Décision

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Construction Savite inc. c. Construction Demathieu & Bard (CDB) inc.

2018 QCCS 1844

JT1490

 
COUR SUPÉRIEURE

 

                                                                                                                       

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

DISTRICT DE TERREBONNE

 

 

 

 

No :

700-17-013611-164

 

 

 

DATE :

Le 1er mai 2018

 

______________________________________________________________________

 

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L'HONORABLE DANIELLE TURCOTTE, J.C.S.

 

______________________________________________________________________

 

 

 

 

 

CONSTRUCTION SAVITE INC.

 

partie demanderesse

 

c.

 

CONSTRUCTION DEMATHIEU & BARD (CDB) INC.

 

MAÇONNERIE PRO-CONSEIL INC.

 

partie défenderesse

 

______________________________________________________________________

 

 

 

JUGEMENT

 

______________________________________________________________________

 

 

 

LE CONTEXTE

[1]           La demanderesse, Construction Savite inc., et la défenderesse, Maçonnerie Pro-Conseil inc., œuvrent dans le domaine de la maçonnerie.

[2]           Il s’agit d’une spécialité assujettie au Code de soumission élaboré par le Bureau des soumissions déposées du Québec (BSDQ), un organisme formé par l’Association de la construction du Québec, la Corporation des maîtres électriciens du Québec et la Corporation des maîtres mécaniciens en tuyauterie du Québec.

[3]           Au cours de l’année 2014, la Société de transport de Montréal met en branle un processus d’appel d’offres public pour l’exécution des travaux de réfection de la station de métro Berri-UQAM.

[4]           Dans ce contexte, Construction Savite et Pro-Conseil devaient soumettre leur offre de contracter auprès du BSDQ, à l’attention des entrepreneurs généraux à qui ils désiraient proposer un prix, notamment à l’entrepreneur général Construction Demathieu & Bard (CDB) inc., codéfenderesse en l’instance.

[5]           Cet entrepreneur général a obtenu un contrat de près de 21 000 000 $ pour la réalisation de l’ouvrage[1]. Compte tenu des règles établies dans le Code de soumission du BSDQ, il doit à son tour octroyer le contrat pour la réalisation des travaux de la section « maçonnerie » du devis, à l’entrepreneur spécialisé lui ayant présenté la plus basse soumission conforme aux documents de soumission.

[6]           Un montant de 1 630 $ sépare les soumissions des entrepreneurs spécialisés Construction Savite et Pro-Conseil, cette dernière ayant le prix le plus élevé. Dans son évaluation de la conformité des soumissions, l’entrepreneur général a déterminé que celle de Construction Savite n’était pas conforme aux documents de soumission de sorte qu’il a adjugé le contrat de la spécialité «  maçonnerie » à Pro-Conseil.

[7]           D’avis qu’il y a là une faute, Construction Savite poursuit solidairement l’entrepreneur général et Pro-Conseil afin d’obtenir compensation pour la perte financière qu’elle subit vu qu’elle est privée de ce contrat.

[8]           La preuve démontre que ni l’entrepreneur général ni Pro-Conseil n’ont commis de faute. L’entrepreneur général a rempli adéquatement son rôle dans l’interprétation des documents de soumission et Pro-Conseil était justifiée d’accepter de contracter. La proposition de Construction Savite excluait certaines exigences requises pour ce projet de sorte qu’elle devait être mise de côté parce que non conforme.

[9]           Finalement, le Tribunal n’aurait pas accordé les dommages à hauteur de ce qui est réclamé par Construction Savite.

L’ANALYSE

1-    L’interprétation des documents de soumission

[10]        La soumission que Construction Savite a déposée au BSDQ respecte la forme requise par le Code de soumission. Le document réfère à la section 04 du devis, soit la spécialité « maçonnerie », et précise que les plans A1000 à A1802, S2001 à S2903 et les addenda 1 à 4 sont inclus.

