et nulle disposition de toute loi édictée postérieurement à la proclamation de la présente loi par le Parlement d’un Dominion ne sera invalide ou inopérante à cause de son incompatibilité avec la législation d’Angleterre, ou avec les dispositions de toute loi existante ou à venir émanée du Parlement du RoyaumeUni, ou avec tout arrêté, statut ou règlement rendu en exécution de toute loi comme susdit, et les attributions du Parlement d’un Dominion comprendront la faculté d’abroger ou de modifier toute loi ou tout arrêté, statut ou règlement comme susdit faisant partie de la législation de ce Dominion.

[…]

2. (1) The Colonial Laws Validity Act, 1865, shall not apply to any law made after the commencement of this Act by the Parliament of a Dominion.

 

(2) No law and no provision of any law made after the commencement of this Act by the Parliament of a Dominion shall be void or inoperative on the ground that it is repugnant to the law of England, or to the provisions of any existing or future Act of Parliament of the United Kingdom, or to any order, rule or regulation made under any such Act, and the powers of the Parliament of a Dominion shall include the power to repeal or amend any such Act, order, rule or regulation in so far as the same is part of the law of the Dominion.

 

[…]

4. Nulle loi du Parlement du Royaume-Uni adoptée postérieure­ment à l’entrée en vigueur de la présente Loi ne doit s’étendre ou être censée s’étendre à un Dominion, comme partie de la législation en vigueur dans ce Dominion, à moins qu’il n’y soit expressément déclaré que ce Dominion a demandé cette loi et a consenti à ce qu’elle soit édictée.

[…]

4. No Act of Parliament of the United Kingdom passed after the commencement of this Act shall extend, or be deemed to extend, to a Dominion as part of the law of that Dominion, unless it is expressly declared in that Act that that Dominion has requested, and consented to the enactment thereof.

 

[…]

7. (1) Rien dans la présente Loi ne doit être considéré comme se rapportant à l’abrogation ou à la modification des Actes de l’Amérique du Nord britannique, 1867 à 1930, ou d’un arrêté, statut ou règlement quelconque édicté en vertu desdits Actes.

(2) Les dispositions de l’article deux de la présente Loi doivent s’étendre aux lois édictées par les provinces du Canada et aux pouvoirs des législatures de ces provinces.

(3) Les pouvoirs que la présente Loi confère au Parlement du Canada ou aux législatures des provinces ne les autorisent qu’à légiférer sur des questions qui sont de leur compétence respective.

7. (1) Nothing in this Act shall be deemed to apply to the repeal, amendment or alteration of the British North America Acts, 1867 to 1930, or any order, rule or regulation made thereunder.

 

(2) The provisions of section two of this Act shall extend to laws made by any of the Provinces of Canada and to the powers of the legislatures of such Provinces.

(3) The powers conferred by this Act upon the Parliament of Canada or upon the legislatures of the Provinces shall be restricted to the enactment of laws in relation to matters within the competence of the Parliament of Canada or of any of the legislatures of the Provinces respectively.

[137]      Par les art. 2 et 4, on se trouvait donc à soustraire à l’application du Colonial Laws Validity Act, 1865 les lois fédérales ou provinciales postérieures au Statut de Westminster. Cela créait la possibilité qu’une législature canadienne prenne sur elle de modifier unilatéralement la LC 1867, ce qui bien entendu aurait pu compromettre l’équilibre entre ordres de gouvernement fédéral et provinciaux au sein de la fédération canadienne. Aussi le par. 7(1) du Statut de Westminster avait-il pour but d’empêcher une telle éventualité[147].

[138]      Un dernier cap est contourné avec la Loi de 1982 sur le Canada[148]. À partir de celle-ci, la totalité de la suprématie législative en territoire canadien est désormais dévolue aux législatures locales, y compris le Parlement canadien. Aussi, le par. 7(1) du Statut de Westminster perd-il sa raison d’être[149]. Ce qui tombait encore sous le coup de cette disposition après 1931 relève dorénavant des diverses entités constituantes énumérées aux art. 38 et 41 à 45 de la LC 1982. Selon l’objet sur lequel ces entités constituantes prétendent exercer leur souveraineté, l’unanimité ou une formule moins contraignante sera de règle.

*   *   *   *   *   *

[139]      Quel bilan peut-on dresser de la manière dont la Constitution canadienne a évolué vers ce qu’elle est devenue aujourd’hui à partir de ce qui précède et en s’appuyant sur les données historiques rassemblées ici? Quelques points méritent qu’on s’y arrête de plus près avant de tirer des conclusions de l’ensemble.

[140]      Un premier constat émerge avec grande netteté de ce parcours étalé sur plus de deux siècles, l’idée maîtresse d’une dévolution[150]. Tout au long de la période en question, on assiste en effet à une dévolution progressive de la souveraineté législative et constitutionnelle de la Grande-Bretagne vers le Canada (et donc vers le Québec, dans la mesure des compétences législatives qui lui reviennent). Il est clair avec le recul que ce mouvement aura été irréversible et qu’il n’a cessé de s’amplifier avec le temps. Or, en 1982, au terme de cette longue progression, les anciennes colonies fédérale et provinciales, pourtant encore bien présentes en tant que telles dans la LC 1867, héritent ensemble de la totalité des pouvoirs jusque-là exercés au Canada par le Parlement de Westminster. Et, en cours de route, la nature même du gouvernement en place se sera transformée du tout au tout. Il y a d’abord le régime militaire introduit en 1760 et dont on peut dire que, pendant un temps assez court, il impose le règne sans partage de l’exécutif. Lui succède pendant plusieurs années un gouvernement colonial ancré principalement dans l’exercice de la prérogative royale et dans les instructions données de la métropole au gouverneur de la colonie, mais où l’on consulte formellement les sujets locaux. Certes, avec l’Acte de Québec, des notables seront amenés à seconder le gouverneur et à participer, parfois étroitement, à l’activité législative, mais on est encore loin à cette époque d’une forme, même primitive, de gouvernement représentatif.

[141]      Cela dit, si pendant plus d’un siècle cette activité législative subit une contrainte précise, la situation ne cesse d’évoluer au cours des années. Il est vrai, en effet, que l’exigence de la sanction royale, et la faculté de désaveu qui l’accompagne, établissent un cadre institutionnel pour contenir et même pour entraver les initiatives législatives prises dans la colonie. Néanmoins, selon certaines sources réputées fiables en histoire constitutionnelle, il semble qu’à travers le temps ces deux idées potentiellement antagonistes, la censure royale d’un côté et la souveraineté législative locale de l’autre, aient tout simplement évolué en directions inverses, le refus de la sanction royale ou le désaveu royal par Londres déclinant peu à peu pour devenir moins fréquents à mesure que gagnent en importance le principe du gouvernement responsable et la légitimité puis la souveraineté coïncidentes d’une assemblée législative au sein de la colonie[151].

[142]      Il est clair que pendant longtemps ces caractéristiques contraignantes de la constitution locale (c.-à-d. l’exigence de la sanction royale, notamment pour les lois réservées, et la faculté de désaveu dans certains cas) demeurèrent politiquement controversées. C’est ce que démontre l’une des 92 résolutions votées par l’Assemblée législative du Bas-Canada en février 1834[152], résolutions qui furent un puissant indice avant-coureur de la rébellion de 1837, du Rapport Durham et de l’Acte d’Union, 1840. Mais rien de ce que l’on observe ici ne constitue à proprement parler une forme de contrôle supralégislatif assimilable de quelque façon que ce soit au contrôle judiciaire moderne de la constitutionnalité des lois. Pour l’essentiel, et pour la majeure partie de la période antérieure à la LC 1867, il s’agit plutôt de l’exercice par le souverain, assisté de son Conseil privé, du pouvoir exécutif qui lui appartient, celui par le moyen duquel il manifeste son autorité dans les colonies. Les art. XLII de l’Acte constitutionnel de 1791 et de l’Acte d’Union, 1840 confèrent au Parlement de Westminster un pouvoir de surveillance sur cet exercice, pouvoir imposé au souverain – on pourrait même dire qu’à partir de cette date, le dernier mot revient toujours au Parlement si celui-ci souhaite s’en prévaloir – mais, là aussi, on demeure résolument dans la sphère politique. Aussi les décisions sont-elles guidées par les impératifs politiques de la gestion coloniale de la période, et non par des considérations juridiques d’ordre supralégislatif. N’entre d’ailleurs pas dans la tradition britannique de l’époque, rappelons-le encore une fois, la pratique d’enchâsser dans des lois conçues comme des parties de la constitution formelle ou matérielle la protection des libertés individuelles et des droits fondamentaux.

[143]      On note en deuxième lieu que le dossier des pourvois tel qu’il se présente ne fait état d’aucun précédent judiciaire – pas un seul[153] – à l’occasion duquel un tribunal aurait fait droit à la contestation constitutionnelle d’une loi du Québec, du Bas-Canada ou de la Province du Canada en se fondant sur des droits fondamentaux affirmés dans l’Acte de Québec. Il appert d’ailleurs que, dans les rares cas où cette loi impériale affleure en jurisprudence, on prête à certaines de ses dispositions les plus fondamentales, tel son art. V, une portée essentiellement déclaratoire[154]. Et l’idée d’une contestation judiciaire de la loi au nom de la constitution écrite suscitera encore longtemps de réelles réticences après 1774[155]. Sans doute est-il permis de soutenir, comme cela fut fait lors des plaidoiries orales devant la Cour, que l’argumentation des opposants à la Loi fondée sur l’Acte de Québec n’avait jamais été développée auparavant parce que l’occasion de le faire à bon escient ne s’était jamais présentée jusqu’alors. C’est là une manière de voir les choses, mais ce n’est assurément pas la seule qui de nos jours puisse venir à l’esprit de quiconque souhaiterait rendre compte du silence ininterrompu et prolongé de la jurisprudence sur une interaction possible entre cette loi impériale de 1774 et la protection des droits fondamentaux en droit positif actuel.

[144]      En dernière analyse, la thèse qui, encore de nos jours, prétend conférer à l’Acte de Québec une portée supralégislative, en l’occurrence en matière de liberté de religion, ne tient aucun compte de l’évolution constitutionnelle qui a marqué la période postérieure à 1931. Dans cette mesure, cette thèse est ici anachronique (ce qui n’est pas nécessairement le cas de toute la législation constitutionnelle d’origine impériale). Par conséquent, elle doit être écartée. Cela ressort notamment du passage tiré de l’œuvre de Pierre-Basile Mignault[156] dont disent s’inspirer certains opposants à la Loi. Le juge de première instance reproduit ce passage au par. 527 de ses motifs. Écrivant en 1895, Mignault oppose les dispositions de deux lois impériales : la garantie de libre exercice de la religion catholique contenue dans l’Acte de Québec et la compétence législative que l’art. 91 de la LC 1867 reconnaît au Parlement du Canada en matière de mariage et de divorce (par. 26). Il ne peut cependant faire de doute après 1982 que toute incompatibilité entre ces textes, à supposer qu’une telle contradiction aurait pu exister, devrait se résoudre de manière à faire prévaloir à tous égards le par. 26 de l’art. 91 de la LC 1867 sur l’art. V de l’Acte de Québec. Le temps aussi fait son œuvre en matière constitutionnelle.

[145]      Un troisième aspect de la question mérite d’être souligné : on a noté plus haut le lent processus de dévolution qui s’est écoulé de l’Angleterre vers le Canada entre 1774 et 1982, mais sur quoi portait cette dévolution, quel en était l’objet précis?

[146]      À l’origine, dès l’Acte de Québec, ce qui faisait office de constitution de la colonie prévoyait par l’art. XII la mise sur pied d’un « Conseil pour les affaires de la Province de Québec / Council for the Affairs of the Province of Quebec » qui « aura le pouvoir et autorité de faire des Ordonnances pour la Police, le bonheur et bon gouvernement de la dite province, du consentement du Gouverneur / shall have Power and Authority to make Ordinances for the Peace, Welfare and good Government, of the said Province, with the Consent of his Majesty’s Governor ». La ressemblance paraît déjà évidente avec la clause correspondante de l’art. 91 de la LC 1867, « de faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement / to make Laws for the Peace, Order and good Government ». Et à première vue, la teneur de cette compétence de nature législative, c’est-à-dire tout ce sur quoi pouvait s’exercer sa maîtrise, semblait coextensive avec la notion même de gouvernement civil. Bien entendu, pour un temps assez long encore, la plénitude apparente de l’objet confié au Conseil n’est que relative puisque le consentement du gouverneur, qui continue de recevoir ses instructions de Londres, demeure en toute chose une condition préalable et sine qua non à l’exercice effectif de cette compétence. Aussi tout se jouera-t-il en un premier temps autour des modalités d’exercice de la compétence législative dont sont investies les institutions coloniales.

[147]      Or, soulignons-le de nouveau, avec l’aval de Londres, cette compétence locale ne cessera de s’affirmer. Longtemps avant le dessaisissement par le Parlement britannique en 1982 de l’entièreté de sa compétence législative et constitutionnelle sur le territoire du Québec, une loi de 1854 avait déjà transféré des deux chambres de ce Parlement vers l’Assemblée et le Conseil législatifs de la Province du Canada une importante composante de la compétence impériale[157]. Quelques années plus tard, le Colonial Laws Validity Act, 1865 poursuivait sur cette lancée et limitait encore plus la compétence du Parlement britannique sous l’effet de la doctrine de repugnancy. Désormais, seules certaines lois impériales adoptées par le Parlement de Londres pourraient prévaloir dans les colonies, et à la stricte condition d’être suffisamment explicites dans leur incompatibilité avec les lois coloniales[158]. Moins d’un siècle plus tard, c’est le Statut de Westminster qui pousse plus loin encore le mouvement de dévolution, ce Statut dont une importante disposition place hors de portée des législatures coloniales les « Actes de l’Amérique du Nord britannique, 1867 à 1930 / British North America Acts, 1867 to 1930 »[159]. C’est cette réserve fondamentale que complète l’annexe de la LC 1982, à laquelle renvoie son alinéa 52(2)b). À partir de ce moment, tout est dit et l’Acte de Québec n’a plus aucune portée sur les lois fédérales ou provinciales.

[148]      En d’autres termes, on tente aujourd’hui d’extirper, pour ne pas dire d’exhumer, de l’histoire constitutionnelle ancienne une loi anglaise vieille de deux siècles et demi afin de désormais lui prêter une signification qu’elle n’a jamais eue dans l’esprit de ses auteurs. L’Acte de Québec est une loi impériale de circonstance (en ce sens qu’elle s’inscrit dans une logique de conquête coloniale), dont la jurisprudence ne parle plus depuis fort longtemps. Avec raison, elle intéresse encore les historiens, et il est souhaitable qu’il en soit ainsi, mais sa place n’est pas dans le prétoire pour trancher une controverse qui obéit à des contraintes constitutionnelles modernes d’un tout autre ordre.

3. Lois coloniales antérieures à la Confédération

[149]      Rappelons en premier lieu le statut des deux lois en question (la Loi Hart et la Loi sur les rectoreries) : il s’agissait de lois coloniales, ce qu’elles sont demeurées pendant toute la durée leur existence. Or, il faut une assise ferme pour reconnaître à une loi une dimension quasi-constitutionnelle, ou a fortiori pour lui prêter une portée supralégislative. Sur ce plan, la différence semble évidente entre ces lois et l’Acte de Québec. En effet, vu ses origines, l’Acte de Québec prenait place aux côtés de lois comme l’Acte constitutionnel de 1791 ou l’Acte d’Union, 1840, qui toutes deux partageaient indéniablement de telles caractéristiques quasi-constitutionnelles ou supralégislatives au moment de leur adoption. Comme on vient de le voir, est donc déterminant ici ce qu’il advint de l’Acte de Québec par la suite, car son statut se modifia par étapes, au gré de réformes constitutionnelles successives, jusqu’en 1982. Malgré tout, une remarque du même ordre vaut pour les deux autres lois examinées ici, en ce sens que leur signification actuelle résulte d’une longue évolution et découle de diverses transformations postérieures à leur adoption. Malgré ce que peut comporter de fastidieux un exposé chronologique et détaillé des législations en cause, il faut examiner ces lois de près, ainsi que certaines autres lois adoptées en amont, afin de mettre en contexte ce dont il s’agit en l’occurrence.

a. Loi sur les rectoreries

[150]      Si l’on essaie de résumer en quelques lignes la teneur essentielle de l’évolution législative jusqu’en 1982, on peut d’abord souligner l’existence dès le début de deux lignes de fracture déjà assez profondément ancrées dans la société coloniale au tournant des XVIIIe et XIXe siècles. Ces fractures étaient susceptibles d’engendrer dans l’opinion publique des premières décennies de la colonie des frictions et des divisions durables entre, d’une part, les catholiques (très majoritaires et très majoritairement francophones) et les protestants (en majeure partie anglophones). Mais, d’autre part, elles étaient également susceptibles de provoquer des réactions sectaires entre confessions différentes au sein même de ce qui demeurerait longtemps la minorité protestante, alors déjà en pleine croissance. La place de l’Église de Rome dans ce qui avait été la NouvelleFrance était considérable et cela n’était pas appelé à changer à court terme. En revanche, l’existence en Angleterre (et donc par hypothèse dans les colonies anglaises) d’une église officielle et établie dont le monarque était le « gouverneur », c’est-à-dire l’Église Anglicane, mettait ces deux institutions religieuses en concurrence, en particulier à l’égard de leurs moyens de subsistance dans la colonie. Et par ailleurs, l’Église Anglicane elle-même pouvait entrer en rivalité avec diverses confessions nonconformistes – les presbytériens et calvinistes de l’Église d’Écosse, les méthodistes, voire les baptistes, les quakers ou les dissidents de toute sorte, dont certains arrivaient des colonies américaines en rébellion. Beaucoup voyaient d’un mauvais œil l’instauration au Canada d’une religion « établie », dotée de privilèges fiscaux et exerçant la même emprise « officielle » que la religion anglicane en Angleterre.

[151]      S’agissant de la Loi sur les rectoreries, on peut retracer sa lointaine origine en remontant jusqu’à l’Acte de Québec. Celui-ci n’est certainement pas prodigue de détails sur la question des religions telle qu’elle se présentait dans la Province de Québec en 1774. Il contient cependant une disposition, son art. V, à laquelle il a déjà été fait allusion et qui revêtait une importance capitale aux yeux de la population locale. Cette disposition, reproduite au par. [121], affirme, c’est son principe, qu’au Québec « les sujets de Sa Majesté professant la Religion de l’Eglise de Rome […] peuvent avoir, conserver et jouir du libre exercice de la Religion de l’Eglise de Rome / his Majesty’s Subjects, professing the Religion of the Church of Rome […] may have, hold, and enjoy, the free Exercise of the Religion of the Church of Rome ». Pourtant, dans le sillage de cette reconnaissance de principe se posaient aussi des difficultés concrètes ou pratiques, et en quelque sorte d’intendance, relatives au sort du clergé et des églises en présence. En termes certes succincts, l’art. V pourvoit à leur entretien, ajoutant que « le Clergé de la dite Eglise [catholique] peut tenir, recevoir et jouir de ses dûs et droits accoutumés, eu égard seulement aux personnes qui professeront la dite Religion / the Clergy of the said [Catholic] Church may hold, receive, and enjoy, their accustomed Dues and Rights, with respect to such Persons only as shall profess the said Religion ». Fort bien. Mais suit immédiatement un art. VI qui prévoit qu’au Québec il sera loisible au souverain « de faire telles applications du résidû des dits dûs et droits accoutumés, pour l’encouragement de la Religion Protestante, et pour le maintien et subsistance d’un Clergé Protestant / to make such Provision out of the rest of the said accustomed Dues and Rights, for the Encouragement of the Protestant Religion, and for the Maintenance and Support of a Protestant Clergy »[160]. Étaient ainsi jetées les bases d’un modus vivendi qui nécessiterait un certain encadrement législatif et qui susciterait au cours des années ultérieures d’assez vives controverses politiques.

[152]      Par contraste, l’Acte constitutionnel de 1791 paraît presque prolixe sur la même question. Huit de ses articles, dont la plupart sont longs et détaillés, aménagent avec précision les rapports entre les autorités coloniales et les églises alors présentes sur le territoire du Haut et du Bas-Canada. Néanmoins, l’accent y est très nettement mis sur l’Église Anglicane. La plupart de ces dispositions prévoient que, conformément aux directives reçues de Londres, les autorités coloniales locales pourront prendre diverses initiatives importantes dans la conduite des affaires affectant les religions. On peut les résumer sommairement comme suit. L’Église catholique conserve ses « Dûs et Droits accoutumés / accustomed Dues and Rights », mais les autorités de la colonie répartiront les surplus et les « Dixmes sur les terres ou les possessions occupées par un Protestant / Tythes for Lands or Possessions occupied by a Protestant » de manière à pourvoir à l’encouragement, à l’entretien et au support d’un « Clergé Protestant / Protestant Clergy », toute modification à ce régime nécessitant en outre une approbation royale (art. XXXV). Pareillement, les autorités coloniales pourront « faire […] telle concession et appropriation [permanentes] des Terres [de la Couronne] pour le soutien et l’entretien du Clergé Protestant / make […] such [permanent] Allotment and Appropriation of [Crown] Lands, for the Support and Maintenance of a Protestant Clergy », le tout selon une proportion et conformément à un calcul ici fixés par la loi (art. XXXVI). Les sommes perçues de la sorte en provenance « de telles Terres ainsi concédées et appropriées / such Lands so allotted and appropriated » serviront exclusivement « à l’entretien et maintien d’un Clergé Protestant dans la Province dans laquelle elles seront situées / to the Maintenance and Support of a Protestant Clergy within the Province in which the same shall be situated » (art. XXXVII). De même, ces autorités auront la faculté de créer des « Bénéfices ou Cures / Parsonages or Rectories » – ici apparaissent les « cures » ou « rectoreries », selon la traduction française qui sera admise par la suite. Cela devra se faire « suivant l’établissement de l’Eglise Anglicane / according to the Establishment of the Church of England » et on pourra les « fonder/ endow » à même les terres précédemment concédées par la Couronne (art. XXXVIII). Les autorités coloniales pourront aussi désigner un « Bénéficier ou Ministre de l’Eglise Anglicane / Incumbent or Minister of the Church of England » pour officier dans ces bénéfices ou ces cures et y jouir de « tous Droits, Profits ou Emolumens y appartenans / all Rights, Profits, and Emoluments thereunto belonging » (art. XXXIX). En ce qui regarde les questions d’ordre spirituel et ecclésiastique, celles-ci relèveront de l’Évêque de la Nouvelle-Écosse, par son autorité découlant des « Lettres Patentes Royales de Sa Majesté / his Majesty’s Royal Letters Patent » (art. XL). L’Assemblée et le Conseil législatifs de chaque province pourront modifier par loi les dispositions précédentes sur les terres concédées, sur les bénéfices ou les cures et sur la désignation des titulaires, mais sous réserve expresse de l’approbation royale obtenue de la manière ci-après décrite (art. XLI). On en vient enfin au texte qui, sur un plan constitutionnel, est probablement le plus lourd de sens : il concerne l’autorité que se réserve le Parlement britannique sur tout ce qui précède (art. XLII). Comme nous l’avons déjà mentionné[161], ce texte de l’Acte constitutionnel de 1791 est pour ainsi dire identique à celui qui se retrouvera, plusieurs décennies plus tard, dans l’Acte d’Union, 1840, au moment de l’unification du Bas et du Haut-Canada. Hormis l’ajout de quelques précisions, cette dernière disposition, qui elle aussi porte le numéro XLII, demeure essentiellement la même par sa teneur.

[153]      Ainsi, entre deux dates, celle de l’Acte constitutionnel de 1791 et celle de la LC 1867, ces lois impériales régiront une réalité qu’elles décrivent avec la même acuité. Elles concernent les relations entre les églises catholique et protestante de même que celles entre l’Église Anglicane et les autres confessions que le protestantisme rassemble en son sein. Elles concernent aussi le rôle que prendront les autorités coloniales dans l’entretien des religions actives en territoire canadien. Il en résultera une dynamique qui dominera ces rapports pendant plus de 50 ans. Avec l’arrivée prochaine de la Confédération, quelque temps avant 1867, cette réalité commencera à s’estomper. Jamais plus par la suite ne retrouvera-t-elle la prééminence qui fut la sienne lorsque le législateur impérial, par des interventions méthodiques, avait promulgué les art. XXXV à XLII de l’Acte constitutionnel de 1791, puis l’art. XLII de l’Acte d’Union, 1840. Ici comme ailleurs, les choses changèrent avec le passage du temps.

[154]      Comme nous l’avons souligné plus haut, les art. XXXV à XLII de l’Acte constitutionnel de 1791 étaient déjà riches en détails sur le sujet. L’art. XLII de l’Acte d’Union, 1840 réitère les mêmes règles, tout en précisant la portée de quelques-unes d’entre elles. Pour une bonne compréhension de ce qui se jouait ici, et de la manière dont on exprimait ces choses à l’époque, cet art. XLII mérite d’être cité tel quel et au long (avec la traduction française de l’original, tirée des appendices aux Lois révisées du Canada de 1985). On verra à sa lecture que le sens du texte tend à se perdre derrière sa lettre :

XLII. Et qu’il soit statué, que lorsque le Conseil législatif et l’Assemblée Législative de la Province du Canada auront passé aucuns Bill ou Bills, qui contiendront aucunes dispositions changeant ou révoquant aucune des dispositions maintenant en vigueur et contenues dans un Acte du Parlement de la Grande-Bretagne passé en la quatorzième année du Règne de feu Sa Majesté George Trois, intitulé, Acte pour pourvoir d’une manière plus efficace au Gouvernement de la Province de Québec dans l’Amérique du Nord, ou dans les Actes susdits du Parlement passés dans la trenteetunième année du même Règne, relativement aux droits ou revenus ordinaires du Clergé de l’Eglise de Rome; ou changeant et révoquant aucune des diverses dispositions contenues dans le dit Acte mentionné en dernier lieu, relativement au partage et à l’appropriation de terres pour le soutien du Clergé protestant dans la Province du Canada, relativement à la constitution, érection ou dotation de Paroisses ou Rectoreries dans la Province du Canada ou à la présentation des bénéficiers ou ministres d’icelles, ou relativement à la manière dont tels bénéficiers ou ministres devront posséder icelles et en jouir; et aussi lorsqu’il aura été passé aucuns Bill ou Bills contenant aucunes dispositions qui pourront en aucune manière affecter ou avoir rapport à la jouissance ou exercice d’aucune espèce de culte religieux, ou qui imposeraient aucunes pénalités ou charges, ou pourront créer quelqu’incapacité ou disqualification, par rapport à tel culte, ou qui affecteront ou auront rapport à aucun paiement, recouvrement ou jouissance d’aucun des revenus ou droits ordinaires mentionnés cidevant, ou qui auront en aucune manière rapport à la dotation, imposition ou recouvrement d’aucuns autres droits, salaires ou émolumens, qui devront être payés à aucun Ministre, Prêtre, Ecclésiastique, ou Prédicant, conformé­ment aux usages d’aucun culte religieux, pour leur dite charge ou fonction; ou qui affecteront ou auront rapport en aucune manière à l’établissement ou la discipline de l’Église réunie d’Angleterre et d’Irelande, parmi les Membres d’icelle dans la dite Province; ou qui affecteront ou auront un rapport en aucune manière à la prérogative de Sa Majesté concernant la dotation des terres incultes de la Couronne dans la dite Province; tous tels Bill ou Bills seront, préalablement à aucune déclaration ou signification de l’assentiment de Sa Majesté à iceux, soumis aux deux Chambres du Parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irelande; et il ne sera pas loisible à sa Majesté de signifier son assentiment à aucuns tels Bill ou Bills jusqu’à l’expiration de trente jours après qu’ils auront été soumis aux dites Chambres, ni de donner son assentiment à aucuns tels Bill ou Bills dans le cas ou l’une ou l’autre Chambre du Parlement demanderait, dans les dits trente jours, par adresse à Sa Majesté de refuser sa sanction à aucuns tels Bill ou Bills; et aucun tel Bill n’aura vigueur ni effet pour aucun des dits objets dans la dite Province du Canada, à moins que le Conseil Législatif et l’Assemblée de telle Province n’aient présenté au Gouverneur de la dite Province, pendant la Session dans laquelle il pourra avoir été passé par eux, une ou plusieurs adresses, déclarant que tels Bill ou Bills contiennent des dispositions sur quelqu’un des objets spécialement précisés ci-dessus, et demandant qu’à l’effet de donner vigueur à tels Bill ou Bills, ils soient transmis en Angleterre en diligence, pour être soumis au Parlement, préalablement à la signification de l’assentiment de Sa Majesté à iceux.

XLII. And be it enacted, That whenever any Bill or Bills shall be passed by the Legislative Council and Assembly of the Province of Canada, containing any Provisions to vary or repeal any of the Provisions now in force contained in an Act of the Parliament of Great Britain passed in the Fourteenth Year of the Reign of His late Majesty King George the Third, intituled An Act for making more effectual Provision for the Government of the Province of Quebec in North America, or in the aforesaid Acts of Parliament passed in the Thirty-first Year of the same Reign, respecting the accustomed Dues and Rights of the Clergy of the Church of Rome; or to vary or repeal any of the several Provisions contained in the said last-mentioned Act, respecting the Allotment and Appropriation of Lands for the Support of the Protestant Clergy within the Province of Canada, or respecting the constituting, erecting, or endowing of Parsonages or Rectories within the Province of Canada, or respecting the Presentation of Incumbents or Ministers of the same, or respecting the Tenure on which such Incumbents or Ministers shall hold or enjoy the same; and also that whenever any Bill or Bills shall be passed containing any Provisions which shall in any Manner relate to or affect the Enjoyment or Exercise of any Form or Mode of Religious Worship, or shall impose or create any Penalties, Burdens, Disabilities or Disqualifications in respect of the same, or shall in any Manner relate to or affect the Payment, Recovery, or Enjoyment of any of the accustomed Dues or Rights herein-before mentioned, or shall in any Manner relate to the granting, imposing, or recovering of any other Dues, or Stipends, or Emoluments, to be paid to or for the Use of any Minister, Priest, Ecclesiastic, or Teacher, according to any Form or Mode of Religious Worship, in respect of his said Office or Function; or shall in any Manner relate to or affect the Establishment or Discipline of the United Church of England and Ireland among the Members thereof within the said Province; or shall in any Manner relate to or affect Her Majesty’s Prerogative touching the granting of Waste Lands of the Crown within the said Province; every such Bill or Bills shall, previously to any Declaration or Signification of Her Majesty’s Assent thereto, be laid before both Houses of Parliament of the United Kingdom of Great Britain and Ireland; and that it shall not be lawful for Her Majesty to signify Her Assent to any such Bill or Bills until Thirty Days after the same shall have been laid before the said Houses, or to assent to any such Bill or Bills in case either House of Parliament shall, within the said Thirty Days, address Her Majesty to withhold Her Assent from any such Bill or Bills; and that no such Bill shall be valid or effectual to any of the said Purposes within the said Province of Canada unless the Legislative Council and Assembly of such Province shall, in the Session in which the same shall have been passed by them, have presented to the Governor of the said Province an Address or Addresses specifying that such Bill or Bills contains Provisions for some of the Purposes herein-before specially described, and desiring that, in order to give Effect to the same, such Bill or Bills may be transmitted to England without Delay, for the Purpose of its being laid before Parliament previously to the Signification of Her Majesty’s Assent thereto.

Néanmoins, par le ton qu’adopte le législateur dans ce texte de loi, on mesure l’importance que revêtait dans la société de l’époque le maintien d’une certaine harmonie dans les rapports entre le gouvernement des colonies et les quelques églises qui incarnaient les religions alors répandues dans la population.

[155]      Aussi paraît-il à propos d’attirer dès maintenant l’attention sur quelques lignes de cet art. XLII de la loi de 1840 tel qu’il vient d’être reproduit, lignes auxquelles correspond presque mot pour mot un extrait de l’art. XLII de la loi de 1791. Le législateur y assujettit à l’approbation du Parlement britannique toute loi coloniale qu’il décrit en ces termes :

[…] lorsqu’il aura été passé aucuns Bill ou Bills contenant aucunes dispositions qui pourront en aucune manière affecter ou avoir rapport à la jouissance ou exercice d’aucune espèce de culte religieux […].

[…] whenever any Bill or Bills shall be passed containing any Provisions which shall in any Manner relate to or affect the Enjoyment or Exercise of any Form or Mode of Religious Worship […].

Ce bref passage laissait présager ce sur quoi le législateur fixerait son attention lorsqu’il interviendrait de nouveau pour encadrer la situation des religions actives localement.

[156]      À ce stade, diverses précisions s’imposent pour bien cerner le contexte de ces interventions législatives. À qui, en effet, le législateur s’adressait-il, et sur quoi s’exprimait-il au juste, lorsqu’il prenait position de la sorte sur ce sujet? Si l’on se place dix ans plus tard, en 1850, année où la Chambre de la Province du Canada, de nouveau et longuement, se penche sur la chose, « l’épineuse question des réserves du clergé », nous dit l’historien Thomas Chapais, « agitait » déjà depuis 25 ans « l’opinion de la province supérieure »[162]. Or, on assistait depuis des années déjà à un blocage entre, d’un côté, l’Assemblée législative de la Province du Canada et les éléments progressistes ou réformistes (plutôt favorables à l’abolition des réserves) et, de l’autre, le Conseil législatif de la même province et les éléments conservateurs dits du « family compact » (généralement hostiles à l’abolition)[163]. Cette impasse avait durablement marqué la vie politique du Haut-Canada, puis de la Province du Canada, comme en témoignent de nombreux documents officiels de l’époque[164].

[157]      Outre la question du maintien des réserves se posait aussi, et de manière sousjacente, le problème du sens à donner à l’expression « Clergé Protestant / Protestant Clergy » telle qu’elle apparaît, entre autres dispositions pertinentes, aux art. VI de l’Acte de Québec, XXXV de l’Acte constitutionnel de 1791 et XLII de l’Acte d’Union, 1840. Les droits du clergé, anglican ou non, sur les réserves qui lui étaient destinées dépendaient de la réponse à cette question. Et la croissance démographique et économique de la colonie faisait en sorte que la controverse s’accompagnait maintenant d’un enjeu tangible pour les intéressés[165]. Le sens de l’expression semble d’ailleurs avoir suscité de vives et persistantes divisions au Canada, malgré le fait qu’avant d’adopter l’Acte d’Union, 1840, les parlementaires britanniques avaient sollicité et obtenu sur ce point l’avis des juges de la Cour des plaids communs (« Court of Common Pleas »). Ils s’étaient vu répondre à cette occasion que l’Église Anglicane n’était pas la seule visée par l’expression « Protestant Clergy » dans les textes votés à Londres en 1774 et en 1791[166].

[158]      Signalons enfin que, s’agissant des réserves visées par la loi, le mécanisme en quelque sorte « statutaire »[167] de mise en banque de terres publiques pour le bénéfice du « Clergé Protestant / Protestant Clergy » ouvrait la possibilité pour l’autorité coloniale de « constituer et ériger / constitute and erect » des « Cures / Rectories » et de les « fonder / endow » avec « autant ou telle partie des Terres ainsi concédées et appropriées / so much or such Part of the Lands so allotted and appropriated » (art. XXXVIII). Ce second aspect de la procédure de réserve était perçu par beaucoup comme une entrave au développement naturel de la colonie et il semble avoir provoqué à son tour de la part de la population affectée une vague de vif ressentiment[168].

[159]      Tel était donc le climat dans lequel fut votée la Loi sur les rectoreries de 1852. Résumant en quelques phrases les étapes qui menèrent à cette transition, l’un des experts entendus en première instance écrivait ce qui suit dans son rapport :

Pour calmer le mécontentement suscité parmi les autres confessions chrétiennes exclues du bénéfice de la vente des réserves permise depuis 1817 [sic], Londres adopte une loi en 1840 pour en distribuer le produit des ventes également entre toutes ces confessions. […] Mais les réserves devenues multiconfessionnelles continuent de diviser l’opinion sous le régime d’Union, si bien que le Parlement du Canada-Uni adopta en 1851 une loi sur les rectoreries et une autre en 1854 pour liquider ces réserves contentieuses.[169]

La première de ces lois[170] (celle de 1840) n’eut pas l’effet escompté. La deuxième (celle de 1852, si l’on s’arrête sur l’année de l’assentiment royal) est celle identifiée plus haut en tête de cette partie des motifs[171], celle dont il est principalement question ici. La troisième suivit peu de temps après la deuxième[172]. Celle qui nous intéresse ici au premier chef est donc la loi de 1852. En quoi consistait-elle?

[160]      Sans surprise, puisque c’était alors un passage obligé, cette Loi sur les rectoreries de 1852 fut adoptée conformément à la procédure prescrite par l’art. XLII de l’Acte d’Union, 1840. On sait par conséquent que, d’abord votée par la législature de la Province du Canada, elle fut réservée pour l’assentiment ou l’agrément royal le 30 août 1851, que cet agrément fut accordé le 15 mai 1852 et que le 9 juin 1852 le Gouverneur du Canada proclamait qu’il en avait été ainsi le mois de mai précédent. Notons que, si la loi avait été votée un peu plus de deux ans plus tard, cette procédure aurait été superflue. Londres, en effet, supprimera en 1854 l’exigence d’une approbation par le Parlement britannique comme condition préalable à l’assentiment royal[173]. Mais, en 1851 et en 1852, l’art. XLII de l’Acte d’Union, 1840 demeurait pleinement en vigueur.

[161]      Conformément à cet art. XLII, donc, la Loi sur les rectoreries affirme d’abord l’égalité entre confessions religieuses présentes dans la province et le droit des sujets de Sa Majesté de professer sans discrimination parmi elles la religion de leur choix. Elle le fait en des termes que l’on retrouve à quelques nuances près dans des législations encore en vigueur de nos jours. La législature de la Province du Canada exprimait la chose ainsi à la suite du premier attendu de la Loi sur les rectoreries :

[…] il est par le présent déclaré et statué par l’autorité [de la Très-Excellente Majesté de la Reine, par et de l’avis et consentement du conseil législatif et de l’assemblée législative de la province du Canada], que le libre exercice et la jouissance de la profession et du culte religieux, sans distinction ni préférence, mais de manière à ne pas servir d’excuse à des actes d’une licence outrée, ni de justification de pratiques incompa­tibles avec la paix et la sûreté de la province, sont permis par la constitution et les lois de cette province à tous les sujets de Sa Majesté en icelle. 

[…] it is hereby declared and enacted by the authority of [the Queen’s Most Excellent Majesty, by and with the advice and consent of the Legislative Council and of the Legislative Assembly of the Province of Canada], That the free exercise and enjoyment of Religious Profession and Worship, without discrimination of preference, so as the same be not made an excuse for acts of licentiousness, or a justification of practices inconsistent with the peace and safety of the Province, is by the constitution and laws of this Province allowed to all Her Majesty’s subjects within the same.

Exception faite de la mention de l’autorité d’origine et de quelques tournures devenues désuètes au fil des ans (telle la mention d’une « licence outrée »), cette disposition ressemble de manière assez frappante au texte actuel de l’art. 1 de la Loi sur la liberté des cultes[174] ainsi qu’à celui d’une législation parallèle en Ontario, la Loi sur la liberté religieuse[175]. On en suit d’ailleurs facilement la trace en Ontario[176] comme au Québec[177].

[162]      Cette même loi de 1852 abrogeait aussi les art. XXXVIII, XXXIX et XL de l’Acte constitutionnel de 1791. Dorénavant, et pour cette raison, il ne serait plus délivré de Lettres Patentes ayant pour effet de créer, de pourvoir en fonds ou de doter en personnel ecclésiastique de nouvelles cures ou rectoreries[178] anglicanes. Néanmoins, concession faite aux soixante et quelques années précédentes, toute telle décision prise antérieurement à la loi nouvelle demeurerait inchangée. En somme, cette sécularisation, une transformation importante du régime d’entretien des religions protestantes dans la Province du Canada, était ici rendue possible par un compromis majeur : elle s’opérait au moyen de mesures transitoires généreuses qui la rendaient acceptable.

[163]      On aurait cependant tort de croire que l’aval donné en 1852 par le Parlement britannique à la Loi sur les rectoreries reçue du Canada en 1851 ferait taire les opposants les plus déterminés à la sécularisation des réserves du clergé. Les adversaires de la mesure demeuraient intraitables, comme le démontre l’attitude de l’un des plus militants d’entre eux, l’évêque John Strachan[179] de Toronto. Même après l’approbation royale du 15 mai 1852, il adressait en 1853 au Duc de Newcastle, secrétaire d’État aux Colonies en fonction à Londres, une lettre qui dénonçait en termes péremptoires[180] la mise au même niveau de l’Église Anglicane et des autres confessions religieuses représentées dans la colonie. Si le ton de la législation coloniale peut sembler ferme, c’est que, de toute évidence, la question que la loi s’efforçait de résoudre continuait de susciter des divisions marquées dans une certaine couche de la société locale.

[164]      Mais rien n’y fit. Aussi les partisans des réserves du clergé, dont l’évêque Strachan lui-même, durent-ils renoncer à la survie de l’institution qu’ils avaient voulu à tout prix préserver. Un peu plus de deux ans plus tard, le 18 décembre 1854, était sanctionnée une loi de la Province du Canada qui amorcerait le processus de liquidation finale des réserves du clergé[181]. Cet Acte pour faire de meilleures dispositions pour l’appropriation des Deniers provenant des Terres jusqu’ici connues sous le nom de Réserves du Clergé, en les rendant disponibles pour des objets municipaux, mettait en place un nouveau régime. Celui-ci déployait ici encore des mesures transitoires libérales et même avantageuses pour les officiants de plusieurs confessions religieuses autres que l’Église Anglicane[182]. En application de cette loi, étaient ensuite dirigées vers le Receveur-général de la Province du Canada, et vers le « Fonds des municipalités du Haut Canada / Upper Canada Municipalities Fund » de même que vers le « Fonds des municipalités du Bas Canada / Lower Canada Municipalities Fund », les recettes encore tirées des réserves du clergé. Et la loi ne manquait pas de mettre en exergue sa finalité véritable. Son art. III énonce ceci :

III. […] attendu qu’il est désirable de faire disparaître toute apparence d’union entre l’Eglise et l’Etat et de disposer entièrement et définitivement de toutes matières, réclamations et intérêts provenant des Réserves du Clergé par une distribution aussi prompte que possible des revenus des dites Réserves : A ces causes qu’il soit statué […].

III. […] whereas it is desirable to remove all semblance of connection between Church and State, and to effect an entire and final disposition of all matters, claims and interests arising out of the Clergy Reserves by as speedy a distribution of their proceeds as may be: Be if therefore enacted […].

[165]      Comme on l’a vu, par la suite, les législatures locales demeureront fidèles jusqu’à aujourd’hui à l’impulsion initiale donnée en 1852 avec la Loi sur les rectoreries.

*   *   *   *   *   *

[166]      À la lumière de ce qui précède, peut-on donner à cette dernière loi la portée supralégislative que lui prêtent certains des opposants à la Loi? La réponse appelle quelques précisions. Pour être fixé sur le sujet, il faut d’abord tenir compte de la généalogie de la loi qui nous intéresse ici.

[167]      Retenons en premier lieu que la Loi sur les rectoreries de 1852 se range parmi celles que visait l’art. 129 de la LC 1867. Et de fait, comme on l’a noté plus haut[183], les législatures du Québec et de l’Ontario prendront le moment venu la relève de la législature de la Province du Canada. Elles pérenniseront en droit provincial et jusqu’à aujourd’hui le principe de l’égalité des cultes qu’on peut considérer issu de la loi de 1852. En ce qui concerne le droit fédéral, il faut se reporter aux Statuts révisés du Canada de 1886 pour savoir quel fut le sort de la Loi sur les rectoreries. À cette date, soit 1886, la Loi sur les rectoreries de 1852 avait déjà fait l’objet dans la Province du Canada d’une refonte antérieure à la Confédération et elle figurait dans les Statuts refondus du Canada de 1859 où elle apparaissait sous les coordonnées « 1859, 22 Vict., c. 74 ». Or, quelques années plus tard, au moment de la révision de la législation fédérale en 1886, on voit à l’Appendice I des Statuts révisés de cette même année 1886 ce qu’il advint après la Confédération, et en droit fédéral, de chacune des lois figurant dans les Statuts refondus du Canada de 1859. On apprend ainsi que leur chapitre 74, « Rectoreries », doit être coté « Provincial » – en d’autres termes, qu’il relève de l’autre ordre de gouvernement. Cela signifie qu’à partir de 1867 les provinces, en cette matière, prenaient la suite de la Province du Canada. Quant au Parlement fédéral, il se désintéressait de la chose puisque, sous ce chef de compétence, toute nouvelle initiative incombait désormais aux provinces.

[168]      En un sens, quoiqu’en un sens très limité, la matière faisant l’objet de la Loi sur les rectoreries se situait en 1852 dans un champ qui, potentiellement, pouvait être le théâtre d’une espèce d’intervention supralégislative. Pourquoi est-il permis de le prétendre? Parce que cette loi, adoptée en 1851 par l’Assemblée et le Conseil législatifs de la Province du Canada, ne pouvait prendre effet là où elle avait été régulièrement votée qu’avec l’assentiment du Parlement britannique. Autrement dit, le législateur local était à la merci d’une décision potentielle et prééminente qui, prise à Londres, serait constitutionnellement susceptible de neutraliser son action. C’est ce que prévoit l’art. LXII de l’Acte d’Union, 1840 et, vu la procédure qui fut suivie à l’époque, c’est ce à quoi s’exposait le législateur canadien. Mais, dans un cas de ce genre, l’autorité de tutelle, si l’on peut la qualifier de telle, c’est-à-dire celle qui en dernière analyse autorise ou non la sanction royale du projet de loi, exerce une fonction de nature essentiellement politique. Et cela n’a rien de comparable, on l’a déjà signalé[184], avec la fonction d’un tribunal judiciaire investi du pouvoir d’invalider une loi parce qu’elle contrevient à une disposition constitutionnelle dotée d’une portée supralégislative et d’un contenu ferme. L’analogie est donc très imparfaite entre les deux réalités. Il y a d’une part la dimension supralégislative assujettie à l’approbation du Parlement britannique, ici sous prétexte qu’elle touche « à la jouissance ou [à l’]exercice [de toute] espèce de culte religieux » (nous paraphrasons les termes de l’Acte d’Union, 1840). Il y a d’autre part, et par exemple, la dimension supralégislative des art. 91 et 92 de la LC 1867 ou d’une disposition de la Charte canadienne, cadre obligé, permanent et pour une large part apolitique dans lequel peut constitutionnellement s’exercer l’action des législatures canadiennes. Qui plus est, ce caractère imparfaitement supralégislatif disparaîtra par tranches à la même époque, au point de cesser totalement d’exister à peine quelques années plus tard. Ainsi, la Loi sur les rectoreries elle-même abroge les art. XXXVIII, XXXIX et XL d’une loi impériale, en l’occurrence l’Acte constitutionnel de 1791. Et deux ans plus tard, c’est l’art. XLII de l’Acte d’Union, 1840 qui est abrogé à son tour par l’art. VI d’une autre loi impériale[185].

[169]      Certes, la Loi sur les rectoreries avait été adoptée en conformité avec la procédure, maintenant abrogée, de l’art. XLII. Mais, ne l’oublions pas, dans une loi adoptée en 1854, le Parlement britannique précisera que

[…] no Act heretofore passed or to be passed by the Legislature of Canada shall be held invalid or ineffectual by reason of the same not having been laid before the said Houses, or by reason of the Legislative Council and Assembly not having presented to the Governor such Address as by the said Act of Parliament [Union Act, 1840] is required.[186]

Que reste-t-il, dans ces conditions, d’une prétendue portée supralégislative de la Loi sur les rectoreries? Rien. Comme d’ailleurs on le faisait remarquer au sujet de l’Acte de Québec[187], la Loi sur les rectoreries et celles qui l’ont suivie n’ont jamais à elles seules servi à faire invalider une loi locale pour cause d’inconstitutionnalité.

[170]      Retenons ensuite que, dans son affirmation claire et explicite d’un principe de liberté des cultes, ou de liberté religieuse, « sans distinction ni préférence / without discrimination or preference », la loi en question rejoint la lettre et l’esprit d’une autre loi provinciale, celle-ci toujours actuellement en vigueur, la Loi sur la liberté des cultes[188]. Il s’agit en l’espèce d’une simple loi, et non d’une composante de la constitution formelle ou écrite ou d’une loi qui, d’une manière quelconque, serait dotée d’une portée supralégislative. La mention de « la constitution […] du Québec / the constitution […] of Québec » dans l’art. 1 de cette dernière loi doit nécessairement s’entendre à la fois de la LC 1982 comme de la constitution dans un sens plus large, c’est-à-dire au sens substantiel (ou matériel) d’un texte législatif adopté à la majorité simple et qui vise à régir, parmi d’autres choses, les rapports entre l’État et les citoyens ou la société civile.

[171]      La Loi sur la liberté des cultes, dont on conviendra jusqu’à démonstration du contraire qu’elle est dépourvue de portée supralégislative, doit en outre être conciliée avec la Loi puisqu’elle co-existe avec elle. Or, on peut noter à titre d’observation générale que ni la Loi ni la Loi sur la liberté des cultes n’instaurent « une préférence dans l’exercice du culte d’une profession religieuse » : toutes les religions, en effet, sont placées sur un pied d’égalité, à la fois entre elles et face au principe de la laïcité de l’État. Les coreligionnaires de toute confession religieuse, quelle qu’elle soit, doivent renoncer à des orthopraxies vestimentaires particulières lorsqu’ils entretiennent des rapports précis avec l’État ou lorsqu’ils exercent certaines fonctions en qualité de représentants de l’État. On peut discuter, bien sûr, de la question de savoir si une exigence de cet ordre porte atteinte à des droits garantis par les art. 2 de la Charte canadienne et 3 de la Charte québécoise, et cela pourra dès lors soulever des questions au regard de la portée des art. 33 et 52 des mêmes chartes. Mais cela est tout autre chose. Et l’on sait par ailleurs que, selon les circonstances, diverses exigences du droit positif (et pas seulement du droit criminel) prévalent sur certaines composantes des droits à la liberté de conscience ou à la liberté de religion[189].

[172]      Il est d’ailleurs fort douteux que la Loi sur les rectoreries telle qu’elle se présentait au moment de son entrée en vigueur en 1852 ait eu pour objet ou pour but d’instituer un régime d’égalité des cultes dans la Province du Canada. Elle devait plutôt son origine à un contexte historique difficile, contexte qui compliquait les relations interreligieuses au sein de la colonie et sur les aspects les plus saillants duquel nous nous sommes déjà arrêtés dans les pages précédentes[190]. Comme son titre le laisse entendre, cette loi concernait spécifiquement l’anomalie structurelle des rectoreries. Elle ciblait les avantages dont elles bénéficiaient dans l’organisation de l’Église Anglicane au Canada. Et elle visait à régler un différend relatif à la formule de financement des églises en présence dans la colonie. Ce différend fut résolu en substituant aux rectoreries et aux autorités ecclésiastiques une dotation versée dans des fonds publics à l’avantage des municipalités qui existaient à l’époque. Par la suite, la Loi concernant la liberté des cultes et le bon ordre dans les églises et leurs alentours ayant assez rapidement remplacé la Loi sur les rectoreries, les préoccupations du législateur se tournèrent vers le maintien de l’ordre dans les offices religieux, comme l’explique le juge de première instance dans ses motifs[191].

[173]      Enfin, plusieurs observations déjà présentées plus haut[192] sur l’évolution du principe de dévolution en droit constitutionnel canadien et sur les modalités de modification de la Constitution canadienne ont aussi leur pertinence ici. Vu ces divers éléments, on ne peut prétendre que la Loi sur les rectoreries et les lois qui se succédèrent dans son sillage conservent de nos jours un statut supralégislatif permettant d’invalider la Loi, en tout ou en partie, pour des raisons d’ordre constitutionnel.

[174]      On peut résumer les choses en quelques lignes. La Loi sur les rectoreries de 1852 ressortissait selon toute vraisemblance à un champ de compétence provincial plus tard assujetti à l’art. 129 de la LC 1867. Après la Confédération, ce sur quoi elle portait relevait donc de la compétence du Québec. Elle s’y est progressivement métamorphosée en la Loi sur la liberté des cultes. Cette dernière, avec la Charte québécoise, constitue aujourd’hui la seule trace qui en reste dans les lois du Québec. On peut en conclure que, telle quelle, la loi de 1852 est devenue caduque ou est tombée en désuétude. En outre, et pour les raisons déjà explorées, soutenir qu’à une certaine époque la loi de 1852 eut une portée supralégislative demeure en soi une proposition non seulement fort suspecte, mais à vrai dire mal fondée. De nos jours, la fragilité initiale et intrinsèque de ce prétendu caractère supralégislatif se heurte à un obstacle dirimant qui résulte de plusieurs facteurs convergents : l’art. II de la loi de 1852 elle-même, l’art. VI d’une loi de 1854[193] ainsi que le paragraphe 52(2) et l’annexe de la LC 1982.

[175]      Une analogie est d’ailleurs possible entre ce qu’il est advenu de la Loi sur les rectoreries après 1867 et ce qu’il advenait du droit local antérieurement en vigueur dans les colonies récemment conquises par Londres : il s’agit dans les deux cas d’un problème de transition juridique. Dans le premier cas, l’art. 129 de la LC 1867, précité[194], établit ce qu’il en est. Dans le second cas, on fait intervenir un principe de common law, le principe de réception du droit anglais, comme l’illustre avec netteté l’arrêt Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique[195]. Cette affaire impliquait une ancienne loi anglaise de 1731[196] rendue applicable dans la colonie nouvellement établie de la Colombie-Britannique par une succession d’ordonnances ou de lois confirmant la réception du droit anglais[197]. Une question se posait sur l’effet de règles de procédure beaucoup plus récentes adoptées par les tribunaux de ColombieBritannique mais assimilables à des textes de loi[198]. La Cour suprême précise qu’il n’est pas nécessaire de prouver l’existence d’un conflit entre les règles anciennes et les règles nouvelles. Il s’agit plutôt de voir si ces dernières occupent le champ où, antérieurement, les règles anciennes avaient eu cours. Qu’il y ait ou non incompatibilité entre l’actuelle Loi sur la liberté des cultes et la Loi sur les rectoreries de 1852 (ou les lois qui lui ont succédé), il est clair que de nouvelles lois occupent aujourd’hui le champ anciennement occupé par la Loi sur les rectoreries.

[176]      Il y a donc lieu de confirmer sur ce plan le jugement de première instance.

b. Loi Hart

[177]      Bien qu’elle ait été antérieure à l’Acte d’Union, 1840, la Loi Hart, comme la Loi sur les rectoreries, tombait à l’origine sous le coup de l’art. XLII de l’Acte constitutionnel de 1791. Cela explique quelle fut la procédure suivie en vue de son adoption. Aussi saiton à son sujet que, d’abord votée par la législature du Bas-Canada, cette loi fut réservée pour l’assentiment ou l’agrément royal le 31 mars 1831, que cet agrément fut accordé le 12 avril 1832 et que le 5 juin 1832 le Gouverneur du Canada proclamait pour l’entrée en vigueur qu’il en avait été ainsi deux mois plus tôt.

[178]      Le but de la Loi Hart était d’éliminer du droit constitutionnel et positif de l’époque des règles parfois anciennes – certaines provenaient même du règne d’Élizabeth Ière – qui avaient pour effet d’exclure de la vie politique en raison de leur religion les citoyens juifs en leur fermant la voie vers les postes électifs ou les fonctions et charges publiques pour lesquelles le serment au souverain était de règle. Dans le cas des catholiques, l’art. VII de l’Acte de Québec avait mis fin à cette inhabilité. Il en allait différemment de leurs compatriotes juifs, comme le démontra en 1808 et 1809 l’expulsion d’Ezekiel Hart de l’Assemblée législative du Bas-Canada. Pourtant régulièrement élu à l’Assemblée législative dans une circonscription de Trois-Rivières, Hart, de confession juive, se vit reprocher au moment de son assermentation de ne pas pouvoir prêter le serment de fonction comme il était tenu de le faire par la loi. L’historien Denis Vaugeois a relaté les circonstances troubles de cette affaire[199]. Il est possible que la question du serment n’ait été qu’un prétexte, motivé par les visées purement partisanes des adhérents à un parti opposé à celui de Hart. Quoi qu’il en soit, le résultat était le même, il ne put siéger à l’Assemblée. Il fallut attendre 1832 au Bas-Canada pour que cette anomalie soit corrigée par la loi connue par la suite sous le nom de Loi Hart. Il est remarquable que cette loi fût la première du genre dans l’empire britannique, d’où la charge symbolique qui s’attache à elle.

[179]      Voici, telle qu’elle apparaît dans les lois du Bas-Canada, la teneur de la loi en question :

VU qu’il s’est élevé des doutes si par la Loi les personnes qui professent le Judaïsme ont le droit à plusieurs des privilèges dont jouissent les autres sujets de Sa Majesté en cette Province; — Qu’il soit donc déclaré et statué par le Très-Excellente Majesté du Roi, par et de l’avis et consentement du Conseil Législatif et de l’Assemblée de la Province du Bas-Canada, constitués et assemblés en vertu et sous l’autorité d’un Acte passé dans le Parlement de la Grande-Bretagne, intitulé, “Acte qui rappelle certaines parties d’un Acte passé dans la quatorzième année du Règne de Sa Majesté, intitulé, “Acte qui pourvoit plus efficacement pour Gouvernement de la Province de Québec dans l’Amérique Septentrionale,” et qui pourvoit plus amplement pour le Gouvernement de la dite Province;” — Et il est par le présent déclaré et statué par la dite autorité, que toutes personnes professant le Judaïsme, et qui sont nées sujets Britanniques, et qui habitent et résident en cette Province, ont droit, et seront censées, considérées et regardées comme ayant droit à tous les droits et privilèges des autres sujets de Sa Majesté, Ses Héritiers et Successeurs, à toutes intentions, interprétations et fins quelconques, et sont habiles à pouvoir posséder, avoir ou jouir d’aucun office ou charge de confiance quelconque en cette Province.

WHEREAS doubts have arisen whether persons professing the Jewish Religion are by law entitled to many of the privileges enjoyed by the other subjects of His Majesty within this Province : Be it therefore declared and enacted by the King’s Most Excellent Majesty, by and with the advice and consent of the Legislative Council and Assembly of the Province of Lower Canada, constituted and assembled by virtue of and under the authority of an Act passed in the Parliament of Great Britain, intituled, “An Act to repeal certain parts of an Act passed in the fourteenth year of His Majesty’s Reign, intituled, “An Act for making more effectual provision for the Government of the Province of Quebec, in Nort America,” and to make further provision for the Government of the said Province of Quebec in North America.” And it is hereby declared and enacted by the authority aforesaid, that all persons professing the Jewish Religion being natural born British subjects inhabiting and residing in this Province, are entitled and shall be deemed, adjudged and taken to be entitled to the full rights and privileged of the other subjects of His Majesty, his Heirs or Successors, to all intents, constructions and purposes whatsoever, and capable of taking, having or enjoying any office or place of trust whatsoever, within this Province.

[180]      Aux paragraphes 560 à 564 de ses motifs, le juge de première instance a méticuleusement retracé l’évolution de la législation au Bas-Canada et au Québec de 1832 à 1888. Il y énumère les lois qui, entre ces deux dates, ont absorbé et confirmé le principe d’abord énoncé dans la Loi Hart. Bien que la Loi Hart n’ait jamais été abrogée formellement, elle fut rendue caduque par les dispositions de ces lois. Cela dit, cette situation évoluait parallèlement à celle des autres lois préconfédératives. Il n’est pas douteux non plus que le sort fait avec le temps aux art. XXXVIII, XXXIX et XL de l’Acte constitutionnel de 1791, puis à son art. XLII ainsi qu’à celui de l’Acte d’Union, 1840, a privé la Loi Hart de la protection supralégislative (impériale) que lui accordaient ces instruments constitutionnels.

[181]      Lord Reading, qui conteste notamment l’art. 6 de la Loi, tire un argument de cet état de choses, soit la continuité de la Loi Hart. Le juge de première instance résume l’argument et y répond dans les termes qui suivent :

[566]     L’historique législatif de la Loi Hart permet de constater qu’elle demeurait en vigueur au moment de la Confédération. Selon Lord Reading, cela la transforme en un « instrument légal supplémentaire » incorporé à la Constitution du Canada par l’article 129 de la Loi constitutionnelle de 1867. Autrement dit, cette dernière disposition constitutionnaliserait l’effet de la Loi Hart.

[567]     Or, l’article 129 de la Loi constitutionnelle de 1867 constitue une disposition transitoire et non pas attributive d’un statut constitutionnel aux lois en vigueur lors de la Confédération. Il prévoit que les lois adoptées précédemment demeurent en vigueur et pourront faire l’objet de modifications par le Parlement, fédéral ou provincial, qui dispose de la compétence pour le faire selon le partage des compétences législatives établi par la nouvelle loi constitutionnelle :

129. Sauf toute disposition contraire prescrite par la présente loi, toutes les lois en force en Canada, dans la Nouvelle-Écosse ou le Nouveau-Brunswick, lors de l’union […] continueront d’exister dans les provinces d’Ontario, de Québec, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick respectivement, comme si l’union n’avait pas eu lieu; mais ils pourront, néanmoins (sauf les cas prévus par des lois du parlement de la Grande-Bretagne ou du parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande), être révoqués, abolis ou modifiés par le parlement du Canada, ou par la législature de la province respective, conformément à l’autorité du parlement ou de cette législature en vertu de la présente loi.

[568]     Ainsi, il serait pour le moins curieux qu’une loi adoptée et abrogée par la législature provinciale s’incorpore dans la Constitution du Canada simplement en vertu de son objet et sans aucune disposition expresse en ce sens.

[Renvoi omis]

[182]      La Cour partage cette analyse. Elle considère de plus que d’autres facteurs déjà mentionnés dans l’examen de la Loi sur les rectoreries sont également pertinents ici – entre autres, ceux évoqués au par. [175] précité. Les observations offertes aux paragraphes [168] et [169] précités au sujet de la Loi sur les rectoreries valent également pour la Loi Hart. Aussi la Cour conclut-elle que la Loi Hart ne permet pas d’invalider les dispositions ici contestées de la Loi.

*   *   *   *   *   *

[183]      Pour des raisons qui, sans être identiques, se voisinent, l’argumentation fondée sur certaines lois préconfédératives doit donc échouer, comme l’avait conclu avec raison le juge de première instance.

C. Architecture constitutionnelle et principes non écrits

[184]      Outre leur position sur l’interprétation et l’effet des art. 33 de la Charte canadienne et 52 de la Charte québécoise, l’argumentation des parties qui contestent la Loi a consisté en majeure partie à soutenir que divers éléments qui feraient partie intégrante des composantes de la Constitution canadienne font obstacle à l’adoption d’une telle loi par une législature provinciale. Comme on vient de le voir avec les lois préconfédératives, la question de l’inclusion effective ou non de certains de ces éléments dans la Constitution a elle-même dû être débattue. Mais toutes les composantes ainsi invoquées contre la Loi ont ceci en commun qu’elles se situent hors de portée de l’art. 33 de la Charte canadienne. L’exemple du partage des compétences législatives entre les art. 91 et 92 de la LC 1867 vient immédiatement à l’esprit. Il s’agit dans ce cas d’une argumentation que l’on peut qualifier de classique, maintes fois développée dans les contextes les plus divers. Nettement moins usitées, les prétentions dont on vient de traiter, relatives aux lois préconfédératives, s’éloignent alors de ce qui, incontestablement, forme le contenu écrit de la Constitution. Or, dans le volet suivant de leur argumentation, les opposants à la Loi se placent sur un terrain plus incertain encore puisqu’ils s’appuient sur des notions dont on sait d’emblée qu’elles ne figurent nulle part dans la lettre de la Constitution. La jurisprudence constitutionnelle a reconnu la pertinence de ces notions et à certaines conditions elle les a mises à contribution dans quelques cas précis. Il s’agit donc de savoir si, à la lumière de cette jurisprudence, ces notions peuvent avoir une incidence sur la validité de la Loi.

[185]      La première d’entre elles est celle communément identifiée comme « l’architecture constitutionnelle ». On peut en retracer l’origine en remontant à l’arrêt SEFPO c. Ontario (Procureur général)[200]. Était en cause dans cette affaire la constitutionnalité de dispositions d’une loi de l’Ontario qui interdisait aux fonctionnaires de cette province d’exercer certaines activités politiques au niveau fédéral (essentiellement, de se porter candidat dans des élections fédérales et de faire campagne en conséquence, sans préalablement obtenir un congé sans solde de la fonction publique). L’affaire ayant débuté avant l’entrée en vigueur de la Charte canadienne, la Cour suprême a choisi de ne pas se prononcer sur l’effet, en l’occurrence, de cette charte. Elle examine plutôt la constitutionnalité de la loi contestée au regard des dispositions de la LC 1867 et elle en vient à la conclusion que celle-ci est constitutionnellement valide.

[186]      C’est dans le cadre de cette analyse que le juge Beetz, avec l’accord de quatre des six juges qui se prononcèrent sur la question[201], tint les propos suivants :

Dans mon esprit, il ne fait aucun doute que la structure fondamentale de notre Constitution établie par la Loi constitutionnelle de 1867 envisage l'existence de certaines institutions politiques dont des corps législatifs librement élus aux niveaux fédéral et provincial. Pour reprendre les termes du juge en chef Duff dans Reference re Alberta Statutes, à la p. 133, [TRADUCTION] « l'efficacité de ces institutions découle de la libre discussion publique des affaires... » et, selon le juge Abbott dans Switzman v. Elbling, à la p. 328, ni une législature provinciale ni le Parlement luimême ne peuvent [TRADUCTION] « abroger ce droit de discussion et de débat ». De manière plus générale, je conclus que ni le Parlement ni les législatures provinciales ne peuvent légiférer de façon à porter atteinte sensiblement au fonctionnement de cette structure constitutionnelle fondamentale. Dans l'ensemble, cependant, je suis porté à croire que la mesure législative attaquée se rapporte essentiellement à la constitution de la province et à la réglementation de la fonction publique provinciale, et qu'elle ne touche aux élections fédérales et provinciales que d'une manière accessoire.

Je devrais peutêtre ajouter qu'à l'avenir on sera normalement appelé à examiner des questions comme la dernière, en fonction des droits politiques garantis par la Charte canadienne des droits et libertés qui, il va sans dire, accorde à ces droits et libertés une protection plus large que celle commandée par les exigences structurelles de la Constitution. Toutefois, il reste qu'il est vrai que, indépendamment des considérations fondées sur la Charte, les corps législatifs dans notre pays doivent se conformer à ces impératifs structurels fondamentaux et qu'ils ne doivent en aucun cas y passer outre. La présente mesure législative ne va pas jusqu'à porter atteinte à la structure fondamentale des institutions parlementaires libres.[202]

La mention de la Charte canadienne dans ce passage est bien à-propos et, lorsqu’il est question d’elle, il ne faut pas perdre de vue que l’art. 33 fait partie intégrante de cette charte.

[187]      Tout indique que l’on doit comprendre de l’idée d’« architecture constitutionnelle » quelque chose qui se confond avec la notion de « structure fondamentale » de la Constitution. Il est difficile de déceler dans les observations du juge Beetz quoi que ce soit de nature à permettre d’inférer que les interdictions de portée limitée établies par la Loi menaceraient de quelque façon cette « structure fondamentale » de la Constitution.

[188]      Un argument central des opposants à la Loi, plaidé de concert avec leur prétention générale sur l’architecture constitutionnelle, est que la Loi compromet ce qu’ils décrivent avec un certain abandon verbal comme « un des piliers de notre société démocratique et inclusive », soit la « Doctrine de participation aux institutions publiques ». Ils ne précisent pas quelle peut être l’origine ou la teneur exacte de cette doctrine. Et, malgré l’importance que les parties opposées à la Loi lui attribuent, la doctrine en question, apparue avec leur plaidoirie, ne semble pas non plus avoir laissé une quelconque trace explicite, ni même implicite, dans la jurisprudence pertinente. À cet égard, leur manière d’exposer la position qui est la leur démontre sur plusieurs points le danger des dérives lexicales, ce pourquoi il est rarement souhaitable de s’éloigner du texte de la Constitution ou des termes consacrés qu’emploie la jurisprudence pour préciser ce que la Constitution prescrit réellement. Ainsi, reprocher à la Loi, comme le font les parties qui y sont opposées, de « ne pas être cohérente avec l’architecture constitutionnelle » opère un glissement de sens vers ce qui est flou à partir de ce qui pourrait être clair : mieux vaudrait dire, pour être bien compris que, sous tel ou tel aspect, « la Loi contrevient à une disposition particulière – X ou Y – de la Constitution » ou « qu’elle est incompatible avec cette disposition telle qu’expliquée dans la jurisprudence », puis d’en faire la démonstration avec une économie de moyens exempte de toute enflure rhétorique.

[189]      C’est ainsi que, dans le même ordre d’idées, les opposants à la Loi font grief au juge de première instance d’avoir donné à l’art. 33 de la Charte canadienne une portée qu’il ne peut avoir, compte tenu des principes non écrits mais séculaires que véhiculerait la Constitution. Au par. 761 de ses motifs, le juge note, en effet, que l’art. 33 permet de suspendre le droit qu’énonce l’al. 10c) de la Charte canadienne. Pour les parties opposées à la Loi, il ne peut en être ainsi, car « la doctrine d’habeas corpus » remonte au XIIIe siècle et s’inscrirait dans l’architecture constitutionnelle immuable du Canada. Outre le fait que cette autre « doctrine » fut suspendue quelques fois dans l’histoire de la Confédération, le par. 33(1) de la Charte canadienne est on ne peut plus spécifique lorsqu’il vise « une disposition donnée de l’art. 2 ou des art. 7 à 15 de la présente charte / a provision included in section 2 or sections 7 to 15 of this Charter ». Cela comprend l’al. 10c). Peut-être y aura-t-il place un jour et en droit constitutionnel canadien pour un débat sur l’immanence et la transcendance du droit à l’habeas corpus. Cela peut se concevoir. Mais dans l’état actuel des textes, la lecture que fait le juge de l’art. 33 de la Charte canadienne au paragraphe 761 de ses motifs paraît irréprochable.

[190]      En ces matières, une nécessité s’impose, celle de toujours rester fidèle au texte. Cela ressort d’un arrêt très récent de la Cour suprême du Canada, rendu après le jugement prononcé ici en première instance. Il s’ensuit que ni le juge ni les parties n’ont donc pu en tenir compte. Il s’agit de l’arrêt Toronto (Cité) c. Ontario (Procureur général)[203], sur lequel il convient de se pencher plus longuement en en citant quelques passages importants. L’affaire, non dénuée d’une certaine complexité, concernait la constitutionnalité d’une loi ontarienne qui, alors que des élections municipales étaient en cours pour l’attribution de nouveaux mandats au conseil de ville de Toronto, avait réduit de 47 à 25 le nombre de sièges électifs alors à combler au sein de ce conseil. La ville contestait la constitutionnalité de cette loi. En première instance, un juge lui avait donné raison, concluant que la loi portait atteinte au droit à la liberté d’expression des candidats aux élections municipales de même qu’au droit des électeurs à la représentation effective. Dans les deux cas, avait-il conclu, on avait contrevenu à l’al. 2b) de la Charte canadienne. Ce jugement fut infirmé en Cour d’appel, deux des cinq juges consultés confirmant en dissidence le jugement de première instance. L’arrêt de la Cour suprême, majoritaire par cinq des neuf juges de la formation saisie du pourvoi, jette une lumière fort éclairante sur ce qui est en jeu ici. On s’attardera surtout ici sur le point de vue des juges majoritaires.

[191]      Leurs motifs, que l’on doit au juge en chef Wagner et au juge Brown, ne laissent plus de doute sur la place prioritaire du texte de la Constitution dans la mise en application de cette dernière. Engageant un dialogue avec la juge Abella, auteure des motifs minoritaires, ils notent qu’elle se réfère à « l’architecture interne » de la Constitution et à sa « structure fondamentale », en trouvant appui sur deux des rares décisions de la Cour qui traitent explicitement de ces notions[204]. Sur ce point, ils répondent comme suit :

[52] Notre collègue se préoccupe du « cas rare » où « la loi [qui] échappe à la portée d’une disposition constitutionnelle expresse [. . .] est fondamentalement incompatible avec l’“architecture interne” de la Constitution ou avec sa “structure constitutionnelle fondamentale” » et estime qu’il faut recourir aux principes constitutionnels non écrits (par. 170, citant le Renvoi sur la sécession, par. 50, et SEFPO c. Ontario (Procureur général), [1987] 2 R.C.S. 2, p. 57). Or, il est inconcevable que la mesure législative qui est contraire à notre « structure constitutionnelle fondamentale » ne contrevienne pas à la Constitution ellemême. Et cette structure, consignée dans le texte de la Constitution (comme nous en discuterons ultérieurement) est interprétée à l’aide des principes constitutionnels non écrits. Qu’il en soit ainsi ressort clairement du contexte de l’affirmation des juges Martland et Ritchie selon laquelle les principes non écrits ont « un plein effet juridique, c’estàdire qu’on les a utilisés pour faire annuler des textes de loi » (Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution, p. 845). Comme nous l’avons souligné, cette cause portait sur le fédéralisme, tout comme la jurisprudence citée en appui à leur affirmation; les juges Martland et Ritchie décrivaient « des exigences constitutionnelles découlant du caractère fédéral de la Constitution du Canada » (p. 845 (nous soulignons)). Et c’est précisément ce qui importe — s’il est vrai que les aspects précis du fédéralisme en cause dans cette affaire peuvent ne pas s’être trouvés dans le libellé exprès de la Constitution, le fédéralisme lui s’y trouve.

[53] Autrement dit, le fédéralisme est pleinement inscrit dans la structure de notre Constitution, parce qu’il est inscrit dans le texte qui en est constitutif — particulièrement, mais pas exclusivement, aux art. 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. Les structures ne sont pas composées d’éléments externes non rattachés; elles sont des incarnations de leurs parties constitutives et conjointes. La structure de notre Constitution est définie par ses dispositions en tant que telles, inscrites dans son libellé. C’est pourquoi notre collègue est incapable de donner un exemple de mesure législative qui minerait la structure de la Constitution et qui ne pourrait être traitée comme nous le proposons, soit par une interprétation textuelle téléologique. C’est également pourquoi, une fois que la « structure constitutionnelle » est comprise comme il se doit, il devient évident que lorsque notre collègue invoque cette notion, elle invite en substance à l’invalidation judiciaire de la loi d’une manière qui n’est pas du tout liée à cette structure.[205]

En plus de nous éclairer sur la démarche intellectuelle que doit emprunter le tribunal appelé à interpréter la Constitution, ces passages rétablissent dans sa prééminence la fidélité au texte, lequel doit demeurer le point d’entrée de cette démarche.

[192]      Il faut donc partir du texte, mais cela ne signifie pas que seul le texte, et rien d’autre, peut guider l’interprète. Plusieurs paragraphes des mêmes motifs, particulièrement riches de détails, apportent les nuances nécessaires en renvoyant à nombre d’illustrations tirées de la jurisprudence de la Cour. Comme cet arrêt fournit des éléments clés dans la solution d’un volet des pourvois actuellement en cours, il paraît plus prudent, malgré la longueur de l’extrait qui suit, de le citer au texte, en conservant les indications de sources qu’au besoin nous complétons ici[206]. Les juges Wagner et Brown poursuivent leur exposé en ces termes :

[54] En définitive, le sens qu’il faut donner à l’expression « plein effet juridique » dépend du contexte. Tout instrument ou dispositif juridique, comme un contrat, un testament ou une règle, a « plein effet juridique » à l’intérieur de ses propres limites. La position retenue par notre collègue — soit que parce que les principes constitutionnels non écrits ont « plein effet juridique », ils doivent nécessairement pouvoir invalider les lois — tient pour acquis la réponse à la question préliminaire, mais essentielle, de savoir quel est le « plein effet juridique » des principes constitutionnels non écrits? À notre avis, parce qu’ils ne sont pas écrits, leur « plein effet juridique » est réalisé non pas en complétant le texte écrit de notre Constitution comme s’il s’agissait de « dispositions [de la Constitution] » qui rendent « inopérantes », en vertu du par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, les dispositions incompatibles de toute autre loi. En effet, les principes constitutionnels non écrits ne sont pas des « dispositions [de la Constitution] ». Leur effet juridique réside dans leur énoncé de principes généraux dans le cadre duquel fonctionne notre ordre constitutionnel et, en conséquence, dans le cadre duquel il faut donner effet aux termes écrits de la Constitution, qui sont ses dispositions. En pratique, cela signifie que des principes constitutionnels non écrits peuvent aider les tribunaux seulement de deux façons distinctes, mais connexes.

[55] Premièrement, ils peuvent être utilisés pour interpréter les dispositions constitutionnelles. En effet, il s’agit du « plein effet juridique » que notre Cour a décrit dans le Renvoi relatif à la sécession (par. 54). Sous cet angle, les principes constitutionnels non écrits de l’indépendance de la magistrature et de la primauté du droit ont servi à interpréter les art. 96 à 100 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui en sont venus à garantir la compétence fondamentale des cours qui entrent dans le champ d’application de ces dispositions (Renvoi relatif aux juges de la Cour provinciale, par. 8889; MacMillan Bloedel, par. 1011 et 2728; Trial Lawyers Association of British Columbia c. ColombieBritannique (Procureur général), 2014 CSC 59, [2014] 3 R.C.S. 31, par. 2933). Lorsqu’on les applique à des droits garantis par la Charte, les principes non écrits aident les tribunaux à procéder à une interprétation téléologique, en les éclairant sur « la nature et [les] objectifs plus larges de la Charte ellemême, [les] termes choisis pour énoncer [le] droit ou [la] liberté, [et les] origines historiques des concepts enchâssés » (Québec (Procureure générale), par. 7, citant Big M Drug Mart Ltd., p. 344; voir aussi R. c. Poulin, 2019 CSC 47, par. 32).

[56] Deuxièmement, et de façon connexe, on peut recourir aux principes non écrits pour élaborer des doctrines structurelles non énoncées dans la Constitution écrite proprement dite, mais nécessaires pour sa cohérence, et qui découlent implicitement de son architecture. Ainsi, les doctrines structurelles peuvent combler des lacunes et répondre à des questions importantes sur lesquelles le texte de la Constitution est muet, comme le font la doctrine de la reconnaissance totale (Morguard Investments Ltd. c. De Savoye, [1990] 3 R.C.S. 1077; Hunt c. T&N plc, [1993] 4 R.C.S. 289); la doctrine de la prépondérance (Huson c. The Township of South Norwich (1895), 24 R.C.S. 145); la réparation que constitue la déclaration d’invalidité dont l’effet est suspendu (Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721); et l’obligation de négocier qui pourrait suivre une déclaration de sécession prononcée par une province (Renvoi relatif à la sécession).

[57] Aucune de ces fonctions n’appuie la prétention de la Ville selon laquelle les principes non écrits ont une force telle qu’ils peuvent servir à invalider des mesures législatives. C’est en fait le contraire. Chaque fois que l’on a tenté de faire jouer ce rôle à des principes constitutionnels non écrits à titre de fondement indépendant pour invalider des mesures législatives, que ces principes aient été invoqués seuls ou en combinaison, les tribunaux ont conclu à des insuffisances sur les plans normatif et pratique, liées l’une à l’autre, permettant chacune de faire échec à la tentative.

[58] Premièrement, de telles tentatives empiètent sur le pouvoir législatif de modifier la Constitution, ce qui soulève des préoccupations fondamentales au sujet de la légitimité du contrôle judiciaire et altère la séparation des pouvoirs (Imperial Tobacco, par. 5354, 60 et 6467; J. Leclair, « Canada’s Unfathomable Unwritten Constitutional Principles » (2002), 27 Queen’s L.J. 389, p. 427432). L’approche de notre collègue, qui encourage l’utilisation des principes constitutionnels non écrits indépendamment du libellé de la Constitution, ne tient pas compte de cette préoccupation fondamentale.

[59] Deuxièmement, les principes constitutionnels non écrits sont [traduction] « très abstraits » et « [c]ontrairement aux droits énumérés dans la Charte — droits dont les formulations ont fait l’objet de débats, ont été précisées et, en définitive, tranchées par des comités et des assemblées législatives chargés du pouvoir constituant — l[e] concep[t] de la démocratie n’[a] pas d’énonc[é] faisant autorité » (motifs de la C.A., par. 85). Donc, contrairement au texte écrit de la Constitution, qui « favorise la certitude et la prévisibilité juridiques » lors de l’exercice d’un contrôle judiciaire (Renvoi relatif à la sécession, par. 53), la nature nébuleuse des principes non écrits les rend susceptibles d’interprétation, et leur reconnaissance au même titre que les textes « rendrait superflu un bon nombre de nos droits constitutionnels écrits [et] compromettrait ainsi la délimitation de ces droits établie par les rédacteurs de notre Constitution » (Imperial Tobacco, par. 65). En conséquence, il y a de bonnes raisons de souligner que « la protection contre une loi que certains pourraient considérer injuste ou inéquitable ne réside pas dans les principes amorphes qui soustendent notre Constitution, mais dans son texte et dans l’urne électorale » (par. 66). À notre avis, cette déclaration devrait être interprétée comme couvrant tous les fondements possibles à des revendications de droit (à savoir « [l’]injust[ice] ou [l’]in[iquité] » ou une autre insuffisance sur le plan normatif).

[60] En outre, si une cour devait se fonder, en tout ou en partie, sur des principes constitutionnels non écrits pour invalider des mesures législatives, les conséquences de cette erreur judiciaire seraient particulièrement importantes en raison de deux dispositions de notre Charte. Premièrement, l’art. 33 garantit un droit de dérogation législative limité. En conséquence, lorsqu’une cour invalide une mesure législative en se fondant sur l’al. 2b) de la Charte, la législature peut continuer à donner effet à sa compréhension de ce qu’exige la Constitution en invoquant l’art. 33 et en respectant les conditions qui y sont énoncées (D. Newman, « Canada’s Notwithstanding Clause, Dialogue, and Constitutional Identities », dans G. Sigalet, G. Webber et R. Dixon, dir., Constitutional Dialogue : Rights, Democracy, Institutions (2019), 209, p. 232). Cependant, si une cour devait se fonder non pas sur l’al. 2b) mais plutôt sur un principe constitutionnel non écrit pour invalider des mesures législatives, cet aspect indéniable du compromis constitutionnel serait effectivement annulé, puisque l’art. 33 s’applique pour permettre à des mesures législatives d’avoir effet « indépendamment d’une disposition donnée de l’article 2 ou des articles 7 à 15 » uniquement. Deuxièmement, l’article premier fournit à l’État une assise pour justifier des limites apportées aux « droits et libertés qui [. . .] sont énoncés » dans la Charte. Les principes constitutionnels non écrits, du fait qu’ils sont non écrits, ne sont pas « énoncés » dans la Charte. En conséquence, une conclusion selon laquelle de tels principes pourraient fonder une conclusion de violation constitutionnelle ne conférerait aucun mécanisme de justification équivalant à l’État.