[11]        Ainsi, à première vue, la formule de soumission de Construction Savite énumère tout ce qui doit être considéré dans son ouvrage.

[12]        Construction Savite reproche à l’entrepreneur général de l’avoir écartée du processus malgré la conformité apparente de sa soumission qui ne mentionne aucune exclusion.

[13]        Si l’on s’en tient strictement au mot à mot du document, Construction Savite respecte en tout point les exigences des documents de soumission.

[14]        Cependant, la réalité est tout autre.

[15]        Par lettre du 29 janvier 2015, l’entrepreneur général s’adresse aux deux plus bas soumissionnaires, Construction Savite et Pro-Conseil, et requiert une confirmation de leur part quant à l’inclusion dans leur prix d’éléments qu’il énumère[2].

[16]        La réponse de Construction Savite à ce courriel est assez surprenante. L’estimateur de l’entreprise[3] écrit que les détails pourront être discutés dès que le contrat sera signé[4].  Pour sa part, Pro-Conseil certifie que tout est inclus.

[17]        Or, le projet est complexe. Il doit être exécuté en 6 phases principales et 36 sous-phases sur une durée de 2 ans. Les documents d’appel d’offres ont plus de 600 pages de plans et le devis en contient près de 1 000.  

[18]        L’entrepreneur général ne veut pas jouer à l’autruche et souhaite que la portée du contrat à intervenir soit claire pour tout le monde, avant que les travaux ne soient amorcés.

[19]        La suite des événements lui donne d’ailleurs raison puisque, effectivement, Construction Savite avait exclu certains travaux de sa soumission, alors que Pro-Conseil n’a rien fait de tel.

[20]        Le 13 février, l’entrepreneur général écrit à Construction Savite lui mentionnant avoir l’intention de lui octroyer le contrat. Elle précise que les modalités seront conformes à la soumission, incluant ce qui suit[5] :

-       Bases de cloisons : Détail 6/1504;

-       Fourniture et installation des retenues en tête (feuille 2903);

-       Murs de blocs à renforcir (incluant la démolition) : Note C3, feuille 1001;

-       Fournir et installer les goujons et armatures;

-       Fournir et installer le treillis, les ancrages, les accessoires;

-       Les joints de contrôle;

-       L’installation des cadres de porte;

-       Les enduits protecteurs coupe-feu;

-       Le calfeutrage;

-       La manutention;

-       L’horaire;

-       La protection des équipements et surfaces adjacentes;

-       La gestion et l’élimination des rebuts;

-       Les objectifs environnementaux du projet;

-       Le contrôle de la poussière de silice.

[Soulignements du Tribunal]

[21]        Sur réception de cette lettre d’intention, l’estimateur de Construction Savite annote de sa main les travaux qu’il a exclus à savoir : la fourniture et l’installation des retenues en-tête, la fourniture et la pose des enduits protecteurs coupe-feu et du calfeutrage de même que la protection des équipements ou surfaces adjacentes[6]. Il remet le document ainsi commenté au contrôleur de l’entreprise qui est d’avis que l’installation des cadres de porte devrait également être hors contrat. Le contrôleur écrit à l’entrepreneur général l’informant avoir rayé les cinq points qui ne sont pas inclus dans son prix[7].

[22]        L’entrepreneur général[8] répond que vu les exclusions mentionnées par Construction Savite, sa soumission devra être déclarée non conforme[9].

[23]        Le 23 février, Construction Savite prend la position ferme que l’entrepreneur général doit lui adjuger le contrat pour une somme de 1 217 000 $ plus taxes. Elle l’avise que son comportement sera dénoncé auprès du BSDQ et qu’elle intentera des procédures judiciaires dans l’éventualité où elle ne serait pas le bénéficiaire du contrat[10]. L’entrepreneur général rétorque en expliquant pourquoi les cinq exclusions appartiennent à la spécialité « maçonnerie » et demande à Construction Savite de rectifier son tir dans un délai de cinq jours[11].

[24]        Construction Savite n’en fait rien et réitère que l’entrepreneur général doit lui présenter un contrat pour signature sur lequel, outre le prix, on indiquerait seulement « section maçonnerie »[12].

[25]        L’entrepreneur général a refusé de procéder de cette manière, convaincu qu’il ne sert à rien de conclure un marché dont l’une des parties en conteste la portée avant même le début de son exécution.

[26]        Semblable raisonnement a été examiné par la juge Dominique Bélanger dans l’affaire Les Aciers Fax inc. c. Constructions BSL inc. et Par Métal (1985) inc.[13] où se posait justement la question de savoir si un entrepreneur général était tenu de clore un accord, sachant d’avance qu’un litige surviendra quant à son interprétation. La juge Bélanger est d’opinion que non. Elle écrit :

[58] Il répugne au droit civil québécois de conclure un contrat sans que la volonté des parties soit rencontrée. Ce faisant, l’entrepreneur général s’engagerait en sachant à l’avance qu’il existe un litige et qu’il devrait encourir des frais pour le résoudre.

[59] Rien n’oblige un entrepreneur général à conclure un contrat avec un sous-traitant, sachant d’avance qu’un litige l’attend, alors qu’un autre soumissionnaire a déposé une soumission conforme pour un prix moindre que celui maintenant exigé par le soumissionnaire rébarbatif.

[Soulignements du Tribunal]

[27]        Selon la lecture qu’il fait des documents de soumission, l’entrepreneur général a raison de refuser de signer un contrat avec Construction Savite, puisque cela conduit inévitablement à un litige en cours de route, alors que le projet doit aller rondement et être exécuté sans retard. Il est préférable de clarifier ces ambiguïtés avant que l’ouvrage ne soit amorcé, d’autant plus que l’autre entrepreneur spécialisé, Pro-Conseil, accepte sans réserve le point de vue de l’entrepreneur général.

[28]        Ainsi, l’entrepreneur général n’a pas commis de faute eu égard à cette demande d’information et de précision quant à l’étendue des travaux de la spécialité « maçonnerie ». D’ailleurs, les plaintes déposées par Construction Savite auprès du BSDQ contre l’entrepreneur général et contre Pro-Conseil n’ont pas été retenues[14].

[29]        Voyons maintenant si l’entrepreneur général était justifié de considérer que les exclusions énoncées par Constructions Savite faisaient en réalité partie des travaux de sa spécialité.

2-    La conformité de la soumission

[30]        Comme on l’a mentionné plus tôt, cinq exclusions ont été soulevées par Construction Savite, mais en bout de piste il ne reste que trois catégories qui méritent attention, puisque l’une a été acceptée[15] et deux peuvent être regroupées :

-       Fourniture des retenues en tête;

-       Installation des cadres de porte;

-       Pose et fourniture de l’enduit protecteur coupe-feu et du calfeutrage.

a)    Les retenues en tête

[31]        Selon Construction Savite, elle doit procéder à l’installation des retenues en tête, mais n’est pas tenue de les fournir. Elle fonde son argument sur l’article 3.4.1 de la section 04 du devis qui stipule que le maçon doit incorporer certaines pièces métalliques à son ouvrage[16] :

3.4 Réalisation de l’ouvrage

3.4.1           Incorporer à l’ouvrage les éléments tels que les plaques d’appui, les cornières en acier, les boulons, les ancrages, les pièces noyées, l’armature, les manchons et les conduits nécessaires.

[Soulignements du Tribunal]

[32]        Tout d’abord, la distinction que Construction Savite fait se situe au niveau du verbe « incorporer ». Elle soutient ne pas avoir à fournir cette pièce métallique car le cas échéant, il aurait été écrit « fournir et installer », comme c’est prévu dans la section 05 (ouvrages métalliques) du devis.  À ses yeux, cela démontre qu’il appartient à l’entrepreneur spécialisé en métaux ouvrés de fournir les retenues en tête que le maçon devra incorporer à son ouvrage.