[61] Notre collègue affirme que « la Cour n’est pas directement saisie » de la question de l’application de l’art. 33 (par. 182). Au contraire, comme la Ville a fondé sa revendication sur l’al. 2b), combiné au principe non écrit de la démocratie, nous sommes clairement saisis de la question de la possibilité de contourner l’application de l’art. 33 pour faire déclarer une mesure législative inopérante en application de l’al. 2b) en recourant à des principes constitutionnels non écrits.[207]

[Soulignements ajoutés]

[193]      Tentant de démontrer que la Loi déroge à l’architecture constitutionnelle en limitant l’accès aux institutions publiques, les opposants à la Loi invoquent d’abord le « texte écrit de la Constitution ». Dans cette lignée et sur ce point, ils plaident que leur prétention trouve une assise dans l’Acte de Québec, l’Acte constitutionnel de 1791, la Loi Hart et la Loi sur les rectoreries, autant de composantes de la Constitution selon eux. La question de l’effet supralégislatif de ces lois a déjà été vidée dans les pages qui précèdent et nous ne pouvons que réitérer ici qu’aucune de ces lois (et rien non plus dans le texte de la Constitution actuellement en vigueur) ne permet de faire droit à l’argument ainsi formulé par eux.

[194]      Quant aux principes non écrits, considérés en tant que tels mais toujours sous la même rubrique, il paraît clair à la lumière de l’arrêt Toronto que les notions d’« architecture constitutionnelle » et de « structure constitutionnelle fondamentale » ne peuvent recevoir une extension qui permette aux parties opposées à la Loi d’atteindre l’objectif qu’elles recherchent.

[195]      À la notion d’« architecture constitutionnelle » abordée à partir du par. [185] cidessus s’ajoute celle des « principes non écrits » de la Constitution dont les opposants à la Loi font assez longuement état dans leurs argumentaires. Bien que les mises en garde de l’arrêt Toronto sur la prééminence du texte de la Constitution conservent leur pertinence ici, on peut en effet s’interroger sur l’incidence que peuvent avoir sur la Loi une notion comme la primauté du droit et, notion corollaire de l’autre, l’imprécision des règles édictées par une loi.

[196]      Ces deux dernières notions se jouxtent. La primauté du droit suppose que les règles de droit, appliquées impartialement et de manière uniforme, sont suffisamment prévisibles dans leurs effets pour permettre aux sujets de droit de fixer leur conduite en s’y conformant. Cela suppose qu’elles soient intelligibles et assez précises pour qu’on puisse en prévoir les applications.

[197]      Les opposants à la Loi font valoir dans ce registre que l’imprécision des dispositions de la Loi (en particulier pour ce qui concerne la définition de « signe religieux » à l’art. 6 de la Loi) la rendent déficiente sous ce rapport et justifient qu’elle soit déclarée invalide en raison de son incompatibilité avec le principe non écrit de la primauté du droit.

[198]      Il existe une vaste quantité de règles de droit dont les applications sont évidentes dans d’innombrables cas et dont le sens va très généralement de soi pour tous (on peut mentionner ici, pour ce qui est la notion de « signe religieux », un crucifix, une soutane, une kippa ou un kirpan, ce qu’évoque le juge de première instance au par. 660 de ses motifs). Ailleurs, et dans d’autres circonstances, l’effet de ces mêmes règles peut ne pas aller de soi et leur applicabilité peut légitimement susciter un désaccord et un débat. Prétendre que l’existence de cas moins sûrs, ou franchement douteux, suffit à rendre « vague » ou « imprécise », et donc arbitraire et contraire à la primauté du droit, une règle d’application par ailleurs nette et facile à comprendre dans la plupart des cas, déforme le sens de ces notions. On supprime de la sorte une distinction à la fois nécessaire et universelle en droit. Une distinction s’impose, en effet, entre ce qui survient avant la mise en application d’une règle et ce qui se concrétise lorsque, la règle ayant parue ambiguë au moment de sa mise en application, on s’adresse à l’organe compétent pour obtenir de lui, conformément à la primauté du droit, une interprétation ferme et donc une solution à l’espèce alors en cours. Est ainsi éliminée l’ambiguïté à laquelle on se heurtait au départ. Nul doute que la Loi, comme bien d’autres lois, pourra faire l’objet d’interprétations judiciaires, quasi judiciaires ou autres. Il n’y a là rien d’anormal justifiant une déclaration d’inconstitutionnalité pour cause d’imprécision. Cela démontre simplement que les mots et les passages examinés ici sont constitutifs d’un texte de loi nécessairement pourvu d’une portée juridique : ils appartiennent à un genre de prose qui, souvent et à la différence de bien d’autres, prête naturellement à interprétation parce qu’on le confronte sans cesse à des faits toujours variables.

[199]      L’arrêt de principe sur ces notions d’imprécision et d’ambiguïté demeure l’arrêt R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society[208]. Le juge de première instance en cite un passage pertinent au par. 671 de ses motifs, passage qu’il convient de reproduire ici aussi :

La théorie de l’imprécision peut donc se résumer par la proposition suivante:  une loi sera jugée d'une imprécision inconstitutionnelle si elle manque de précision au point de ne pas constituer un guide suffisant pour un débat judiciaire. Cet énoncé de la théorie est le plus conforme aux préceptes de la primauté du droit dans l'État moderne et il reflète l'économie actuelle du système de l'admi­nistration de la justice, qui réside dans le débat contradictoire.[209]

[200]      À la lecture de l’art. 6 de la Loi, ou des autres extraits de celle-ci mentionnés par ses opposants, il est impossible de soutenir qu’ils ne constituent pas « un guide suffisant pour un débat judiciaire ». Ce débat judiciaire permettra le moment venu de départager les thèses en présence sur la portée de la Loi et d’arrêter une interprétation ferme des dispositions en question. Reprocher à la Loi de ne pas déjà expliciter à l’avance ce qui ressortira de ce processus d’interprétation, c’est attendre d’elle quelque chose qu’aucune loi n’est en mesure de livrer. Cela réfute l’argument fondé ici sur l’imprécision de la Loi.

[201]      Enfin, quant aux arguments fondés sur de prétendues incohérences dans la Loi ou entre la Loi et la Loi sur la neutralité religieuse de l’État, précitée, le postulat de cohérence avancé par les opposants à la Loi paraît tout aussi inadapté à la pratique de l’interprétation juridique que les idées de primauté du droit et de précision des textes légaux véhiculées par leurs autres prétentions. Partout dans les systèmes avancés de droit positif, les tribunaux figurent au premier rang des institutions de mise en œuvre et de sanction des règles juridiques. Leur existence est absolument nécessaire parce que le degré de cohérence, de clarté et de prévisibilité d’application des règles juridiques n’atteindra jamais en droit la cohérence, la clarté et l’inexorabilité d’application qui ailleurs, et notamment en sciences de la nature, caractérise quelques autres disciplines. Il est impossible d’atteindre en droit la clarté et la cohérence absolues recherchées ici par les parties opposées à la Loi et il est vain d’y aspirer.

D. Article 31 de la Charte canadienne

[202]      Intervenante au débat en appel, l’Alliance soulève un moyen qui n’a pas été abordé en première instance, mais qui recoupe certains moyens plaidés par d’autres : la Loi étendrait la compétence législative de l’Assemblée nationale en matière de religion au-delà de ce qu’elle était avant l’adoption de la Charte canadienne, contrevenant ainsi à son art. 31. Cette disposition prévoit que :

31. La présente charte n’élargit pas les compétences législatives de quelque organisme ou autorité que ce soit.

31. Nothing in this Charter extends the legislative powers of any body or authority.

[203]      Selon l’Alliance, le droit antérieur à la Charte canadienne imposait déjà certaines limites constitutionnelles à l’autorité législative en matière de religion. En effet, dès l’époque coloniale, l’Acte de Québec et la Loi sur les rectoreries ont consacré le principe de l’égalité juridique de toutes les religions. Et bien que ces lois aient pu être remplacées, les principes juridiques fondamentaux codifiés par elles – (i) l’égalité des confessions religieuses aux yeux de la loi; (ii) la liberté originelle dont jouit chaque personne d’être libre de toute profession religieuse forcée; et (iii) l’absence d’une doctrine religieuse étatique – « persistent à ce jour »[210]. La jurisprudence aurait reconnu que ces principes, tout comme celui de la protection des minorités, étaient implicitement protégés par la Constitution et que la liberté de religion possédait un fondement inaliénable et « indérogeable ». Toujours selon l’Alliance, ces protections constitutionnelles s’ajouteraient à celles prévues par la Charte canadienne. Or, aucune disposition de celleci, pas même l’art. 33, ne pourrait être utilisée pour amenuiser la protection des droits et libertés dont jouissaient les citoyens canadiens avant 1982. L’art. 31 de la Charte canadienne garantirait effectivement que « les droits [et libertés] dont [bénéficiaient] les gens avant la Charte demeurent au moins dans la même position, sinon dans une position améliorée, après la Charte »[211]. Les garanties constitutionnelles préexistantes ne seraient donc pas assujetties à l’art. 33, même si elles chevauchent des protections de la Charte qui le sont. En l’occurrence, pour l’Alliance, il est clair que la Loi empiète sur les limites constitutionnelles auxquelles l’Assemblée nationale aurait été soumise avant l’adoption de la Charte canadienne. Elle doit donc être déclarée invalide.

[204]      L’Alliance ajoute que la Loi contrevient également à l’art. 31 de la Charte canadienne en ce qu’elle déroge au principe (établi avant 1982) selon lequel les provinces n’ont pas compétence pour réglementer la religion « à des fins uniquement religieuses ». En d’autres termes, la Loi serait inconstitutionnelle parce qu’elle empièterait sur la compétence exclusive du Parlement d’adopter des lois ayant pour objet la réglementation de l’observance religieuse.

*   *   *   *   *

[205]      Ces prétentions ne résistent pas à l’analyse et, compte tenu des conclusions de la Cour relativement à la validité de la Loi au regard du partage des compétences et des lois préconfédératives, nombre d’entre elles peuvent être rejetées sommairement. La Loi, on l’a vu, s’inscrit dans les chefs de compétence de l’Assemblée nationale en vertu des par. 92(4), (13) et (16) de la LC 1867 et de l’art. 45 de la LC 1982[212]. Par ailleurs, comme nous l’avons expliqué dans les pages qui précèdent[213], les lois préconfédératives ne peuvent servir de fondement pour invalider la Loi au plan constitutionnel.

[206]      L’Alliance argue cependant que les « principes juridiques sous-jacents [aux lois préconfédératives] et transcendants protégeant la liberté de religion »[214] auraient été constitutionnalisés malgré l’abrogation ou le remplacement de ces lois et permettraient d’invalider la Loi, et ce par le truchement de l’art. 31 de la Charte canadienne et de l’art. 52 LC 1982. L’argument, quoique créatif (et appuyé par certains auteurs[215]), ne convainc pas.

[207]      Contrairement à ce que plaide l’Alliance, rien ne permet de conclure que ces principes ont été constitutionnalisés avant l’avènement de la Charte canadienne. S’il est vrai que dans certaines décisions anciennes de la Cour suprême, des juges ont interprété le préambule de la LC 1867 comme comportant une déclaration implicite de droits, cette théorie n’a jamais reçu l’adhésion formelle d’une majorité de la Cour. De fait, c’est uniquement en minorité et en obiter que des juges de la Cour ont invoqué cette théorie[216] pour conclure que certains droits ou libertés, dont la liberté de religion, étaient implicitement protégés par la Constitution[217]. Comme l’explique l’ancien juge en chef du Canada, Brian Dickson, dans un texte de doctrine :

These cases reflect an early effort on the part of the Supreme Court to ensure that the state should not be able to violate certain basic and uniform values linked to conceptions of liberty. The theory underlying these cases was not, however, without its weaknesses and the debate surrounding the decisions contributed to a growing recognition that there was a need for a more clearly defined constitutional protection for basic rights and liberties. For those who had grown up with the British tradition of parliamentary sovereignty, in which courts are obliged to respect the will of the legislature, the line of reasoning set out in the implied Bill of Rights cases marked a rather novel development. […] The implied Bill of Rights cases indicate that liberty was important to Canadians. But these cases are few and far between. Moreover, they have sometimes been perceived as strained in their reasoning, precisely because the constitutional discourse at the time had to be stretched to deal with issues that courts had not traditionally felt able to confront. In the end, it was impossible for the Court to develop a complete code for the protection of rights and freedoms.[218]

[Soulignements ajoutés]

[208]      De même, s’il est vrai que dans l’arrêt Chabot v. School Commissioners of Lamorandiere and Attorney-General for Quebec, rendu en 1957 par notre cour, certains juges ont décrit la liberté de religion comme un [traduction] « droit naturel »[219], la Cour n’a jamais adopté la position voulant que cette liberté soit implicitement protégée par la Constitution, bénéficiant ainsi d’un statut supralégislatif.

[209]      La jurisprudence plus récente de la Cour suprême ne permet pas davantage de conclure que la liberté de religion (ou les principes qui la sous-tendent selon l’Alliance) aurait été constitutionnalisée avant l’adoption de la Charte canadienne. Alors que la théorie de la déclaration implicite des droits semblait avoir été définitivement écartée par la Cour suprême dans l’arrêt Dupond[220], elle a refait surface, sous forme d’obiter, dans certains arrêts de la Cour rendus après l’adoption de la Charte canadienne[221]. À la lumière du récent arrêt Toronto[222], auquel nous avons fait référence précédemment[223], il est toutefois permis de douter sérieusement que cette théorie puisse être utilisée de la manière dont le prétend l’Alliance. Rappelons que dans cet arrêt, le juge en chef Wagner et le juge Brown, s’exprimant pour la majorité, concluent que les principes constitutionnels non écrits ne peuvent servir de motif autonome pour invalider des lois[224]. Leur rôle est plutôt limité à (i) l’interprétation des dispositions constitutionnelles et (ii) à l’élaboration de « doctrines structurelles non énoncées dans la Constitution écrite […], mais nécessaires pour sa cohérence, et qui découlent implicitement de son architecture »[225].

[210]      En l’occurrence, le texte écrit de la Constitution (la Charte canadienne) garantit la liberté de religion (al. 2a)) et permet expressément au législateur d’y apporter des limites justifiées (art. 1) ou d’y déroger (art. 33). Faire droit aux prétentions de l’Alliance reviendrait à faire abstraction de ce texte pourtant clair et à reconnaître deux libertés de religion distinctes au sein de notre ordre constitutionnel : l’une, non écrite, qui serait implicitement garantie par la Constitution, et à l’égard de laquelle aucune limite ou dérogation ne serait permise, et l’autre, expressément garantie par cette même Constitution, laquelle pourrait être sujette à certaines restrictions ou dérogations. En pratique, cela signifierait que la liberté de religion explicitement garantie par une disposition écrite de la Constitution serait moins étendue ou moins « protégée » que la liberté de religion implicitement garantie par cette même Constitution. En un sens, la liberté de religion implicitement garantie par la Constitution rendrait superflue la liberté de religion consacrée par la Charte canadienne. Cette approche compromettrait ainsi la délimitation de cette liberté « établie par les rédacteurs de notre Constitution »[226]. Il y a là un non-sens évident. La reconnaissance de principes constitutionnels non écrits (comme la protection des minorités) ne saurait être utilisée de manière à « négliger le texte écrit de la Constitution »[227].

[211]      En vérité, l’Alliance invite la Cour à utiliser l’art. 31 de la Charte canadienne pour passer outre aux art. 1 et 33 de cette même charte. Il est pourtant bien établi qu’une partie de la Constitution ne peut être utilisée pour en abroger une autre[228]. Il faut plutôt interpréter la Constitution comme un tout cohérent. En effet, chacune des parties de la Constitution est liée aux autres et doit être « interprété[e] en fonction de l’ensemble de sa structure »[229]. Et contrairement à ce que fait valoir l’Alliance, rien ne permet de voir en l’art. 31 de la Charte canadienne – une disposition interprétative visant à assurer le maintien du partage des compétences à la suite du rapatriement de la Constitution – une limite au pouvoir de dérogation prévu par l’art. 33 pour préserver « un fondement inaliénable et indérogeable de la liberté religieuse »[230].

[212]      Ce moyen doit échouer.

Partie II : Arguments fondés sur les droits fondamentaux

A. Recours aux dispositions de dérogation

[213]      Comme mentionné précédemment, le juge de première instance rejette la contestation de la constitutionnalité des art. 33 et 34 de la Loi, estimant inattaquable le recours aux dispositions de dérogation (art. 52 de la Charte québécoise et art. 33 de la Charte canadienne). Tout en reconnaissant qu’il apparaît « incontestable » que la Loi porte atteinte aux droits et libertés fondamentaux[231] et que l’usage par le législateur des dispositions de dérogation semble « à la fois désinvolte et inconsidéré […] en ce qu’il ratisse beaucoup trop large »[232], le juge estime néanmoins être lié par le précédent établi par la Cour suprême dans l’arrêt Ford[233]. Au terme de cet arrêt, écrit-il, le recours à la disposition de dérogation de la Charte canadienne (art. 33) n’est assujetti qu’à des conditions de forme. Il refuse de réexaminer ce précédent au motif que le litige ne soulève aucune question juridique nouvelle et ne présente pas un contexte factuel militant « en faveur d’une nouvelle détermination »[234] de la question.

[214]      Les parties opposées à la Loi invitent la Cour à infirmer ces conclusions et à déclarer inconstitutionnels les art. 33 et 34 de la Loi. Leurs moyens d’appel s’articulent autour des deux points suivants :

-         La portée de l’arrêt Ford;

-         La règle du stare decisis appliquée par le juge de première instance et ses exceptions.

[215]      Avant d’étudier ces moyens, voyons d’abord la portée des dispositions de dérogation.

1. Portée des dispositions de dérogation

[216]      Par souci de commodité, il y a lieu de reproduire de nouveau les art. 33 et 34 de la Loi, qui sont au cœur de ce chapitre de la contestation :

33. La présente loi ainsi que les modifications qu’elle apporte à la Loi favorisant la neutralité religieuse de l’État et visant notamment à encadrer les demandes d’accommodements pour un motif religieux dans certains organismes s’appliquent malgré les articles 1 à 38 de la Charte des droits et libertés de la personne (chapitre C12).

33. This Act and the amendments made by it to the Act to foster adherence to State religious neutrality and, in particular, to provide a framework for requests for accommodations on religious grounds in certain bodies apply despite sections 1 to 38 of the Charter of human rights and freedoms (chapter C-12).

34. La présente loi ainsi que les modifications qu’elle apporte par son chapitre V ont effet indépendamment des articles 2 et 7 à 15 de la Loi constitutionnelle de 1982 (annexe B de la Loi sur le Canada, chapitre 11 du recueil des lois du Parlement du Royaume-Uni pour l’année 1982).

34. This Act and the amendments made by Chapter V of this Act have effect notwithstanding sections 2 and 7 to 15 of the Constitution Act, 1982 (Schedule B to the Canada Act, chapter 11 in the 1982 volume of the Acts of the Parliament of the United Kingdom).

[217]      Pour l’essentiel, ces articles reprennent respectivement le libellé des art. 52 in fine de la Charte québécoise et 33 de la Charte canadienne, lesquels confèrent au législateur le pouvoir de déroger à certaines de leurs propres dispositions.

[218]      Bien que tous deux qualifiés de dispositions de dérogation, ces articles demeurent distincts : la portée du premier (art. 52 Charte québécoise) est plus large que celle du second (art. 33 Charte canadienne), alors que seul ce dernier est inscrit dans un texte constitutionnel. Voyons plus précisément ce qu’il en est, en débutant notre étude avec l’art. 33 de la Charte canadienne, qui a été le nœud de l’argumentaire des parties devant la Cour. De fait, l’art. 52 de la Charte québécoise a été très peu discuté, tous convenant que le sort de ce moyen d’appel repose d’abord et avant tout sur la portée de l’art. 33 de la Charte canadienne.

a. Article 33 de la Charte canadienne

[219]      Cette disposition, au libellé par ailleurs fort simple, a fait couler beaucoup d’encre. Elle prescrit ce qui suit :

33. (1) Le Parlement ou la législature d’une province peut adopter une loi où il est expressément déclaré que celleci ou une de ses dispositions a effet indépendamment d’une disposition donnée de l’article 2 ou des articles 7 à 15 de la présente charte.

(2) La loi ou la disposition qui fait l’objet d’une déclaration conforme au présent article et en vigueur a l’effet qu’elle aurait sauf la disposition en cause de la charte.
 

(3) La déclaration visée au paragraphe (1) cesse d’avoir effet à la date qui y est précisée ou, au plus tard, cinq ans après son entrée en vigueur.

(4) Le Parlement ou une législature peut adopter de nouveau une déclaration visée au paragraphe (1).

(5) Le paragraphe (3) s’applique à toute déclaration adoptée sous le régime du paragraphe (4).

33. (1) Parliament or the legislature of a province may expressly declare in an Act of Parliament or of the legislature, as the case may be, that the Act or a provision thereof shall operate notwithstanding a provision included in section 2 or sections 7 to 15 of this Charter.

(2) An Act or a provision of an Act in respect of which a declaration made under this section is in effect shall have such operation as it would have but for the provision of this Charter referred to in the declaration.

(3) A declaration made under subsection (1) shall cease to have effect five years after it comes into force or on such earlier date as may be specified in the declaration.

(4) Parliament or the legislature of a province may re-enact a declaration made under subsection (1).

(5) Subsection (3) applies in respect of a re-enactment made under subsection (4).

[220]      Le par. 33(1) de la Charte canadienne permet ainsi au Parlement ou à une législature provinciale d’adopter une loi dérogeant à ses art. 2 et 7 à 15. Ces dispositions consacrent ce qu’un auteur a décrit comme étant « les libertés fondamentales classiques [dont la liberté de religion], les garanties juridiques applicables au processus pénal et la disposition garantissant les droits à l’égalité »[235]. La dérogation, quant à elle, doit être prévue dans une loi et être expresse.

[221]      Aux termes du par. 33(2), lorsque le Parlement ou la législature invoque correctement le par. 33(1), la loi (ou la disposition de la loi) « a l’effet qu’elle aurait sauf la disposition en cause de la charte / shall have such operation as it would have but for the provision of this Charter referred to in the declaration ». La portée de ce paragraphe sera examinée ultérieurement, mais notons pour l’instant que le recours à l’art. 33 fait échec à une déclaration judiciaire d’inopérabilité qui pourrait autrement être prononcée en vertu de l’art. 52 de la LC 1982[236].

[222]      Le par. 33(3) impose par ailleurs une limite temporelle au pouvoir de dérogation, en ce que la déclaration dérogatoire ne peut être en vigueur que pour une période d’au plus cinq ans, après quoi elle cesse d’avoir effet. Le Parlement ou la législature peut cependant l’adopter de nouveau en vertu du par. 33(4), pour une autre durée maximale de cinq ans (par. 33(5))[237]. Mais, en toutes circonstances, il demeure que l’usage de la disposition de dérogation en vertu de la Charte canadienne est pour une durée limitée et doit être reconsidéré par le législateur au plus tard cinq ans après son entrée en vigueur.

[223]      Trois constats s’imposent au vu du seul libellé de l’art. 33 de la Charte canadienne.

[224]      D’abord, l’art. 33, qui repose sur le principe de la souveraineté parlementaire, a pour objet et pour effet de permettre au Parlement et aux législatures d’adopter une loi nonobstant les droits et libertés énoncés à ses art. 2 et 7 à 15. Il permet qu’une loi donnée soit soustraite au contrôle de sa constitutionalité en vertu de ces articles, dans la mesure où le par. 33(1) est correctement appliqué. Bien qu’à première vue plutôt simpliste, cet énoncé mérite néanmoins d’être rappelé, puisque d’aucuns pourraient confondre ce qui relève de l’interprétation de cette disposition constitutionnelle, d’une part, et de son caractère opportun, d’autre part. Cette disposition faisant partie intégrante de la Constitution, il ne s’agit pour les tribunaux que d’en circonscrire la portée et les conditions de mise en œuvre et non pas de se prononcer sur son opportunité ou celle de son usage.

[225]      Ensuite, de façon tout aussi évidente, sont exclus de l’application de l’art. 33 divers droits énoncés dans la Charte canadienne, dont notamment les droits démocratiques (art. 3 à 5), le droit à la liberté de circulation et d’établissement (art. 6), les droits linguistiques (art. 16 à 22) et les droits à l’instruction dans la langue de la minorité (art. 23). Le législateur ne peut donc invoquer l’art. 33 pour déroger à ces droits.

[226]      Finalement, on notera que la durée maximale d’une disposition dérogatoire adoptée en vertu de l’art. 33 (cinq ans) correspond à la durée maximale du mandat de la Chambre des communes et des assemblées législatives selon le par. 4(1) de la Charte canadienne (disposition à laquelle il ne peut être dérogé). Ainsi, le recours à la disposition de dérogation devra être revu par le gouvernement dûment élu à la suite d’une élection au terme de laquelle tout citoyen aura eu le droit de vote selon l’art. 3 de la Charte canadienne (autre disposition à laquelle il ne peut être dérogé). Les auteurs Leckey et Mendelsohn voient dans cette mécanique un rôle démocratique conféré aux citoyens, en ce que le législateur devrait en principe répondre du recours à l’art. 33 devant l’électorat :

Critically, five years is the maximum term of legislative bodies. Implicit in section 33, then, is a link to general elections, one that the nomenclature of ‘sunset clause’ fails to highlight. The idea of expiry and reconsideration applies not only to the decision to activate the notwithstanding clause but also to the legislature that so decided. Before renewing an express declaration after its maximum term, the members of the legislative assembly will have faced the voters. Consequently, [v]oters act democratically as the ultimate check on the use of the notwithstanding clause.[238]

[Renvois omis; soulignement ajouté]

[227]      Les juges majoritaires de la Cour d’appel de l’Ontario soulignaient également ce rôle de l’électorat lors du recours par la législature à la disposition de dérogation, notant dans Working Families Coalition (Canada) Inc. v. Ontario (Attorney General) que : « [t]he notwithstanding clause was expressly and clearly invoked. The formal (and only) requirement for its invocation was complied with. The invocation will expire after five years, and the electorate will be able to consider the government’s use of the clause when it votes »[239].

[228]      Un dernier mot sur l’art. 33 de la Charte canadienne. Il faut rappeler que cet article se présente comme le fruit d’un compromis fédéral-provincial (à l’exception du Québec) dans le cadre du processus ayant mené au rapatriement de la Constitution en 1982. Comme tous le savent, la décision d’y enchâsser une charte des droits et libertés a fait l’objet de nombreuses discussions, voire dissensions, au sein de la conférence des premiers ministres en 1980-1981. Pour certains, l’idée que les tribunaux judiciaires puissent mettre de côté des lois adoptées par le Parlement ou les législateurs provinciaux, dans la mesure où elles violeraient des droits et libertés garantis par une telle charte, était source d’inquiétude et de réticence. On craignait que le pouvoir judiciaire usurpe ou neutralise le pouvoir législatif exercé par une assemblée élue, allant ainsi à l’encontre du principe de la souveraineté parlementaire. La proposition d’introduire un pouvoir de dérogation réservé au Parlement et aux législatures provinciales se voulait être le « contrepoids »[240] de l’élargissement de la portée du contrôle judiciaire découlant de la constitutionnalisation des droits et libertés. L’auteure Marie Paré écrit que :

L’enchâssement de la Charte a eu pour effet d’étendre le pouvoir de contrôle des tribunaux canadiens sur la constitutionnalité des lois. S’il est vrai que la souveraineté parlementaire est un principe cardinal de notre système politique, il ne faut pas oublier que pour sa part la Constitution est la loi suprême du Canada. Le projet de constitutionnalisation des droits et libertés a en conséquence suscité chez les gouvernements provinciaux la crainte de voir miner leurs pouvoirs législatifs par les tribunaux, d’où l’inclusion de la clause dérogatoire, compromis qui a rendu l’accord de novembre 1981 possible.[241]

[229]      Dans le même ordre d’idées, Eugénie Brouillet et Félix-Antoine Michaud affirment que :

[…] C’est précisément l’insertion de cette clause dans le projet de rapatriement et de modification de la Constitution qui a largement contribué à faire passer de deux à neuf le nombre de provinces prêtes à y donner leur aval. Le premier ministre fédéral de l’époque, Pierre Elliott Trudeau, s’exprimait comme suit :

C’est un moyen pour les assemblées législatives fédérale et provinciales de garantir que ce sont les représentants élus du peuple plutôt que les tribunaux qui ont le dernier mot.

Il faut par conséquent éviter de perdre de vue que l’existence de cette clause dans la Charte est le « fruit d’un des compromis les plus significatifs de l’histoire des relations fédérales-provinciales canadiennes ».[242]

[Renvois omis]

[230]      Rappelons en outre que le mécanisme de dérogation n’était alors pas un phénomène nouveau au Canada :

XII-2.15 – L’institution de la dérogation expresse n’était pas en 1982 un phénomène nouveau ou exceptionnel en droit canadien. Elle existait déjà et existe toujours dans la Charte fédérale de 1960 qu’est la Déclaration canadienne des droits, de même que dans les chartes des droits du Québec, de l’Alberta et de la Saskatchewan. Il s’agit donc plutôt d’une institution assez typiquement canadienne qui, dans un contexte fédératif, veut faire le pont entre la suprématie législative à l’anglaise, qui prévalait avant les chartes, et la suprématie judiciaire à l’américaine que ces dernières ont instaurée. La dérogation expresse, autrement dit, permet tout simplement de restaurer le cas échéant la démocratie parlementaire relativement à certains droits et libertés. […][243]

[Soulignements ajoutés]

[231]      Par ailleurs, bien que vue comme étant le « fruit d’un compromis », la disposition de dérogation est source de controverse depuis qu’elle a été proposée en novembre 1981[244]. Il en est toujours de même aujourd’hui. Près de 42 ans se sont écoulés depuis son adoption et les arguments invoqués par ses défenseurs, tout comme ceux de ses adversaires, demeurent inchangés. Pour les premiers, cette disposition s’inscrit dans le respect du fédéralisme canadien[245] et ne fait que restaurer ponctuellement la souveraineté parlementaire[246] en assurant que le législateur (puis l’électorat), et non les tribunaux, aient le dernier mot en certaines matières[247]. Par contraste, pour les seconds, il s’agit « d’une incongruité, difficilement conciliable avec le principe même d’une [charte des droits et libertés] »[248]. S’ajoute depuis à ce débat celui des conditions de mise en œuvre de l’art. 33 de la Charte canadienne et de l’étendue du pouvoir judiciaire lors de l’examen d’une loi comportant une disposition dérogatoire.

[232]      Toutefois, ce débat, vieux de près de 42 ans, ne doit pas faire perdre de vue le rôle du Parlement et des législatures lors du recours à l’art. 33. Le professeur Leclair souligne à juste titre qu’en demeurant axée sur « le pouvoir des tribunaux de contrer la souveraineté parlementaire », la teneur des débats actuels occulte l’importante question « de savoir comment un tel pouvoir de déconstitutionnalisation devrait être exercé » par le Parlement et les législatures, en plus de contribuer à l’idée que ceux-ci n’ont « aucun rôle à jouer dans la protection des droits et libertés »[249]. Dans le même ordre d’idées, les professeurs Karazivan et Gaudreault-DesBiens notent que le recours à la disposition de dérogation devrait nécessiter un véritable débat démocratique par les parlementaires et être exercé de façon parcimonieuse :

The notwithstanding clause can thus be seen as Canada’s hyphen between political and legal constitutionalism. In most cases, the Canadian legal system follows legal constitutionalism’s ideal where courts are able to curb an errant legislature by applying an entrenched bill of rights to invalidate legislation. Conversely, the legislatures, having democratically debated on a certain policy, can occasionally demand to have the last word over the judiciary; they are, to keep the same terminology, able to curb an errant court. But if legislatures are to use the powers granted by section 33, we expect that they display strong democratic deliberation of the same magnitude as what is found in societies which embrace political constitutionalism and rely on Dicey’s “common sense” and politically responsible parliamentarians. In view of the laconic procedural and substantive limitations in section 33 (compared with international treaties), there is no choice but to rely on the tradition of restraint on the part of parliamentarians who should consider the opportunity to trigger section 33 as narrowly as possible.[250]

[Soulignements ajoutés]

[233]      Dans un article récent, la professeure Dominique Leydet met également en relief cette responsabilité fondamentale du législateur, et plus précisément celle des parlementaires, incluant, bien sûr, les membres de l’Assemblé nationale :

Il me semble, en effet, que si l’on veut renforcer l’édifice protégeant les droits fondamentaux, il convient également de mettre en lumière le rôle essentiel que les parlementaires et l’Assemblée législative sont appelés à jouer dans cette entreprise. À trop se focaliser sur le rôle des tribunaux dans la garantie des droits, dit autrement en faisant de cette garantie la seule affaire des tribunaux, on risque de déresponsabiliser les autres acteurs de l’ordre constitutionnel et démocratique, notamment les Parlements. On risque également de renforcer la perception que les droits sont des corps étrangers au débat démocratique, un ensemble de contraintes qui s’imposent de l’extérieur à la volonté démocratique, plutôt que des valeurs et des principes qui doivent concourir de l’intérieur au processus de sa formation.[251]

[Soulignement ajouté]

[234]      Le présent litige ne mettra sans doute pas fin à ces débats qui soulèvent, il faut le dire, des enjeux qui vont bien au-delà de la seule interprétation de l’art. 33 de la Charte canadienne et qui portent davantage sur des questions politiques que juridiques[252]. Le rôle du législateur lui-même dans la défense et la promotion des droits et libertés ne peut être écarté de l’équation.

b. Article 52 de la Charte québécoise

[235]      La disposition de dérogation prévue à l’art. 52 de la Charte québécoise précède celle de la Charte canadienne et s’inscrit dans un contexte historique différent. Introduit dans la Charte québécoise dès son adoption en 1975, l’art. 52, modifié en 1982[253], prescrit ce qui suit :

52. Aucune disposition d’une loi, même postérieure à la Charte, ne peut déroger aux articles 1 à 38, sauf dans la mesure prévue par ces articles, à moins que cette loi n’énonce expressément que cette disposition s’applique malgré la Charte.

52. No provision of any Act, even subsequent to the Charter, may derogate from sections 1 to 38, except so far as provided by those sections, unless such Act expressly states that it applies despite the Charter.

[236]      Cette disposition, aussi qualifiée de clause de primauté[254], est souvent considérée comme le pendant de l’art. 33 de la Charte canadienne, ces deux articles poursuivant toutefois, selon certains, des finalités opposées. Ainsi, pour les auteurs Brun, Tremblay et Brouillet, l’art. 52 de la Charte québécoise ferait exception à la pleine souveraineté parlementaire et « constitutionnaliserait » certains droits et libertés[255].

[237]      En vérité, sans « constitutionnaliser »[256] les droits et libertés au sens strict du terme, puisque la Charte québécoise peut être modifiée ou abrogée selon le processus législatif ordinaire[257], l’art. 52 a pour effet de conférer une primauté relative à certaines de ses dispositions (les art. 1 à 38)[258]. De fait, une disposition législative d’une autre loi – qu’elle soit antérieure ou postérieure à l’entrée en vigueur de la Charte québécoise – ne peut être incompatible avec ses art. 1 à 38, à moins qu’elle ne soit protégée par une disposition de dérogation expresse. L’art. 52 donne ainsi prépondérance à la Charte québécoise sur les autres lois provinciales.

[238]      Par ailleurs, le pouvoir de dérogation de l’art. 52 de la Charte québécoise, tout comme celui de l’art. 33 de la Charte canadienne, repose sur le principe de la souveraineté parlementaire[259] en ce que les deux dispositions permettent d’assurer que le législateur, et non les tribunaux, ait le dernier mot en certaines matières[260]. Au même titre que l’art. 33 de la Charte canadienne, le recours à l’art. 52 fait échec à une déclaration judiciaire d’inopérabilité qui pourrait autrement être prononcée[261].

[239]      Ajoutons toutefois que le pouvoir de dérogation dévolu au législateur par l’art. 52 de la Charte québécoise a une portée plus étendue que celui de l’art. 33 de la Charte canadienne, pourtant décrié par certains, puisque son exercice peut couvrir l’ensemble des droits énoncés aux art. 1 à 38 de la Charte québécoise, soit les droits et libertés fondamentaux (art. 1 à 9.1)[262], le droit à l’égalité dans la reconnaissance et l’exercice des droits et libertés et l’interdiction de la discrimination (art. 10 à 20.1)[263], les droits politiques (art. 21-22)[264] et les droits judiciaires (art. 23-38)[265].

[240]      Par contraste, les droits économiques et sociaux (art. 39 à 48)[266] ne bénéficient pas de la suprématie législative prévue à l’art. 52 de la Charte québécoise; la loi pourrait les limiter sans recourir à cette disposition.

[241]      Finalement, contrairement à l’art. 33 de la Charte canadienne, l’art. 52 de la Charte québécoise ne prévoit aucune limite temporelle à l’exercice du pouvoir de dérogation. Ceci signifie que la disposition dérogatoire, une fois adoptée, demeure en vigueur à moins d’une modification législative ou d’une abrogation[267].

[242]      Bien que plusieurs semblent l’oublier, on constate ainsi que l’art. 52 de la Charte québécoise confère à la législature provinciale un pouvoir de dérogation plus étendu que celui prévu à l’art. 33 de la Charte canadienne. Toutefois, sauf pour les droits énoncés aux deux dispositions de dérogation, ce pouvoir peut s’avérer purement théorique en ce que la loi provinciale demeure toujours assujettie au contrôle de sa constitutionnalité au regard de la Charte canadienne. Le présent dossier en est un bel exemple.

[243]      La portée des dispositions de dérogation ayant ainsi été examinée, il y a lieu de s’attarder maintenant aux moyens d’appel des parties opposées à la Loi.

2. Portée de l’arrêt Ford

a. Article 33 de la Charte canadienne

[244]      Le premier grief des parties opposées à la Loi concerne la lecture que le juge de première instance a faite de l’arrêt Ford selon laquelle le recours à la disposition de dérogation de la Charte canadienne n’est assujetti qu’à des conditions de forme. Ces parties font valoir, chacune à leur façon, que le recours au pouvoir de dérogation prévu à la Charte canadienne est assujetti à des conditions de fond qui, en l’espèce, ne sont pas satisfaites. Certaines plaident également que les propos que tient la Cour suprême dans l’arrêt Ford quant à l’interprétation de l’art. 33 de la Charte canadienne relèvent de l’obiter dictum et qu’on ne saurait les lire comme signifiant que l’édiction d’une disposition dérogatoire en vertu de cette disposition est soustraite au contrôle judiciaire (sur des conditions de fond).

[245]      La Cour ne peut se rallier à cette thèse. L’interprétation retenue par le juge de première instance des exigences et des effets de l’art. 33 de la Charte canadienne est conforme aux enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Ford.

[246]      On doit d’abord rappeler en quoi consistait cette décision prononcée per curiam en 1988. La Cour suprême devait déterminer si les art. 58 et 69 de la Charte de la langue française[268], exigeant que l’affichage public et la publicité commerciale se fassent uniquement en français et que seule soit utilisée la raison sociale en langue française, portaient atteinte à la liberté d’expression garantie par l’al. 2b) de la Charte canadienne et par l’art. 3 de la Charte québécoise. Or, l’application de la Charte canadienne à la législation contestée dépendait tout d’abord de la validité et de l’applicabilité de deux dispositions dérogatoires adoptées en vertu de l’art. 33 de la Charte canadienne :

-         l’art. 214 de la Charte de la langue française, édicté par l’art. 1 de la Loi concernant la Loi constitutionnelle de 1982[269], une loi omnibus prévoyant notamment l’incorporation d’une disposition dérogatoire type dans toutes les lois québécoises adoptées avant l’entrée en vigueur de la Charte canadienne[270]. Cette disposition s’appliquait à l’art. 69 de la Charte de la langue française;

-         l’art. 52 de la Loi modifiant la Charte de la langue française[271], adoptée en 1983, qui ne s’appliquait qu’à l’égard de l’art. 58 de la Charte de la langue française.

Le libellé de ces deux dispositions dérogatoires était identique :

La présente loi a effet indépendamment des dispositions des articles 2 et 7 à 15 de la Loi constitutionnelle de 1982 (annexe B de la Loi sur le Canada, chapitre 11 du recueil des lois du Parlement du Royaume-Uni pour l’année 1982).[272] 

[247]      On aura bien entendu déjà noté que la disposition dérogatoire prévue à l’art. 34 de la Loi reprend précisément ce même libellé, tout en indiquant qu’elle s’applique aussi aux « modifications qu’elle apporte / the amendments made » à la Charte québécoise et à la Loi sur la neutralité religieuse de l’État.

[248]      Or, comme le retient à juste titre le juge de première instance[273], la Cour suprême, dans l’arrêt Ford, conclut qu’une telle déclaration, même dans une loi omnibus, constitue un exercice légitime du pouvoir de dérogation conféré par l’art. 33 de la Charte canadienne, celui-ci n’établissant que des conditions de forme[274]. Le passage de cet arrêt repris par le juge au par. 724 de ses motifs ne comporte aucune ambiguïté à ce sujet.

[249]      Selon la Cour suprême, l’art. 33 exige simplement « que la déclaration dérogatoire dise expressément qu’une loi ou une de ses dispositions a effet indépendamment d’une disposition donnée de l’art. 2 ou des art. 7 à 15 de la Charte »[275]. Une telle déclaration, ajoute-t-elle, sera suffisamment explicite « si elle mentionne le numéro de l’article, du paragraphe ou de l’alinéa de la Charte qui contient la disposition ou les dispositions auxquelles on entend déroger »[276]. « Il n’y a aucune raison d’exiger davantage en vertu de l’art. 33 »[277], écrit-elle.

[250]      La Cour suprême précise que l’examen judiciaire de l’exercice du pouvoir de dérogation consacré par l’art. 33 de la Charte canadienne est strictement limité à l’analyse des conditions de forme que prévoit cet article. Dans le passage cité in extenso par le juge de première instance au par. 724 de son jugement, la Cour suprême écrit entre autres :

L’article 33 établit des exigences de forme seulement et il n’y a aucune raison d’y voir la justification d’un examen au fond de la politique législative qui a donné lieu à l’exercice du pouvoir dérogatoire dans un cas donné.[278]

[251]      La Cour suprême écarte en outre toute nécessité d’analyser les opinions qui s’opposent au sujet de l’art. 33 de la Charte canadienne et auxquelles il a été fait référence plus haut (importance de la souveraineté du Parlement et des législatures vs gravité de la décision de déroger à des droits et libertés). Elle estime que « [c]es deux perspectives ne sont pas particulièrement pertinentes ou utiles dans l’interprétation des exigences posées par l’art. 33 »[279].

[252]      La Cour suprême rejette également les prétentions, reprises ici en d’autres termes par certaines des parties opposées à la Loi, prétentions selon lesquelles une telle façon de procéder représenterait un exercice « machinal » inacceptable du pouvoir de dérogation, voire une « perversion » de celui-ci ou, encore, une tentative de modifier la Charte canadienne. Elle considère qu’il s’agit « essentiellement d’arguments sur l’opportunité de la politique législative dans l’exercice du pouvoir de dérogation plutôt que sur ce qui constitue une déclaration dérogatoire suffisamment expresse »[280]. La Cour suprême réitère en effet que « rien à l'art. 33 ne justifie que de telles considérations soient retenues comme fondement de l'examen judiciaire d'un exercice particulier du pouvoir attribué par l'art. 33 »[281]. Dès lors, les tribunaux judiciaires ne peuvent exiger que le législateur explique ou justifie le caractère opportun de la politique législative à l’origine de l’exercice du pouvoir de dérogation. Ils ne peuvent non plus exiger que celui-ci atteste l’existence d’un lien ou d’un rapport entre la loi dérogatoire et les droits ou libertés visés par la dérogation. La Cour y reviendra[282].

[253]      Finalement, et contrairement à ce que font valoir certains opposants à la Loi, ces extraits de l’arrêt Ford ne peuvent être considérés comme un obiter, même si une partie du litige dans cette affaire était devenue théorique en raison du non-renouvellement de la Loi concernant la Loi constitutionnelle de 1982 à l’expiration du terme de cinq ans prévu par le par. 33(3) (délai écoulé avant que la Cour suprême ne prononce son arrêt)[283]. Tout au contraire, celle-ci examine en profondeur la question des conditions rattachées à l’usage du pouvoir de dérogation prévu au par. 33(1), compte tenu de la seconde disposition dérogatoire toujours en vigueur (l’art. 52 de la Loi modifiant la Charte de la langue française) et de l’importance de l’enjeu. L’analyse minutieuse qu’elle en fait n’a rien de la remarque accessoire, complémentaire ou incidente ou du commentaire fait au passage. Elle établit plutôt à ce sujet un cadre général d’analyse[284], « founi[ssant] des balises et [devant] être accepté comme faisant autorité »[285].

[254]      Bref, comme l’écrit le PGQ, l’arrêt Ford « ne laisse pas de porte ouverte à la possibilité d’intégrer des conditions de fond à l’application [de l’art. 33] »[286]. Le texte de cette disposition est clair, nous enseigne la Cour suprême; il s’agit de l’appliquer. Que les tribunaux judiciaires soient d’accord ou non avec le choix du législateur – choix qu’il n’a d’ailleurs pas à justifier – est sans pertinence.

[255]      Notons que la Cour d’appel de l’Ontario partage cette même lecture de l’arrêt Ford. Dans Working Families Coalition, la majorité écrit en effet :

[49] The application judge rejected the appellants’ claim that s. 33 was not validly invoked, as its formal requirements were met and no other precondition to its invocation existed in law. We agree.

[50] In our view, this conclusion is entailed by the Supreme Court’s decision in Ford v. Quebec (Attorney General), [1988] 2 S.C.R. 712. Ford holds that s. 33 is subject to a requirement of form only, and that no substantive justification by a legislature for invoking the notwithstanding clause is required: at pp.740-41.[287] 

La juge dissidente est également en accord avec cette interprétation de l’arrêt Ford[288].

b. Article 52 de la Charte québécoise

[256]      Comme mentionné plus tôt, les observations des parties ont porté principalement, sinon presque exclusivement, sur l’interprétation de l’art. 33 de la Charte canadienne; elles ne se sont pas attardées à l’impact de l’arrêt Ford sur l’interprétation de l’art. 52 de la Charte québécoise.

[257]      Il y a néanmoins lieu de souligner brièvement que, de l’avis de la Cour, les enseignements de cet arrêt s’appliquent également à l’art. 52 de la Charte québécoise. D’abord, cette disposition prescrit simplement que la loi dérogatoire doit « énonce[r] expressément [qu’elle] s’applique malgré la Charte / expressly stat[e] that it applies despite the Charter », sans plus. Ensuite, les fondements des pouvoirs de dérogation prévus dans les deux chartes demeurent les mêmes. Dès lors, si des critères de forme sont suffisants pour justifier une dérogation aux droits et libertés enchâssés dans la Constitution, ils le sont certainement tout autant pour justifier une dérogation aux dispositions de la Charte québécoise, loi quasi-constitutionnelle[289].

*   *   *   *   *

[258]      Force est donc de conclure que le juge de première instance a correctement appliqué les enseignements de l’arrêt Ford en concluant que les dispositions dérogatoires prévues aux art. 33 et 34 de la Loi satisfont aux conditions de forme requises par les art. 52 de la Charte québécoise et 33 de la Charte canadienne.

[259]      Voyons maintenant si cet arrêt a toujours valeur de précédent faisant autorité, comme le juge l’a déterminé.

3. Règle du stare decisis et exceptions

[260]      Le second grief des parties opposées à la Loi, subsidiaire au premier, concerne le refus du juge de première instance de réexaminer l’arrêt Ford. Plusieurs des parties opposées à la Loi avancent que le cas d’espèce pose de nouvelles questions juridiques, ou encore que le contexte factuel a profondément évolué depuis le prononcé de cet arrêt, justifiant une nouvelle détermination de la question.

[261]      Ces parties appuient leur argumentaire sur les deux exceptions à la règle du stare decisis (ou stare decisis vertical), qui constitue, rappelons-le, un principe fondamental de notre système juridique :

[44] La doctrine selon laquelle les tribunaux d’instance inférieure doivent suivre les décisions des juridictions supérieures est un principe fondamental de notre système juridique. Elle confère une certitude tout en permettant l’évolution ordonnée et progressive du droit. Cependant, le principe du stare decisis ne constitue pas un carcan qui condamne le droit à l’inertie. Les juridictions inférieures peuvent réexaminer les précédents de tribunaux supérieurs dans deux situations : (1) lorsqu’une nouvelle question juridique se pose; et (2) lorsqu’une modification de la situation ou de la preuve « change radicalement la donne » (Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101, par. 42).[290]

[262]      Par ailleurs, « la barre est haute lorsqu’il s’agit de justifier le réexamen d’un précédent »[291] d’un tribunal de juridiction supérieure.

[263]      Qu’en est-il en l’espèce?

a. Nouvelle question juridique

[264]      Le critère de « la question juridique nouvelle » est exigeant. En matière constitutionnelle, il peut s’agir de nouvelles questions de droit en lien avec les chartes qui n’ont pas été avancées ou considérées dans le précédent que l’on cherche à réexaminer, ou encore d’arguments soulevés par suite d’une évolution importante du droit. Comme l’écrit la Cour suprême, sous la plume de la juge en chef McLachlin, dans l’arrêt Bedford, un tribunal de juridiction inférieure « peut se pencher puis se prononcer sur une prétention d’ordre constitutionnel qui n’a pas été invoquée dans l’affaire antérieure; il s’agit alors d’une nouvelle question de droit. De même, le sujet peut être réexaminé lorsque de nouvelles questions de droit sont soulevées par suite d’une évolution importante du droit […] »[292].

i.                    Article premier de la Charte canadienne

[265]      Certains opposants à la Loi soutiennent, à titre de question nouvelle, que le recours à la disposition de dérogation édictée dans la Charte canadienne doit être soumis au contrôle judiciaire en vertu de l’article premier de celle-ci. À leur avis, la conciliation entre les art. 1 et 33 de la Charte canadienne consiste « à appliquer l’article premier d’une façon qui tienne compte du contexte et de la particularité de l’article 33 »[293]. On soutient aussi que « toute application de [l’art. 33], en ce qu’elle entraine la violation des droits et libertés fondamentaux, doi[t] être soumise au test développé dans l’arrêt R. c. Oakes »[294]. Bien que ces parties ne le précisent pas dans leur argumentaire, on comprend que leur position vaut également pour les art. 52 et 9.1 de la Charte québécoise, avec les adaptations nécessaires.

[266]      Il est vrai que, dans l’arrêt Ford, la Cour suprême n’a pas statué expressément sur la question de savoir si l’art. 33 est soumis au critère de justification énoncé à l’article premier de la Charte canadienne. Toutefois, la ratio decidendi de cet arrêt et le corpus jurisprudentiel de la Cour suprême font obstacle à la prétention qu’il s’agit là d’une question nouvelle justifiant de réexaminer l’arrêt Ford.

[267]      Dans l’arrêt de principe sur l’interprétation de l’art. 1 de la Charte canadienne, l’arrêt Oakes, la majorité de la Cour suprême, sous la plume du juge en chef Dickson, établit une distinction claire entre les critères justificatifs applicables en vertu de l’article premier et ceux de l’art. 33 :

Il importe de souligner dès l'abord que l'article premier remplit deux fonctions: premièrement, il enchâsse dans la Constitution les droits et libertés énoncés dans les dispositions qui le suivent; et, deuxièmement, il établit explicitement les seuls critères justificatifs (à part ceux de l'art. 33 de la Loi constitutionnelle de 1982) auxquels doivent satisfaire les restrictions apportées à ces droits et libertés.[295]

[Soulignements ajoutés]

On peut certainement présumer que la Cour suprême avait cette distinction à l’esprit lorsqu’elle a écrit l’arrêt Ford, deux ans plus tard.

[268]      Ensuite, comme on l’a vu[296], la Cour suprême, dans Ford, écarte expressément toute nécessité pour le législateur de justifier sa décision d’exercer le pouvoir de dérogation, pour retenir que le recours à l’art. 33 n’exige rien d’autre que le respect de conditions de forme. Elle désavoue d’ailleurs en termes clairs l’arrêt de notre cour dans Alliance des professeurs de Montréal c. Procureur général du Québec[297], où le juge Jacques, rédacteur de l’opinion principale, avait exprimé l’avis que la déclaration faite en vertu de l’art. 33 de la Charte canadienne devait préciser le lien ou le rapport existant entre la loi dérogatoire et les droits ou libertés visés par la dérogation. Sans pour autant reconnaître que le recours à l’art. 33 de la Charte canadienne était assujetti aux exigences de l’article premier, le juge Jacques estimait qu’on pouvait tout de même s’y référer pour interpréter cette disposition et baliser l’exercice du pouvoir de dérogation :

[L’article premier] comprend donc, outre la garantie des droits et libertés énoncés à la charte, outre le pouvoir de les restreindre dans certaines limites, un énoncé du caractère de notre société.

L'utilisation de l'article 33 doit donc s'inscrire dans le cadre des règles de cette société, dont certaines sont déterminées par les Tribunaux, le caractère de notre société étant inscrit dans une Constitution dont l'interprétation et l'application relèvent du pouvoir judiciaire.

[…]

Si certains droits peuvent être absolus, e.g. liberté de conscience, aucun pouvoir, cependant, ne peut être exercé de façon absolue : c'est là la primauté du droit. Le pouvoir ne s'exerce que dans le cadre des règles de droit.

[…]

L'exercice du pouvoir de l'article 33 doit donc s'inscrire à l'intérieur des principes fondamentaux qui définissent notre société.[298]

[269]      Ainsi, selon le juge Jacques, le législateur devait justifier l’usage du pouvoir de dérogation énoncé à l’art. 33, à tout le moins en précisant clairement les droits ou libertés visés par la dérogation. Or, la Cour suprême a conclu que cette lecture de l’art. 33 était erronée en droit, le législateur n’étant pas tenu de justifier son usage du pouvoir de dérogation :

L’exigence d’un lien ou d’un rapport apparent entre la loi dérogatoire et les droits ou libertés garantis auxquels on veut déroger semble ouvrir la voie à un examen au fond car il semble exiger que le législateur précise les dispositions de la loi en question qui pourraient par ailleurs porter atteinte à des droits ou à des libertés garantis spécifiés. Ce serait exiger dans ce contexte une justification prima facie suffisante de la décision d’exercer le pouvoir dérogatoire et non pas simplement une certaine expression formelle de cette décision. Rien dans les termes de l’art. 33 ne permet d’y voir une telle exigence. […][299]

[Soulignements ajoutés]

[270]      De même, encore récemment, dans l’arrêt Ontario (Procureur général) c. G.[300], la Cour suprême a fait allusion au pouvoir du législateur de recourir à l’art. 33 « même pour des motifs purement politiques »[301]. Une telle affirmation ne peut être conciliée avec la proposition selon laquelle l’art. 33 doit être soumis aux conditions de justification de l’article premier. L’analyse du professeur Hogg et de son co-auteur sur cette question nous semble juste :

The thesis that s. 33 is subject to s. 1 is a difficult one to sustain. It is true that s. 33 does not expressly state that s. 1 of the Charter can be overridden. However, it is implicit in s. 33 that, once a Charter provision has been overridden by an express declaration in a statute, the Charter provision has no application whatsoever to the statute, and therefore there is no need for any showing of reasonableness or justification under s. 1. This view seems to have been accepted in Ford v. Quebec (1988). Although the Court made no explicit reference to the s. 1 argument, the Court upheld the validity of the s. 33 override without considering its reasonableness or demonstrable justification. And the Court said that s. 33 “lays down requirements of form only”, and that there was “no warrant for importing into it grounds for substantive review”.[302]

[Renvois omis]

[271]      Finalement, la position défendue par les opposants à la Loi est irréconciliable avec la portée fort distincte des art. 33 et premier de la Charte canadienne. L’art. 33 confère au Parlement et aux législatures le pouvoir de déroger temporairement à l’application des art. 2 et 7 à 15 de la Charte canadienne, qu’il y ait ou non violation de ces dispositions, ou que cette violation, le cas échéant, soit justifiée ou non (ce pouvoir, rappelons-le, pouvant être exercé pour des motifs purement politiques). L’article premier, quant à lui, permet plutôt de justifier, selon certaines conditions, des violations avérées aux droits et libertés protégés par la Charte canadienne. L’art. 33 prévoit ainsi un mécanisme de dérogation à certains droits et libertés (art. 2 et 7 à 15), tandis que l’article premier « garantit les droits et libertés qui y sont énoncés / guarantees the rights and freedoms set out in it ». L’article premier édicte également un cadre analytique de justification en cas d’atteinte, c’est-à-dire l’exigence que celle-ci soit prescrite « par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique » (« subject only to such reasonable limits prescribed by law as can be demonstrably justified in a free and democratic society »).

[272]      Appliquer l’article premier à l’art. 33 supposerait, d’une part, la démonstration de l’atteinte à un droit ou une liberté (art. 2 et 7 à 15) et, d’autre part, la nécessité de « justifier » ladite atteinte. Une telle lecture viderait de toute utilité le pouvoir de dérogation[303], en plus de donner le dernier mot aux tribunaux plutôt qu’au législateur, puisque les premiers pourraient conclure que l’exercice par le second de son pouvoir de dérogation est injustifié, et donc inconstitutionnel. Pourtant, pour reprendre ce que la Cour suprême écrivait dans l’arrêt Ford, rien dans le libellé de l’art. 33 ne peut justifier une telle lecture qui, de l’avis de la Cour, semble plutôt motivée par le refus d’accepter l’existence même d’un tel pouvoir de dérogation. Certes, d’aucuns peuvent se questionner sur l’àpropos d’un tel pouvoir. Toutefois, la réponse ne peut passer par une lecture des art. 1 et 33 de la Charte canadienne qui s’avère irréconciliable avec leur libellé et avec les enseignements de la Cour suprême.

[273]      Dès lors, le juge de première instance ne commet aucune erreur de droit lorsqu’il écrit :

[745] On voit mal comment le législateur, au moment de l’adoption de la Charte, après les consultations constitutionnelles avec les provinces que cela impose, décidant d’y inclure une clause de dérogation permettant d’exclure certains droits d’une protection constitutionnelle, pourrait se voir imposer, de façon prétorienne, une obligation juridique qui découlerait, en partie, de l’application substantive de l’équivalent analytique de cette même disposition, en l’occurrence l’article premier, alors que cette même clause de dérogation vise à exclure du débat judiciaire l’application de ces mêmes principes.

[274]      Bref, le recours à l’art. 33 de la Charte canadienne n’est pas assujetti aux exigences de l’article premier de cette même charte.

[275]      Il en va de même de l’art. 52 de la Charte québécoise à l’égard de son art. 9.1. D’autant qu’il est difficile, voire impossible, de concevoir que l’art. 52 de la Charte québécoise pourrait être assujetti aux exigences de l’art. 9.1, alors que le premier prévoit expressément le pouvoir de déroger au second.

ii.                  Dérogation à l’application des deux chartes

[276]      Certains opposants à la Loi soutiennent également, à titre de question nouvelle, que la Loi constitue la première législation dans laquelle le législateur québécois exerce simultanément les pouvoirs de dérogation prévus aux deux chartes, au surplus à l’encontre de tous les droits et libertés pour lesquels une telle dérogation est possible. Ce fait, plaident-ils, justifierait de réexaminer l’arrêt Ford.

[277]      Cet argument doit être écarté succinctement. D’abord, dans Ford, la Cour suprême conclut à la validité de l’exercice, même préventif, du pouvoir de dérogation à l’encontre de tous les droits et libertés couverts par l’art. 33 de la Charte canadienne, y compris par le biais d’une loi omnibus. Si, aux yeux de la Cour suprême, une dérogation « en bloc » est valide en vertu de la Charte canadienne (loi constitutionnelle), il doit forcément en être de même d’une dérogation « en bloc » aux dispositions d’une loi « quasiconstitutionnelle » telle la Charte québécoise.

[278]      Ensuite, ni l’art. 33 de la Charte canadienne ni l’art. 52 de la Charte québécoise ne restreignent la capacité du législateur d’exercer son pouvoir de dérogation (autrement que par l’exigence de respecter des conditions de forme, comme on l’a déjà écrit). Outre que de souligner les passages du jugement de première instance où le juge se dit sérieusement « interpellé par l’amplitude de l’exercice et l’indifférence qu[e le législateur] affiche à l’égard de certains droits et libertés »[304], les défenseurs de cette thèse n’avancent aucun argument juridique permettant de conclure qu’un recours simultané aux pouvoirs de dérogation sous les deux chartes serait inconstitutionnel ou justifierait que l’on revisite l’arrêt Ford pour cette raison. Il ne revient pas à la Cour de combler cette lacune au niveau de leur argumentaire.

[279]      Dès lors, rien ne permet de justifier l’affirmation de l’une des parties suivant laquelle le recours simultané aux deux dispositions de dérogation a pour effet de placer la Loi « outside any legal framework »[305]. Ce grief doit donc échouer.

iii.                Dérogation aux droits judiciaires (art. 23-38 de la Charte québécoise) et aux garanties juridiques (art. 7-14 de la Charte canadienne)

[280]      S’appuyant notamment sur l’arrêt Crevier[306], l’une des parties opposées à la Loi ajoute que la dérogation simultanée aux droits judiciaires garantis par la Charte québécoise (art. 23-28) et aux garanties juridiques enchâssées dans la Charte canadienne (art. 7-14) porte atteinte à la primauté du droit et à la compétence fondamentale (« core competence »[307]) de la Cour supérieure, allant ainsi à l’encontre de l’art. 96 de la LC 1867. Il y a lieu de citer certains extraits de son argumentaire afin de reproduire fidèlement la thèse proposée :

[60] […] The suspension of all judicial rights provided in both Charters, and, as corollary, the suspension of what “la primauté du droit” includes, negates the inherent jurisdiction of the Superior Court as guardian of the Constitution. […]

[…]

[70] The novel combined and holus bolus use of both notwithstanding clauses creates the perfect privative or preclusive clause that offends both the "rule of law" and the "core competence" of the Superior Court. The suspension of all judicial rights set out at s. 23 et seq. of the Québec Charter, along with those guaranteed in the Canada Charter results, with respect to Bill 21's provisions, in the illegal erosion of the constitutional guarantees of both ss. 96 and s. 52(1) of the Constitution Act, 1982. While the Province may have the structural and procedural competence to neutralize the substantive rights of each Charter by way of their respective ss. 52 and 33, used individually, the concurrent use by the Province of both makes same ultra vires because of their combined effects upon the functioning of the Superior Court as guarantor of the "rule of law" and its role as a unifying judicial force. None of this was ever canvassed or decided in either Ford or Devine because the rights of the Québec Charter had been left intact.

[…]

[72] […] The unconstitutional exercise of power by one or another level of government that compromises and hobbles the “core competence” and the jurisdiction of the Superior Court per s. 96 can and must be sanctioned so as to protect the supremacy of Canada’s constitution itself. […][308]

[Soulignements et caractères gras dans l’original; renvois omis]

[281]      Formulé en d’autres termes, dans la mesure de notre compréhension, l’on avance donc ici que la Loi serait inconstitutionnelle puisqu’elle priverait les citoyens de leurs droits judiciaires, dont le droit « à une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant et qui n’est pas préjugé » (art. 23 de la Charte québécoise, droit par ailleurs aussi protégé par la Charte canadienne) et, par le fait même, empêcherait la Cour supérieure de s’acquitter du rôle constitutionnel qui lui revient de réviser l’exercice par la législature de son pouvoir législatif et de s’assurer que l’État agit dans le respect de la règle de droit et de façon non arbitraire.

[282]      Or, comme le souligne à raison le PGQ, un tel argument « constitue une façon de priver de tout effet le recours à l’art. 33 de la Charte canadienne »[309].

[283]      Ajoutons que s’il était retenu, cet argument mènerait essentiellement à la conclusion que le recours à l’art. 33 de la Charte canadienne serait contraire à l’art. 96 de la LC 1867 puisque ce n’est pas la violation de l’art. 23 de la Charte québécoise (ou des garanties juridiques de la Charte canadienne) qui limite en l’occurrence le pouvoir de surveillance et de contrôle des cours supérieures, mais plutôt l’usage du pouvoir de dérogation prévu à l’art. 33 de la Charte canadienne[310]. Dans les faits, aucune disposition de la Loi ne limite le droit d’un citoyen de s’adresser à un tribunal indépendant et impartial – le présent dossier en est d’ailleurs le meilleur exemple –, de sorte que, comme le juge semble le laisser comprendre, la dérogation à l’art. 23 de la Charte québécoise n’a, à première vue, aucun lien avec la Loi[311]. C’est plutôt l’usage des pouvoirs de dérogation prévus aux deux chartes (art. 33 et 34 de la Loi) qui circonscrit la portée du contrôle judiciaire (contrôle des conditions de forme et non de fond). Faire droit à l’argument ainsi avancé équivaudrait, de fait, à la suppression d’un pouvoir constitutionnel (art. 33 de la Charte canadienne) et à l’abrogation implicite d’une disposition écrite de la Constitution. Pourtant, « il est bien établi qu’on ne peut pas se fonder sur une partie de la Constitution pour invalider une disposition figurant dans une autre partie de ce texte »[312].

[284]      De surcroît, on ne peut dire, comme l’affirme l’un des opposants à la Loi, que l’usage du pouvoir de dérogation conféré par la Charte canadienne empêche la Cour supérieure d’exercer sa compétence fondamentale (« core competence »). Celle-ci demeure compétente pour procéder au contrôle de la constitutionnalité de la législation en évaluant si les conditions de forme requises par l’art. 33 sont respectées. Le fait qu’elle ne puisse se prononcer sur la justification du recours à un tel pouvoir de dérogation  question relevant plutôt du politique  ne contrevient pas pour autant à sa fonction constitutionnelle en vertu de l’art. 96 de la LC 1867 puisque celle-ci « ne permet pas aux juges d’invoquer leur compétence inhérente pour s’immiscer dans un domaine relevant de la politique »[313].

[285]      L’analyse du paragraphe précédent s’applique tout autant en ce qui concerne l’art. 52 de la Charte québécoise. Le recours à cette disposition, dont la constitutionnalité n’a par ailleurs pas été contestée, n’a pas pour effet d’empêcher la Cour supérieure de remplir son rôle constitutionnel et ne porte pas atteinte à sa compétence fondamentale protégée par l’art. 96 de la LC 1867. Le fait que le législateur ait recouru aux dispositions de dérogation des deux chartes dans la Loi n’y change rien. Ce grief doit par conséquent également échouer.

iv.                Évolution du droit international et de la jurisprudence de la Cour suprême

[286]      La FAE et Amnistie prétendent que les décisions de la Cour suprême rendues postérieurement à l’arrêt Ford, dont l’arrêt Baker[314], posent une question juridique nouvelle, soit celle de « savoir si les obligations internationales auxquelles s’engage le Canada s’appliquent à l’interprétation des dispositions de dérogation »[315]. À leurs yeux, la présomption de conformité du droit canadien au droit international commande d’interpréter les dispositions de dérogation des chartes conformément aux normes internationales, dont notamment celles édictées par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques[316] et par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels[317] (collectivement « les Pactes internationaux »), tous deux ratifiés par le Canada.

[287]      Dès lors, afin de concilier les obligations internes et internationales du Canada en matière de droits et libertés fondamentaux, elles avancent que l’usage de l’art. 33 de la Charte canadienne doit être assujetti à des conditions de fond (et non simplement de forme). La FAE plaide la nécessité pour le législateur de justifier l’utilisation de la disposition de dérogation par un « objectif réel et urgent »[318], alors que selon Amnistie, il s’agirait plutôt de faire la démonstration que la dérogation n’est pas discriminatoire et qu’il existe un « danger public exceptionnel qui menace l’existence de la nation », reprenant ici les critères de l’art. 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Amnistie ajoute que de toute façon, la dérogation à la liberté de religion que prévoit la Loi est interdite par le droit international, la rendant de ce fait même, et pour cette seule raison, inconstitutionnelle.

[288]      Bien que la Cour suprême ne discute pas de cet argument dans l’arrêt Ford, il ne s’agit pas pour autant d’une raison justifiant d’écarter ce précédent. De l’avis de la Cour, le juge de première instance ne commet aucune erreur en concluant que les instruments de droit international « ne trouvent aucune utilité en l’espèce »[319].

[289]      Nul ne conteste que le droit international constitue une source pertinente et persuasive d’interprétation, notamment en ce qui a trait à la Charte canadienne. Dans Québec (Procureure générale) c. 9147-0732 Québec inc., la Cour suprême, de façon majoritaire, écrivait :

[22] Bien que la Cour accepte de façon générale que les normes internationales peuvent être prises en compte dans l’interprétation de normes nationales, ces normes internationales jouent habituellement un rôle limité consistant à appuyer ou à confirmer le résultat auquel le tribunal arrive au moyen d’une interprétation téléologique. Cette constatation est logique, car les tribunaux canadiens appelés à interpréter la Charte ne sont pas liés par le contenu des normes internationales. […][320]

[290]      La Cour suprême poursuit en reprenant avec approbation les propos suivants du juge en chef Dickson, alors dissident, dans le Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.) :

[30] […]

Les diverses sources du droit international des droits de la personne – les déclarations, les pactes, les conventions, les décisions judiciaires et quasi judiciaires des tribunaux internationaux, et les règles coutumières – doivent, à mon avis, être considérées comme des sources pertinentes et persuasives quand il s’agit d’interpréter les dispositions de la Charte. […] [321]

[Soulignement omis]

[291]      Ainsi, sans pour autant lier les tribunaux judiciaires, les normes internationales sont susceptibles d’influer sur leur interprétation du droit canadien et québécois. Dans un passage repris avec approbation dans Québec (Procureure générale) c. 9147-0732 Québec inc., les auteurs Beaulac et Bérard (ce dernier étant l’avocat de la FAE devant la Cour) expliquent que :

En plus de dénaturer le lien relationnel entre les ordres juridiques international et interne, la suggestion que les tribunaux nationaux sont liés par la normativité internationale est incompatible avec le mandat constitutionnel et la fonction du pouvoir judiciaire, qui est d’exercer un pouvoir décisionnel eu égard au droit canadien et québécois applicable. Voir le droit international comme jouissant d’une autorité persuasive s’avère une approche plus adéquate, conforme et efficace.[322]

[Soulignement ajouté]

[292]      Les parties opposées à la Loi ont certes raison de souligner que les instruments internationaux ratifiés par le Canada, dont les Pactes internationaux[323], font intervenir une présomption de conformité[324], vu leur force contraignante. Ce qui signifie, dans le contexte de la Charte canadienne, qu’« il faut présumer, en général, que [celle-ci] accorde une protection à tout le moins aussi grande que celle qu’offrent les dispositions similaires des instruments internationaux que le Canada a ratifiés en matière de droits de la personne »[325]. Cette présomption ne permet cependant pas d’écarter l’intention claire du législateur ni n’autorise une interprétation à laquelle fait obstacle le texte même de la loi :

[33] La jurisprudence subséquente a continué à lier la présomption de conformité au libellé des obligations ou engagements internationaux du Canada : Ktunaxa, par. 65; Badesha, par. 38; Saskatchewan Federation of Labour, par. 62 et 64-65; Divito, par. 22; Health Services, par. 69.

[34] La Cour a expliqué que la présomption de conformité « sert principalement d’outil d’interprétation en vue d’aider les tribunaux à délimiter l’étendue et la portée des droits que garantit la Charte » : Kazemi, par. 150. Cependant, comme il s’agit d’une présomption, elle est aussi réfutable et elle « ne permet pas d’écarter l’intention claire du législateur » : par. 60.[326]

[293]      En l’occurrence, l’art. 33 de la Charte canadienne a été adopté après la ratification des Pactes internationaux par le Canada. Pourtant, les rédacteurs de la Charte canadienne n’ont pas jugé opportun d’y reproduire les conditions de fond qu’on retrouve dans ces instruments internationaux, optant plutôt, comme on l’a vu, pour un libellé n’imposant que des conditions de forme.

[294]      Comme l’écrivent les professeurs Chevrette, Marx et Zhou, le pouvoir de dérogation de l’art. 33 de la Charte canadienne, qui ne trouve pas de réel équivalent en droit externe, s’écarte du mécanisme de dérogation prévu dans les instruments internationaux de protection des droits et libertés fondamentaux, dont la portée est fort différente[327] :

Cette dérogation est une institution qui semble unique au Canada et n’a pas de véritable équivalent dans les autres démocraties occidentales. Bien que certains instruments internationaux en matière de droits de la personne contiennent une disposition de dérogation, ils en restreignent le recours aux situations d’urgence seulement lorsqu’un « danger unique exceptionnel menace l’existence de la nation » […]. Dans la Charte canadienne, le pouvoir de dérogation, consacré à l’art. 33, ne comporte pas pareille restriction. Seul l’art. 4 de la Charte qui fixe le mandat maximal de la Chambre des communes et des assemblées législatives limite aux « cas de guerre, d’invasion ou d’insurrection, réelles ou appréhendées » la possibilité d’enfreindre cette garantie et de prolonger le mandat parlementaire au-delà des cinq années prévues. Manifestement, entre les dispositions de dérogation des instruments internationaux et celle de la Charte, il n’y a pas de filiation véritable. […][328]

[295]      S’appuyer sur la présomption de conformité applicable aux Pactes internationaux afin d’ajouter à l’art. 33 de la Charte canadienne des conditions de fond serait contraire au texte même de cette disposition et à l’intention claire des rédacteurs de la Charte. On ne peut, sur la base de cette présomption, s’autoriser à réécrire l’art. 33 de la Charte canadienne, comme la FAE et Amnistie invitent la Cour à le faire.

[296]      La même conclusion s’impose en ce qui a trait à l’art. 52 de la Charte québécoise, bien que son adoption, en 1975, précède de peu la ratification des Pactes internationaux par le Canada (1976). Cette disposition a été modifiée par la suite, en 1982, afin d’élargir la portée du pouvoir de dérogation aux art. 1 à 38 (au lieu des art. 9 à 38), sans que le législateur ne juge nécessaire d’en modifier le libellé pour y énoncer les exigences de fond prévues par les Pactes internationaux quant à l’exercice du pouvoir de dérogation. Il faut en conclure que telle n’était pas son intention.

[297]      Cette conclusion s’impose a fortiori en ce qui concerne les instruments internationaux non contraignants invoqués par les parties, lesquels constituent des outils d’interprétation persuasifs mais non déterminants et ne donnent pas naissance à la présomption de conformité[329].

[298]      En somme, les parties opposées à la Loi ne font voir aucune question juridique nouvelle qui justifierait de réexaminer l’arrêt Ford.

[299]      Il s’agit maintenant de déterminer si une modification de la situation ou de la preuve change radicalement la donne et permet de revoir cet arrêt.

b. Modification de la situation ou de la preuve

[300]      L’exception au principe du stare decisis relative à la modification de la situation ou de la preuve qui change radicalement la donne est également de portée restreinte :

[31] Non seulement l’exception estelle restreinte — la preuve doit « change[r] radicalement la donne » —, mais il ne s’agit pas d’une invitation générale à réexaminer les précédents qui font autorité sur le fondement de n’importe quel type de preuve. Comme le laissent entendre les arrêts Bedford et Carter, la preuve d’une évolution importante des faits législatifs et sociaux fondamentaux — « qui intéressent la société en général » — constitue un type de preuve qui peut radicalement changer la donne dans le débat juridique visé : Bedford, par. 4849; Carter, par. 47. Ainsi, il a été jugé que l’exception s’applique lorsque le contexte social sous-jacent qui encadrait le débat juridique original examiné a profondément changé.[330]

[301]      Un tribunal ne peut donc déroger au principe du stare decisis sur le fondement de nouveaux éléments de preuve en raison d’un désaccord ou d’une interprétation différente de celle précédemment retenue. Pour qu’un précédent d’une juridiction supérieure faisant autorité puisse être écarté sur le fondement de nouveaux éléments de preuve, ceux-ci doivent changer radicalement la donne « pour ce qui est de la façon dont les juristes comprennent la question juridique en jeu »[331].

[302]      La FAE avance qu’une telle exception s’applique en l’espèce. La société québécoise, plaide-t-elle, fait face à une évolution de la position du pouvoir politique visàvis du pouvoir judiciaire. Plus spécifiquement, on observerait depuis quelque temps une propension du législateur à s’opposer à « ce que d’aucuns qualifient comme étant “le gouvernement des juges” »[332]. Cette posture d’opposition serait caractérisée par une récente propension du législateur québécois à recourir aux pouvoirs de dérogation « de manière préventive et omnibus, sans nuance ni justification »[333] pour « sacrifie[r], de manière simultanée, divers droits des minorités prévus aux Chartes au profit de l’électoralisme »[334]. Cet « usage désinvolte et délétère »[335] des dispositions de dérogation, joint à la « stigmatisation accrue et légalisée de la communauté mulsulmane »[336], changerait radicalement la donne et ouvrirait la porte « au renversement du précédent établi par l’arrêt Ford »[337] et à l’ajout d’une condition de fond à l’emploi des dispositions de dérogation, soit la démonstration d’un « objectif réel et urgent ».

[303]      La FAE réfère également à ce qu’elle qualifie de la « montée du populisme au Québec et ailleurs en Occident »[338]. Puisque cette « nouvelle mouvance […] en vient à amenuiser la portée réelle des droits et libertés garantis par les Chartes »[339], il est selon elle « du devoir moral de la Cour de faire preuve d’audace et de renverser [ce] précédent »[340] (italiques ajoutés).

[304]      Précisons sans tarder que cette dernière affirmation, qui attire sans contredit l’attention du lecteur, apporte peu, voire rien, au débat. Le rôle d’une cour d’appel n’est pas de faire preuve d’audace. Voir au contrôle de la légalité des lois et à la sauvegarde des « protection[s] offerte[s] par la Charte »[341], comme la FAE invite la Cour à le faire, ne constitue pas un exercice de bravoure où elle est appelée à faire preuve d’audace. La Cour ne fait pas davantage preuve d’audace lorsque, dans un dossier donné, elle déclare une loi inconstitutionnelle; elle exerce simplement son rôle constitutionnel.

[305]      De même, la Cour ne fait pas preuve de lâcheté (antonyme d’audace) en rejetant ici la thèse de la FAE; elle ne fait qu’appliquer la règle de droit. De l’avis de la Cour, la FAE n’a pas démontré l’existence d’une « modification de la situation » ou d’une preuve qui « change radicalement la donne » et qui aurait permis de revoir l’arrêt Ford.

[306]      Comme mentionné précédemment, le recours aux dispositions de dérogation, même de façon omnibus et à des fins politiques et préventives, n’est ni une question juridique nouvelle ni un phénomène nouveau. Selon le professeur Guillaume Rousseau, le pouvoir de dérogation prévu à la Charte québécoise a été utilisé par le législateur québécois de « manière ininterrompue » et préventive[342] depuis 1975[343]. Il en est de même au regard de l’usage d’un tel pouvoir à la suite de l’entrée en vigueur de la Charte canadienne[344]. Un tel usage demeure, à ce jour, plus rare ailleurs au Canada :

While Quebec employed section 33 at least 62 times since 1982, all the other provinces combined only referred to the Canadian Charter notwithstanding mechanism 4 times during the same period [1982-2019]. The federal Parliament never used it.[345]

[307]      Un tel constat ne mène pas pour autant à la conclusion qu’il s’agit là d’une « [é]volution [depuis 1988] de la posture [du pouvoir] politique face au pouvoir judiciaire »[346], comme le plaide la FAE. Seule une évaluation de la justification de l’usage par la législature de son pouvoir de dérogation pourrait permettre de tirer une telle conclusion, ce qui nécessiterait un examen de fond de l’exercice de ce pouvoir, par ailleurs proscrit par l’arrêt Ford. Dès lors, au-delà du caractère circulaire de cet argument, il serait spéculatif pour la Cour de conclure, sur la seule base de l’exercice du pouvoir de dérogation dans un cas particulier, que celui-ci repose sur une évolution de la posture du pouvoir politique face au pouvoir judiciaire.

[308]      Il en est de même de l’argument de la FAE relatif à la montée du populisme. Pour conclure que cette montée du populisme, s’il en est, constitue une nouvelle mouvance justifiant de réviser l’arrêt Ford, la Cour devrait nécessairement conclure que la Loi et le parti politique ayant vu à son adoption s’inscrivent dans un tel courant populiste. Un tel exercice nécessiterait de porter un jugement politique sur la Loi et sur la façon dont le parti au pouvoir exerce ses fonctions parlementaires.

[309]      Nul besoin d’épiloguer longuement sur ces deux questions pour conclure qu’il ne s’agit pas là du rôle de la Cour, lequel, à charge de redite, se limite plutôt à déterminer si la législature agit dans le respect de la règle de droit, dont la Constitution. Dans l’arrêt Imperial Tobacco[347], portant sur la constitutionnalité d’une loi de la Colombie-Britannique visant à permettre au gouvernement de la province de poursuivre les fabricants de produits du tabac pour recouvrer le coût des soins de santé liés au tabac, la Cour suprême, sous la plume du juge Major, rappelait en ces termes le rôle des tribunaux :

50 Le rôle principal des tribunaux est d’interpréter et d’appliquer le droit, qu’il soit procédural ou substantif, aux affaires qui leurs sont soumises. Ils doivent entendre et apprécier, conformément à la loi, la preuve pertinente aux questions de droit qui leurs sont posées et accorder aux parties les réparations qui s’offrent à eux.

51 Les tribunaux participent dans une certaine mesure à l’évolution du droit qu’il leur appartient d’appliquer. […] Mais le rôle des tribunaux dans l’évolution du droit reste relativement limité. « [E]n régime de démocratie constitutionnelle comme le nôtre, c’est le législateur et non les tribunaux qui assume, quant à la réforme du droit, la responsabilité principale » : Salituro, p. 670.

52 Il s’ensuit que le rôle des tribunaux n’est pas, comme les appelants semblent le prétendre, d’appliquer seulement le droit qu’ils approuvent. Il ne s’agit pas non plus pour eux de rendre des décisions simplement à la lumière de ce qu’ils (plutôt que le droit) estiment juste ou pertinent. Leur rôle ne consiste pas davantage à remettre en question la réforme du droit entreprise par le législateur, bien qu’elle introduise une nouvelle cause d’action ou des règles de procédure la régissant. Dans les limites de la Constitution, les législatures peuvent définir le droit comme bon leur semble. « Seuls les électeurs peuvent débattre de la sagesse et de la valeur des décisions législatives » : Wells c. Terre-Neuve, [1999] 3 R.C.S. 199, par. 59.[348]

[Soulignements ajoutés]

Ces propos s’imposent également dans le présent dossier.

[310]      Somme toute, la FAE ne démontre pas que l’exception à la règle du stare decisis s’applique en l’espèce, et ses prétentions doivent par conséquent échouer.

4. Conclusion

[311]      En résumé, la Cour estime que le juge de première instance a conclu à bon droit être lié par l’arrêt Ford qui a toujours valeur de précédent. Les art. 33 et 34 de la Loi étant conformes aux conditions de forme établies dans l’arrêt Ford, la contestation des parties opposées à la Loi ne peut réussir sur ce plan.

B. Violation des droits fondamentaux et réparations déclaratoires ou pécuniaires

[312]      En dérogeant respectivement aux art. 1 à 38 de la Charte québécoise et aux art. 2 et 7 à 15 de la Charte canadienne, les art. 33 et 34 de la Loi font donc un usage valide des art. 52 de la première et 33 de la seconde. Cela étant, est-il nécessaire ou opportun de statuer formellement sur la question de savoir si la Loi contrevient à l’une ou l’autre des dispositions auxquelles s’appliquent les dérogations et, le cas échéant, de déclarer que tel est le cas?

[313]      Se fondant notamment sur le par. 24(1) de la Charte canadienne, les parties opposées à la Loi le réclament. Comme on l’a vu, bien que ses motifs laissent entendre que, à son avis, la Loi serait à certains égards contraire au principe d’égalité, tout en restreignant effectivement les libertés de conscience, de religion, de croyance et d’expression (ci-après collectivement désignées sous l’appellation « libertés de religion et d’expression »), le juge de première instance a néanmoins refusé de prononcer une telle conclusion déclaratoire. Il explique notamment que :

[795] Le Tribunal doit se montrer soucieux de respecter la séparation des pouvoirs entre ceux qu’exercent la branche législative et la branche judiciaire. Ainsi, le Tribunal doit éviter d’utiliser le pouvoir discrétionnaire qu’il possède en la matière pour émettre ce qui s’apparente, à plusieurs égards, à une opinion judiciaire qui porte sur une question purement théorique reposant de plus sur des considérations hypothétiques. En effet, le substrat factuel repose sur la prémisse voulant que le législateur pourrait décider de ne pas utiliser à nouveau l’article 33 de la Charte.

[796] Le Tribunal exerce sa discrétion judiciaire pour ne pas donner suite à une telle demande.

[797] Premièrement, parce que la question posée s’avère théorique puisqu’elle vise à contourner le contexte factuel existant à ce jour pour en suggérer un, hypothétique, qui repose sur l’absence de l’utilisation des clauses de dérogation par le législateur.

[798] Deuxièmement, et de façon plus importante, parce que bien qu’en apparence, il faut donner un sens aux mots utilisés à l’article 33 qui ne parle que de l’effet de l’utilisation de la clause de dérogation, ce qui n’exclurait pas une demande de jugement déclaratoire, il n’en demeure pas moins que de faire un tel débat constitue une façon indirecte de faire quelque chose que l’on ne peut faire directement.

[799] Avec égard, bien que les droits et libertés constituent un sujet de la plus haute importance, il faut éviter d’hypothéquer un système judiciaire déjà suffisamment occupé avec des recours qui ne débouchent pas sur un résultat concret.

[800] Voilà pourquoi le Tribunal rejette cette demande.

[Renvois omis]

[314]      La Cour en vient à la même conclusion que le juge de première instance, mais pour des raisons différant partiellement des siennes.

[315]      En effet, lorsque, se fondant sur l’art. 33 de la Charte canadienne, le législateur décide (en l’occurrence à titre préventif) de déroger aux art. 2 ou 7 à 15 de celle-ci, il se trouve à soustraire la loi à leur application ou à l’en exempter, mais aussi à limiter conséquemment le contrôle judiciaire de sa constitutionnalité. Les tribunaux n’ont dès lors plus à faire l’exercice qui consisterait à vérifier la conformité de la loi avec la ou les dispositions auxquelles le législateur déroge ainsi et toute idée de réparation – y compris par voie déclaratoire – est exclue. Il en va de même lorsque le législateur use de l’art. 52 de la Charte québécoise pour déroger à l’un ou l’autre des art. 1 à 38 de cette charte. Pourquoi en est-il ainsi? Pour répondre à cette question, nous examinerons d’abord l’effet général des dispositions dérogatoires (la loi contenant la disposition dérogatoire est soustraite à l’application des dispositions auxquelles on déroge), puis leur effet sur le contrôle judiciaire (la loi contenant la disposition dérogatoire est soustraite au contrôle judiciaire de sa conformité avec les dispositions auxquelles on déroge). L’analyse qui suit sera principalement fondée sur l’art. 33 de la Charte canadienne, le même raisonnement se transposant à l’art. 52 de la Charte québécoise.

[316]      Subsidiairement, à supposer que les tribunaux puissent se prononcer sur la conformité d’une loi avec les dispositions constitutionnelles visées par une déclaration adoptée en vertu des art. 33 de la Charte canadienne ou 52 de la Charte québécoise, la doctrine des questions théoriques, dans les circonstances de la présente affaire, commande à la Cour de s’abstenir de statuer et d’accorder un quelconque remède déclaratoire (le remède compensatoire étant dans tous les cas exclu).

1. Inapplicabilité des art. 2 et 7 à 15 de la Charte canadienne et 1 à 38 de la Charte québécoise

[317]      Comme on vient de le voir, la conjugaison des deux premiers paragraphes de l’art. 33 de la Charte canadienne permet au législateur d’adopter une loi ayant effet « indépendamment » des art. 2 ou 7 à 15 de la Charte canadienne, c’estàdire « notwithstanding » – nonobstant – ces dispositions, sans égard pour cellesci, sans en tenir compte, la loi dérogatoire étant soustraite à leur application et mise hors leur portée :

Section 33 enables the Parliament or Legislature to “override” s. 2 or ss. 7 to 15 of the Charter. If a statute contains an express declaration that it is to operate notwithstanding a provision included in s. 2 or ss. 7 to 15 of the Charter, then by virtue of s. 33(2) the statute will operate free from the invalidating effect of the Charter provision referred to in the declaration. Through the use of this override power, the Parliament or Legislature is enabled to enact a statute that unjustifiably infringes one or more of the rights or freedoms guaranteed by s. 2 or ss. 7 to 15. If the override power did not exist (or if it were not exercised), such a statute would be valid only if it came within s. 1 of the Charter: a court would have to be persuaded, in accordance with the rules described in the previous chapter, that the statute came within “such reasonable limits prescribed by law as can be demonstrably justified in a free and democratic society”. The override power, if exercised, would remove the statute containing the express declaration from the reach of the Charter provisions referred to in the declaration without the necessity of any showing of reasonableness or demonstrable justification.[349]

[Renvoi omis; soulignements ajoutés]

[318]      Bref, la loi qui, dans le respect des conditions d’application de l’art. 33, fait l’objet d’une déclaration conforme au premier paragraphe de cette disposition a effet indépendamment (« notwithstanding ») des art. 2 et 7 à 15 et, partant, indépendamment du fait que, n’eût été cette déclaration, elle aurait pu être inopérante en vertu du par. 52(1) de la LC 1982. Ces dispositions sont rendues inapplicables à la loi, ce qui concorde non seulement avec le libellé de l’art. 33 et le sens commun des mots qu’il emploie, mais aussi avec son positionnement dans la Charte canadienne, sous la rubrique « Application de la charte / Application of Charter », qui configure son domaine et sa portée. L’art. 33 a donc un double effet :

        les dispositions de la Charte canadienne visées par la déclaration dérogatoire sont retranchées (provisoirement[350]) du champ d’application du par. 52(1) de la LC 1982 : l’art. 33 de la Charte canadienne étant luimême partie intégrante de la Constitution canadienne, la loi qui y recourt, advenant qu’elle enfreigne les art. 2 ou 7 à 15, ne saurait faire l’objet d’une déclaration d’invalidité ou, plus exactement, d’inopérabilité;

        concomitamment, l’art. 33, par ses par. (1) et (2), fait en sorte que la loi qui y recourt s’applique pleinement, sans égard aux droits visés par les art. 2 ou 7 à 15.

[319]      En pratique, cela signifie que la loi qui contient une déclaration conforme à l’art. 33 de la Charte canadienne est soustraite à l’application des art. 2 ou 7 à 15 ou qu’elle est « protected from » l’une ou l’autre de ces dispositions, qu’elle en est « exempted » ou qu’elle les « override ». Ces termes, ou leurs équivalents, sont ceux de la Cour suprême elle-même, comme on le verra des arrêts cités ci-dessous. Précisons ici que, aux seules fins de cet examen et contrairement à l’usage, les propos de la Cour suprême seront cités dans leur langue originale (généralement l’anglais) et dans leur traduction, de manière à ce qu’on puisse constater la cohérence des termes employés dans l’une et l’autre langues. Notons que, dans le cas des arrêts Ford et Devine[351], ainsi que du Renvoi sur la sécession du Québec, les recueils de la Cour suprême ne précisent pas la langue originale du jugement, dont les extraits seront également cités en français et en anglais.

[320]      Ainsi, dans l’arrêt Ford, parlant de l’art. 52 de la Loi modifiant la Charte de la langue française, disposition jugée conforme à l’art. 33 de la Charte canadienne, la Cour suprême écrit que :

   En conséquence, l'art. 52 de la Loi modifiant la Charte de la langue française, qui soustrait l'art. 58 de la Charte de la langue française à l'application de l'al. 2b) de la Charte canadienne, est un exercice valide et effectif du pouvoir de dérogation conféré par l'art. 33 de la Charte canadienne des droits et libertés. […]

   Therefore, s. 52 of An Act to amend the Charter of the French Language is a valid and subsisting exercise of the override authority conferred by s. 33 of the Canadian Charter of Rights and Freedoms that protects s. 58 of the Charter of the French Language from the application of s. 2(b) of the Canadian Charter. […][352]

[Soulignements ajoutés]

[321]      Un peu plus loin dans le même arrêt, la Cour suprême, dans son récapitulatif, use des termes suivants :

   Dans la mesure où l'art. 214 de la Charte de la langue française a cessé d'avoir effet mais où l'art. 52 de la Loi modifiant la Charte de la langue française demeure en vigueur, l'art. 58 de la Charte de la langue française est soustrait à l'application de la Charte canadienne des droits et libertés, mais est inopérant parce qu'il constitue une violation de la liberté d'expression garantie par l'art. 3 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec et de la garantie contre la discrimination fondée sur la langue, énoncée à l'art. 10 de la Charte québécoise. […]

   In so far as s. 214 of the Charter of the French Language has ceased to have effect but s. 52 of An Act to amend the Charter of the French Language remains in effect, s. 58 of the Charter of the French Language is protected from the application of the Canadian Charter of Rights and Freedoms but it is inoperative as infringing the guarantee of freedom of expression in s. 3 of the Quebec Charter of Human Rights and Freedoms and the guarantee against discrimination based on language in s. 10 of the Quebec Charter. […][353]

[Soulignements ajoutés]

[322]      Les mêmes mots sont employés dans l’arrêt Devine :

Les articles 52 (auparavant 53), 57, 58, 59, 60 et 61 de la Charte de la langue française, ou certains d'entre eux, sont-ils soustraits à l'application de l'al. 2b) et de l'art. 15 de la Charte canadienne des droits et libertés par une disposition dérogatoire valide et en vigueur édictée en conformité avec l'art. 33 de la Charte canadienne?

   Pour les motifs donnés dans l'arrêt Ford, l'art. 52 (auparavant 53) et l'art. 58 de la Charte de la langue française sont soustraits à l'application de l'al. 2b) et de l'art. 15 de la Charte canadienne des droits et libertés par une disposition dérogatoire valide et en vigueur adoptée en vertu de l'art. 33 de la Charte canadienne, c'est-à-dire l'art. 52 de la Loi modifiant la Charte de la langue française, L.Q. 1983, chap. 56. […]

Are Any or All of ss. 52 (Formerly s. 53), 57, 58, 59, 60, and 61 of the Charter of the French Language Protected From the Application of ss. 2(b) and 15 of the Canadian Charter of Rights and Freedoms by a Valid and Applicable Override Provision Enacted in Conformity with s. 33 of the Canadian Charter?

   For the reasons given in Ford, ss. 52 (formerly s. 53) and 58 of the Charter of the French Language are protected from the application of ss. 2(b) and 15 of the Canadian Charter of Rights and Freedoms by a valid and subsisting override provision, enacted pursuant to s. 33 of the Canadian Charter, in the form of s. 52 of An Act to amend the Charter of the French Language, S.Q. 1983, c. 56. […][354]

[Le premier soulignement est original, le second est ajouté]

[323]      Dans Vriend c. Alberta[355], parlant de la relation entre le législateur et les tribunaux sous le régime de la Charte canadienne, les juges Cory et Iacobucci, majoritaires, reprennent la même idée :

32   [version française] La révision judiciaire et ce dialogue sont précieux, selon moi, parce qu’ils obligent en quelque sorte les divers organes du gouvernement à se rendre mutuelle­ment des comptes. Les tribunaux examinent le travail du législateur, et le législateur réagit aux décisions des tribunaux en adoptant d’autres textes de loi (ou même en se prévalant de l’art. 33 de la Charte pour les soustraire à la Charte). Ce dialogue et ce processus de reddition de compte entre organes du gouvernement, loin de nuire au processus démocratique, l’enrichissent.

32   To my mind, a great value of judicial review and this dialogue among the branches is that each of the branches is made somewhat accountable to the other. The work of the legislature is reviewed by the courts and the work of the court in its decisions can be reacted to by the legislature in the passing of new legislation (or even overarching laws under s. 33 of the Charter). This dialogue between and accountability of each of the branches have the effect of enhancing the democratic process, not denying it.[356]

[Soulignements ajoutés]

[324]      Dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec[357], la Cour suprême, à l’unanimité, déclare que :

47 […] Entre parenthèses, il faut signaler que les modifications de 1982 n'ont pas touché au partage des pouvoirs établi aux art. 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui constitue la principale expression textuelle dans notre Constitution du principe du fédéralisme dont il a été convenu au moment de la Confédération. Toutefois, elles ont eu un effet important en ce que, malgré le refus du gouvernement du Québec de souscrire à leur adoption, le Québec est devenu lié par les termes d'une Constitution qui est différente de celle qui était en vigueur jusquelà, notamment quant aux dispositions régissant sa modification et la Charte canadienne des droits et libertés. Quant à cette dernière, dans la mesure où la portée des pouvoirs législatifs est limitée depuis par la Charte, cette limitation s'applique autant aux pouvoirs législatifs fédéraux qu'aux pouvoirs législatifs provinciaux. Qui plus est, il faut rappeler que l'art. 33, la « clause de dérogation », donne au Parlement et aux législatures provinciales le pouvoir d'adopter, dans les domaines relevant de leurs compétences respectives, des lois dérogeant aux dispositions de la Charte qui concernent les libertés fondamentales (art. 2), les garanties juridiques (art. 7 à 14) et les droits à l'égalité (art. 15).

47 […] It should be noted, parenthetically, that the 1982 amendments did not alter the basic division of powers in ss. 91 and 92 of the Constitution Act, 1867, which is the primary textual expression of the principle of federalism in our Constitution, agreed upon at Confederation. It did, however, have the important effect that, despite the refusal of the government of Quebec to join in its adoption, Quebec has become bound to the terms of a Constitution that is different from that which prevailed previously, particularly as regards provisions governing its amendment, and the Canadian Charter of Rights and Freedoms. As to the latter, to the extent that the scope of legislative powers was thereafter to be constrained by the Charter, the constraint operated as much against federal legislative powers as against provincial legislative powers. Moreover, it is to be remembered that s. 33, the notwithstanding clause, gives Parliament and the provincial legislatures authority to legislate on matters within their jurisdiction in derogation of the fundamental freedoms (s. 2), legal rights (ss. 7 to 14) and equality rights (s. 15) provisions of the Charter.

 

[Soulignements ajoutés]

[325]      Dans Gosselin c. Québec (Procureur général)[358], arrêt dont nous reparlerons[359], la juge en chef McLachlin, dans ses motifs majoritaires, parle de la disposition législative ayant eu pour but et effet, en vertu de l’art. 33, de « [version française] soustraire toutes les lois québécoises à l’application de la Charte canadienne pendant une période de cinq ans à compter de leur adoption / withdr[a]w all Quebec laws from the Canadian Charter regime for five years from their inception »[360].

[326]      Plus récemment, dans Ontario (Procureur général) c. G[361], la juge Karakatsanis, au nom de la majorité, rappelle pour sa part que « [version française] [l]’article 33 permet au législateur fédéral ou provincial de soustraire temporairement une loi à l’application des droits et libertés garantis par les art. 2 et 7 à 15 de notre Charte, même pour des motifs purement politiques (Charte, par. 32(1) ainsi que 33(1) et (2); Québec Association of Protestant School Boards, p. 86) / [s]ection 33 permits Parliament or a provincial legislature to temporarily exempt an Act from the application of rights and freedoms guaranteed by ss. 2 and 7 to 15 of our Charter, even for purely political reasons (Charter, ss. 32(1) and 33(1) and (2); Quebec Association of Protestant School Boards, at p. 86) »[362] [soulignements ajoutés].

[327]      Enfin, dans Toronto, le juge en chef Wagner et le juge Brown, dans leurs motifs conjoints majoritaires, soulignent que l’art. 33 de la Charte canadienne « preserves a limited right of legislative override »[363] (ce que l’on a traduit par « garantit un droit de dérogation législative limité »), afin de « permit legislation to operate “notwithstanding a provision included in section 2 or sections 7 to 15” only / [version française] permettre à des mesures législatives d’avoir effet “indépendamment d’une disposition donnée de l’article 2 ou des articles 7 à 15uniquement »[364].

[328]      Depuis l’arrêt Ford, la jurisprudence de la Cour suprême est donc claire et la terminologie qu’elle emploie, tant en anglais qu’en français, est sans ambiguïté : l’utilisation de l’art. 33 de la Charte canadienne a pour effet de soustraire la loi en cause à l’un ou l’autre des art. 2 et 7 à 15 de la Charte canadienne, de sorte qu’elle s’applique sans égard à ces dispositions, à l’abri des conséquences qui résulteraient autrement du par. 52(1) de la LC 1982[365].

[329]      Comme on l’a vu plus haut[366], le traitement de l’art. 33 par l’arrêt Ford ne relève pas de l’obiter. On ne peut pas non plus considérer que le choix des mots dont use la Cour dans cet arrêt (le verbe « soustraire » et ses déclinaisons, les termes « déroger » ou « dérogation », « protected from » ou « override authority ») n’a pas été mûrement réfléchi et qu’il ne s’agisse que d’un « accident » lexical auquel on ne devrait accorder aucun poids : ce n’est manifestement pas le cas et l’arrêt Ford, sous ce rapport comme sur le reste, a l’effet d’un prononcement définitif, une ratio decidendi, auquel la jurisprudence subséquente de la Cour suprême n’a jamais dérogé, terminologiquement ou autrement.

[330]      Le même raisonnement et la même conclusion valent pour l’art. 52 in fine de la Charte québécoise, dont les conditions d’application, rappelons-le[367], ne sont pas plus exigeantes que celles de l’art. 33 de la Charte canadienne et qui a le même effet, c’estàdire celui de soustraire à l’un ou l’autre des art. 1 à 38 de cette charte (ou à une combinaison d’entre eux ou à tous) la loi qui comporte une déclaration en ce sens. Le libellé de l’art. 52 ne laisse aucun doute là-dessus.

[331]      Cela signifie-t-il cependant que la loi comportant une déclaration adoptée en vertu de l’art. 33 de la Charte canadienne ou de l’art. 52 de la Charte québécoise est, de ce fait, concomitamment soustraite à tout contrôle judiciaire et qu’aucun remède, même purement déclaratoire, ne peut être octroyé? C’est la question à laquelle la Cour doit maintenant répondre.

2. Effet des articles 33 de la Charte canadienne et 52 de la Charte québécoise sur le contrôle judiciaire et les réparations qui peuvent en découler

[332]      Certainement, la validité du recours à l’art. 33 de la Charte canadienne ou à l’art. 52 in fine de la Charte québécoise de même que le sens et la portée de ces articles demeurent assujettis au contrôle judiciaire. C’est ce qu’illustre d’ailleurs la section A de la partie II du présent arrêt (voir les par. [213] à [311], supra).

[333]      Toutefois, les tribunaux peuvent-ils statuer sur la conformité d’une loi aux dispositions de la Charte canadienne ou de la Charte québécoise expressément visées par une disposition dérogatoire adoptée conformément à l’art. 33 de la première ou à l’art. 52 de la seconde? On sait que le recours aux dispositions de dérogation prévues aux art. 33 ou 52 in fine de ces chartes fait échec aux déclarations judiciaires d’inopérabilité qui pourraient autrement être prononcées. Cela implique-t-il pour autant que les tribunaux ne peuvent, le cas échéant, constater l’existence d’une atteinte aux art. 2 et 7 à 15 de la Charte canadienne ou 1 à 38 de la Charte québécoise, même s’ils ne peuvent y remédier par une déclaration d’inopérabilité? Cela empêche-t-il les justiciables qui le souhaiteraient de saisir un tribunal compétent du sujet et d’obtenir jugement sur ce point?

[334]      Comme on l’a vu précédemment, les parties opposées à la Loi font valoir que, même lorsque le législateur, en vertu des art. 33 de la Charte canadienne ou 52 in fine de la Charte québécoise, retire une loi du champ d’application des art. 2 et 7 à 15 ou 1 à 38 de ces dernières (respectivement), les tribunaux demeurent habilités à examiner cette loi et tenus de déterminer si elle enfreint les droits et les libertés auxquelles on l’a soustraite. Il n’importe pas que cette détermination ne puisse mener à une déclaration d’inopérabilité de la loi ou qu’elle n’entrave pas l’application de celle-ci : les justiciables ont en effet l’intérêt et le droit de savoir s’il existe une telle contravention, d’instituer conséquemment une action en justice et d’obtenir une déclaration judiciaire à cette fin. En l’espèce, la Cour supérieure aurait donc dû – et la Cour devrait maintenant – déclarer que la Loi enfreint les libertés de religion et d’expression garanties par l’art. 2 de la Charte canadienne et par l’art. 3 de la Charte québécoise, ainsi que le droit à l’égalité protégé par les art. 15 et 28 de la première et 10 et 50.1 de la seconde.

[335]      On déduit des arguments avancés dans quelques-uns des mémoires et lors de l’audience d’appel, que ce remède déclaratoire serait, dans le cas de la Charte canadienne, fondé sur le par. 24(1) de celle-ci, mais aussi sur les art. 142 et 529 C.p.c., qui régissent l’action déclaratoire, d’une part, et le pourvoi en contrôle judiciaire, d’autre part. Dans le cas de la Charte québécoise, on invoquerait plutôt l’art. 49 de celle-ci ou, là encore, les art. 142 et 529 C.p.c.

[336]      Plus encore, selon le Groupe Lauzon, le PGQ devrait être condamné à verser des dommages-intérêts de 500 $ à chacune des appelantes Andrea Lauzon, Hakima Dadouche et Bouchera Chelbi en réparation des atteintes à leurs droits fondamentaux, droits qui n’auraient pas cessé d’exister malgré le recours du législateur aux dispositions de dérogation des deux chartes.

[337]      La Cour ne peut souscrire à ces propositions. Voici pourquoi (dans chacune des sections qui suivent, l’analyse, encore une fois, sera ciblée sur la Charte canadienne, puis transposée à la Charte québécoise).

a. Absence de contrôle judiciaire de la conformité de la Loi avec les art. 2 ou 7 à 15 de la Charte canadienne ou avec les art. 1 à 38 de la Charte québécoise ainsi qu’avec leurs dispositions justificatrices respectives

[338]      En ce qui concerne la question de savoir si le contrôle judiciaire survit à l’usage de l’art. 33 de la Charte canadienne et permet le remède déclaratoire envisagé ici, l’on examinera d’abord, comme il se doit, la jurisprudence de la Cour suprême. Celle-ci n’a pas eu à répondre à cette interrogation telle que formulée dans le présent dossier, mais ses propos nous éclairent cependant sur la question.

[339]      Ainsi, dans Hess; Nguyen[368], la juge Wilson, dans des motifs majoritaires, indique ce qui suit (alors qu’elle parle des effets de l’art. 1 de la Charte canadienne) :

[version française] D'ailleurs, chaque fois qu'une loi qui n'est pas soustraite au contrôle judiciaire par l'art. 33 de la Charte porte atteinte aux droits et libertés que celleci reconnaît, il est parfaitement loisible au gouvernement d'essayer de justifier la loi en vertu de l'article premier de la Charte.

Indeed, whenever legislation that is not insulated from judicial review by s. 33 of the Charter infringes Charter rights or freedoms, the government is fully entitled to try to justify the legislation under s. 1 of the Charter.[369]

 

[Soulignements ajoutés]

[340]      Les mots sont sans équivoque : par l’usage de l’art. 33 de la Charte canadienne, le législateur soustrait la loi au contrôle judiciaire (insulates legislation from judicial review) – et l’on comprend qu’il s’agit ici du contrôle judiciaire de la conformité de la loi avec les dispositions auxquelles il est ainsi dérogé.

[341]      L’arrêt Comité paritaire de l'industrie de la chemise c. Potash; Comité paritaire de l'industrie de la chemise c. Sélection Milton[370] va dans le même sens. La juge L’HeureuxDubé y écrit que :

   Par ailleurs, le quatrième alinéa du par. 22e) LDCC faisait, à l'époque où les infractions ont été commises, l'objet d'une dérogation à l'art. 8 de la Charte, adoptée conformément à son art. 33. En effet, ce quatrième alinéa a été introduit dans la LDCC par la Loi modifiant diverses dispositions législatives en matière de relations du travail, L.Q. 1984, ch. 45, dont l'art. 35 prévoyait expressément la dérogation aux art. 2 et 7 à 15 de la Charte. La validité d'une telle dérogation ne fait aucun doute, puisqu'elle a été reconnue par notre Cour (Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, aux pp. 741 et 742 (per curiam)). Par conséquent, même si les intimés soutiennent que le quatrième alinéa du par. 22e) viole l'art. 8 de la Charte, la Cour n'a pas à aborder cette question, étant donné la dérogation constitutionnellement valide. Cependant, la validité de ce quatrième alinéa au regard de l'art. 24.1 de la Charte québécoise devra être examinée.

   [english version] Additionally, at the time the offences were committed the fourth paragraph of s. 22(e) ACAD was the subject of an exception to s. 8 of the Charter, adopted in accordance with its s. 33. This fourth paragraph was inserted in the ACAD by the Act to amend Various Legislation respecting Labour Relations, S.Q. 1984, c. 45, s. 35 of which expressly provided for an exception to ss. 2 and 7 to 15 of the Charter. There is no doubt as to the validity of such an exception, since it has been recognized by this Court (Ford v. Quebec (Attorney General), [1988] 2 S.C.R. 712, at pp. 741-42 (per curiam)). Accordingly, although the respondents argued that the fourth paragraph of s. 22(e) is in breach of s. 8 of the Charter, the Court does not have to consider this point in view of the constitutionally valid exception. However, the validity of this fourth paragraph in light of s. 24.1 of the Quebec Charter will have to be considered.[371]

[Soulignements ajoutés]

[342]      Notons que l’on trouve des mentions semblables même dans des motifs minoritaires (dissidents ou concordants), ce qui tend à démontrer une unanimité à cet égard[372].

[343]      Enfin, dans Law Society of British Columbia c. Trinity Western University[373], le juge Rowe, auteur de motifs concordants sur le résultat, écrit que :

[199] [version française] La Loi constitutionnelle de 1982 confère aux droits et libertés garantis par la Charte la primauté sur le plan normatif. Par l’effet de l’article premier, toute limite à ces garanties est présumée inconstitutionnelle. Cela signifie qu’une atteinte à un droit est valide uniquement si la limite respecte les exigences de l’article premier (ou, dans certains cas, si l’État invoque l’art. 33 de la Charte, la disposition autorisant les dérogations). Il s’agit là des seules possibilités : soit l’État justifie l’atteinte, soit il la soustrait au contrôle de sa constitutionnalité, soit le tribunal remédie à l’atteinte.

[199] The Constitution Act, 1982 gives normative primacy to the rights and freedoms guaranteed by the Charter. By virtue of s. 1, any limit on these guarantees is presumptively unconstitutional. This means that rights infringements can stand only if the limit complies with the requirements of s. 1 (or, in some cases, if the government invokes the override provision in s. 33 of the Charter). These are the only options: the government either justifies the infringement, exempts the infringement from constitutional scrutiny, or the infringement is remedied by the court.

[Soulignements ajoutés]

[344]      La formulation des phrases ci-dessus, dans l’une et l’autre langues, ne laisse pas de doute sur le fait que, pour le juge Rowe, le recours à l’art. 33 de la Charte canadienne soustrait la loi contestée au contrôle constitutionnel, c’est-à-dire au contrôle judiciaire de sa constitutionnalité au regard des dispositions mentionnées dans la dérogation.

[345]      Vingt ans plus tôt, c’est également ce que laissait entendre le juge Bastarache, au nom des juges majoritaires, dans Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général)[374] :

79 [version française] J’estime nécessaire, en commençant l’analyse du droit de vote, d’établir une dis­tinction entre les deux droits garantis par la Charte qui sont en jeu dans le présent cas. Par exemple, il est significatif que l’art. 3 de la Charte, qui garantit le droit de vote des citoyens, ne puisse faire l’objet d’une dérogation fondée sur l’art. 33 de la Charte. Il s’ensuit que ni le Parlement ni les législatures provinciales ne peuvent soustraire à un examen fondé sur la Charte une disposition légis­lative qui viole l’art. 3 et dont la validité n’est pas sauvegardée par l’article premier. À l’opposé, il est possible, en vertu de l’art. 33, de déroger à l’al. 2b) de la Charte, qui garantit la liberté d’expression. Même si ce pouvoir de dérogation est rarement invoqué, le fait que l’art. 3 soit soustrait à son application fait clairement de cette disposition un des éléments centraux de notre démocratie constitutionnelle.

79 I find it necessary, at the outset of my analysis on the right to vote, to distinguish between the two Charter rights at issue in the present case. It is significant, for instance, that s. 3 of the Charter, which guarantees the citizen’s right to vote, is not subject to override under s. 33 of the Charter. This means that a statutory provision which violates s. 3, and is not saved by s. 1, cannot be insulated from Charter review by Parliament or a provincial legislature. By contrast, s. 2(b) of the Charter, which protects free expression, is subject to override under s. 33. Even though the override power is rarely invoked, the fact that s. 3 is immune from such power clearly places it at the heart of our constitutional democracy.

 

 

[Soulignements ajoutés]

[346]      Il découle de ces propos, a contrario, que l’usage de l’art. 33 permet au législateur de soustraire une loi à un « examen / review », forcément judiciaire, fondé sur les dispositions de la Charte canadienne auxquelles il a validement choisi de déroger.

[347]      On pourrait arguer que toutes les remarques qui précèdent (de Hess; Nguyen à Thomson Newspapers) relèvent de l’obiter, sauf dans l’affaire Potash, où elles appartiennent à la ratio decidendi des motifs de la juge L’HeureuxDubé. Leur répétition et leur convergence ne sont cependant pas anodines dans un système juridique qui fait du contrôle judiciaire un pilier de notre démocratie constitutionnelle[375], et notre cour ne peut pas les ignorer.

[348]      L’usage de l’art. 33 de la Charte canadienne ne fait donc pas que soustraire la loi en cause aux art. 2 ou 7 à 15 (et, implicitement, au par. 52(1) de la LC 1982), mais elle la soustrait également au contrôle judiciaire de sa constitutionnalité eu égard à ces dispositions (sauf, évidemment, en ce qui concerne les conditions mêmes du recours à l’art. 33, établies par l’arrêt Ford).

[349]      La logique constitutionnelle commande une telle interprétation de l’art. 33 de la Charte canadienne : statuer autrement équivaudrait, comme l’écrit le juge de première instance, à faire indirectement ce qu’on ne peut pas faire directement[376]. Il serait en effet contradictoire de permettre au législateur d’user de l’art. 33 pour échapper à l’emprise de l’un ou l’autre des art. 2 ou 7 à 15 de la Charte canadienne (y compris sous le rapport de l’art. 1) et aux effets du par. 52(1) de la LC 1982, tout en soumettant la loi à un contrôle judiciaire de sa conformité avec ces mêmes dispositions, comme si elle n’avait pas été soustraite à celles-ci. Ce serait là, d’une certaine façon, imposer une sorte de sanction à l’utilisation de l’art. 33 : le législateur serait libre de recourir à cet article et de déclarer que telle ou telle loi a effet indépendamment des art. 2 ou 7 à 15, mais, s’il le faisait, il devrait, en cas de contestation judiciaire, s’expliquer devant les tribunaux. Il devrait alors soit tenter de démontrer la conformité de sa loi à ces dispositions (faisant valoir l’absence d’atteinte ou le caractère justifié de celleci aux fins de l’art. 1 et, paradoxalement, l’inutilité du recours à l’art. 33), soit concéder l’atteinte ou l’absence de justification (expressément ou par défaut de se défendre), tout cela alors même que, vu l’art. 33, la validité et l’effectivité de la loi ne peuvent pas être remises en cause.

[350]      Or, on ne peut pas d’un côté, comme le rappelle la Cour suprême, « permettre à des mesures législatives d’avoir effet indépendamment d’une disposition donnée de l’article 2 ou des articles 7 à 15 »[377] et permettre en même temps le contrôle judiciaire de leur conformité avec ces dispositions, c’est-à-dire de leur légalité au regard de cellesci. Ce sont là deux propositions irréconciliables.

[351]      En l’absence d’un tel contrôle constitutionnel, la justesse du choix politique et juridique que fait le législateur en recourant à l’art. 33 de la Charte canadienne est dès lors laissée aux citoyens et aux citoyennes, qui feront connaître leur point de vue par les outils de la démocratie parlementaire (par ex. : élections, pressions auprès de la députation, pétitions au législateur) et ceux que la Constitution met à la disposition de toute personne ou groupe pour faire connaître son opinion (on peut penser ici à l’exercice de la liberté d’expression ou de réunion pacifique, par ex.).

[352]      Les par. (3) et (4) de l’art. 33 de la Charte canadienne (qui fixent respectivement un terme de cinq ans à la déclaration adoptée en vertu du par. (1), mais en autorisent le renouvellement) seraient-ils de nature à affecter cette conclusion? Adams et Bower font ainsi valoir que :

Indeed, the mechanics of the sunset provision only make sense if courts retain a role in assessing and identifying, but not remedying, legislation that unjustifiably infringes one of the select Charter rights covered by section 33. A judicial finding that a law infringes a Charter right without justification and would have been invalid but for the invocation of the notwithstanding clause provides crucial information for both voters and governments alike as they contemplate their democratic choices during the five-year span that the notwithstanding clause operates. By the same token, a judicial finding that the legislation did not, in fact, need the protective shield of the clause since the law would not have infringed the Charter, will allow a government to let the sun set without having to pay the ongoing political cost for a deliberate infringement of Charter rights. Additionally, a judicial determination and the constitutional litigation surrounding it might inspire productive legislative alternatives for the legislature to consider that would fulfill its policy objectives without unjustifiably infringing rights. Similarly, a judicial interpretation of a rights infringement that would have otherwise invalidated the legislation but for the protective shield of the notwithstanding clause will bring the constitutional stakes at play into sharper relief and to broader public attention than the legislative process alone might afford. It will, through evidence, testimony, and legal argument inject the perspectives of the individuals and groups most directly impacted by the law into the constitutional debate. This may be especially the case, and will be particularly important, where the rights infringements are experienced and endured by a vulnerable minority. As the constitutional law of the notwithstanding clause takes further shape, it will be crucial for courts to see its richer rights protecting purposes when interpreting the application of its text. Such an approach to section 33 of the Charter fits within Canada’s balanced constitutional arrangements more seamlessly than has often been assumed.[378]

[Soulignements ajoutés]

[353]      Cette thèse s’appuie en partie sur celle qu’avancent les auteurs Leckey et Mendelsohn dans un article appelant les cours supérieures à ne pas abdiquer leur fonction de contrôle constitutionnel même – et surtout – lorsque, en raison de l’art. 33 de la Charte canadienne, elles ne peuvent prononcer une déclaration d’inopérabilité[379].

[354]      Cette proposition fait d’une certaine manière écho aux propos de la Cour (et plus précisément du juge Jacques) dans l’arrêt Alliance des professeurs de Montréal[380], alors que, à d’autres fins[381], on évoquait la primauté du droit et la nécessité d’informer le public des droits dont il est potentiellement privé et de l’alerter afin qu’il puisse ainsi exercer en toute connaissance de son droit au libre débat citoyen et ses droits démocratiques.

[355]      Certainement, la question de savoir si une loi enfreint les art. 2 ou 7 à 15 de la Charte canadienne, sans justification au sens de l’art. 1, est une question à laquelle les tribunaux peuvent ordinairement répondre en usant des outils et méthodes propres au droit (c.àd. « [en] application de principes et de techniques juridiques »[382]), ce qui caractérise traditionnellement la « justiciabilité » d’un débat, sans égard aux dimensions politiques de celui-ci[383]. En ce sens, comme l’écrivent Leckey et Mendelsohn, « [t]he potential political impact of those questions does not efface their legal nature or render them non-justiciable »[384].

[356]      Mais là n’est pas l’obstacle au contrôle judiciaire, qui résulte ici de l’art. 33 luimême. Comme l’écrivent les juges Cory et Iacobucci dans Vriend, cette disposition « a pour effet, dans notre régime constitutionnel, de laisser le dernier mot au législateur et non aux tribunaux / establishes that the final word in our constitutional structure is in fact left to the legislature and not the courts »[385]. Certes, l’art. 33 peut être employé par le législateur après le jugement d’un tribunal lui indiquant les failles constitutionnelles d’une loi, mais il peut également être utilisé préventivement, et, en pareil cas, il coupe court à la discussion : le dernier mot appartient d’emblée au législateur.

[357]      L’arrêt Toronto désamorce par ailleurs toute tentative d’invoquer un principe non écrit du droit ou un des grands principes de l’architecture constitutionnelle du pays pour contrer ces effets de l’art. 33 de la Charte canadienne. Ni la primauté du droit (« rule of law »)[386] ni la démocratie, la protection des minorités ou le rôle des cours supérieures dans le maintien et la promotion de l’ordre constitutionnel[387] ne peuvent justifier un tel contrôle judiciaire – celui de la conformité de la loi avec des dispositions que le législateur a explicitement écartées en vertu de l’art. 33 de la Charte canadienne – et l’emporter sur le texte et le contexte de celui-ci.

[358]      Sauf en ce qui concerne ses propres conditions d’application, l’art. 33 opère donc en quelque sorte comme une « disposition d’inattaquabilité constitutionnelle »[388] constitutional privative clause »), qui limite le contrôle judiciaire protégé par l’art. 96 de la LC 1867. Le pouvoir des tribunaux de contrôler l’exercice du pouvoir législatif, garanti par l’art. 96 de la LC 1867, est alors restreint à la seule question de savoir si les conditions d’utilisation de l’art. 33 de la Charte canadienne ont été respectées, ce qui permet, comme on l’a vu précédemment, de faire coexister et de concilier ces deux dispositions[389]. On ne peut par conséquent pas demander aux tribunaux de se livrer à l’exercice de vérification que souhaiteraient ici les parties opposées à la Loi ni de faire une déclaration judiciaire à ce propos.

[359]      On doit conclure pareillement dans le cas de l’art. 52 in fine de la Charte québécoise : la loi qui contient une déclaration conforme à cette disposition est immunisée contre le contrôle judiciaire de sa conformité aux dispositions de cette charte à l’application desquelles elle a été soustraite et il ne saurait être question d’une réparation quelconque, déclaratoire ou autre.

b. Inapplicabilité du par. 24(1) de la Charte canadienne et des art. 49 de la Charte québécoise ainsi que 142 et 529 C.p.c. comme source de contrôle judiciaire

[360]      Finalement, on ne peut davantage retenir l’idée selon laquelle le par. 24(1) de la Charte canadienne habiliterait à lui seul les cours de justice à octroyer une réparation malgré l’usage de l’art. 33, ce qui les obligerait par la force des choses à vérifier préalablement la conformité de la loi aux dispositions auxquelles elle a été soustraite, se livrant ainsi à un exercice auquel l’art. 33 fait précisément obstacle. Cela n’est donc pas possible. Les art. 142 et 529 C.p.c. ne le permettent pas davantage. Pareillement, ni l’art. 49 de la Charte québécoise ni, encore une fois, les art. 142 et 529 C.p.c. ne peuvent entraver l’effet d’une déclaration prise en vertu de l’art. 52 in fine de la Charte québécoise.

[361]      L’art. 24 de la Charte canadienne, dont le premier paragraphe est ici pertinent, prescrit que :

24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

24 (1) Anyone whose rights or freedoms, as guaranteed by this Charter, have been infringed or denied may apply to a court of competent jurisdiction to obtain such remedy as the court considers appropriate and just in the circumstances.

[362]      On ne peut pas lire le par. 24(1) isolément, ce qui serait contraire à l’analyse téléologique et contextuelle des dispositions écrites de la Constitution canadienne. Or, certainement, l’art. 33 fait partie du contexte interprétatif du par. 24(1). Dans la mesure où cet article permet de soustraire une loi à certains des droits et libertés protégés par la Charte canadienne, il va sans dire que la garantie offerte par celle-ci n’agit plus, ce qui fait obstacle à l’application du par. 24(1), qui ne peut en lui-même générer un droit au contrôle judiciaire : là où les art. 2 ou 7 à 15 ne s’appliquent pas, il ne peut y avoir réparation pour une contravention à ces dispositions. Cette conclusion s’impose, sans quoi l’art. 33 se trouverait en partie stérilisé. Comme l’écrivent les juges Iacobucci et Arbour dans Doucet-Boudreau, « une partie de la Constitution ne peut être abrogée ou atténuée par une autre partie de la Constitution »[390], et c’est ce que l’on ferait si l’on conférait un tel effet autonome – et désincarné – au par. 24(1).

[363]      On ne peut par ailleurs pas prendre appui sur l’arrêt Canada (Premier ministre) c. Khadr[391] pour accorder ici le remède déclaratoire (ou pécuniaire) que souhaitent certaines des parties opposées à la Loi. Dans cette affaire, qui ne met nullement en cause l’art. 33 de la Charte canadienne mais touche l’exercice de la prérogative royale de common law dont jouit l’exécutif en matière d’affaires étrangères[392], la Cour suprême écrit notamment ce qui suit :

[36] Lorsqu’il exerce les pouvoirs que lui confère la common law en vertu de la prérogative royale, l’exécutif n’est toutefois pas à l’abri du contrôle constitutionnel : Operation Dismantle c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441. Certes, il revient à l’exécutif, et non aux tribunaux, de décider si et comment il exercera ses pouvoirs; mais les tribunaux ont indéniablement compétence pour déterminer si la prérogative invoquée par la Couronne existe véritablement et, dans l’affirmative, pour décider si son exercice contrevient à la Charte (Operation Dismantle) ou à d’autres normes constitutionnelles (Air Canada c. ColombieBritannique (Procureur général), [1986] 2 R.C.S. 539) — ils sont d’ailleurs tenus d’exercer cette compétence.

[37] Le pouvoir restreint dont jouissent les tribunaux pour contrôler la constitutionnalité de l’exercice de la prérogative royale tient au fait que, dans une démocratie constitutionnelle, tout pouvoir gouvernemental doit être exercé en conformité avec la Constitution. […] Ainsi, lorsqu’un gouvernement refuse de se conformer aux contraintes constitutionnelles, les tribunaux ont le pouvoir de rendre des ordonnances qui garantissent que la prérogative du gouvernement en matière d’affaires étrangères est exercée en conformité avec la Constitution : États-Unis c. Burns, 2001 CSC 7, [2001] 1 R.C.S. 283.

[364]      Mais s’il est vrai que « tout pouvoir gouvernemental doit être exercé en conformité avec la Constitution », ce que consacrent les par. 32(1) de la Charte canadienne et 52(1) de la LC 1982, et que les tribunaux « sont tenus » de s’assurer que ce pouvoir est exercé « en conformité avec la Constitution », cela ne leur permet pas d’ignorer les effets de l’art. 33 de la Charte canadienne et de procéder à un contrôle judiciaire que cette disposition ne permet pas. En effet, l’art. 33 est une disposition de la Constitution et son utilisation, lorsqu’elle est faite selon les conditions établies dans l’arrêt Ford, est ellemême conforme à la Constitution. Cette différence entre la situation du requérant dans Khadr, qui ne mettait pas l’art. 33 de la Charte canadienne en jeu, et celle des parties opposées à la Loi dans la présente affaire est fondamentale : le législateur québécois, par l’art. 34 de la Loi, s’est conformé à la Constitution en recourant à l’art. 33 de la Charte canadienne d’une manière respectueuse des formalités établies par la Cour suprême dans l’arrêt Ford et, en conséquence, aucun contrôle judiciaire de la conformité de la Loi aux dispositions constitutionnelles auxquelles elle a validement été soustraite ne peut être exercé et aucun remède, pas même déclaratoire, ne peut être octroyé en vertu du par. 24(1) de la Charte canadienne.

[365]      Quant aux arrêts Ewert c. Canada[393] et Gosselin[394], ils n’étayent pas la thèse selon laquelle les cours supérieures pourraient, nonobstant l’art. 33 et grâce au par. 24(1) de la Charte canadienne, statuer sur la conformité d’une loi aux dispositions de la Charte canadienne à l’application desquelles on l’a soustraite. En effet, l’arrêt Ewert ne concerne pas l’art. 33 de la Charte canadienne, qui n’y est pas en cause, et son propos n’est pas transposable au présent débat. Pour sa part, l’arrêt Gosselin, sous ce rapport, confirme plutôt le sens et la portée que l’on doit donner à l’art. 33 de la Charte canadienne, comme on l’a vu plus tôt[395].

[366]      Mais l’affaire Gosselin concernait aussi l’art. 45 de la Charte québécoise, disposition qui ne jouit pas de la suprématie offerte par l’art. 52 de cette charte aux droits qu’énoncent ses art. 1 à 38. Pour le juge Bastarache, dissident, cela fait en sorte que « le respect de ce droit ne peut pas, en l’espèce, être obtenu en justice » (« that right is unenforceable »)[396]. La juge en chef McLachlin lui répond en soulignant qu’à son avis, même si une loi enfreignant cette disposition ne peut être invalidée par les tribunaux, ceux-ci peuvent tout de même « prononcer un jugement déclaratoire constatant cette violation »[397].

[367]      Cette remarque, toutefois, est un simple obiter, qui ne vise que la situation particulière des droits économiques et sociaux garantis par la Charte québécoise (art. 39 à 48). Surtout, le commentaire de la juge en chef, manifestement, ne vise pas les effets de l’art. 33 de la Charte canadienne et ne saurait contredire ce qu’elle a précédemment affirmé à propos de cet article, qui soustrait la loi et aux art. 2 et 7 à 15 de celle-ci et au contrôle judiciaire fondé sur ces dispositions. On ne peut donc certainement pas déduire de ses propos qu’il y aurait lieu de donner une vocation autonome au par. 24(1) de la Charte canadienne et de permettre aux tribunaux de procéder, même dans une perspective strictement déclaratoire, à l’examen de la conformité de la loi aux dispositions de la Charte canadienne auxquelles le législateur a entendu déroger en recourant à l’art. 33.

[368]      Pour toutes ces raisons, la conclusion s’impose : l’usage de l’art. 33 de la Charte canadienne met la loi à l’abri du contrôle judiciaire de sa conformité aux dispositions visées par la déclaration dérogatoire et exclut toute réparation potentielle (même simplement déclaratoire et, a fortiori, pécuniaire), le par. 24(1) ne pouvant servir de fondement à un tel contrôle ou une telle réparation.

[369]      La même analyse, adaptée au contexte, vaut pour les art. 142 et 529 al. 1(1°) C.p.c. Rien dans ces dispositions ne permet de passer outre au double effet d’une déclaration prise en vertu de l’art. 33 de la Charte canadienne. Pas plus que le par. 24(1) de la Charte canadienne, les art. 142 et 529 C.p.c. ne peuvent-ils, à eux seuls, faire échec aux conséquences d’une déclaration conforme à l’art. 33 de ladite charte. Le remède prévu par le par. 529(1) (incarnation du pouvoir de contrôle des cours supérieures, par ailleurs consacré à l’art. 34 C.p.c.), qui consisterait à déclarer inapplicable, invalide ou inopérante une disposition d’une loi qui contreviendrait aux art. 2 ou 7 à 15 de la Charte canadienne, est entièrement neutralisé par l’usage de l’art. 33 de cette charte. Quant à l’art. 142 C.p.c., autre incarnation, dans les matières de droit public, du pouvoir de contrôle et de surveillance des cours supérieures[398], il ne peut, pour toutes les raisons que nous avons vues, supplanter les effets d’une déclaration dûment prise en vertu de l’art. 33 de la Charte canadienne. Il en va de même dans le cas où la déclaration dérogatoire a été faite par le législateur en vertu de l’art. 52 in fine de la Charte québécoise. L’art. 49 de cette charte[399] n’est pour sa part d’aucun secours puisqu’il ne saurait s’appliquer lorsque la violation alléguée est celle d’une disposition de la Charte québécoise à laquelle la loi contestée a été soustraite.

c. Récapitulatif

[370]      En résumé, l’usage réactif ou préventif de l’art. 33 de la Charte canadienne ou de l’art. 52 in fine de la Charte québécoise retire la loi du champ d’application de l’un ou l’autre des art. 2 ou 7 à 15 de la première ou des art. 1 à 38 de la seconde et l’affranchit également du contrôle judiciaire de sa conformité aux dispositions en question, tout comme elle la soustrait aux effets du par. 52(1) de la LC 1982 ou à ceux de la première portion de l’art. 52 de la Charte québécoise (sauf, bien sûr, en ce qui touche les conditions de validité de l’usage de l’art. 33 de la Charte canadienne ou de l’art. 52 in fine de la Charte québécoise).

[371]      Par conséquent, en l’espèce, la Cour n’a pas à se prononcer sur la compatibilité ou l’incompatibilité de la Loi avec les dispositions des chartes à l’application desquelles elle n’est pas soumise. Elle n’a donc pas à vérifier la conformité ou la non-conformité de la Loi avec ces dispositions et, de même, avec l’art. 1 de la Charte canadienne ou l’art. 9.1 de la Charte québécoise[400]. Plus spécifiquement, elle n’est pas habilitée à statuer sur la question de savoir si la Loi porte atteinte aux libertés de religion et d’expression ou au droit à l’égalité que garantissent ces chartes.

[372]      Il s’ensuit que si la Cour n’a pas à statuer sur le sujet de la conformité de la Loi aux dispositions idoines de l’une et l’autre charte, elle ne peut accorder quelque réparation que ce soit en vertu du par. 24(1) de la Charte canadienne, de l’art. 49 de la Charte québécoise ou des art. 142 et 529 C.p.c., incluant une réparation déclaratoire ou pécuniaire, chacune de celles-ci, par sa nature même, exigeant une détermination préalable que la Cour n’a pas à faire.

*   *   *   *   *

[373]      Ajoutons maintenant quelques mots au sujet de la réparation pécuniaire réclamée par le Groupe Lauzon, au bénéfice d’Andréa Lauzon, Hakima Dadouche et Bouchera Chelbi.

[374]      Cette réparation serait inappropriée même si, par hypothèse, la Cour se penchait sur la conformité de la Loi aux dispositions des chartes à l’application desquelles elle a été soustraite et déclarait, toujours par hypothèse, que la Loi, si ce n’était de ses dispositions dérogatoires (art. 33 et 34), contreviendrait aux art. 2 (liberté de religion ou d’expression) ou 15 (droit à l’égalité) de la Charte canadienne ou aux dispositions équivalentes de la Charte québécoise. D’une part, une telle déclaration judiciaire, on le sait, n’affecterait en rien l’applicabilité de la Loi au regard de ces articles des deux chartes, ne la rendrait pas inopérante et n’affaiblirait pas sa force obligatoire. Aucune réparation pécuniaire ne peut sanctionner l’application d’une loi qui, nonobstant ses défauts, demeure valide et effective en raison de l’usage des art. 33 de la Charte canadienne ou 52 in fine de la Charte québécoise. Inutile de dire, enfin, que le recours même du législateur aux art. 33 ou 52 ne saurait davantage donner prise à une condamnation au paiement de dommages-intérêts.

[375]      D’autre part, de façon générale, même lorsqu’une loi ne contient pas de disposition dérogatoire aux libertés et droits fondamentaux, le constat qu’elle enfreint la Charte canadienne ou une autre disposition constitutionnelle, ou encore la Charte québécoise, ne peut donner prise à une condamnation du procureur général au versement de dommages-intérêts. Comme le rappelle le juge LeBel dans Communauté urbaine de Montréal[401] :

19 En pareil cas, des principes bien établis de droit public excluent la possibilité de recours en dommages-intérêts lorsque des lois sont déclarées constitutionnellement invalides, que ce soit pour des violations des règles relatives au partage des pouvoirs législatifs à l’intérieur de la fédération canadienne ou pour leur non-conformité à la Charte canadienne. Dans ce domaine, la jurisprudence de notre Cour a été constante. Sa position a été récemment exposée dans les commentaires du juge Gonthier dans l’arrêt Mackin c. Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances), [2002] 1 R.C.S. 405, 2002 CSC 13, par. 7879 : […].[402]

[Soulignements ajoutés]

[376]      La réparation pécuniaire, en principe, n’a donc pas lieu d’être lorsqu’il s’agit de sanctionner l’invalidité constitutionnelle d’une loi ou son inopérabilité, y compris au regard de la Charte canadienne, ou de sanctionner son incompatibilité avec les art. 1 à 38 de la Charte québécoise. Il y a à ce principe une exception étroite dont l’existence, en l’espèce, n’a nullement été établie[403].

[377]      Dans tous les cas, la réclamation pécuniaire du Groupe Lauzon et des parties appelantes qui l’appuient est donc mal fondée.

3. Argument subsidiaire : doctrine des questions théoriques

[378]      À titre subsidiaire, et supposant que, malgré les art. 33 et 34 de la Loi et malgré l’absence d’un remède constitutionnel, la Cour soit habilitée à statuer sur la conformité de celle-ci aux dispositions des chartes protégeant les libertés de religion et d’expression ainsi que le droit à l’égalité, il convient maintenant de s’intéresser à la doctrine des questions théoriques. La Cour estime en effet que les règles en la matière justifiaient également le juge de première instance d’agir comme il l’a fait, c’est-à-dire de refuser de prononcer formellement une conclusion sur le sujet, à même le dispositif de son jugement.

[379]      La question de savoir si la Loi restreint indûment les libertés de religion et d’expression ainsi que le droit à l’égalité de certains employés, représentants et acteurs de l’État québécois soulève ici, on peut en convenir, un débat théorique au sens traditionnel du terme : la réponse qu’y donnerait un tribunal serait sans effet juridique concret, la Loi demeurant opérante nonobstant toute atteinte à ces droits. Une déclaration d’inopérabilité pour ce motif étant exclue, un jugement sur ce point serait sans impact utile sur les droits dont on allègue la violation. Autrement dit, même si l’on devait reconnaître tant l’atteinte que l’absence de justification, cela ne changerait rien à l’application de la Loi ni à la situation juridique des personnes qui y sont assujetties et qui continueraient de l’être.

[380]      Dans Dostie[404], la Cour faisait récemment un survol de la jurisprudence pertinente et résumait ainsi la doctrine des questions théoriques (que le droit québécois consacre dans l’art. 10 al. 3 C.p.c.[405]) :

[50] Question théorique. L’arrêt Borowski, prononcé par la Cour suprême en 1989, est l’arrêt phare en la matière. Son enseignement, toujours pertinent, se trouve implicitement codifié par l’art. 10 al. 3 C.p.c., qui avalise ainsi un principe structurant de l’activité judiciaire. Il en ressort que, règle générale, et peu importe le domaine, les tribunaux doivent s’abstenir de trancher des questions ou débats théoriques ou abstraits, c’est-à-dire des questions ou débats dont la solution n’a pas d’effet pratique ou concret, ce qui peut notamment se produire lorsque les dispositions législatives ou réglementaires contestées ont cessé d’avoir effet ou ont été abrogées. Par exception, dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire, ils pourront cependant statuer sur une telle question si la chose peut être faite dans le cadre d’un débat contradictoire et si les ressources judiciaires, lesquelles sont limitées, peuvent y être employées à bon escient, dans l’intérêt de la justice, sans dépasser le cadre de leur fonction juridictionnelle. Il va sans dire qu’un tribunal ne peut user à la légère du pouvoir de trancher sur le fond ou de renvoyer à procès une affaire dont il aura constaté le caractère théorique. Donner une interprétation trop large à cette exception discrétionnaire battrait en effet en brèche le principe reconnu dans Borowski ou le neutraliserait et, en l’occurrence, stériliserait l’art. 10 al. 3 C.p.c. Ce n’est donc qu’avec parcimonie, prudence et retenue qu’un tribunal pourra se prononcer sur une question en dépit du caractère théorique de celle-ci.

[Renvois omis]

[381]      Ce passage s’appuie notamment sur l’arrêt DoucetBoudreau, dans lequel la Cour suprême, sous la plume majoritaire des juges Iacobucci et Arbour, écrit que :

17 La règle du caractère théorique procède du principe voulant que les tribunaux n’instruisent que des affaires présentant un litige actuel à résoudre, où leur décision aura ou pourra avoir des conséquences sur les droits des parties, sauf s’ils décident, dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire, qu’il est néanmoins dans l’intérêt de la justice d’entendre un appel (voir Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, p. 353). Nous sommes d’avis que le présent pourvoi est devenu théorique. […]

18 Les remarques dans Borowski, précité, nous incitent cependant à entendre le pourvoi malgré son caractère théorique. Le juge Sopinka a énuméré, au nom de la Cour, les critères régissant l’exercice du pouvoir discrétionnaire des tribunaux d’entendre des affaires théoriques (aux p. 358363) :

(1) l’existence d’un débat contradictoire;

(2) le souci d’économie des ressources judiciaires;

(3) la nécessité pour les tribunaux d’être conscients de leur fonction juridictionnelle dans notre structure politique.[406]

[382]      Notons que la doctrine des questions théoriques s’applique même dans le contexte d’une action déclaratoire. On oublie souvent que pareille action n’a pas pour objectif d’obtenir un avis juridique de la part des tribunaux, qui n’officient pas à titre consultatif (sauf dans les renvois dont ils sont saisis par les gouvernements), mais qu’elle sert à résoudre une difficulté réelle, même si celleci n’a pas encore acquis les caractéristiques d’une cause d’action immédiate. Le jugement qui statue sur cette difficulté réelle doit donc avoir un effet tangible et pratique sur les droits des parties. Cela est vrai dans les matières de droit privé, mais l’est aussi dans celles de droit public (où l’action déclaratoire est l’une des incarnations procédurales du contrôle judiciaire de l’action législative et gouvernementale[407]). C’est ce qu’illustre sans équivoque l’arrêt de la Cour suprême dans Daniels c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien) :

[11] Dans le plus récent des arrêts sur le sujet, Canada (Premier ministre) c. Khadr, [2010] 1 R.C.S. 44, notre Cour a reformulé le critère permettant de déterminer si un jugement déclaratoire devrait être rendu. La partie qui demande réparation doit établir que le tribunal a compétence pour entendre le litige, que la question en cause est réelle et non pas simplement théorique et que la partie qui soulève la question a véritablement intérêt à ce qu’elle soit résolue. Un jugement déclaratoire ne peut être rendu que s’il a une utilité pratique, c’estàdire sil règle un « litige actuel » entre les parties (voir également Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821; Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342).

[…]

[15] Les gouvernements fédéral et provinciaux refusant tous deux de reconnaître compétence à leur égard, les Métis et les Indiens non inscrits n’ont personne qu’ils peuvent tenir responsable de ce statu quo inopportun. […] L’existence d’un vide législatif reflète manifestement le fait qu’aucun ordre de gouvernement n’a reconnu sa responsabilité sur le plan constitutionnel. Un jugement déclaratoire garantirait à la fois la certitude et la responsabilité à cet égard, et satisferait ainsi facilement au seuil jurisprudentiel applicable, soit le fait de présenter l’utilité pratique tangible de régler un conflit de compétence de longue date [« offering the tangible practical utility of the resolution of a longstanding jurisdictional dispute »].[408]

[Soulignements ajoutés]

[383]      Bref, la doctrine des questions théoriques s’applique à tous les types d’action en justice, incluant le contrôle judiciaire, y compris lorsque celui-ci s’exerce par le moyen d’une action déclaratoire de droit public : les tribunaux ne doivent en principe trancher les questions qui leur sont soumises que si cela a des conséquences pratiques et tangibles sur les droits des parties. Or, ce n’est pas le cas en l’espèce, alors que le constat d’une contravention aux art. 2 et 15 de la Charte canadienne (ou 3 et 10 de la Charte québécoise) – le cas échéant – serait sans effet juridique aucun, comme on l’a vu (c.àd. sans effet sur les droits des parties au litige et sans effet, de façon générale, sur l’ensemble des justiciables).

[384]      Les tribunaux peuvent toutefois, dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire, décider qu’il est dans l’intérêt de la justice de statuer malgré l’absence de telles conséquences et le caractère théorique de la question soulevée. Qu’en est-il dans le présent dossier? Est-il dans l’intérêt de la justice que la Cour se prononce formellement sur la conformité ou la nonconformité de la Loi aux dispositions qui, dans les chartes canadienne et québécoise, protègent les libertés de religion et d’expression de même que le droit à l’égalité et qu’elle rende un jugement déclaratoire constatant la contravention, s’il en est?

[385]      Pour répondre à cette interrogation, il faut, selon l’enseignement des arrêts Doucet-Boudreau[409] et Borowski[410], considérer les trois éléments suivants : (1) l’existence d’un débat contradictoire, (2) le souci d’économie des ressources judiciaires; (3) la nécessité pour les tribunaux d’être conscients de leur fonction juridictionnelle dans notre structure politique.

[386]      À première vue, le premier élément semble ne soulever aucune difficulté : la question de la conformité de la Loi aux dispositions des chartes garantissant la liberté de religion ou d’expression ainsi que le droit à l’égalité se prête certainement, en principe, à un débat contradictoire. N’y a-t-il pas eu, d’ailleurs, débat devant la Cour supérieure? À l’examen, toutefois, ce débat se révèle singulièrement déficient.

[387]      Comme l’écrit le juge Sopinka dans Borowski, « [l]'exigence du débat contradictoire est l'un des principes fondamentaux de notre système juridique et elle tend à garantir que les parties ayant un intérêt dans l'issue du litige en débattent complètement tous les aspects »[411]. Or, sous ce dernier rapport, le débat de l’espèce est affecté d’une importante lacune : la question de la conformité ou de la non-conformité de la Loi aux libertés de religion et d’expression ou au droit à l’égalité n’a pas été abordée par le PGQ, qui n’a pas véritablement fait valoir d’argument à ce propos. Il s’est expliqué sur ce point en plaidant pour l’essentiel (1) qu’il n’avait pas à en discuter, pas plus que les autres parties du reste, vu les art. 33 et 34 de la Loi et (2) que, de toute façon, la discussion làdessus, pour la même raison, serait entièrement théorique et ne porterait en réalité que sur l’opportunité de la Loi, sujet qui échappe à l’examen judiciaire. Il a maintenu cette position en appel[412].

[388]      Sans concéder l’existence d’une contravention aux dispositions en cause, le PGQ ne s’est donc pas employé, même de façon subsidiaire, à contrer le point de vue des parties opposées à la Loi et à plaider que celleci, notamment en ses art. 6 et 8, qui sont au cœur du litige, n’enfreint pas les art. 2 et 15 de la Charte canadienne ou encore les art. 3 et 10 de la Charte québécoise. Il n’a pas non plus entrepris de démontrer que, dans l’hypothèse d’une atteinte à ces droits et libertés, la Loi serait justifiée en vertu des art. 1 de la Charte canadienne ou 9.1 de la Charte québécoise. Sans doute certaines des pièces qu’il a déposées amorcent-elles cette preuve et sans doute auraient-elles pu fonder une argumentation[413], mais la première ne paraît pas être complète et la seconde est inexistante.

[389]      Il n’en est pas allé autrement en appel, alors que le PGQ est resté fidèle à cette position, pendant que les parties opposées à la Loi ont de leur côté présenté l’affaire comme s’il allait de soi qu’il y avait atteinte (injustifiée par ailleurs) aux art. 2 et 15 de la Charte canadienne et 3 et 10 de la Charte québécoise.

[390]      On pourrait être tenté de faire reproche au PGQ de son attitude et de lui faire porter la conséquence de ce choix, du moins en ce qui concerne l’article premier de la Charte canadienne (ou 9.1 de la Charte québécoise), comme on l’a fait par exemple dans le Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale (Î.-P.-É.)[414] ou, plus récemment, dans Bissonnette[415]. Dans le même sens, on verra également les arrêts suivants : R. c. Hilbach[416], R. c. Hills[417], R. c. Boudreault[418], R. c. MalmoLevine; R. c. Caine[419], R. c. Ruzic[420] et Mahe c. Alberta[421].

[391]      Toutefois, cette jurisprudence ne permet pas de vider ici la question. En effet, dans les arrêts donnés ci-dessus en exemple, on note que la question soumise à la Cour suprême n’était pas théorique et qu’un débat contradictoire complet avait eu lieu sur l’existence ou l’inexistence de l’atteinte, même si les parties qui en avaient le fardeau n’avaient pas tenté de justifier cette atteinte en vertu de l’art. 1 de la Charte canadienne : rien de tel ici, où même la question de l’atteinte n’a été débattue qu’à moitié. Ensuite, et surtout, aucune de ces affaires ne statuait dans un cadre sujet à l’art. 33 de la Charte canadienne et à l’art. 52 in fine de la Charte québécoise. D’ailleurs, aucun jugement n’a été retracé dans la jurisprudence canadienne ou québécoise qui porte sur une situation analogue à celle de l’espèce, alors qu’il s’agit de déterminer si, dans ce contexte, la Cour doit répondre ou non à une question théorique, c’est-à-dire qui n’aura pas d’effet tangible et concret sur les droits des parties ou des personnes visées par la Loi[422].

[392]      Or, pour qu’il soit dans l’intérêt de la justice de répondre à une question théorique, encore faut-il qu’on puisse le faire de manière complète, à la suite d’un débat qui en ait abordé tous les aspects[423], ce qui n’est pas le cas en l’espèce. En pareil contexte, la primauté du droit exige davantage qu’un jugement tranchant un litige sur la foi d’un argumentaire inachevé, qui n’aborde pas des sujets essentiels.

[393]      On ne peut pas non plus choisir de répondre malgré tout à la question à la lumière d’un débat qui n’a été fait qu’à demi (et encore), et ce, en vue de sanctionner l’attitude du PGQ, même si on pouvait aujourd’hui la juger imprudente. Lorsqu’une question semblable se pose dans un dossier « ordinaire » de contrôle constitutionnel, hors le cadre des art. 33 et 52 in fine des chartes canadienne et québécoise, il peut être opportun de statuer et, le cas échéant, de conclure à une contravention de celles-ci en faisant porter au procureur général le poids des conséquences de son omission de présenter de la preuve et des arguments justificatifs[424]. Mais la présente affaire survient précisément dans le cadre des art. 33 et 52 in fine, ce dont on ne peut pas faire abstraction pour jauger le comportement du PGQ. On ne peut pas non plus ignorer que sa décision d’agir ainsi s’est fondée sur l’état du droit tel que le reconnaît la jurisprudence de la Cour suprême du Canada.

[394]      En outre, s’il est exact que, selon l’enseignement de l’arrêt Borowski, on peut accepter de répondre à une question théorique « d’importance publique qu’il est dans l’intérêt public de trancher »[425], notamment pour éviter « le coût social de l’incertitude du droit »[426], ces éléments ne peuvent justifier qu’on le fasse dans le présent dossier, contrairement à ce que suggèrent les parties opposées à la Loi.

[395]      En effet, une déclaration judiciaire sur la question de savoir si la Loi enfreint les libertés de religion et d’expression ainsi que le droit à l’égalité, serait-elle utile au législateur qui voudrait procéder au renouvellement de la disposition figurant à l’art. 34 de la Loi (disposition dérogatoire à la Charte canadienne)[427]? Éclairerait-elle les travaux de l’Assemblé nationale? Serait-elle de nature à renseigner adéquatement le public en général et l’électorat en particulier, qui pourraient ainsi, éventuellement, exercer mieux leurs responsabilités démocratiques?

[396]      Une réponse négative s’impose : un enseignement judiciaire fondé sur un débat incomplet n’est pas utile, car il laisse perdurer l’incertitude du droit et n’allège donc en rien le « coût social de laisser une question sans réponse »[428]. Que vaudrait en effet un stare decisis théorique fondé sur un débat carencé? Il n’instruirait ni le public ni les membres de l’Assemblée nationale et ne ferait que perpétuer le débat. L’intérêt public ne peut s’accommoder d’une demi-réponse et ni le législateur ni l’électorat n’y trouveraient leur compte.

[397]      Il est vrai que le MLQ et PDF Québec, favorables à la Loi, ont de leur côté tenté de démontrer que la Loi n’attentait pas aux art. 2 et 15 de la Charte canadienne ou 3 et 10 de la Charte québécoise. Leurs arguments ne sont pas sans mérite, mais faute d’un débat contradictoire complet sur le sujet, la Cour ne peut pas en discuter véritablement. Ce ne sont pas là des conditions propices à une détermination judiciaire des droits des uns et des autres, alors même que cette détermination n’est pas de nature à affecter l’applicabilité de la Loi.

[398]      Finalement, dans le présent contexte, en répondant à la question de l’atteinte aux droits fondamentaux des personnes visées par la Loi et, s’il est une telle atteinte, à celle du caractère justifié ou non de celle-ci au regard des art. 1 ou 9.1 des chartes canadienne et québécoise, la Cour sortirait de ses attributions judiciaires et outrepasserait « sa fonction véritable dans l'élaboration du droit »[429] en agissant de manière essentiellement consultative, comme si elle était saisie « d’un renvoi d’initiative privée »[430], ce qui n’est pas de mise.

[399]      Ce caractère de « renvoi privé » ressort encore davantage de l’argument que certaines parties opposées à la Loi ont avancé : à leur avis, si l’on statuait dès maintenant sur la question de la contravention aux art. 2 ou 15 (et 1) de la Charte canadienne ou aux art. 3 ou 10 (et 9.1) de la Charte québécoise, l’affaire serait réglée advenant que l’art. 33 de la Loi (fondé sur l’art. 52 de la Charte québécoise) soit abrogé ou que la déclaration que contient l’art. 34 (fondée sur l’art. 33 de la Charte canadienne) ne soit pas renouvelée à l’expiration de son terme de cinq ans. L’on n’aurait alors pas à reprendre le débat judiciaire, qui serait déjà tranché, ce qui serait commode et conforme au principe d’économie des ressources judiciaires.

[400]      Cet argument ne saurait être retenu : les tribunaux ne rendent pas de jugements hypothétiques ou spéculatifs, « au cas où ». Comme le note le juge de première instance, ils ne rendent pas d’« opinion judiciaire qui porte sur une question purement théorique reposant de plus sur des considérations hypothétiques »[431].

[401]      En fin de compte, les conditions qui permettraient à la Cour de statuer sur la conformité ou la non-conformité de la Loi aux art. 2 et 15 de la Charte canadienne ou 3 et 10 de la Charte québécoise, ou aux art. 1 et 9.1 de ces chartes, nonobstant le fait que l’applicabilité de la Loi n’en serait aucunement affectée, ne sont pas remplies. Ce n’est pas abdiquer son rôle judiciaire que de le constater.

[402]      Pour ces raisons, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en la matière, la Cour, subsidiairement, s’abstiendrait de toute façon de statuer sur ce sujet.

4. Conclusion

[403]      En conséquence, la Cour ne se prononcera pas sur la conformité de la Loi aux art. 2 et 15 de la Charte canadienne et aux art. 3 et 10 de la Charte québécoise. Par l’effet de ses art. 33 et 34, respectivement fondés sur les art. 52 de la seconde et 33 de la première, la Loi est en effet soustraite à l’application des dispositions précitées et au contrôle judiciaire de sa conformité à celles-ci.

[404]      De toute façon, et subsidiairement, la question de savoir si la Loi enfreint les libertés de religion et d’expression ou le droit à l’égalité est une question théorique dans la mesure où la reconnaissance d’une contravention n’est pas de nature à entraîner quelque conséquence juridique pratique : la Loi continuerait de s’appliquer même en cas d’entorse. Qui plus est, les conditions qui permettent à un tribunal de répondre à une question malgré son caractère théorique ne sont pas réunies en l’espèce, la Cour n’ayant pas en main les éléments qui lui sont nécessaires pour statuer en toute connaissance de cause.

[405]      Il convient par conséquent de rejeter la demande de réparation déclaratoire, tout comme la demande de réparation pécuniaire, laquelle est du reste irrecevable dans tous les cas.

5. Observations additionnelles sur l’usage des dispositions de dérogation et sur le rôle des institutions démocratiques

[406]      Au terme de cette analyse des conditions d’application et des effets des dispositions de dérogation ainsi que du rôle des tribunaux dans ce contexte, certaines observations additionnelles s’imposent, dans la foulée de celles que l’on trouve déjà aux par. [231] à [234] supra.

[407]      Qu’un législateur puisse soustraire une loi à l’application de certaines dispositions de la Charte canadienne ou de la Charte québécoise et la soustraire de ce fait au contrôle judiciaire à cet égard (sauf, bien entendu, s’il s’agit de vérifier la validité même de la disposition dérogatoire, selon les conditions établies dans l’arrêt Ford[432]) est de nature à susciter la réflexion, si ce n’est l’inconfort. En effet, le contrôle des lois au regard des chartes a une place importante dans une société libre et démocratique, les tribunaux exerçant ainsi, non de leur propre chef, faut-il le rappeler, mais sur demande, la mission que leur confie la Constitution.

[408]      Comme le soulignait la juge Deschamps en 2005, parlant du rôle des tribunaux :

89 Les tribunaux ont le devoir de s’élever au-dessus du débat politique. Ils laissent au législateur le soin d’intervenir pour concevoir les politiques sociales. Mais lorsque celles-ci violent les droits protégés par les chartes, ils ne peuvent s’esquiver. Le pouvoir judiciaire joue un rôle que ne joue pas le pouvoir législatif. Le professeur Roach décrit ainsi le rôle complémentaire des tribunaux par rapport au législateur (K. Roach, « Dialogic Judicial Review and its Critics » (2004), 23 Sup. Ct. L. Rev. (2d) 49, p. 69-71 :

[TRADUCTION] Les tribunaux ont des attributs qui leurs sont propres, notamment la volonté d’offrir à toutes les parties lésées de participer de façon ordonnée au débat, l’indépendance par rapport au pouvoir exécutif et le devoir de motiver leurs décisions. En outre, les tribunaux sont spécialement chargés d’expliquer les textes juridiques fondamentaux adoptés de façon démocratique.

… Le tribunal garantit au plaideur le droit de participer au débat et le droit à une décision motivée en fonction des arguments présentés et des textes de loi pertinents adoptés de façon démocratique …

Les juges peuvent ajouter une valeur aux débats de société au sujet de la justice en écoutant les demandes de réparation pour injustice et en proposant des valeurs et des points de vue qui, autrement, peuvent ne pas être envisagés sérieusement dans le cadre de la démarche législative.[433]

[409]      En ce sens, d’ailleurs, le législateur qui recourt à l’art. 33 de la Charte canadienne prive, non pas les tribunaux, mais les justiciables du droit, fondamental dans une démocratie, de contester la loi. C’est toutefois la Constitution elle-même qui, par le truchement de l’art. 33 de la Charte canadienne, partie intégrante de la LC 1982, permet de retirer aux tribunaux la fonction qu’ils exercent ordinairement, laissant aux organes politiques et à l’électorat le soin de trancher la question. L’art. 33 de la Charte canadienne faisant ainsi exception à l’art. 52 de ladite loi constitutionnelle, la Cour ne saurait passer outre et statuer sur une question qui ne relève plus (du moins temporairement) de son pouvoir de contrôle judiciaire. Le même propos vaut pour l’art. 52 in fine de la Charte québécoise, qui, de son côté, n’est pas assujetti à des contraintes temporelles.

[410]      Cela dit, on ne peut nier que l’existence même des art. 33 de la Charte canadienne et 52 in fine de la Charte québécoise soulève des critiques (et le premier, qui a valeur constitutionnelle, plus encore que le second). Pour plusieurs, en effet, les chartes seraient, du fait de ces dispositions, des instruments antinomiques, donnant d’une main et retirant de l’autre, prétendant protéger des droits et libertés qualifiés de fondamentaux, auxquels le législateur pourrait cependant, au gré des idéologies du jour, déroger capricieusement, soumettant chaque individu à la volonté arbitraire de la majorité, réduisant à néant la protection des minorités, qui est pourtant l’un des « facteurs clés » de l’adoption des chartes[434], et mettant en péril ces libertés et garanties essentielles à la démocratie que sont, par exemple, les libertés d’opinion, d’expression ou d’association, la protection contre les arrestations et les détentions arbitraires ou les traitements cruels, ou encore la présomption d’innocence ou le principe d’égalité. Que, dans ce contexte, les justiciables ne puissent s’adresser aux tribunaux et faire entendre leur voix et que les tribunaux, en conséquence, ne puissent constater la présence d’une violation des droits et libertés accroît d’autant l’inquiétude : le législateur, laissé ainsi sans supervision, pourrait verser dans l’abus de pouvoir. C’est là, certainement, une crainte qu’ont exprimée la plupart des parties opposées à la Loi ou qui ressort de leur argumentation.

[411]      En tout respect, car le sujet est sérieux, ce débat, qui porte en réalité sur l’opportunité d’inclure une disposition de dérogation dans une « charte des droits et libertés », a déjà eu lieu, sur la base des mêmes arguments, et, en ce qui concerne la Charte canadienne, il est clos depuis 1982, et depuis 1975 (puis 1982) dans le cas de la Charte québécoise. Même si l’on pouvait politiquement regretter que le constituant ait intégré l’art. 33 à la Charte canadienne, tout comme on pourrait déplorer la dérogation permise par l’art. 52 de la Charte québécoise et son élargissement de 1982 (ce sur quoi la Cour ne se prononce évidemment pas), il demeure que ce n’est pas aux tribunaux de colmater les failles, s’il en est, d’un choix constitutionnel (ou législatif) que d’aucuns estiment malavisé (mais d’autres, on le notera, entièrement justifié).

[412]      La société civile, dont on ne peut pas ignorer le poids et l’importance en matière de protection des droits et libertés, n’est de son côté pas dépourvue de moyens si elle estime inapproprié l’usage que le législateur fait des art. 33 de la Charte canadienne ou 52 in fine de la Charte québécoise. Par exemple, récemment, le législateur ontarien a inséré une disposition dérogatoire dans le Keeping Students in Class Act, 2022[435], pour soustraire celle-ci à l’application de l’al. 2d) de la Charte canadienne (liberté d’association, volet droit de grève), ainsi qu’au Human Rights Code de la province. Or, il est de connaissance d’office que le législateur a reculé devant le tollé créé par cette disposition dérogatoire, abrogeant le 14 novembre 2022 la loi entrée en vigueur quelques jours plus tôt[436]. Le ressac public et la réaction citoyenne sont donc aussi un rempart contre l’usage des dispositions de dérogation.

[413]      Dans le même ordre d’idées, il faut insister aussi sur la puissance électorale : les droits démocratiques consacrés par l’art. 3 de la Charte canadienne, qu’il s’agisse de les exercer au fédéral ou au provincial, ne sont pas assujettis à l’art. 33 de la Charte canadienne. L’électorat détient de ce fait le pouvoir ultime de défaire le gouvernement qui aurait usé (ou abusé) de la faculté de dérogation que lui confère cette disposition constitutionnelle ou encore la disposition équivalente de la Charte québécoise[437].

[414]      Finalement, on ne peut pas ignorer non plus le rôle capital du législateur lui-même dans la défense et la promotion des droits et libertés, surtout lorsque la Constitution, comme le reconnaît l’arrêt Vriend, lui donne le dernier mot[438].

[415]      Légiférer en matière de droits et libertés, plus encore lorsqu’il s’agit de déroger potentiellement à ceux-ci, n’est en effet pas une affaire ordinaire et requiert une attention toute particulière de la part des personnes qui participent au débat parlementaire. Certainement, chaque membre de l’Assemblée nationale a une responsabilité individuelle à cet égard, peu importe son allégeance partisane. En effet, l’art. 43 de la Loi sur l’Assemblée nationale confère à chaque député « une entière indépendance dans l’exercice de ses fonctions / full independence for the carrying out of his duties », qui peut être exercée dans tous les cas, y compris en matière de droits et libertés fondamentaux, sujet qui mérite une étude complète et rigoureuse. Une étude de ce genre paraît d’ailleurs peu compatible avec l’emploi de la procédure parlementaire d’exception (dite du « bâillon ») qui fut utilisée lors de l’adoption de la Loi. Cela dit, l’affaire relève entièrement de la discussion parlementaire.

C. Égalité des sexes[439]

[416]      L’art. 28 de la Charte canadienne édicte que :

28. Indépendamment des autres dispositions de la présente charte, les droits et libertés qui y sont mentionnés sont garantis également aux personnes des deux sexes.

28. Notwithstanding anything in this Charter, the rights and freedoms referred to in it are guaranteed equally to male and female persons.

[417]      L’art. 50.1 de la Charte québécoise énonce pour sa part que :

50.1. Les droits et libertés énoncés dans la présente Charte sont garantis également aux femmes et aux hommes.

50.1. The rights and freedoms set forth in this Charter are guaranteed equally to women and men.

[418]      Tant en première instance qu’en appel, les parties opposées à la Loi ont fait de l’art. 28 de la Charte canadienne l’un des arguments principaux de leur contestation. À leur avis, la Loi, par son objet et ses effets, enfreint cette disposition, à laquelle l’art. 33 de la Charte canadienne n’autorise aucune dérogation, et elle serait par conséquent inopérante. L’art. 50.1 de la Charte québécoise a lui aussi été évoqué, mais de façon secondaire. Les motifs qui suivent s’intéresseront donc surtout à l’art. 28 de la Charte canadienne et se pencheront plus succinctement sur l’art. 50.1 de la Charte québécoise.

1. Article 28 de la Charte canadienne

a. Prétentions des parties

[419]      Rappelons ici les arguments que font valoir les parties au sujet de l’art. 28 de la Charte canadienne.

[420]      Selon les parties opposées à la Loi, l’art. 28 aurait été introduit dans la Charte canadienne afin de renforcer le principe de l’égalité des sexes, et ce, en ajoutant à l’art. 15 (qui fait déjà nommément du sexe un motif de discrimination prohibé) une disposition distincte et autonome, d’ordre substantif, propre à en assurer la primauté. Cette primauté s’exprimerait de deux façons : d’une part, l’art. 28 conditionnerait l’interprétation et l’application qui est faite de tous les droits et libertés garantis par la Charte canadienne; d’autre part, il s’appliquerait lui-même « [i]ndépendamment des autres dispositions de la présente charte / [n]otwithstanding anything in this Charter », sans exception, ce qui assurerait sa prééminence sur l’ensemble de toutes les dispositions de la Charte canadienne, incluant les art. 1 et 33. En d’autres mots, l’art. 28 ne se contenterait pas d’énoncer que les droits et libertés mentionnés dans la Charte sont garantis également aux personnes de deux sexes, il offrirait cette garantie indépendamment des autres dispositions de la Charte, y compris l’art. 33.

[421]      Les parties opposées à la Loi soulignent d’ailleurs que l’art. 33 ne mentionne pas l’art. 28, ce qui montrerait bien qu’il ne peut être utilisé afin de porter atteinte à l’égalité femmes-hommes, comme le confirmerait d’ailleurs leur historique rédactionnel respectif. Conséquemment, aucune loi fédérale, provinciale ou territoriale ne pourrait, de quelque façon que ce soit, déroger au principe de l’égalité des sexes et l’art. 33 ne pourrait luimême pas être utilisé d’une manière irrespectueuse de ce principe, c’estàdire d’une manière qui, par son objectif ou ses effets, distingue les femmes des hommes. Subsidiairement, à supposer que l’article premier de la Charte canadienne puisse justifier une restriction au droit que garantit l’art. 28, encore faudrait-il procéder à la démonstration requise, selon le test de l’arrêt Oakes, ce qui n’a pas été fait ici.

[422]      En l’occurrence, et toujours selon les parties qui s’y opposent, la Loi enfreindrait l’art. 28 en raison du traitement discriminatoire, c’est-à-dire distinctif et préjudiciable, qu’elle imposerait aux femmes, et principalement aux femmes musulmanes. Celles-ci seraient en effet, bien plus que les hommes (incluant les hommes musulmans), les personnes dont les libertés de religion et d’expression seraient, disproportionnément, les plus touchées par l’interdiction du port des signes religieux (art. 6 de la Loi), par l’obligation de prodiguer les services publics à visage découvert (art. 8 al. 1 de la Loi) et par toutes les dispositions rattachées à la mise en œuvre de ces deux prescriptions. Le PGQ n’ayant pas tenté de démontrer que cette atteinte est justifiée en vertu de l’art. 1 de la Charte canadienne, la Loi devrait donc être déclarée inopérante à cet égard.