[33]        Ce raisonnement n’est pas convaincant.

[34]        Tout d’abord, la distinction sémantique que Construction Savite élabore soulève un doute. Le verbe incorporer signifie intégrer :

Larousse - Incorporer. V.t.

1.    Mêler intimement une substance à une autre; intégrer un élément dans un tout : incorporer de la crème à une soupe, des illustrations dans un livre. 2. MIL. Procéder à l’incorporation d’une recrue ou d’un réserviste.

Multi Dictionnaire de la langue française - Incorporer. V.t.

1.    Mélanger. Incorporer de la farine à une crème.

2.    Intégrer. Une montre avec chronomètre incorporé.

3.    Constituer en société par actions. Incorporer une entreprise.

[35]        Quant à la définition du verbe intégrer, on peut lire ceci :

Larousse - Intégrer. V.t.

1.    Faire entrer dans un ensemble plus vaste; inclure : Elle a intégré une chanson de Barbara à son album.

2.    Faire qu’une personne ne se sente plus étrangère à un groupe : Les enfants ont immédiatement intégré le nouveau.

3.    Fam. Être reçu au concours d’entrée à une grande école.

4.    Math. Procéder à une intégration.

Multi Dictionnaire de la langue française - Intégrer V.t.

1.    Faire entrer à titre de partie intégrante d’un ensemble : Intégrer des mots dans un dictionnaire.

2.    Incorporer à une collectivité, à un milieu : Cette structure permet d’intégrer les nouveaux arrivants à la société québécoise ou dans la société.

[36]        Ainsi, l’utilisation du verbe « incorporer » n’élimine pas d’emblée la fourniture de la pièce métallique par l’entrepreneur en maçonnerie.

[37]        En outre, l’interprétation de Construction Savite est contradictoire. Elle reconnaît qu’elle doive fournir l’armature verticale et horizontale. Pourtant, l’armature est énumérée à ce même article 3.4.1 de la section 04 du devis comme étant un élément métallique à être incorporé par l’entrepreneur en maçonnerie. Construction Savite ne peut, du même souffle, soutenir que dans un cas, le mot « incorporer » ne veuille pas dire « fournir » tandis que dans un autre, ce soit le cas.

[38]        De plus, dans la section 05 « ouvrages métalliques », les supports à la tête des blocs de béton ne sont pas mentionnés, quoique ceux au-dessus des cloisons vitrées le soient[17].

[39]        Le Tribunal préfère la version beaucoup plus fiable du représentant de Pro-Conseil[18]. C’est un gestionnaire de projet expérimenté, détenteur d’un Baccalauréat en architecture et d’une Maîtrise en urbanisme. Il explique que tout comme l’armature, les retenues en tête sont toujours fournies par le maçon, à moins qu’il n’y ait une exclusion spécifique au devis, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

[40]        Enfin, la version de Construction Savite fait fi du plan S2903 qui donne les détails typiques des murs de maçonnerie. Le plan en question décrit les dimensions des retenues en tête de types 1, 2 et 3.

[41]        L’article A-5 du Code de soumission du BSDQ énonce que les plans font partie des documents de soumission :

A-5  DOCUMENTS DE SOUMISSION

Les invitations à soumissionner, les avis aux soumissionnaires, l’appel d’offres, les plans, dessins, devis, tant les clauses administratives et techniques que générales et particulières, les documents de garantie et de cautionnement, les addenda, la formule de soumission, les bordereaux des prix, les directives aux soumissionnaires et tous les autres documents émis par le maître de l’ouvrage ou son représentant, et le BSDQ, établissant les conditions requises pour la présentation d’une soumission.