[423]      Alternativement, on fait aussi valoir que, à supposer même que l’art. 28 n’établisse pas un droit substantif distinct et autonome de celui de l’art. 15, il limiterait néanmoins, en tant que disposition interprétative, la manière dont le législateur peut user de l’art. 33. Ainsi, le législateur ne pourrait utiliser l’art. 33 de façon à priver les femmes (ou certaines d’entre elles), mais non les hommes, des droits et libertés garantis par les art. 2 ou 7 à 15, pas plus qu’il ne pourrait, en vertu de l’art. 33, créer une situation ayant des effets plus restrictifs sur les femmes (ou certaines d’entre elles) que sur les hommes ou l’inverse. Or, à ce chapitre, la Loi enfreindrait également l’art. 28, car la dérogation qu’elle contient (art. 34) priverait justement les femmes musulmanes de leurs libertés de religion et d’expression alors que leurs coreligionnaires de sexe masculin, comme l’ensemble des hommes, ne seraient pas affectés ou le seraient à un moindre degré. Elle aurait le même effet surprivatif sur le droit à l’égalité des femmes musulmanes par rapport aux hommes musulmans et aux hommes en général. Bref, le législateur ne pourrait pas recourir à l’art. 33 d’une manière qui, par ses visées ou ses effets, affecte les femmes ou les femmes d’un certain groupe davantage que les hommes, défaut que présenterait l’art. 34 de la Loi, qui en constituerait donc un usage inconstitutionnel.

[424]      Le PGQ fait de son côté valoir que l’art. 28 de la Charte canadienne n’a pas de caractère autonome et ne garantit pas, à lui seul, un principe d’égalité qui s’ajouterait ou se superposerait à celui que consacre l’art. 15, mais qui, à la différence de ce dernier, ne pourrait faire l’objet d’une déclaration régie par l’art. 33. Si cela était le cas, on se trouverait à reconnaître une prédominance au principe de l’égalité des sexes, ainsi mis à l’abri de l’art. 33, alors qu’une dérogation serait possible lorsqu’il s’agit de la race, de l’origine nationale ou ethnique, de la couleur, de la religion, de l’âge, des déficiences mentales ou physiques et autres motifs analogues. Rien ne laisse pourtant croire que le constituant ait voulu accorder ce statut spécial à l’égalité des sexes et offrir à celle-ci une protection plus forte que celle accordée aux personnes se distinguant par les autres caractéristiques qui figurent dans le par. 15(1) ou par celles auxquelles cette disposition s’étend par analogie. Le texte et le contexte de l’art. 28, son emplacement dans la Charte canadienne tout comme celui de l’art. 33, de même que la structure générale et la logique de cette charte s’opposeraient à une telle conclusion. L’art. 28 serait plutôt une disposition interprétative, tendant à assurer que les droits et libertés garantis par la Charte canadienne sont définis et appliqués sans distinction entre femmes et hommes (sous la réserve générale de l’art. 1).

[425]      Selon le PGQ, l’art. 28 ne créerait donc pas un droit autonome à l’égalité des sexes, mais entrerait en jeu lorsqu’il s’agit d’établir le sens et la portée des droits et libertés que protège la Charte canadienne ou de baliser leur mise en œuvre. Par conséquent, en tant qu’accessoire interprétatif, l’art. 28 ne saurait s’appliquer lorsque les droits et libertés auxquels il se greffe sont eux-mêmes inapplicables ou désamorcés en raison de l’utilisation de l’art. 33 de la Charte canadienne. En d’autres termes, lorsqu’une loi est soustraite à l’application des art. 2 et 7 à 15 de la Charte canadienne, l’art. 28, disposition auxiliaire, se trouverait alors privée d’assise et d’effet à cet égard.

[426]      Une autre des parties favorables à la Loi, PDF Québec, fait quant à elle valoir que l’art. 28 a été inséré dans la Charte canadienne non seulement pour contrer l’interprétation rachitique que l’on avait précédemment donnée à l’al. 1b) de la Déclaration canadienne des droits[440], mais également pour assurer l’égalité réelle des femmes et des hommes malgré les contraintes que la plupart des religions (dont les trois grandes religions monothéistes que sont le judaïsme, le christianisme et l’islam) imposent aux premières, en les assujettissant réellement ou symboliquement aux seconds, en les astreignant à des obligations auxquelles ces derniers ne sont pas soumis ou en les privant de certains privilèges ou d’un certain statut. L’art. 28 aurait également pour objectif de contrebalancer l’effet potentiel de l’art. 27 de la Charte canadienne : le respect de la diversité culturelle de la population canadienne, y compris au chapitre des rapports femmes-hommes, ne pourrait ainsi mener à une disparité des droits et libertés entre les unes et les autres. L’art. 28 opérant « [i]ndépendamment des autres dispositions de la présente charte », il ferait obstacle à l’importation dans celleci de valeurs et de schèmes culturels sexistes. Cela étant, la Loi ne contreviendrait donc pas à l’art. 28 puisqu’elle tendrait non pas à empiéter sur la liberté religieuse des femmes, mais bien à libérer celles qui occupent les postes décrits aux annexes I, II et III d’obligations religieuses intrinsèquement contraires à l’égalité des sexes, favorisant ainsi la neutralité de l’État et le souci d’une parité réelle.

[427]      Le jugement de première instance se range au point de vue des parties opposées à la Loi en ce qui concerne l’effet préjudiciable de celle-ci sur les femmes, et principalement les femmes musulmanes, par rapport aux hommes, et ce, « dans le domaine de l’enseignement uniquement », comme le précise son paragraphe 876 (reproduit plus loin)[441].

[428]      Inversement, le jugement retient le point de vue du PGQ sur le sens et la portée de l’art. 28 de la Charte canadienne : cette disposition, « qui garantit l’égalité des droits pour les deux sexes, ne possède pas une portée autre qu’interprétative et [elle] ne permet pas d’invalider des lois de façon autonome »[442]. Tout en reconnaissant que les arguments des parties opposées à la Loi ne sont pas dépourvus de mérite et que les circonstances historico-politiques de l’inclusion de l’art. 28 dans la Charte canadienne semblent militer dans le sens qu’elles proposent, le juge de première instance conclut cependant que les mots mêmes de l’art. 28 (point de départ de l’exercice interprétatif), la structure générale de la Charte et les autres dispositions de celle-ci ne peuvent, en définitive, soutenir ces prétentions :

[873] Par conséquent, le Tribunal ne peut conclure que l’article 28 constitue une disposition possédant une autonomie propre permettant d’invalider des dispositions législatives.

[874] Donc, en utilisant l’article 33 de manière très large, le législateur fait en sorte qu’il n’existe juridiquement plus de droits et libertés qui se trouvent visés par l’article 28 de la Charte.

[875] Avec égard, dans la mesure où le législateur québécois décide de se prévaloir de la clause dérogatoire, prévue à l’article 33 de la Charte, il se trouve ainsi à suspendre le recours aux droits et libertés qu’il vise par cette utilisation. Ainsi, il ne subsiste plus de droits ou de libertés à garantir également aux personnes des deux sexes comme le prévoit l’article 28. Le fait que celui-ci ne se voit pas soumis à la clause dérogatoire ne change rien à cette réalité juridique.

[876] Dit autrement, même en tenant pour acquis que la Loi 21 comporte des effets qui empêchent les femmes, et surtout les femmes musulmanes, ce que le dossier permet de conclure selon la prépondérance de la preuve, dans le domaine de l’enseignement uniquement, d’exercer leur liberté de religion et viole l’article 15 de la Charte, l’usage de la clause de dérogation empêche tout recours à l’article 28 pour contourner les effets de son application contenu aux paragraphes 33 et 34 de la Loi 21.

[429]      La Cour, pour les raisons exposées dans les pages qui suivent, en vient à la même conclusion : l’art. 28 de la Charte canadienne est une disposition à vocation interprétative, qui ne peut par ailleurs pas mettre l’art. 33 en échec, que ce soit en conditionnant son utilisation, en neutralisant son effet ou en excluant le par. 15(1) de son champ d’application, dans le seul cas d’une discrimination femmes-hommes.

b. Principes d’interprétation applicables

i. Observations générales sur l’article 28 de la Charte canadienne

[430]      Destiné à remédier au « sombre bilan »[443] de la jurisprudence pré-1982 en matière de protection des droits des femmes, y compris sous l’empire de la Déclaration canadienne des droits, l’art. 28 de la Charte canadienne, 42 ans (ou presque) après son entrée en vigueur, demeure une disposition à laquelle on recourt peu (si l’on s’en remet à une jurisprudence qui, elle-même, n’en traite guère, sinon en à-côté) et qui est largement sous-théorisée, comme le notent certains textes[444], voire « astonishingly underdeveloped »[445]. La doctrine s’y est intéressée, hésitant ou se divisant sur la nature, le sens, la portée et l’utilité de l’art. 28[446] : édicte-t-il un principe prépondérant (« overriding principle »[447]) ou une règle d’interprétation[448]? Confère-t-il un droit substantif autonome ou s’arrime-t-il aux autres droits et libertés reconnus par la Charte canadienne? Est-il assujetti ou non à l’article premier de celle-ci ou peut-il en influencer l’interprétation et l’application? Comment le concilier avec l’art. 33?

[431]      Le contexte de son adoption ne permet pas de répondre avec assurance à ces questions. L’insertion de l’art. 28 dans la Charte canadienne résulte des demandes et propositions répétées de groupes féministes[449], mais il n’est pas certain que les objectifs de ceux-ci aient coïncidé parfaitement avec la volonté ultime du constituant (un constituant fédéral-provincial[450]), dont les travaux et débats préparatoires ne sont pas nécessairement très probants[451]. On peut certes en tirer une impression générale : les parlementaires souhaitaient assurer l’égalité femmes-hommes et remédier à la faiblesse du droit antérieur à cet égard[452]. Il est cependant peu probable qu’ils aient envisagé tous les effets juridiques potentiels du texte finalement adopté, et encore moins les problèmes interprétatifs susceptibles d’en naître.

[432]      L’historique rédactionnel de l’art. 28 est peut-être plus révélateur et nous en reparlerons plus loin. Disons tout de suite, cependant, qu’il ne permet pas d’apporter une réponse à toutes les questions que soulèvent ici les prétentions respectives des parties au sujet de cette disposition.

ii. Règles d’interprétation de la Charte canadienne

[433]      La Charte canadienne, instrument constitutionnel, doit être interprétée dans une perspective téléologique, « en fonction de la nature et des objectifs plus larges de la Charte ellemême, des termes choisis pour énoncer ce droit ou cette liberté, des origines historiques des concepts enchâssés et, s’il y a lieu, en fonction du sens et de l’objet des autres libertés et droits particuliers qui s’y rattachent selon le texte de la Charte »[453].

[434]      Cette approche large et contextuelle est cependant ancrée avant tout dans le texte de la disposition constitutionnelle, texte dont on ne doit pas « minimiser l’importance primordiale […] dans l’interprétation téléologique »[454]. Dans Québec (Procureure générale) c. 9147-0732 Québec inc., les juges Brown et Rowe précisent en effet que :

[8] La Cour a toujours insisté sur le fait que, suivant une interprétation téléologique, l’analyse doit commencer par l’examen du texte de la disposition. Comme elle l’a clairement indiqué dans l’arrêt ColombieBritannique (Procureur général) c. Canada (Procureur général), [1994] 2 R.C.S. 41 (« Chemin de fer de l’Île de Vancouver »), « [b]ien que les dispositions constitutionnelles doivent être susceptibles d’évoluer, l’interprétation en la matière doit néanmoins commencer par l’examen du texte de la loi ou de la disposition constitutionnelle en cause » : p. 88. Ce principe a été réitéré dans l’arrêt Grant, où la Cour a déclaré que, « [c]omme chaque fois qu’il s’agit d’analyser une disposition constitutionnelle, il faut tout d’abord se pencher sur son libellé » : par. 15 (nous soulignons). Récemment, dans l’arrêt Poulin, la Cour a une fois de plus confirmé que la première étape de l’interprétation d’un droit garanti par la Charte consiste à analyser le texte de la disposition : par. 64.

[9] Il en est ainsi parce que l’interprétation constitutionnelle, c’estàdire linterprétation du texte de la Constitution, doit être réalisée dabord et avant tout par référence à ce texte, et être circonscrite par celuici. En fait, bien que les normes constitutionnelles soient délibérément exprimées en termes généraux, les mots utilisés demeurent [traduction] « la principale contrainte en cas dexamen judiciaire » et constituent « les limites externes de l’analyse téléologique » : B. J. Oliphant, « Taking purposes seriously: The purposive scope and textual bounds of interpretation under the Canadian Charter of Rights and Freedoms » (2015), 65 U.T.L.J. 239, p. 243. La Constitution « ne saurait être considérée comme un simple contenant, à même de recevoir n’importe quelle interprétation qu’on pourrait vouloir lui donner » : Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313, (« Re PSERA »), p. 394; Caron, par. 36. Fait important, dans Caron, la Cour a repris ce dernier passage et réaffirmé la « préséance [du] texte écrit de la Constitution » : par. 36; voir aussi le par. 37.

[10] Qui plus est, bien que les droits garantis par la Charte doivent être interprétés selon la méthode téléologique, pareille interprétation ne doit pas aller audelà (ni, dailleurs, rester en deçà) de lobjet véritable du droit : Poulin, par. 53 et 55; R. c. Stillman, 2019 CSC 40, [2019] 3 R.C.S. 144, par. 21 et 126; R. c. Blais, 2003 CSC 44, [2003] 2 R.C.S. 236, par. 1718 et 40; Big M Drug Mart, p. 344. Le fait de donner préséance au texte cestàdire respecter limportance qui lui est reconnue comme premier facteur à prendre en compte dans une interprétation téléologique  permet d’éviter daller audelà de lobjet du droit.[455]

[435]      Enfin, selon les juges Brown et Rowe, la préséance accordée au texte constitutionnel, premier outil de l’interprète, ne signifie pas un textualisme ou un littéralisme rigide, l’analyse devant « aussi être réalisée en tenant compte du contexte historique, des vastes objectifs de la Charte et, s’il y a lieu, du sens et de l’objet des droits connexes garantis par la Charte »[456].

[436]      À la lumière de ces principes, quel sens donner à l’art. 28 de la Charte canadienne?

c. Sens et portée de l’article 28 de la Charte canadienne

[437]      L’analyse devant commencer par l’examen du texte de l’art. 28, il n’est pas inutile de reproduire celui-ci de nouveau :

28. Indépendamment des autres dispositions de la présente charte, les droits et libertés qui y sont mentionnés sont garantis également aux personnes des deux sexes.

28. Notwithstanding anything in this Charter, the rights and freedoms referred to in it are guaranteed equally to male and female persons.

[438]      Comme on le constate, cette disposition est divisée en deux segments : une proposition principale, syntaxiquement parlant, et une proposition introductive, qui la précise. La proposition principale est la suivante : « les droits et libertés [mentionnés dans la Charte canadienne] sont garantis également aux personnes des deux sexes / the rights and freedoms referred to in [the Canadian Charter] are guaranteed equally to male and female persons ». Le sens de cette proposition paraît clair, du moins à première vue : le constituant veut s’assurer ici (et assurer aux justiciables) que les droits et libertés qu’énumère la Charte canadienne soient accordés et reconnus de la même façon aux femmes et aux hommes et leur procurent une même protection. C’est donc dire que, conformément à cette règle, les dispositions de la Charte reconnaissant un droit ou une liberté doivent être interprétées et appliquées sans distinction entre femmes et hommes. Bien entendu, l’existence d’une telle distinction doit être jaugée à l’aune du principe de l’égalité réelle – et non pas formelle. Il peut aussi exister des distinctions qui participent au rétablissement de l’égalité des sexes. De son côté, la proposition introductive « [i]ndépendamment des autres dispositions de la présente charte / [n]otwithstanding anything in this Charter » assoit la suprématie de la règle d’interprétation structurante posée par la proposition principale.

[439]      Mais examinons plus avant les différents éléments menant à cette conclusion.

2. Article 28 : texte, contexte et jurisprudence

[440]      Tout d’abord, constatons que l’art. 28 n’énonce pas comme tel le principe de l’égalité femmes-hommes, lui-même établi par l’art. 15, sous le triple rapport de l’égalité devant la loi, de l’égalité du bénéfice de la loi et de la protection égale de la loi[457], le tout sans discrimination fondée sur une liste de motifs prohibés (ou analogues), dont le sexe. Plutôt, l’art. 28 affirme que les droits et libertés mentionnés dans la Charte canadienne referred to in it ») sont « garantis également / guaranteed equally » aux personnes des deux sexes (« male and female persons »), c’est-à-dire sans distinction entre femmes et hommes. L’art. 28 se greffe ainsi aux autres dispositions de la Charte reconnaissant des droits et des libertés. Comme l’écrit de Jong, l’art. 28 « is not a general anti-discrimination provision » et son effet est limité « to the rights and freedoms set out in the document in which the provisions are contained »[458], ajoutant que « section 28 is limited to the rights referred to in the Charter »[459].

[441]      Sous ce rapport, on soulignera la parenté de l’art. 28 avec l’art. 3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l’art. 3 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qui visent eux aussi à assurer que les femmes jouissent au même titre que les hommes de tous les droits qu’énumère chacun de ces instruments :

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Les États parties au présent Pacte s'engagent à assurer le droit égal des hommes et des femmes de jouir de tous les droits civils et politiques énoncés dans le présent Pacte.

Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels

Les États parties au présent Pacte s'engagent à assurer le droit égal qu'ont l'homme et la femme au bénéfice de tous les droits économiques, sociaux et culturels qui sont énumérés dans le présent Pacte.

[442]      Cela dit, de quoi, exactement, parle la proposition principale de l’art. 28 lorsqu’elle renvoie aux droits et libertés mentionnés  rights and freedoms referred to ») dans la Charte canadienne?

[443]      De prime abord, le texte paraît clairement référer aux droits et libertés qu’énumèrent les art. 2 à 23 de la Charte. À vrai dire, la chose relève de l’évidence. En effet, à l’exception des art. 4, 5 et 18, ces dispositions usent toutes soit du terme « liberté / freedom », soit du terme « droit / right », sous les rubriques « Libertés fondamentales / Fundamental Freedoms » (art. 2), « Droits démocratiques / Democratic Rights » (art. 3), « Liberté de circulation et d’établissement / Mobility Rights » (art. 6), « Garanties juridiques / Legal Rights » (art. 7 à 14), « Droits à l’égalité / Equality Rights » (art. 15), « Langues officielles du Canada / Official Languages of Canada » (art. 16 à 22[460]) et « Droits à l’instruction dans la langue de la minorité / Minority Language Educational Rights » (art. 23). Leur texte, qu’il n’est pas utile de reproduire ici, procède expressément à la reconnaissance et à l’affirmation de chacun de ces droits et de chacune de ces libertés et, au besoin, en circonscrit la nature et les conditions.

[444]      Quant aux art. 4 et 5, il s’agit de dispositions qui ne confèrent pas à strictement parler un droit individuel, mais qui protègent plutôt un droit en quelque sorte collectif, rattaché à l’organisation même de l’État, que tout justiciable pourrait faire valoir en cas de violation alléguée. Ils préservent le régime démocratique du Canada en limitant la durée des mandats de la Chambre des Communes et des législatures et en obligeant ces dernières, tout comme le Parlement, à tenir au moins une séance par année. L’art. 18, de son côté, s’ajoute aux dispositions relatives aux langues officielles en prévoyant que les documents parlementaires du Canada et du Nouveau-Brunswick doivent être imprimés et publiés en français et en anglais. On voit mal, a priori, comment ces trois dispositions pourraient être interprétées ou appliquées d’une manière qui distinguerait les femmes des hommes, mais, quoi qu’il en soit, s’agissant d’obligations dont l’État est redevable envers l’électorat dans le cas des art. 4 et 5 et envers tous et toutes dans celui de l’art. 18, la règle énoncée par l’art. 28 doit s’y appliquer.

[445]      Selon toute logique, les « droits et libertés / rights and freedoms » dont il est question dans l’art. 28 sont donc ceux des art. 2 à 23. Cela coïncide par ailleurs avec le sens des autres dispositions dans lesquelles le constituant use d’expressions similaires référant aux droits et libertés garantis par la Charte canadienne.

[446]      Ainsi, l’art. 1 énonce que « [l]a Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés / [t]he Canadian Charter of Rights and Freedoms guarantees the rights and freedoms set out in it », ce qui renvoie certainement aux droits et libertés des art. 2 à 23 – et c’est bien à ceuxci que l’art. 1 a été appliqué depuis l’entrée en vigueur de la Charte, toute restriction à l’un ou à l’autre devant être justifiée par une règle de droit raisonnable dans une société libre et démocratique.

[447]      De même, l’art. 24 parle du recours donné à toute personne « victime de violation ou de négation des droits et libertés qui lui sont garantis par la présente charte / whose rights or freedoms, as guaranteed by this Charter, have been infringed or denied », ce qui renvoie, là aussi, aux protections offertes par les art. 2 à 23.

[448]      Les art. 25 et 26 usent de l’expression « certains droits et libertés / certain rights and freedoms », ce qui, dans le contexte, renvoie manifestement, là encore, à l’un ou l’autre des droits et libertés garantis par les art. 2 à 23. Ainsi, comme le déclare l’art. 25, le fait que « certains droits et libertés » – c’estàdire ceux des art. 2 à 23 – soient protégés par la Charte ne porte pas atteinte aux droits et libertés « ancestraux, issus de traités ou autres » des peuples autochtones (« any aboriginal, treaty or other rights or freedoms that pertain to the aboriginal peoples of Canada »). Pareillement, selon l’art. 26, le fait que « certains droits et libertés » – ceux des art. 2 à 23, nécessairement – soient protégés ne raye pas de la carte les autres droits et libertés (« any other rights or freedoms ») existant au Canada : ces autres droits et libertés survivent, qu’ils émanent de la common law, du droit civil ou d’une loi (on peut d’ailleurs penser ici à la Charte québécoise, qui garantit plusieurs droits ne figurant pas dans la Charte canadienne).

[449]      Bref, dans ce contexte, et considérant les autres dispositions de la Charte canadienne usant d’un langage semblable, l’on doit conclure que l’art. 28, lorsqu’il renvoie aux « droits et libertés qui y sont mentionnés », réfère clairement aux droits et libertés protégés par les art. 2 à 23. Ce sont ces droits et ces libertés qui sont « garantis également aux personnes des deux sexes / guaranteed equally to male and female persons » et les dispositions qui les reconnaissent et les protègent doivent être lues et appliquées en tenant compte de la règle qu’énonce la proposition principale de l’art. 28.

[450]      En somme, la proposition principale de l’art. 28 a pour objectif d’assurer l’égalité femmes-hommes dans l’interprétation et l’application des droits et libertés protégés par les art. 2 à 23 de la Charte canadienne, comme si chacune de ces dispositions comportait, en appendice, une mention de cette garantie de parité[461]. Plutôt que d’user d’une telle technique rédactionnelle, cependant, le constituant a préféré une disposition généralel’art. 28qui a le même effet que si elle avait été incorporée à chacun des art. 2 à 23. Il en découle que ces dispositions doivent en principe être interprétées sans distinction entre femmes et hommes, les droits et libertés qu’elles garantissent devant être qualitativement les mêmes, avoir la même teneur et la même portée, peu importe le sexe de la personne, dans un souci constant d’égalité réelle.

[451]      En ce sens, l’art. 28 n’a donc pas d’autonomie normative et n’ajoute pas un droit distinct à ceux que reconnaissent les art. 2 à 23 de la Charte. Plutôt, il conditionne l’interprétation – et, partant, l’application – de ces articles. Conclure autrement serait du reste faire double emploi avec l’art. 15 de la Charte, qui consacre déjà, sous divers rapports, l’égalité des individus sans distinction fondée sur divers motifs, dont le sexe.

[452]      Cette vocation interprétative de l’art. 28 est d’ailleurs confirmée par son positionnement dans la Charte canadienne, sous la rubrique « Dispositions générales / General », qui inclut les art. 25 à 31. Or, toutes ces dispositions prescrivent des règles servant à dégager – ou parfois à limiter – le sens et la portée des art. 2 à 23, comme si elles étaient incorporées à ces dispositions, et elles font office de directives à l’interprète. Il en va ainsi des art. 25, 26, 27 et 29 :

- Art. 25 et 29. Les art. 25 et 29 permettent de concilier la protection accordée aux droits et libertés prévus par la Charte canadienne avec celle des droits et libertés prévus par d’autres dispositions constitutionnelles visant elles-mêmes la sauvegarde des intérêts de certains groupes. L’art. 25 confirme que les garanties offertes par la Charte « ne porte[nt] pas atteinte aux droits ou libertés – ancestraux, issus de traités ou autres – des peuples autochtones / shall not be construed so as to abrogate or derogate from any aboriginal, treaty or other rights or freedoms that pertain to the aboriginal peoples »[462]. Il s’agit d’une « disposition interprétative, qui vise à prévenir les attaques aux droits aborigènes fondées sur d’autres motifs de la Charte »[463]. Quant à lui, l’art. 29 prévoit que les dispositions de la Charte ne portent pas atteinte aux droits et privilèges relatifs aux écoles séparées et confessionnelles, renvoyant ainsi à l’art. 93 de la LC 1867.

- Art. 26. Cette disposition fait en sorte que la Charte, par la protection qu’elle offre à certains droits et libertés (ceux des art. 2 à 23), ne soit pas interprétée comme niant ou excluant les autres droits et libertés dont les justiciables peuvent jouir en vertu de règles de droit. Ces autres droits et libertés subsistent donc.

- Art. 27. Selon les termes exprès de cette disposition, l’interprétation de la Charte, et donc des droits et libertés qui y sont consacrés, doit tenir compte du « patrimoine multiculturel des Canadiens / multicultural heritage of Canadians ».

[453]      L’art. 30 étend au territoire du Yukon ainsi qu’aux territoires du Nord-Ouest et à leurs autorités législatives les dispositions de la Charte canadienne qui visent respectivement les « provinces », les « législatures » ou les « assemblées législatives ». Cette disposition a aussi une fonction interprétative à saveur définitionnelle : partout où la Charte use des mots « province », « législature » ou « assemblée législative », on doit entendre aussi le Yukon, les territoires du Nord-Ouest et leurs institutions législatives.

[454]      Enfin, pour le cas où l’on aurait pu croire autrement, l’art. 31 précise que la Charte n’élargit pas les compétences du Parlement ou des législatures, compétences définies par la LC 1867, et il s’ensuit qu’elle ne peut pas être interprétée ou appliquée d’une manière qui aurait cet effet[464].

[455]      Bref, l’ensemble des dispositions qui entourent immédiatement l’art. 28 et sont regroupées sous la même rubrique énoncent, à un titre ou à un autre, des instructions interprétatives. Il est logique de conclure que tel est également le cas de l’art. 28, ce qui confirme le sens qu’annonce déjà son libellé, dans sa proposition principale.

[456]      Cela ne signifie cependant pas que l’art. 28 soit une disposition mineure ou sans substance : elle impose en effet aux interprètes de la Charte canadienne l’obligation de tenir compte de l’égalité (réelle) des sexes dans la détermination du sens et de la portée des art. 2 à 23 et dans leur application à une situation donnée. Sa proposition introductive (« Indépendamment des autres dispositions de la présente charte / Notwithstanding anything in this Charter »), tout aussi importante, donne même un caractère impératif à cette règle d’interprétation et assure sa primauté sur les autres règles interprétatives que contient la Charte et qui ne peuvent elles-mêmes légitimer l’introduction de distinctions femmes-hommes dans les droits et libertés garantis par les art. 2 à 23. Ainsi, les art. 25, 27 et 29, pour ne parler que d’eux, ne peuvent être employés afin de donner aux droits et libertés que protège la Charte canadienne une interprétation contraire au principe de l’égalité des sexes[465]. Le recours à ces autres règles, qu’il s’agisse de la protection des droits des peuples autochtones (art. 25) ou du respect du multiculturalisme (art. 27), par exemple, ne saurait donc justifier une dérobade au principe de l’égalité femmes-hommes. L’art. 28 enchâsse ainsi dans les art. 2 à 23 une valeur fondamentale de la société canadienne et vient en renfort de la garantie des droits et libertés énoncés par la Charte canadienne. Autrement dit, en raison de l’art. 28, l’interprète des art. 2 à 23 doit normalement reconnaître à ces dispositions une acception et une portée conformes au principe de l’égalité réelle entre femmes et hommes[466] et il ne pourrait justifier de s’en écarter en invoquant les autres règles que contient la rubrique « Dispositions générales / General » de la Charte.

[457]      Mais si l’on peut tirer ces diverses conclusions du texte et du contexte de l’art. 28, qu’en est-il de la jurisprudence relative à cette disposition?

*   *   *   *   *   *

[458]      Comme mentionné précédemment[467], la jurisprudence en la matière est fort peu abondante. La Cour suprême a rarement eu l’occasion de se pencher sur l’art. 28, auquel elle paraît toutefois avoir attribué une fonction interprétative (qu’a également reconnue la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans McIvor v. Canada (Registrar of Indian and Northern Affairs)[468]).

[459]      C’est dans l’arrêt Hess; Nguyen[469] (affaire portant sur l’interprétation de l’art. 7 de la Charte canadienne) que la Cour suprême en dit le plus long, comme en fait foi l’extrait suivant des motifs de la juge Wilson, au nom des juges majoritaires :

 Les appelants prétendent que l'art. 28 de la Charte est pertinent dans ces pourvois. L'article prévoit que les droits et libertés mentionnés dans la Charte « sont garantis également aux personnes des deux sexes ». À mon avis, cette disposition n'empêche pas le législateur de créer une infraction qui, en raison d'une réalité biologique, ne peut être commise que par l'un des deux sexes. Mais cela ne signifie pas que le législateur peut priver une personne accusée de cette infraction des droits et libertés garantis à toutes les personnes en vertu de la Charte.

 Dans le contexte de ces pourvois, je pense qu'il est clair qu'un homme a autant le droit à la protection de l'art. 7 qu'une femme. Il n'est pas loisible au gouvernement de prétendre qu'une personne ne devrait pas bénéficier de la même protection complète de la Charte en raison de son sexe. En outre, le gouvernement ne pourra justifier une violation de l'art. 7 en vertu de l'article premier de la Charte en prétendant qu'en raison de son sexe une personne ne peut bénéficier du même degré de protection que la Charte confère aux personnes de l'autre sexe, ou qu'en raison de son sexe la violation de la Charte est moins grave. La justification d'une violation d'un droit reconnu par la Charte devra se rapporter à des considérations autres que le sexe de la partie qui a établi qu'il y avait violation de l'un de ses droits reconnus par la Charte. Par exemple, dans ces pourvois, on ne pourrait chercher à justifier la violation de l'art. 7 en mentionnant le sexe de l'accusé et en affirmant que parce qu'il est un homme il n'a pas droit à la pleine protection de l'art. 7. Le gouvernement ne peut invoquer cet argument pas plus qu'il ne peut prétendre qu'une femme qui se fait avorter n'a pas droit à la pleine protection de l'art. 7 parce qu'elle est une femme.

 Évidemment, il y aura des facteurs liés au sexe dont on pourra légitimement tenir compte dans l'examen de la proportionnalité en vertu de l'article premier de la Charte. Mais ces facteurs devront se rapporter au sexe des personnes autres que l'accusé, comme le fait que la victime puisse devenir enceinte. Dans le cadre d'un tel examen, on ne pourrait tenter de justifier la violation d'un droit reconnu par la Charte en invoquant simplement que l'accusé était d'un sexe donné. Il faudrait plutôt tenir compte de considérations indépendantes du sexe de l'accusé qui pourraient être pertinentes dans une évaluation de la justification de restreindre les droits de l'accusé.[470]

[Soulignement original]

[460]      De son côté, dans sa dissidence[471], discutant du caractère discriminatoire de la disposition législative litigieuse, la juge McLachlin (elle n’était pas encore juge en chef) souligne que les hommes n’ont pas droit moins que les femmes à la protection prévue par l’art. 15 de la Charte canadienne, ajoutant qu’« [i]l faut tenir pour acquis que la Cour [dans l’arrêt Turpin[472]] avait à l'esprit l'art. 28 de la Charte, selon lequel, indépendamment des autres dispositions de la Charte, les droits et libertés qui y sont mentionnés sont garantis également aux personnes des deux sexes »[473].

[461]      Dans Seaboyer, tant la juge McLachlin, telle qu’alors, que la juge L’HeureuxDubé notent l’apport de l’art. 28 à l’interprétation du droit à une défense pleine, entière et équitable au sens de l’art. 7 ou de l’al. 11d) de la Charte canadienne[474]. Dans R. c. Osolin, qui traite du droit à un procès équitable, incluant le droit au contreinterrogatoire, le juge Cory souligne que les art. 15 et 28 « devraient être pri[s] en considération lorsqu'il s'agit d'établir les limites raisonnables à apporter au contreinterrogatoire d'un plaignant »[475] (et donc aux droits que garantissent l’art. 7 et l’al. 11d)). Dans Assoc. des femmes autochtones du Canada c. Canada[476], affaire où l’on s’interroge sur la portée de l’al. 2b) de la Charte, le juge Sopinka, au nom des juges majoritaires, ne retient pas l’argument fondé sur l’art. 28, sans écarter toutefois l’idée que cette disposition puisse servir d’appoint à l’interprétation de la liberté d’expression. Il estime cependant que le débat (qui portait sur la question de savoir si le gouvernement fédéral avait agi d’une manière conforme à la Charte canadienne en finançant directement certains organismes autochtones principalement masculins, mais non l’association appelante, aux fins d’une consultation constitutionnelle[477]) « tie[nt] davantage d’un argument fondé sur l’art. 15 de la Charte »[478].

[462]      En 1999, dans Nouveau-Brunswick (Ministre de la santé et des services communautaires) c. G. (J.)[479], revenant sur l’art. 7 de la Charte, la juge L’Heureux-Dubé (appuyée par ses collègues Gonthier et McLachlin, telle qu’alors), écrit que :

112 […] Tous les droits garantis par la Charte se renforcent et s’appuient mutuellement (voir, par exemple, R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309, à la p. 326; R. c. Tran, [1994] 2 R.C.S. 951, à la p. 976), et l’art. 15 joue un rôle particulièrement important dans ce processus. Le prisme interprétatif que constitue la garantie d’égalité doit donc guider l’interprétation des autres droits garantis par la Constitution, s’il y a lieu, et j’estime que les principes d’égalité, garantis tant par l’art. 15 que par l’art. 28, influencent l’interprétation de la portée de la protection offerte par l’art. 7.

[…]

115 […] Les droits garantis par l’art. 7 doivent être interprétés à travers le prisme des art. 15 et 28 afin que l’importance d’une interprétation de la Constitution qui tienne compte des réalités et des besoins de tous les membres de la société soit reconnue.

[463]      Enfin, dans R. c. Kapp[480], le juge Bastarache, dans des motifs concourants, mentionne l’art. 28, mais d’une manière qui n’ajoute rien au débat dont nous sommes saisis.

[464]      On notera que dans aucun de ces arrêts l’art. 28 n’est présenté comme le fer de lance de l’argumentation ni ne fait l’objet d’un développement poussé, et ce, même dans l’arrêt Hess; Nguyen, où la juge Wilson en dit davantage. Il se dégage néanmoins de cet ensemble que le rôle de la disposition est celui d’une consigne interprétative.

*   *   *   *   *   *

[465]      Au terme de cet examen textuel, contextuel et jurisprudentiel de l’art. 28, on doit se rallier à l’idée que cette disposition « vient donner à l’égalité des sexes une sorte d’omniprésence, en ce sens que l’interprétation des autres droits de la Charte doit en tenir compte »[481]. L’art. 28 ne paraît donc pas une disposition garantissant un droit autonome qui s’ajouterait aux autres droits que consacre la Charte : il s’agit plutôt d’une disposition complémentaire, s’arrimant aux art. 2 à 23 de la Charte canadienne[482].

[466]      Parler de l’art. 28 comme d’une disposition complémentaire n’est pas nier ou minimiser son importance. Le Trésor de la langue française définit le « complément » comme l’« [é]lément nécessaire devant être intégré à un ensemble pour former un tout complet, de manière que rien d'essentiel ou d'utile ne lui manque »[483]. Reconnaître que le principe d’égalité entre femmes et hommes encadre l’interprétation des art. 2 à 23 de la Charte canadienne, donnant à l’art. 28 la force d’une « injonction interprétative », est une affirmation qui fait en sorte que rien d’essentiel ne manque aux droits et aux libertés qui y sont consacrés.

[467]      Cela étant, s’il peut servir d’outil interprétatif aux fins des art. 2 à 23 de la Charte canadienne, l’art. 28 est-il susceptible d’avoir un impact semblable sur l’art. 1 de celleci et sur la manière dont on doit entendre et appliquer cette disposition? La réponse à cette question est affirmative, mais non sans nuance. Voyons ce qu’il en est.

i.                    Articles 28 et 1 de la Charte canadienne

[468]      Même si la Cour n’a pas à trancher la question de l’application de l’art. 28 à l’art. 1 de la Charte canadienne, puisqu’elle n’est pas en litige dans le présent dossier, quelques observations sur le sujet ne sont pas superflues dans la mesure où elles confirment la vocation interprétative de l’art. 28 et sont utiles aux fins de déterminer comment concilier cette disposition et l’art. 33 de la Charte.

[469]      L’art. 1, on le sait, peut, à certaines conditions, justifier la restriction de l’un ou l’autre des droits et libertés consacrés par la Charte canadienne, y compris en matière d’égalité (c.-à-d. lorsque sont en cause les droits protégés par l’art. 15)[484]. Cette affirmation générale n’est pas moins vraie en matière d’égalité femmes-hommes, comme l’illustrent les arrêts Centrale des syndicats du Québec c. Québec (Procureure générale)[485], Québec (Procureur général) c. A[486] et Terre-Neuve (Conseil du Trésor) c. N.A.P.E.[487].

[470]      Dans ces trois affaires, qui ne mentionnent pas l’art. 28 (ce n’est pas anodin), l’on conclut en effet que des dispositions législatives contrevenant de prime abord au par. 15(1) de la Charte canadienne par l’établissement d’une distinction fondée sur le sexe et préjudiciable aux femmes sont néanmoins raisonnables et justifiées dans une société libre et démocratique au sens de l’article premier. On peut en inférer qu’à lui seul, l’art. 28 ne peut empêcher un tribunal, appliquant le test de l’arrêt Oakes, de statuer qu’une telle restriction est raisonnable dans une société libre et démocratique. Ainsi, lorsqu’une disposition législative enfreignant a priori le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne est sauvegardée par l’effet de l’article premier, on ne voit pas comment elle pourrait néanmoins être contraire à l’art. 28.

[471]      Ce n’est pas dire pour autant que l’art. 28 n’a rien à voir avec l’art. 1 de la Charte. L’on pourrait à cet égard lui accorder le traitement que l’arrêt R. c. Keegstra réserve à l’art. 27 de la Charte, celui d’un élément qui doit, « autant que possible »[488], faire partie de l’analyse à laquelle procèdent les tribunaux en vertu de l’art. 1. Ainsi que l’écrit en effet le juge en chef Dickson dans cet arrêt :

Notre Cour a, autant que possible, tenu compte de l'art. 27 et de sa reconnaissance que le Canada est une société multiculturelle où la diversité et la richesse de divers groupes culturels sont à protéger et à valoriser. L'article 27 a donc été invoqué dans plusieurs arrêts de notre Cour pour faciliter soit l'interprétation de la définition de droits et libertés garantis par la Charte (voir, par exemple, Big M Drug Mart, précité, le juge Dickson, aux pp. 337 et 338; Edwards Books, précité, le juge en chef Dickson, à la p. 758; et Andrews c. Law Society of British Columbia, précité, le juge McIntyre, à la p. 171) soit l'analyse fondée sur l'article premier (voir, par exemple, Edwards Books, le juge La Forest, à la p. 804, et le juge Wilson, à la p. 809).[489]

[Soulignements ajoutés]

[472]      L’on peut vraisemblablement transposer le propos à l’art. 28[490] et dire de celui-ci qu’il « facilit[e] soit l'interprétation de la définition de droits et libertés garantis par la Charte […] soit l'analyse fondée sur l'article premier »[491] et qu’il sert donc, dans ce dernier cas comme dans le premier, d’outil interprétatif.

[473]      Bref, l’on a affaire en l’art. 28 à une directive d’interprétation qui devrait imprégner la manière dont les tribunaux appliquent l’art. 1, et ce, « autant que possible »[492].

[474]      Vu le libellé de l’art. 28 (et tout particulièrement celui de sa proposition introductive), on aurait pu penser, par ailleurs, que le niveau de justification requis aux fins de l’art. 1, lorsqu’il est question d’une restriction à l’égalité réelle femmes-hommes, doit être élevé, comme il l’est, par exemple, dans le cas d’une atteinte à l’art. 7 de la Charte canadienne. Ce n’est toutefois pas ce qui ressort des quelques arrêts mentionnés plus haut, qui valident en vertu de l’art. 1 des règles législatives restreignant l’égalité femmes-hommes, et ce, sans apparemment élever le standard habituel[493].

ii.                  Articles 28 et 33 de la Charte canadienne

[475]      Qu’en est-il maintenant des effets, s’il en est, de l’art. 28 sur l’art. 33 de la Charte canadienne, ou inversement? Les parties opposées à la Loi, on l’a vu[494], sont d’avis que, l’art. 28 opérant « [i]ndépendamment des autres dispositions de la présente charte / [n]otwithstanding anything in this Charter », l’art. 33 lui serait subordonné et ne pourrait autoriser une dérogation au principe de l’égalité femmeshommes. Selon elles, pas plus qu’on ne peut interpréter les droits que consacrent les art. 2, 7, 10 ou 23, pour ne prendre que ces exemples, d’une manière distinguant les femmes et les hommes, on ne pourrait interpréter ou appliquer l’art. 33 de cette façon. L’art. 28 aurait ainsi deux retombées sur l’art. 33 : (1) il mettrait le principe de l’égalité des sexes à l’abri de toute dérogation, même si (comme c’est en l’espèce le cas), la loi en cause était généralement soustraite à l’application de l’art. 15, ou encore (2) il empêcherait que le législateur emploie l’art. 33 d’une manière qui, par son objet ou son effet, n’est elle-même pas conforme au principe de l’égalité femmes-hommes.

[476]      On se rappellera que la proposition n’a pas été retenue par le juge de première instance, qui a donné raison au PGQ sur ce point et conclu de la façon suivante :

[875] Avec égard, dans la mesure où le législateur québécois décide de se prévaloir de la clause dérogatoire, prévue à l’article 33 de la Charte, il se trouve ainsi à suspendre le recours aux droits et libertés qu’il vise par cette utilisation. Ainsi, il ne subsiste plus de droits ou de libertés à garantir également aux personnes des deux sexes comme le prévoit l’article 28. Le fait que celui-ci ne se voit pas soumis à la clause dérogatoire ne change rien à cette réalité juridique.[495]

[477]      La Cour partage ce point de vue : l’art. 28 ne restreint pas l’art. 33, qui peut être employé pour soustraire une loi à l’art. 15 de la Charte canadienne, y compris en matière d’égalité femmes-hommes.

[478]      Le texte de l’art. 28 se prête difficilement à une autre lecture. Peuton, en effet, inclure l’art. 33 dans la liste des droits et libertés que vise l’art. 28 de la Charte, c’estàdire les « droits et libertés qui y sont mentionnés / the rights and freedoms referred to in it »? Sauf à lire dans le texte de l’art. 28 des mots qui n’y figurent pas, il n’est pas possible d’étendre la portée de ces termes à l’art. 33, disposition qui ne confère ni ne consacre de droit ou de liberté. Au contraire, elle permet au législateur de déroger (quoique temporairement) à certains des droits et libertés autrement reconnus par la Charte, avec les effets que l’on a examinés précédemment. Il n’est donc pas possible de trouver dans le texte de l’art. 33 la garantie d’un droit ou d’une liberté (si ce n’est la garantie que les conditions d’utilisation de cette disposition seront respectées, ce que le justiciable peut exiger). L’art. 33 est destiné à permettre une dérogation à certains droits et libertés, c’està-dire ceux des art. 2 et 7 à 15, qui ne pourront plus être invoqués par les personnes visées ou affectées par cette dérogation.

[479]      La proposition introductive de l’art. 28 n’y change rien, puisqu’elle ne saurait garantir une primauté à une garantie – celle de l’égalité femmes-hommes – intimement associée à des dispositions de la Charte – les art. 2 ou 7 à 15 – qui, en raison de l’usage de l’art. 33, sont privées d’effet.

[480]      Sans doute les circonstances de l’introduction des art. 28 et 33 dans la Charte canadienne et leur historique rédactionnel peuvent-ils donner l’impression d’une certaine plausibilité à l’hypothèse d’une suprématie de l’art. 28 sur l’art. 33, ainsi que l’a noté le juge de première instance[496] et que le plaident encore les parties opposées à la Loi. Pour les raisons qui suivent, l’impression se dissipe toutefois à l’analyse et l’argument, en définitive, ne convainc pas.

[481]      On sait ainsi que l’art. 28, qui ne faisait pas partie du projet de Charte initial, y fut ajouté en avril 1981, à la suite d’une proposition d’amendement du Nouveau Parti démocratique, relayant lui-même la demande de plusieurs groupes de femmes. Le texte de cette proposition était identique à celui de l’actuel art. 28. Parallèlement, on sait aussi que, à l’automne 1981, le projet de réforme constitutionnelle est en péril, ou du moins fragile : la Cour suprême du Canada, le 28 septembre 1981, prononce son arrêt dans le Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution[497], à la suite duquel le gouvernement fédéral convoque une conférence constitutionnelle fédérale-provinciale afin de promouvoir la réforme, y compris au chapitre de la Charte canadienne. Ce sont ces discussions qui donnent lieu à l’introduction de l’art. 33 dans cette dernière, fruit d’un compromis politique important et décisif[498].

[482]      La question de savoir comment conjuguer les art. 28 (qui pose le principe de l’égalité femmes-hommes) et 33 (qui permet de déroger notamment à l’art. 15, lequel prohibe la discrimination fondée sur le sexe) trouve une première réponse dans la résolution qui sera présentée à la Chambre des communes le 30 novembre 1981 (« Resolution Respecting Constitution Act, 1981 »), qui propose les textes suivants :

28. Indépendamment des autres dispositions de la présente charte, exception faite de l’article 33, les droits et libertés qui y sont mentionnés sont garantis également aux personnes des deux sexes.

28. Notwithstanding anything in this Charter except section 33, the rights and freedoms referred to in it are guaranteed equally to male and female persons.

33. (1) Le Parlement ou la législature d’une province peut adopter une loi où il est expressément déclaré que celle-ci ou une de ses dispositions a effet indépendamment d’une disposition donnée de l’article 2 ou des articles 7 à 15 de la présente charte, ou de l’article 28 de cette charte dans son application à la discrimination fondée sur le sexe et mentionnée à l’article 15.

[…]

33. (1) Parliament or the legislature of a province may expressly declare in an Act of Parliament or of the legislature, as the case may be, that the Act or a provision thereof shall operate notwithstanding a provision included in section 2 or sections 7 to 15 of this Charter, or section 28 of this Charter in its application to discrimination based on sex referred to in section 15.

[…]

[Soulignements ajoutés]

[483]      Le jour même, le chef du Parti progressiste-conservateur, M. Joe Clark, propose d’amender ces dispositions de manière à ce qu’elles énoncent plutôt ce qui suit (et qui correspond à leur texte actuel) :

28. Indépendamment des autres dispositions de la présente charte, les droits et libertés qui y sont mentionnés sont garantis également aux personnes des deux sexes.

28. Notwithstanding anything in this Charter, the rights and freedoms referred to in it are guaranteed equally to male and female persons.

33. (1) Le Parlement ou la législature d’une province peut adopter une loi où il est expressément déclaré que celle-ci ou une de ses dispositions a effet indépendamment d’une disposition donnée de l’article 2 ou des articles 7 à 15 de la présente charte.

[…]

33. (1) Parliament or the legislature of a province may expressly declare in an Act of Parliament or of the legislature, as the case may be, that the Act or a provision thereof shall operate notwithstanding a provision included in section 2 or sections 7 to 15 of this Charter.

[…]

[484]      Il s’explique ainsi de cette motion :

I want to deal with the substance of what we are proposing. The substance of our amendment guarantees that men and women will have equal access to the rights and freedoms set out in the Charter of Rights and Freedoms proposed in this resolution. Some of those rights and freedoms will already be limited by the application of Section 33. However, where they exist they will exist absolutely equally for women and for men. That is the purpose of the amendment I am introducing, seconded by my colleague, the hon. member for Kingston and the Islands. That is an amendment which I hope will commend itself to this whole House, so that this whole House can go on record as supporting the guarantee of equal treatment of male and female persons in Canada.

[…]

What that does is remove the non obstante clause from Section 28. It restores the guarantee of equality of male and female persons to the position enjoyed when the accord was tabled in this House of Commons by the Prime Minister of Canada after his meeting with the first ministers.[499]

[Soulignement ajouté]

[485]      On trouve là un vigoureux plaidoyer en faveur de l’égalité femmes-hommes, mais qui semble néanmoins reconnaître que l’art. 28 s’appliquera seulement là où le législateur n’aura pas limité certains droits et libertés, c’est-à-dire n’y aura pas dérogé. À tout le moins une ambiguïté plane-t-elle sur le propos, que les débats ultérieurs ne permettent pas de dissiper, chacun paraissant comprendre la modification proposée à sa manière. Certes, personne ne remet en cause l’importance du principe de l’égalité femmes-hommes, mais il ne paraît pas que l’on ait été conscient de la difficulté interprétative engendrée par la coexistence et la nécessaire conjugaison des art. 15 et 28 (au chapitre de la discrimination fondée sur le sexe) et de l’art. 33 de la Charte.

[486]      Quoi qu’il en soit des perceptions et opinions des parlementaires (ou de celles des premiers ministres provinciaux ayant participé à l’entente de novembre 1981 ou des députés de leurs législatures respectives), il appert qu’une partie de la doctrine, apparemment sur la foi de cet historique rédactionnel, s’est ralliée au point de vue selon lequel l’art. 33 ne permettrait pas de déroger au principe de l’égalité des sexes et donc, de déroger à cet égard au par. 15(1) de la Charte canadienne.

[487]      Ainsi, Brun, Tremblay et Brouillet écrivent que, grâce à l’art. 28, « l’article 33, qui prévoit la possibilité de déroger expressément aux droits, ne pourrait s’appliquer à la discrimination en raison du sexe que prohibe le paragraphe 15(1) […] »[500]. Est-ce à dire que l’art. 33, quoiqu’il permette de déroger généralement à l’art. 15, ne pourrait être validement employé dans le cas d’une loi imposant un traitement discriminatoire aux femmes? Il semble bien que ce soit là leur avis.

[488]      Hogg et Wright soutiennent pour leur part, assez laconiquement d’ailleurs, que « the power of legislative override (under s. 33) applies to s. 15, but not to s. 28 »[501]. Ils fondent expressément cette affirmation sur l’historique rédactionnel de l’art. 28[502].

[489]      Froc, dans un texte particulièrement fouillé, conclut elle aussi que l’art. 28 est à l’abri de l’art. 33, notamment par l’effet de sa proposition introductive : lorsque l’art. 28 énonce qu’il s’applique « [i]ndépendamment des autres dispositions de la présente charte », les autres dispositions auxquelles il renvoie incluent nécessairement l’art. 33[503].

[490]      De Jong est d’opinion que le législateur peut déroger à l’une ou l’autre des dispositions que mentionne l’art. 33 et « deny their benefit to specified classes of people, but those classes cannot be gender-based. Whatever rights exist under the override must be guaranteed equally to men and women, because section 28 is not subject to the override power »[504]. Elle ajoute que :

The interaction between section 28 and section 33 is most confusing when the only right overridden is the right under section 15(1) to equality without discrimination on the basis of sex. The right to equality without discrimination based on sex must be guaranteed equally to both male and female persons. What does this mean? It may mean that the section 15(1) guarantees cannot be overridden insofar as they relate to discrimination based on sex.[505]

[Soulignement ajouté]

[491]      Elle donne l’exemple d’une loi (fictive) contenant une disposition comme celle-ci, en violation, à première vue, des art. 8 et 9 de la Charte canadienne :

The police have the power to detain and search all members of the female sex who, unaccompanied by a member of the male sex, are present on a public sidewalk, street, or thoroughfare between 12 a.m. and 5. a.m.[506]

[492]      Même si le législateur, conformément à l’art. 33, dotait sa loi d’une disposition dérogeant aux art. 8 et 9, cette dérogation, selon de Jong, serait neutralisée par l’art. 28 :

In the above example, only females are subject to the unreasonable searches and arbitrary detentions. This clearly infringes the rights contained in sections 8 and 9 as guaranteed by section 28. Under section 24(1) “anyone whose rights… as guaranteed by this Charter have been infringed… may apply to a court… to obtain such remedy as the court considers just and appropriate…” Individuals can therefore challenge a law even when it is enacted under the override provision, if the principle contained in section 28 is violated. In such cases, the override cannot preclude judicial review.

The result should be the same whether or not the courts find this law to be in violation of section 15(1). […] Section 28 can still apply with the same results as were described above, regardless of whether the guarantees in section 15(1) have been violated. The point is that no matter what standard of equality the court wants to use under section 15, when another right guaranteed by the Charter is implicated, the court has no choice but to apply the prohibition standard of section 28.[507]

[493]      On peut cependant rétorquer à cet argument que, en présence d’une disposition dérogatoire conforme à l’art. 33 dans cette loi hypothétique, il n’y aurait plus de « rights contained in sections 8 and 9 as guaranteed by section 28 ». Plus exactement, ces droits, tels que garantis par l’art. 28, seraient sans effet. Tous les droits et libertés mentionnés dans les art. 2 à 23 de la Charte canadienne sont sujets à la garantie d’égalité prescrite par l’art. 28, garantie qui s’attache à chacun d’eux et qui en fait partie intégrante. Toutefois, lorsque, par l’usage de l’art. 33, certaines de ces dispositions (les art. 8 et 9 dans la situation évoquée par de Jong) sont neutralisées, les droits et libertés en cause le sont également, y compris sous le rapport de la garantie d’égalité qui y est inhérente.

[494]      De son côté, la jurisprudence sur la question de savoir si l’art. 33 permet au législateur de déroger à l’art. 28 (ou au par. 15(1), s’il s’agit d’une inégalité fondée sur le sexe) est mince et consiste principalement en deux jugements : celui de la Nova Scotia Supreme Court, Appeal Division, en 1984, dans Re Boudreau and Lynch[508], et l’autre de la Cour supérieure du Québec, en 2004, dans Syndicat de la fonction publique du Québec inc. c. Procureur général du Québec[509].

[495]      L’affaire Boudreau porte sur une disposition législative instaurant une distinction entre hommes et femmes et limitant aux seuls pères affectés d’un handicap le droit d’obtenir une assistance financière gouvernementale, alors que toutes les mères, sans égard à l’existence d’un handicap, peuvent la recevoir. L’art. 15 de la Charte canadienne n’étant cependant pas encore en vigueur, l’appelant s’appuie sur l’art. 28 pour alléguer le caractère discriminatoire de la disposition contestée. Rejetant l’argument de l’appelant, le juge Hart, au nom de la Cour, écrit accessoirement que :

In my opinion Mr. Justice Burchell and Chief Justice Glube were correct in their interpretation of the Charter, and it is therefore unnecessary to consider these other issues at the present time. Section 28 of the Charter was not intended to eliminate the probationary period of three years during which Parliament and the provincial legislatures could determine their course of action under the new Constitution. It was simply intended to prevent any continuation of sexual discrimination by affirmative legislative action once the full Charter had come into force. By doing so the legislators have treated sexual discrimination as the most odious form of discrimination and taken away from legislative bodies the right to perpetrate it in the future. Other types of discrimination may without reasons being given be carried on under the legislative override provisions of s. 33.

As authority for this conclusion I would suggest that s. 28 is a general provision of the legislation whereas s. 32(2) specifically deals with the postponement of the coming into effect of s. 15. The provisions of this specific provision of the Charter must govern and it is only after the three-year period expires in April of 1985, that restriction of s. 28 will apply to render unconstitutional the type of sexual discrimination contemplated by s. 15 of the Charter.[510]

[Soulignements ajoutés]

[496]      En toute déférence, la remarque soulignée ci-dessus, qui relève de l’affirmation plutôt que de la démonstration, est fort sommaire et elle constitue un obiter, puisque le législateur n’avait pas recouru à l’art. 33 de la Charte canadienne dans cette affaire. On croit en comprendre que, grâce à l’art. 28, l’art. 33 ne pourrait être employé afin de déroger au par. 15(1) de la Charte et de sauvegarder ainsi une disposition législative discriminatoire sur la base du sexe. Le législateur pourrait donc déroger au droit à l’égalité s’il s’agit d’une distinction fondée sur l’origine ethnique, la couleur ou le handicap, pour ne renvoyer qu’à ces exemples, mais pas dans le cas du sexe. L’affirmation – nous y reviendrons – peut surprendre (et d’autant que, du même souffle, le juge Hart reconnaît que l’art. 28 ne peut être invoqué ou avoir d’effet avant l’entrée en vigueur de l’art. 15, ce qui montre bien que l’art. 28 n’a aucune portée autonome et ne garantit pas un droit à l’égalité en tant que tel).

[497]      Dans Syndicat de la fonction publique du Québec inc.[511], la Cour supérieure, sous la plume de la juge Carole Julien, s’intéresse également à l’art. 28. Se soulève dans cette affaire la question de savoir si le chapitre IX de la Loi sur l’équité salariale[512] est invalide parce qu’il enfreint (notamment) l’art. 15 de la Charte canadienne. Les parties demanderesses soutenaient en effet que ce chapitre IX établissait un régime discriminatoire à l’endroit des femmes visées par les programmes d’équité salariale mis en place ou complétés par les employeurs avant l’entrée en vigueur de la Loi sur l’équité salariale, le 21 novembre 1996. La juge se penche dans ce cadre sur le sens et l’effet de l’art. 28 de la Charte canadienne. Après avoir examiné la disposition elle-même, les circonstances de son insertion dans la Charte, la doctrine ainsi que l’arrêt Boudreau mentionné cidessus, la juge conclut que « l’opinion dominante est favorable à la primauté de larticle 28 sur l’article 33 » (par. 1429), ajoutant que :

[1430] Cet aspect est intéressant. Si le législateur ne peut, même expressément par le recours à l’article 33, écarter par une loi le principe du droit à l’égalité entre les sexes, encore moins peut-il le faire indirectement et implicitement par l’effet d’une loi. Ce sera particulièrement le cas lorsque cette loi vise expressément le contraire, c’est-à-dire la mise en œuvre du droit à l’égalité entre les sexes.

[Soulignement ajouté]

[498]      Là encore, cependant, cette conclusion relève de l’obiter, puisque le législateur n’avait pas, en l’occurrence, usé de l’art. 33 (pas plus d’ailleurs qu’il n’invoquait l’art. 1[513]). Le reste de l’analyse de la validité des dispositions législatives en cause repose essentiellement sur l’art. 15, encore que la juge souligne que, vu l’art. 28, « [l]e Tribunal doit être particulièrement exigeant lorsqu’il s’agit d’évaluer la validité d’une loi qui, par ses effets, porte atteinte à l’égalité entre les sexes »[514] (affirmation qui d’ailleurs, soulignonsle, est tout à fait compatible avec l’idée que l’art. 28 énonce une règle d’interprétation).

[499]      La préséance de l’art. 28 sur l’art. 33 ou l’impossibilité pour le législateur d’user de ce dernier pour mettre une loi discriminatoire sur la base du sexe à l’abri des art. 2 et 7 à 15 de la Charte canadienne (en particulier du par. 15(1)) et à l’abri du contrôle judiciaire qui s’ensuivrait autrement ne fait cependant pas l’unanimité. Elle soulève en effet une difficulté logique importante, à laquelle nous avons déjà fait allusion, et qu’invoque d’ailleurs le PGQ en l’espèce. Si un législateur, se fondant sur le par. 33(1) de la Charte, soustrait une loi aux art. 2 ou 7 à 15, la loi s’appliquant alors « sauf / but for » ces dispositions, c’est-à-dire sans elles, comme si elles n’existaient pas, conformément au par. 33(2), à quoi rattacher alors l’art. 28 qui, autrement, régirait l’application de ces dispositions? Voici comment Strauss décrit le problème :

Yet it can be argued that, if section 28 guarantees “the rights and freedoms referred to in [the Charter],” there can be equal exercise of those rights as between genders only to the extent that they are capable of being exercised. If section 2 and sections 7-15 are overridden by legislation, do the rights and freedoms contained therein continue to exist for the purposes of section 28's application? If not, then it may be the case that section 28 no longer has any rights or freedoms to guarantee. As a result, section 28 is subordinated to section 33(1), despite the clear efforts made during its drafting to prevent section 33(1)'s primacy. This argument was considered and articulated by William Pentney, but he did not take a position on the issue himself. However, he did state that there does not appear to be any allowance in section 33(1) for limits on its application. It is the position adopted by the trial judge in Hak QCCS and the reason why the section 28 argument failed in that case.[515]

[Renvois omis]

[500]      Il est vrai que Strauss ne s’arrête pas là et qu’elle suggère de résoudre de la manière suivante ce qu’elle qualifie de « vexing logical problem » :

[…] Section 33(1) may not be amenable to the limitation of its application, but section 28 is even less so. Both provisions use the same word  notwithstanding  but it is only section 28 that states: Notwithstanding anything in this Charter. This leads to the primacy of section 28 over section 33(1).

[…]

In order to address the logical difficulties with how the two intersect, I would suggest the following: section 33(1) can be invoked to limit the rights and freedoms in section 2 and in sections 7-15. The application of section 28, however, operates to retroactively neutralize section 33(1)'s application to section 2 and sections 715 to the extent that the impugned government action, or the methods and concepts employed in the analysis, has a disproportionately gendered effect.[516]

[Renvoi omis]

[501]      Quant à William Pentney, il formule le problème dans les termes suivants, sans toutefois proposer de réponse ferme :

Les relations entre l'article 28 et les articles premier et 33 constituent une question plus difficile. L'article 28 s'ouvre sur les mots « indépendamment des autres dispositions de la présente Charte ». Plusieurs auteurs se sont appuyés sur ces mots pour soutenir que l'article 28 ne peut être restreint dans les limites prévues à l'article premier, ni écarté conformément à l'article 33. L'histoire législative de l'article 28 conforte cette analyse à l'égard de l'article 33, puisqu'au cours des négociations politiques qui ont précédé son adoption, une référence expresse à l'article 33 qui aurait soumis l'article 28 à la clause dérogatoire a été insérée, puis retirée à la suite d'une tempête de protestations. Cette histoire, jointe au fait que l'article 33 autorise une négation temporaire des garanties de la Charte plutôt qu'une simple restriction apportée à leur jouissance, accrédite la thèse selon laquelle l'article 33 n'a pas préséance sur l'article 28.

Le contraire pourrait être soutenu en se fondant sur l'idée que la référence de l'article 28 aux « droits et libertés garantis par la Charte » indique qu'il ne doit y avoir jouissance égale de ces droits que dans la mesure où il est possible d'en jouir. Certains de ces droits (articles 2 et 7 à 15) peuvent être écartés par voie législative et sont donc « garantis » d'une façon précaire en permanence et c'est à quoi se réfère l'article 28. De ce point de vue, l'article 28 serait subordonné à l'article 33, malgré les efforts faits, pendant sa rédaction, pour empêcher cette possibilité. La phrase introductive n'aurait ainsi d'importance qu'à l'égard de l'article premier.

Quelle serait la conséquence pratique de la subordination de l'article 28 à l'article 33? Puisque l'article 28 n'est qu'une disposition interprétative, l'article 33 ne pourrait être invoqué pour en suspendre directement l'opération. L'article 33 serait plutôt utilisé pour écarter une autre disposition de la Charte (par exemple l'article 15) et l'article 28 n'aurait alors aucun rôle interprétatif à jouer à l'égard du droit écarté dans les circonstances. Si l'article 28 n'est pas subordonné à l'article 33, il pourrait présumément être appliqué pour interpréter le droit ou la liberté en cause, mais pour que cette application ait une signification, il faudrait qu'elle aboutisse à suspendre ou empêcher la dérogation à l'égard de l'égalité des sexes. Le texte de l'article 33 ne semble pas admettre une telle limitation, mais comme l'indiquent les arguments examinés la question n'est pas tranchée.[517]

[Renvois omis; soulignements ajoutés]

[502]      De l’avis de la Cour, l’argument logique doit l’emporter et ne permet pas de conclure que l’art. 28 limite l’art. 33 et empêche son utilisation lorsqu’il s’agit de déroger aux art. 2 ou 7 à 15 dans leur composante « égalité des sexes ». En effet, on ne peut pas en même temps reconnaître que l’art. 33 permet de déroger aux art. 2 et 7 à 15 et affirmer que l’art. 28 neutralise cette dérogation lorsqu’elle a pour effet d’établir une distinction femmes-hommes ou lorsqu’elle a un effet préjudiciable disproportionné sur les femmes (par rapport aux hommes) ou sur les hommes (par rapport aux femmes). Ce ne serait pas là résoudre le « vexing logical problem » signalé par Strauss, mais le perpétuer. Conclure ainsi serait de toute façon incompatible avec le texte de l’art. 33, qui permet une dérogation sans réserve.

[503]      Par ailleurs, une telle conclusion créerait une incohérence entre l’effet accordé à l’art. 28 lorsque l’art. 33 est en cause et l’effet qu’on lui reconnaît dans le cadre de l’application de l’art. 1. Comme on l’a vu plus tôt, même lorsqu’elle est fondée sur le sexe, une atteinte apparente au principe d’égalité consacré par le par. 15(1) de la Charte peut être validée au terme d’une démonstration conforme à l’article premier[518]. L’art. 28 doit sans doute être considéré dans le cours de cette démonstration, s’agissant d’un principe d’interprétation général, mais il ne peut constituer un obstacle à la reconnaissance de la validité d’une limite à l’égalité femmes-hommes lorsque cette limite répond aux conditions de l’art. 1 de la Charte, telles qu’élaborées par la jurisprudence. Or, l’art. 33 permet une mesure plus draconienne encore que celle de l’art. 1, c’est-à-dire une dérogation dont la déclaration et la mise en œuvre ne requièrent aucune justification particulière et qui n’obéit qu’à des exigences de forme assez légères. Que l’art. 28 puisse, dans le cas de l’égalité des femmes et des hommes, supplanter une dérogation prise en vertu de l’art. 33 alors qu’il ne peut pas empêcher la validation d’une restriction en vertu de l’art. 1 entraîne une insoluble contradiction. Affirmer que l’art. 28 prime sur l’art. 33, soit en privant le législateur de la possibilité de déroger au principe de l’égalité femmes-hommes, soit en neutralisant une telle dérogation, n’est pas conforme à la lettre ni à l’esprit, d’ailleurs, de ces dispositions ni, plus généralement, à l’architecture de la Charte.

[504]      Finalement, la lecture que les parties opposées à la Loi font de l’art. 28 a l’effet d’octroyer une primauté, une supériorité de valeur au principe de l’égalité entre femmes et hommes : l’art. 33 ne permettrait d’aucune façon de déroger de manière discriminatoire aux art. 2 et 7 à 15 ou de soustraire à ces dispositions une loi traitant femmes et hommes de manière différente, mais ne l’empêcherait pas d’agir ainsi lorsque sont en cause d’autres motifs de distinction prohibés, à savoir la race, l’origine ethnique ou nationale, la couleur ou les déficiences physiques ou mentales (ou autres motifs analogues). Or, rien dans la Charte canadienne elle-même, son texte, son contexte ou son historique ne justifie une telle lecture, et pas même l’art. 28.

iii.                Récapitulatif

[505]      En somme, et pour conclure, l’art. 28 a une vocation interprétative et fait partie des éléments qui doivent être considérés lorsque les tribunaux se penchent sur le sens, la portée et l’application des art. 2 à 23. L’art. 28 se trouve ainsi intégré implicitement dans chacun des art. 2 à 23, comme s’il constituait un alinéa ou un paragraphe s’ajoutant à toutes ces dispositions. Or, dans la mesure où l’art. 33 permet expressément au législateur de déroger aux art. 2 et 7 à 15, il se trouve à permettre d’y déroger également sous ce rapport. Le par. 33(1) ne comporte en effet aucune limite à cet égard. Autrement dit, une fois que les droits garantis par les art. 2 et 7 à 15 de la Charte canadienne ne le sont plus en raison de la dérogation prise en vertu de l’art. 33, l’art. 28, privé d’assise, ne peut y suppléer en ce qui concerne l’égalité des sexes.

[506]      En l’occurrence, l’art. 28 ne peut donc faire obstacle à la pleine application de l’art. 34 de la Loi, disposition qui, conformément à l’art. 33 de la Charte canadienne, déroge validement, comme on l’a vu plus haut, aux art. 2 et 7 à 15.

3. Article 50.1 de la Charte québécoise

[507]      L’art. 50.1 de la Charte québécoise, dont le texte a été reproduit plus haut[519], prévoit lui aussi que les droits et libertés sont garantis également aux femmes et aux hommes. Quel effet cette disposition atelle, le cas échéant, sur l’art. 52 in fine de la Charte québécoise (pendant de l’art. 33 de la Charte canadienne) et sur l’art. 33 de la Loi (disposition dérogeant aux art. 1 à 38 de la Charte québécoise)?

[508]      L’art. 50.1 est situé dans le chapitre V (« Dispositions spéciales et interprétatives / Special and Interpretative Provisions ») de la Partie I (« Les droits et libertés de la personne / Human Rights and Freedoms ») de la Charte québécoise, à laquelle il fut intégré en 2008[520]. Comme l’indique son placement dans ce chapitre, l’art. 50.1, à l’instar de l’art. 28 de la Charte canadienne, a une vocation interprétative. On l’y retrouve en effet entre deux dispositions, les art. 50 et 51, qui ont clairement (et textuellement) cette fonction :

50. La Charte doit être interprétée de manière à ne pas supprimer ou restreindre la jouissance ou l’exercice d’un droit ou d’une liberté de la personne qui n’y est pas inscrit.

Elle doit également être interprétée de manière à ne pas supprimer ou restreindre la jouissance ou l’exercice d’un droit visant à protéger la langue française conféré par la Charte de la langue française (chapitre C-11).

50. The Charter shall not be so interpreted as to suppress or limit the enjoyment or exercise of any human right or freedom not enumerated herein.

Moreover, the Charter shall not be so interpreted as to suppress or limit the enjoyment or exercise of any right intended to protect the French language conferred by the Charter of the French language (chapter C-11).

51. La Charte ne doit pas être interprétée de manière à augmenter, restreindre ou modifier la portée d’une disposition de la loi, sauf dans la mesure prévue par l’article 52.

51. The Charter shall not be so interpreted as to extend, limit or amend the scope of a provision of law except to the extent provided in section 52.

[509]      Les art. 53 à 55 énoncent pareillement des directives interprétatives : le doute dans l’interprétation d’une loi doit être tranché dans les sens indiqué par la Charte québécoise (art. 53), charte qui lie l’État (art. 54) et qui vise toute matière relevant de la compétence législative du Québec (art. 55). Pour sa part, l’art. 56, qui clôt cette section de la Charte québécoise, prescrit quelques définitions encadrant l’interprétation de divers articles et permettant d’en fixer le sens et la portée.

[510]      Bref, tout indique que, dans cette section de la Charte québécoise où l’on retrouve aussi ces dispositions « spéciales » que sont les art. 49 (recours), 49.1 (recours en matière d’équité salariale) et 52 (suprématie des art. 1 à 38 et disposition de dérogation), l’art. 50.1 fait partie des dispositions interprétatives. En affirmant que « [l]es droits et libertés énoncés dans la présente Charte sont garantis également aux femmes et aux hommes / [t]he rights and freedoms set forth in this Charter are guaranteed equally to women and men », il énonce une règle qui lie l’interprète des dispositions consacrant ces droits et libertés.

[511]      Et quels sont les droits et libertés ainsi garantis?

[512]      Il s’agit de ceux que l’on trouve dans la partie I de la Charte québécoise, intitulée « Les droits et libertés de la personne / Human rights and freedoms », à savoir les art. 1 à 48, qui énoncent et protègent respectivement les libertés et droits fondamentaux (art. 1 à 9.1), le droit à l’égalité dans la reconnaissance et l’exercice des droits et libertés (art. 10 à 20.1), les droits politiques (art. 21 et 22), les droits judiciaires (art. 23 à 38) et les droits économiques et sociaux (art. 39 à 48). Les autres dispositions interprétatives de la partie I (art. 50, 51, 53-56) ne peuvent elles-mêmes s’imposer sans que l’on tienne compte de l’égalité femmes-hommes, règle interprétative prédominante (encore qu’on voit mal comment elles pourraient y attenter).

[513]      Quant aux art. 49 (recours) et 49.1 (qui renvoie les recours relatifs à l’équité salariale[521] à Loi sur l’équité salariale[522]), quelle qu’en soit la nature, ils ne peuvent mettre en péril le principe interprétatif de l’art. 50.1[523].

[514]      Enfin, le rapport entre l’art. 50.1 et l’art. 52 in fine de la Charte québécoise est le même que celui qui existe entre les art. 28 et 33 de la Charte canadienne : l’art. 50.1 ne restreint pas l’art. 52 in fine, n’y apporte pas d’exception et ne le neutralise pas non plus en ce qui concerne l’établissement d’une distinction entre les sexes. Nous ne reprendrons pas ici le raisonnement relatif à l’art. 28, raisonnement transposable à l’art. 50.1 et porteur d’une semblable conclusion, c’est-à-dire :

- par sa vocation interprétative, l’art. 50.1 a le même effet que s’il était intégré à chacun des art. 1 à 48 de la Charte québécoise;

- à partir du moment où le législateur soustrait une loi ou une disposition législative à l’un ou l’autre des art. 1 à 38 de la Charte québécoise, les droits et libertés auxquels il déroge ne sont plus effectifs et n’offrent plus de protection aux personnes qui s’en prévaudraient autrement;

- l’art. 50.1, privé ainsi de son substrat, n’a alors plus d’application, du moins tant que la disposition dérogatoire est en vigueur, et il ne saurait empêcher une distinction fondée sur le sexe, directement ou indirectement.

D. Droits linguistiques constitutionnellement protégés

1. Article 23 de la Charte canadienne

[515]      La contestation s’organise ici autour de l’art. 23 de la Charte canadienne, un texte qu’il convient de reproduire en entier avant d’aborder l’étude qu’en fait le juge de première instance et les arguments qu’en tirent les parties qui l’invoquent.

23. (1) Les citoyens canadiens :

a) dont la première langue apprise et encore comprise est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province où ils résident,

b) qui ont reçu leur instruction, au niveau primaire, en français ou en anglais au Canada et qui résident dans une province où la langue dans laquelle ils ont reçu cette instruction est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province,
 

ont, dans l’un ou l’autre cas, le droit d’y faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans cette langue.

(2) Les citoyens canadiens dont un enfant a reçu ou reçoit son instruction, au niveau primaire ou secondaire, en français ou en anglais au Canada ont le droit de faire instruire tous leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de cette instruction.

(3) Le droit reconnu aux citoyens canadiens par les paragraphes (1) et (2) de faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de la minorité francophone ou anglophone d’une province :

 a) s’exerce partout dans la province où le nombre des enfants des citoyens qui ont ce droit est suffisant pour justifier à leur endroit la prestation, sur les fonds publics, de l’instruction dans la langue de la minorité;

b) comprend, lorsque le nombre de ces enfants le justifie, le droit de les faire instruire dans des établissements d’enseignement de la minorité linguistique finan­cés sur les fonds publics.

23. (1) Citizens of Canada

(a) whose first language learned and still understood is that of the English or French linguistic minority population of the province in which they reside, or

(b) who have received their primary school instruction in Canada in English or French and reside in a province where the language in which they received that instruction is the language of the English or French linguistic minority population of the province,

have the right to have their children receive primary and secondary school instruction in that language in that province.

(2) Citizens of Canada of whom any child has received or is receiving primary or secondary school instruction in English or French in Canada, have the right to have all their children receive primary and secondary school instruction in the same language.

(3) The right of citizens of Canada under subsections (1) and (2) to have their children receive primary and secondary school instruction in the language of the English or French linguistic minority population of a province

(a) applies wherever in the province the number of children of citizens who have such a right is sufficient to warrant the provision to them out of public funds of minority language instruction; and


(b) includes, where the number of those children so warrants, the right to have them receive that instruction in minority language educational facilities provided out of public funds.

Il suffit de lire une seule fois le texte de l’art. 23 de la Charte canadienne pour qu’un constat s’impose immédiatement à l’esprit : par la spécificité de ses clauses, cet article se distingue avec netteté de presque tous ceux qui, dans cette charte, sont énonciateurs de droits fondamentaux.

[516]      Par ailleurs, on sait aussi que l’al. 23(1)a) est inapplicable au Québec[524].

2. Dispositif du jugement de première instance

[517]      Allons d’abord à l’essentiel, soit l’impact sur la Loi que le juge, par le dispositif de son jugement, prête à l’art. 23.

[518]      Selon son analyse, plusieurs dispositions de la Loi doivent être déclarées inopérantes envers les détenteurs de droits linguistiques garantis par l’art. 23 de la Charte canadienne. Rappelons pour fins de commodité une partie du dispositif, déjà reproduit en entier au début de ces motifs[525]. On voit de cet extrait comment le juge statue précisément sur la question en ciblant les dispositions qu’il estime déficientes :

Dans le dossier 500-17-109983-190 (Le dossier English Montreal School Board)

[1137]  ACCUEILLE en partie la demande;

[1138]  DÉCLARE que le premier alinéa de l’article 4, les articles 6, 7, 8, 10, le premier et le deuxième alinéa de l’article 12, les articles 13, 14 et 16, lus en conjonction avec le paragraphe 7 de l’annexe I, le paragraphe 10 de l’annexe II et le paragraphe 4 de l’annexe III de la Loi sur la laïcité de l’État, RLRQ c. L-0.3, violent l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés;

[1139]  DÉCLARE que ces violations ne peuvent se justifier aux termes de l’article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés;

[1140]  DÉCLARE inopérants le premier alinéa de l’article 4, les articles 6, 7, 8, 10, le premier et le deuxième alinéa de l’article 12, les articles 13, 14 et 16, lus en conjonction avec le paragraphe 7 de l’annexe I, le paragraphe 10 de l’annexe II et le paragraphe 4 de l’annexe III de la Loi sur la laïcité de l’État, RLRQ c. L-0.3, en vertu de l’article 52 de la Charte canadienne des droits et libertés pour toute personne, tant physique que morale, qui peut bénéficier des garanties prévues à l’article 23 de cette même Charte;

[519]      Exception faite de la partie du jugement qui porte sur l’art. 3 de la Charte canadienne dans le dossier no 500-17-108353-197, le volet du jugement qui porte sur l’art. 23 de la Charte canadienne est le seul où le juge donne raison à des parties qui avaient pris position contre la Loi. Il a suscité les réactions suivantes. Par leurs pourvois, le PGQ, PDF Québec et le MLQ ont attaqué les trois déclarations qui précèdent. Le QCGN s’est pourvu à son tour par appel incident. L’ACSAQ a demandé et obtenu l’autorisation d’intervenir à titre amical dans les pourvois du PGQ, de PDF Québec et du MLQ. La CSEM a pour sa part défendu les conclusions du jugement à cet égard. D’autres parties étaient conviées aux débats à titre de mises en cause mais elles n’ont pas pris part aux plaidoiries orales devant la Cour.

3. Bref retour sur les motifs livrés en première instance

[520]      Le juge de première instance analyse d’abord la portée de l’art. 23. Il accepte en premier lieu la proposition de la CSEM qui soutenait que l’art. 23 de la Charte canadienne doit recevoir une interprétation généreuse et libérale. Il souligne le rôle primordial de l’instruction dans le maintien et le développement des minorités linguistiques. En découle notamment le droit des minorités d’exercer une mesure de gestion et de contrôle sur les établissements d’instruction publique et sur leur programme éducatif. Une composante de ce droit est le pouvoir exclusif de prendre des décisions pour tout ce qui concerne l’instruction dispensée dans la langue de la minorité et les établissements qui offrent cet enseignement.

[521]      Cela s’étend aux décisions relatives au recrutement et à l’affectation du personnel enseignant. Pour le juge de première instance, un tel pouvoir est vital pour l’épanouissement de la langue et de la culture de la minorité linguistique. Or, ce sont là deux éléments, la langue et la culture, que l’art. 23 sert à préserver. Et en l’espèce, une composante de cette culture provient de ce que « les commissions scolaires anglophones et leurs enseignant.es ou directeur.trices accordent une importance particulière à la reconnaissance et célébration de la diversité ethnique et religieuse » du moins est-ce en ces termes que le juge résume au par. 983 de ses motifs ce qui, selon lui, a fait l’objet au procès d’une preuve non contredite. Et, de l’avis du juge, les contraintes que la Loi instaure en matière de recrutement de personnel entravent ce pouvoir de gestion et de contrôle des établissements d’enseignement de la minorité.

[522]      En axant son analyse de cette manière, le juge de première instance se trouve à écarter d’emblée l’argument central du PGQ au sujet de l’art. 23. Le PGQ soutenait, en effet, que « la culture que l’article 23 cherche à promouvoir demeure intrinsèquement liée à la langue de la minorité, sans plus »[526].

[523]      S’appuyant sur une expertise, le juge poursuit son analyse et note que l’absence de diversité au sein des enseignants, et particulièrement l’absence de référent visuel marqueur d’une certaine identité ethnique ou religieuse, aura des effets nocifs puisque la diversité en milieu scolaire contribue positivement et de diverses façons au développement des élèves. Ce raisonnement l’amène à conclure dans le sens des trois déclarations déjà reproduites ci-dessus[527] et qui figurent, rappelons-le, aux par. 1138, 1139 et 1140 du jugement de première instance.

[524]      L’atteinte étant à son avis démontrée, le juge de première instance s’attarde à la question de savoir si cette atteinte aux droits garantis par l’art. 23 constitue une limite raisonnable au sens de l’art. 1 de la Charte canadienne. Se pencher sur cette question n’était pas sans risque car, comme on l’a vu, le PGQ s’est abstenu en première instance d’offrir quelque preuve que ce soit sur cet aspect des choses et de plaider sur cette disposition de la Charte canadienne. Les motifs du juge qui traitent de l’art. 1 sont cependant fort étoffés et systématiques dans l’examen des critères apparus avec l’arrêt Oakes[528], d’autant que, comme l’observe le juge, les droits qui découlent de l’art. 23 sont soustraits à la disposition de dérogation de l’art. 33.

[525]      Pour le juge, la conclusion s’impose d’emblée qu’en adoptant la Loi, le législateur s’attaquait à un objectif urgent et réel. Toutefois, le juge estime que les effets préjudiciables de l’atteinte sont disproportionnés par rapport à leurs effets bénéfiques et que, de ce fait, la justification de la mesure ne peut être démontrée en vertu de l’article premier de la Charte canadienne.

[526]      Cette conclusion sur l’art. 1 de la Charte canadienne, et celle antérieure selon laquelle la Loi enfreint l’art. 23 de la même charte, fournissent ensemble l’assise des conclusions déclaratoires reproduites ci-dessus et qui ont pour effet de rendre inopérantes plusieurs dispositions de la Loi.

4. Cadre d’application de l’article 23 de la Charte canadienne

[527]      Doit-on confirmer que les dispositions de la Loi visées par les déclarations en question sont incompatibles avec l’art. 23 de la Charte canadienne? Avant de considérer cette question, il y a lieu de rappeler succinctement ce que les parties ont plaidé à ce sujet, pour et contre la Loi. On s’arrêtera ensuite sur les principes d’interprétation qui ont été dégagés en marge de l’art. 23 et sur la jurisprudence pertinente, pour répondre à la question ainsi formulée.

a. Prétentions des parties

[528]      De part et d’autre du débat, les parties reprennent en substance les arguments qu’elles ont fait valoir en première instance.

[529]      Deux des parties qui se portent à la défense de la Loi ont longuement pris position sur l’art. 23 de la Charte canadienne.

[530]      Le PGQ réitère que l’art. 23 ne confère pas de protection autonome à la culture (par opposition à la langue) de la minorité anglophone du Québec. Une telle protection, qui serait indépendante de toute considération relative à la langue, n’existe pas. En interprétant l’art. 23, il importe de bien tenir compte de son contexte d’adoption. Sa finalité était et demeure de créer un droit général à l’instruction dans la langue de la minorité linguistique officielle. Aussi, l’appartenance à une telle minorité est la condition sine qua non pour que l’art. 23 produise ses effets. Est sans pertinence l’appartenance à l’une quelconque des communautés culturelles qui se regroupent au sein de cette minorité. Le droit à l’enseignement dans la langue de la minorité (et plus spécifiquement, le droit à des services éducatifs dans la langue de la minorité d’une qualité équivalente à ceux offerts dans la langue de la majorité) est le vecteur par lequel les caractéristiques culturelles de la minorité linguistique peuvent s’épanouir.

[531]      Or, en l’espèce, les recours des opposants à la Loi ne sont pas fondés sur une insuffisance des ressources consacrées aux services éducatifs dispensés en langue anglaise. Rien dans la Loi ne prive les ayants droit de l’art. 23 d’un accès à des établissements d’enseignement dans la langue de la minorité et rien non plus ne les empêche de contrôler et de gérer de tels établissements. En outre, il ne fait aucun doute que les établissements d'enseignement de la minorité anglophone du Québec sont de qualité équivalente à ceux de la majorité francophone. L’interprétation que fait le juge de première instance de l’art. 23 est inédite, elle est sans précédent. En s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour suprême pour soutenir cette interprétation, le juge omet de distinguer là où il devait le faire le contexte factuel des arrêts ainsi invoqués de celui, tout autre, de l’affaire en cours. À la seule exception du Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba[529], tous les arrêts de la Cour suprême que cite le juge portent sur des demandes de communautés francophones hors Québec relatives à des besoins fondamentaux en matière de services éducatifs, tels que l’existence d’écoles, les moyens de transport scolaire, le financement pour y subvenir, ou encore l’admissibilité à l’instruction dans la langue minoritaire.

[532]      À une seule exception près, qui n’est pas pertinente ici[530], la Cour suprême n’a jamais invalidé une disposition législative en ne s’appuyant que sur le pouvoir de gestion et de contrôle de la minorité linguistique. Aussi le PGQ reproche-t-il au juge de première instance d’avoir erré en omettant de distinguer entre ce que peut comprendre le pouvoir de gestion et de contrôle de la minorité et ce que l’art. 23 protège des interventions de l’État. Le juge, selon le PGQ, n’avait pas à déterminer si ce pouvoir de gestion et de contrôle s’entend aussi au Québec d’un droit des commissions scolaires anglophones de prendre des décisions relatives aux dimensions proprement culturelles ou religieuses de leurs activités. Il devait plutôt déterminer si la Loi entrave ou gêne celles de leurs prérogatives qui bénéficient véritablement de la protection de l’art. 23. Mais en subsumant sous les droits conférés par cette disposition un aspect culturel (et plus spécifiquement religieux), le juge a introduit dans l’art. 23 un élément de confessionnalité là où le Québec s’est soustrait à l’art. 93 de la LC 1867. Par ailleurs, de tels éléments sont protégés par l’al. 2a) de la Charte canadienne, auquel la Loi déroge expressément.

[533]      Toujours selon le PGQ, l’art. 23 protège la langue et la culture qui lui est intrinsèquement liée; il n’a pas pour objet d’attribuer des droits à des sous-groupes culturels ou confessionnels qui appartiennent à la minorité linguistique. Dans cette optique, la preuve visant à démontrer au procès que les commissions scolaires anglophones accordent une importance particulière à la reconnaissance et à la célébration de la diversité n’était tout simplement pas pertinente. L’art. 23 ne garantit pas un prétendu droit des parents d’enfants de la minorité anglophone « à du personnel de leurs établissements d’enseignement portant des signes religieux dans l’exercice de leurs fonctions ». Il existe ici un parallèle évident avec l’arrêt Grand Montréal, Commission des écoles protestantes c. Québec (Procureur général)[531], selon lequel les droits d’une minorité confessionnelle constitutionnellement protégés par l’art. 93 de la LC 1867 ne s’étendent pas en matière d’éducation à une philosophie protestante fondée sur le pluralisme; de même, les droits d’une minorité linguistique constitutionnellement protégés par l’art. 23 de la Charte canadienne ne s’étendent pas à une aspiration culturelle comprenant le port de signes religieux.

[534]      Pour le MLQ, l’interprétation de l’art. 23 retenue par le juge de première instance contrevient au principe de neutralité religieuse de l’État que consacre l’arrêt Saguenay[532] et qu’incorpore l’al. 2a) de la Charte canadienne. Elle se heurte également au Régime pédagogique de l’éducation préscolaire, de l’enseignement primaire et de l’enseignement secondaire entré en vigueur en 2008 et qui impose aux enseignants un devoir de réserve en matière religieuse. La Cour suprême avait reconnu en 1989, dans l’arrêt Grand Montréal, Commission des écoles protestantes, précité, le droit du Québec de rendre obligatoire un régime pédagogique uniforme dans les écoles publiques. La Loi ne fait que compléter le régime déjà en place puisqu’elle précise ce en quoi consiste ce devoir de réserve en matière religieuse.

[535]      Face au PGQ et au MLQ se trouvent la CSEM, l’ACSAQ et le QCGN, qui soutiennent le jugement de première instance dans son raisonnement et dans son résultat quant à l’application de l’art. 23 de la Charte canadienne.

[536]      La CSEM partage l’interprétation du juge de première instance : la Loi empêche les représentants de la minorité anglophone du Québec d’exercer leur droit de gestion et de contrôle sur son réseau scolaire, plus précisément en ce qu’elle ne leur permet pas de prendre des décisions en fonction des besoins et des préoccupations culturelles et religieuses de la minorité. La portée du droit de gestion et de contrôle à cet égard est d’ailleurs la seule question en cause ici, la CSEM ne niant pas que soit actuellement respecté le droit des parents de la minorité anglophone de faire instruire leurs enfants dans des établissements de qualité équivalente à ceux que fréquentent les enfants de la majorité francophone. Cela dit, les prétentions du PGQ font abstraction de ce droit de contrôle et de gestion ou en présentent une lecture indûment restrictive.

[537]      Pour la CSEM, le PGQ exclut à tort la culture du champ d’application de ce droit, composante de l’art. 23. La jurisprudence sur cet article insiste sur l’importance d’assurer le maintien et le développement de la communauté linguistique minoritaire. Et veiller à la situation d’une telle communauté implique nécessairement que l’on se soucie de deux éléments centraux de son identité et de son bien-être : sa culture et sa langue. Toujours selon la jurisprudence, l’art. 23 doit favoriser activement les cultures des minorités linguistiques et prévenir leur érosion. L’accent mis par la Cour suprême sur la préservation de la culture minoritaire contredit la thèse du PGQ selon laquelle l’art. 23 ne protège la culture que lorsque la langue minoritaire est atteinte par la mesure contestée.

[538]      Cette compréhension des enjeux de l’art. 23 serait corroborée par les travaux de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme – la Commission Laurendeau-Dunton. Il est vrai que la commission recommandait que le droit à l’instruction dans la langue de la minorité soit dissocié de toute considération confessionnelle dans les écoles de la minorité. Mais cela est sans réelle pertinence ici car la culture à l’égard de laquelle la CSEM invoque l’art. 23 est sans réelle connotation religieuse : il s’agit d’une attitude et d’une approche face à la diversité et non d’une adhésion aux préceptes d’une religion.

[539]      En outre, toujours selon la CSEM, il faut garder à l’esprit la distinction entre l’art. 93 de la LC 1867 et l’art. 23 de la Charte canadienne. Langue et religion demeuraient étroitement liées à l’époque où l’art. 93 fut adopté. À la longue, le régime ainsi mis en place se révéla insuffisant pour protéger efficacement les minorités linguistiques officielles, et tout particulièrement la minorité francophone hors Québec, circonstance dont les auteurs de l’art. 23 avaient pleinement conscience. Aussi est-il paradoxal que le PGQ propose une interprétation étroite de l’art. 23. Celle-ci minimise l’importance de la culture en en faisant un simple attribut de la langue, un accessoire dépourvu d’autonomie et entièrement tributaire de la langue minoritaire. Or, rappelle la CSEM, lorsqu’en 1997 les par. (1) à (4) de l’art. 93 de la LC 1867 furent rendus inapplicables au Québec, il y avait consensus que cette modification ne diminuerait en rien les droits de la minorité anglophone au Québec, et cela en raison de l’art. 23 de la Charte canadienne.

[540]      L’ACSAQ soutient à son tour que le juge de première instance a correctement interprété l’art. 23, soit de façon large et libérale, comme le demande la jurisprudence. Les droits que garantit cet article, incluant le droit de gestion et de contrôle des représentants de la minorité sur les institutions d’enseignement, sont une manifestation d’un principe constitutionnel désormais bien accepté, la protection des minorités. Il s’agit de prévenir l’assimilation des minorités linguistiques officielles, de promouvoir leur épanouissement et, là où cela a lieu d’être, de remédier aux injustices historiques qu’elles ont pu subir.

[541]      L’ACSAQ se range donc du côté de la CSEM quand celle-ci insiste sur l’importance de la culture parmi les objets que vise à protéger l’art. 23. Elle ajoute que, selon l’arrêt Mahe[533], toute question qui se rattache aux matières tombant sous le contrôle exclusif des représentants de la minorité doit être présumée en être une qui concerne la langue et la culture de la minorité. Cela signifie que toute mesure législative qui touche à l’une ou l’autre de ces questions doit être présumée affecter les préoccupations linguistiques et culturelles de la minorité. L’application d’une telle présomption confère une protection robuste aux préoccupations linguistiques et culturelles de la minorité, tout en permettant à l’État de légiférer en matière d’éducation là où il détient le pouvoir de le faire.

[542]      Comme la CSEM et l’ACSAQ, le QCGN considère qu’en ce qui concerne l’interprétation et l’application de l’art. 23 de la Charte canadienne, la Cour n’a aucune raison d’intervenir pour infirmer le jugement de première instance.

b. Principes d’interprétation applicables

[543]      Il est possible d’avancer quelques propositions synthétiques sur la façon aujourd’hui consacrée d’interpréter l’art. 23. Pour ce faire, il faut privilégier une méthode téléologique axée sur l’objet du droit garanti[534]. La disposition a un caractère à la fois préventif, réparateur et unificateur[535]. L’interprétation doit être sensible au contexte d’adoption de l’art. 23[536]. Elle doit être large et libérale[537], compatible avec le maintien et l’épanouissement des deux communautés linguistiques officielles du Canada[538], tout en demeurant fidèle au texte de la disposition[539].

[544]      En ce qui concerne l’objet du droit garanti, les précisions suivantes sont utiles. Présentant un caractère à la fois préventif et réparateur, l’art. 23 a « non seulement pour objet de prévenir l’érosion des communautés linguistiques officielles, mais aussi de remédier aux injustices passées et de favoriser leur épanouissement »[540]. Il vise « à assurer la pérennité des communautés linguistiques au pays » tout en permettant à ces communautés « de s’épanouir dans leur propre langue et leur propre culture »[541]. Plusieurs années avant l’affaire de Colombie-Britannique d’où sont tirées ces trois dernières citations, le juge en chef Dickson, étudiant l’art. 23 dans l’important arrêt Mahe, avait également tenu le propos suivant sur le rapport entre la langue et la culture : « toute garantie générale de droits linguistiques, surtout dans le domaine de l’éducation, est indissociable d’une préoccupation à l’égard de la culture véhiculée par la langue en question »[542]. En outre, comme on l’a mentionné au paragraphe précédent, la disposition a aussi pour attribut son caractère unificateur « dans la mesure où [elle] favorise la liberté de circulation et d’établissement en permettant aux citoyens de se déplacer partout au pays, sans crainte de devoir abandonner leur langue et leur culture »[543].

c. Genèse des droits garantis par l’article 23 de la Charte canadienne

i.                    Origine

[545]      On peut affirmer sans crainte que l’art. 93 de la LC 1867 est en quelque sorte l’ancêtre de l’art. 23 de la Charte canadienne. Mais précisons en tout premier lieu que cet art. 93 tel qu’il est rédigé reflète la réalité qui prévalait au moment de son entrée en vigueur, lorsque « l’enseignement religieux et l’enseignement dans la langue minoritaire allaient de pair »[544]. Et l’on peut ajouter qu’à l’époque, la religion se voyait donner priorité sur la langue.

[546]      Cela transparaît du fait que, dans ce contexte d’origine, il demeurait constitutionnellement possible d’interdire l’enseignement dans la langue d’une minorité linguistique, comme le démontre la jurisprudence sur le Regulation 17 du ministère de l’Éducation ontarien[545]. En concluant à l’instar des tribunaux ontariens que ce texte réglementaire était intra vires, le Conseil privé se trouvait à confirmer que l’art. 93 de la LC 1867 ne protégeait pas l’enseignement en français en Ontario.

[547]      Diverses autres mesures législatives ou réglementaires eurent ailleurs au Canada des effets comparables au règlement ontarien. L’érosion du français, langue minoritaire à l’extérieur du Québec, s’ensuivit[546], de même que le déclin de plusieurs communautés francophones[547]. Cette situation, qui a changé avec l’adoption de l’art. 23 de la Charte canadienne[548], générait d’évidentes tensions. Elles menèrent à la création en 1963 de la Commission Laurendeau-Dunton, dont les rapports parurent entre 1967 et 1970. L’un d’eux, publié en 1968, porte sur l’éducation et sur l’instruction dans la langue de la minorité linguistique. Cette dernière question acquerrait ainsi avec le temps une importance de premier plan, l’enseignement d’une langue minoritaire devenant une préoccupation plus pressante que l’enseignement religieux.

[548]      Aussi les auteurs de la Charte estimèrent-ils nécessaire quelques années plus tard de traiter explicitement de la question dans leur projet. Ils cherchaient, cela est certain, « à garantir que des groupes minoritaires vulnérables bénéficient des institutions et des droits nécessaires pour préserver et promouvoir leur identité propre face aux tendances assimilatrices de la majorité »[549]. Mais, de façon plus spécifique, ils souhaitaient corriger la situation antérieure qu’avait consolidée la jurisprudence du début du XXème siècle, situation qui prévalait encore à la fin des années 1970. C’est ce qu’a souligné la Cour suprême dans l’arrêt Solski :

21 Les droits à l’instruction dans la langue de la minorité consacrés à l’art. 23 ont une portée nationale et un caractère réparateur.  Au moment où cette disposition a été adoptée, ses rédacteurs connaissaient et considéraient inadéquats les divers régimes applicables aux minorités linguistiques anglophones et francophones du Canada.  L’article 23 était destiné à offrir une solution uniforme qui permettrait de combler les lacunes de ces régimes. […][550]

ii.                  Portée

[549]      En termes généraux et abstraits, la jurisprudence de la Cour suprême enseigne que l’art. 23 est une composante essentielle de la protection constitutionnelle des langues officielles au Canada. La disposition revêt de ce fait « une importance capitale »[551]. Cela tient au « rôle primordial que joue l’instruction dans le maintien et le développement de la vitalité linguistique et culturelle »[552] des communautés linguistiques minoritaires, car celles-ci constituent des « composantes essentielles à l’épanouissement du Canada comme pays bilingue »[553].

[550]      Quelque chose de distinctif caractérise d’ailleurs l’art. 23 : c’est une garantie juridique unique, propre au Canada[554], qui possède une portée collective mais qui confère aussi des droits individuels[555] et qui impose des obligations positives à l’État[556]. Comme le notait la Cour suprême il y a presque vingt ans :

23 […] L’article 23 vise clairement à protéger et à préserver, partout au Canada, les deux langues officielles et les cultures qui s’y rattachent; son application touche forcément l’avenir des communautés linguistiques minoritaires. Les droits garantis par l’article 23 sont, dans ce sens, des droits collectifs, ce que reflètent d’ailleurs les conditions assortissant leur exercice. […] Néanmoins, bien qu’ils présupposent l’existence d’une communauté linguistique susceptible d’en bénéficier, ces droits ne se définissent pas avant tout comme des droits collectifs. Un examen attentif de la formulation de l’art. 23 révèle qu’il s’agit de droits individuels en faveur de personnes appartenant à des catégories particulières de titulaires de droits.[557]

Commentant cet aspect des choses, l’auteur Mark C. Power ajoutait ce qui suit :

[…] l’article 23 ne trouve pas sa place au sein des catégories dans lesquelles les juristes spécialisés dans les droits de la personne ont traditionnellement rangé les droits fondamentaux. En raison de son objet, c’est un droit social et collectif, alors que son statut constitutionnel, sa justiciabilité évidente et sa portée en font également un droit individuel et civil. […]

[…]

Ces diverses considérations contribuent à faire de l’article 23 une garantie constitutionnelle originale et même sans précédent, une disposition qui pourrait être considérée, selon la Cour suprême, comme authentiquement canadienne.[558]

[Renvois omis]

[551]      Si maintenant l’on s’éloigne des considérations générales et abstraites pour se rapprocher de la lettre de l’art. 23, on remarque d’abord, comme on l’avait déjà noté cidessus[559], la spécificité de la disposition. La portée des droits des minorités linguistiques en matière d’éducation est donc assujettie à diverses conditions précises[560] : ainsi, ce peut être pour les parents titulaires de tels droits, d’avoir reçu au Canada une instruction primaire dans une langue minoritaire, de résider dans une province où cette langue demeure celle de la minorité linguistique, et d’exercer les droits visés par l’art. 23 au bénéfice de leurs enfants, là où le nombre d’enfants à instruire dans cette langue minoritaire est suffisant pour justifier et dicter les diverses mesures à prendre en application des droits en question. Il y a évidemment place à des interprétations judiciaires en présence d’expressions telles que « lorsque le nombre de ces enfants le justifie », mais il reste que les termes mêmes de la disposition expriment plusieurs conditions a priori dénuées d’ambiguïté et susceptibles de s’avérer très contraignantes pour quiconque souhaiterait revendiquer les droits garantis par l’art. 23.

[552]      Or, il est acquis, et ce depuis l’arrêt Mahe, que l’art. 23 énonce une « exigence variable »[561], ou plutôt, selon la terminologie qui a désormais cours, une « échelle variable » donnant ouverture à une « gamme de services éducatifs »[562]. Ces services visent à donner plein effet au droit reconnu à certains citoyens canadiens, et selon les termes précis du par. 23(3), « de faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de la minorité / to have their children receive primary and secondary school instruction in the language of the […] linguistic minority population ». La limite inférieure de l’échelle variable correspond à ce seul droit à l’instruction (al. 23(3)a)). La limite supérieure comprend aussi le droit à des « établissements d’enseignement de la minorité / minority language educational facilities » (al. 23(3)b)), ce qui se traduit par un « niveau supérieur de gestion et de contrôle » sur ces établissements et sur l’instruction qui y est dispensée[563]. Revenant sur ces éléments en 2020, la Cour suprême a formulé les observations suivantes :

[24] […] à la limite inférieure, les bénéficiaires de l’art. 23 ont le droit de faire instruire leurs enfants dans la langue de la minorité linguistique officielle. Toutefois, le niveau de contrôle qu’exerce la minorité sur la prestation de l’instruction augmente en fonction du nombre d’enfants d’ayants droit. À la limite inférieure de l’échelle, la minorité n’a droit qu’à l’instruction dans sa langue. Au milieu, elle pourrait contrôler une ou plusieurs salles de classe dans une école de la majorité ou encore une portion d’une école partagée avec la majorité. Elle pourrait également contrôler l’embauche du personnel enseignant ainsi que certaines dépenses. À la limite supérieure, la minorité contrôle un établissement d’enseignement distinct, c’est-à-dire une école homogène. Le nombre d’enfants d’ayants droit peut en outre donner droit à la gestion et au contrôle d’un conseil scolaire distinct. Bref, une fois que le seuil minimal de l’al. (3)a) a été franchi, l’échelle variable permet de déterminer le niveau de services qui correspond au degré de contrôle qu’exercera la minorité sur la prestation des services éducatifs.[564]

Dans le dossier en cours, personne ne conteste que le nombre d’enfants anglophones au Québec les situe à la limite supérieure de l’échelle.

[553]      La question de la portée de l’art. 23 s’apprécie également en fonction de considérations qualitatives. C’est encore la Cour suprême qui, par sa jurisprudence, est venue expliciter cet aspect des choses. Cette jurisprudence établit que les minorités linguistiques ont le droit d’obtenir une « expérience éducative réellement équivalente à celle de la majorité »[565]. Une expérience éducative n’est pas « réellement équivalente » lorsqu’un parent raisonnable, titulaire de droits en vertu de l’art. 23, est dissuadé d’exercer ses droits linguistiques parce que l’école de la minorité offre des services éducatifs de qualité véritablement inférieure à ceux dispensés par l’école de la majorité[566]. Pour mesurer la qualité de l’instruction offerte à la minorité, les tribunaux doivent donc « se livrer à un processus de comparaison entre l’école de la minorité et les écoles de la majorité qui constituent une solution de rechange réaliste »[567].

[554]      Nous indiquions quelques lignes plus haut qu’il est constant pour les parties que l’effectif des enfants anglophones au Québec place leur cas au sommet de l’échelle identifiée dans les arrêts Mahe et CSFCB[568]. Il est constant aussi que la qualité de l’expérience éducative offerte au Québec aux enfants anglophones est « réellement équivalente » à celle dont bénéficient les enfants francophones. De ce constat découle une chose : l’analyse qui reste à faire doit avoir pour objet essentiel le « droit de gestion et de contrôle » que la Cour suprême rattache à l’al. 23(3)b). Il faut donc se tourner vers cette notion pour tirer de la jurisprudence les derniers éclaircissements utiles qu’elle fournit sur la portée de cette notion et de l’art. 23.

[555]      L’arrêt Mahe est unanime. Il reconnaît qu’une mesure appréciable de gestion et de contrôle est d’importance vitale pour assurer l’épanouissement de la langue et de la culture de la minorité linguistique[569] et qu’elle est donc indispensable à l’objet de l’art. 23[570]. Il en est ainsi parce que « plusieurs questions de gestion en matière d’enseignement (programmes d’études, embauchage et dépenses, par exemple) peuvent avoir des incidences sur les domaines linguistique et culturel »[571]. La Cour reconnaît ainsi que les décisions prises à l’égard de ces questions peuvent avoir des impacts, « de façons subtiles mais importantes » [572], sur la vigueur et la survie de la langue et de la culture de la minorité. En outre, le contexte historique dans lequel l’art. 23 a été adopté montre bien que les minorités linguistiques « ne peuvent pas être toujours certaines que la majorité tiendra compte de toutes leurs préoccupations linguistiques et culturelles »[573]. Il s’ensuit qu’aux termes de l’al. 23(3)b), le groupe linguistique minoritaire doit avoir un contrôle exclusif « sur les aspects de l’éducation qui concernent ou qui touchent sa langue et sa culture »[574]. Il convient ici de citer au texte les observations du juge en chef Dickson, là où il résume sa pensée :

 À mon avis, le degré de gestion et de contrôle exigé par l’art. 23 de la Charte peut, selon le nombre d’élèves en cause, justifier l’existence d’un conseil scolaire indépendant. Toutefois lorsque les chiffres ne justifient pas ce niveau maximum de gestion et de contrôle, ils peuvent néanmoins être assez élevés pour exiger la représentation de la minorité linguistique au sein d’un conseil scolaire existant. Dans ce dernier cas :

(1)   La représentation de la minorité linguistique au sein des conseils locaux ou des autres pouvoirs publics qui administrent l’instruction dans la langue de la minorité ou les établissements où elle est dispensée, devrait être garantie;

(2)   Le nombre de représentants de la minorité linguistique au sein du conseil devrait être au moins proportionnel au nombre d’élèves de la minorité linguistique dans le district scolaire, c.-à-d. au nombre d’élèves de la minorité linguistique qui relèvent du conseil;

(3)   Les représentants de la minorité linguistique devraient avoir le pouvoir exclusif de prendre des décisions concernant l’instruction dans sa langue et les établissements où elle est dispensée, notamment :

a)      les dépenses de fonds prévus pour cette instruction et ces établissements;

b)      la nomination et la direction des personnes chargées de l’administration de cette instruction et de ces établissements;

c)      l’établissement de programmes scolaires;

d)      le recrutement et l’affectation du personnel, notamment des professeurs; et

e)      la conclusion d’accords pour l’enseignement et les services dispensés aux élèves de la minorité linguistique.[575]

Ce passage est repris tel quel dans la conclusion qui précède immédiatement le dispositif de l’arrêt. Le règlement 490/82, que visait aussi la contestation des appelants[576], est déclaré incompatible avec l’art. 23. Le passage illustre bien l’effet de curseur, ou « l’échelle variable », qui doit caractériser l’interprétation de l’art. 23 par les tribunaux. L’impact structurant de cet arrêt sur le système scolaire ne pouvait être que considérable[577].

[556]      Notons toutefois que l’attribution d’un pouvoir de gestion et de contrôle aux parents visés par l’art. 23, ou à leurs représentants, n’exclut pas par principe la « réglementation provinciale »[578]. En effet, ce sont les législatures provinciales qui, aux termes de l’art. 93 de la LC 1867, ont le pouvoir exclusif de légiférer en matière d’éducation. Par ailleurs, il ne fait aucun doute que les provinces ont « un intérêt dans le contenu et les normes de qualité des programmes scolaires » sur leur territoire[579]. Les mesures législatives qu’elles adoptent et les régimes d’enseignement qu’elles mettent en place dans la langue de la minorité doivent cependant demeurer conformes aux exigences de l’art. 23 de la Charte canadienne[580]. Chaque province peut donc imposer des programmes scolaires dans les établissements d’enseignement de la minorité (comme dans ceux de la majorité), à la condition que ces programmes ne soient pas incompatibles avec les préoccupations linguistiques et culturelles de la minorité[581]. Il s’ensuit que le gouvernement « ne peut pas se servir des exigences pédagogiques établies pour répondre aux besoins des élèves de la majorité linguistique pour mettre en échec les considérations culturelles et linguistiques applicables aux élèves de la minorité linguistique »[582].

5. Analyse et décision

a. État actuel de la jurisprudence relative à l’article 23

[557]      L’art. 23 instaure en matière d’éducation primaire et secondaire un régime de protection des deux langues officielles du Canada là où, au pays, ces langues sont minoritaires. Il constitue « la clef de voûte de l’engagement du Canada envers le bilinguisme et le biculturalisme »[583]. Si l’art. 23 vise à préserver et à promouvoir les cultures anglophone et francophone minoritaires, ce ne peut être que par le vecteur de la langue elle-même, et aux conditions fixées dans cette disposition. Autrement dit, l’art. 23 protège la culture dans sa dimension linguistique, mais pas toutes les manifestations culturelles de la minorité linguistique. Aussi aurait-on tort d’y voir une garantie constitutionnelle de la survie et de l’avancement de la culture anglophone et de la culture francophone, là où l’une et l’autre sont minoritaires, lorsqu’on les considère isolément et en tant que telles. Dans un cas où les conditions d’application de l’art. 23 seraient satisfaites et où le gouvernement concerné respecterait intégralement les obligations que lui impose cette disposition, le déclin local de la culture véhiculée par une langue minoritaire, aussi regrettable qu’il puisse être, pourrait survenir malgré tout et en dépit des garanties de l’art. 23. Cela, en soi, ne donnerait lieu à aucune réparation aux termes de la Charte canadienne.

[558]      Dans l’arrêt Solski, la Cour suprême remarque que « [l]e texte actuel de l’art. 23 témoigne indubitablement des difficultés éprouvées au cours des discussions et des négociations qui ont précédé le rapatriement de la Constitution canadienne en 1982 »[584]. Et l’on savait depuis l’arrêt Quebec Association of Protestant School Boards que, tel que formulé, l’art. 23 vise notamment à réformer un certain archétype de législations provinciales considérées indûment défavorables aux langues minoritaires[585]. C’était un aspect des choses, écrivait la Cour suprême, qui « saute aux yeux »[586]. La rédaction méticuleuse de la disposition, car c’est bien de cela qu’il s’agit, s’explique en partie par des données et des considérations historiques de cet ordre.

[559]      Il faut donc concilier la lettre de l’art. 23 avec la nécessité de lui donner une interprétation large, libérale et téléologique, axée sur l’objet du droit garanti et respectueuse du caractère « préventif, réparateur et unificateur » de la disposition[587]. Il est certain que ces finalités ne sont pas mutuellement exclusives, elles convergent et se complètent. Pour mener à bien cet exercice d’interprétation, on peut trouver appui dans la jurisprudence de la Cour suprême, en tenant compte à la fois des motifs livrés par ses juges et de ce qu’accomplissent réellement, dans l’ordre du fait, les arrêts de la Cour prononcés en application de l’art. 23 depuis son entrée en vigueur.

[560]      Il n’y a rien d’inexact dans les propos tenus par le juge de première instance aux par. 939 à 952 de ses motifs, lorsqu’il relate l’évolution de la jurisprudence de la Cour suprême sur l’art. 23. Le juge s’emploie ensuite à reprendre dans leurs grandes lignes les prétentions des parties sur ce qu’il faut tirer de cette jurisprudence et il est clair que rien ne lui a échappé dans ce qu’elles plaidaient. Cela l’amène à citer au par. 975 un extrait du rapport de la Commission Laurendeau-Dunton où celle-ci offre une définition du terme « culture ». Puis, le juge poursuit en ces termes :

[976] Point besoin de disserter longuement pour comprendre que la langue et la culture constituent deux concepts différents, la seconde englobant assurément la première, alors que la langue participe à l’élaboration partielle de ce qui englobe les caractéristiques culturelles d’un groupe en particulier.

[977] Dans Mahe, la Cour suprême enseigne :

[…] Cette gestion et ce contrôle sont vitaux pour assurer l’épanouissement de leur langue et de leur culture. Ils sont nécessaires parce que plusieurs questions de gestion en matière d’enseignement (programmes d’études, embauchage et dépenses, par exemple) peuvent avoir des incidences sur les domaines linguistique et culturel. Je tiens pour incontestable que la vigueur et la survie de la langue et de la culture de la minorité peuvent être touchées de façons subtiles, mais importantes par les décisions prises sur ces questions. […]

[978] Dans le contexte actuel, il ne fait aucun doute que la religion participe à l’identité culturelle d’une communauté. À titre d’exemple, personne ne saurait raisonnablement soutenir qu’à tout le moins jusqu’au milieu des années soixante la religion catholique ne participait pas de façon significative à définir un des traits culturels de la population francophone québécoise, tout comme, de façon générale, le protestantisme pouvait le faire pour la communauté anglophone.[588]

[561]      Une question à résoudre avant toute autre, ici, est celle de savoir si, s’autorisant de la jurisprudence de la Cour suprême sur l’art. 23, le juge de première instance a eu raison de prêter à la notion de culture l’extension qu’il lui a donnée dans ses motifs. Partant de cette prémisse, il a conclu que la Loi entravait une orientation culturelle propre aux institutions d’enseignement publiques de langue anglaise, à savoir la promotion et la célébration de la diversité religieuse. C’est cette lecture de la jurisprudence qui lui permet au par. 1140 de son jugement de déclarer inopérantes plusieurs dispositions de la Loi. Il conclut ainsi parce que, selon lui, elles contreviennent aux droits de « toute personne, tant physique que morale, qui peut bénéficier des garanties prévues à l’article 23 [de la Charte canadienne] ». Pour répondre en pleine connaissance de cause à cette première question, il est nécessaire de passer en revue toute la jurisprudence pertinente et de la scruter sur le plan du droit mais aussi sur celui des faits.

[562]      Avant toutefois d’étudier cette jurisprudence et de la commenter, notons que rien dans la Loi ne concerne de quelque façon que ce soit la langue d’enseignement, minoritaire ou non, dans les établissements primaires et secondaires. Certes, des parties comme la CSEM subissent l’effet de cette loi, et cela alors même que, par ailleurs, elles bénéficient en toute légitimité des garanties de l’art. 23, comme le confirme le juge au par. 953 de ses motifs dans le cas précis de cette commission scolaire. Mais il reste qu’au Québec, aucun des ayants droit explicitement visés par l’art. 23 (c.-à-d. les citoyens canadiens, parents d’enfants d’âge scolaire, qui satisfont aux conditions de l’al. 23(1)b) et des par. 23(2) et (3)) ne se voit privé d’un droit reconnu par cette disposition. C’est par interprétation de la disposition, enrichie d’accrétions jurisprudentielles successives sur lesquelles elle s’appuie, que la CSEM a pu développer son argument central. Elle l’a d’ailleurs reconnu en toute transparence dès le début de sa plaidoirie, lorsque son avocate a déclaré que : « This is a management and control case, nothing else ». Il y a donc lieu en entamant l’étude de la jurisprudence de revenir sur l’arrêt Mahe[589], celui d’où provient l’idée de contrôle et de gestion.

[563]      Cet important jugement, dont le long extrait précité[590] laissait présager la conclusion, est en un sens l’arrêt fondateur dans la jurisprudence sur l’art. 23. Il opposait le gouvernement de l’Alberta et des parents francophones de la région d’Edmonton qui se qualifiaient comme ayants droit en vertu de l’art. 23. La Cour suprême y expose pour la première fois la théorie de l’« échelle variable »[591], en formulant une série de lignes directrices de nature prétorienne rendues nécessaires pour la mise en œuvre harmonieuse des al. 23(3)a) et b) de la Charte canadienne. Arrêt unanime, rédigé par le juge en chef Dickson, il fait autorité depuis plus de 33 ans.

[564]      Il n’est pas hors de propos de rappeler qu’à l’époque, selon les données relevées par la Cour suprême[592], on recensait dans la ville d’Edmonton environ 2 948 ayants droit francophones, parents de quelque 4 127 enfants, dont 3 750 étaient d’âge scolaire. En outre, une école francophone y accueillait 242 élèves de la maternelle à la sixième année et 73 autres dans un programme d’immersion en 7e et 8e années. C’est dans ce contexte que M. Mahe et les autres appelants avaient exprimé leur demande initiale. Le juge en chef la décrit en ces termes :

[…] ils ont fait tenir au ministre de l'Éducation de l'Alberta une proposition prévoyant la création à Edmonton d'une nouvelle école primaire publique de langue française qui : (1) instruirait les enfants francophones exclusivement en français et dans une ambiance totalement « française », (2) serait administrée par un comité de parents sous l'égide d'un conseil scolaire français autonome, et (3) aurait un programme reflétant la culture linguistique française.[593]

S’étant heurtés à un refus du ministère, qui les informa que la province avait pour politique de ne pas créer de district scolaire français, les appelants s’adressèrent aux tribunaux. Ils eurent en partie gain de cause en première instance et devant la Cour d’appel de l’Alberta, avant de poursuivre la contestation en Cour suprême.

[565]      La notion « de contrôle et de gestion » que consacre la Cour suprême dans l’arrêt Mahe était déjà apparue en jurisprudence avant cet arrêt[594], mais on ne lui avait jamais rattaché les nombreux attributs dont la Cour la pourvoit ici[595]. Nul doute que l’arrêt Mahe aura beaucoup fait pour autonomiser l’enseignement en langue française au sein de la minorité francophone d’Alberta. On peut observer, cependant, qu’en 1990, année de l’arrêt Mahe, donc longtemps avant qu’on abolisse au Québec les commissions scolaires confessionnelles pour les remplacer par des commissions scolaires linguistiques, les institutions scolaires anglophones financées par des fonds publics y jouissaient déjà d’une autonomie encore bien plus grande que ce que cet arrêt dépeint de la situation alors en existence en Alberta. Il en était d’ailleurs ainsi depuis de nombreuses années, remontant jusque bien avant l’entrée en vigueur de l’art. 23.

[566]      Dans le sillage de l’arrêt Mahe, plusieurs autres arrêts ont été rendus par la Cour suprême où il est question de l’art. 23. Si certains sont sans réelle pertinence ici parce que la disposition en question n’y tient qu’un rôle secondaire ou y est abordée sous un angle qui ne concerne pas le litige en cours[596], d’autres ont illustré ou consolidé les notions développées dans l’arrêt Mahe. Ce sont ces arrêts sur lesquels il convient maintenant de revenir plus longuement.

[567]      L’avis déposé en réponse au Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), art. 79(3), (4) et (7)[597], fait suite à une décision de la Cour d’appel du Manitoba rendue avant l’arrêt Mahe. Cela explique que les juges manitobains n’étaient pas unanimes sur l’existence ou non d’un pouvoir de gestion et de contrôle découlant du par. 23(3). La Cour suprême convient toutefois que le Renvoi est une suite logique de l’arrêt Mahe, où l’on présentait la « démarche générale » à suivre lorsque l’interprétation de l’art. 23 est en cause; l’occasion lui est donc maintenant donnée de « préciser davantage le contenu [des] droits »[598] conférés par l’art. 23.

[568]      Le juge en chef Lamer, qui tient la plume au nom de la Cour, réitère « la reconnaissance du fait que les écoles de la minorité jouent un rôle utile à la fois comme centres culturels et comme établissements d’enseignement »[599]. Il revient sur l’appariement entre les points distincts dans l’échelle variable et les droits différents qui en découlent : si le nombre d’élèves de la minorité est très faible, il n’est pas nécessaire de créer un programme d’instruction dans la langue minoritaire, mais un nombre plus élevé peut justifier la mise sur pied du genre d’établissement d’enseignement que décrit l’art. 23, alors qu’au haut de l’échelle le nombre d’enfants commande la création d’un conseil scolaire pour la minorité linguistique[600]. La suffisance du nombre d’élèves, selon le cas, demeure une question de contexte.

[569]      Par ailleurs, rappelle le juge en chef, les droits prévus par l’art. 23

sont conférés individuellement aux parents appartenant à un groupe linguistique minoritaire. La jouissance de ces droits n’est pas liée à la volonté du groupe minoritaire auquel ils appartiennent, fût-elle celle de la majorité de ce groupe, mais seulement au « nombre d’enfants » suffisant.[601]

[570]      Enfin, l’accent est mis sur l’importance de laisser au gouvernement une discrétion suffisante dans le choix des moyens pour se conformer à l’art. 23 – dans l’arrêt Mahe, le juge en chef Dickson avait écrit à ce propos que le gouvernement « devrait disposer du pouvoir discrétionnaire le plus vaste possible dans le choix des moyens institutionnels dont il usera pour remplir ses obligations en vertu de l’art. 23 »[602].

[571]      Le Renvoi sur les écoles publiques du Manitoba apporte bien quelques précisions sur la portée de l’arrêt Mahe, mais en dernière analyse sa principale contribution aura été d’étendre à la minorité francophone du Manitoba le bénéfice que la minorité francophone de l’Alberta avait reçu trois ans auparavant avec le dépôt de l’arrêt Mahe.

[572]      Une illustration peut-être plus frappante encore de la portée concrète, dans les faits, de l’art. 23 nous est donnée avec l’arrêt Arsenault-Cameron[603]. Parce que le nombre anticipé d’élèves satisfaisait au critère applicable, des parents francophones s’étaient vu offrir par la commission scolaire française compétente que, lors d’une prochaine année scolaire, l’enseignement en français langue première serait dispensé de la première à la sixième années dans la localité S et qu’une école française serait ouverte à cette fin. Le ministre de l’Éducation reconnaissait que le nombre d’élèves justifiait la prestation de cet enseignement à même les fonds publics mais il ne donna pas suite à l’offre de la commission, estimant plutôt que le transport scolaire vers la localité A et vers l’école française qui s’y trouvait déjà représentait une solution plus avantageuse. La demande de jugement déclaratoire des parents confirmant qu’ils avaient droit à l’enseignement en français dans la localité S fut accueillie, décision qui fut cassée en appel, d’où le pourvoi en Cour suprême.

[573]      D’emblée, les juges Major et Bastarache, qui rédigent conjointement les motifs unanimes d’une formation des neuf juges de la Cour, identifient la principale question à trancher. Elle diffère quelque peu de celles formulées par les parties. Il s’agit en l’occurrence de décider si le droit de gestion et de contrôle exercé par la commission scolaire de langue française sur l’emplacement d’une école doit prévaloir sur le pouvoir discrétionnaire du ministre d’approuver ou de rejeter la décision de la commission[604]. La Cour répond à cette question par l’affirmative.

[574]      Outre des commentaires utiles sur le caractère réparateur de l’art. 23 de la Charte canadienne, sur la notion d’égalité entre communautés linguistiques qui sous-tend cette disposition et sur l’expression « nombre suffisant » qui y figure, la Cour se penche assez longuement sur la question du transport scolaire[605]. Elle reproche au ministre de ne pas avoir tenu compte de l’âge des élèves concernés et d’avoir appliqué dans l’évaluation de la durée des déplacements une norme provinciale indifférente au contexte. Or, on voit en consultant le jugement prononcé par la Cour suprême de l’Île-du-Prince-Édouard, Section d’appel, que le temps passé à bord des autobus pour se rendre de la localité de S à celle de A, et pour en revenir, était fort long, soit environ deux heures[606]. Les parents avaient plusieurs raisons de refuser cette solution : une durée de déplacement quotidienne de cette importance empêchait les enfants, dont beaucoup étaient très jeunes, de participer aux activités parascolaires, elle créait des difficultés pour rencontrer les enseignants ou pour aller chercher un enfant en raison d’un rendez-vous, d’une urgence ou d’un malaise. Comme le notent les auteurs des motifs de la Cour suprême : « La décision du ministre créait une situation qui avait pour effet de dissuader de nombreux enfants visés par l’art. 23 de fréquenter l’école de la minorité linguistique en raison de la durée du transport »[607]. Ce facteur aurait une incidence sur l’assimilation des enfants de la minorité linguistique, alors que pour les raisons expliquées par les juges Major et Bastarache, la question du transport scolaire n’entraînait aucune répercussion culturelle sur les enfants de la majorité linguistique. On voit qu’il importe de particulariser ou de contextualiser l’analyse, sans se limiter à une égalité formelle qui assimilerait le résultat souhaitable pour la minorité à ce dont se satisfait la majorité linguistique. La jurisprudence parle alors d’égalité « réelle » plutôt que « formelle »[608].

[575]      Un autre arrêt pertinent est celui qui fut prononcé dans Solski[609]. Il s’appuie sur les motifs unanimes de la Cour suprême siégeant en formation de sept juges. En l’espèce, ce sont moins les faits de l’affaire, passablement éloignés de ce qui est en cause ici, que le raisonnement de la Cour qui attire l’attention.

[576]      L’arrêt Solski traite de l’interaction entre l’art. 23 de la Charte canadienne et certaines dispositions de la Charte de la langue française. On sait que, depuis le 31 décembre 1977, le premier alinéa de l’art. 72 de cette dernière charte disposait que « [l]’enseignement se donne en français dans les classes maternelles, dans les écoles primaires et secondaires, sous réserve des exceptions prévues au présent chapitre / [i]nstruction in the kindergarten classes and in the elementary and secondary schools shall be in French, except where this chapter allows otherwise »[610]. Le litige de 2005 portait sur une version aujourd’hui abrogée de l’art. 73 de la Charte de la langue française, version qui, dans la gestion des exceptions à la règle qu’énonce le premier alinéa de l’art. 72, avait établi en 2002 le critère de « la majeure partie de l’enseignement / major part of the […] instruction ». Ainsi, à titre d’exemple, le premier paragraphe de la version alors en vigueur de l’art. 73 prévoyait ce qui suit :

73. Peuvent recevoir l’enseignement en anglais, à la demande de l’un de leurs parents :

 les enfants dont le père ou la mère est citoyen canadien et a reçu un enseignement primaire en anglais au Canada, pourvu que cet enseignement constitue la majeure partie de l’enseignement primaire reçu au Canada;

73. The following children, at the request of one of their parents, may receive instruction in English:

(1) a child whose father or mother is a Canadian citizen and received elementary instruction in English in Canada, provided that that instruction constitutes the major part of the elementary instruction he or she received in Canada;

[577]      Il ressort de l’arrêt Solski que la notion de « majeure partie de l’enseignement » recevait de la part du ministère de l’Éducation et du Tribunal administratif du Québec une interprétation mettant l’accent sur une analyse quantitative : ainsi, dans le cas du par. 1°, précité, pendant combien d’années ou de mois le parent intéressé avait-il été inscrit ailleurs au Canada dans une école de langue anglaise? C’est ce à quoi s’attaquait la partie appelante en Cour suprême, Mme Casimir, qui avait été autorisée à se substituer à M. Solski. Sans remettre en question la validité constitutionnelle de l’art. 73, la Cour suprême intervient pour substituer à l’analyse quantitative une analyse qualitative plus conforme selon elle à l’art. 23. Elle note :

35 La question pertinente consiste donc à se demander si le critère de la « majeure partie » est compatible avec l’objet du par. 23(2) et s’il peut garantir que les enfants qu’il est censé protéger seront admis dans des écoles de la minorité linguistique. À notre avis, selon l’interprétation qu’en donne le TAQ, ce critère a une portée trop limitée; il ne permet pas de réaliser l’objet du par. 23(2) et on ne saurait donc dire qu’il le complète ou qu’il lui sert de substitut valable. Par conséquent, le critère de la « majeure partie » ne peut être sauvegardé que si on donne à l’adjectif « majeure » un sens qualitatif plutôt que quantitatif.

[…]

37 L’interprétation mathématique restrictive manque de souplesse et peut même avoir pour effet d’empêcher un enfant de recevoir un enseignement essentiel au maintien de son lien avec la communauté et la culture minoritaires. […][611]

[578]      Pour expliquer l’approche qu’impose l’art. 23 dans l’évaluation de la « majeure partie de l’enseignement », la Cour suprême précise dans la suite de ses motifs quels sont certains facteurs à considérer : (i) combien de temps a été passé dans chaque programme?; (ii) à quelle étape des études le choix de la langue d’instruction a-t-il été fait?; (iii) quels programmes sont offerts ou l’étaient?; (iv) existe-t-il des problèmes d’apprentissage ou d’autres difficultés[612]? Mais il y a plus que cela à l’arrêt Solski car, en poussant plus à fond l’analyse, la Cour suprême illustre en quoi l’évaluation respectera véritablement la finalité de l’art. 23, soit « assurer la pérennité des communautés linguistiques au pays » tout en permettant à ces communautés « de s’épanouir dans leur propre langue et leur propre culture »[613].

[579]      Il est même souhaitable que, dans cette analyse, l’on soit sensible aux dimensions proprement socioculturelles de l’appartenance à un groupe linguistique minoritaire. La Cour en donne quelques exemples :

44 […] En examinant la situation qui existe dans une province autre que le Québec, il faut se rappeler qu’il se pourrait que des parents assimilés aient envoyé leur enfant à l’école de la majorité linguistique et que, dans la dernière portion du cheminement scolaire de l’enfant, ils se soient ravisés et l’aient inscrit à l’école de la minorité linguistique pour l’aider à réintégrer la communauté linguistique minoritaire et à en adopter la culture. Il se peut que l’enfant ait disposé d’un programme d’enseignement dans la langue de la minorité pendant tout son cheminement scolaire, mais que le choix de l’y inscrire ne soit devenu viable que lorsque les parents assimilés ont décidé de l’aider à rétablir des liens avec la communauté linguistique minoritaire et sa culture. […][614]

[580]      Se penchant plus loin sur le cas d’un enfant inscrit en immersion française à l’extérieur du Québec, et qui, de retour au Québec, se voyait refuser l’accès à l’école anglaise par des décisions administratives et du TAQ, la Cour suprême apporte les nuances suivantes dans l’examen de cette situation :

50 […] Cette décision ne tient pas compte des différences importantes qui existent entre les programmes d’immersion et les programmes d’enseignement dans la langue de la minorité. À l’extérieur du Québec, les programmes d’immersion sont conçus pour donner une formation dans la langue seconde aux enfants qui fréquentent les écoles destinées à ceux et celles qui adoptent la langue de la majorité. Ces programmes sont offerts dans un environnement où il existe une majorité linguistique et où la langue de la majorité est parlée en dehors des classes et pendant les activités parascolaires. Ils sont offerts dans des écoles de la majorité linguistique faisant partie du système scolaire de cette majorité. Il leur manque donc l’élément culturel essentiel à l’instruction dans la langue de la minorité, qui a été analysé dans l’arrêt Mahe. […][615]

[581]      Dans Nguyen[616], la Cour suprême reviendra sur son analyse tirée de l’arrêt Solski et elle élaborera sur le concept de « parcours scolaire authentique », en insistant ici encore sur l’importance de tenir compte des dimensions socioculturelles des décisions prises par les ayants droit de l’art. 23 au sujet de la scolarisation de leurs enfants. Cet arrêt se soldera par une nouvelle modification de l’art. 73 de la Charte de la langue française, apportée par la Loi faisant suite aux décisions judiciaires en matière de langue d’enseignement[617]. Il n’y a pas lieu de s’arrêter plus longuement ici sur cet arrêt.

[582]      Vient ensuite l’arrêt Rose-des-vents[618]. Premier d’une deuxième génération d’arrêts[619], Rose-des-vents soulevait une nouvelle problématique. En effet, l’arrêt Mahe et le Renvoi sur les écoles publiques du Manitoba étaient des décisions programmatiques, elles mettaient en place un cadre général et abstrait pour assurer la mise en œuvre de l’art. 23 et elles en fixaient les modalités d’utilisation. L’arrêt ArseneaultCameron fut l’occasion d’un débat sur ce que l’on pourrait qualifier de derniers préparatifs pour donner effet à l’arrêt Mahe : devait-on opter pour une école autonome et homogène de langue française, et la construire là où elle n’existait pas, ou devait-on plutôt se satisfaire d’un plan de transport scolaire vers une école qui présentait déjà des caractéristiques satisfaisantes mais dans une localité différente et éloignée? Et à qui revenait-il de trancher la question? L’arrêt Rose-des-vents survient une fois l’étape initiale de la mise en œuvre terminée, alors qu’une l’école française autonome et homogène existe déjà, qu’elle est gérée depuis plus de dix ans par un conseil scolaire francophone et que se pose la question de la suffisance des services qui y sont dispensés : sont-ils équivalents à ceux offerts dans les écoles de la majorité linguistique, ce que les titulaires de droits en vertu de l’art. 23 sont en droit d’obtenir?

[583]      L’association des parents de l’école estimait que non et elle entreprit une procédure contre le ministère de l’Éducation et le conseil scolaire francophone compétent pour faire constater par jugement déclaratoire l’état de la situation. Le juge de première instance lui a donné raison sur le principe, tout en scindant l’instance pour la suite. La Cour d’appel, entre autres choses pour des raisons techniques, soit le fait pour le juge de première instance d’avoir ordonné la radiation de certaines allégations en défense, a infirmé le jugement et renvoyé l’affaire en Cour suprême de la Colombie-Britannique.

[584]      Sur un plan normatif, la Cour suprême du Canada saisit l’occasion pour clarifier plusieurs points, dont l’un, important, relatif à la nature de cette comparaison majoritéminorité. Celleci doit être de nature contextuelle et holistique, et porter notamment sur les installations matérielles de même que sur la qualité de l’instruction, les résultats obtenus par les élèves, les activités parascolaires et la durée des déplacements en transport scolaire ou autre. Comme l’écrit la juge Karakatsanis : « Une telle approche s’apparente à la façon dont les parents prennent des décisions relatives à l’instruction de leurs enfants »[620].

[585]      Mais, on l’a vu plus haut[621], il s’agit ici d’accrétions jurisprudentielles ou prétoriennes. Aussi importe-t-il, pour en bien saisir le sens, de ne pas perdre de vue les circonstances particulières de l’affaire. Ce sont elles, ici, qui inspirent la Cour suprême. En découle la valeur ajoutée par l’arrêt aux principes d’interprétation de l’art. 23. Quelles étaient ces circonstances[622]?

[586]      Les résultats scolaires des élèves de l’école Rose-des-vents étaient satisfaisants dans l’ensemble, mais le juge de première instance refusait de privilégier ce seul aspect des choses en se contentant de le comparer avec l’état des résultats scolaires dans les écoles anglaises[623]. Et de fait, le tableau était moins encourageant lorsqu’on l’envisageait sous plusieurs autres angles. À l’époque, l’école partage ses locaux avec une école secondaire française et on peut qualifier Rose-des-vents de petite école primaire surpeuplée. Sa capacité, selon les mesures admises (soit la capacité opérationnelle ou nominale), est de 199 à 215 élèves. Elle en compte 344. Le conseil scolaire et le ministère concèdent qu’il en est ainsi – et de fait, depuis 2008, le ministère considère que la construction d’une nouvelle école de langue française est « une grande priorité ». Pourtant, tout cela reste encore à faire en 2015. À cet état de choses s’ajoutent plusieurs autres faits révélateurs : les locaux en général sont exigus; la bibliothèque dont dispose l’école est « très petite »; il n’y a aucun local adaptable dans l’école; plusieurs classes sont dépourvues de fenêtres, et seules trois d’entre elles ont la superficie minimale recommandée par le ministère ou le conseil scolaire; les toilettes sont inadéquates; et, selon ce qui s’est dit à l’école, la configuration des lieux et l’insuffisance des espaces de rangement auraient contribué à la propagation de vermine (en clair, des poux) dans la population étudiante. Le terrain de jeux est lui aussi à l’étroit. La comparaison avec les écoles de langue anglaise confirme qu’il n’existe pas d’égalité réelle entre Rosedesvents et ces écoles. Cette inégalité se répercute aussi sur le plan du transport scolaire, nettement plus contraignant pour les élèves de l’école Rose-des-vents. Ces constats ne manquent pas de laisser songeur[624] et de telles situations mettent souvent beaucoup de temps à se corriger[625].

[587]      La Cour suprême du Canada infirme la Cour d’appel, rétablit le jugement de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, entérine ses conclusions de droit et de fait[626], et approuve la façon dont le juge avait géré l’instance – il avait estimé, dans un jugement interlocutoire rendu quelques mois avant le procès, qu’il fallait « éviter les risques d’assimilation dus aux atermoiements » des autorités scolaires[627].

[588]      À peine trois semaines après le dépôt de l’arrêt Rose-des-vents, la Cour suprême se prononçait de nouveau sur l’art. 23 dans l’arrêt CSFY[628]. L’affaire concernait les conditions d’admission à l’école Émilie-Tremblay, seule école française au Yukon, administrée par la commission scolaire appelante (« la Commission »).

[589]      La majeure partie de cet arrêt porte sur une question étrangère au débat en cours ici, soit celle de savoir si le comportement du juge de première instance avait fait naître une crainte raisonnable de partialité pour la procureure générale du Yukon. À l’instar de la Cour d’appel du Yukon, la Cour suprême répond par l’affirmative à cette question. Le dossier est donc retourné en première instance pour être instruit de nouveau.

[590]      Cela dit, une question de droit s’était posée en Cour suprême et qui est d’intérêt pour nos fins actuelles. Il s’agissait de savoir si la Commission était habilitée à décider unilatéralement qui étaient les élèves admissibles à l’école Émilie-Tremblay. Quelques précisions sur le contexte de l’affaire aident à comprendre quel en était l’enjeu. Le litige avait pour origine une procédure entreprise par la Commission contre le gouvernement du Yukon au motif que, selon elle, ce dernier manquait à ses obligations dans la prestation des services d’enseignement en français. Depuis 1996, année de la création de la Commission, un règlement adopté en vertu d’une loi du Yukon définissait l’expression « élève admissible », prescrivant ainsi qui se qualifiait pour fréquenter une école française. Il suffit de dire ici que cette définition reprenait presque exactement les termes de l’art. 23. Or, depuis sa création, et à la connaissance des autorités provinciales, la Commission avait admis à l’école Émilie-Tremblay des élèves qui n’étaient pas les enfants de titulaires de droits en vertu de l’art. 23. Au début du procès sur la demande instituée par la Commission, le gouvernement lui fit savoir que, désormais, il entendait appliquer selon sa teneur le règlement susmentionné. La juge Abella, qui rédige les motifs unanimes des sept juges de la formation, présente la question en ces termes :

[66] Il s’agit donc de savoir si l’art. 23 confère à la Commission le pouvoir unilatéral d’admettre d’autres élèves que ceux « admissibles » au sens du Règlement. Cela soulève des questions concernant le partage des pouvoirs constitutionnels.[629]

[591]      L’éducation, on le sait, est un chef de compétence provinciale. En 2013, la Cour avait noté que, « même si elle reconnaît l’importance des droits linguistiques, la Charte reconnaît par ailleurs l’importance du respect des pouvoirs constitutionnels des provinces »[630]. La juge Abella ajoute à ce sujet, dans ses motifs de l’arrêt CSFY, que « [l]e fédéralisme demeure une caractéristique notable en matière de droits des minorités linguistiques »[631]. Et, poursuivant son analyse, elle souligne qu’une province peut validement déléguer à une commission scolaire de la minorité linguistique le pouvoir de déterminer les conditions d’admission de ce qu’elle appelle les « enfants de non-ayants droit ». Cela, note-t-elle, s’est effectivement produit dans différentes parties du pays, ce qu’elle illustre avec des renvois à quelques lois provinciales.

[592]      Néanmoins, tel n’est pas le cas dans cette affaire, ce qui force la conclusion que la question identifiée ci-dessus au par. [590] et tirée du par. 66 de l’arrêt CSFY doit recevoir une réponse négative :

[74] En l’espèce, […] le Yukon n’a pas délégué à la Commission la fonction de fixer les critères d’admission des enfants de non-ayants droit. À défaut d’une telle délégation, la Commission n’a pas le pouvoir de fixer unilatéralement des critères d’admission différents de ceux établis dans le Règlement. La Commission n’est pas pour autant empêchée de faire valoir que le Yukon n’a pas assuré suffisamment le respect de l’art. 23 et rien ne l’empêche de soutenir que l’approche adoptée par le Yukon à l’égard des admissions fait obstacle à la réalisation de l’objet de l’art. 23 : voir Mahe, p. 362-365. Mais il s’agit là d’une autre question que celle de savoir si la Commission a, en l’absence d’une délégation de la part du Yukon, le droit unilatéral de décider d’admettre d’autres enfants que ceux visés par l’art. 23 ou le Règlement.[632]

[593]      Ce qui précède démontre que la lettre de l’art. 23 conserve toute son importance. Il semble plausible, en effet, que permettre dans une école de la minorité linguistique l’addition d’enfants de non-ayants droit aux effectifs de ceux des titulaires de droits en vertu de l’art. 23 ne pourrait que soutenir et renforcer la promotion de la langue et de la culture minoritaires. Bien que ce dernier objectif soit indéniablement une finalité de l’art. 23, il ne l’emporte pas sur son sens là où ce dernier ne prête pas à interprétation.

[594]      L’arrêt CSFY fait également ressortir que les droits découlant de l’art. 23 peuvent recevoir une modulation différente en différents endroits du pays. C’était clairement le cas ici puisque, à la différence de certaines écoles de la minorité linguistique ailleurs au pays, et même après l’arrêt CSFY, l’école Émilie-Tremblay au Yukon ne pouvait bénéficier de l’apport d’effectifs plus importants que ceux explicitement et limitativement visés par l’art. 23. Dans le Renvoi sur les écoles publiques du Manitoba, le juge en chef Lamer avait d’ailleurs déjà écrit :

[…] l’accent mis sur le contexte historique de la langue et de la culture indique qu’il peut bien être nécessaire d’adopter des méthodes d’interprétation différentes dans divers ressorts qui tiennent compte de la dynamique linguistique particulière à chaque province.[633]

[595]      Qu’en est-il? La réalité de cette dynamique linguistique et la puissance d’attraction respective des langues et cultures associées aux deux langues officielles du pays démontrent qu’il doit en être tenu compte dans l’interprétation de l’art. 23. Ainsi, mentionnons le problème des « écoles passerelles », sur lequel s’est penchée la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Nguyen[634]. À l’époque, ce problème se posait de manière tangible au Québec. Or, personne n’a jamais entendu dire, ni à plus forte raison n’a constaté, que le même problème se posait avec la même acuité, quoique de manière inversée, c’est-à-dire sous la forme d’écoles passerelles vers des écoles homogènes françaises, dans des provinces du Canada autres que le Québec. Au Canada, la puissance d’attraction du français et celle de l’anglais diffèrent, comme celle des cultures qui s’y rattachent étroitement. Il est permis d’en tenir compte.

[596]      Certains croiront peut-être déceler dans le récent arrêt CSFTNO[635] un infléchissement partiel des conclusions tirées par la Cour suprême dans l’arrêt CSFY. Néanmoins, cet arrêt paraît dénué d’impact sur l’arrêt CSFY là où ce dernier a quelque pertinence dans le débat ici en cours.

[597]      L’arrêt CSFTNO concernait les enfants de parents dont il était constant qu’aucun d’entre eux n’avait qualité d’ayant droit aux termes de l’art. 23[636]. Même s’ils ne détenaient aucun droit en vertu de cette disposition, ces parents souhaitaient inscrire leurs enfants dans une école française minoritaire des Territoires du Nord-Ouest. La commission scolaire francophone du lieu leur avait donné son accord, contrairement à la ministre responsable du réseau scolaire qui avait fait obstacle à leur volonté dans des décisions administratives relevant de sa compétence. D’où le recours en contrôle judiciaire que la commission scolaire exerça afin de faire casser ces décisions.

[598]      On voit donc que cet arrêt portait spécifiquement sur la faculté des parents en cause d’inscrire leurs enfants comme élèves dans une école de la minorité linguistique. Aucune démarche de ce genre n’est ici remise en question. Et l’on voit aussi que, dans le cadre de cet arrêt CSFTNO, on ne contestait pas la constitutionnalité d’une loi ou d’un règlement pris en vertu d’une loi; on attaquait plutôt la légalité de décisions administratives discrétionnaires qui limitaient l’accès à l’école française. La Cour suprême met d’ailleurs l’accent sur les conditions d’exercice d’un tel pouvoir là où les valeurs de la Charte canadienne entrent en jeu[637]. Elle termine son analyse par ce qu’elle qualifie de « précisions importantes »[638] : bien qu’elle rende décision en faveur de la commission scolaire appelante, la Cour mentionne que les arrêt Solski[639] et Nguyen[640] conservent toute leur portée et que le modèle du libre choix de la langue d’enseignement demeure sans application dans un cas comme celui dont elle est saisie. En somme, rien dans cet arrêt n’appuie la thèse de la CSEM sur les effets de l’art. 23.

[599]      Un dernier arrêt mérite lui aussi un examen attentif : CSFCB[641]. En 2020, le conseil appelant (« le Conseil »), seul du genre en Colombie-Britannique, administrait 37 écoles à l’échelle de la province. Par sa procédure introductive d’instance, il visait à faire corriger des violations alléguées de l’art. 23, dont certaines touchaient divers aspects du financement des services dispensés par le Conseil, et d’autres concernaient des demandes d’approbation de nouvelles écoles ou d’améliorations à apporter à des écoles existantes. Insatisfait du résultat obtenu en première instance, le Conseil, qui avait eu partiellement gain de cause, porta le jugement en appel. La Cour d’appel rejeta son pourvoi et accueillit le pourvoi incident de la province qui, de son côté, contestait l’octroi de dommages-intérêts au Conseil par la juge de première instance. En Cour suprême, les motifs majoritaires de sept juges sont de la plume du juge en chef Wagner. Il y accueille en partie le pourvoi du Conseil. Les juges Brown et Rowe sont dissidents en partie.

[600]      L’arrêt CSFCB fut l’occasion pour la Cour suprême de procéder à une mise à jour complète du cadre d’analyse établi par l’arrêt Mahe. Après avoir constaté que les jugements de première instance et d’appel dans le dossier procédaient à une analyse poussée et rigoureuse de divers enjeux, le juge en chef Wagner ajoute néanmoins, et d’emblée, que ces juridictions « ont adopté une interprétation démesurément restrictive de l’art. 23 »[642]. Aussi l’arrêt CSFCB offre-t-il des indications précises et fort éclairantes sur ce qu’il faut tirer de l’arrêt Mahe, sans pour autant remettre en question les principales caractéristiques du cadre d’analyse contenu dans cet arrêt. Puis, aux par. 90 à 93 des motifs majoritaires, le juge Wagner fait la synthèse de cette démarche, avant de l’appliquer aux faits que le procès a mis en évidence. On ne commentera pas dans les présents motifs l’ensemble des éclaircissements apportés par la Cour suprême, car de nombreux éléments d’analyse dans l’arrêt CSFCB portent sur des considérations tout à fait étrangères à ce qui est en cause dans les pourvois actuellement devant la Cour. Il est cependant opportun de mentionner ses aspects les plus saillants pour nous, ceux qui peuvent se révéler pertinents ici.

[601]      La structure mise sur pied par l’arrêt Mahe demeure en place, mais ce qu’il faut soupeser dans l’appréciation de chacune de ses composantes évolue et se précise. Au sommet de l’échelle variable en Colombie-Britannique se trouvent les écoles dites « homogènes[643] » de langue française. Ce sont des établissements entièrement distincts, gérés et contrôlés par la minorité linguistique. Une école homogène minoritaire a toujours lieu d’exister là où les enfants de cette minorité se présentent en nombre suffisant pour égaler du côté des enfants de la majorité les effectifs qui justifient pour eux la création d’une école homogène de langue anglaise dans la même région. L’opération de dénombrement doit tenir compte des projections démographiques à long terme. Pour être équitable, il peut arriver qu’elle doive s’effectuer sur une base provinciale plutôt que locale. Un nombre X d’écoles homogènes de la majorité pour des effectifs d’élèves comparables à ceux de la minorité fait présumer que, toute proportion gardée, un nombre X d’écoles homogènes de la minorité serait lui aussi approprié, étant entendu par ailleurs que « comparable » ne signifie pas « identique ». La province peut cependant contrer cette présomption par une preuve prépondérante qui en réfute les éléments constitutifs, en tout ou en partie. À mesure que l’on s’éloigne du sommet et que l’on se rapproche de la base de l’échelle, l’attention se porte vers la gamme des services scolaires dispensés à la minorité et la question centrale devient celle de savoir s’il existe une équivalence entre ceux offerts à la majorité et ceux offerts à la minorité. Ce faisant, équivalence formelle et équivalence proportionnelle cèdent le pas devant le véritable critère applicable, celui de l’équivalence réelle. Il doit être abordé conformément à l’approche présentée dans l’arrêt Rose-des-vents, en gardant toujours à l’esprit le risque d’assimilation et d’érosion culturelle de la minorité.

[602]      Ce qui précède doit se comprendre en tenant compte de l’impact réel (c.-à-d. en fait) de l’arrêt de la Cour. La complexité de l’exercice d’appréciation qu’impose le cadre d’analyse fixé par elle ressort de manière frappante du dispositif majoritaire dans l’arrêt CSFCB[644]. Il en était déjà de même du dispositif du jugement de première instance[645], alors que la Cour suprême n’avait pas encore apporté les précisions que contient l’arrêt CSFCB. La juge de première instance avait conclu que les communautés francophones de Squamish, Sechelt (secteur de l’école élémentaire du Pacifique), Penticton (secteur de l’école élémentaire Entre-Lacs) et Vancouver Ouest[646] avaient droit à des écoles homogènes. Cette interprétation de l’arrêt Mahe, on l’a vu, parut « démesurément restrictive » à la majorité de la Cour suprême. Elle ajoute donc plusieurs écoles homogènes (pour Abbotsford, la vallée centrale du Fraser, Burnaby, Chilliwack, Vancouver Nord-Est, Victoria Est, Victoria Nord, Victoria Ouest et Whistler[647]). La capacité d’accueil de ces écoles homogènes, qui se chiffrait à 900 élèves après le jugement de première instance, augmente de 967 places pour passer à 1867 élèves. Le dispositif de l’arrêt CSFCB, qui revêt la forme d’une série de conclusions déclaratoires, contient également quatre jugements visant quatre régions distinctes et tous libellés de la même façon, comme le suivant pour la région de Kelowna :

[183] […]

e) Les enfants des ayants droit de la région de Kelowna sont en droit de bénéficier d’une expérience éducative réellement équivalente à celle offerte dans les écoles avoisinantes de la majorité.[648]

b. Effet de l’article 23 en l’occurrence

[603]      Si l’on rassemble les indications tirées de la jurisprudence qui précède pour tenter d’en faire une courte synthèse, on constate en premier lieu que, parmi les mesures prises par les tribunaux lorsqu’ils estiment que le régime de l’art. 23 les impose, toutes sans exception touchent à l’épicentre des droits linguistiques minoritaires en milieu scolaire. Elles concernent notamment ceci :

  1. les conditions matérielles, pédagogiques et administratives de la prestation de l’enseignement dans la langue minoritaire (le droit à l’instruction dans la langue minoritaire, le droit à des classes distinctes où se donne un enseignement dans la langue minoritaire, le droit à une représentation proportionnelle de la minorité dans les conseils ou les commissions scolaires de la majorité linguistique, le droit à des écoles « homogènes » dans la langue minoritaire, le droit à des conseils ou commissions scolaires autonomes pour gérer l’école ou les écoles homogènes, le droit de gestion et de contrôle exclusif sur ces établissements);
  2. les modalités d’accompagnement de l’activité scolaire (tels le transport scolaire ou les activités parascolaires culturelles et sportives);
  3. les effets potentiellement dissuasifs auprès des ayants droit de certaines mesures prises en application de l’art. 23, parfois susceptibles d’accélérer l’assimilation de la minorité ou l’érosion de sa culture en raison des impacts de tel ou tel régime pédagogique (seulement quelques heures d’enseignement dans la langue minoritaire, ou encore l’apprentissage d’une langue minoritaire comme langue seconde dans des classes d’immersion plutôt que l’enseignement de la langue minoritaire comme langue première dans une école de la minorité linguistique).

[604]      Pour les minorités linguistiques et culturelles anglaises et françaises du Canada, l’art. 23 sert de rempart contre leur propre déclin. La volonté d’éviter les risques d’assimilation dus aux atermoiements fréquemment constatés dans ce secteur d’activité gouvernementale est donc une considération importante et fréquemment invoquée par les tribunaux. Or, ce facteur précis est totalement absent du dossier en cours.

[605]      Dans l’interprétation et l’application de l’art. 23, il faut d’abord se soucier du sort fait aux droits des titulaires ou des ayants droit visés par la disposition, puis de l’impact que l’atteinte à ces droits peut avoir sur la situation des autres bénéficiaires du régime, tels les élèves du primaire et du secondaire ou les « établissements », nous dit l’art. 23, destinés à les accueillir. Après tout, la Charte canadienne introduit l’art. 23 sous la rubrique « Droits à l’instruction dans la langue de la minorité / Minority Language Educational Rights ». Or, aucun ayant droit n’est préjudicié ici. Rien dans la Loi n’affecte de quelque façon que ce soit l’emploi de la langue anglaise dans les programmes d’enseignement. Rien ne restreint non plus son usage illimité en contexte scolaire, que ce soit par les élèves, dans les bureaux des commissions scolaires de la minorité linguistique ou encore dans les écoles où les membres de la minorité linguistique exercent leurs professions comme enseignants, professionnels de soutien pédagogique, gestionnaires d’école ou autrement. Est plutôt en cause ici une restriction sur le recrutement du personnel, laquelle demeure cependant étrangère à toute considération linguistique.

[606]      En outre, aucun des arrêts examinés dans les pages précédentes ne s’approche de près ou de loin de la situation dont le juge de première instance était saisi. Il est certain que les principes que la Cour suprême dégage de l’art. 23 doivent être interprétés avec souplesse, cela va de soi. Néanmoins, le texte même d’une disposition de la Constitution peut imposer des contraintes évidentes, ce à quoi il a déjà été fait allusion. Interpréter la jurisprudence qui traite de la Charte canadienne comporte aussi ses propres contraintes. Il faut là aussi être attentif au contexte, ce qui impose de tenir compte des faits pertinents qui ont motivé les avancées de la jurisprudence. L’idée même de précédent dépend de cela – et un précédent, c’est beaucoup plus que de simples mots susceptibles d’être cités hors contexte, c’est aussi le contexte d’où ils émergent. Le contexte éclaire le lecteur sur le sens des mots utilisés, sur leur acception propre dans ce cas-ci ou dans celui-là, et il informe le lecteur sur leur portée intentionnelle.

[607]      L’argumentaire des parties opposées à la Loi, s’il y était donné suite, constitutionnaliserait artificiellement une pratique, d’ailleurs d’apparition récente, qui n’a strictement rien à voir avec la langue anglaise telle qu’elle est enseignée et utilisée par la minorité linguistique du Québec en milieux scolaires primaire et secondaire. On tente de justifier ce raisonnement, qui tient au mieux de l’extrapolation normative, en invoquant la faculté pour les établissements issus de l’art. 23 de perpétuer et de promouvoir la « culture » particulière qu’on dit véhiculée dans le réseau scolaire de langue anglaise, culture qui favoriserait la diversité, notamment religieuse.

[608]      La notion polymorphe de « culture », entendue ici comme une notion d’ordre ethnologique ou sociologique, est certainement plus vaste que celle de « langue de la minorité ». Elle est même potentiellement fort extensible. Cette notion embrasse des quantités de concepts qui ont peu à voir, ou n’ont rien du tout à voir, avec la langue en tant que telle. On parle ainsi de culture générale, ancienne ou moderne, de culture politique, juridique, autochtone, religieuse, littéraire, musicale ou gastronomique, méditerranéenne ou asiatique. Il y a là autant d’entités composites ou syncrétiques qui peuvent évoluer avec profit sans dépendre du support d’une seule et même langue, qu’elle soit minoritaire ou majoritaire. Souvent d’ailleurs, de telles entités existent parallèlement en de nombreuses langues qu’elles parviennent à toutes transcender. Il ne peut faire de doute que langue et culture, en ce sens, ne se confondent pas.

[609]      Néanmoins, et plus spécifiquement, ce qui serait valorisé ici, c’est une culture de l’ouverture, de la diversité, de l’héritage multiculturel canadien et du pluralisme, en particulier sur le plan religieux. En ce qui concerne le multiculturalisme et la diversité culturelle, il est vrai que l’art. 27 de la Charte canadienne fait explicitement une place dans la Constitution du pays au « patrimoine multiculturel des Canadiens / multicultural heritage of Canadians ». Cet art. 27 doit cependant être concilié avec l’art. 23, où il n’est nulle part question de minorités culturelles autres que la minorité linguistique anglophone et la minorité linguistique francophone, seules titulaires de droits en vertu de cette disposition. Quant au pluralisme, une conception ouverte de celui-ci, qui elle aussi a droit de cité, invite à distinguer entre différentes manifestations de la diversité. On pourrait observer ici qu’il est difficile d’associer au pluralisme ou à la tolérance certaines manifestations extrêmes d’orthopraxie (dont quelques-unes sont visées par l’art. 8 de la Loi). Or, ce qui fait figure pour certains de dogmes inaltérables, issus d’une révélation divine, peut constituer pour d’autres, qui eux aussi ont droit à la liberté de conscience et à la liberté de pensée, un agrégat de croyances exogènes fondées sur des superstitions et, parfois même, relevant du sectarisme. Bien des clivages dans la société peuvent aussi se manifester sur plusieurs autres plans, par exemple en raison d’une intransigeance idéologique, intégriste ou identitaire. La page, semble-t-il, n’est pas encore entièrement tournée sur les frictions de ce genre, rendues possibles par la diversité et, en un sens, issues d’elle. Et il n’est pas dit non plus qu’il serait souhaitable que cette page soit un jour entièrement tournée, surtout si de tels clivages et de telles frictions sont une contrepartie nécessaire à l’instauration d’une plus grande diversité dans la société. Mais en disant tout cela, on s’éloigne beaucoup de la langue, et rien de cela n’est visé par l’art. 23 de la Charte canadienne.

[610]      Cela ne veut pas dire qu’on ne peut concevoir un lien rationnel entre la langue d’une minorité linguistique visée par l’art. 23 et, entendue au sens fort, la culture de cette minorité, celle qui est imprégnée de sa langue, celle dont la langue est le support même.

[611]      Ainsi, il est assez fréquent que les gouvernements provinciaux modifient le régime pédagogique ou le contenu des programmes dans le système scolaire. Personne d’ailleurs ne doute que, de manière générale, ils ont le pouvoir de le faire. Il arrive même qu’ils dictent avec précision le contenu des cours que doit y dispenser le personnel enseignant. Et de telles interventions suscitent parfois des réactions réservées, ou même vives et hostiles, d’usagers du système scolaire, comme l’illustrent fort bien dans un registre autre que l’enseignement des langues les arrêts S.L. c. Commission scolaire des Chênes[649] et École secondaire Loyola c. Québec (Procureur général)[650].

[612]      On peut aussi concevoir sans peine qu’un ministère de l’Éducation intervienne sur ce qui est enseigné dans le cadre des programmes en vigueur au moyen d’une initiative, peut-être maladroite, susceptible d’avoir en milieu scolaire un impact direct et sensiblement préjudiciable sur la qualité et l’épanouissement d’une langue minoritaire. Une réforme des programmes, par exemple, qui préconiserait ou, a fortiori, qui prétendrait imposer dans l’enseignement de la langue anglaise, là où elle est minoritaire, le seul usage d’une littérature locale, excluant ainsi plusieurs écrivains anglophones de renommée internationale, serait de cette nature. Cela constituerait à n’en pas douter une politique dommageable pour la langue minoritaire et pour la culture qu’elle véhicule, une action gouvernementale dont l’effet – même involontaire – serait de notoirement les appauvrir, de les réduire aux dimensions d’une langue et d’une culture régionales, et donc d’en ternir le rayonnement véritable à leur grand détriment.

[613]      En variant l’hypothèse, on peut imaginer un résultat identique parce qu’également dommageable en substituant dans cet exemple la langue de la minorité française et un large éventail de noms célèbres dans la littérature francophone internationale. Il reste qu’une action gouvernementale de ce genre, néfaste pour la diffusion et le plein épanouissement d’une langue et, par voie de conséquence, pour la culture qui en est indissociable, pourrait constituer, si elle était contestée, comme il est probable qu’elle le serait, une atteinte au droit de contrôle et de gestion des établissements d’enseignement de la minorité. Et ne constituerait assurément pas une réponse acceptable le fait de dire que, de toute manière, si l’occasion s’en présente, les élèves francophones pourront étudier les grands auteurs ou autrices francophones en traductions anglaises, pendant leurs cours d’anglais. Mais, encore une fois, il s’agit ici du rapport étroit, voire fusionnel, entre une langue minoritaire protégée par l’art. 23 et la culture qu’elle diffuse là où l’usage de cette langue est suffisamment répandu.

[614]      Ce n’est pas le cas en l’occurrence. On tente plutôt d’agglutiner autour de la notion de « culture » des éléments qui n’ont aucun rapport direct ou même de simple proximité avec la langue. Dans le meilleur des cas pour les parties opposées à la Loi, lequel n’est pas démontré, de tels éléments se situent à la grande périphérie de la notion de culture. Sont ainsi introduites devant la Cour des demandes qui, à la lumière de la jurisprudence pertinente, n’ont rien de commun avec les revendications qui, au cours des trente-cinq ou quarante dernières années, furent jugées recevables et fondées dans le cadre de l’art. 23 de la Charte canadienne. En d’autres termes, le jugement de première instance prête à l’art. 23 une portée qu’il n’a pas. Ce faisant, il conclut erronément que la Loi enfreint cette disposition de la Charte canadienne. Il y a donc lieu d’intervenir pour le réformer sur ce point et pour casser son dispositif.

[615]      Vu ce résultat, il est inutile de s’étendre davantage sur l’art. 1 de la Charte canadienne. Il n’est pas non plus nécessaire d’aborder les arguments des parties relatifs au remède accordé par le juge de première instance.

E. Éligibilité aux élections législatives provinciales

[616]      La contestation sous ce chapitre met en cause les droits démocratiques consacrés par l’art. 3 de la Charte canadienne, lequel, à charge de redite, n’est pas visé par l’art. 33 (disposition de dérogation) et dont voici le libellé :

3. Tout citoyen canadien a le droit de vote et est éligible aux élections législatives fédérales ou provinciales.

3. Every citizen of Canada has the right to vote in an election of members of the House of Commons or of a legislative assembly and to be qualified for membership therein.

[617]      Les dispositions de la Loi qui sont ici en cause sont l’art. 6, lu en conjonction avec les par. 1° et 6° de l’annexe II, et l’art. 8 al. 1, lu en conjonction avec le par. 1° de l’annexe III. Voici les extraits de ces dispositions qui sont les plus pertinents pour la résolution de ce moyen d’appel (nous reproduisons certains d’entre eux de nouveau par souci de commodité) :

6. Le port d’un signe religieux est interdit dans l’exercice de leurs fonctions aux personnes énumérées à l’annexe II. […]

 

6. The persons listed in Schedule II are prohibited from wearing religious symbols in the exercise of their functions. […]

ANNEXE II

[…]

PERSONNES VISÉES PAR L’INTERDICTION DE PORTER UN SIGNE RELIGIEUX DANS L’EXERCICE DE LEURS FONCTIONS

 le président et les vice-présidents de l’Assemblée nationale;

[…]

 le ministre de la Justice et procureur général […]

 

SCHEDULE II

[…]

PERSONS SUBJECT TO THE PROHIBITION ON WEARING RELIGIOUS SYMBOLS IN THE EXERCISE OF THEIR FUNCTIONS


(1) the President and Vice-Presidents of the National Assembly;

[…]

(6) the Minister of Justice and Attorney General […]

8. Un membre du personnel d’un organisme doit exercer ses fonctions à visage découvert. […]

 

8. Personnel members of a body must exercise their functions with their face uncovered. […]

ANNEXE III

[…]

PERSONNES ASSIMILÉES À UN MEMBRE DU PERSONNEL D’UN ORGANISME POUR L’APPLICATION DES MESURES RELATIVES AUX SERVICES À VISAGE DÉCOUVERT

 un député de l’Assemblée nationale; […]

SCHEDULE III

[…]

PERSONS CONSIDERED TO BE PERSONNEL MEMBERS OF A BODY FOR THE PURPOSES OF MEASURES RELATING TO SERVICES WITH FACE UNCOVERED

(1) Members of the National Assembly; […]

[618]      Le juge de première instance a refusé de reconnaître que les dispositions litigieuses échappaient à un examen fondé sur la Charte canadienne en tant que règles constituant l’exercice d’un privilège parlementaire. Il a par ailleurs retenu que l’effet conjugué du premier alinéa de l’art. 8 et du paragraphe 1° de l’annexe III de la Loi portait atteinte au droit à l’éligibilité aux élections provinciales garanti par l’art. 3 de la Charte canadienne. Il a toutefois conclu que l’art. 6 et les paragraphes 1° et 6° de l’annexe II ne restreignaient en rien ce droit. Le PGQ se pourvoit contre les deux premières conclusions, tandis que Lord Reading se pourvoit contre la troisième.

[619]      Le PGQ fait notamment valoir que le premier paragraphe de l’annexe III de la Loi[651], qui a pour effet de rendre applicable aux députés de l’Assemblée nationale l’obligation énoncée au premier alinéa de l’art. 8 d’exercer leurs fonctions à visage découvert[652], n’est pas contraire à l’art. 3 de la Charte canadienne et que le juge de première instance a erré en en décidant autrement. D’autant, ajoute-t-il, que le juge aurait dû refuser de statuer sur cette question constitutionnelle et sur celle relative au privilège parlementaire vu l’absence de contexte factuel au soutien de celles-ci.