[42]        L’article D-5 du Code de soumission du BSDQ stipule que les travaux décrits dans les documents de soumission s’appliquant à une division sont réputés en faire partie :

D-5 La soumission doit comprendre tous les travaux de la spécialité assujettie

Tous les travaux décrits dans une division ou section contenus dans les documents de soumission avec les travaux d’une spécialité assujettie sont réputés faire partie de cette spécialité.

À moins d’indication écrite contraire dans les documents de soumission, il est interdit à un soumissionnaire d’exclure certains travaux décrits dans une section visée par sa soumission tels, à titre d’exemple, les percements, les travaux d’excavation, de bétonnage, de peinture, etc.

[Soulignements du Tribunal]

[43]        Il en résulte que la fourniture des retenues en tête est réputée être une composante des travaux de la spécialité « maçonnerie », puisque leur description est illustrée dans les plans pertinents à cette section du devis.

[44]        De toute manière, pour accepter la thèse de Constructions Savite, il faudrait au moins retrouver les dimensions des retenues en tête dans les plans des ouvrages métalliques. Cette preuve n’a pas été faite. De plus, Pro-Conseil a installé des retenues en tête dont le fini consiste en une simple couche d’apprêt (primer). Celles-ci ont été approuvées par les professionnels. Cela démontre qu’il est inexact que ces pièces métalliques devaient être en acier galvanisé, comme tout autre ouvrage métallique, tel que le soutient Construction Savite.

[45]        Le Tribunal en vient à la conclusion que la fourniture des retenues en tête est visée par les travaux de la spécialité « maçonnerie » de sorte que Construction Savite ne pouvait l’exclure sans rompre le principe de l’égalité entre les soumissionnaires.

b)   L’installation des cadres de porte

[46]        Par son contrôleur[19], Construction Savite plaide que l’installation des cadres de porte est exclue de ses travaux.

[47]        Cette proposition étonne, car le contraire est énoncé en toute lettre à l’article 3.4.2 de la section 04 22 00 (maçonnerie) du devis :

3.4.2   Ériger la maçonnerie autour des bâtis préalablement mis en place et contreventés. Appliquer du mortier ou du coulis dans la cavité du mur derrière les bâtis faits d’éléments creux et y noyer les dispositifs d’ancrage.

[Soulignement du Tribunal]

[48]        D’ailleurs, spontanément, l’estimateur de Construction Savite avait inclus l’installation des cadres de porte dans sa soumission[20].

[49]        Le Tribunal estime que l’installation des cadres de porte faisait partie de l’étendue des travaux de maçonnerie tels que décrits au devis.

c)    Les enduits protecteurs coupe-feu et le calfeutrage

[50]        Construction Savite avance que la pose et la fourniture des enduits protecteurs coupe-feu de même que du calfeutrage ne font pas partie de ses travaux, puisque non clairement mentionnés au devis. Ces travaux doivent être effectués par d’autres, plaide-t-elle.

[51]        Cet argument doit être mis de côté.

[52]        Tout d’abord, il n’existe aucune spécialité en pose d’enduits protecteurs ou calfeutrage.

[53]        Ensuite, le Tribunal accorde foi au témoignage des représentants de l’entrepreneur général et de Pro-Conseil[21], lequel est fondé sur leur expérience en ingénierie et en architecture[22].  Ils expliquent que chaque entrepreneur spécialisé incorpore à son ouvrage les enduits protecteurs et le calfeutrage lorsque indiqués au plan qui le concerne, comme c’est ici le cas.

[54]        La section 07 84 00 du devis (protection coupe-feu) énumère notamment la section 04 22 00 du devis à titre de section connexe.