[620]      De son côté, Lord Reading plaide que le juge a erré en refusant de conclure que l’art. 6 de la Loi, lu en conjonction avec les paragraphes 1° et 6° de l’annexe II, constitue une violation de l’art. 3 de la Charte canadienne en ce que ces dispositions ont pour effet d’interdire au président et aux vice-présidents de l’Assemblée nationale ainsi qu’au ministre de la Justice et procureur général (collectivement désignés « les Parlementaires visés ») de porter des signes religieux dans l’exercice de leurs fonctions.

[621]      Aux questions soulevées par le PGQ et Lord Reading s’ajoute l’intervention en appel du Président. Celui-ci demande à la Cour d’annuler la partie du jugement de première instance portant sur les privilèges parlementaires et de ne pas trancher cette question en appel en raison du « vide factuel » qui l’entoure. Subsidiairement, advenant que la Cour décide de se prononcer sur la question, il avance que l’art. 6, lu conjointement avec le paragraphe 1° de l’annexe II de la Loi, et l’art. 8, lu conjointement avec le paragraphe 1° de l’annexe III, échappent à un examen judiciaire en ce qu’ils relèvent du privilège parlementaire relatif à la gestion des affaires internes de l’Assemblée nationale.

[622]      Avant d’analyser les prétentions des parties, résumons d’abord brièvement les motifs du juge de première instance.

1. Bref retour sur les motifs livrés en première instance

[623]      Comme on l’a vu, le juge de première instance estime que le premier paragraphe de l’annexe III de la Loi, qui a pour effet de rendre applicable aux députés l’obligation d’exercer leurs fonctions à visage découvert énoncée au premier alinéa de l’art. 8, porte atteinte au droit à l’éligibilité aux élections provinciales garanti par l’art. 3 de la Charte canadienne.

[624]      Pour conclure ainsi, le juge rejette d’emblée la prétention du PGQ selon laquelle « il ne faut pas confondre le droit de siéger [à l’Assemblée nationale] avec celui de se porter candidat à une élection »[653]. Il écarte également les prétentions du PGQ relatives au privilège parlementaire. L’interdiction prévue à la Loi, écrit-il, « s’avère d’une autre nature que les règles traitant de la discipline ou posant des balises dans le cadre des débats ou des travaux parlementaires »[654]. Toujours selon le juge, le PGQ n’a pas « démontr[é] que l’Assemblée nationale doit détenir un pouvoir non susceptible de révision à l’égard de la gestion du port des signes religieux ou de vêtement [couvrant] le visage afin d’assurer sa souveraineté en sa qualité d’assemblée législative délibérante »[655].

[625]      Le juge de première instance conclut que le PGQ ne remplit pas davantage son fardeau de justifier cette atteinte en vertu de l’article premier de la Charte canadienne. Par conséquent, en application de l’art. 52 de la LC 1982, il déclare inopérant le premier paragraphe de l’annexe III, lu en conjonction avec l’art. 8 al. 1 de la Loi[656].

[626]      Au regard de l’art. 6 et des premier et sixième paragraphes de l’annexe II de la Loi, le juge conclut que le fait d’occuper les fonctions des Parlementaires visés tient d’un certain privilège et non d’un droit, de sorte que la prohibition du port d’un signe religieux pour ces personnes ne relève pas à strictement parler de l’art. 3 de la Charte canadienne[657]. Il refuse donc de prononcer la déclaration d’invalidité recherchée en ce qui concerne ces dispositions.

2. Analyse

[627]      Devant la Cour, l’argumentaire des parties se résume aux trois questions suivantes :

-          La Cour doit-elle trancher la question de savoir si les dispositions litigieuses de la Loi échappent à un examen fondé sur la Charte canadienne en ce qu’elles constituent l’exercice d’un privilège de l’Assemblée nationale et, si oui, le juge de première instance a-t-il erré sur cette question?

-          Le juge de première instance a-t-il erré en concluant que le premier paragraphe de l’annexe III de la Loi, lu en conjonction avec l’art. 8, porte atteinte au droit à l’éligibilité aux élections provinciales garanti par l’art. 3 de la Charte canadienne et que cette violation ne peut se justifier au regard de l’article premier de cette même charte?

-          Le juge de première instance a-t-il erré en refusant de conclure que les par. 1° et 6° de l’annexe II relatifs aux Parlementaires visés, lus en conjonction avec l’art. 6 de la Loi, constituent une violation de l’art. 3 de la Charte canadienne?

[628]      Chacune de ces questions mérite que l’on s’y attarde.

a. Privilège parlementaire

[629]      Le PGQ et le Président font grief au juge d’avoir tranché la question du privilège parlementaire, alors qu’il « aurait dû privilégier une approche prudente sur cet enjeu de nature constitutionnelle », d’autant que sa conclusion repose sur « une assise factuelle purement théorique »[658]. Le PGQ ajoute ne pas avoir « cherché à invoquer le privilège parlementaire comme moyen de défense »[659]. Le Président, pour sa part, affirme que son absence du débat en première instance « a privé le juge de première instance d’un éclairage pertinent concernant les privilèges, plus particulièrement quant au fonctionnement de l’Assemblée [nationale] »[660]. De façon subsidiaire, le Président invite la Cour à conclure que le juge a confondu l’appréciation que doit faire un tribunal de l’existence du privilège parlementaire avec celle de son exercice, ce dernier relevant exclusivement de l’assemblée législative et échappant à tout contrôle judiciaire.

[630]      Qu’en est-il?

[631]      Dans Vaid[661], arrêt de principe en matière de privilège parlementaire au Canada, le juge Binnie énonce, au nom d’une Cour unanime, « un certain nombre de propositions maintenant acceptées tant par les tribunaux que par les spécialistes du domaine parlementaire »[662]. Il y a lieu de revenir brièvement sur certaines d’entre elles afin de souligner le rôle et l’importance du privilège parlementaire au sein de notre régime constitutionnel.

[632]      La définition du privilège parlementaire, qui ne porte pas à controverse, se résume en ces termes :

29 […]

2. Dans le contexte canadien, le privilège parlementaire est la somme des privilèges, immunités et pouvoirs dont jouissent le Sénat, la Chambre des communes et les assemblées législatives provinciales ainsi que les membres de chaque Chambre individuellement, sans lesquels ils ne pourraient s’acquitter de leurs fonctions […].[663]

[633]      Le privilège parlementaire a pour objet d’assurer le respect de la séparation constitutionnelle des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire et, à ce titre, bénéficie d’un statut constitutionnel[664]. Il assure à la législature « l’autonomie requise pour “s’acquitter de ses fonctions constitutionnelles”, à savoir ses fonctions législative, délibérative et de contrôle du gouvernement »[665]. Voici comment la juge Karakatsanis, pour la majorité, résume ces enseignements dans l’arrêt Chagnon :

[1] Au Canada, les organes législatifs disposent de privilèges parlementaires inhérents qui découlent de leur nature et de leur fonction au sein d’une démocratie parlementaire basée sur le modèle du Parlement de Westminster. En protégeant certains domaines d’activité législative d’une révision externe, le privilège parlementaire contribue à maintenir la séparation des pouvoirs. […].

[…]

[23] […] Il s’agit d’un élément fondamental et essentiel du modèle de démocratie parlementaire du Parlement de Westminster. Comme au RoyaumeUni, les privilèges inhérents des organes législatifs canadiens constituent un moyen de préserver leur indépendance et de favoriser le fonctionnement des travaux de la démocratie représentative. Ils visent à permettre à la branche législative et à ses membres de s’acquitter sans crainte et sans intervention externe de leur rôle constitutionnel, soit adopter des lois et agir comme contrepoids au pouvoir exécutif (New Brunswick Broadcasting, p. 354; Vaid, par. 21 et 41). Ces privilèges assurent l’existence d’un [TRADUCTION] « espace indépendant pour les représentants des citoyens afin qu’ils puissent mener à bien leurs fonctions parlementaires; la liberté de débattre et de décider des lois qui s’appliqueront, et la capacité absolue de demander à la branche exécutive de l’État de rendre des comptes » (S.R. Chaplin, « House of Commons v. Vaid : Parlimentary Privilege and the Constitutional Imperative of the Independance of Parliament » (2009), 2 J.P.P.L. 153, p. 154).[666]

[Soulignements ajoutés]

[634]      Il revient à la partie qui invoque l’immunité découlant d’un privilège parlementaire d’établir l’existence de celui-ci. À cette fin, elle doit démontrer que le privilège revendiqué est « nécessaire »[667] (au sens reconnu par la jurisprudence[668]) au bon fonctionnement de l’organe législatif et à l’exercice de la fonction législative. Par ailleurs, afin d’assurer le respect de la séparation des pouvoirs, le rôle des tribunaux se limite à statuer sur l’existence et l’étendue d’un privilège parlementaire; seule la législature peut décider de l’opportunité et des modalités de son exercice :

29 […]

9. C’est uniquement pour établir l’existence et l’étendue d’une catégorie de privilège qu’il faut démontrer la nécessité. Une fois la catégorie (ou la sphère d’activité) établie, c’est au Parlement, et non aux tribunaux, qu’il revient de déterminer si l’exercice de ce privilège est nécessaire ou approprié dans un cas particulier. En d’autres termes, à l’intérieur d’une catégorie de privilège, le Parlement est seul juge de l’opportunité et des modalités de son exercice, qui échappe à tout contrôle judiciaire : « Il n’est pas nécessaire de démontrer que chaque cas précis d’exercice d’un privilège est nécessaire » (New Brunswick Broadcasting, p. 343 (je souligne)).[669]

[635]      Cette immunité contre la révision judiciaire qu’assure le privilège parlementaire est une composante importante de notre structure constitutionnelle et s’étend « même sur le plan de la conformité avec la Charte »[670]. La Charte canadienne et le privilège parlementaire ont le même statut et le même poids sur le plan constitutionnel. Ainsi, en cas de conflit entre le privilège et la Charte canadienne, il faut chercher à les concilier. Dans Chagnon, la majorité, sous la plume de la juge Karakatsanis, reprend à son compte ce que la juge McLachlin, alors minoritaire, écrivait quelques années plus tôt dans Harvey[671] :

[28] Lorsque le privilège revendiqué pourrait porter atteinte aux droits que la Charte garantit à des personnes qui ne sont pas membres de l’assemblée législative, une interprétation téléologique aide à concilier le privilège parlementaire avec la Charte. Ni la Charte ni le privilège parlementaire « ne l’emport[e] » sur l’autre (Harvey c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), [1996] 2 R.C.S. 876, par. 69). Ils ont « le même statut et le même poids constitutionnels » (Vaid, par. 34 (italique omis)). En conséquence, lorsque surviennent des conflits entre la Charte et le privilège parlementaire, « il convient non pas de résoudre ces conflits en subordonnant un principe à l’autre, mais plutôt d’essayer de les concilier » (Harvey, par. 69). Nul doute qu’il sera parfois difficile de concilier ces deux impératifs constitutionnels […]. Dans Harvey, la juge McLachlin a tenté de les concilier en adoptant une interprétation plus étroite de l’art. 3 de la Charte, de sorte qu’il soit compatible avec le privilège parlementaire, et en limitant la portée du privilège en cause à la lumière de la Charte (par. 70 et 74). Une interprétation téléologique du privilège parlementaire tient compte des incidences relatives à la Charte du privilège parlementaire. Elle vise à concilier le privilège et la Charte en veillant à ce que le privilège n’ait pas une portée plus large que nécessaire pour le bon fonctionnement de notre démocratie constitutionnelle.[672]

[Soulignements ajoutés]

[636]      Les quelques paragraphes qui précèdent constituent sans contredit un résumé fort incomplet du droit prétorien relatif au privilège parlementaire. Il permet toutefois de le positionner au sein de la Constitution et de souligner qu’il est, au même titre que la Charte canadienne, « [un] princip[e] constitutionne[l] d’une importance fondamentale »[673].

[637]      Dans ce contexte, on peut s’interroger sur la façon dont le PGQ a abordé cette notion constitutionnelle en première instance. On note en effet que ce n’est qu’à l’occasion des plaidoiries, et donc une fois la preuve close, que le PGQ soulève pour la première fois la question du privilège parlementaire, et ce, de façon plutôt ambiguë.

[638]      Dans son plan d’argumentation modifié, daté du 8 décembre 2020, le PGQ précise qu’il invoque cette notion constitutionnelle afin d’éclairer le juge de première instance à la suite de questions posées à l’occasion des observations du Groupe Hak. Il écrit :

437.1 Ceci étant dit, sans s’exprimer de manière définitive, le PGQ soumet quelques éléments de réponse provisoires aux questions qui ont été posées par le tribunal au sujet de l’article 3 de la Charte canadienne et de son application relativement au paragraphe 1o de l’Annexe II de la Loi (président et vice-président de l’Assemblée nationale, eu égard à la restrictive [sic] relative au port d’un signe religieux), ainsi qu’en ce qui a trait au paragraphe 1o de l’Annexe III (députés, eu égard à l’obligation d’avoir le visage découvert dans l’exercice des fonctions). Certaines questions ont également été posées au sujet d’une partie du paragraphe 6 o de l’Annexe II.

Paragraphe 1o de l’Annexe II et paragraphe 1o de l’Annexe III

437.2  Si le tribunal choisissait de soulever la question du droit d’éligibilité, il se poserait inévitablement celle du privilège parlementaire en lien avec le paragraphe 1o de l’Annexe II de la Loi, ainsi qu’avec le paragraphe 1o de l’Annexe III.[674]

[Soulignements ajoutés]

[639]      Pourtant, on constate que « la question du droit à l’éligibilité » n’était pas une question nouvelle soulevée par le juge puisque, à tout le moins en ce qui a trait à l’art. 8 al. 1 et au paragraphe 1° de l’annexe III de la Loi, elle était au cœur des prétentions du Groupe Hak en première instance et, par le fait même, de la défense du PGQ quant à la portée de l’art. 3 de la Charte canadienne[675].

[640]      Mais quoi qu’il en soit, le PGQ ajoute ne pas « s’exprimer de manière définitive »[676] sur la question du privilège parlementaire, tout en invitant le juge de première instance à faire preuve de prudence sur cette question, puisque, entre autres, le Président n’est pas partie au débat :

437.3  Les enjeux relatifs à la doctrine des privilèges parlementaires sont complexes et soulèvent des questions fondamentales ayant trait, entre autres, à l’équilibre entre le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire. […]

437.4  Comme le juge Binnie l’écrit dans [l’arrêt Vaid], au paragraphe 20 « [c’]est suivant un principe d’une grande sagesse que les tribunaux et le Parlement s’efforcent de respecter leurs rôles respectifs dans la conduite des affaires publiques. […] Les tribunaux, quant à eux, prennent soin de ne pas s’immiscer dans le fonctionnement du Parlement. […] ». Selon lui, le « privilège parlementaire constitue donc l’un des moyens qui permettent d’assurer le respect du principe fondamental de la séparation constitutionnelle des pouvoirs ». […]

437.5  Il s’agit ainsi du genre de débat à l’égard duquel il serait hautement imprudent de statuer sans donner une opportunité pleine et entière à l’Assemblée nationale de faire valoir son point de vue.[677]

[Soulignements ajoutés]

[641]      Malgré cette mise en garde qui, en principe, le concerne également, le PGQ poursuit ses observations écrites en plaidant, mais toujours « sans s’exprimer de manière définitive », que le paragraphe 1° de l’annexe II, conjugué à l’art. 6 de la Loi, et le paragraphe 1° de l’annexe III, conjugué à l’art. 8 al. 1, « concernent vraisemblablement deux catégories de privilèges fermement établies, soit celui du contrôle qu’exerce l’Assemblée nationale sur ses débats ou travaux et son pouvoir disciplinaire à l’endroit de ses membres »[678] (italiques ajoutés). Ses observations orales vont dans le même sens[679].

[642]      Bref, si on tente de résumer le tout, on comprend que le PGQ met le juge de première instance en garde contre le risque de statuer sur l’existence d’un privilège de l’Assemblée nationale en l’absence du Président, tout en plaidant la protection limitée accordée par l’art. 3 de la Charte canadienne et en affirmant du même souffle, mais « sans s’exprimer de manière définitive » sur ce point, que les dispositions litigieuses concernent l’exercice valide de deux catégories de privilège parlementaire.

[643]      Dans un tel contexte, la Cour ne peut certainement pas reprocher au juge de première instance d’avoir étudié, avec soin d’ailleurs, la question du privilège parlementaire. Vu l’ambiguïté réelle découlant des observations du PGQ sur cette question, le juge pouvait raisonnablement comprendre que celui-ci invoquait le privilège parlementaire comme « moyen de défense »[680], malgré les réserves et mises en garde formulées par lui.

[644]      La situation est toutefois différente en appel, à la lumière notamment des précisions apportées par le PGQ et de l’intervention du Président. Au regard des circonstances devant elle, la Cour estime inopportun de statuer sur l’existence (ou l’inexistence) d’un privilège parlementaire. Voici pourquoi.

[645]      D’abord, comme on l’a vu, le privilège parlementaire est un « principe constitutionnel d’une importance fondamentale », qui ne doit pas être invoquéet, par conséquent, décidé à la légère. Il revient à la partie qui invoque l’immunité que confère le privilège parlementaire d’en établir l’existence. Or, devant la Cour, aucune partie n’invoque l’existence d’une telle immunité. Le Président, à titre d’intervenant, reproche au juge de s’être prononcé sur la question vu son absence du débat et le « vide factuel » dans lequel elle s’inscrivait. Le PGQ adopte la même position, tout en indiquant expressément ne pas avoir « cherché à invoquer le privilège parlementaire comme moyen de défense »[681], que ce soit en première instance ou en appel. Si la question pouvait porter à confusion en première instance, elle a maintenant le bénéfice d’être claire.

[646]      On note par ailleurs que, sans discuter de la notion de « privilège parlementaire », le PGQ invite néanmoins la Cour à circonscrire la portée de l’art. 3 de la Charte canadienne de façon à en exclure une protection visant ce « qui est propre à l’exercice de la fonction de député une fois élu » ou concernant « les affaires internes d’une Assemblée législative »[682]. On y reviendra, mais selon la Cour, cela est nettement insuffisant pour l’amener à étudier la question constitutionnelle de savoir si les dispositions litigieuses de la Loi sous ce chapitre répondent au test de la nécessité et échappent à un examen fondé sur la Charte canadienne à titre de règles relevant de l’exercice d’un privilège parlementaire.

[647]      Ensuite, le dossier est fort lacunaire quant au contexte factuel pertinent à l’analyse de la détermination de l’existence d’un privilège parlementaire. Cela s’explique manifestement par le fait que cette question n’a été soulevée en première instance qu’une fois la preuve close, à l’occasion des plaidoiries[683].

[648]      Finalement, la question du privilège parlementaire ne permet pas de régler à elle seule le débat entourant les dispositions litigieuses de la Loi (par. 1° et 6° de l’annexe II (art. 6) et par. 1° de l’annexe III (art. 8)). Leur champ d’application va effectivement audelà des fonctions exercées à l’occasion des travaux parlementaires, et donc des matières susceptibles d’être protégées par un privilège parlementaire. Les Parlementaires visés et les autres députés y sont assujettis « dans l’exercice de leurs fonctions / in the exercise of their functions »[684], c’est-à-dire de toutes leurs fonctions, et non pas de leurs seules fonctions législatives exercées à titre de membres d’une assemblée législative. En effet, les fonctions des Parlementaires visés et des autres députés de l’Assemblée nationale ne se limitent pas à leur participation aux travaux parlementaires, lesquels s’échelonnent généralement sur une période 10 à 18 semaines par année, incluant les travaux réguliers et intensifs, selon les moments de l’année[685]. Bien que ces travaux composent une partie essentielle du travail de tout élu, un député agit également comme intermédiaire entre les citoyens de sa circonscription et l’administration publique, ou encore comme représentant de l’État québécois dans différentes activités à l’extérieur de l’Assemblée nationale, que ce soit dans la province, au Canada ou à l’étranger.

[649]      À ce sujet, il convient d’ailleurs de noter ce qui suit. À l’origine, dans son argumentation écrite, le Président demandait à la Cour, advenant le cas où elle déciderait de se prononcer sur la question des privilèges parlementaires, de déterminer que les dispositions de la Loi « qui concernent les membres de l’Assemblée [nationale] relèvent de l’exercice d’un privilège parlementaire constitutionnel reconnu, et que, en conséquence, celles-ci ne peuvent faire l’objet d’une révision par les tribunaux »[686]. À l’audience devant la Cour, il a toutefois modifié la conclusion recherchée pour en réduire la portée aux seuls travaux parlementaires protégés par le privilège parlementaire. Il demande ainsi désormais à la Cour, si elle se prononce sur cette question, de conclure que :

[L’article 6 et][687] [l’]article 8 de la Loi 21 [sont] compatibles avec la Constitution dans la mesure où [ils] se rapport[ent] aux fonctions constitutionnelles qu’exercent une assemblée législative et ses députés dans le cadre des travaux parlementaires, c’est-à-dire dans la mesure où [ils] se rapport[ent] à des matières protégées par le privilège parlementaire.[688]

[650]      Dès lors, même si la Cour devait statuer que les art. 6 et 8 (en lien avec les paragraphes 1° des annexes II et III) échappent à un examen fondé sur la Charte canadienne en tant que règles constitutives de l’exercice de privilèges parlementaires (du moins en ce qui concerne les fonctions exercées par les députés et les Parlementaires visés dans le cadre des travaux parlementaires), la question de la validité constitutionnelle de ces dispositions demeurerait entière à l’égard des autres fonctions des députés et des Parlementaires visés.

[651]      Vu ce qui précède, les questions sur lesquelles la Cour est appelée à se prononcer se trouvent circonscrites par la position adoptée par les parties. Le cas d’espèce se rapproche à cet égard de l’arrêt Harvey, où seul le procureur général du Canada, à titre d’intervenant, avait soulevé la question du privilège parlementaire devant la Cour suprême. Le juge La Forest, au nom de la majorité, écrit à ce sujet que :

20 […] la question [des privilèges parlementaires] n’a pas été plaidée activement devant nous. En fait, il a été admis sans difficulté qu’il convenait d’examiner les dispositions de l’al. 119c) à la lumière de la Charte. Étant donné que les parties au présent pourvoi ont choisi de ne pas fonder leur argumentation sur le fait que l’expulsion et l’inéligibilité sont des privilèges de l’Assemblée législative, et vu que les parties n’ont avancé aucun argument à ce sujet, il n’est pas nécessaire de trancher cette question en l’espèce. Je vais donc poursuivre mon analyse en tenant pour acquis que les dispositions de l’al. 119c) sont assujetties à la Charte.[689]

[652]      La Cour se voit contrainte d’adopter ici la même approche, vu la façon dont cet aspect du litige a été présenté par le PGQ. La Cour n’entend pas aller au-delà des enjeux du dossier tels que soulevés par les parties. Conséquemment, elle ne se prononcera pas sur la question de l’existence d’un privilège parlementaire ni sur celle de la conciliation du privilège (s’il en est) avec l’art. 3 de la Charte canadienne[690]. Cela dit, si l’Assemblée nationale estime être titulaire d’un privilège parlementaire lui permettant d’exiger que ses membres participent aux travaux parlementaires à visage découvert ou sans signes religieux pour les Parlementaires visés ou, au contraire, de les dispenser de toute restriction à cet égard, elle pourra voir à faire le nécessaire pour en faire reconnaître l’existence.

b. Article 8 et paragraphe 1° de l’annexe III de la Loi

[653]      L’argumentaire des parties à ce chapitre repose sur trois axes, qu’il y a lieu d’étudier successivement : 1° la suffisance du fondement factuel permettant de statuer sur la question constitutionnelle; 2° la portée de l’art. 3 de la Charte canadienne et son application, le cas échéant, au paragraphe 1° de l’annexe III (art. 8) de la Loi; et 3° l’article premier de la Charte canadienne.

i.                    Suffisance du fondement factuel

[654]      Le PGQ (soutenu sur ce point par le Président) fait grief au juge de première instance d’avoir statué sur la question constitutionnelle de la validité des dispositions contestées de la Loi au regard de l’art. 3 de la Charte canadienne alors que la contestation « repos[ait] sur un substrat factuel inexistant »[691]. La situation présentée par les parties opposées à la Loi est, selon lui, « purement théorique et hypothétique »[692].

[655]      Le juge a rejeté succinctement cet argument :

[916] Avec égard, selon le Tribunal, ces principes ne s’appliquent pas en l’espèce. En effet, il demeure possible de contester constitutionnellement une disposition législative en utilisant la logique et le bon sens dans la mesure où l’existence d’un contexte factuel n’ajoutera rien de nécessaire au débat judiciaire. Il s’agit d’une telle situation en l’espèce.

[656]      La Cour ne voit là aucune erreur.

[657]      Le PGQ a raison de plaider que cet aspect du débat ne repose pas sur un cas concret (pas plus d’ailleurs que le débat sur l’art. 6 de la Loi). En effet, rien dans la preuve n’établit qu’une personne aurait été empêchée de se porter candidate à une élection provinciale en raison de son obligation d’exercer les fonctions de députée à visage découvert. À ce titre, le débat peut certes être qualifié de théorique[693]. Toutefois, un tel constat ne signifie pas pour autant que le fondement factuel était insuffisant pour permettre au juge de première instance de statuer.

[658]      Le PGQ a également raison d’affirmer qu’en principe, une question constitutionnelle ne doit pas être tranchée dans un vide factuel. Les propos unanimes de la Cour suprême dans Mackay c. Manitoba ne portent pas à ambiguïté :

 Les affaires relatives à la Charte porteront fréquemment sur des concepts et des principes d’une importance fondamentale pour la société canadienne. […] Compte tenu de l’importance et des répercussions que ces décisions peuvent avoir à l’avenir, les tribunaux sont tout à fait en droit de s’attendre et même d’exiger que l’on prépare et présente soigneusement un fondement factuel dans la plupart des affaires relatives à la Charte. […]

 Les décisions relatives à la Charte ne doivent pas être rendues dans un vide factuel. Essayer de le faire banaliserait la Charte et produirait inévitablement des opinions mal motivées. La présentation des faits n’est pas, comme l’a dit l’intimé, une simple formalité; au contraire, elle est essentielle à un bon examen des questions relatives à la Charte. […] Les décisions relatives à la Charte ne peuvent pas être fondées sur des hypothèses non étayées qui ont été formulées par des avocats enthousiastes.[694]

[Soulignements ajoutés]

[659]      En l’occurrence, on ne peut cependant conclure à un vide factuel, comme le plaide le PGQ.

[660]      L’existence d’un fondement factuel est une question de contexte et ne requiert pas nécessairement que la personne à l’origine de la demande ait vu ses droits constitutionnels atteints. Il suffit que le dossier soit suffisamment complet pour permettre au tribunal de statuer. Dans R. c. Mills, la majorité de la Cour suprême écrit à ce sujet :

36 Le simple fait qu’il ne soit pas clair que l’intimé se verra effectivement refuser l’accès à des dossiers susceptibles d’être nécessaires pour pouvoir présenter une défense pleine et entière ne rend pas la demande prématurée. L’intimé n’a pas à prouver que la mesure législative contestée porterait vraisemblablement atteinte à son droit à une défense pleine et entière. Il suffirait d’établir que cette mesure législative est inconstitutionnelle sur le plan de son incidence générale, étant donné que l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 rend inopérante la règle de droit qui est incompatible avec la Constitution.

37 Toutefois, accepter que l’intimé peut contester la constitutionnalité générale de la mesure législative en cause ne répond pas à la question de savoir si, avant de procéder à une contestation constitutionnelle, il doit préalablement demander et se voir refuser la communication de dossiers de tiers. La question à laquelle il faut répondre est de savoir si le dossier d’appel contient suffisamment de faits pour permettre à la Cour de bien trancher les questions soulevées. Comme le juge Sopinka l’a dit au nom de notre Cour dans l’arrêt R. c. DeSousa, [1992] 2 R.C.S. 944 , à la p. 955, lorsqu’il analysait la règle générale selon laquelle les contestations constitutionnelles devaient être tranchées à la fin des débats : «Une attaque, fondée sur la Charte, contre la loi en vertu de laquelle l’accusé a été inculpé, qui semble bien fondée et qui ne dépend pas de faits devant être prouvés au cours du procès pourrait être visée par cette exception à la règle générale» (nous soulignons).[695]

[661]      En l’espèce, la preuve comporte les éléments nécessaires pour statuer sur la portée et, le cas échéant, la violation de l’art. 3 de la Charte canadienne. Cette preuve révèle que quelques femmes de confession musulmane portent le niqab au Québec (bien que leur nombre soit peu significatif[696]), dont l’une a déposé une déclaration sous serment expliquant son choix et les difficultés découlant de l’obligation de découvrir son visage dans son lieu de travail[697]. Qu’une telle personne ait ou non été candidate dans les faits ne modifiera en rien le débat entourant l’art. 3 de la Charte canadienne; il demeurera le même.

[662]      D’ailleurs, outre que d’affirmer qu’un tribunal pourrait être saisi d’un « véritable litige » portant sur la question et bénéficierait ainsi d’un « contexte factuel concret et nécessaire à un éclairage suffisant des enjeux constitutionnels soulevés »[698], le PGQ ne précise aucunement quels sont ces autres faits qu’un cas « concret » ajouterait au débat et de quelle façon.

[663]      Bref, le juge disposait d’une preuve suffisante pour statuer sur la question constitutionnelle relative à l’art. 3 de la Charte canadienne, disposition qui, comme nous le verrons, revêt une « importance privilégiée »[699] et « se trouve au cœur de la démocratie canadienne »[700].

ii.                  Obligation pour les députés d’avoir le visage découvert et article 3 de la Charte canadienne

[664]      Le PGQ avance que le juge de première instance a donné à l’art. 3 de la Charte canadienne « une portée qui va au-delà de la garantie qu’il offre, c’est-à-dire d’assurer à tout citoyen le droit d’être éligible aux élections législatives »[701]. Ainsi correctement circonscrit, ajoute-t-il, l’effet combiné de l’art. 8 et du paragraphe 1° de l’annexe III de la Loi n’y porte aucunement atteinte puisque, d’une part, il n’empêche aucunement une personne de se porter candidate aux élections législatives et que, d’autre part, il ne fait que définir les règles applicables aux membres de l’Assemblée nationale (cet argument se rapprochant encore une fois ici de la notion de privilège parlementaire que le PGQ affirme pourtant ne pas invoquer). Autrement dit, selon le PGQ, l’art. 3 de la Charte canadienne ne protégerait pas les fonctions exercées par une personne après son élection à titre de députée de l’Assemblée nationale.

[665]      De l’avis de la Cour, la lecture proposée par le PGQ de l’art. 3 de la Charte canadienne ne reflète pas l’état du droit. La protection conférée par cette disposition « inclut le droit d’occuper son siège une fois élu »[702], de sorte que l’inhabilité de siéger à l’Assemblée nationale découlant de l’application de l’art. 8 et du par. 1° de l’annexe III de la Loi y porte atteinte.

Interprétation de l’article 3 de la Charte canadienne

[666]      D’entrée de jeu, il y a lieu de souligner que si la jurisprudence relative à l’art. 3 de la Charte canadienne porte principalement (mais non exclusivement) sur sa première partie qui protège le droit de vote, ses enseignements nous semblent tout aussi pertinents à l’analyse de sa deuxième composante, soit le droit à l’éligibilité aux élections législatives.

[667]      Nul ne conteste que les droits garantis par la Charte canadienne doivent recevoir une interprétation large et libérale[703]. Dans l’arrêt Sauvé, la juge en chef McLachlin, dans ses motifs majoritaires, insiste d’ailleurs sur l’importance particulière d’une telle interprétation dans le cas du droit de vote protégé par l’art. 3 :

11 […] Une interprétation large et fondée sur l’objet est particulièrement importante dans le cas du droit de vote. Les rédacteurs de la Charte ont souligné l’importance privilégiée que revêt ce droit non seulement en employant des termes généraux et absolus, mais aussi en le soustrayant à l’art. 33 (clause de dérogation). Je conclus que l’art. 3 doit être interprété littéralement et que sa portée ne devrait pas être limitée par des intérêts collectifs opposés, comme le gouvernement a l’air de le soutenir.[704]

[668]      L’art. 3 de la Charte canadienne doit être interprété en fonction du droit de tout citoyen « de jouer un rôle significatif dans le processus électoral »[705] (c.-à-d. de voter, mais aussi de briguer les suffrages) et en tenant compte de son importance dans notre société démocratique. Comme l’écrivait le juge Iacobucci, au nom de la majorité, dans l’arrêt Figueroa c. Canada (Procureur général) :

26 […] Il ressort […] du texte même de l’art. 3 que l’élément central de cette disposition est le droit de tout citoyen de participer au processus électoral. Il en découle que le droit de tout citoyen de participer à la vie politique du pays revêt une importance fondamentale dans une société libre et démocratique et que l’art. 3 doit être interprété d’une manière propre à faire en sorte que la teneur de ce droit de participation corresponde à l’importance de la participation individuelle à l’élection des députés dans un État libre et démocratique. Définir l’objectif de cette disposition en fonction du droit de tout citoyen de jouer un rôle significatif dans le processus électoral, et non en fonction de la composition du Parlement ou de l’assemblée législative au terme de l’élection, protège davantage contre les interprétations trop restrictives le droit de participation que garantit expressément l’art. 3.

[…]

29 Il s’ensuit donc que la participation au processus électoral possède une valeur intrinsèque indépendamment de son effet sur le résultat concret des élections. Certes, il est vrai que le processus électoral est le moyen utilisé pour élire les députés et former les gouvernements, mais il constitue également le principal moyen permettant au citoyen ordinaire de participer au débat public qui précède l’établissement de la politique sociale. Le droit de briguer les suffrages des électeurs offre à tout citoyen la possibilité de présenter certaines idées et opinions et d’offrir à l’électorat une option politique viable. Le droit de vote permet à tout citoyen de manifester son appui à l’égard des idées et opinions auxquelles souscrit un candidat donné. Dans chacun des cas, les droits démocratiques consacrés à l’art. 3 font en sorte que tout citoyen a la possibilité d’exprimer une opinion sur l’élaboration de la politique sociale et le fonctionnement des institutions publiques en participant au processus électoral.[706]

[Soulignements ajoutés]

[669]      Le juge en chef Wagner, pour la majorité, fait écho à ces propos quelques années plus tard, dans l’arrêt Frank :

[25] Le droit de vote de tout citoyen se trouve au cœur de la démocratie canadienne (Sauvé no 2, par. 1; Opitz, par. 10). Dans Sauvé no 2, un arrêt de principe sur le droit de vote, notre Cour a examiné longuement la nature et l’objet de l’art. 3 avant d’annuler une disposition législative qui rendait inhabiles à voter à une élection fédérale les détenus purgeant une peine de deux ans ou plus. S’exprimant au nom des juges majoritaires, la juge en chef McLachlin a insisté sur l’importance cruciale d’une interprétation large et fondée sur l’objet dans le cas du droit de vote. Elle a statué que les rédacteurs de la Charte ont « souligné l’importance privilégiée que revêt ce droit non seulement en employant des termes généraux et absolus, mais aussi en le soustrayant à l’application de l’art. 33 (clause de dérogation) » (par. 11). En conséquence, toute dérogation à ce droit démocratique fondamental doit être examinée en fonction d’une norme stricte en matière de justification (par. 14).[707]

[Soulignements ajoutés]

[670]      Quant à l’importance de l’art. 3 pour notre démocratie, le juge en chef ajoute :

[27] En conséquence, une interprétation large de l’art. 3 accroît la qualité de notre démocratie et renforce les valeurs sur lesquelles repose notre État libre et démocratique (Figueroa, par. 27). Corollairement, une interprétation trop étroite du droit de vote diminuerait la qualité de la démocratie dans notre système de gouvernement. Comme notre Cour l’a fait observer dans Sauvé no 2, un gouvernement qui n’accorde le droit de vote qu’à un groupe de citoyens choisis se trouve dans les faits à affaiblir la légitimité du système démocratique du pays et à saper le pouvoir dont il se réclame (par. 34).[708]

[671]      Cette lecture de l’art. 3, relative au droit de vote, vaut également pour le droit à l’éligibilité aux élections législatives fédérales ou provinciales, comme l’arrêt Harvey[709] l’atteste. La disposition contestée dans cette affaire[710], adoptée par la législature du Nouveau-Brunswick, restreignait à la fois le droit d’une personne d’être élue à l’assemblée législative provinciale et celui d’y siéger si elle avait été déclarée coupable d’une manœuvre frauduleuse ou d’une infraction électorale. La majorité[711] de la Cour suprême, sous la plume du juge La Forest, conclut que cette disposition viole l’art. 3 de la Charte canadienne[712]. Ses motifs sont de deux ordres. D’abord, malgré le manque de clarté du texte anglais qui emploie le mot « qualified », il retient l’énoncé plus précis de la version française (« éligible ») pour conclure que « le droit d’être candidat et de siéger en tant que député fédéral ou provincial devrait être interprété de manière large »[713] (italiques ajoutés). Ensuite, il conclut que l’art. 3 de la Charte canadienne ne comporte pas de limites inhérentes, une restriction à ce droit devant plutôt être examinée en vertu de l’article premier :

30 Pour interpréter le droit de vote prévu à l’art. 3, notre Cour et les tribunaux canadiens en général ont adopté le point de vue selon lequel la justification des limites imposées à ce droit doit être examinée en vertu de l’article premier de la Charte. Comme je l’ai mentionné plus tôt, je ne crois pas que le libellé de la deuxième partie de l’art. 3 justifie l’adoption d’une façon différente d’aborder le droit d’être candidat à une élection et de devenir député fédéral ou provincial. Ce point de vue est compatible avec la méthode bien établie de notre Cour qui consiste à interpréter largement les droits garantis par la Charte et à imposer à l’État l’obligation de justifier les limites imposées à ces droits. […]

[…]

De même, dans l’arrêt Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du NouveauBrunswick, [1996] 1 R.C.S. 825, au par. 74, la Cour a de nouveau statué qu’une interprétation large du droit en cause, suivie de la pondération, en vertu de l’article premier, des valeurs opposées pertinentes, est préférable sur le plan analytique parce qu’elle permet un contrôle judiciaire fondé sur la Charte qui soit des plus complets et qui tienne compte le plus possible du contexte. Je ne vois aucune raison de ne pouvoir adopter une méthode analogue à l’égard des droits garantis par l’art. 3. Cette façon de faire permet de soupeser les intérêts sociétaux protégés par la disposition fautive, l’al. 119c), en regard des intérêts visés à l’art. 3 au moyen du cadre analytique détaillé établi dans l’arrêt Oakes, précité.[714]

[Soulignements ajoutés]

[672]      Le juge La Forest précise par ailleurs que certaines inhabilités peuvent découler de la Constitution elle-même, sans pour autant constituer une limite à l’art. 3, puisqu’on ne peut se fonder sur une partie de la Constitution pour en invalider une autre. Il réfère alors à l’art. 39 de la LC 1867, qui interdit aux sénateurs de se faire élire, de siéger ou de voter à titre de membres à la Chambre des communes, de même qu’aux dispositions législatives prévoyant l’inéligibilité des juges à ce chapitre (en raison de la séparation des pouvoirs). Ajoutons que la même logique s’applique à l’égard d’un privilège parlementaire dûment établi[715], doctrine qui, comme on l’a vu, n’est pas invoquée ici.

[673]      Dans Frank, la majorité de la Cour suprême reprend cette même approche :

[42] […] En ce qui concerne le droit de vote garanti par l’art. 3 en particulier, toute pondération des intérêts doit être abordée dans le contexte du cadre de justification au regard de l’article premier, plutôt que d’agir comme une limite interne du droit (Harvey, par. 29-30; Sauvé no 2, par. 11).[716]

[674]      Le PGQ a donc tort de prétendre que l’art. 3 de la Charte canadienne ne protège que le droit d’une personne détenant la citoyenneté canadienne de se porter candidate aux élections législatives. La protection conférée par cet article va au-delà du simple droit d’être candidat à une élection; elle inclut le droit de « siéger en tant que député fédéral ou provincial »[717] une fois élu et ne comporte aucune limite interne.

Application à l’article 8 al. 1 et au paragraphe 1° de l’annexe III de la Loi

[675]      Dès lors, force est de conclure que l’art. 8 al. 1, conjugué au paragraphe 1° de l’annexe III de la Loi, porte atteinte à l’art. 3 de la Charte canadienne.

[676]      En effet, la combinaison de ces dispositions impose à toute personne élue au terme d’une élection législative provinciale l’obligation d’exercer ses fonctions de député à visage découvert (sauf pour l’une des raisons énoncées à l’art. 9 de la Loi[718]). Par l’effet conjugué de ces dispositions, une personne dont les croyances religieuses sincères l’obligent à porter un signe religieux qui couvre son visage (comme la burqa ou le niqab) ne pourrait donc exercer les fonctions d’un député de l’Assemblée nationale. Cette exigence constitue une limite, une restriction que l’on impose à la personne qui désire briguer le suffrage de ses concitoyens. Elle constitue une entrave non pas à la stricte possibilité d’être candidat à une élection provinciale[719], mais plutôt au droit d’exercer les fonctions d’un député de l’Assemblée nationale une fois élu. Les personnes qui portent un signe religieux couvrant leur visage (c.-à-d., dans le contexte sociologique actuel, les quelques femmes musulmanes qui portent le niqab ou la burqa par conviction religieuse) sont ainsi privées du droit de « jouer un rôle significatif dans le processus électoral », puisque rien ne leur sert d’être candidates à une élection si elles ne peuvent concrètement, par la suite, exercer les fonctions découlant de cette élection vu l’obligation de retirer leur couvre-visage.

[677]      Le fait que cette limite se rattache au port d’un signe religieux (comme le niqab ou la burqa) ne modifie en rien l’analyse en vertu de l’art. 3 de la Charte canadienne puisque, rappelons-le, selon les enseignements de la Cour suprême, celuici ne comporte aucune limite inhérente ni restriction (outre les limites constitutionnelles comme l’art. 39 de la LC 1867 ou les dispositions législatives qui rendent les juges inhabiles à être élus à titre de députés). C’est plutôt à l’étape de l’analyse en vertu de l’article premier de la Charte canadienne qu’il reviendra d’évaluer les enjeux soulevés par une telle restriction.

[678]      Dès lors, de l’avis de la Cour, le juge de première instance ne commet aucune erreur lorsqu’il écrit :

[919] À l’évidence, il découle logiquement du fait que si une personne élue qui porte un vêtement qui couvre le visage ne peut siéger à l’Assemblée nationale, le fait qu’elle puisse pour autant demeurer éligible à une élection provinciale au Québec constitue en réalité la reconnaissance d’une situation tout aussi absurde qu’intenable à l’égard de l’article 3 de la Charte. En effet, il ne fait aucun doute que la conséquence logique de l’interdiction comporte en elle-même la réalisation effective de la négation du but recherché par l’article 3 de la Charte.

iii.                Article premier de la Charte canadienne

[679]      Il s’agit maintenant de déterminer si cette atteinte à l’art. 3 de la Charte canadienne est justifiée au regard de l’article premier de cette même charte.

[680]      Notre analyse sur cette question sera brève. Le choix du PGQ de ne présenter aucune preuve et de ne faire aucune observation pour s’acquitter du fardeau qui lui incombe en vertu de cette disposition revêt ici une importance capitale. Bien qu’il puisse arriver que certains éléments de cette analyse soient « manifestes ou évidents en soi »[720], ou encore puissent s’appuyer sur « la logique et la raison »[721] ou la connaissance d’office[722], tel n’est pas le cas en l’occurrence.

[681]      Compte tenu de son importance pour notre démocratie et les valeurs sur lesquelles il repose, l’art. 3 de la Charte canadienne requiert « l’application d’une norme stricte en matière de justification lorsque le gouvernement cherche à justifier une restriction [à cet article] »[723]. Les tribunaux doivent procéder à un examen rigoureux et soigné de la justification invoquée par le gouvernement plutôt que d’adopter une attitude empreinte de déférence[724].

[682]      En matière de droit de vote, l’exigence d’avoir le visage découvert n’est pas un concept nouveau au Québec, en ce que le troisième paragraphe du premier alinéa de l’art. 335.2 et l’art. 337 al. 2 de la Loi électorale prévoient déjà l’obligation pour tout électeur de s’identifier à visage découvert[725], et ce depuis 2007[726]. Selon les débats parlementaires, cette exigence découlerait de la volonté de s’assurer de l’identité de la personne se présentant pour voter, de préserver l’intégrité du vote et d’éviter des manœuvres électorales frauduleuses ou encore des gestes de dérision à l’endroit du système électoral[727]. Car la décision de couvrir son visage pour exercer son droit de vote peut certes découler de croyances religieuses sincères pour certaines personnes, mais elle peut également procéder d’un geste de protestation pour d’autres ou encore servir à des fins de fraude électorale.

[683]      On pourrait concevoir que de pareils objectifs, auxquels on doit ajouter l’obligation de respecter le principe de la laïcité de l’État[728], puissent également être pertinents à l’analyse de l’exigence d’exercer leurs fonctions à visage découvert lorsque les députés siègent à l’Assemblée nationale, notamment lors de la tenue d’un vote ou d’une prise de parole. L’exigence pour les parlementaires de voter à visage découvert existe notamment au Royaume-Uni[729], alors qu’en France, est interdit dans l’Hémicycle le port de « tout signe religieux ostensible » qui est associé à « la manifestation de l’expression d’une quelconque opinion »[730] (ce qui excède largement la portée des dispositions contestées de la Loi).

[684]      Toutefois, en l’occurrence, le PGQ n’a pas jugé à propos de débattre de la question ni tenté de justifier l’atteinte à l’art. 3 au regard de l’article premier de la Charte canadienne. On ne peut que s’interroger sur le sérieux de cette approche. Face à une telle situation – alors que le PGQ n’a pas cherché à établir que l’atteinte est justifiée –, les propos de la juge en chef McLachlin dans l’arrêt Sauvé à l’égard du droit de vote, applicables également au droit à l’éligibilité aux élections, portent à réflexion :

34 […] Un gouvernement qui n’accorde le droit de vote qu’à un groupe de citoyens choisis est un gouvernement qui diminue sa capacité d’agir à titre de représentant légitime des citoyens exclus de ce groupe [et] contredit sa prétention à une démocratie représentative […].[731]

[685]      Bref, au vu des faits de l’espèce et de l’absence totale de preuve ou même d’observations de la part du PGQ pour justifier l’atteinte à l’art. 3 de la Charte canadienne, la Cour ne peut entreprendre de son propre chef une analyse fondée sur l’article premier. Conséquemment, il y a lieu de conclure à une absence de justification de l’atteinte à l’art. 3 de la Charte canadienne[732]. Le juge de première instance ne commet conséquemment aucune erreur lorsque, en vertu de l’art. 52 de la LC 1982, il déclare inopérant l’art. 8 al. 1 de la Loi, dans son application aux personnes que vise le premier paragraphe de l’annexe III de ladite loi.

iv.                Remarque additionnelle

[686]      Avant de procéder à l’étude de l’art. 6 et des paragraphes 1° et 6° de l’annexe II de la Loi, une dernière remarque s’impose.

[687]      Le législateur a, par le moyen de l’art. 33 de la Loi, dérogé à l’art. 22 de la Charte québécoise[733], qui protège essentiellement les mêmes droits démocratiques que ceux visés par l’art. 3 de la Charte canadienne. Cette dérogation est cependant sans effet puisque le législateur ne peut déroger à l’art. 3 de la Charte canadienne, vu son statut constitutionnel.

c. Article 6 et paragraphes 1° et 6° de l’annexe II de la Loi

[688]      Lord Reading[734] soutient que le juge de première instance a erré en concluant que les paragraphes 1° et 6° de l’annexe II, lus en conjonction avec l’art. 6 de la Loi (interdiction du port de signes religieux), ne portent pas atteinte à l’art. 3 de la Charte canadienne. Selon elle, ces dispositions créent en réalité deux classes de députés (« distinct classes of elected MNA’s [735]»), d’une part les députés pouvant être considérés pour occuper les postes des Parlementaires visés et, d’autre part, ceux qui ne peuvent l’être parce qu’ils portent un signe religieux. Or, ajoute-t-elle, une telle distinction porte atteinte au droit de chacun de jouer pleinement un rôle significatif dans le processus électoral (art. 3 de la Charte canadienne), en plus d’être contraire à l’obligation de neutralité religieuse de l’État en décourageant « la libre participation de tous à la vie publique, quelle que soit leur croyance »[736].

[689]      De l’avis de la Cour, le juge ne commet aucune erreur en rejetant cet argument. La protection offerte par l’art. 3 de la Charte canadienne n’a pas la portée que Lord Reading voudrait lui accorder.

[690]      Selon l’art. 19 de la Loi sur l’Assemblée nationale[737], le rôle de président ou celui de vice-président de l’Assemblée nationale est confié à une personne élue par les membres de cette assemblée. Le choix du ministre de la Justice, quant à lui, est fait par le premier ministre en vertu de conventions constitutionnelles[738], alors que sa nomination au sein du Conseil exécutif relève du lieutenant-gouverneur (art. 4 de la Loi sur l’exécutif[739]). Le ministre de la Justice est par ailleurs d’office le procureur général du Québec (art. 2 de la Loi sur le ministère de la Justice[740]).

[691]      Or, comme on vient de le voir, l’art. 3 de la Charte canadienne a pour objet de conférer à tout citoyen « non seulement le droit d’être représenté par un député fédéral ou provincial et d’élire ce député, mais aussi celui de jouer un rôle significatif dans le processus électoral »[741]. Son élément central repose ainsi sur « le droit de tout citoyen de participer au processus électoral »[742] et, à cette fin, il protège le droit de tout citoyen d’être candidat à une élection législative fédérale et provinciale et d’y siéger après avoir été dûment élu. Dans Figueroa, la majorité de la Cour suprême, sous la plume du juge Iacobucci, définit ainsi le test à appliquer pour conclure à une atteinte à l’art. 3 :

51 […] Pour qu’il y ait atteinte à l’art. 3, il ne suffit pas qu’une loi établisse une distinction entre un citoyen et un autre ou entre un parti politique et un autre. La différence de traitement doit aussi avoir un effet défavorable sur le droit du demandeur de jouer un rôle significatif dans le processus électoral.[743]

[Soulignement ajouté]

[692]      Les droits garantis par l’art. 3 constituent ainsi des « droits de participation »[744], et plus précisément de participation au processus électoral.

[693]      Bien que cette disposition doive recevoir une interprétation généreuse, celle-ci n’autorise pas la Cour à aller au-delà de son libellé et de l’intention des rédacteurs. Or, rien ne permet de conclure que le droit de se porter candidat aux élections et de siéger comme député inclut celui d’être nommé au sein du Conseil exécutif (sur recommandation du premier ministre) ou celui d’être élu à la présidence ou à la viceprésidence de l’Assemblée nationale par les députés. Cette nomination et cette « élection » ne sont pas le fruit de l’exercice du droit de vote des citoyens, mais résultent de décisions prises par des tiers (le premier ministre et l’ensemble des députés). Elles s’inscrivent dans un tout autre registre, postérieur à l’exercice des droits démocratiques protégés par l’art. 3 et distinct du processus électoral. Cette nomination et cette « élection » reposent sur des considérations tout autres, dont certaines sont de nature essentiellement politique (diversité régionale, sexe, etc.) La Cour ne peut se convaincre que l’intention du constituant était d’étendre la garantie de l’art. 3 aux nominations au sein du cabinet fédéral et des conseils exécutifs provinciaux ou encore au processus d’élection du président ou des vice-présidents des assemblées législatives.

[694]      Certes, d’aucuns peuvent s’étonner du principe mis en œuvre par les paragraphes 1° et 6° de l’annexe II (lus en conjonction avec l’art. 6 de la Loi), ces dispositions visant à exclure par voie législative des députés démocratiquement élus de fonctions ministérielles ou parlementaires sur la base de caractéristiques personnelles (ici le port de signes religieux). Que ferait-on si, pour donner un autre exemple à plus grande échelle, une loi excluait tous les députés de sexe masculin des fonctions ministérielles ou parlementaires? Cela pourrait également être source d’étonnement. D’autant que ces cas de figure reposent sur des caractéristiques par ailleurs protégées par les chartes (religion, sexe).

[695]      Toutefois, qu’il s’agisse de la Loi ou de l’exemple fictif précité, le fait qu’en raison de l’usage de la disposition de dérogation, les art. 2 et 15 de la Charte canadienne soient mis en échec ne justifie pas que l’on étende la portée de l’art. 3 au-delà du droit à l’éligibilité, c’est-à-dire en l’occurrence aux nominations ministérielles ou au choix du président et vice-présidents de l’Assemblée nationale (tenant même pour acquis que de telles nominations sont assujetties aux chartes, ce qui est loin d’être clair).

[696]      Ajoutons finalement qu’en l’occurrence, Lord Reading ne démontre pas, preuve à l’appui, que les exclusions par voie législative des paragraphes 1° et 6° de l’annexe II ont un effet défavorable sur le droit d’une personne citoyenne de se porter candidate à une élection provinciale et, ainsi, de « jouer un rôle significatif dans le processus électoral ».

[697]      De même, il y a lieu d’écarter l’argument reposant sur l’obligation de neutralité de l’État que Lord Reading cherche à importer dans l’art. 3 de la Charte canadienne, sur le fondement des libertés de conscience et de religion protégées par son art. 2, qui soustendent cette obligation[745]. Le recours à la disposition de dérogation constitue ici un obstacle dirimant à un tel argument.

[698]      Bref, le juge de première instance n’a commis aucune erreur en concluant que les paragraphes 1° et 6° de l’annexe II, lus en conjonction avec l’art. 6 de la Loi, ne portent pas atteinte à l’art. 3 de la Charte canadienne.

F. Exercices de dénombrement

[699]      En vue d’avoir une idée plus précise de la situation du port des signes religieux sur le terrain, le ministère de l’Éducation, en novembre 2018 (donc avant l’adoption de la Loi) envoie aux commissions scolaires (telles qu’elles étaient alors) un sondage visant à déterminer, de manière anonyme, le nombre de leurs employés portant un signe religieux de même que le nombre et la nature des demandes d’accommodement qu’elles ont reçues sur la base de motifs religieux, linguistiques ou ethnoculturels. Le sondage, précisons-le, est adressé aux administrations scolaires (qui n’y ont pas toutes répondu) et non aux membres de leur personnel, qui n’en sont pas formellement avisés. S’ensuivent, en janvier 2019, des appels ciblés émanant de sous-ministres du ministère de l’Éducation auprès de certaines commissions scolaires, à propos du même sujet.

[700]      L’une des parties opposées à la Loi, la FAE, soutient que ces démarches, qui n’obéissaient à son avis à aucune intention bienveillante, sont attentatoires à la liberté de religion et d’expression de même que discriminatoires et contraires aux chartes. Elle réclame qu’ils soient déclarés inconstitutionnels et que toutes les données qui en sont issues soient détruites.

[701]      Tout en concluant que ces exercices de dénombrement ont pu générer un sentiment de stigmatisation chez les membres de communautés religieuses minoritaires, et principalement chez les femmes musulmanes désireuses de porter le hijab (constat que la preuve, notons-le, ne soutient pas, sinon par l’existence d’une réaction rétrospective entretenue par la conviction de l’illégitimité de la Loi), le juge de première instance rejette néanmoins la demande de la FAE à cet égard. Il écrit que :

[256] Cela dit, il apparaît nécessaire que cette démarche s’articule dans un but légitime. À titre d’exemple, les personnes souffrant d’un handicap peuvent-elles légitimement se plaindre que l’on tente de connaître leur nombre dans l’appareil de l’État pour ainsi, possiblement, voir de quelle façon celui-ci peut mettre en place des mesures qui visent à ce qu’elles reçoivent un traitement exempt de discrimination? Le Tribunal ne le croit pas.

[257] Il en va de même pour les personnes portant un signe religieux. À priori, le fait de s’enquérir du nombre qu’elles représentent peut assurément servir un but légitime de l’État. Dans certains cas, il faudra peut-être débusquer les intentions réelles de l’État qui pourrait les cacher sous de faux semblants.

[258] Ainsi, dans la mesure où l’on envisage de restreindre, directement ou indirectement, la liberté de religion ou de conscience, il peut apparaître légitime pour l’État d’appréhender de façon concrète et tangible le nombre réel de personnes que viseraient les règles envisagées. Cette démarche pourra possiblement s’avérer utile dans le cadre d’une contestation judiciaire basée sur les chartes, notamment dans le cadre de l’analyse de l’objectif réel et urgent sous l’article 1 de la Charte canadienne et 9.1 de la Charte québécoise.

[259] De plus, la preuve ne permet pas de conclure qu’en faisant cet exercice de dénombrement, l’État agit de façon oblique, par exemple en sachant ou en voulant nommément agir de façon discriminatoire à l’égard de certaines personnes.

[260] Certes, on peut aisément comprendre et partager le sentiment d’inquiétude et même de désarroi des femmes musulmanes qui affirment se sentir à la fois visées et ostracisées par cette mesure. Cependant, cette conséquence ne suffit pas à établir que l’État agit de façon incorrecte à leur égard ou à l’endroit de toute autre personne.

[261] L’exercice du dénombrement participe à l’un des devoirs de l’État de connaître la composition des milieux de vie dans lequel il offre des services. Il s’agit là d’un objectif légitime.

[262] Le Tribunal ne peut conclure que l’État commet une faute ou pose un geste répréhensible en agissant tel qu’il le fait. La preuve ne permet pas de l’établir.

[702]      Le juge de première instance rejette également l’argument fondé sur l’art. 18.1 de la Charte québécoise :

[263] Finalement, le Tribunal ne peut convenir, comme le plaide la FAE, que l’exercice de dénombrement violerait l’article 18.1 de la Charte québécoise, car celui-ci traite uniquement des demandes ou entrevues d’emplois, alors que la demande attaquée porte sur le nombre de personnes qui portaient effectivement des signes religieux visibles dans les établissements scolaires.

[703]      De l’avis de la Cour, il n’y a rien à redire à ces conclusions ni au raisonnement qui y mène. L’argument de la FAE à propos des exercices de dénombrement doit donc être rejeté, tout comme sa demande visant l’élimination des données recueillies, lesquelles n’étaient de toute façon ni individualisées ni nominales.

IV. Conclusion

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[704]      ACCUEILLE en partie l’appel du Procureur général du Québec et autres (50009029550-217) et ACCUEILLE les appels de Pour les droits des femmes du QuébecPDF Québec (500-09-029549-219) et du Mouvement laïque québécois (50009029539-210), en ce qui concerne le dossier de première instance 50017109983190 (dossier Commission scolaire English-Montreal et autres) uniquement;

[705]      INFIRME en partie le jugement de première instance à la seule fin de remplacer le dispositif prononcé dans le dossier 500-17-109983-190 (dossier Commission scolaire English-Montreal et autres), que l’on retrouve aux paragraphes 1137 à 1141 de ce jugement, par le suivant :

Dans le dossier 500-17-109983-190 (dossier Commission scolaire EnglishMontreal et autres) :

[1137] REJETTE la demande de révision judiciaire et en jugement déclaratoire de la Commission scolaire English-Montreal, Mubeenah Mughal et Pietro Mercuri; et les interventions au soutien de cette demande;

[1138] Sans frais de justice.

[706]      REJETTE les autres appels, appels incidents et interventions;

[707]      SANS FRAIS DE JUSTICE en appel.

 

 

 

 

MANON SAVARD, J.c.Q.

 

 

 

 

 

YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 

Me Faiz Munir Lalani

Me Léon H. Moubayed

DAVIES WARD PHILLIPS & VINEBERG

Pour Organisation mondiale sikhe du Canada, Amrit Kaur

 

Me Isabelle Brunet

Me Francis Demers

Me Manuel Klein

BERNARD, ROY (JUSTICE-QUÉBEC)

Me Amélie Pelletier-Desrosiers

SOUS-MINISTÉRIAT DES AFFAIRES JURIDIQUES (SMAJ)

Pour Procureur général du Québec, Jean-François Roberge, ès qualités, Simon Jolin-Barrette, ès qualités

 

Me David Grossman

Me Olga Redko

IMK

Pour Ichrak Nourel Hak, Conseil national des musulmans canadiens (CNMC), Corporation de l’Association canadienne des libertés civiles

 

Me Julius Grey

Mme Fiona Sageau, stagiaire en droit

GREY & CASGRAIN

Pour Commission canadienne des droits de la personne, Quebec Community Groups Network

 

Me Luc Alarie

ALARIE LEGAULT CABINET D’AVOCATS

Me Guillaume Rousseau

MUNICONSEIL AVOCATS

Pour Mouvement laïque québécois

 

Me Christiane Pelchat

Pour Pour les droits des femmes du Québec – PDF Québec

 

Me Sibel Ataogul

MMGC

Pour Amnistie internationale, section Canada francophone

 

Me Theodore Goloff

ROBINSON SHEPPARD SHAPIRO

Pour L’Association de droit Lord Reading

 

Me Perri Ravon

Me Mark Power

Me Giacomo Zucchi

JURISTES POWER LAW

Pour Commission scolaire English-Montreal, Mubeenah Mughal, Pietro Mercuri

 

Me Alexandra Belley-McKinnon

Me Molly Krishtalka

CABINET D’AVOCATS NOVALEX

Me Jérémy Boulanger-Bonnelly

Pour Andréa Lauzon, Hakima Dadouche, Bouchera Chelbi, Comité juridique de la Coalition Inclusion Québec

 

Me Frédéric Bérard

Me Camille Savard

GATTUSO BOUCHARD MAZZONE

Pour Fédération autonome de l’enseignement

 

Me Marie-Claude St-Amant

MMGC

Pour Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC)

 

Me Marion Sandilands

CONWAY

Pour Association des commissions scolaires anglophones du Québec

 

Me Véronique Roy

Me Lana Rackovic

Me Fady Toban

Me Geneviève Claveau

Me Sean Griffin

LANGLOIS AVOCATS

Pour Fédération des femmes du Québec, Fonds d’action et d’éducation juridique pour les femmes

 

Me Robert E. Reynolds

Pour Alliance des chrétiens en droit

 

Me Christian Trépanier

Me Maxime-Arnaud Keable

FASKEN MARTINEAU DUMOULIN

Me Vincent Roy, avocat-conseil

ASSEMBLÉE NATIONALE

Pour François Paradis, ès qualités

 

Dates d’audience :

 7, 8, 9, 10 et 16 novembre 2022

 


Annexe : Loi sur la laïcité de l’État

 

Loi sur la laïcité de l’État, RLRQ c. L0.3

An Act respecting the Laicity of the State, CQLR c. L-0.3

CONSIDÉRANT que la nation québécoise a des caractéristiques propres, dont sa tradition civiliste, des valeurs sociales distinctes et un parcours historique spécifique l’ayant amenée à développer un attachement particulier à la laïcité de l’État;

CONSIDÉRANT que l’État du Québec est fondé sur des assises constitutionnelles enrichies au cours des ans par l’adoption de plusieurs lois fondamentales;

CONSIDÉRANT qu’en vertu du principe de la souveraineté parlementaire, il revient au Parlement du Québec de déterminer selon quels principes et de quelle manière les rapports entre l’État et les religions doivent être organisés au Québec;


CONSIDÉRANT qu’il est important de consacrer le caractère prépondérant de la laïcité de l’État dans l’ordre juridique québécois;

CONSIDÉRANT l’importance que la nation québécoise accorde à l’égalité entre les femmes et les hommes;

CONSIDÉRANT qu’il y a lieu d’établir un devoir de réserve plus strict en matière religieuse à l’égard des personnes exerçant certaines fonctions, se traduisant par l’interdiction pour ces personnes de porter un signe religieux dans l’exercice de leurs fonctions;

CONSIDÉRANT que la laïcité de l’État favorise le respect du devoir d’impartialité de la magistrature;

CONSIDÉRANT qu’il y a lieu d’affirmer la laïcité de l’État en assurant un équilibre entre les droits collectifs de la nation québécoise et les droits et libertés de la personne;

LE PARLEMENT DU QUÉBEC DÉCRÈTE CE QUI SUIT :

AS the Québec nation has its own characteristics, one of which is its civil law tradition, distinct social values and a specific history that have led it to develop a particular attachment to State laicity;


AS the Québec State stands on constitutional foundations that have been enriched over the years by the passage of a number of fundamental laws;

AS, in accordance with the principle of parliamentary sovereignty, it is incumbent on the Parliament of Québec to determine the principles according to which and manner in which relations between the State and religions are to be governed in Québec;

AS it is important that the paramountcy of State laicity be enshrined in Québec’s legal order;


AS the Québec nation attaches importance to the equality of women and men;

AS a stricter duty of restraint regarding religious matters should be established for persons exercising certain functions, resulting in their being prohibited from wearing religious symbols in the exercise of their functions;

 

AS State laicity contributes to the fulfilment of the magistrature’s duty of impartiality;

AS State laicity should be affirmed in a manner that ensures a balance between the collective rights of the Québec nation and human rights and freedoms;

THE PARLIAMENT OF QUÉBEC ENACTS AS FOLLOWS:

CHAPITRE I

AFFIRMATION DE LA LAÏCITÉ DE L’ÉTAT

CHAPTER I

AFFIRMATION OF THE LAICITY OF THE STATE

1. L’État du Québec est laïque.

1. The State of Québec is a lay State.

2. La laïcité de l’État repose sur les principes suivants :

  la séparation de l’État et des religions;

  la neutralité religieuse de l’État;


  l’égalité de tous les citoyens et citoyennes;

  la liberté de conscience et la liberté de religion.

2. The laicity of the State is based on the following principles:

(1)  the separation of State and religions;

(2)  the religious neutrality of the State;

(3)  the equality of all citizens; and


(4)  freedom of conscience and freedom of religion.

3. La laïcité de l’État exige que, dans le cadre de leur mission, les institutions parlementaires, gouverne­mentales et judiciaires respectent l’ensemble des principes énoncés à l’article 2, en fait et en apparence.

Pour l’application du présent chapitre, on entend par :

  «institutions parlementaires» : l’Assemblée nationale, de même que les personnes nommées ou désignées par celle-ci pour exercer une fonction qui en relève;

  «institutions gouvernementales» : les organismes énumérés aux paragraphes 1° à 10° de l’annexe I;

  «institutions judiciaires» : la Cour d’appel, la Cour supérieure, la Cour du Québec, le Tribunal des droits de la personne, le Tribunal des professions et les cours municipales.

3. State laicity requires parliamentary, government and judicial institutions to comply with all the principles listed in section 2, in fact and in appearance, in pursuing their missions.

For the purposes of this chapter,


(1)  “parliamentary institutions” means the National Assembly and the persons appointed or designated by it to an office under its authority;
 

(2)  “government institutions” means the bodies listed in paragraphs 1 to 10 of Schedule I;

(3)  “judicial institutions” means the Court of Appeal, the Superior Court, the Court of Québec, the Human Rights Tribunal, the Professions Tribunal and the municipal courts.

4. En plus de l’exigence prévue à l’article 3, la laïcité de l’État exige le respect de l’interdiction de porter un signe religieux prévue au chapitre II de la présente loi et du devoir de neutralité religieuse prévu au chapitre II de la Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État et visant notamment à encadrer les demandes d’accommodements pour un motif religieux dans certains organismes (chapitre R-26.2.01), et ce, par les personnes assujetties à cette interdiction ou à ce devoir.

La laïcité de l’État exige également que toute personne ait droit à des institutions parlementaires, gouvernementales et judiciaires laïques ainsi qu’à des services publics laïques, et ce, dans la mesure prévue par la présente loi et par la Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État et visant notamment à encadrer les demandes d’accommodements pour un motif religieux dans certains organismes.

4. In addition to the requirement under section 3, State laicity requires compliance with the prohibition on wearing religious symbols under Chapter II of this Act, and with the duty of religious neutrality under Chapter II of the Act to foster adherence to State religious neutrality and, in particular, to provide a framework for requests for accommodations on religious grounds in certain bodies (chapter R26.2.01), by the persons subject to that prohibition or that duty.


State laicity also requires that all persons have the right to lay parliamentary, government and judicial institutions, and to lay public services, to the extent provided for in this Act and in the Act to foster adherence to State religious neutrality and, in particular, to provide a framework for requests for accommodations on religious grounds in certain bodies.

5. Il appartient au Conseil de la magistrature, à l’égard des juges de la Cour du Québec, du Tribunal des droits de la personne, du Tribunal des professions et des cours municipales ainsi qu’à l’égard des juges de paix magistrats, d’établir des règles traduisant les exigences de la laïcité de l’État et d’assurer leur mise en oeuvre.

Malgré le paragraphe 3° du deuxième alinéa de l’article 3, l’exigence de respecter les principes énoncés à l’article 2 ne s’applique aux juges que dans la mesure prévue au présent article.

5. It is incumbent on the Conseil de la magistrature, with respect to judges of the Court of Québec, the Human Rights Tribunal, the Professions Tribunal and the municipal courts, as well as presiding justices of the peace, to establish rules translating the requirements of State laicity and to ensure their implementation.

Despite subparagraph 3 of the second paragraph of section 3, the requirement to comply with the principles set out in section 2 applies to judges only to the extent provided for in this section.

CHAPITRE II

INTERDICTION DE PORTER UN SIGNE RELIGIEUX

CHAPTER II

PROHIBITION ON WEARING RELIGIOUS SYMBOLS

6.  Le port d’un signe religieux est interdit dans l’exercice de leurs fonctions aux personnes énumérées à l’annexe II.

Au sens du présent article, est un signe religieux tout objet, notamment un vêtement, un symbole, un bijou, une parure, un accessoire ou un couvre-chef, qui est :

  soit porté en lien avec une conviction ou une croyance religieuse;

  soit raisonnablement considéré comme référant à une appartenance religieuse.

6. The persons listed in Schedule II are prohibited from wearing religious symbols in the exercise of their functions.

A religious symbol, within the meaning of this section, is any object, including clothing, a symbol, jewellery, an adornment, an accessory or headwear, that

(1)  is worn in connection with a religious conviction or belief; or

(2)  is reasonably considered as referring to a religious affiliation.

CHAPITRE III

SERVICES À VISAGE DÉCOUVERT

CHAPTER III

SERVICES WITH FACE UNCOVERED

7. Pour l’application du présent chapitre, on entend par « membre du personnel d’un organisme » un membre du personnel d’un organisme énuméré à l’annexe I ainsi qu’une personne mentionnée à l’annexe III qui est assimilée à un tel membre.

7. For the purposes of this chapter, “personnel member of a body” means a member of the personnel of a body listed in Schedule I or a person listed in Schedule III who is considered to be such a member.

8. Un membre du personnel d’un organisme doit exercer ses fonctions à visage découvert.

De même, une personne qui se présente pour recevoir un service par un membre du personnel d’un organisme doit avoir le visage découvert lorsque cela est nécessaire pour permettre la vérification de son identité ou pour des motifs de sécurité. La personne qui ne respecte pas cette obligation ne peut recevoir le service qu’elle demande, le cas échéant.

Pour l’application du deuxième alinéa, une personne est réputée se présenter pour recevoir un service lorsqu’elle interagit ou communique avec un membre du personnel d’un organisme dans l’exercice de ses fonctions.

8. Personnel members of a body must exercise their functions with their face uncovered.

Similarly, persons who present themselves to receive a service from a personnel member of a body must have their face uncovered where doing so is necessary to allow their identity to be verified or for security reasons. Persons who fail to comply with that obligation may not receive the service requested, where applicable.


For the purposes of the second paragraph, persons are deemed to be presenting themselves to receive a service when they are interacting or communicating with a personnel member of a body in the exercise of the personnel member’s functions.

9. L’article 8 ne s’applique pas à une personne dont le visage est couvert en raison d’un motif de santé, d’un handicap ou des exigences propres à ses fonctions ou à l’exécution de certaines tâches.

9. Section 8 does not apply to persons whose face is covered for health reasons or because of a handicap or of requirements tied to their functions or to the performance of certain tasks.

10. Un organisme énuméré à l’annexe I peut exiger, de toute personne ou société avec laquelle il conclut un contrat ou à laquelle il octroie une aide financière, que des membres de son personnel exercent leurs fonctions à visage découvert, lorsque ce contrat ou l’octroi de cette aide financière a pour objet la prestation de services inhérents à la mission de l’organisme ou lorsque les services sont exécutés sur les lieux de travail du personnel de cet organisme. Il en est de même pour une institution parlementaire visée au paragraphe 1° du deuxième alinéa de l’article 3.

10. A body listed in Schedule I may require, from any persons or partnerships with whom or which it enters into a contract, or to whom or which it grants financial assistance, that members of their personnel exercise their functions with their face uncovered, if the contract or the granting of financial assistance is for the provision of services that are inherent in the body’s mission or if the services are performed in its personnel’s place of work. The same applies to a parliamentary institution referred to in subparagraph 1 of the second paragraph of section 3.

CHAPITRE IV

DISPOSITIONS DIVERSES

CHAPTER IV

MISCELLANEOUS PROVISIONS

11. Les dispositions de la présente loi prévalent sur celles de toute loi postérieure qui leur seraient contraires, à moins que cette dernière loi n’énonce expressément s’appliquer malgré la présente loi.

Les dispositions des articles 1 à 3 ne prévalent pas sur celles de toute loi antérieure qui leur sont contraires.

11. The provisions of this Act prevail over any contrary provisions of any subsequent Act, unless such an Act expressly states that it applies despite this Act.

The provisions of sections 1 to 3 do not prevail over any contrary provisions of any previous Act.

12. Un ministre peut, de concert avec le ministre responsable de l’application de la présente loi, vérifier l’application des mesures prévues par la présente loi dans un organisme énuméré à l’annexe I ou auprès d’une personne visée au paragraphe 11° de l’annexe III qui relève de sa responsabilité ou qui est du domaine de sa compétence. Il peut également désigner par écrit une personne qui sera chargée de cette vérification. L’organisme ou la personne qui est visé par la vérification doit, sur demande du ministre concerné ou de la personne chargée de la vérification, lui transmettre ou autrement mettre à sa disposition tout document ou renseignement jugé nécessaire pour procéder à la vérification.

Le ministre concerné peut, par écrit et dans les délais qu’il indique, requérir que l’organisme ou que la personne apporte des mesures correctrices, effectue les suivis adéquats et se soumette à toute autre mesure, dont des mesures de surveillance et d’accompagnement.

Pour l’application du présent article, sont notamment du domaine de la compétence des ministres énumérés ci-après les organismes et personnes suivants :

  les organismes énumérés au paragraphe 5° de l’annexe I : le ministre des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire;

  les organismes énumérés au paragraphe 6° de cette annexe : le ministre des Transports;

  les organismes énumérés aux paragraphes 7° et 12° de cette annexe : le ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport ou, selon le cas, le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie, selon leurs responsabilités respectives;

  les organismes énumérés aux paragraphes 8° et 13° de cette annexe : le ministre de la Santé et des Services sociaux;

  les organismes énumérés au paragraphe 11° de l’annexe I et la personne visée au paragraphe 11° de l’annexe III : le ministre de la Famille, des Aînés et de la Condition féminine.

Le présent article ne s’applique pas aux institutions parlementaires et aux institutions judiciaires visées à l’un ou l’autre des paragraphes 1° ou 3° du deuxième alinéa de l’article 3.

12. A minister may, jointly with the minister responsible for the administration of this Act, verify compliance with the measures set out in this Act within a body listed in Schedule I or with a person referred to in paragraph 11 of Schedule III that is under his or her responsibility or jurisdiction. A minister may also designate, in writing, a person to conduct such verification. At the request of the minister concerned or the designated person, the body or the person being verified must send or otherwise make available to the minister or designated person all documents and information the minister or designated person considers necessary to conduct the verification.

The minister concerned may, in writing and within the time he or she specifies, require the body or the person to take corrective measures, conduct any appropriate follow-up and comply with any other measure, including oversight and support measures.

For the purposes of this section, the following bodies and persons, among others, are under the jurisdiction of the following ministers:

(1)  the bodies listed in paragraph 5 of Schedule I: the Minister of Municipal Affairs, Regions and Land Occupancy;

(2)  the bodies listed in paragraph 6 of Schedule I: the Minister of Transport;


(3)  the bodies listed in paragraphs 7 and 12 of Schedule I: the Minister of Education, Recreation and Sports or, as applicable, the Minister of Higher Education, Research, Science and Technology, according to their respective responsibilities;


(4)  the bodies listed in paragraphs 8 and 13 of Schedule I: the Minister of Health and Social Services; and


(5)  the bodies listed in paragraph 11 of Schedule I and the person referred to in paragraph 11 of Schedule III: the Minister of Families, Seniors and the Status of Women.

This section does not apply to the parliamentary institutions and judicial institutions referred to in subparagraph 1 or 3 of the second paragraph of section 3.

13. Il appartient à la personne qui exerce la plus haute autorité administrative, le cas échéant, sur les personnes visées à l’article 6 ou au premier alinéa de l’article 8 de prendre les moyens nécessaires pour assurer le respect des mesures qui y sont prévues. Cette fonction peut être déléguée à une personne au sein de son organisation.

La personne visée à l’article 6 ou au premier alinéa de l’article 8 s’expose, en cas de manquement aux mesures qui y sont prévues, à une mesure disciplinaire ou, le cas échéant, à toute autre mesure découlant de l’application des règles régissant l’exercice de ses fonctions.

13. It is incumbent on the person exercising the highest administrative authority, where applicable, over the persons referred to in section 6 or the first paragraph of section 8 to take the necessary measures to ensure compliance with the measures set out in those provisions. That function may be delegated to a person within the same organization.

The persons referred to in section 6 or the first paragraph of section 8 are, in the event of failure to comply with the measures set out in those provisions, subject to a disciplinary measure or, if applicable, to any other measure resulting from the enforcement of the rules governing the exercise of their functions.

14. Aucun accommodement ou autre dérogation ou adaptation, à l’exception de ceux prévus par la présente loi, ne peut être accordé en ce qui a trait aux dispositions portant sur l’interdiction de porter un signe religieux ou sur les obligations relatives aux services à visage découvert.

14. No accommodation or other derogation or adaptation, except those provided for in this Act, may be granted in connection with the provisions concerning the prohibition on wearing religious symbols or concerning the obligations relating to services with one’s face uncovered.

15. Lorsque l’interdiction de porter un signe religieux s’applique à un avocat ou à un notaire visé au paragraphe 8° de l’annexe II, cette obligation est réputée faire partie intégrante du contrat de services juridiques en vertu duquel il agit.

15. Where the prohibition on wearing religious symbols applies to a lawyer or notary referred to in paragraph 8 of Schedule II, the obligation is deemed to be an integral part of the legal services contract under which the lawyer or notary acts.

16. Une disposition d’une convention collective, d’une entente collective ou de tout autre contrat relatif à des conditions de travail qui est incompatible avec les dispositions de la présente loi est nulle de nullité absolue.

16. A provision of a collective agreement, group agreement or any other contract concerning conditions of employment that is incompatible with the provisions of this Act is absolutely null.

17. Les articles 1 à 3 ne peuvent être interprétés comme ayant pour effet d’exiger d’une institution visée à l’article 3 qu’elle retire ou modifie un immeuble ou un bien meuble qui orne un immeuble. Toutefois, une institution peut, de sa propre initiative, retirer ou modifier un immeuble ou un tel bien meuble.

Ces articles ne peuvent non plus être interprétés comme ayant un effet sur la toponymie, sur la dénomination d’une institution visée à l’article 3 ou sur une dénomination que celle-ci emploie.

17. Sections 1 to 3 must not be interpreted as requiring an institution referred to in section 3 to remove or alter an immovable, or movable property adorning an immovable. However, an institution may, on its own initiative, remove or alter an immovable or such movable property.


Nor must those sections be interpreted as affecting toponymy, or the name of or name used by an institution referred to in section 3.


CHAPITRE V

DISPOSITIONS MODIFICATIVES

CHAPTER V

AMENDING PROVISIONS

CHARTE DES DROITS ET LIBERTÉS DE LA PERSONNE

CHARTER OF HUMAN RIGHTS AND FREEDOMS

18. La Charte des droits et libertés de la personne (chapitre C-12) est modifiée par l’insertion, après le troisième alinéa du préambule, de l’alinéa suivant :

« Considérant l’importance fondamentale que la nation québécoise accorde à la laïcité de l’État; »

18. The Charter of human rights and freedoms (chapter C-12) is amended by inserting the following paragraph after the third paragraph of the preamble:

“Whereas the Québec nation considers State laicity to be of fundamental importance;”

19. L’article 9.1 de cette charte est modifié par l’insertion, dans le premier alinéa et après « valeurs démocratiques, », de « de la laïcité de l’État, »

19. Section 9.1 of the Charter is amended by inserting “State laicity,” after “democratic values,” in the first paragraph.

LOI FAVORISANT LE RESPECT DE LA NEUTRALITÉ RELIGIEUSE DE L’ÉTAT ET VISANT NOTAMMENT À ENCADRER LES DEMANDES D’ACCOMMODEMENTS POUR UN MOTIF RELIGIEUX DANS CERTAINS ORGANISMES

ACT TO FOSTER ADHERENCE TO STATE RELIGIOUS NEUTRALITY AND, IN PARTICULAR, TO PROVIDE A FRAMEWORK FOR REQUESTS FOR ACCOMMODATIONS ON RELIGIOUS GROUNDS IN CERTAIN BODIES

20. Le préambule de la Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État et visant notamment à encadrer les demandes d’accommodements pour un motif religieux dans certains organismes (chapitre R-26.2.01) est abrogé.

20. The preamble to the Act to foster adherence to State religious neutrality and, in particular, to provide a framework for requests for accommodations on religious grounds in certain bodies (chapter R-26.2.01) is repealed

21. L’article 1 de cette loi est modifié :

1° par le remplacement du premier alinéa par le suivant :

« La présente loi impose, dans la mesure qui y est prévue, un devoir de neutralité religieuse dans l’exercice de leurs fonctions aux membres du personnel des organismes publics, conformément aux exigences de la laïcité de l’État. »;

2° par la suppression du deuxième alinéa.

21. Section 1 of the Act is amended

(1) by replacing the first paragraph by the following paragraph:

“This Act imposes, to the extent it provides for, a duty of religious neutrality on personnel members of public bodies in the exercise of their functions, in accordance with the requirements of State laicity.”;


(2) by striking out the second paragraph.

22. L’article 2 de cette loi est modifié, dans le premier alinéa :

1° par l’insertion, à la fin du paragraphe 2°, de « , de même que les organismes dont le fonds social fait partie du domaine de l’État »;

2° par l’insertion, dans le paragraphe 5° et après « municipaux », de « et régionaux »;

3° par l’insertion, dans le paragraphe 7° et après « Loi sur l’instruction publique (chapitre I13.3) », de « , la Commission scolaire du Littoral constituée par la Loi sur la Commission scolaire du Littoral (1966-1967, chapitre 125) »;

4° par la suppression, dans le paragraphe 9º, de « ou l’une de ses commissions ».

22. Section 2 of the Act is amended, in the first paragraph,

(1) by inserting “, as well as bodies whose capital forms part of the domain of the State” at the end of subparagraph 2;

(2) by inserting “and regional” after “municipal” in subparagraph 5;


(3) by inserting “, the Commission scolaire du Littoral established by the Act respecting the Commission scolaire du Littoral (1966-1967, chapter 125)” after “Education Act (chapter I-13.3)” in subparagraph 7;



(4) by striking out “or any of its committees” in subparagraph 9

23. L’article 7 de cette loi est modifié :

1° par le remplacement, dans le texte anglais, de « any person or partnership with whom it has entered » par « any persons or partnerships with whom or which it enters »;

2° par le remplacement de « de service ou une entente de subvention » par « ou à laquelle il octroie une aide financière »;

3° par le remplacement de « ou cette entente » par « ou l’octroi de cette aide financière »;

4° par le remplacement de « cet organisme ou exécutés sur les lieux de travail de son personnel » par « l’organisme ou lorsque les services sont exécutés sur les lieux de travail du personnel de cet organisme ».

23. Section 7 of the Act is amended

(1) by replacing “any person or partnership with whom it has entered” by “any persons or partnerships with whom or which it enters”;



(2) by replacing “service contract or subsidy agreement” by “contract, or to whom or which it grants financial assistance,”;

(3) by replacing “or agreement relates to” by “or the granting of financial assistance is for”;

(4) by replacing “that are performed in its personnel’s place of work” by “if the services are performed in its personnel’s place of work”.

24. L’article 9 de cette loi et la section II du chapitre III de cette loi, comprenant l’article 10, sont abrogés.

24. Section 9 of the Act and Division II of Chapter III of the Act, comprising section 10, are repealed.

25. L’article 12 de cette loi est modifié par le remplacement du deuxième alinéa par le suivant :

« Ces lignes directrices sont rendues publiques par les moyens que le ministre estime appropriés. ».

25. Section 12 of the Act is amended by replacing the second paragraph by the following paragraph:

“The guidelines must be made public using the means the Minister considers appropriate.”

26. La section IV du chapitre III de cette loi, comprenant l’article 15, est abrogée.

26. Division IV of Chapter III of the Act, comprising section 15, is repealed.

27. L’article 16 de cette loi est abrogé.

27. Section 16 of the Act is repealed.

28. L’article 17 de cette loi est modifié par le remplacement de la dernière phrase du premier alinéa par les suivantes : « Elle peut déléguer cette fonction à une personne au sein de son organisation. En outre, elle doit désigner, au sein de son personnel, un répondant en matière d’accommodement. ».

28. Section 17 of the Act is amended by replacing the last sentence of the first paragraph by the following sentences: “That person may delegate the function to a person within his or her organization. In addition, that person must designate an accommodation officer within the personnel.”

29. Cette loi est modifiée par l’insertion, après l’article 17, du suivant :

« 17.1. Aucun accommodement ou autre dérogation ou adaptation, à l’exception de ceux prévus par la présente loi, ne peut être accordé en ce qui a trait aux dispositions prévues par celle-ci portant sur le respect du devoir de neutralité religieuse. ».

29. The Act is amended by inserting the following section after section 17:



17.1. No accommodation or other derogation or adaptation, except those provided for in this Act, may be granted in connection with the provisions of this Act that concern fulfillment of the duty of religious neutrality.”

30. L’article 19 de cette loi est remplacé par le suivant :

« 19. Le ministre désigné par le gouvernement est responsable de l’application de la présente loi. ».

30. Section 19 of the Act is replaced by the following section:

19. The minister designated by the Government is responsible for the administration of this Act.”

CHAPITRE VI

DISPOSITIONS TRANSITOIRES ET FINALES

CHAPTER VI

TRANSITIONAL AND FINAL PROVISIONS

31. L’article 6 ne s’applique pas :

  à une personne visée à l’un ou l’autre des paragraphes 2°, 3°, 7° et 9° de l’annexe II le 27 mars 2019, et ce, tant qu’elle exerce la même fonction au sein de la même organisation;

  à une personne visée à l’un ou l’autre des paragraphes 4° et 5° de l’annexe II le 27 mars 2019, et ce, jusqu’à la fin de leur mandat;

  à une personne, à l’exception du ministre de la Justice et procureur général, visée au paragraphe 6° de l’annexe II le 27 mars 2019, et ce, tant qu’elle exerce la même fonction et qu’elle relève de la même organisation;

  à une personne visée au paragraphe 8° de l’annexe II qui agit conformément à un contrat de services juridiques conclu avant le 16 juin 2019, sauf si ce contrat est renouvelé après cette date;

  à une personne visée au paragraphe 10° de l’annexe II le 27 mars 2019, et ce, tant qu’elle exerce la même fonction au sein de la même commission scolaire.

31.  Section 6 does not apply

(1)  to persons referred to in any of paragraphs 2, 3, 7 and 9 of Schedule II on 27 March 2019, for as long as they exercise the same function within the same organization;

(2)  to persons referred to in paragraph 4 or 5 of Schedule II on 27 March 2019, until the end of their mandate;

(3)  to persons, except the Minister of Justice and Attorney General, referred to in paragraph 6 of Schedule II on 27 March 2019, for as long as they exercise the same function and are under the authority of the same organization;

(4)  to persons referred to in paragraph 8 of Schedule II acting in accordance with a legal services contract entered into before 16 June 2019, unless the contract is renewed after that date;

(5)  to persons referred to in paragraph 10 of Schedule II on 27 March 2019, for as long as they exercise the same function within the same school board.

32. Jusqu’à ce que le gouvernement prenne un décret désignant le ministre responsable de l’application de la présente loi et de la Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État et visant notamment à encadrer les demandes d’accommodements pour un motif religieux dans certains organismes (chapitre R-26.2.01), le ministre de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion est responsable de l’application de ces lois.

32. Until the Government makes an order designating a minister responsible for the administration of this Act and the Act to foster adherence to State religious neutrality and, in particular, to provide a framework for requests for accommodations on religious grounds in certain bodies (chapter R-26.2.01), the Minister of Immigration, Diversity and Inclusiveness is responsible for their administration.

33. La présente loi ainsi que les modifications qu’elle apporte à la Loi favorisant la neutralité religieuse de l’État et visant notamment à encadrer les demandes d’accommodements pour un motif religieux dans certains organismes s’appliquent malgré les articles 1 à 38 de la Charte des droits et libertés de la personne (chapitre C12).

33. This Act and the amendments made by it to the Act to foster adherence to State religious neutrality and, in particular, to provide a framework for requests for accommodations on religious grounds in certain bodies apply despite sections 1 to 38 of the Charter of human rights and freedoms (chapter C-12).

34. La présente loi ainsi que les modifications qu’elle apporte par son chapitre V ont effet indépendamment des articles 2 et 7 à 15 de la Loi constitutionnelle de 1982 (annexe B de la Loi sur le Canada, chapitre 11 du recueil des lois du Parlement du Royaume-Uni pour l’année 1982).

34. This Act and the amendments made by Chapter V of this Act have effect notwithstanding sections 2 and 7 to 15 of the Constitution Act, 1982 (Schedule B to the Canada Act, chapter 11 in the 1982 volume of the Acts of the Parliament of the United Kingdom).

35. Le ministre désigné par le gouvernement est responsable de l’application de la présente loi.

35. The minister designated by the Government is responsible for the administration of this Act.

36. La présente loi entre en vigueur le 16 juin 2019.

36. This Act comes into force on 16 June 2019.

ANNEXE I

(Articles 3,7 et 10)

ORGANISMES

SCHEDULE I

(Sections 3, 7 and 10)

BODIES

 les ministères du gouvernement;

 les organismes budgétaires, les organismes autres que budgétaires et les entreprises du gouvernement énumérés aux annexes 1 à 3 de la Loi sur l’administration financière (chapitre A-6.001), y compris les personnes qui y sont énumérées, de même que les organismes dont le fonds social fait partie du domaine de l’État;

 les organismes et les personnes dont le personnel est nommé suivant la Loi sur la fonction publique (chapitre F-3.1.1);

 les organismes gouvernementaux énumérés à l’annexe C de la Loi sur le régime de négociation des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic (chapitre R-8.2), y compris les personnes qui y sont énumérées;

 les municipalités, les communautés métropolitaines, les régies intermunicipales et les offices municipaux et régionaux d’habitation, à l’exception des municipalités régies par la Loi sur les villages cris et le village naskapi (chapitre V-5.1) ou par la Loi sur les villages nordiques et l’Administration régionale Kativik (chapitre V-6.1);

 les sociétés de transport en commun, l’Autorité régionale de transport métropolitain ou tout autre exploitant d’un système de transport collectif;

 les commissions scolaires instituées en vertu de la Loi sur l’instruction publique (chapitre I-13.3), la Commission scolaire du Littoral constituée par la Loi sur la Commission scolaire du Littoral (1966-1967, chapitre 125), le Comité de gestion de la taxe scolaire de l’île de Montréal, les collèges d’enseignement général et professionnel institués en vertu de la Loi sur les collèges d’enseignement général et professionnel (chapitre C29) ainsi que les établissements d’enseignement de niveau universitaire énumérés aux paragraphes 1° à 11° de l’article 1 de la Loi sur les établissements d’enseignement de niveau universitaire (chapitre E-14.1);

 les établissements publics visés par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2), à l’exception des établissements publics visés aux parties IV.1 et IV.3 de cette loi, les groupes d’approvisionnement en commun visés à l’article 435.1 de cette même loi et les centres de communication santé visés par la Loi sur les services préhospitaliers d’urgence (chapitre S6.2);

 les organismes dont l’Assemblée nationale nomme la majorité des membres;

(1) government departments;

(2) budget-funded bodies, bodies other than budget-funded bodies and government enterprises listed in Schedules 1 to 3 to the Financial Administration Act (chapter A-6.001), including the persons listed in those schedules, as well as bodies whose capital forms part of the domain of the State;


(3) bodies and persons whose personnel is appointed in accordance with the Public Service Act (chapter F3.1.1);

(4) government agencies listed in Schedule C to the Act respecting the process of negotiation of the collective agreements in the public and parapublic sectors (chapter R-8.2), including the persons listed in that schedule;

(5) municipalities, metropolitan communities, intermunicipal boards and municipal and regional housing bureaus, except municipalities governed by the Cree Villages and the Naskapi Village Act (chapter V-5.1) or the Act respecting Northern villages and the Kativik Regional Government (chapter V-6.1);


(6) public transit authorities, the Autorité régionale de transport métropolitain and any other operator of a shared transportation system;


(7) school service centres established under the Education Act (chapter I13.3), the Centre de services scolaire du Littoral established by the Act respecting the Centre de services scolaire du Littoral (1966-1967, chapter 125), the Comité de gestion de la taxe scolaire de l’île de Montréal, general and vocational colleges established under the General and Vocational Colleges Act (chapter C-29), and university-level educational institutions listed in paragraphs 1 to 11 of section 1 of the Act respecting educational institutions at the university level (chapter E14.1);




(8) public institutions governed by the Act respecting health services and social services (chapter S-4.2), except public institutions referred to in Parts IV.1 and IV.3 of that Act, joint procurement groups referred to in section 435.1 of that Act, and health communication centres referred to in the Act respecting pre-hospital emergency services (chapter S-6.2);



(9) bodies the majority of whose members are appointed by the National Assembly;

10° les commissions d’enquête constituées en vertu de la Loi sur les commissions d’enquête (chapitre C37);

(10) inquiry commissions established under the Act respecting public inquiry commissions (chapter C-37);

11° les centres de la petite enfance, les bureaux coordonnateurs de la garde en milieu familial et les garderies subventionnées visés par la Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance (chapitre S-4.1.1);

12° les établissements agréés aux fins de subventions en vertu de la Loi sur l’enseignement privé (chapitre E9.1) et les institutions dont le régime d’enseignement est l’objet d’une entente internationale au sens de la Loi sur le ministère des Relations internationales (chapitre M-25.1.1);

13° les établissements privés conventionnés, les ressources intermédiaires et les ressources de type familial visés par la Loi sur les services de santé et les services sociaux.

(11) childcare centres, home educational childcare coordinating offices and subsidized day care centres governed by the Educational Childcare Act (chapter S-4.1.1);


(12) institutions accredited for the purposes of subsidies under the Act respecting private education (chapter E-9.1), and institutions whose instructional program is the subject of an international agreement within the meaning of the Act respecting the Ministère des Relations internationales (chapter M-25.1.1); and

(13) private institutions under agreement, intermediary resources and family-type resources governed by the Act respecting health services and social services.

ANNEXE II

(Articles 6,15 et 31)

PERSONNES VISÉES PAR L’INTERDICTION DE PORTER UN SIGNE RELIGIEUX DANS L’EXERCICE DE LEURS FONCTIONS

SCHEDULE II

(Sections 6, 15 and 31)

PERSONS SUBJECT TO THE PROHIBITION ON WEARING RELIGIOUS SYMBOLS IN THE EXERCISE OF THEIR FUNCTIONS

 le président et les vice-présidents de l’Assemblée nationale;

 un juge de paix fonctionnaire visé à l’article 158 de la Loi sur les tribunaux judiciaires (chapitre T-16), un greffier spécial, un greffier, un greffier adjoint, un shérif et un shérif adjoint visés aux articles 4 à 5 de cette loi, un greffier et un greffier adjoint visés à l’article 57 de la Loi sur les cours municipales (chapitre C-72.01), ainsi qu’un registraire des faillites;

 un membre, un commissaire ou un régisseur, selon le cas, exerçant ses fonctions au sein du Comité de déontologie policière, de la Commission d’accès à l’information, de la Commission de la fonction publique, de la Commission de protection du territoire agricole du Québec, de la Commission des transports du Québec, de la Commission municipale du Québec, de la Commission québécoise des libérations conditionnelles, de la Régie de l’énergie, de la Régie des alcools, des courses et des jeux, de la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec, de la Régie du bâtiment du Québec, de la Régie du logement, du Tribunal administratif des marchés financiers, du Tribunal administratif du Québec ou du Tribunal administratif du travail, ainsi qu’un président de conseil de discipline exerçant ses fonctions au sein du Bureau des présidents des conseils de discipline;


 un commissaire nommé par le gouvernement en vertu de la Loi sur les commissions d’enquête (chapitre C-37), ainsi qu’un avocat ou un notaire agissant pour une telle commission;

(1) the President and Vice-Presidents of the National Assembly;

(2) administrative justices of the peace referred to in section 158 of the Courts of Justice Act (chapter T-16), special clerks, clerks, deputy clerks, sheriffs and deputy sheriffs referred to in sections 4 to 5 of that Act, clerks and deputy clerks referred to in section 57 of the Act respecting municipal courts (chapter C-72.01), and bankruptcy registrars;

(3) members or commissioners, as applicable, who exercise their functions within the Commission d’accès à l’information, the Commission de la fonction publique, the Commission de protection du territoire agricole du Québec, the Commission des transports du Québec, the Commission municipale du Québec, the Commission québécoise des libérations conditionnelles, the Régie de l’énergie, the Régie des alcools, des courses et des jeux, the Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec, the Régie du bâtiment du Québec, the Tribunal administratif de déontologie policière, the Administrative Housing Tribunal, the Financial Markets Administrative Tribunal, the Administrative Tribunal of Québec or the Administrative Labour Tribunal, as well as disciplinary council chairs who exercise their functions within the Bureau des présidents des conseils de discipline;

(4) commissioners appointed by the Government under the Act respecting public inquiry commissions (chapter C-37), and lawyers or notaries acting for such a commission;

 un arbitre nommé par le ministre du Travail dont le nom apparaît sur une liste dressée par ce dernier conformément au Code du travail (chapitre C-27);

 le ministre de la Justice et procureur général, le directeur des poursuites criminelles et pénales, ainsi qu’une personne qui exerce la fonction d’avocat, de notaire ou de procureur aux poursuites criminelles et pénales, y compris un cadre juridique qui supervise le travail de ces personnes ou celui d’autres cadres juridiques, et qui relève d’un ministère, du directeur des poursuites criminelles et pénales, de l’Assemblée nationale, d’une personne nommée ou désignée par l’Assemblée nationale pour exercer une fonction qui en relève, d’un organisme visé au paragraphe 3°, de l’Autorité des marchés financiers, de l’Autorité des marchés publics, de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, de Revenu Québec ou d’un organisme ou d’une personne dont le personnel est nommé suivant la Loi sur la fonction publique (chapitre F-3.1.1), à l’exception du Centre de services partagés du Québec, du Conseil de gestion de l’assurance parentale, de l’Institut de la statistique du Québec, de La Financière agricole du Québec, de la Société d’habitation du Québec et de Transition énergétique Québec;

(5) arbitrators appointed by the Minister of Labour whose name appears on a list drawn up by that minister in accordance with the Labour Code (chapter C-27);

(6) the Minister of Justice and Attorney General, the Director of Criminal and Penal Prosecutions, and persons who exercise the function of lawyer, notary or criminal and penal prosecuting attorney, including legal managers who supervise the work of those persons or of other legal managers, and who are under the authority of a government department, the Director of Criminal and Penal Prosecutions, the National Assembly, a person appointed or designated by the National Assembly to an office under its authority, a body referred to in paragraph 3, the Autorité des marchés financiers, the Autorité des marchés publics, the Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Revenu Québec or a body or person whose personnel is appointed in accordance with the Public Service Act (chapter F-3.1.1), except the Centre d’acquisitions gouvernementales, the Conseil de gestion de l’assurance parentale, the Institut de la statistique du Québec, La Financière agricole du Québec, the Société d’habitation du Québec and Transition énergétique Québec;

 

 une personne qui exerce la fonction d’avocat à l’emploi d’un poursuivant visé à l’un ou l’autre des paragraphes 2° et 3° de l’article 9 du Code de procédure pénale (chapitre C-25.1), sauf si ce poursuivant est visé au paragraphe 6°, lorsque cette personne agit en matière criminelle ou pénale pour un poursuivant devant un tribunal ou auprès de tiers;

 un avocat ou un notaire lorsqu’il agit devant un tribunal ou auprès de tiers conformément à un contrat de services juridiques conclu avec un ministre, le directeur des poursuites criminelles et pénales, l’Assemblée nationale, une personne nommée ou désignée par l’Assemblée nationale pour exercer une fonction qui en relève, un organisme visé au paragraphe 3°, l’Autorité des marchés financiers, l’Autorité des marchés publics, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Revenu Québec, un organisme ou une personne dont le personnel est nommé suivant la Loi sur la fonction publique, à l’exception du Centre de services partagés du Québec, du Conseil de gestion de l’assurance parentale, de l’Institut de la statistique du Québec, de La Financière agricole du Québec, de la Société d’habitation du Québec et de Transition énergétique Québec, de même qu’un avocat lorsqu’il agit en matière criminelle ou pénale devant un tribunal ou auprès de tiers conformément à un contrat de services juridiques conclu avec un poursuivant visé au paragraphe 7°;

(7) persons who exercise the function of lawyer and are employed by a prosecutor referred to in paragraph 2 or 3 of article 9 of the Code of Penal Procedure (chapter C-25.1), unless the prosecutor is referred to in paragraph 6, when those persons are acting in criminal or penal matters for a prosecutor before the courts or with third persons;


(8) lawyers or notaries acting before the courts or with third persons in accordance with a legal services contract entered into with a minister, the Director of Criminal and Penal Prosecutions, the National Assembly, a person appointed or designated by the National Assembly to exercise a function under its authority, a body referred to in paragraph 3, the Autorité des marchés financiers, the Autorité des marchés publics, the Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Revenu Québec, a body or person whose personnel is appointed in accordance with the Public Service Act, except the Centre d’acquisitions gouvernementales, the Conseil de gestion de l’assurance parentale, the Institut de la statistique du Québec, La Financière agricole du Québec, the Société d’habitation du Québec and Transition énergétique Québec, or lawyers acting in criminal or penal matters before the courts or with third persons in accordance with a legal services contract entered into with a prosecutor referred to in paragraph 7;

 un agent de la paix exerçant ses fonctions principalement au Québec;

10° un directeur, un directeur adjoint ainsi qu’un enseignant d’un établissement d’enseignement sous la compétence d’une commission scolaire instituée en vertu de la Loi sur l’instruction publique (chapitre I-13.3) ou de la Commission scolaire du Littoral constituée par la Loi sur la Commission scolaire du Littoral (1966-1967, chapitre 125).

(9) peace officers who exercise their functions mainly in Québec; and

(10) principals, vice principals and teachers of educational institutions under the jurisdiction of a school service centre established under the Education Act (chapter I-13.3) or of the Centre de services scolaire du Littoral established by the Act respecting the Centre de services scolaire du Littoral (1966-1967, chapter 125).

ANNEXE III

(Article 7)

PERSONNES ASSIMILÉES À UN MEMBRE DU PERSONNEL D’UN ORGANISME POUR L’APPLICATION DES MESURES RELATIVES AUX SERVICES À VISAGE DÉCOUVERT

SCHEDULE III

(Section 7)

PERSONS CONSIDERED TO BE PERSONNEL MEMBERS OF A BODY FOR THE PURPOSES OF MEASURES RELATING TO SERVICES WITH FACE UNCOVERED

 un député de l’Assemblée nationale;

 un élu municipal, à l’exception de celui d’une municipalité régie par la Loi sur les villages cris et le village naskapi (chapitre V-5.1) ou par la Loi sur les villages nordiques et l’Administration régionale Kativik (chapitre V-6.1);

 un membre du personnel d’un cabinet au sens de la section II.2 de la Loi sur l’exécutif (chapitre E-18), un membre du personnel d’un cabinet ou d’un député au sens de la section III.1 du chapitre IV de la Loi sur l’Assemblée nationale (chapitre A23.1) de même qu’un membre du personnel d’un cabinet visé à l’article 114.4 de la Loi sur les cités et villes (chapitre C-19);

 un commissaire d’une commission scolaire instituée en vertu de la Loi sur l’instruction publique (chapitre I-13.3), ainsi que l’administrateur et l’administrateur adjoint nommés en vertu de l’article 4 de la Loi sur la Commission scolaire du Littoral (1966-1967, chapitre 125);

 un membre du personnel de l’Assemblée nationale ou du lieutenant-gouverneur;

 une personne nommée ou désignée par l’Assemblée nationale pour exercer une fonction qui en relève et le personnel qu’elle dirige;

 un commissaire nommé par le gouvernement en vertu de la Loi sur les commissions d’enquête (chapitre C-37) et le personnel qu’il dirige;

 une personne nommée par le gouvernement ou par un ministre pour exercer une fonction juridictionnelle relevant de l’ordre administratif, y compris un arbitre dont le nom apparaît sur une liste dressée par le ministre du Travail conformément au Code du travail (chapitre C-27);

 un agent de la paix exerçant ses fonctions principalement au Québec;

10° un médecin, un dentiste ou une sage-femme lorsque cette personne exerce sa profession dans un centre exploité par un établissement public visé au paragraphe 8° de l’annexe I;

11° une personne reconnue à titre de responsable d’un service de garde en milieu familial subventionné en vertu de la Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance (chapitre S4.1.1) et les personnes qu’elle dirige;

12° un administrateur ou un membre d’un organisme énuméré à l’un ou l’autre des paragraphes 1° à 9° de l’annexe I qui reçoit de celui-ci une rémunération autre que le remboursement de ses dépenses, à l’exception d’une personne élue;

13° toute autre personne nommée ou désignée par l’Assemblée nationale, par le gouvernement ou par un ministre, lorsqu’elle exerce des fonctions qui lui sont attribuées par l’Assemblée nationale, par la loi, par le gouvernement ou par le ministre.

(1) Members of the National Assembly;

(2) elected municipal officers, except those of municipalities governed by the Cree Villages and the Naskapi Village Act (chapter V-5.1) or by the Act respecting Northern villages and the Kativik Regional Government (chapter V-6.1);

(3) office staff within the meaning of Division II.2 of the Executive Power Act (chapter E-18), office staff and Members’ staff within the meaning of Division III.1 of Chapter IV of the Act respecting the National Assembly (chapter A-23.1), and office staff referred to in section 114.4 of the Cities and Towns Act (chapter C-19);



(4) members of the board of directors of a school service centre established under the Education Act (chapter I13.3) and the manager and assistant manager appointed under section 4 of the Act respecting the Centre de services scolaire du Littoral (1966-1967, chapter 125);

(5) National Assembly personnel members and Lieutenant-Governor staff members;

(6) persons appointed or designated by the National Assembly to an office under its authority and the personnel directed by them;

(7) commissioners appointed by the Government under the Act respecting public inquiry commissions (chapter C-37) and the personnel directed by them;

(8) persons appointed by the government or by a minister to exercise an adjudicative function within the administrative branch, including arbitrators whose name appears on a list drawn up by the Minister of Labour in accordance with the Labour Code (chapter C-27);

(9) peace officers who exercise their functions mainly in Québec;

(10) physicians, dentists and midwives, when those persons are practising in a centre operated by a public institution referred to in paragraph 8 of Schedule I;

(11) persons recognized as subsidized home educational childcare providers under the Educational Childcare Act (chapter S4.1.1) and the persons directed by them;


(12) directors or members of a body referred to in any of paragraphs 1 to 9 of Schedule I who receive remuneration from the body other than the reimbursement of their expenses, except persons who are elected;

(13) any other persons appointed or designated by the National Assembly, the Government or a minister, when those persons are exercising functions assigned to them by the National Assembly, the law, the Government or the minister.

 


[1]  Hak c. Procureur général du Québec, 2021 QCCS 1466 [« jugement de première instance »].

[2]  RLRQ, c. L-0.3 [« Loi »].

[3]  Le procureur général ainsi que les ministres Jolin-Barrette et Roberge seront désormais collectivement désignés par l’acronyme « PGQ ».

[4]  Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.U.), 1982, c. 11 Charte canadienne » ou « Charte », selon le contexte].

[5]  Désormais désigné sous le nom « Président ».

[6]  Désormais désigné par l’acronyme « MLQ ».

[7]  Désormais désigné sous le nom « PDF Québec ».

[8]  Désormais désignée par l’acronyme « FAE ».

[9]  Désormais désignés collectivement sous le nom « Groupe Hak ».

[10]  Désormais désignés collectivement sous le nom « Groupe Lauzon ».

[11]  Désormais désignées collectivement sous le nom « Groupe Kaur ».

[12]  Désormais désignée sous le nom « Lord Reading ».

[13]  Groupe désormais désigné par l’acronyme « CSEM ».

[14]  Désormais désigné par l’acronyme « QCGN ».

[15]  Désormais désignés collectivement par l’acronyme « FFQ ».

[16]  Désormais désignée par l’acronyme « CCDP ».

[17]  Désormais désignée par l’acronyme « ACSAQ ».

[18]  Désormais désignée sous le nom « Amnistie ».

[19]  Désormais désignée par l’acronyme « AFPC ».

[20]  Désormais désignée sous le nom « Alliance ».

[21]  (R-U.), 30 & 31 Vict., c. 3, reproduite dans L.R.C. 1985, annexe II, no 5 LC 1867 »].

[22]  RLRQ, c. C-12 [« Charte québécoise »].

[24]  Constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11 LC 1982 »].

[27]  Trésor de la langue française informatisé, « laïque » (B-1), en ligne : TLFi (atilf.fr).

[28]  Voir : Rosalie Jukier et José Woehrling, « Religion and the Secular State in Canada », dans Javier Martínez-Torrón & W. Cole Durham, Jr. (rapporteurs généraux) et Donlu D. Thayer (dir.), Religion and the Secular State : National Reports, Madrid, Servicio publicaciones facultad derecho Universidad Complutense Madrid, 2015, 155, p. 159: « In Canada, neither state neutrality in matters of religion, nor the separation of church and state, is explicitly affirmed in the Constitution, but the courts have gradually inferred such principles from freedom of religion and the prohibition against religious discrimination ».

[30]  Ainsi, le Roi du Canada, chef de l’État canadien, est, en tant que souverain britannique, chef d’une église, au moins nominalement. On peut mentionner également, en matière d’éducation, l’art. 93 de la LC 1867, qui accorde des droits fondés sur une caractérisation religieuse. Cette disposition n’est plus applicable au Québec par l’effet d’une modification constitutionnelle survenue en 1997, insérant l’art. 93A dans la LC 1867.

[31]  Voir par ex. : Congrégation des témoins de Jéhovah de St-Jérôme-Lafontaine c. Lafontaine (Village), 2004 CSC 48, par. 66-67 (dans ce dernier paragraphe, on parle notamment de la « distinction nette entre les Églises et les autorités publiques »).

Certes, le préambule de la Charte canadienne, qui constitue la partie I de la LC 1982, énonce ce qui suit :

   Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit : […].

   Whereas Canada is founded upon principles that recognize the supremacy of God and the rule of law: […].

Le préambule de la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, ch. 44 mentionne aussi la suprématie de Dieu. La LC 1867 ne contient rien de tel, et la Charte québécoise pas davantage.

Dans l’arrêt Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16  Saguenay »], les juges majoritaires sont d’avis que cette mention de la « suprématie de Dieu » dans la Charte canadienne n’autorise pas l’État « à professer sciemment une foi théiste » (par. 147), qu’elle « ne saurait être invoquée pour diminuer l’étendue d’une garantie explicite prévue par les chartes » (par. 148) et qu’elle ne restreint pas la portée de la liberté de conscience et de religion ni n’a « pour effet d’accorder un statut privilégié aux pratiques religieuses théistes » (par. 149). L’obligation de neutralité religieuse de l’État et le principe de la séparation entre l’État et les Églises ne sont donc nullement amoindris par cette mention.

 À ce sujet, voir aussi : Bertrand Lavoie, « Neutralité et culture publique commune : quelle place pour la religion au sein des institutions publiques? », (2019) 38:2 Politique et Sociétés 57, p. 71 et note 28.

[32]  Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, par. 71 (motifs majoritaires du j. Gascon), citant notamment les motifs du j. LeBel dans Congrégation des témoins de Jéhovah de StJérôme-Lafontaine c. Lafontaine (Village), 2004 CSC 48, par. 66-67.

[33]  Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, par. 84 (motifs majoritaires du j. Gascon).

[34]  La séparation entre l’État et la religion, au Canada, ne fait pas toutefois obstacle à certaines relations (qui ne font pas l’unanimité, d’ailleurs) : au Québec, par exemple, l’État continue de subventionner les écoles privées religieuses répondant aux exigences de la Loi sur l’enseignement privé, RLRQ, c. E9.1, tout en subordonnant leur programme éducatif à plusieurs des exigences de la Loi sur l’instruction publique, RLRQ, c. I-13.3. Il doit le faire de façon égale cependant, sans favoriser les fidèles de l’une ou l’autre obédience, y compris par rapport aux établissements privés laïques, et vice versa.

[35]  On pourrait se questionner sur la raison pour laquelle le législateur a cru bon, par l’art. 4, d’ordonner le respect de l’art. 6 de la Loi, disposition qui, même en l’absence d’une telle injonction, s’appliquerait évidemment aux personnes visées.

[36]  Voir les art. 4 à 7 de la Loi sur la neutralité religieuse de l’État, dispositions dont personne ne conteste ici la validité.

[37]  Entité créée par la Loi sur les tribunaux judiciaires, RLRQ, c. T-16, art. 247 et s.

[38]  Pour un rappel de ce précepte, voir : Conférence des juges de paix magistrats du Québec c. Québec (Procureure générale), 2016 CSC 39, par. 31-33 (motifs conjoints des juges Karakatsanis, Wagner et Côté, pour la Cour). Voir également : infra, par. [86].

[39]  Cette volonté du législateur de respecter l’indépendance judiciaire ressort également de l’art. 12 al. 4 de la Loi, qui exclut les « institutions judiciaires / judicial institutions » (comme les institutions parlementaires, du reste) de toute supervision ministérielle. Voir infra, par. [86].

[40]  Ces deux institutions judiciaires sont également exclues du régime de supervision établi par l’art. 12 de la Loi.

[41]  Voir infra, par. [37].

[42]  Sujet qui sera abordé aux par. [197] et s. infra.

[43]  Voir : Loi sur l’Assemblée nationale, RLRQ, c. A-23.1, notamment aux art. 19-24; Assemblée nationale, Direction de la séance et de la procédure parlementaire, Règlement et autres règles de procédure, 43e lég., 21e éd. (éd. provisoire), septembre 2023, notamment aux art. 1-11.2.

[44]  RLRQ, c. C-72.01.

[45]  On trouve l’énumération complète de ces organismes au par. 3° de l’annexe II de la Loi.

[46]  RLRQ, c. C-37.

[47]  RLRQ, c. C-27.

[48]  RLRQ, c. C-25.1.

[49]  L.Q, 1966-67, c. 125.

[50]  C’est-à-dire les établissements régis respectivement par la Loi sur les collèges d’enseignement général et professionnel, RLRQ, c. C29, et l’art. 1 par. 1 à 11 de la Loi sur les établissements d’enseignement de niveau universitaire, RLRQ, c. E-14.1.

[51]  Pour la liste complète des personnes visées par l’annexe III de la Loi, on pourra consulter la Loi, dont le texte intégral est joint au présent arrêt.

[52]  Qui n’est lui-même pas visé par les art. 7-8 et l’annexe III de la Loi.

[53]  À ce sujet, voir le par. 2o de l’annexe III.

[55]  On doit peut-être ajouter ici la réserve découlant de l’opinion majoritaire des juges de la Cour suprême dans l’arrêt R. c. N.S., 2012 CSC 72 : dans la mesure qui y est précisée et selon le test qui y est établi, les femmes portant le niqab ou la burqa pourraient, lorsqu’elles comparaissent comme témoins, être tenues de découvrir leur visage dans l’enceinte judiciaire, afin d’assurer l’équité du procès. Voir également : ElAlloul c. Procureure générale du Québec, 2018 QCCA 1611.

[56]  Terme qu’emploie l’arrêt Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, par. 74 (motifs majoritaires du j. Gascon).

[57]  Contrairement à ce que l’on observe en France ou en Belgique, par exemple.

[58]  On pourrait être tenté de se questionner sur l’utilité des articles 15 et 16 : le premier semble aller de soi, mais cherche peut-être à éviter qu’on s’interroge sur l’application de l’art. 6 lorsque le contrat de services de l’avocat ou du notaire ne contient pas cette prescription; le second ne paraît pas nécessaire vu l’art. 62 du Code du travail, les règles ordinaires du droit public ainsi que les art. 1411 et 1499 C.c.Q.

[59]  Québec, Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, Fonder l’avenir : Le temps de la conciliation (rapport), Québec, La Commission, 2008 [« rapport Bouchard-Taylor »], notamment aux p. 139-140. Voir également le rapport du prof. Jocelyn Maclure, qui présente lui aussi une brève histoire de la laïcité étatique au Québec (pièce EMSB-2348), ou encore les premières pages de celui du prof. Yvan Lamonde, qui fait de même (pièce PGQ-8). Les faits historiques rapportés par le prof. Jacques Beauchemin sur la laïcisation de l’éducation primaire et secondaire publique depuis le rapport Parent sont également d’intérêt (sans égard à son analyse des effets du port de signes religieux par les enseignants ou enseignantes) (pièce IN-MLQ-51).

[60]  Québec, Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, Fonder l’avenir : Le temps de la conciliation (rapport), Québec, La Commission, 2008, p. 135.

[61]  Québec, Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, Fonder l’avenir : Le temps de la conciliation (rapport), Québec, La Commission, 2008, p. 20, 140-153 et 288 (une définition succincte de la « laïcité ouverte » se trouve à cette dernière page, à savoir : « [f]orme de laïcité admettant des manifestations du religieux dans les institutions publiques (par exemple, au sein de la clientèle et du personnel des écoles et des hôpitaux) »).

[62]  Québec, Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, Fonder l’avenir : Le temps de la conciliation (rapport), Québec, La Commission, 2008, p. 135-136. Cette séparation est définie comme une « autonomie réciproque. L’État est libre de toute tutelle religieuse tandis que les associations religieuses sont autonomes dans leurs champs de juridiction, bien qu’elles restent soumises à l’obligation de respecter les droits humains fondamentaux et les lois en vigueur. D’une part, les religions n’ont pas de lien privilégié avec l’État. D’autre part, les Églises ne doivent pas être sous le contrôle de l’État […] » (p. 136). C’est le pendant de la laïcité ouverte.

[63]  Québec, Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, Fonder l’avenir : Le temps de la conciliation (rapport), Québec, La Commission, 2008, p. 151.

[64]  Québec, Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, Fonder l’avenir : Le temps de la conciliation (rapport), Québec, La Commission, 2008, p. 151, note infrapaginale 38.

[65]  Québec, Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, Fonder l’avenir : Le temps de la conciliation (rapport), Québec, La Commission, 2008, p. 151.

[66]  Québec, Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, Fonder l’avenir : Le temps de la conciliation (rapport), Québec, La Commission, 2008, p. 260 et p. 271 (recommandation G2).

[67]  Québec, Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, Fonder l’avenir : Le temps de la conciliation (rapport), Québec, La Commission, 2008, p. 260 :

En ce qui concerne le port de signes religieux par les agents de l’État, nous recommandons qu’il soit interdit à certains d’entre eux (magistrats et procureurs de la Couronne, policiers, gardiens de prison, président et vice-présidents de l’Assemblée nationale). Mais pour tous les autres agents de l’État (enseignants, fonctionnaires, professionnels de la santé et autres), nous estimons que le port de signes religieux devrait être autorisé. Ces deux dispositions nous semblent dictées par la règle d’équilibre qui inspire toute notre démarche (voir, à ce propos, le chapitre VII, section D).

 La Commission des droits et libertés de la personne et de la jeunesse, dans son mémoire sur le projet de loi sur la laïcité, s’est également prononcée en défaveur de l’interdiction du port de signes religieux pour les enseignants (qui lui semblait d’ailleurs contraire à la Loi sur l’instruction publique, dont l’art. 37 al. 3 prescrit que le projet éducatif de l’école doit respecter non seulement la liberté de conscience et de religion des élèves et des parents, mais aussi celle des « membres du personnel de l’école / school staff »). Voir : Commission des droits et libertés de la personne et de la jeunesse, Mémoire à la Commission des institutions de l’Assemblée nationale : Projet de loi n° 21, Loi sur la laïcité de l’État, CDPDJ, mai 2019, p. 68 et s.

[68]  Supra, par. [1].

[69]  Jugement de première instance, par. 922 à 938.

[70]  Le Groupe Kaur conteste cependant toujours la validité de l’art. 5 de la Loi, mais au nom d’un principe supralégislatif préconfédératif, et non pour le motif d’une atteinte à l’indépendance judiciaire. Nous y reviendrons.

[71]  Acte qui régle plus solidement le Gouvernement de la Province de Québec dans l’Amérique Septentrionale (R.-U.), 1774, 14 Geo. III, c. 83, reproduit dans L.R.C. 1985, annexe II, no 2 [« Acte de Québec »].

[72]  Acte pour déclarer que les Personnes qui professent le Judaïsme ont le bénéfice de tous les droits et privilèges des autres sujets de Sa Majesté en cette Province (B.-Can.), 1832, 1 Guil. IV, c. 56-57 [« Loi Hart »].

[74]  Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712.

[75]  2023 CSC 10 [« Murray-Hall »].

[76]  Renvoi relatif à la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, 2024 CSC 5; Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact, 2023 CSC 23.

[77]  Union Colliery Co. of British Columbia v. Bryden, [1899] A.C. 580, p. 587 (C.P.).

[78]  Murray-Hall c. Québec (Procureur général), 2023 CSC 10.

[79]  2020 CSC 17, par. 29.

[80]  2009 CSC 19, par. 16.

[81]  Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, 2010 CSC 61, par. 22.

[82]  Renvoi relatif à la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, 2024 CSC 5, par. 39; Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact, 2023 CSC 23, par. 62; Murray-Hall c. Québec (Procureur général), 2023 CSC 10, par. 24-26; Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, 2021 CSC 11, par. 51; Renvoi relatif à la Loi sur la nondiscrimination génétique, 2020 CSC 17, par. 34; Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, 2011 CSC 66, par. 63-64.

[83]  Murray-Hall c. Québec (Procureur général), 2023 CSC 10, par. 24.

[84]  Renvoi relatif à la Loi sur la nondiscrimination génétique, 2020 CSC 17, par. 165 (motifs du j. Kasirer), cité avec approbation dans : Murray-Hall c. Québec (Procureur général), 2023 CSC 10, par. 26.

[85]  Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, 2021 CSC 11.

[86]  Ward c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 17, par. 25.

[87]  Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, 2021 CSC 11.

[88]  2011 CSC 66.

[89]  Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, 2021 CSC 11.

[90]  Voir supra, par. [15] à [50].

[91]  Supra, par. [18].

[92]  Supra, par. [51] à [54].

[93]  Supra, par. [20] à [22].

[94]  Supra, par. [24].

[95]  Cet article a été modifié en 2019, mais on y retrouve les mêmes éléments cités ici.

[96]  Voir supra, par. [24].

[97]  Il énonçait ce qui suit :

10. Un membre du personnel d’un organisme doit exercer ses fonctions à visage découvert.

 

De même, une personne qui se présente pour recevoir un service par un membre du personnel d’un organisme visé au présent chapitre doit avoir le visage découvert lors de la prestation du service. 

10. Personnel members of a body must exercise their functions with their face uncovered.

 

Similarly, persons who request a service from a personnel member of a body referred to in this chapter must have their face uncovered when the service is provided.

 

[98]  Supra, par. [25].

[99]  L.R.C. 1985, ch. J-1.

[100]  Loi sur les juges, L.R.C. 1985, ch. J-1, art. 59-62.1 et 79-160.

[101]  Tel que mentionné, supra, par. [42].

[102]  Sont ainsi visés, au par. 7° de l’annexe I :

7°les centres de services scolaires institués en vertu de la Loi sur l’instruction publique (chapitre I-13.3), le Centre de services scolaire du Littoral constitué par la Loi sur le Centre de services scolaire du Littoral (1966-1967, chapitre 125), le Comité de gestion de la taxe scolaire de l’île de Montréal, les collèges d’enseignement général et professionnel institués en vertu de la Loi sur les collèges d’enseignement général et professionnel (chapitre C29) ainsi que les établissements d’enseignement de niveau universitaire énumérés aux paragraphes 1° à 11° de l’article 1 de la Loi sur les établissements d’enseignement de niveau universitaire (chapitre E-14.1).

(7) school service centres established under the Education Act (chapter I-13.3), the Centre de services scolaire du Littoral established by the Act respecting the Centre de services scolaire du Littoral (1966-1967, chapter 125), the Comité de gestion de la taxe scolaire de l’île de Montréal, general and vocational colleges established under the General and Vocational Colleges Act (chapter C-29), and university-level educational institutions listed in paragraphs 1 to 11 of section 1 of the Act respecting educational institutions at the university level (chapter E-14.1).

 

[103]  Sont ainsi visés, au par. 8° de l’annexe I :

8° les établissements publics visés par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2), à l’exception des établissements publics visés aux parties IV.1 et IV.3 de cette loi, les groupes d’approvisionnement en commun visés à l’article 435.1 de cette même loi et les centres de communication santé visés par la Loi sur les services préhospitaliers d’urgence (chapitre S-6.2).

(8) public institutions governed by the Act respecting health services and social services (chapter S-4.2), except public institutions referred to in Parts IV.1 and IV.3 of that Act, joint procurement groups referred to in section 435.1 of that Act, and health communication centres referred to in the Act respecting pre-hospital emergency services (chapter S-6.2).

 

[104]  Supra, par. [31].

[105]  Supra, par. [30] [renvoi omis].

[106]  Deux paragraphes de l’annexe III, parmi d’autres, donnent une idée de sa portée : « 10° un médecin, un dentiste ou une sage-femme lorsque cette personne exerce sa profession dans un centre exploité par un établissement public visé au paragraphe 8° de l’annexe I / physicians, dentists and midwives, when those persons are practising in a centre operated by a public institution referred to in paragraph 8 of Schedule I »; « 11° une personne reconnue à titre de responsable d’un service de garde en milieu familial subventionné en vertu de la Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance (chapitre S4.1.1) et les personnes qu’elle dirige / persons recognized as subsidized home educational childcare providers under the Educational Childcare Act (chapter S-4.1.1) and the persons directed by them ».

[107]  Voir supra, par. [38].

[108]  Supra, par. [31].

[109]  Supra, par. [38].

[110]  Supra, par. [48].

[111]  Assemblée nationale, Journal des débats, 42e lég., 1ère sess., vol. 45, no 26, 28 mars 2019, p. 1833 (S. Jolin-Barrette).

[112]  Pièce P-12 [dossier HAK], Official transcript of press conference held by Simon Jolin-Barrette on 28 March 2019, p. 1-2.

[113]  Assemblée nationale, Journal des débats, 42e lég., 1ère sess., vol. 45, no 46, 29 mai 2019, p. 3012-3013 (S. Jolin-Barrette).

[114]  Jugement de première instance, par. 316.

[115]  Voir supra, par. [20] à [22].

[116]  Jugement de première instance, par. 417.

[117]  Ainsi, voir : Ward c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 17, par. 25.

[118]  Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, 2010 CSC 61, par. 19; Procureur général du Québec c. Gallant, 2021 QCCA 1701, par. 75.

[119]  R. c. Edwards Books and Art. Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713, p. 750.

[120]  Voir en particulier le jugement de première instance aux par. 382-384.

[121]  Jugement de première instance, par. 434, et voir plus généralement les par. 429-436.

[122]  Jugement de première instance, par. 435-436.

[123]  Voir : Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet, Droit constitutionnel, 6e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2014, p. 10-11, nos I.10-I.12.

[124]  Voir : Jacques-Yvan Morin et José Woehrling, Les constitutions du Canada et du Québec : du régime français à nos jours, 2e éd., t. 1 « Études », Montréal, Thémis, 1994, p. 125-131.

[125]  Dont on trouve illustration dans des jugements comme le Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île-du-Prince-Édouard; Renvoi relatif à l’indépendance et à l’impartialité des juges de la Cour provinciale de l’Île-du-Prince-Édouard, [1997] 3 R.C.S. 3 Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale (Î.-P.-É.) »], ou le Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217.

[126]  Dont on trouve illustration dans un jugement comme le Renvoi: Résolution pour modifier la Constitution, [1981] 1 R.C.S. 753.

[128]  (R.-U.), 1701, 12 & 13 Will. III, c. 2.

[129]  Jugement de première instance, notamment aux par. 570 à 584, et en plusieurs autres endroits des motifs livrés en première instance.

[130]  Francis Maseres, « Considération sur l’opportunité d’un acte du parlement pour régler les difficultés survenues dans la province de Québec, 1766 », dans Adam Shortt et Arthur G. Doughty (dir.), Documents relatifs à l’histoire constitutionnelle du Canada, 1759-1791, 2e éd., 1ère partie, Ottawa, Thomas Mulvey, 1921, p. 230-231.

[131]  Francis Maseres, « Considération sur l’opportunité d’un acte du parlement pour régler les difficultés survenues dans la province de Québec, 1766 », dans Adam Shortt et Arthur G. Doughty (dir.), Documents relatifs à l’histoire constitutionnelle du Canada, 1759-1791, 2e éd., 1ère partie, Ottawa, Thomas Mulvey, 1921, p. 233.

[132]  (R.-U.), 31 Geo. III, c. 31, reproduit dans L.R.C. 1985, annexe II, no 3.

[133]  (R.-U.), 3 & 4 Vict., c. 35, reproduit dans L.R.C. 1985, annexe II, no 4.

[134]  Ce sont au premier chef les quakers qui sont ici visés, des coreligionnaires de qui la Nouvelle-Écosse tolérait l’affirmation solennelle depuis 1759.

[135]  Ce libellé est celui de l’art. XLII de l’Acte d’Union, 1840. L’art. XLII de l’Acte constitutionnel de 1791 emploie plutôt la formule « in any Manner relate to or affect the Enjoyment or Exercise of any religious Form or Mode of Worship ».

[136]  (R.-U.), 1854, 17 & 18 Vict., c. 118. Voir aussi : The Statute Law Revision Act (R.-U.), 1872, 35 & 36 Vict., c. 63.

[137]  (R.-U.), 28 & 29 Vict., c. 63.

[139]  Ainsi, pour une illustration récente, voir : Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, 2013 CSC 42, où la Cour s’appuie notamment sur une loi britannique de 1731, An Act that all Proceedings in Courts of Justice within that Part of Great Britain called England, and in the Court of Exchequer in Scotland, shall be in the English Language (R.-U.), 1731, 4 Geo. II, c. 26, pour rendre jugement.

[140]  Les pouvoirs de désaveu prévus par les art. 56 et 57, d’une part, et 90, d’autre part, de la LC 1867 ne sont pas utiles au débat qui nous occupe. Le premier n’a plus d’effet par suite du Statut de Westminster (voir infra) et des modifications constitutionnelles et le second est tombé en désuétude.

[141]  Seule la version anglaise de la LC 1867 a force de loi. La Cour se conformera toutefois ici à la pratique constante de la Cour suprême du Canada qui consiste à citer dans ses arrêts la traduction française de la LC 1867. Voir par exemple : Renvoi relatif au Code de procédure civile (Qc), art. 35, 2021 CSC 27 (dispositions pertinentes reproduites en annexe dudit jugement); Renvoi relatif à la réforme du Sénat, 2014 CSC 32, par. 50, 71 et 84; R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768, par. 12; Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1992] 1 R.C.S. 212, p. 220.

[142]  Statut de Westminster de 1931 (R.-U.), 22 Geo. V. c. 4, reproduit dans L.R.C. 1985, annexe II, no 27 Statut de Westminster »].

[143]  [1926] A.C. 482 (C.P.).

[144]  Judicial Committee Act, 1833 (R.-U.), 3 & 4 Will. IV, c. 41.

[145]  Judicial Committee Act, 1844 (R.-U.), 7 & 8 Vict., c. 69.

[146]  Bien que seule la version anglaise du Statut de Westminster ait force de loi, la Cour citera ici la traduction française qui accompagne le texte anglais dans les appendices aux Lois révisées du Canada de 1985.

[147]  Hogg et Wright expliquent :

Before the Statute of Westminster, the supremacy of the B.N.A. Act was derived from the fact that it was an imperial statute protected from alteration by the Colonial Laws Validity Act. Therefore, when it was proposed to destroy the protected status of imperial statutes generally, Canada insisted on the exemption of its constituent statute. That was the reason for s. 7 of the Statute of Westminster.

[Renvois omis]

 (Peter W. Hogg et Wade K. Wright, Constitutional Law of Canada, 5e éd. suppl., vol. 1, Toronto, Thomson Reuters, 2007 (feuilles mobiles, mise à jour no 1, juillet 2023), §3:3, p. 3-7).

[148]  (R.-U.), 1982, c. 11.

[149]  Tout comme son art. 4, d’ailleurs.

[150]  Le terme « dévolution » doit s’entendre ici, selon une définition simple, comme l’attribution de pouvoirs d’une personne morale à une autre, en l’occurrence du gouvernement de la métropole vers celui des colonies.

[151]  L’auteur Alpheus Todd écrit à ce sujet, dans Parliamentary Government in the British Colonies, 2e éd., Londres, Longmans, Green, 1894, à la page 157 :

In the case of colonies having responsible government, this right of veto is, however, very sparingly exercised. Wherever that system has been introduced, her Majesty’s government has, as a general rule, refrained from interfering with colonial legislation; except in cases specified in the royal instructions to the governors, which almost exclusively refer to matters of Imperial relation, and not of mere local concern. [Renvoi omis]

Plus loin, rappelant que « the experiment of incorporating the principle of ‘responsible government’ into the political institutions of a colony was first applied to Canada, before it was introduced elsewhere » (p. 173), il ajoute que, dans le cas des lois « réservées » pour la sanction royale en métropole, « [m]ost of these cases, however, occurred prior to the concession of ‘responsible government;’ since then the number of bills reserved has been considerably reduced, and gradually lessened to a minimum » (p. 174).

[152]  Ainsi, on trouve ce qui suit dans cette longue énumération courroucée que ses auteurs destinaient au gouvernement de la métropole :

84. Résolu, Qu’en outre des Griefs et Abus exposés ci-dessus, il en existe dans la Province un grand nombre d’autres, […] que cette Chambre indique ici seulement, entr’autres :

[…]

10° La Réserve trop fréquente des Bills par les Gouverneurs, pour la sanction de Sa Majesté en Angleterre, et la négligence du Bureau Colonial à s’occuper de ces Bills, dont un grand nombre ne sont pas revenus du tout dans la Province, et même dont quelques-uns n’en sont revenus qu’à une époque où il pouvait exister des doutes sur la validité de leur sanction; ce qui a introduit l’irrégularité et l’incertitude dans la Législation de la Province, et gêné cette Chambre dans son désir de renouveler dans les Sessions postérieures les Bills réservés dans une Session précédente.

(Chambre d’assemblée du Bas-Canada, Quatre-vingt-douze résolutions proposées à la Chambre d’assemblée, Québec, 21 février 1834, p. 20-21).

[153]   Il est vrai que les motifs des juges Rand, Kellock, Estey et Locke, dans l’arrêt Saumur v. City of Quebec, [1953] 2 S.C.R. 299, citent plusieurs sources législatives sur lesquelles s’appuient les opposants à la Loi et confèrent un certain poids à l’argumentation des parties qui invoquent au soutien de leurs prétentions l’Acte de Québec et diverses lois préconfédératives. Mais cette interprétation ne recueille pas l’accord d’une majorité des juges de la Cour. À ces réflexions, qui précèdent de trois décennies la LC 1982, et qui sont très antérieures à l’avènement de textes contemporains comme la Charte canadienne ou la Charte québécoise, il faut préférer l’analyse rigoureuse de cet arrêt par le juge de première instance aux par. 549 à 557 de ses motifs; notons en particulier que, sur ce plan, la conclusion exprimée au par. 557 requerrait de la part des appelants une réfutation en règle et plus, en tout état de cause, que le renvoi à des motifs de jugement minoritaires, dispersés et vieux de près de soixante-dix ans.

[154]  Ainsi, voir le jugement de la Cour de Circuit dans Roy c. Bergeron (1867), 21 R.J.R.Q. 62, p. 77. Bien entendu, l’Acte de Québec a laissé en jurisprudence des traces non négligeables, bien qu’aujourd’hui périmées : c’est ce qu’illustrent les arrêts Stuart v. Bowman (1853), 3 L.C.R. 309 et Wilcox v. Wilcox (1857), 2 L.C.J. 1 de la Cour du banc de la Reine, commentés par John E.C. Brierley dans « The Coexistence of Legal Systems in Quebec: “Free and Common Socage” in Canada’s “pays de droit civil” », (1979) 20:1-2 C. de D. 277, p. 284 et s. Mais l’Acte de Québec n’a jamais laissé de telles traces au titre de ce que l’on appelle aujourd’hui les « droits et libertés » de la personne, par exemple dans des textes constitutionnels ou quasi-constitutionnels comme la Charte canadienne ou la Charte québécoise.

[155]  Ainsi, voir la différence de perspective entre les motifs majoritaires de la Cour du Banc de la Reine dans L’Union St-Jacques de Montréal c. Belisle, publiés dans (1872) Rev. crit. de lég. et de jurispr. 449463, et l’arrêt du Conseil privé, L’Union St. Jacques de Montreal v. Belisle (1874), 6 A.C. 31.

[156]  Pierre-Basile Mignault, Le Droit civil canadien, t. 1, Montréal, C. Théoret, 1895, p. 556-558.

[157]  Voir supra, par. [132].

[158]  Voir supra, par. [133].

[159]  Voir supra, par. [136].

[160]  Cet article sera abrogé des années plus tard : The Statute Law Revision Act (R.-U.), 1872, 35 & 36 Vict., c. 63.

[161]  Supra, par. [131].

[162]  Thomas Chapais, Cours d’histoire du Canada, t. VI « 1847-1851 », Montréal, Bernard Valiquette, 1944, p. 159. Le Haut-Canada est ce dont il est question ici et, par la suite, on pense à la partie de la Province du Canada qui lui correspond. Pour sa part, Alan Wilson, dans The Clergy Reserves of Upper Canada, brochure historique no 23, Ottawa, Société historique du Canada, 1969, mentionne à la p. 3 que les art. XXXV à XLII de l’Acte constitutionnel de 1791 « would be the cause of great conflict in Canada for over sixty years ».

[163]  Thomas Chapais, Cours d’histoire du Canada, t. VI « 1847-1851 », Montréal, Bernard Valiquette, 1944, p. 160-161.

[164]  Ainsi, Sir Francis Hincks, dans Religious Endowments in Canada: The Clergy Reserve and Rectory Questions – A Chapter of Canadian History, Londres, Dalton & Lucy, 1869, p. 47, reproduit une lettre du Gouverneur général de la Province du Canada, comte d’Elgin et de Kincardine, adressée le 19 juillet 1850 au comte Grey, secrétaire d’État aux colonies à Londres, où il lui communique les volontés de l’Assemblée législative de transformer en profondeur le régime des réserves du clergé. Il commente en ces termes :

I deeply regret the revival of agitation on this subject, of which Lord Sydenham truly observed, that it had been in Upper Canada the one all-absorbing and engrossing topic of interest, and for years the principal cause of the discontent and disturbance which had arisen, and under which the province had laboured. The intervention of the Imperial Parliament in 1840 was doubtless prompted by a desire to settle on terms which should be equitable and generally satisfactory, a question which had for so many years disturbed the peace of the colony.

[165]  Ludovic Brunet, dans La Province du Canada : Histoire politique de 1840 à 1867, Québec, Laflamme & Proulx, 1908, p. 220, observe à ce sujet : « à mesure que le Haut-Canada progressait et que la population devenait plus dense, ces terres [comprises dans la réserve du clergé] prirent de la valeur, ce qui excita les convoitises de toutes les dénominations religieuses qui se réclamaient de cette appellation de “clergé protestant” ».

[166]  Sir Francis Hincks, dans Religious Endowments in Canada:The Clergy Reserve and Rectory Questions – A Chapter of Canadian History, Londres, Dalton & Lucy, 1869, p. 9, cite l’opinion livrée par son juge en chef :

[…] we are all of opinion that the words “a Protestant Clergy” in the statute 31 Geo. 3, c. 31, are large enough to include, and that they do include, other clergy than those of the Church of England, and Protestant Bishops, Priests, and Deacons, who have received Episcopal ordination.

   For those words, which are first to be met with in the Statute 14 Geo. 3, c. 83 […], appear to us, both in their natural force and meaning, and still more from the context of the clauses in which they are found, to be there used to designate and intend a Clergy opposed in doctrine and discipline to the Clergy of the Church of Rome, and rather to aim at the encouragement of the Protestant Religion in opposition to the Romish Church, than to point exclusively to the Clergy of the Church of England.

[167]  « Statutaire » en ce sens qu’il s’agissait d’un simple calcul, d’application automatique, découlant de l’art. XXXVI in fine de l’Acte constitutionnel de 1791 : le septième des terres mises en circulation par la Couronne tombait sous le coup de cette réserve. Alan Wilson fournit à la p. 8 de son ouvrage (The Clergy Reserves of Upper Canada, brochure historique no 23, Ottawa, Société historique du Canada, 1969) un tableau qui permet de visualiser quel était l’effet de morcellement de cette politique, pour ainsi dire « cadastrale », et dont certains propriétaires ou usagers pouvaient possiblement prendre ombrage.

[168]  Alan Wilson remarque à ce sujet, dans The Clergy Reserves of Upper Canada, brochure historique no 23, Ottawa, Société historique du Canada, 1969, p. 17-18 :

The rectories symbolized the culmination of Anglican pretensions. In the process they rekindled the fires under the Clergy Reserves. The Reserves had been reviled as the symbols of a Church establishment which had arisen de facto; the rectories suggested that they might yet be consolidated de jure. In the violent public reaction to the rectories there were few historical declarations on the threat to consolidated land settlement or against the extent of the acreages sequestrated. The rectories were attacked as instruments of political, social and religious inequality.

[169]  Pièce PGQ-7, Rapport d’expertise de Marc Chevrier pour le PGQ (dossier Lauzon), p. 51. En réalité, 1817 est l’année où l’Assemblée législative du Haut-Canada adopte une résolution destinée aux autorités de la métropole et déplorant le fait que les réserves du clergé constituent un « obstacle insurmontable » au développement économique. Il sera remédié à cette situation en 1827 par une loi du Parlement britannique, An Act to authorize the Sale of a Part of the Clergy Reserves in the Provinces of Upper and Lower Canada (R.-U.), 1827, 7 & 8 Geo. IV, c. 62.

[170]  An Act to provide for the Sale of the Clergy Reserves in the Province of Canada, and for the Distribution of the Proceeds thereof (R.-U.), 1840, 3 & 4 Vict., c. 78.

[171]  Supra, par. [109] (voir aussi supra, par. [64]).

[172]  Acte pour faire de meilleures dispositions pour l’appropriation des Deniers provenant des Terres jusqu’ici connues sous le nom de Réserves du Clergé, en les rendant disponibles pour des objets municipaux (Can.), 1854, 18 Vict., c. 2.

[173]  C’est l’effet de l’art. VI de An Act to empower the Legislature of Canada to alter the Constitution of the Legislative Council for that Province, and for other Purposes (R.-U.), 1854, 17 & 18 Vict., c. 118, précité (supra, par. [132]).

[174]  RLRQ, c. L-2, dont l’art. 1 énonce :

1. La jouissance et le libre exercice du culte de toute profession religieuse, sans distinction ni préférence, mais de manière à ne pas servir d’excuse à la licence, ni à autoriser des pratiques incompatibles avec la paix et la sûreté au Québec, sont permis par la constitution et les lois du Québec à toutes les personnes qui y vivent. 

1. The free exercise and enjoyment of religious profession and worship, without discrimination or preference, provided the same be not made an excuse for acts of licentiousness or a justification of practices inconsistent with the peace and safety of Québec, are by the constitution and laws of Québec allowed to all persons living within the same.

 

[175]  L.R.O. 1990, c. R.22.

[176]  À partir de An Act respecting Rectories, R.S.O. 1877, c. 215.

[177]  Successivement, les art. 3439 à 3442 (chapitre deuxième, « Des Rectoreries ») des Statuts refondus de la Province de Québec de 1888; les art. 4387 à 4390 (chapitre deuxième, « Des Rectoreries ») des Statuts refondus de la Province de Québec de 1909; puis la Loi concernant la liberté des cultes et le bon ordre dans les églises et leurs alentours, S.R.Q. 1925, c. 198; la Loi concernant la liberté des cultes et le bon ordre dans les églises et leurs alentours, S.R.Q. 1941, c. 307; la Loi de la liberté des cultes, S.R.Q. 1964, c. 301; la Loi sur la liberté des cultes, L.R.Q. 1977, c. L-2; et la Loi sur la liberté des cultes, RLRQ, c. L-2.

[178]  L’expression « Parsonage or Rectories » que l’Acte d’Union, 1840 traduisait par « Paroisses ou Rectoreries » est désormais rendue ici par l’expression « cures ou rectoreries ».

[179]  Chapais le décrit comme « le célèbre archidiacre Strachan […] champion passionné de l’église d’Angleterre » : Thomas Chapais, Cours d’histoire du Canada, t. VI « 1847-1851 », Montréal, Bernard Valiquette, 1944, p. 161.

[180]  Il lui écrivait notamment ceci:

Can religious liberty be preserved in no other way than by putting all religions on a level, as equally entitled for support from public encouragement and protection? Are the Koran, the Vedas, the book of the Mormons, and the Holy Bible, to be held equally sacred? And are the public authorities, the organs by which the nation acts, to take any of these indifferently as the rule to direct them in their public proceedings? And in a nation of Protestants, who have high and peculiar interests to preserve and transmit to posterity, are all places of power and trust, and even the Throne itself, to be open equally to the Atheist, the Infidel, the Pagan, the Mussulman, the Romanist, the Mormon and the Protestant? Is the kingdom of Satan, in whatever shape it may appear, to enjoy the same public favor as the Kingdom of God? Is a Christian Church, a Pagan temple, and a mosque, to be equally held in honor? In one word, is “the freedom of the City to be bestowed on all the gods of mankind?”

(John Strachan, The Clergy Reserves: A Letter from the Lord Bishop of Toronto to the Duke of Newcastle, Her Majesty’s Secretary for the Colonies, Toronto, Churchman Office, 1853, p. 26-27).

[181]  Acte pour faire de meilleures dispositions pour l’appropriation des Deniers provenant des Terres jusqu’ici connues sous le nom de Réserves du Clergé, en les rendant disponibles pour des objets municipaux (Can.), 1854, 18 Vict., c. 2.

[182]  Son article II, par exemple, précise notamment que « l’allocation annuelle jusqu’ici payable à l’église Catholique Romaine dans le Haut-Canada et à l’église Méthodiste Wesleyenne Britannique pour les Missions Sauvages, continuera à être payable durant les vingt années qui suivront la passation du présent Acte, et pas au-delà / the annual allowance heretofore payable to the Roman Catholic Church in Upper Canada, and to the British Wesleyan Methodist Church for Indian Missions, shall continue to be payable during the twenty years next after the passing of this Act, and no longer ».

[183]  Supra, par. [161].

[184]  Supra, par. [124] et [142].

[185]  An Act to empower the Legislature of Canada to alter the Constitution of the Legislative Council for that Province, and for other Purposes (R.-U.), 1854, 17 & 18 Vict., c. 118.

[186]  An Act to empower the Legislature of Canada to alter the Constitution of the Legislative Council for that Province, and for other Purposes (R.-U.), 1854, 17 & 18 Vict., c. 118, art. VI.

[187]  Supra, par. [143].

[188]  Elle aussi emploie les mots « sans distinction ni préférence / without discrimination or preference » (art. 1).

[189]  Parmi bien d’autres, l’arrêt Singh c. Montréal Gateway Terminals Partnership, 2019 QCCA 1494 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 30 avril 2020, no 38916), en fournit une illustration.

[190]  Supra, par. [156] à [164].

[191]  Voir le jugement de première instance, notamment aux par. 546-547.

[192]  Voir notamment les par. [140] et [145] à [147] supra.

[193]  An Act to empower the Legislature of Canada to alter the Constitution of the Legislative Council for that Province, and for other Purposes (R.-U.), 1854, 17 & 18 Vict., c. 118.

[194]  Supra, par. [134].

[195]  2013 CSC 42.

[196]  An Act that all Proceedings in Courts of Justice within that Part of Great Britain called England, and in the Court of Exchequer in Scotland, shall be in the English Language (R.-U.), 1731, 4 Geo. II, c. 26.

[197]  Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, 2013 CSC 42, par. 16.

[198]  « […] considered to have the force of statute law », selon le texte original en anglais des motifs majoritaires (par. 50).

[199]  Voir la notice biographique figurant dans : Denis Vaugeois, « HART, Ezekiel (Ezechiel) », Dictionnaire biographie du Canada, vol. 7 : « 1836-1850 », Université Laval / University of Toronto, 1988, en ligne : http://www.biographi.ca/fr/bio/hart_ezekiel_7F.html. Voir aussi : Thomas Chapais, Cours d’histoire du Canada, t. II « 1791-1814 », Montréal, Bernard Valiquette, 1944, p. 187, 196 et 199.

[200]  [1987] 2 R.C.S. 2 [« SEFPO »].

[201]  La formation était constituée de sept juges mais le juge Chouinard n’a pas pris part au jugement.

[202]  SEFPO c. Ontario (Procureur général), [1987] 2 R.C.S. 2, p. 57.

[203]  2021 CSC 34 [« Toronto »]. Dans le même sens, voir aussi : Québec (Procureure générale) c. 91470732 Québec inc., 2020 CSC 32, par. 4 et 8 à 13.

[204]  Ce sont le Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, et l’arrêt SEFPO c. Ontario (Procureur général), [1987] 2 R.C.S. 2.

[205]  Toronto (Cité) c. Ontario (Procureur général), 2021 CSC 34.

[206]  Outre les sources identifiées au long, le passage reproduit renvoie aux arrêts suivants : Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217; Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’ÎleduPrinceÉdouard; Renvoi relatif à l’indépendance et à l’impartialité des juges de la Cour provinciale de l’Île-du-Prince-Édouard, [1997] 3 R.C.S. 3; MacMillan Bloedel Ltd. c. Simpson, [1995] 4 R.C.S. 725; Québec (Procureure générale) c. 9147-0732 Québec inc., 2020 CSC 32; R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295; ColombieBritannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2005 CSC 49 Imperial Tobacco »].

[207]  Toronto (Cité) c. Ontario (Procureur général), 2021 CSC 34.

[208]  [1992] 2 R.C.S. 606.

[209]  R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606, p. 643.

[210]  A. Intervenante (Alliance), par. 25.

[211]  A. Intervenante (Alliance), par. 16 [soulignement dans l’original].

[212]  Voir notamment : supra, par. [105] et [106].

[213]  Supra, par. [109] à [183].

[214]  A. Intervenante (Alliance), par. 26.

[215]  André Schutten et Tabitha Ewert, « Section 31 and the Charter’s Unexplored Constraints on State Power », (2022) 105 S.C.L.R. (2d) 323.

[216]  Voir : Reference re Alberta Statutes – The Bank Taxation Act; The Credit of Alberta Regulation Act; and the Accurate News and Information Act, [1938] S.C.R. 100, p. 132-134 (motifs du j. en chef Duff, auxquels souscrit le j. Davis); Saumur v. City of Quebec, [1953] 2 S.C.R. 299, p. 329-330 (motifs du j. Rand) et p. 372 et s. (motifs du j. Locke); Switzman v. Elbling, [1957] S.C.R. 285, p. 328 (motifs du j. Abbott); Oil, Chemical and Atomic Workers International Union v. Imperial Oil Ltd., [1963] S.C.R. 584, p. 599-600 (j. Abbott). Dans certaines décisions, la théorie est invoquée sans qu’il ne soit fait expressément référence au préambule de la LC 1867; voir ainsi : Boucher v. The King, [1951] S.C.R. 265, p. 288 (motifs du j. Rand); Chaput v. Romain, [1955] S.C.R. 834, p. 840 (motifs du j. Taschereau).

[217]  Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet, Droit constitutionnel, 6e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2014, p. 673, no VIII.71.

[218]  Brian Dickson, « The Canadian Charter of Rights and Freedoms: Context and Evolution », dans Errol Mendes et Stéphane Beaulac (dir.), Canadian Charter of Rights and Freedoms / Charte canadienne des droits et libertés, 5e éd.,Markham, LexisNexis, 2013, 3, p. 5-6. Voir aussi : Peter W. Hogg et Wade K. Wright, Constitutional Law of Canada, 5e éd. suppl., vol. 2, Toronto, Thomson Reuters, 2007 (feuilles mobiles, mise à jour no 1, juillet 2023), §34:7, p. 34-12 à 34-15; Robert J. Sharpe et Kent Roach, The Charter of Rights and Freedoms, 7e éd., Toronto, Irwin Law, 2021, p. 11.

[219]  Chabot v. School Commissioners of Lamorandiere and Attorney-General for Quebec (1957), 12 D.L.R. (2d) 796, p. 802-804 (j. Pratte), 807 (j. Casey), 813 (j. Hyde) et 834 (j. Taschereau) (C.A.).

[220]  Dupond c. Ville de Montréal, [1978] 2 R.C.S. 770 [« Dupond »], p. 796 et s. (motifs majoritaires du j. Beetz).

[221]  Voir : Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’ÎleduPrinceÉdouard; Renvoi relatif à l'indépendance et à l'impartialité des juges de la Cour provinciale de l’ÎleduPrinceÉdouard, [1997] 3 R.C.S. 3, par. 96 et s. (motifs majoritaires du j. en chef Lamer); SEFPO c. Ontario (Procureur général), [1987] 2 R.C.S. 2, p. 56-57 (motifs majoritaires du j. Beetz).

[222]  Toronto (Cité) c. Ontario (Procureur général), 2021 CSC 34.

[223]  Supra, par. [190] et s.

[224]  Toronto (Cité) c. Ontario (Procureur général), 2021 CSC 34, par. 50-78. Voir aussi : ColombieBritannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2005 CSC 49, par. 64-67.

[225]  Toronto (Cité) c. Ontario (Procureur général), 2021 CSC 34, par. 55-56.

[226]  Colombie-Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2005 CSC 49, par. 65.

[227]  Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, par. 53.

[228]  DoucetBoudreau c. NouvelleÉcosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62 DoucetBoudreau »], par. 42; Harvey c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), [1996] 2 R.C.S. 876 Harvey »], par. 31; New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l'Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319, p. 390.

[229]  Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, par. 50.

[230]  A. Intervenante (Alliance), par. 43.

[231]  Aux yeux du juge, la Loi porte notamment atteinte à la liberté de conscience et de religion, à la liberté de croyance et d’expression et au droit à l’égalité : jugement de première instance, par. 727.

[232]  Jugement de première instance, par. 770.

[233]  Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712.

[234]  Jugement de première instance, par. 750.

[235]  Jean Leclair, « Le recours aux clauses de dérogation aux droits et libertés dans un contexte fédéral : l’exemple canadien », (2023) 30 Jus Politicum : Revue de droit politique 105, p. 111.

[236]  Voir infra, par. [328] et [333].

[237]  Certains s’interrogent à savoir si la déclaration dérogatoire adoptée en vertu de l’art. 33 peut être renouvelée plus d’une fois : Peter W. Hogg et Wade K. Wright, Constitutional Law of Canada, 5e éd. suppl., vol. 2, Toronto, Thomson Reuters, 2007 (feuilles mobiles, mise à jour no 1, juillet 2023), §39:4, p. 39-9 et 39-10. Cette question n’étant pas en litige ici, il n’y a pas lieu de s’y attarder. Soulignons simplement que le législateur québécois a renouvelé à de nombreuses reprises des dispositions législatives adoptées en vertu de l’art. 33 et que cet usage répété n’a pas été contesté (voir notamment la Loi sur le régime de retraite de certains enseignants, RLRQ, c. R-9.1, art. 62).

[238]  Robert Leckey et Eric Mendelsohn, « The Notwithstanding Clause: Legislatures, Courts and the Electorate », (2022) 72:2 U. Toronto L.J. 189, p. 198. Comme on le verra plus loin, (infra, par. [412]), l’électorat a d’ailleurs récemment fait reculer le législateur ontarien en pareilles circonstances.

[239]  Working Families Coalition (Canada) Inc. v. Ontario (Attorney General), 2023 ONCA 139 Working Families Coalition »], par. 56, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême accueillie, 9 novembre 2023, no 40725.

[240]  Jacques Gosselin, La légitimité du contrôle judiciaire sous le régime de la Charte, Cowansville, Yvon Blais, 1991, p. 251.

[241]  Marie Paré, « La légitimité de la clause dérogatoire de la Charte canadienne des droits et libertés en regard du droit international », (1995) 29:3 R.J.T. 627, p. 653. Voir aussi : Jean Leclair, « Le recours aux clauses de dérogation aux droits et libertés dans un contexte fédéral : l’exemple canadien », (2023) 30 Jus Politicum : Revue de droit politique 105, p. 110-111; Noura Karazivan et Jean-François Gaudreault-DesBiens, « Rights Trivialization, Constitutional Legitimacy Deficit, and Derogation Clauses: the Example of Quebec’s Laïcity Act », (2020) 99 S.C.L.R. (2d) 487, p. 497; André Binette, « Le pouvoir dérogatoire de l’article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés et la structure de la Constitution du Canada », (2003) 63 R. du B. (numéro spécial) 109, p. 113-117.

[242]  Eugénie Brouillet et Félix-Antoine Michaud, « Les rapports entre les pouvoirs politique et judiciaire en droit constitutionnel canadien : dialogue ou monologue? », dans Conférence des juristes de l’État, XIXe Conférence des juristes de l’État : Le juriste de l’État au cœur d’un droit public en mouvement, Cowansville, Yvon Blais, 2011, 3, p. 21.

[243]  Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet, Droit constitutionnel, 6e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2014, p. 968, no XII-2.15.

[244]  Bibliothèque du Parlement, Service d’information et de recherche parlementaires, La disposition de dérogation de la Charte, par Laurence Brosseau et Marc-André Roy, Division des affaires juridiques et sociales, 7 mai 2018, p. 1; Guy Tremblay et Sylvain Bellavance, « La suprématie législative et l’édiction d’une charte des droits britannique », (1988) 29:3 C. de D. 637, p. 638.

[245]  Jacques Gosselin, La légitimité du contrôle judiciaire sous le régime de la Charte, Cowansville, Yvon Blais, 1991, p. 249.

[246]  Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet, Droit constitutionnel, 6e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2014, p. 970, no XII-2.20.

[247]  Guillaume Rousseau, Cahier de recherche – La disposition dérogatoire des chartes des droits : De la théorie à la pratique, de l’identité au progrès social, Institut de recherche sur le Québec, mars 2016, p. 5.

[248]  Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet, Droit constitutionnel, 6e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2014, p. 970, no XII-2.20.

[249]  Jean Leclair, « Le recours aux clauses de dérogation aux droits et libertés dans un contexte fédéral : l’exemple canadien », (2023) 30 Jus Politicum : Revue de droit politique 105, p. 113.

[250]  Noura Karazivan et Jean-François Gaudreault-DesBiens, « Rights Trivialization, Constitutional Legitimacy Deficit, and Derogation Clauses: the Example of Quebec’s Laïcity Act », (2020) 99 S.C.L.R. (2d) 487, p. 500-501.

[251]  Dominique Leydet, « Droits fondamentaux et démocratie représentative : prendre au sérieux le rôle des Parlements », dans J. Michel Doyon (dir.), Droit, justice et démocratie : colloque du lieutenantgouverneur du Québec, Montréal, Yvon Blais, 2023, 73, p. 74-75. Dans le même sens, voir aussi : Stéphane Sérafin, Kerry Sun et Xavier Foccroulle Ménard, « Notwithstanding Judicial Specification: The Notwithstanding Clause within a Juridical Order », (2023) 110 S.C.L.R. (2d) 135, notamment aux p. 142-145 et 156 et s.

[253]  Au moment de son adoption, le 27 juin 1975, l’art. 52 de la Charte québécoise ne s’appliquait qu’aux art. 9 à 38. Il a été modifié par la Loi modifiant la Charte des droits et libertés de la personne, L.Q. 1982, c. 61, art. 16, sanctionnée le 18 décembre 1982, et est demeuré le même depuis.

[254]  José Woehrling, « Les modifications à la Charte des droits et libertés de la personne nécessaires en cas d’accession du Québec à la souveraineté », (1995) 26:4 R.G.D. 565, p. 570.

[255]  Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet, Droit constitutionnel, 6e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2014, p. 983, no XII-2.58. Ceux-ci écrivent :

XII-2.58 – La dérogation expresse, comme technique du droit constitutionnel, poursuit dans le cas de la Charte québécoise une finalité complètement opposée à celle poursuivie dans le cas de la Charte canadienne. Dans ce dernier cas l’objectif de l’article 33 est de permettre de quitter le niveau constitutionnel afin de revenir à la souveraineté parlementaire, alors que le but de l’article 52 de la Charte québécoise est de faire exception à la pleine souveraineté parlementaire afin de constitutionnaliser les droits. […]

[256]  La Cour reprend ici les termes utilisés par Brun, Tremblay et Brouillet dans le passage reproduit à la note infrapaginale précédente.

[257]  Voir supra, par. [113].

[258]  Béliveau St-Jacques c. Fédération des employées et employés de services publics inc., [1996] 2 R.C.S. 345, par. 116. Voir également : Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombarbier Aéronautique Centre de Formation), 2015 CSC 39, par. 30.

[259]  François Côté et Guillaume Rousseau, « From Ford v. Québec to the Act Respecting the Laicity of the State: A Distinctive Quebec Theory and Practice of the Notwithstanding Clause », (2020) 94 S.C.L.R. 463, p. 478; Pierre Bosset, « La Charte des droits et libertés de la personne dans l’ordre constitutionnel québécois : évolution et perspectives », Conférence de lancement de l’Association québécoise de droit constitutionnel, conférence présentée à l’Hôtel du Parlement (Québec), 27 juin 2005, p. 13.

[260]  Guillaume Rousseau, Cahier de recherche – La disposition dérogatoire des chartes des droits : De la théorie à la pratique, de l’identité au progrès social, Institut de recherche sur le Québec, mars 2016, p. 5.

[261]  Voir : infra, par. [328] et [330].

[262]  Dans leur version actuelle, les art. 1 à 9.1 de la Charte québécoise protègent : le droit à la vie, à la sûreté, à l’intégrité et à la liberté de sa personne (art. 1); le droit au secours (art. 2); les libertés fondamentales, telles les libertés de conscience, de religion, d’opinion, d’expression, de réunion pacifique et d’association (art. 3); le droit de vivre en français (art. 3.1); les droits à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation (art. 4) et au respect de sa vie privée (art. 5); le droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens (art. 6); le droit au caractère inviolable de sa demeure (art. 7); les droits au respect de la propriété privée (art. 8) et du secret professionnel (art. 9); et la protection de l’exercice des droits et libertés dans le respect d’un cadre juridique donné (art. 9.1).

[263]  L’art. 10 consacre le droit à l’égalité dans la reconnaissance et l’exercice des droits et libertés de la personne et énonce les motifs interdits de discrimination. L’art. 10.1 interdit le harcèlement fondé sur l’un ou l’autre de ces motifs. Les art. 11 à 18.2 interdisent quant à eux : la diffusion, la publication ou l’exposition d’un avis, d’un symbole ou d’un signe discriminatoire (art. 11); la discrimination dans les actes juridiques ayant pour objet des biens ou des services ordinairement offerts au public (art. 12 et 14); les clauses discriminatoires dans un acte juridique (art. 13 et 14); la discrimination dans l’accès au transport ou aux lieux publics (art. 15); la discrimination dans l’embauche et l’emploi (art. 16); la discrimination dans une association d’employeurs ou de salariés ainsi que dans tout ordre professionnel ou toute association de personnes exerçant une même occupation (art. 17); la discrimination par un bureau de placement (art. 18); la discrimination dans un formulaire de demande d’emploi ou dans une entrevue (art. 18.1); et le congédiement, le refus d’embauche ou le fait de pénaliser une personne en raison de sa culpabilité à une infraction pénale ou criminelle (art. 18.2). L’art. 19 prévoit le droit à une égalité de traitement pour un travail équivalent. Les art. 20 et 20.1, enfin, identifient certains gestes qui doivent être réputés non discriminatoires.

[264]  Les art. 21 et 22 protègent le droit d’adresser des pétitions à l’Assemblée nationale (art. 21) et le droit de voter et de se porter candidat aux élections (art. 22).

[265]  Les art. 23-38 protègent quant à eux : le droit à une audition publique et impartiale par un tribunal indépendant et impartial (art. 23); le droit de ne pas être privé arbitrairement de sa liberté ou de ses droits (art. 24); le droit à la protection contre les saisies, les perquisitions et les fouilles abusives (art. 24.1); le droit à la protection contre l’arrestation et la détention inhumaines (art. 25); divers droits reliés aux conditions de détention (art. 26 et 27); le droit d’être informé promptement des motifs de son arrestation ou de sa détention ainsi que de l’infraction reprochée (art. 28 et 28.1); le droit de contacter ses proches et d’obtenir l’assistance d’un avocat sans délai en cas d’arrestation ou de détention (art. 29); le droit d’être conduit rapidement devant un tribunal compétent ou relâché en cas d’arrestation ou de détention (art. 30) et le droit de ne pas être privé, sans juste cause, du droit de recouvrer sa liberté (art. 31); le droit de faire contrôler la légalité de sa détention, soit le recours à l’habeas corpus (art. 32); le droit d’être jugé dans un délai raisonnable (art. 32.1); la présomption d’innocence (art. 33); le droit de ne pas être contraint de témoigner contre soi-même lors d’un procès (art. 33.1); le droit d’être représenté par avocat (art. 34); le droit à une défense pleine et entière (art. 35); le droit à un interprète (art. 36); le droit de ne pas être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une violation de la loi (art. 37); le droit à la protection contre la double condamnation (art. 37.1); le droit à la peine la moins sévère lors de modifications à la loi (art. 37.2); et le droit contre l’auto-incrimination (art. 38).

[266]  Ces dispositions couvrent notamment les droits suivants : « protection de l’enfant, instruction publique gratuite, droit d’exiger l’enseignement religieux ou moral et de choisir l’enseignement privé, vie culturelle des minorités, droit à l’information, assistance financière des personnes dans le besoin, droit à des conditions de travail justes et sûres, égalité des époux, protection des personnes âgées » (José Woehrling, « Les modifications à la Charte des droits et libertés de la personne nécessaires en cas d’accession du Québec à la souveraineté », (1995) 26:4 R.G.D. 565, p. 570).

[267]  José Woehrling, « Les modifications à la Charte des droits et libertés de la personne nécessaires en cas d’accession du Québec à la souveraineté », (1995) 26:4 R.G.D. 565, p. 576.

[268]  RLRQ, c. C-11 (à l’époque, L.R.Q., c. C-11).