[55]        Les travaux relatifs aux enduits protecteurs coupe-feu et au calfeutrage, lorsque touchant les éléments de maçonnerie, sont inclus dans cette spécialité et ne pouvaient faire l’objet d’une exclusion par Construction Savite.

d)   La conclusion

[56]        Face à l’attitude de Construction Savite qui refusait d’exécuter des travaux  faisant partie de la section « maçonnerie » du devis, l’entrepreneur général devait déclarer sa soumission non conforme et conséquemment, le contrat ne pouvait être adjugé en sa faveur, tel qu’exprimé par la Cour d’appel dans l’affaire Tapitec inc. c. Ville de Blainville et Les Sols Sportica[23] :

[13] L’obligation de n’accorder le contrat qu’à un soumissionnaire qui présente une soumission conforme découle implicitement du contrat intervenu entre l’auteur de l’appel d’offres et tous les soumissionnaires. L’auteur de l’appel d’offres doit évaluer les soumissions de manière équitable et uniforme afin d’éviter qu’un soumissionnaire soit avantagé au détriment d’un autre.

[14] Le principe d’égalité entre les soumissionnaires tire son fondement du fait qu’en l’absence de cette obligation implicite, aucun soumissionnaire raisonnable ne s’exposerait aux risques inhérents à un appel d’offres si le donneur d’ouvrage « peut, dans les faits, contourner ce processus et accepter une soumission non conforme ».

[15] Par ailleurs, l’exigence que seules soient examinées les soumissions conformes est également « un élément favorisant l’intégrité et l’efficacité commerciale du processus d’appel d’offres ».

[Soulignement du Tribunal]

[57]        Il en résulte que l’entrepreneur général devait octroyer le contrat au plus bas soumissionnaire conforme, à savoir Pro-Conseil.

3-    Les dommages

[58]        Dans l’éventualité où le Tribunal en était venu à la conclusion que l’entrepreneur général ou Pro-Conseil avaient commis une faute, il aurait fallu établir le montant des dommages à être accordés à Construction Savite.

[59]        Construction Savite réclame un montant de 210 500 $ qu’elle ventile de la façon suivante[24] :

Perte de profit

135 485 $

Perte pour contribution aux frais de gestion

52 564 $

Perte pour contribution aux frais fixes des équipements

22 451 $

Total de :

210 500 $

[60]        Le contrôleur de l’entreprise affirme que le profit est constitué d’une somme de 52 564 $ mentionnée à la soumission, majorée de 83 000 $, soit la différence entre le prix estimé à l’interne (1 134 083 $) et le prix final déposé au BSDQ (1 217 000 $).

[61]        Par contre, ce point de vue ne concorde pas avec le témoignage du président de la compagnie[25].

[62]        Selon ce dernier, ladite différence de 83 000 $ ne représente pas du profit, mais plutôt des coûts de manutention qu’il a jugés être sous-évalués par son estimateur.

[63]        Par ailleurs, le contrôleur explique aussi que Construction Savite aurait eu droit de recevoir une compensation de 52 564 $ pour perte de contribution aux frais de gestion.

[64]        Il s’agit d’un montant totalement arbitraire que la preuve n’étaye pas.  Rien ne démontre que le personnel administratif n’a pas été affecté à la gestion d’autres contrats.

[65]        Dans Construction Gesmonde ltée c. 2908557 Canada inc.[26], la Cour d’appel résume ainsi le principe qui doit guider le tribunal appelé à évaluer la compensation relative à la perte d’un contrat:

[6]   En principe, ces profits doivent s’évaluer en fonction du contrat dont l’intimée a été privée. En d’autres mots, il faut évaluer le profit qu’aurait réalisé l’intimée si elle avait exécuté le contrat. L’arrêt Acier Mutual inc. c. Fertek inc., J.E. 96-602 (C.A.) n’établit pas que le profit perdu s’établit dans tous les cas en appliquant le taux moyen de profit de l’entreprise au prix du contrat manqué, mais plutôt que, faute d’une preuve suffisamment convaincante du profit qui aurait été réalisé à l’égard de ce contrat, la quantification du préjudice subi peut se faire à partir de la marge généralement réalisée par l’entrepreneur, telle qu’elle appert de ses états financiers.