[269]  RLRQ, c. L-4.2 (à l’époque, L.Q. 1982, c. 21).

[270]  La Loi concernant la Loi constitutionnelle de 1982 prévoyait également l’incorporation d’une disposition dérogatoire à toutes les lois adoptées entre l’entrée en vigueur de la Charte canadienne et la date de sa propre sanction.

[271]  L.Q. 1983, c. 56.

[272]  En ce qui concerne l’art. 214 de la Charte de la langue française, le pourvoi soulevait également des questions quant à son mode d’édiction puisque cette disposition avait été adoptée dans le cadre d’une loi omnibus (la Loi concernant la Loi constitutionnelle de 1982) et avait une portée rétroactive (la loi omnibus étant entrée en vigueur le 23 juin 1982, alors que les dispositions dérogatoires types adoptées par l’art. 1 de cette loi avaient effet depuis le 17 avril 1982). Ces questions n’étant pas en litige dans le cadre du présent dossier, il n’y a pas lieu de s’attarder à cet aspect de l’arrêt Ford, outre que de souligner que cet exercice de dérogation a été jugé valide, sauf dans la mesure où le législateur québécois avait voulu faire rétroagir cette dérogation.

[273]  Jugement de première instance, par. 724.

[274]  Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, p. 740-743.

[275]  Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, p. 741.

[276]  Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, p. 741.

[277]  Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, p. 741.

[278]  Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, p. 740.

[279]  Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, p. 740.

[280]  Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, p. 743.

[281]  Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, p. 743.

[282]  Infra, par. [269].

[283]  Voir aussi : infra, par. [329].

[284]  Pour paraphraser le juge Binnie dans R. c. Henry, 2005 CSC 76, par. 53.

[285]  R. c. Henry, 2005 CSC 76, par. 57. Voir aussi : R. c. Kirkpatrick, 2022 CSC 33, par. 123-126 (motifs conjoints concordants des j. Côté, Brown et Rowe, avec l’appui du j. en chef Wagner).

[286]  A.I. (PGQ), par. 112.

[287]  Working Families Coalition (Canada) Inc. v. Ontario (Attorney General), 2023 ONCA 139, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême accueillie, 9 novembre 2023, no 40725.

[288]  Working Families Coalition (Canada) Inc. v. Ontario (Attorney General), 2023 ONCA 139, par. 145, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême accueillie, 9 novembre 2023, no 40725.

[289]  Voir aussi : infra, par. [330].

[290]  Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5.

[291]  Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, par. 44.

[292]  Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, par. 42. Voir aussi : Lawrence David, Stare Decisis, The Charter and the Rule of Law in the Supreme Court of Canada, Toronto, LexisNexis, 2020, p. 135-137.

[293]  A.A. (Groupe Lauzon), par. 137 [renvoi omis].

[294]  A.M.C. (CCDP), par. 56 [renvoi omis].

[295]  R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103  Oakes »], p. 135.

[296]  Voir supra, par. [252].

[297] [1985] C.A. 376 [« Alliance des professeurs de Montréal »], infirmant Alliance des professeurs de Montréal c. Procureur général du Québec, [1985] C.S. 1272. Soulignons que dans l’arrêt Ford, les parties contestant la validité des dispositions dérogatoires en litige s’appuyaient principalement sur l’arrêt Alliance des professeurs de Montréal de la Cour d’appel. Pour les motifs que la Cour suprême explique aux pages 736-737 de son arrêt, elle a jugé nécessaire d’étudier la décision de la Cour d’appel pour disposer de l’affaire.

[298]  Alliance des professeurs de Montréal c. Procureur général du Québec, [1985] C.A. 376, p. 380-381.

[299]  Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, p. 740-741.

[300]  2020 CSC 38.

[301]  Ontario (Procureur général) c. G., 2020 CSC 38, par. 137.

[302]  Peter W. Hogg et Wade K. Wright, Constitutional Law of Canada, 5e éd. suppl., vol. 2, Toronto, Thomson Reuters, 2007 (feuilles mobiles, mise à jour no 1, juillet 2023), §39:7, p. 39-13. Voir également : R. c. Hess; R. c. Nguyen, [1990] 2 R.C.S. 906 Hess; Nguyen »], p. 926.

[303]  Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet, Droit constitutionnel, 6e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2014, p. 968, no XII-2.16.

[304]  Jugement de première instance, par. 756.

[305]  Plaidoirie de Me Theodore Goloff (Lord Reading), 7 novembre 2022.

[306]  Crevier c. Procureur général du Québec, [1981] 2 R.C.S. 220 [« Crevier »].

[307]  A.A. (Lord Reading), par. 62.

[308]  A.A. (Lord Reading).

[309]  A.I. (PGQ), par. 131.

[310]  Voir infra, par. [358] et s.

[311]  Jugement de première instance, par. 761. Il semble difficile de penser que la dérogation à l’art. 23 de la Charte québécoise dans la Loi priverait une personne de ses droits juridiques advenant la contestation d’une mesure disciplinaire imposée au terme de l’art. 13 de la Loi, comme le juge le soulève au par. 762 de ses motifs.

[312]  Harvey c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), [1996] 2 R.C.S. 876, par. 31. Voir également : DoucetBoudreau c. NouvelleÉcosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, par. 42; New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l’Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319, p. 390.

[313]  Ontario c. Criminal Lawyers’ Association of Ontario, 2013 CSC 43, par. 41.

[314]  Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 [« Baker »].

[315]  A.A. (FAE), par. 99.

[316]  Pacte international relatif aux droits civils et politiques, R.T. Can. 1976 no 47, adhésion et ratification par le Canada le 19 mai 1976. Les parties réfèrent principalement à son art. 4, lequel énonce :

 Article 4

1. Dans le cas où un danger public exceptionnel menace l'existence de la nation et est proclamé par un acte officiel, les États parties au présent Pacte peuvent prendre, dans la stricte mesure où la situation l'exige, des mesures dérogeant aux obligations prévues dans le présent Pacte, sous réserve que ces mesures ne soient pas incompatibles avec les autres obligations que leur impose le droit international et qu'elles n'entraînent pas une discrimination fondée uniquement sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou l'origine sociale.

2. La disposition précédente n'autorise aucune dérogation aux articles 6, 7, 8 (par. 1 et 2), 11, 15, 16 et 18.

3. Les États parties au présent Pacte qui usent du droit de dérogation doivent, par l'entremise du Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, signaler aussitôt aux autres États parties les dispositions auxquelles ils ont dérogé ainsi que les motifs qui ont provoqué cette dérogation. Une nouvelle communication sera faite par la même entremise, à la date à laquelle ils ont mis fin à ces dérogations.

[317]  Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, R.T. Can 1976 no 46, adhésion et ratification par le Canada le 19 mai 1976. Les parties réfèrent principalement à son art. 5, lequel énonce :

Article 5

1. Aucune disposition du présent Pacte ne peut être interprétée comme impliquant pour un État, un groupement ou un individu un droit quelconque de se livrer à une activité ou d'accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans le présent Pacte ou à des limitations plus amples que celles prévues dans ledit Pacte.

2. Il ne peut être admis aucune restriction ou dérogation aux droits fondamentaux de l'homme reconnus ou en vigueur dans tout pays en vertu de lois, de conventions, de règlements ou de coutumes, sous prétexte que le présent Pacte ne les reconnaît pas ou les reconnaît à un moindre degré.

[318]  A.A. (FAE), par. 141.

[319]  Jugement de première instance, par. 749.

[321]  Québec (Procureure générale) c. 9147-0732 Québec inc., 2020 CSC 32, citant Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313, p. 348.

[322]  Stéphane Beaulac et Frédéric Bérard, Précis d’interprétation législative, 2e éd., Montréal, LexisNexis, 2014, p. 410-411, par. 5, cité avec approbation dans Québec (Procureure générale) c. 9147-0732 Québec inc., 2020 CSC 32, par. 22.

[323]  Voir les notes infrapaginales 316 et 317.

[324]  R. c. Hape, 2007 CSC 26, par. 53-55.

[325]  Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313, p. 349 (motifs dissidents du j. en chef Dickson), repris dans Québec (Procureure générale) c. 9147-0732 Québec inc., 2020 CSC 32, par. 31.

[326]  Québec (Procureure générale) c. 9147-0732 Québec inc., 2020 CSC 32. Voir également : Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Entertainment Software Association, 2022 CSC 30, par. 47-48; Kazemi (Succession) c. République islamique d’Iran, 2014 CSC 62, par. 60 (cité par le juge au par. 748 du jugement de première instance); R. c. Hape, 2007 CSC 26, par. 53. À cet égard, contrairement à ce que plaide Amnistie, il n’est pas nécessaire que la législation interne déroge nommément aux instruments internationaux concernés pour faire échec à la présomption. Il suffit que l’intention du législateur de déroger à ses obligations internationales soit claire.

[327]  Voir notamment à ce sujet : Marie Paré, « La légitimité de la clause dérogatoire de la Charte canadienne des droits et libertés en regard du droit international », (1995) 29:3 R.J.T. 627, p. 634 et s. La disposition de dérogation énoncée à l’art. 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, précité, vise ainsi des droits différents (1) et exige la démonstration d’un danger public exceptionnel menaçant l’existence de la nation intéressée (2), lequel doit en outre être proclamé par un acte officiel de l’État (3). Cette disposition consacre aussi le caractère exceptionnel et temporaire de la mesure (4), qui ne peut être prise que dans la stricte mesure où la situation l’exige (5), qui ne peut être incompatible avec les autres obligations découlant du droit international (6) et qui ne peut entraîner de discrimination fondée uniquement sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou l’origine sociale (7) (voir la note infrapaginale 316). L’art. 18 de cet instrument, concernant la liberté de religion et de conscience, auquel il ne peut être dérogé par une disposition de dérogation (art. 4(2)), se lit par ailleurs ainsi :

Article 18

1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté d'avoir ou d'adopter une religion ou une conviction de son choix, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu'en privé, par le culte et l'accomplissement des rites, les pratiques et l'enseignement.

[…]

3. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l'ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d'autrui.

[…]

[328]  François Chevrette et Herbert Marx, Droit constitutionnel : Principes fondamentaux – Notes et jurisprudence, 2e éd. revue et augmentée par Han-Ru Zhou, Montréal, Thémis, 2021, p. 1173.

[329]  Québec (Procureure générale) c. 9147-0732 Québec inc., 2020 CSC 32, par. 35. Voir aussi : R. c. Bissonnette, 2022 CSC 23 Bissonnette »], par. 103.

[330]  R. c. Comeau, 2018 CSC 15.

[331]  R. c. Comeau, 2018 CSC 15, par. 34.

[332]  A.A. (FAE), par. 60.

[333]  A.A. (FAE), par. 64.

[334]  A.A. (FAE), par. 60. Voir aussi : id., par. 97.

[335]  A.A. (FAE), par. 79.

[336]  A.A. (FAE), par. 97.

[337]  A.A. (FAE), par. 97.

[338]  A.A. (FAE), p. 24.

[339]  A.A. (FAE), par. 87.

[340]  A.A. (FAE), par. 87.

[341]  Extrait de l’arrêt R. c. Henry, 2005 CSC 76, par. 44, cité par la FAE au par. 86 de son argumentation.

[342]  Elle a aussi été utilisée en réponse à l’arrêt Ford dans la Loi modifiant la Charte de la langue française, L.Q. 1988, c. 54.

[343]  Guillaume Rousseau, Cahier de recherche – La disposition dérogatoire des chartes des droits : De la théorie à la pratique, de l’identité au progrès social, Institut de recherche sur le Québec, mars 2016, p. 12. Les résultats de cette étude ont été mis à jour dans Guillaume Rousseau et François Côté, « A Distinctive Quebec Theory and Practice of the Notwithstanding Clause: When Collective Interests Outweigh Individual Rights », (2017) 47:2 R.G.D. 343, puis dans François Côté et Guillaume Rousseau, « From Ford v. Québec to the Act Respecting the Laicity of the State: A Distinctive Quebec Theory and Practice of the Notwithstanding Clause », (2020) 94 S.C.L.R. 463.

[344]  François Côté et Guillaume Rousseau, « From Ford v. Québec to the Act Respecting the Laicity of the State: A Distinctive Quebec Theory and Practice of the Notwithstanding Clause », (2020) 94 S.C.L.R. 463, p. 480. Voir également : Noura Karazivan et Jean-François GaudreaultDesBiens, « Rights Trivialization, Constitutional Legitimacy Deficit, and Derogation Clauses: the Example of Quebec’s Laïcity Act », (2020) 99 S.C.L.R. (2d) 487 : ces auteurs étudient l’hypothèse que la perte de légitimité (« legitimacy deficit ») découlant du rapatriement de la Constitution sans l’accord du Québec aurait mené à un usage plus large de la disposition de dérogation.

[345]  François Côté et Guillaume Rousseau, « From Ford v. Québec to the Act Respecting the Laicity of the State: A Distinctive Quebec Theory and Practice of the Notwithstanding Clause », (2020) 94 S.C.L.R. 463, p. 479, note 71. Voir aussi: Peter W. Hogg et Wade K. Wright, Constitutional Law of Canada, 5e éd. suppl., vol. 2, Toronto, Thomson Reuters, 2007 (feuilles mobiles, mise à jour no 1, juillet 2023), §39:2, p. 39-3 à 39-9.

[346]  A.A. (FAE), p. 10.

[347]  Colombie-Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2005 CSC 49.

[348]  Colombie-Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2005 CSC 49. Les propos des juges majoritaires de la Cour d’appel de l’Ontario dans Working Families Coalition, alors qu’ils discutent de l’art. 33 de la Charte canadienne, sont au même effet et il convient de les reproduire ici de nouveau : « [t]he notwithstanding clause was expressly and clearly invoked. The formal (and only) requirement for its invocation was complied with. The invocation will expire after five years, and the electorate will be able to consider the government’s use of the clause when it votes » [soulignement ajouté] (Working Families Coalition (Canada) Inc. v. Ontario (Attorney General), 2023 ONCA 139, par. 56, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême accueillie, 9 novembre 2023, no 40725).

[349]  Peter W. Hogg et Wade K. Wright, Constitutional Law of Canada, 5e éd. suppl., vol. 2, Toronto, Thomson Reuters, 2007 (feuilles mobiles, mise à jour n° 1, juillet 2023), §39:1, p. 39-2 et 39-3.

[350]  Vu, bien sûr, le par. 33(3) de la Charte canadienne qui impose une limite temporelle à la déclaration que fait le législateur fédéral ou provincial en vertu du par. 33(1).

[351]  Devine c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 790 [« Devine »].

[352]  Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, p. 742.

[353]  Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, p. 788.

[354]  Devine c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 790, p. 812. Voir également : Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, p. 948 et 966 (motifs du j. en chef Dickson et des j. Lamer et Wilson), où l’on se demande si deux articles de la loi ont été « soustraits à l’application de la Charte canadienne des droits et libertés par une disposition dérogatoire valide et en vigueur / protected from the application of the Canadian Charter of Rights and Freedoms by a valid and subsisting override provision »(p. 948, soulignements ajoutés), pour répondre par la négative, vu le non-renouvellement de la disposition à l’échéance du terme prévu par le par. 33(3) de cette charte : « Cela signifie que l'art. 364 a cessé d'avoir effet le 23 juin 1987 et que les art. 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur ne sont plus soustraits à l'application de la Charte canadienne par une disposition dérogatoire valide et en vigueur / This means that s. 364 ceased to have effect on June 23, 1987 and that ss. 248 and 249 of the Consumer Protection Act are no longer protected from the application of the Canadian Charter by a valid and subsisting override provision » (p. 966, soulignements ajoutés).

[355]  [1998] 1 R.C.S. 493 Vriend »].

[356]  Ce passage a été repris notamment dans Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, par. 65 (j. Iacobucci, pour la Cour).

[357]  [1998] 2 R.C.S. 217.

[358]  2002 CSC 84 Gosselin »].

[359]  Infra, par. [365] et s.

[360]  Gosselin c. Québec (Procureur général), 2002 CSC 84, par. 15. On trouve déjà une formulation de ce genre dans Corporation professionnelle des médecins du Québec c. Thibault, [1988] 1 R.C.S. 1033, p. 1047, sous la plume du juge Lamer (tel qu’alors), pour la Cour (« validité de la clause dérogatoire adoptée en vertu de l'art. 33 de la Charte canadienne pour soustraire toute la législation québécoise à l'application des art. 2 et 7 à 15 de la Charte canadienne / [english version] the validity of the exception clause adopted pursuant to s. 33 of the Canadian Charter to remove all Quebec legislation from the application of ss. 2 and 7 to 15 of the Canadian Charter »).

[361]  2020 CSC 38.

[362]  Ontario (Procureur général) c. G, 2020 CSC 38, par. 137 (déjà cité au par. [270] supra; voir aussi par. [271]).

[363]  Toronto (Cité) c. Ontario (Procureur général), 2021 CSC 34, par. 60.

[364]  Toronto (Cité) c. Ontario (Procureur général), 2021 CSC 34, par. 60.

[365]  En ce sens, voir par ex. : Peter W. Hogg et Wade K. Wright, Constitutional Law of Canada, 5e éd. suppl., vol. 2, Toronto, Thomson Reuters, 2007 (feuilles mobiles, mise à jour no 1, juillet 2023), §39:1, p. 39-2 et 39-3; Robert Leckey et Eric Mendelsohn, « The Notwithstanding Clause: Legislatures, Courts, and the Electorate », (2022) 72:2 U. Toronto L.J. 189, notamment aux p. 190-193.

[366]  Voir supra, par. [245] à [255].

[367]  Voir supra, par. [258].

[368]  R. c. Hess; R. c. Nguyen, [1990] 2 R.C.S. 906 (affaire qui concerne les art. 7 et 15 de la Charte canadienne).

[369]  R. c. Hess; R. c. Nguyen, [1990] 2 R.C.S. 906, p. 926.

[370]  [1994] 2 R.C.S. 406 Potash »].

[371]  Comité paritaire de l'industrie de la chemise c. Potash; Comité paritaire de l'industrie de la chemise c. Sélection Milton, [1994] 2 R.C.S. 406, p. 435-436.

 Cet arrêt compte deux séries de motifs majoritaires, la première sous la plume du juge La Forest (appuyé par le j. en chef Lamer et les j. Sopinka, Cory, McLachlin et Iacobucci), la seconde sous celle de la juge L’Heureux-Dubé (appuyée par les j. Sopinka, Gonthier, McLachlin et Major). Quoique le juge La Forest règle l’issue du pourvoi de la même manière que sa collègue, il rédige ses propres motifs, qui ne traitent que du second alinéa du par. 22e) de la loi contestée, la Loi sur les décrets de convention collective (à l’époque : L.R.Q., c. D-2). De son côté, comme on le voit de l’extrait ci-dessus, la juge L’Heureux-Dubé aborde également le quatrième alinéa du par. 22e) de ladite loi.

[372]  Par exemple, dans Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, le juge LeBel (dissident, avec l’appui du juge Fish) rappelle que « [version française] [d]ans le contexte des valeurs de la société démocratique du Canada, les tribunaux se sont vu confier la responsabilité de trancher les conflits entre les autorités publiques et les citoyens, sous réserve de la disposition de dérogation ou d’exemption de l’art. 33 de la Charte / [i]n the context of the values of the democratic society of Canada, courts were assigned the responsibility of final adjudication in the case of conflicts between public authorities and citizens, subject to the derogation or notwithstanding clause in s. 33 of the Charter » (par. 184) [soulignements ajoutés]. Vu le cadre général des propos du juge LeBel, on doit comprendre de cette phrase que, à son avis, les tribunaux n’ont pas cette mission lorsque le législateur a usé de l’art. 33 (c.-à-d. qu’ils n’ont pas à statuer sur la conformité de la loi avec les dispositions de la Charte canadienne auxquelles le législateur a dérogé).

[373]  2018 CSC 32.

[374]  [1998] 1 R.C.S. 877 Thomson Newspapers »].

[375]  Voir par ex. : R. c. Stillman, 2019 CSC 40, par. 111 (motifs majoritaires des j. Moldaver et Brown, avec l’accord du j. en chef Wagner et des j. Abella et Côté).

[376]  Jugement de première instance, par. 798 (reproduit au par. [313] supra).

[377]  Toronto (Cité) c. Ontario (Procureur général), 2021 CSC 34, par. 60 (motifs majoritaires du j. en chef Wagner et du j. Brown).

[378]  Eric M. Adams et Erin. R. J. Bower, « Notwithstanding History: The Rights-Protecting Purposes of Section 33 of the Charter », (2022) 26:2 Rev. Constit. Studies 121, p. 142-143 (cet article procède par ailleurs à une revue très soignée de l’historique politique de l’insertion de l’art. 33 dans la Charte canadienne).

[379]  Robert Leckey et Eric Mendelsohn, « The Notwithstanding Clause: Legislatures, Courts and the Electorate », (2022) 72:2 U. Toronto L.J. 189.

[380]  Alliance des professeurs de Montréal c. Procureur général du Québec, [1985] C.A. 376.

[381]  Il s’agissait dans cette affaire de préciser les conditions régissant l’emploi par le législateur de l’art. 33 de la Charte canadienne. La Cour a imposé des conditions de forme assez sévères, pour être ultérieurement désavouée par la Cour suprême, comme on l’a vu plus haut (supra, par. [268]).

[382]  Québec (Procureure générale) c. Guérin, 2017 CSC 42, par. 70 (motifs concordants quant au résultat des j. Brown et Rowe).

[383]  Voir par ex. : Chaoulli c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 35, par. 183-184 (motifs dissidents conjoints des j. Binnie et LeBel, avec l’accord du j. Fish); Dostie c. Procureur général du Canada, 2022 QCCA 1652 Dostie »], par. 55-58 et 61, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 27 juillet 2023, no 40597.

[384]  Robert Leckey et Eric Mendelsohn, « The Notwithstanding Clause: Legislatures, Courts and the Electorate », (2022) 72:2 U. Toronto L.J. 189, p. 212.

[385]  Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493, par. 137.

[386]  Brian Bird propose une version « thick » de la rule of law, qui rendrait illégitime, hors droit, une loi qui, sur la foi de raisons odieuses, prétendrait user de l’art. 33 de la Charte canadienne pour ignorer entièrement certaines libertés fondamentales; cette loi ne serait plus même une véritable règle de droit (Brian Bird, « The Notwithstanding Clause and the Rule of Law », (2021) 101 S.C.L.R. (2d) 299, p. 301 et 303-304).

[387]  Robert Leckey et Eric Mendelsohn, « The Notwithstanding Clause: Legislatures, Courts and the Electorate », (2022) 72:2 U. Toronto L.J. 189.

[388]  Le terme « inattaquabilité » est emprunté à la Cour suprême, qui l’employait parfois pour désigner ce qui était traditionnellement connu sous le nom de « clause privative » (voir par ex. : West Fraser Mills Ltd. c. ColombieBritannique (Workers Compensation Appeal Tribunal), 2018 CSC 22, par. 27; Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, par. 104; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, par. 16, 17, 20). Il semble avoir été utilisé pour la première fois dans la version française de l’arrêt Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, par. 27 (motifs de la j. en chef McLachlin, pour la Cour), afin de traduire une loi de la Colombie-Britannique contenant l’expression « privative clause ».

[389]  Voir supra, par. [281] à [285].

[390]  DoucetBoudreau c. NouvelleÉcosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, par. 42. Voir aussi : Harvey c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), [1996] 2 R.C.S. 876, par. 31; New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l'Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319, p. 390.

[391]  2010 CSC 3 Khadr »].

[392]  Canada (Premier ministre) c. Khadr, 2010 CSC 3, par. 35.

[393]  2018 CSC 30 [« Ewert »].

[394]  Gosselin c. Québec (Procureur général), 2002 CSC 84.

[395]  Supra, par. [325]. Voir : Gosselin c. Québec (Procureur général), 2002 CSC 84, par. 15.

[396]  Gosselin c. Québec (Procureur général), 2002 CSC 84, par. 304.

[397]  Gosselin c. Québec (Procureur général), 2002 CSC 84, par. 96.

[398]  À ce sujet, voir notamment : Dostie c. Procureur général du Canada, 2022 QCCA 1652, par. 37 et s., demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 27 juillet 2023, no 40597.

[399]  L’art. 49 de la Charte québécoise énonce que :

49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.


En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.

49. Any unlawful interference with any right or freedom recognized by this Charter entitles the victim to obtain the cessation of such interference and compensation for the moral or material prejudice resulting therefrom.

In case of unlawful and intentional interference, the tribunal may, in addition, condemn the person guilty of it to punitive damages.

 

[400]  Là-dessus, voir les par. [265] à [275] supra.

[401]  Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Communauté urbaine de Montréal, 2004 CSC 30.

[402]  Voir également : Canada (Procureur général) c. Hislop, 2007 CSC 10, par. 102 (motifs majoritaires des j. LeBel et Rothstein). Dans le même sens, à propos des décisions de politique générale, voir aussi, par analogie : Nelson (Ville) c. Marchi, 2021 CSC 41, par. 39-49. Dans un contexte bien différent, les juges Karakatsanis et Martin y rappellent notamment que « bien qu’il soit incontestable que les branches législative et exécutive prennent parfois des décisions de politique générale fondamentale qui causent en définitive préjudice à des particuliers (Klar, p. 650), la réponse à de telles décisions doit émaner des électeurs plutôt que des tribunaux […] » (par. 47). Le propos est pertinent à l’espèce même s’il s’agissait dans cette affaire de discuter de l’exercice par les tribunaux de leur pouvoir de surveillance en application du droit privé de la responsabilité.

[403]  Voir : Mackin c. NouveauBrunswick (Ministre des Finances); Rice c. NouveauBrunswick, 2002 CSC 13, par. 78 à 82.

[404]  Dostie c. Procureur général du Canada, 2022 QCCA 1652, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 27 juillet 2023, no 40597.

[405]  L’art. 10 al. 3 C.p.c. énonce que :

10. […]

Ils [les tribunaux] ne sont pas tenus de se prononcer sur des questions théoriques ou dans les cas où le jugement ne pourrait mettre fin à l’incertitude ou à la controverse soulevée, mais ils ne peuvent refuser de juger sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi.

10. […]

The courts are not required to decide theoretical questions or to adjudicate where a judgment would not put an end to the uncertainty or the controversy, but they cannot refuse to adjudicate under the pretext that the law is silent, obscure or insufficient.

 

[406]  DoucetBoudreau c. NouvelleÉcosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62. Dans le même sens, voir aussi : Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.), [1999] 3 R.C.S. 46, par. 43 (motifs majoritaires du j. en chef Lamer).

[407]  Voir : Dostie c. Procureur général du Canada, 2022 QCCA 1652, par. 37 et s., et notamment le par. 40 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 27 juillet 2023, no 40597).

[408]  Daniels c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien),  2016 CSC 12 (sous la plume de la j. Abella, pour la Cour). Dans le même sens, citant Daniels, voir : Université York c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2021 CSC 32, par. 82 (motifs de la j. Abella, pour la Cour); Terre-Neuve-et-Labrador (Procureur général) c. Uashaunnuat (Innus de Uashat et de Mani-Utenam), 2020 CSC 4, par. 42 (motifs majoritaires conjoints des du j. en chef Wagner et des j. Abella et Karakatsanis : « Un jugement déclaratoire est une réparation d’une portée restreinte qui peut être obtenue sans avoir à réclamer de réparation en conséquence. Il n’est toutefois rendu que s’il a une utilité pratique : Manitoba Metis Federation Inc., par. 143; Daniels c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 CSC 12, [2016] 1 R.C.S. 99, par. 11 »); et S.A. c. Metro Vancouver Housing Corp., 2019 CSC 4, par. 60 (motifs majoritaires de la j. Côté). Voir aussi, pour une version plus ancienne de la même règle : Solosky c. R., [1980] 1 R.C.S. 821, p. 833, motifs majoritaires du j. Dickson, tel qu’alors) : « Once one accepts that the dispute is real and that the granting of judgment is discretionary, then the only further issue is whether the declaration is capable of having any practical effect in resolving the issues in the case ».

[409]  Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62.

[411]  Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, p. 358 in fine et 359.

[412]  Voir notamment, A.I. (PGQ), par. 289-303.

[413]  Voir par ex. la pièce PGQ-12, rapport d’expertise de Marthe Fatin-Rouge Stefanini et Patrick Taillon, qui « [d]écri[t] les aménagements au port de signes religieux et à la prestation ainsi qu'à la réception de services à visage découvert qui sont en vigueur dans les États européens » et qui entend « [c]omparer ces normes et leur interprétation à celles prévues dans la Loi sur la laïcité de l'État, puis tirer certains enseignements de l'expérience européenne quant à la façon d'aménager le pluralisme religieux ». (p. 4).

[414]  Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île-du-Prince-Édouard; Renvoi relatif à l’indépendance et à l’impartialité des juges de la Cour provinciale de l’Île-du-Prince-Édouard, [1997] 3 R.C.S. 3, par. 278-279 (motifs majoritaires du j. en chef Lamer).

[415]  R. c. Bissonnette, 2022 CSC 23, par. 121, où, rappelant le fardeau découlant de l’article premier de la Charte canadienne en matière de justification, le j. en chef Wagner, au nom de la formation, écrit que : « [e]n l’espèce, les parties appelantes [poursuivante et PGQ] n’ayant présenté aucun argument sur la justification de la disposition attaquée, elles ne se sont pas acquittées du fardeau qui leur incombait ».

[416]  2023 CSC 3, par. 164 (motifs conjoints dissidents des j. Karakatsanis et Jamal).

[417]  2023 CSC 2, par. 5 et 170 (motifs majoritaires de la j. Martin).

[418]  2018 CSC 58, par. 97 (motifs majoritaires de la j. Martin).

[419]  2003 CSC 74, par. 272 et 303 (motifs dissidents des j. Arbour, d’une part, et Deschamps, d’autre part).

[420]  2001 CSC 24, par. 91 (motifs du j. LeBel, pour la Cour).

[421]  [1990] 1 R.C.S. 342 Mahe »], p. 394 (motifs du j. en chef Dickson, pour la Cour).

[422]  Il est vrai que la question de la contravention à l’art. 2 de la Charte canadienne (liberté d’expression), dans un contexte d’usage de l’art. 33, s’est présentée aux tribunaux dans l’arrêt Ford, mais, dans cette affaire, la loi contestée n’ayant pas été soustraite à la Charte québécoise, le débat complet avait eu lieu en vertu de celle-ci, dont l’art. 3 protège également la liberté d’expression. Ce n’est pas le cas ici, alors que la Loi comporte des dispositions dérogatoires adoptées respectivement en vertu de l’art. 33 de la Charte canadienne et de l’art. 52 de la Charte québécoise.

[423]  Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, p. 358-359. Voir supra, par. [387].

[424]  C’est d’ailleurs ce qui se produira dans le présent dossier en ce qui concerne l’art. 3 de la Charte canadienne (disposition qui n’est pas visée par l’art. 33 de cette charte). Voir infra, par. [679] à [685].

[425]  Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, p. 361 (« an issue of public importance of which a resolution is in the public interest »).

[426]  Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, p. 361.

[427]  Un projet de loi en ce sens a été déposé le 8 février 2024 à l’Assemblée nationale, prévoyant le renouvellement de l’art. 34 de la Loi à compter du 16 juin 2024 : Projet de loi no 52, Loi permettant au Parlement du Québec de préserver le principe de la souveraineté parlementaire à l’égard de la Loi sur la laïcité de l’État, 43e lég. (Qc), 1re sess., 2024.

[428]  Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, p. 362.

[429]  Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, p. 362.

[430]  Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, p. 365 et 367.

[431]  Jugement de première instance, par. 795.

[432]  Répétons ici que la loi demeure toutefois soumise au contrôle judiciaire enclenché par une contestation qui n’est pas rattachée aux dispositions visées par la déclaration dérogatoire, mais se rapporte à d’autres motifs (voir supra, par. [332]).

[433]  Chaoulli c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 35.

[434]  Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, par. 81.

[435]  Qui est le titre court de la loi suivante : An Act to resolve labour disputes involving school board employees represented by the Canadian Union of Public Employees, S.O. 2022, c. 19. L’art. 13 de cette loi énonce que :

13 (1) Pursuant to subsection 33 (1) of the Canadian Charter of Rights and Freedoms, this Act is declared to operate notwithstanding sections 2, 7 and 15 of the Canadian Charter of Rights and Freedoms.

(2) This Act applies despite the Human Rights Code.

(3) For greater certainty, subsections (1) and (2) apply to regulations made under this Act.

[436]  An Act to repeal the Keeping Students in Class Act, 2022, S.O. 2022, c. 20.

[437]  Comme on l’a vu précédemment (voir supra, par. [226] et [227], et note 348), c’est d’ailleurs ce que soulignait récemment la Cour d’appel de l’Ontario dans Working Families Coalition (Canada) Inc. v. Ontario (Attorney General), 2023 ONCA 139, par. 56, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême accueillie, 9 novembre 2023, no 40725.

[438]  Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493, par. 137-139.

[439]  Cette section de l’arrêt est dévolue à l’analyse des art. 28 de la Charte canadienne et 50.1 de la Charte québécoise. Le libellé du premier fait expressément renvoi à l’égalité des sexes, la version anglaise montrant qu’il s’agit d’assurer l’égalité entre « male and female persons ». Le libellé du second renvoie aux « femmes et aux hommes / women and men ». Il n’est pas dit que ces dispositions ne pourraient pas être étendues aux personnes non binaires, par exemple, ou qu’elles ne seraient pas rédigées différemment si on les adoptait aujourd’hui (par exemple, en référant non seulement au sexe, mais aussi au genre ou à l’identité de genre), mais c’est un sujet qui n’a pas été abordé dans le cadre du présent litige, que ce soit en première instance ou en appel, l’affaire ayant été plaidée uniquement en fonction des distinctions femmes-hommes.

[440]  S.C. 1960, ch. 44 :

1 Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de l’homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont existé et continueront à exister pour tout individu au Canada quels que soient sa race, son origine nationale, sa couleur, sa religion ou son sexe :

[…]

b) le droit de l’individu à l’égalité devant la loi et à la protection de la loi;

[…]

1 It is hereby recognized and declared that in Canada there have existed and shall continue to exist without discrimination by reason of race, national origin, colour, religion or sex, the following human rights and fundamental freedoms, namely,

[…]


(b) the right of the individual to equality before the law and the protection of the law;

[…]

 

[441]  La lecture des paragraphes 801 à 807 du jugement, qui amorcent la section consacrée par celui-ci à l’art. 28 de la Charte canadienne, pourrait laisser croire, de prime abord, que le juge de première instance conclut que la Loi affecte principalement les femmes musulmanes en général  la preuve révèle indubitablement que les effets de la Loi 21 se répercuteront de façon négative sur les femmes musulmanes d’abord et avant tout », par. 807), mais il précise sa pensée au par. 876.

[442]  Jugement de première instance, par. 4 (reproduit au par. [57] supra).

[443]  William F. Pentney, « Les principes généraux d’interprétation de la Charte », dans Gérald A. Beaudoin et Edward Ratushny (dir.), Charte canadienne des droits et libertés, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 1989, 29, p. 57.

[444]  Voir par ex. : Cee Strauss, « Section 28’s Potential to Guarantee Substantive Gender Equality in Hak c Procureur général du Québec », (2021) 33:1 C.J.W.L. 84, p. 88; Kerri Anne Froc, The Untapped Power of Section 28 of the Canadian Charter of Rights and Freedoms, thèse de doctorat, Kingston, Queen’s University (Faculty of Law), 2015, p. 326.

[445]  Cee Strauss, « Section 28’s Potential to Guarantee Substantive Gender Equality in Hak c Procureur général du Québec », (2021) 33:1 C.J.W.L. 84, p. 86.

[446]  Driedger lui-même écrivait ceci à propos de l’art. 28 :

Section 28 is a queer provision. It provides that the rights and freedoms referred to in the Charter “are guaranteed equally to male and female persons”. Whatever the word “guarantee” may mean, it is obvious that the provisions of the Charter are directed equally to male and female persons. The expressions “everyone”, “every citizen”, “any person”, “every individual”, and “any member of the public” as a mere matter of language include male and female persons. This section means and accomplishes nothing. No doubt its origin and the euphoria with which its re-insertion in the Charter was greeted are due to the constant distortion and misrepresentation of the Privy Council’s decision in Edwards v. Attorney General of Canada, sometimes known as the “Persons” case.

[Renvoi omis]

(Elmer A. Driedger, «The Canadian Charter of Rights and Freedoms», (1982) 14 Ottawa L. Rev. 366, p. 373).

[448]  Selon l’avis exprimé dans le texte suivant, parmi d’autres : William F. Pentney, « Les principes généraux d’interprétation de la Charte », dans Gérald A. Beaudoin et Edward Ratushny (dir.), Charte canadienne des droits et libertés, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 1989, 29, p. 48.

[449]  On peut lire à ce propos les récits qu’en font les textes suivants : Kerri Anne Froc, The Untapped Power of Section 28 of the Canadian Charter of Rights and Freedoms, thèse de doctorat, Kingston, Queen’s University (Faculty of Law), 2015, chap. 3 (p. 103 et s.); Beverley Baines, « Section 28 of the Canadian Charter of Rights and Freedoms: A Purposive Interpretation », (2005) 17:1 C.J.W.L. 45, p. 47-52; Gwen Brodsky et Shelagh Day, La Charte canadienne et les droits des femmes : Progrès ou recul?, Ottawa, Conseil consultatif canadien sur la situation de la femme, 1989, p. 15-18; Katherine J. de Jong, « Sexual Equality: Interpreting Section 28 » dans Anne F. Bayefsky et Mary Eberts (dir.), Equality rights and the Canadian Charter of Rights and Freedoms, Toronto, Carswell, 1985, 493, p. 499-512.

[450]  Ce qu’il faut souligner, la Charte canadienne n’étant pas un outil fédéral et les travaux des instances parlementaires fédérales ne reflétant pas à eux seuls l’intention du constituant.

[451]  On sait le peu de poids qu’accorde ainsi la Cour suprême aux témoignages entendus par le Comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes et aux procès-verbaux de ses séances de l’époque, tout comme aux discours ministériels qui y ont été tenus : Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.-B.), [1985] 2 R.C.S. 486, p. 507 à 509 (motifs majoritaires du j. Lamer, plus tard j. en chef). Les travaux de la Chambre des Communes ou du Sénat ne sont pas davantage probants, pour des raisons analogues, mais aussi parce que le constituant, comme le rappelle la note 450 ci-dessus, n’est pas que fédéral. Plus généralement, voir aussi : Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, p. 369 (motifs unanimes du j. en chef Dickson).

 Par ailleurs, sans nier qu’on puisse y recourir utilement, la Cour suprême, dans MédiaQMI inc. c. Kamel, 2021 CSC 23, invite les tribunaux à la prudence dans le recours aux débats parlementaires entourant l’adoption d’une loi.

[452]  Les arrêts Procureur général du Canada c. Lavell, [1974] R.C.S. 1349, et Bliss c. Procureur Général du Canada, [1979] 1 R.C.S. 183 (ce dernier prononcé peu de temps avant l’adoption de la Charte canadienne) sont à l’époque souvent donnés en exemple de cette faiblesse. Leur approche de la discrimination n’a d’ailleurs pas survécu à l’entrée en vigueur de la Charte et à la nouvelle jurisprudence de la Cour suprême en la matière.

[453]  R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, p. 344, passage repris dans Québec (Procureure générale) c. 9147-0732 Québec inc., 2020 CSC 32, par. 7.

[454]  Québec (Procureure générale) c. 9147-0732 Québec inc., 2020 CSC 32, par. 4.

[455]  Québec (Procureure générale) c. 9147-0732 Québec inc., 2020 CSC 32.

[456]  Québec (Procureure générale) c. 9147-0732 Québec inc., 2020 CSC 32, par. 13.

[457]  En anglais : « Equality before and under law and equal protection and benefit of law ».

[458]  Katherine J. de Jong, « Sexual Equality: Interpreting Section 28 » dans Anne F. Bayefsky et Mary Eberts (dir.), Equality rights and the Canadian Charter of Rights and Freedoms, Toronto, Carswell, 1985, 493, p. 521.

[459]  Katherine J. de Jong, « Sexual Equality: Interpreting Section 28 » dans Anne F. Bayefsky et Mary Eberts (dir.), Equality rights and the Canadian Charter of Rights and Freedoms, Toronto, Carswell, 1985, 493, p. 528. Dans le même sens, voir également : Peter W. Hogg et Wade K. Wright, Constitutional Law of Canada, 5e éd. suppl., vol. 2, Toronto, Thomson Reuters, 2007 (feuilles mobiles, mise à jour no 1, juillet 2023), §55:43, p. 55-117 in fine et 55-118.

[460]  Les art. 21 et 22 circonscrivent l’application des art. 16 à 20 en protégeant 1° les droits linguistiques existant en vertu d’autres dispositions de la Constitution (pensons ainsi à l’art. 133 de la LC 1867 quant à l’usage du français ou de l’anglais devant les tribunaux du Québec) ou encore 2° les droits existant en vertu d’une loi ou de la coutume en ce qui concerne les langues autres que le français ou l’anglais.

[461]  Un peu à l’image du par. 35(4) de la LC 1982. Le par. 35 (1) confirme les droits existants – ancestraux ou issus de traités – des peuples autochtones, et le par. 35(4) précise ce qui suit :

(4) Indépendamment de toute autre disposition de la présente loi, les droits — ancestraux ou issus de traités — visés au paragraphe (1) sont garantis également aux personnes des deux sexes.

(4) Notwithstanding any other provision of this Act, the aboriginal and treaty rights referred to in subsection (1) are guaranteed equally to male and female persons.

 

[462]  L’art. 25 fait écho à l’art. 35 de la LC 1982, mais, outre les droits ancestraux ou issus de traités, vise également les « autres droits » des peuples autochtones.

[463]  Rice c. Agence du revenu du Québec, 2016 QCCA 666, par. 50 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 22 décembre 2016, n° 37077), renvoyant à : Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, édition sur feuilles mobiles, vol. 1, Toronto, Carswell, 2015, p. 2864.

[464]  Au sujet de l’art. 31 de la Charte canadienne, voir supra, par. [202] à [212].

[465]  Il n’est pas certain que l’art. 26 soit pertinent ici, dans la mesure où il renvoie à des droits et libertés qui ne sont pas garantis par la Charte canadienne, mais qui existent hors celle-ci (encore que ces droits pourraient n’être pas reconnus également aux femmes et aux hommes, ce qui enfreindrait a priori l’art. 15 de la Charte canadienne). Par ailleurs, il y a peu à dire des art. 30 et 31, qui ne sont guère susceptibles de donner prise à une interprétation non paritaire des autres dispositions de la Charte canadienne.

[466]  De ce point de vue, le par. 15(2), en permettant les programmes d’accès à l’égalité destinés, entre autres, aux femmes, cherche à favoriser l’égalité de ces dernières et ne contrevient donc pas à l’art. 28. Cela dit, l’interprétation du par. 15(2) ne pourrait pas elle-même se faire d’une manière qui établirait des distinctions indues entre femmes et hommes, ce qui pourrait enfreindre l’art. 28.

[467]  Supra, par. [430].

[468]  2009 BCCA 153, par. 64, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 5 novembre 2009, n° 33201.

[469]  R. c. Hess; R. c. Nguyen, [1990] 2 R.C.S. 906.

[470]  R. c. Hess; R. c. Nguyen, [1990] 2 R.C.S. 906, p. 932-933.

[471]  Le juge Gonthier souscrit aux motifs dissidents de sa collègue McLachlin.

[472]  R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296 (arrêt sur lequel s’appuyait certaines parties dans Hess; Nguyen, pour soutenir que la disposition litigieuse n’était pas discriminatoire).

[473]  R. c. Hess; R. c. Nguyen, [1990] 2 R.C.S. 906, p. 944.

[474]  R. c. Seaboyer; R. c. Gayme, [1991] 2 R.C.S. 577 Seaboyer »], p. 603-604 (motifs majoritaires de la j. McLachlin, telle qu’alors) et 698-699 (motifs partiellement dissidents de la j. L’Heureux-Dubé).

[475]  R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595, p. 669 (motifs concourants du j. Cory, auxquels souscrit le j. Major).

[476]  [1994] 3 R.C.S. 627.

[477]  Consultation tenue aux fins de discuter des propositions fédérales liées aux négociations  Canada Round ») qui mèneront à l’Accord de Charlottetown (1991).

[478]  Assoc. des femmes autochtones du Canada c. Canada, [1994] 3 R.C.S. 627, p. 664 (voir aussi p. 657).

[479]  [1999] 3 R.C.S. 46.

[480]  2008 CSC 41 (voir le par. 97).

[481]  Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet, Droit constitutionnel, 6e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2014, p. 1006, no XII.3.33. Voir infra, cependant, sur la question des rapports entre les art. 28 et 33 de la Charte canadienne.

[482]  Nous n’avons pas discuté ici de la question de savoir si l’art. 28 de la Charte canadienne s’applique également à l’interprétation et à l’application de l’art. 24, et notamment au par. 1 de celui-ci. L’art. 24, qui s’inscrit dans la Charte canadienne sous la rubrique « Recours / Enforcement » ne paraît pas a priori compter au nombre des droits et libertés que mentionne le texte de l’art. 28 (pas plus du reste qu’il ne serait visé par les art. 25 ou 27). D’un autre côté, dans une perspective interprétative plus généreuse peutêtre, on pourrait penser que, en permettant aux justiciables de s’adresser aux tribunaux pour obtenir la réparation judiciaire de la violation de leurs droits (c.-à-d. ceux des art. 2 à 23), l’art. 24 leur confère lui-même un droit. Ce droit à la réparation prévu par l’art. 24 devrait respecter le principe de l’art. 28. Cela dit, on ne conçoit guère qu’un tribunal, même si l’art. 28 ne s’appliquait pas, ordonne en vertu du par. 24(1) une réparation qui serait contraire au principe d’égalité femmes-hommes (étant entendu que l’on parle ici d’égalité réelle et que certains remèdes peuvent ne viser que les femmes, par exemple, afin de rétablir l’égalité dont elles auraient été privées), et encore moins qu’il refuse une demande fondée sur le par. 24(2) au motif que le justiciable serait homme ou femme.

[483]  Trésor de la langue française informatisé, « complément » (A), en ligne : TLFi (atilf.fr).

[484]  Voir par ex. : Lavoie c. Canada, 2002 CSC 23 (traitement préférentiel accordé aux personnes ayant la citoyenneté canadienne aux fins de l’emploi dans la fonction publique fédérale); Weatherall c. Canada (Procureur général), [1993] 2 R.C.S. 872 (traitement des détenus masculins ou féminins); McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229 (retraite obligatoire à 65 ans).

[485]  2018 CSC 18.

[486]  2013 CSC 5.

[487]  2004 CSC 66.

[488]  R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697 Keegstra »], p. 757 (motifs majoritaires du j. en chef Dickson).

[489]  R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697, p. 757.

[490]  Que Keegstra mentionne d’ailleurs au passage, à d’autres fins : R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697, p. 757 in fine.

[491]  L’idée que l’art. 28 doit être considéré dans le cadre de l’analyse prescrite par l’art. 1 de la Charte canadienne est retenue par le juge Anderson, en obiter, dans l’affaire R. v. Red Hot Video Ltd. (1985), 18 C.C.C. (3d) 1 (C.A. B.C.), à la p. 23 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 31 juillet 1985, no 19396). Le j. en chef Nemetz, aux motifs duquel souscrit le j. Hinkson, n’examine pas l’art. 28.

[492]  Expression empruntée à R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697, p. 757.

[494]  Voir supra, par. [420], [421] et [423].

[495]  Ce paragraphe a déjà été reproduit au par. [428] supra. Il l’est de nouveau, par commodité.

[496]  Jugement de première instance, par. 859.

[497]  [1981] 1 R.C.S. 753.

[498]  Voir supra, par. [228].

[499]  Chambre des communes, Débats de la Chambre des communes, 32e lég., 1re sess., vol. 12, 20 novembre 1981, p. 13 049 et 13 050 (J. Clark).

[500] Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet, Droit constitutionnel, 6e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2014, p. 1006, no XII-3.33.

[502]  Peter W. Hogg et Wade K. Wright, Constitutional Law of Canada, 5e éd. suppl., vol. 2, Toronto, Thomson Reuters, 2007 (feuilles mobiles, mise à jour no 1, juillet 2023), §55:43, p. 55-118, note infrap. 5.

[503]  Kerri Anne Froc, The Untapped Power of Section 28 of the Canadian Charter of Rights and Freedoms, thèse de doctorat, Kingston, Queen’s University (Faculty of Law), 2015, chap. 1 et 3, ainsi que p. 380381.

[504]  Katherine J. de Jong, « Sexual Equality: Interpreting Section 28 » dans Anne F. Bayefsky et Mary Eberts (dir.), Equality rights and the Canadian Charter of Rights and Freedoms, Toronto, Carswell, 1985, 493 p. 525 (voir généralement les p. 525-526).

[505]  Katherine J. de Jong, « Sexual Equality: Interpreting Section 28 » dans Anne F. Bayefsky et Mary Eberts (dir.), Equality rights and the Canadian Charter of Rights and Freedoms, Toronto, Carswell, 1985, 493, p. 527.

[506]  Katherine J. de Jong, « Sexual Equality: Interpreting Section 28 » dans Anne F. Bayefsky et Mary Eberts (dir.), Equality rights and the Canadian Charter of Rights and Freedoms, Toronto, Carswell, 1985, 493, p. 525.

[507]  Katherine J. de Jong, « Sexual Equality: Interpreting Section 28 » dans Anne F. Bayefsky et Mary Eberts (dir.), Equality rights and the Canadian Charter of Rights and Freedoms, Toronto, Carswell, 1985, 493, p. 525-526.

[508]  (1984), 16 D.L.R. (4th) 610 (C.A. N.S.) [« Boudreau »].

[509]  [2004] R.J.Q. 524 (C.S.) Syndicat de la fonction publique du Québec »].

[510]  Re Boudreau and Lynch, (1984), 16 D.L.R. (4th) 610, p. 615.

[511]  Syndicat de la fonction publique du Québec inc. c. Procureur général du Québec, [2004] R.J.Q. 524 (C.S.).

[512]  L.Q. 1996, c. 43, devenue RLRQ, c. E-12.001.

[513]  Syndicat de la fonction publique du Québec inc. c. Procureur général du Québec, [2004] R.J.Q. 524 (C.S.), par. 1381 et 1397.

[514]  Syndicat de la fonction publique du Québec inc. c. Procureur général du Québec, [2004] R.J.Q. 524 (C.S.), par. 1532.

[515]  Cee Strauss, « Section 28’s Potential to Guarantee Substantive Gender Equality in Hak c Procureur général du Québec », (2021) 33:1 C.J.W.L. 84, p. 106.

[516]  Cee Strauss, « Section 28’s Potential to Guarantee Substantive Gender Equality in Hak c Procureur général du Québec », (2021) 33:1 C.J.W.L. 84, p. 106 et 107.

[517]  William F. Pentney, « Les principes généraux d’interprétation de la Charte », dans Gérald A. Beaudoin et Edward Ratushny (dir.), Charte canadienne des droits et libertés, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 1989, 29, p. 58-59.

[518]  Voir les arrêts que mentionne le par. [469] supra : Centrale des syndicats du Québec c. Québec (Procureure générale), 2018 CSC 18; Québec (Procureur général) c. A, 2013 CSC 5; Terre-Neuve (Conseil du Trésor) c. N.A.P.E., 2004 CSC 66.

[519]  Voir supra, par. [417].

[520]  L’art. 50.1 a été ajouté à la Charte québécoise par la Loi modifiant la Charte des droits et libertés de la personne, L.Q. 2008, c. 15, art. 2. Parallèlement, le préambule de la Charte québécoise est modifié pour y ajouter l’attendu suivant : « Considérant que le respect de la dignité de l’être humain, l’égalité entre les femmes et les hommes et la reconnaissance des droits et libertés dont ils sont titulaires constituent le fondement de la justice, de la liberté et de la paix; / Whereas respect for the dignity of human beings, equality of women and men, and recognition of their rights and freedoms constitute the foundation of justice, liberty and peace; » (id., art. 1).

[521]  L’équité salariale entre femmes et hommes est par ailleurs un droit protégé par l’art. 19 de la Charte québécoise.

[522]  RLRQ, c. E-12.001.

[523]  À moins, peut-être, qu’on veuille soutenir que l’art. 49.1 est discriminatoire en ce qu’il réserve un traitement différent aux personnes qui sont l’objet d’iniquité salariale au sens de l’art. 19 de la Charte québécoise, affirmation qui semble douteuse.

[524]  L’art. 59 de la LC 1982 prévoit que l’al. 23(1)a) de la Charte canadienne entre en vigueur à la date fixée par proclamation de la Reine ou du gouverneur général sous le grand sceau du Canada, après autorisation de l’assemblée législative ou du gouvernement du Québec. Or, aucune telle proclamation n’a été prise en vertu de cet article. L’al. 23(1)a) n’est donc jamais entré en vigueur au Québec.

[525]  Supra, par. [1].

[526]  Jugement de première instance, par. 960.

[527]  Supra, par. [518].

[528]  R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, p. 138-140.

[529]  [1985] 1 R.C.S. 721.

[530]  Il s’agit de l’arrêt Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, abordé plus loin.

[531]  [1989] 1 R.C.S. 377.

[532]  Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16.

[533]  Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342.

[534]  Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, 2020 CSC 13 CSFCB »], par. 4; Nguyen c. Québec (Éducation, Loisir et Sport), 2009 CSC 47 [« Nguyen »], par. 26; Michel Doucet, Michel Bastarache et Martin Rioux, « Les droits linguistiques : fondements et interprétation », dans Michel Bastarache et Michel Doucet (dir.), Les droits linguistiques au Canada, 3e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2013, 1, p. 74.

[536]  Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 14 Solski »], par. 5, où la Cour écrivait : « […] le contexte social, démographique et historique de notre pays constitue nécessairement la toile de fond de l’analyse des droits linguistiques. Celle-ci ne saurait s’effectuer dans l’abstrait, sans égard au contexte qui a conduit à la reconnaissance de ces droits ou aux préoccupations auxquelles leurs modalités d’application actuelles sont censées répondre ».

[537]  Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, par. 23-24.

[538]  Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 14, par. 20.

[539]  Caron c. Alberta, 2015 CSC 56, par. 36-37. Voir aussi : Québec (Procureure générale) c. 9147-0732 Québec inc., 2020 CSC 32, par. 8 et 139.

[540]  Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, 2020 CSC 13, par. 15. Voir aussi : Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest c. Territoires du Nord-Ouest (Éducation, Culture et Formation), 2023 CSC 31, par. 79.

[541]  Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, 2020 CSC 13, par. 157. Voir aussi : Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 14, par. 7.

[542]  Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, p. 362.

[543]  Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, 2020 CSC 13, par. 15.

[544]  Michel Bastarache, « Le rôle des tribunaux dans la mise en œuvre des droits linguistiques au Canada », (2010) 40:1 R.G.D. 221, p. 221. Il faudrait cependant compléter et nuancer cette observation en tenant compte du fait qu’en Ontario, par exemple, les anglo-catholiques irlandais au sein des effectifs scolaires ont longuement bénéficié de l’art. 93. Voir aussi : Jean-François GaudreaultDesBiens et Danielle Pinard, « Les minorités en droit public canadien », (200304) 34 R.D.U.S. 197, p. 211-212.

[545]  Mackell v. Ottawa Separate School Trustees (1915), 24 D.L.R. 475, voir notamment p. 489-492 (motifs du j. Garrow) (C.A. Ont.), conf. par Trustees of the Roman Catholic Separate Schools for the City of Ottawa v. Mackell (1916), [1917] A.C 62, p. 70-72 (C.P.).

[546]  L’auteur Nicolas M. Rouleau décrit cette évolution dans « Section 23 of the Charter: Minority-Language Education Rights », (2008) 39 S.C.L.R. (2d) 261, p. 268-270.

[547]  Vanessa Gruben, « Language Rights in Canada: A Theoretical Approach », (2008) 39 S.C.L.R. (2d) 91, p. 112.

[548]  Ainsi, dans l’arrêt Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c. Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25 CSFY »], la juge Abella, qui signe les motifs unanimes de la Cour, décrit aux par. 70 à 73 une évolution qui pourrait être de nature à stabiliser, sinon à inverser, la situation qui existait avant l’entrée en vigueur de l’art. 23.

[549]  Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, par. 74.

[550]  Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 14. En ce sens, le juge en chef Wagner mentionne que l’un des objets de l’art. 23 était de « modifier le statu quo » : Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, 2020 CSC 13, par. 3.

[551]  Gosselin (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 15, par. 28.

[552]  Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, p. 350.

[553]  Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 14, par. 2.

[554]  Association des parents de l’école Rose-des-vents c. Colombie-Britannique (Éducation), 2015 CSC 21 Rose-des-vents »], par. 25; Procureur général du Québec c. Quebec Association of Protestant School Boards, [1984] 2 R.C.S. 66 Quebec Association of Protestant School Boards »], p. 79. Voir aussi : Procureur général du Québec c. Quebec English School Board Association, 2020 QCCA 1171, par. 18.

[555]  Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest c. Territoires du Nord-Ouest (Éducation, Culture et Formation), 2023 CSC 31, par. 3; Nguyen c. Québec (Éducation, Loisir et Sport), 2009 CSC 47, par. 23; Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 14, par. 23; DoucetBoudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, par. 28.

[556]  Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest c. Territoires du Nord-Ouest (Éducation, Culture et Formation), 2023 CSC 31, par. 2.

[557]  Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 14.

[558]  Marc C. Power, « Les droits linguistiques en matière d’éducation », dans Michel Bastarache et Michel Doucet (dir.), Les droits linguistiques au Canada, 3e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2013, 657, p. 675676.

[559]  Supra, par. [515].

[560]  Pour la raison déjà évoquée, supra, note 524, la description qui suit ne tient pas compte de l’al. 23(1)a).

[561]  Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, p. 366.

[562]  Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, 2020 CSC 13, par. 24.

[563]  Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, 2020 CSC 13, par. 24; Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, p. 370. Voir aussi: Association des parents de l’école Rose-des-vents c. Colombie-Britannique (Éducation), 2015 CSC 21, par. 29.

[564]  Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, 2020 CSC 13.

[565]  Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, 2020 CSC 13, par. 26 et 104 et s.; Association des parents de l’école Rose-des-vents c. Colombie-Britannique (Éducation), 2015 CSC 21, par. 3 et 35; Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard, 2000 CSC 1  Arsenault-Cameron »], par. 31; Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, p. 378.

[566]  Association des parents de l’école Rose-des-vents c. Colombie-Britannique (Éducation), 2015 CSC 21, par. 35.

[567]  Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, 2020 CSC 13, par. 26.

[568]  Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, 2020 CSC 13.

[569]  Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, p. 372.

[570]  Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, p. 371-373.

[571]  Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, p. 372.

[572]  Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, p. 372.

[573]  Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, p. 372.

[574]  Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, p. 375.

[575]  Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, p. 377.

[576]  Les appelants souhaitaient que 100% de l’instruction reçue par leurs enfants soit en langue française, tandis que ce règlement exigeait qu’environ 20% de l’enseignement soit en langue anglaise : Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, p. 393.

[577]  C’est ainsi que, dans un texte de doctrine postérieur à la décision, un auteur, qui était aussi l’avocat mandaté pour plaider au nom du procureur général de la Saskatchewan devant la Cour suprême dans l’affaire Mahe, a pu écrire : « […] Mahe must also be seen as a remarkable example of judicial activism. It clearly illustrates the willingness of the Supreme Court to tailor its legal reasoning in order to advance constitutional policy objectives » : Robert G. Richards, « Mahe v. Alberta: Management and Control of Minority Language Education », (1991) 36:1 R. D. McGill 216, p. 217.

[578]  Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, p. 380.

[579]  Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, p. 380.

[580]  Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 14, par. 10. L’al. 23(1)a) ne s’appliquant pas au Québec, ce facteur distingue le législateur québécois des autres législatures provinciales.

[581]  Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, p. 380.

[582]  Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard, 2000 CSC 1, par. 38.

[583]  Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, p. 350.

[584]  Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 14, par. 9.

[585]  Procureur général du Québec c. Quebec Association of Protestant School Boards, [1984] 2 R.C.S. 66, p. 79-80.

[586]  Procureur général du Québec c. Quebec Association of Protestant School Boards, [1984] 2 R.C.S. 66, p. 79.

[587]  Voir : Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest c. Territoires du Nord-Ouest (Éducation, Culture et Formation), 2023 CSC 31, par. 1 et 79; Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, 2020 CSC 13, par. 15.

[588]  L’extrait que reproduit le juge est tiré de l’arrêt Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, p. 372.

[589]  Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342.

[590]  Supra, par. [555].

[591]  Cela semble désormais être une expression consacrée, comme on l’a déjà mentionné. On trouve aussi dans l’arrêt Mahe de la Cour suprême les expressions « exigence variable » et « critère variable ».

[592]  Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, p. 386-387.

[593]  Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, p. 351-352.

[594]  En particulier dans un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario, Reference Re Education Act of Ontario and Minority Language Education Rights (1984), 10 D.L.R. (4th) 491.

[595]  Le juge en chef Dickson y consacre les p. 369-380 de l’arrêt Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342.

[596]  Par exemple, Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62 ou Gosselin (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 15.

[597]  [1993] 1 R.C.S. 839 [« Renvoi sur les écoles publiques du Manitoba »].

[598]  Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), art. 79(3), (4) et (7), [1993] 1 R.C.S. 839, p. 849.

[599]  Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), art. 79(3), (4) et (7), [1993] 1 R.C.S. 839, p. 855.

[600]  Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), art. 79(3), (4) et (7), [1993] 1 R.C.S. 839, p. 857858.

[601]  Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), art. 79(3), (4) et (7), [1993] 1 R.C.S. 839, p. 862.

[602]  Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, p. 393.

[603]  Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard, 2000 CSC 1.

[604]  Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard, 2000 CSC 1, par. 6.

[605]  Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard, 2000 CSC 1, en particulier aux par. 49-51.

[606]  Au par. 26 de ce jugement, rendu dans le dossier Arsenault-Cameron v. Prince Edward Island (1998), 160 D.L.R. (4th) 89 (C.A. P.E.I.), on peut lire : « For the students from [la localité S] area registered at L'École Évangéline [de la localité A] in grades one to six for the 1995 school year the average time between their departure from home and arrival at school was 57 minutes. »

[607]  Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard, 2000 CSC 1, par. 50.

[608]  Voir : Association des parents de l’école Rose-des-vents c. Colombie-Britannique (Éducation), 2015 CSC 21, par. 3.

[609]  Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 14.

[610]  En 2022, les mots « à la présente section » (« this division ») ont remplacé les mots « au présent chapitre » (« this chapter »).

[611]  Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 14.

[612]  Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 14, par. 39-45.

[613]  Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, 2020 CSC 13, par. 157.

[614]  Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 14.

[615]  Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 14.

[616]  Nguyen c. Québec (Éducation, Loisir et Sport), 2009 CSC 47.

[617]  L.Q. 2010, c. 23.

[618]  Association des parents de l’école Rose-des-vents c. Colombie-Britannique (Éducation), 2015 CSC 21. Dans les jugements rendus par les tribunaux de Colombie-Britannique, l’école est identifiée par le nom Rose-des-Vents.

[619]  C’est d’ailleurs ce qui explique la remarque de la juge Karakatsanis dès les premières lignes des motifs qu’elle rédige au nom de la Cour : elle parle d’une « nouvelle génération de questions liées aux droits à l’instruction dans la langue de la minorité » : Association des parents de l’école Rose-des-vents c. Colombie-Britannique (Éducation), 2015 CSC 21, par. 1.

[620]  Association des parents de l’école Rose-des-vents c. Colombie-Britannique (Éducation), 2015 CSC 21, par. 39.

[621]  Supra, par. [562].

[622]  Voir : Association des parents de l’école Rose-des-vents c. Colombie-Britannique (Éducation), 2015 CSC 21, par. 5 à 13.

[623]  L’Association des parents de l’école Rose-des-Vents v. Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique, 2012 BCSC 1614, par. 134-135.

[624]  D’aucuns pourraient être tentés d’évoquer ici l’arrêt Brown v. Board of Education of Topeka (1954), 347 U.S. 483. L’analogie serait bien imparfaite. Ce sont les membres de la minorité linguistique, ici, qui tiennent à leurs écoles homogènes, autonomes et distinctes de celles de la majorité. Rien ne leur est imposé par la majorité, sauf peut-être une certaine pénurie de moyens dans la réalisation de leurs objectifs, sans nécessairement que ce soit de propos délibéré.

[625]  L’arrêt de la Cour suprême du Canada dans ce dossier date du 24 avril 2015. Le 26 septembre 2016, la Cour suprême de la Colombie-Britannique rendait un jugement dans lequel elle dressait le constat suivant : « The school facility presently housing École Élémentaire Rose-des-Vents does not allow the CSF to offer a global educational experience that is equivalent to that in comparator elementary schools. » : Conseil-scolaire francophone de la Colombie-Britannique v. British Columbia (Education), 2016 BCSC 1764, par. 6834 j).

[626]  La juge Karakatsanis prend toutefois soin de préciser qu’on ne pourrait affirmer que « le jugement déclaratoire rendu par le juge constitue une conclusion complète selon laquelle il y a violation de la Charte ». Il en est ainsi parce que, dans la suite de l’instance, l’hypothèse d’une justification en vertu de l’art. 1 de la Charte canadienne demeurait à explorer : Association des parents de l’école Rosedesvents c. Colombie-Britannique (Éducation), 2015 CSC 21, par. 61.

[627]  Voir : Association des parents de l’école Rose-des-vents c. Colombie-Britannique (Éducation), 2015 CSC 21, par. 14, un facteur que mentionnait le juge de première instance dans ses motifs : L’Association des parents de l’école Rose-des-Vents v. Conseil scolaire francophone de la ColombieBritannique, 2011 BCSC 89, par. 68, et L’Association des parents de l’école Rose-des-Vents v. Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique, 2012 BCSC 1614, par. 7.

[628]  Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c. Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25.

[629]  Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c. Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25.

[630]  Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, 2013 CSC 42, par. 56.

[631]  Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c. Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25, par. 68.

[632]  Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c. Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25.

[633]  Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), art. 79(3), (4) et (7), [1993] 1 R.C.S. 839, p. 851. Voir aussi : Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest c. Territoires du NordOuest (Éducation, Culture et Formation), 2023 CSC 31, par. 85.

[634]  Nguyen c. Québec (Éducation, Loisir et Sport), 2009 CSC 47, voir notamment le par. 7.

[635]  Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest c. Territoires du Nord-Ouest (Éducation, Culture et Formation), 2023 CSC 31.

[636]  Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest c. Territoires du Nord-Ouest (Éducation, Culture et Formation), 2023 CSC 31, par. 63 et 84.

[637]  Aussi la Cour mentionne-t-elle entre autres jugements pertinents les arrêts Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 et Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12.

[638]  Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest c. Territoires du Nord-Ouest (Éducation, Culture et Formation), 2023 CSC 31, par. 103.

[639]  Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 14.

[640]  Nguyen c. Québec (Éducation, Loisir et Sport), 2009 CSC 47.

[641]  Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, 2020 CSC 13.

[642]  Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, 2020 CSC 13, par. 3.

[643]  Par opposition aux écoles « hétérogènes », parmi lesquelles se rangent celles qui rassemblent sous un même toit des classes anglaises et françaises.

[644]  Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, 2020 CSC 13, par. 182 à 187.

[645]  Conseil-scolaire francophone de la Colombie-Britannique v. British Columbia (Education), 2016 BCSC 1764, par. 6834 à 6837, à l’issue d’un procès de 238 jours entre décembre 2013 et février 2016.

[646]  Conseil-scolaire francophone de la Colombie-Britannique v. British Columbia (Education), 2016 BCSC 1764, par. 6834 b), e), g) et i). Les par. 6834 b), e) et g) correspondent respectivement dans l’arrêt CSFCB aux par. 183 k), j) et i).

[647]  Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, 2020 CSC 13, par. 183 a), b), c), d), l), m), n), o) et p).

[648]  Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, 2020 CSC 13. Voir aussi : id., par. 183 f), g), et h).

[649]  2012 CSC 7.

[650]  2015 CSC 12.

[651]  Comme nous l’avons vu, l’art. 7 de la Loi restreint l’application de l’art. 8 à « un membre du personnel d’un organisme énuméré à l’annexe I ainsi qu’une personne mentionnée à l’annexe III qui est assimilée à un tel membre / a member of the personnel of a body listed in Schedule I or a person listed in Schedule III who is considered to be such a member ».

[652]  Rappelons qu’en vertu de l’art. 9 de la Loi, cette obligation ne s’applique pas « à une personne dont le visage est couvert en raison d’un motif de santé, d’un handicap ou des exigences propres à ses fonctions ou à l’exécution de certaines tâches / to persons whose face is covered for health reasons or because of a handicap or of requirements tied to their functions or to the performance of certain tasks ». Cette exception n’étant pas pertinente à l’analyse de ce moyen d’appel, il n’y a pas lieu de s’y attarder.

[653]  Jugement de première instance, par. 886.

[654]  Jugement de première instance, par. 888.

[655]  Jugement de première instance, par. 908.

[656]  Jugement de première instance, par. 921 et 1129-1131.

[657]  Jugement de première instance, par. 891.

[658]  A. Intervenant (Président), par. 8.

[659]  A.A. (PGQ), par. 52.

[660]  A. Intervenant (Président), par. 8.

[661]  Canada (Chambre des communes) c. Vaid, 2005 CSC 30 [« Vaid »].

[662]  Canada (Chambre des communes) c. Vaid, 2005 CSC 30, par. 29. Voir également : Chagnon c. Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec, 2018 CSC 39 [« Chagnon »].

[663]  Canada (Chambre des communes) c. Vaid, 2005 CSC 30.

[664]  New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l’Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319, p. 375-378 et 384 (motifs majoritaires de la j. McLachlin, telle qu’alors). Au-delà des privilèges inhérents enchâssés dans la Constitution, le pouvoir du Parlement fédéral de légiférer en matière de privilèges parlementaires repose sur l’effet combiné de l’article 18 de la LC 1867 (tel que modifié en 1875 par la Loi de 1875 sur le Parlement du Canada) et de l’art. 4 de la Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. 1985, ch. P-1 : Canada (Chambre des communes) c. Vaid, 2005 CSC 30, par. 33 et 35-36. Le pouvoir des législatures provinciales de définir leurs privilèges n’est cependant pas aussi clair. Plusieurs semblent reconnaître que ce pouvoir, qui découlait à l’origine du par. 92(1) de la LC 1867, reposerait depuis l’abrogation de ce dernier paragraphe sur l’art. 45 de la LC 1982 : Chagnon c. Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec, 2018 CSC 39, par. 60-62 (motifs concourants du j. Rowe); Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet, Droit constitutionnel, 6e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2014, p. 325-326, no V-1.219; Warren J. Newman, « Parliamentary Privilege, the Canadian Constitution and the Courts », (2008) 39:3 Ottawa L. Rev. 573, p. 580-581.

[665]  Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet, Droit constitutionnel, 6e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2014, p. 326, no V-1.219, citant : Canada (Chambre des communes) c. Vaid, 2005 CSC 30, par. 41.

[666]  Chagnon c. Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec, 2018 CSC 39.

[667]  Chagnon c. Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec, 2018 CSC 39, par. 32; Canada (Chambre des communes) c. Vaid, 2005 CSC 30, par. 29(5) et (8). Précisons par ailleurs, qu’au niveau fédéral, il n’est pas nécessaire d’apprécier la nécessité lorsque l’existence ainsi que l’étendue d’un privilège du Parlement de Westminster ou de notre propre Parlement sont établies péremptoirement (par un précédent anglais ou canadien) : Canada (Chambre des communes) c. Vaid, 2005 CSC 30, par. 37 et 39-40; Canada (Bureau de régie interne) c. Boulerice, 2019 CAF 33, par. 54, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 18 juillet 2019, no 38586. Cependant, « compte tenu de sa raison d’être, il faut établir si le privilège demeure nécessaire dans le contexte contemporain. Même si un certain domaine a historiquement été considéré comme étant assujetti au privilège parlementaire, il continuera de l’être seulement s’il demeure, encore aujourd’hui, nécessaire au fonctionnement indépendant de nos organes législatifs » : Chagnon c. Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec, 2018 CSC 39, par. 31.

[668]  Canada (Chambre des communes) c. Vaid, 2005 CSC 30, par. 29(4) : « La notion de nécessité est […] liée à l’autonomie dont doivent bénéficier les assemblées législatives et leurs membres pour effectuer leur travail ». Voir aussi : Chagnon c. Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec, 2018 CSC 39, par. 29-30.

[669]  Canada (Chambre des communes) c. Vaid, 2005 CSC 30.

[670]  Chagnon c. Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec, 2018 CSC 39, par. 24.

[671]  Harvey c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), [1996] 2 R.C.S. 876.

[672]  Chagnon c. Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec, 2018 CSC 39.

[673]  Harvey c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), [1996] 2 R.C.S. 876 par. 56 (motifs de la j. McLachlin, plus tard j. en chef).

[674]  Plan d’argumentation modifié du PGQ, 8 décembre 2020.

[675]  Défense du PGQ, 31 juillet 2020, no 500-17-108353-197, par. 209-213.

[676]  Plan d’argumentation modifié du PGQ, 8 décembre 2020, par. 437.1 et 437.6.

[677]  Plan d’argumentation modifié du PGQ, 8 décembre 2020.

[678]  Plan d’argumentation modifié du PGQ, 8 décembre 2020, par. 437.6.

[679]  Représentations de Me Cantin, 9 décembre 2020, p. 24-26 et 29-30.

[680]  A.A. (PGQ), par. 52.

[681]  A.A. (PGQ), par. 52.

[682]  A.A. (PGQ), par. 64. Ajoutons que, dans son argumentaire devant la Cour, le PGQ ne discute aucunement de privilège parlementaire (existence et étendue), autrement que pour reprocher au juge de s’être prononcé sur cette question.

[683]  Au moment de l’audition de sa demande d’intervention en appel, le Président a indiqué être en mesure de faire ses observations à la lumière du dossier tel que constitué, sans présenter de preuve nouvelle devant la Cour.

[684]  Art. 6. L’article 8 al. 1 prévoit de même l’obligation « [d’]exercer ses fonctions à visage découvert / [to] exercise their functions with their face uncovered ».

[685]  Cette période peut varier selon les périodes électorales.

[686]  A. Intervenant (Président), par. 61 [renvoi omis].

[687]  C’est à l’audience devant la Cour que le Président ajoute la référence à l’art. 6 de la Loi à la conclusion recherchée.

[688]  Plan de plaidoirie du Président, 8 novembre 2022, p. 2.

[689]  Harvey c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), [1996] 2 R.C.S. 876.

[690]  Supra, par. [635].

[691]  Jugement de première instance, par. 915.

[692]  A.A. (PGQ), par. 47.

[693]  Notons par ailleurs que le PGQ ne plaide pas ici la doctrine du caractère théorique développée dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342.

[694]  Mackay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, p. 361-362. Voir également : R. c. Downes, 2023 CSC 6, par. 58; Danson c. Ontario (Procureur général), [1990] 2 R.C.S. 1086, p. 1099-1100.

[695]  R. c. Mills, [1999] 3 R.C.S. 668.

[696]  Pièce EMSB-28-16, Rapport de l’experte Solange Lefebvre, par. 28, p. 10-11.

[697]  Déclaration sous serment de Fatima Ahmad, 13 juin 2019. Elle réfère alors à ses activités d’enseignement.

[698]  A.A. (PGQ), par. 46.

[699]  Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), 2002 CSC 68 Sauvé »], par. 11 (motifs de la j. en chef McLachlin, écrivant pour la majorité).

[700]  Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), 2002 CSC 68, par. 1.

[701]  A.A. (PGQ), par. 61.

[702]  Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet, Droit constitutionnel, 6e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2014, p. 289, no V-1.87.

[703]  Voir notamment : Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, par. 147; DoucetBoudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, par. 23; R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, p. 344; Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, p. 156.

[704]  Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), 2002 CSC 68.

[705]  Frank c. Canada (Procureur général), 2019 CSC 1 Frank »], par. 26.

[706]  Figueroa c. Canada (Procureur général), 2003 CSC 37.

[707]  Frank c. Canada (Procureur général), 2019 CSC 1.

[708]  Frank c. Canada (Procureur général), 2019 CSC 1. Voir également : Working Families Coalition (Canada) Inc. v. Ontario (Attorney General), 2023 ONCA 139, par. 59, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême accueillie, 9 novembre 2023, no 40725.

[709]  Harvey c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), [1996] 2 R.C.S. 876.

[710]  Al. 119c) de la Loi électorale, L.R.N.-B. 1973, c. E-3 :

119. Quiconque est déclaré coupable d’une infraction constituant une manœuvre frauduleuse ou un acte illicite est, pendant les cinq années qui suivent la date de sa déclaration de culpabilité, en plus de toute autre peine imposée par la présente loi ou par toute autre loi, privé du droit et incapable

[…]

c) d’être élu ou de siéger à l’Assemblée législative et, s’il est déjà élu à cette date à l’Assemblée législative, son siège devient vacant à la date d’une telle déclaration de culpabilité.

119. Any person who is convicted of having committed any offence that is a corrupt or illegal practice shall, during the five years next after the date of his being convicted, in addition to any other punishment by this or any other Act prescribed, be disqualified from and be incapable of

[…]


(c) being elected to or sitting in the Legislative Assembly and, if at such date he has been elected to the Legislative Assembly, his seat shall be vacated from the time of such conviction.

 

[711]  Rappelons que dans cette affaire, les juges minoritaires (L’Heureux-Dubé et McLachlin) abordent la question sous l’angle du privilège parlementaire et concluent que les règles relatives à l’inhabilité à occuper la charge de député prévues à l’al. 119c) relèvent d’un tel privilège et échappent par conséquent au contrôle judiciaire.

[712]  Elle conclura toutefois que la disposition est sauvegardée en vertu de l’article premier de la Charte canadienne.

[713]  Harvey c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), [1996] 2 R.C.S. 876, par. 28.

[714]  Harvey c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), [1996] 2 R.C.S. 876.

[715]  Supra, par. [635].

[716]  Frank c. Canada (Procureur général), 2019 CSC 1.

[717]  Harvey c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), [1996] 2 R.C.S. 876, par. 28.

[718]  Voir : supra, note 652.

[719]  L’art. 235 de la Loi électorale, RLRQ, c. E-3.3, qui énumère les électeurs inéligibles à être élus à l’Assemblée nationale, ne comporte aucune restriction quant à l’exigence d’avoir le visage à découvert.

[720]  R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, p. 138.

[721]  B.C. Freedom of Information and Privacy Association c. Colombie-Britannique (Procureur général), 2017 CSC 6, par. 58.

[722]  Droit de la famille – 191850, 2019 QCCA 1484, par. 246, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 30 avril 2020, no 38912.

[723]  Frank c. Canada (Procureur général), 2019 CSC 1, par. 43. Voir également : Figueroa c. Canada (Procureur général), 2003 CSC 37, par. 60; Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), 2002 CSC 68, par. 14.

[724]  Frank c. Canada (Procureur général), 2019 CSC 1, par. 43.

[725]  Des modalités sont d’ailleurs prévues lorsqu’une personne ne peut s’identifier à visage découvert « pour des raisons de santé physique qui apparaissent valables au directeur général des élections / for reasons of physical health that are considered valid by the Chief Electoral Officer » (Loi électorale, RLRQ, c. E-3.3., art. 335.2 al. 3).

[726]  Cf. Loi modifiant diverses dispositions législatives en matière électorale concernant l’identification des électeurs, L.Q. 2007, c. 29, art. 5 et 6, modifiant les art. 335.2 et 337 de la Loi électorale (modification entrée en vigueur le 4 décembre 2007 : Loi modifiant diverses dispositions législatives en matière électorale concernant l’identification des électeurs, art. 7).

[727]  Assemblée nationale, Journal des débats, 38e lég., 1re sess., vol. 40, no 39, 14 novembre 2007, p. 20352038 (B. Pelletier); Assemblée nationale, Commission permanente des institutions, Journal des débats, 38e lég., 1re sess., vol. 40, no 18, 27 novembre 2007, p. 1, 5 et 7 (B. Pelletier); Assemblée nationale, Journal des débats, 38e lég., 1re sess., vol. 40, no 47, 30 novembre 2007, p. 2373-2374 (B. Pelletier); Assemblée nationale, Journal des débats, 38e lég., 1re sess., vol. 40, no 48, 4 décembre 2007, p. 2394 (B. Pelletier).

[728]  On comprend des débats parlementaires relatifs à la Loi que l’obligation d’exercer ses fonctions à visage découvert est principalement rattachée au principe de la laïcité de l’État : Assemblée nationale, Commission permanente des institutions, Journal des débats, 42e lég., 1re sess., vol. 45, no 44, 4 juin 2019, p. 1-2 (S. Jolin-Barrette); Assemblée nationale, Commission permanente des institutions, Journal des débats, 42e lég., 1re sess., vol. 45, no 46, 6 juin 2019, p. 9 (S. Jolin-Barrette); Assemblée nationale, Commission permanente des institutions, Journal des débats, 42e lég., 1re sess., vol. 45, no 47, 7 juin 2019, p. 7 (S. Jolin-Barrette); Assemblée nationale, Commission permanente des institutions, Journal des débats, 42e lég., 1re sess., vol. 45, no 52, 13 juin 2019, p. 29-30, 42, 53 et 74 (S. Jolin-Barrette).

[729]  R.-U., H.C. Deb., 12 septembre 2013, vol. 567, col. 1170 (Mr. Speaker).

[730]  France, Assemblée nationale, Instruction générale du Bureau de l’Assemblée nationale, art. 9.

[731]  Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), 2002 CSC 68. Voir aussi : Frank c. Canada (Procureur général), 2019 CSC 1, par. 27 (précité, supra, par. [670]).

[732]  Voir, par analogie : R. c. Hills, 2023 CSC 2, par. 170; R. c. Boudreault, 2018 CSC 58, par. 97; R. c. Ruzic, 2001 CSC 24, par. 91-92; Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’ÎleduPrinceÉdouard; Renvoi relatif à l'indépendance et à l'impartialité des juges de la Cour provinciale de l’ÎleduPrinceÉdouard, [1997] 3 R.C.S. 3, par. 278-279; Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, p. 394; Corporation professionnelle des médecins du Québec c. Thibault, [1988] 1 R.C.S. 1033, p. 1045-1046; Denis c. R., 2018 QCCA 1033, par. 102, requête en prorogation du délai d’appel et demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetées, 3 septembre 2020, no 39181.

[733]  L’art. 22 de la Charte québécoise énonce que :

22. Toute personne légalement habilitée et qualifiée a droit de se porter candidat lors d’une élection et a droit d’y voter.

22. Every person legally capable and qualified has the right to be a candidate and to vote at an election.

 

[735]  A.A. (Lord Reading), par. 51.

[736]  Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, par. 75.

[737]  Cette disposition énonce :

19. L’Assemblée nationale doit, dès le début de sa première séance après une élection générale, élire, parmi les députés, un président et, par la suite, un premier, un deuxième et un troisième vice-présidents.

 

Les deux premiers vice-présidents sont élus parmi les députés du parti gouvernemental et le troisième parmi ceux du parti de l’opposition officielle.

19. At the beginning of its first sitting after a general election, the National Assembly shall elect a President and, subsequently, a first, a second and a third Vice-President from among its Members.

 

The first Vice-President and the second Vice-President shall be elected from among the Members forming the Government and the third Vice-President from among the Members forming the Official Opposition.

 

[738]  Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet, Droit constitutionnel, 6e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2014, p. 377, no V-2.48.

[739]  RLRQ, c. E-18. Cette disposition reflète d’ailleurs l’art. 63 de la LC 1867.

[740]  RLRQ, c. M-19.

[742]  Figueroa c. Canada (Procureur général), 2003 CSC 37, par. 26.

[743]  Figueroa c. Canada (Procureur général), 2003 CSC 37.

[744]  Figueroa c. Canada (Procureur général), 2003 CSC 37, par. 26.

[745]  Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, par. 71.

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