[7]   De plus, il ne s’agit pas d’accorder le montant que la partie espérait réaliser lorsqu’elle a déposé sa soumission, mais bien celui qu’elle aurait de facto tiré de l’exécution de ce contrat si celui-ci lui avait été octroyé. En d’autres mots, le juge doit faire une projection de ce qui se serait passé.

[Soulignement du Tribunal]

[66]        Dans le document interne ayant servi à bâtir la soumission, l’estimateur de Construction Savite[27] considère que le contrat lui aurait permis de récolter un profit de 8 % sur la main d’œuvre, soit 52 564 $.

[67]        Toutefois, ce profit anticipé doit être ajusté à la baisse, puisqu’il est basé sur un prix n’incluant pas la fourniture des retenues en tête, l’installation des cadres de porte de même que l’enduit coupe-feu et le calfeutrage. Si Construction Savite avait obtenu le contrat, elle aurait du exécuter ces travaux, ce qui aurait eu pour effet de diminuer la marge de profit qu’elle annonce dans son document interne de soumission.

[68]        Pour ces raisons, le Tribunal aurait arbitré les dommages à une somme inférieure à 52 564 $.

4-    La demande reconventionnelle

[69]        L’entrepreneur général et Pro-Conseil se posent demanderesses reconventionnelles et réclament un montant de 25 000 $ à Construction Savite en raison de son attitude et de sa témérité.

[70]        En dépit des conclusions auxquelles en vient le Tribunal, il n’a pas été démontré que la poursuite de Construction Savite était dénuée de tout bon sens. Elle a fait valoir un droit et même si son argumentaire n’a pas été retenu, sa mauvaise foi n’a pas été établie.

[71]        Il n’y a donc pas lieu de faire droit à cette demande qui sera rejetée, mais sans frais de justice vu les circonstances.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[72]        REJETTE avec frais de justice la demande de Construction Savite inc.;

[73]        REJETTE sans frais de justice la demande reconventionnelle de Construction Demathieu & Bard (CDB) inc. et Maçonnerie Pro-Conseil inc.

 

 

DANIELLE TURCOTTE, J.C.S.

Me Régis Nivoix

Doyon, Izzi, Nivoix

Pour la partie demanderesse

 

Me Jean-Philippe Desabrais

Prévost, Fortin, D’Aoust

Pour la partie défenderesse

 

dates d’audience :  9, 10 et 11 avril 2018

 



[1]     Voir pièce D-1.

[2]     Pièces D-3 et D-4.

[3]     Slimane Abdelhamid.

[4]     Voir pièce D-10.

[5]     Voir pièce D-2.

[6]     Voir pièce P-5.

[7]     Pièce P-6.

[8]     Stéphane Sarazin.

[9]     Pièce P-7.

[10]    Pièce P-8.

[11]    Pièce P-9.

[12]    Pièce P-10.

[13]    2009 QCCS 2000.

[14]    Voir pièces D-14 et D-15.

[15]    Soit la protection des équipements et surfaces adjacentes, par lettre du 17 mars 2015, pièce P-11.

[16]    Pièce P-13, page 45.

[17]    Voir pièce P-13, section 05 50 00, art. 1.1.1.9, page 78.

[18]    M. Belkacem Zaouali.

[19]    M. André Grimard.

[20]    Voir pièce P-15.

[21]    M. Stéphane Sarazin de Construction Demathieu & Bard (CDB) inc. et M. Belkacem Zaouali de Maçonnerie Pro-Conseil inc.

[22]    M. Stéphane Sarazin est ingénieur et détenteur d’une Maîtrise en administration des affaires. M. Belkacem Zaouali possède un Baccalauréat en architecture et une Maîtrise en urbanisme.

[23]    2017 QCCA 317.

[24]    Voir lettre de Me Régis Nivoix en date du 27 septembre 2016, par laquelle les précisions sont fournies.

[25]    M. Luis Vitorino.

[26]    2005 QCCA 537.

[27]    Pièce P-15.

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