Skalli Housseini c. 10376957 Canada inc. |
2021 QCTAL 9871 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT |
||||||
Bureau dE Montréal |
||||||
|
||||||
Nos dossiers : |
542317 31 20201026 G 545612 31 20201120 G |
Nos demandes : |
3097543 3117515 |
|||
|
|
|||||
Date : |
20 avril 2021 |
|||||
Devant le juge administratif : |
Charles Rochon-Hébert |
|||||
|
||||||
Mohammed Skalli Housseini |
|
|||||
Locataire - Partie demanderesse (542317 31 20201026 G) Locataire - Partie défenderesse (545612 31 20201120 G) |
||||||
c. |
||||||
10376957 Canada Inc. |
|
|||||
Locatrice - Partie défenderesse (542317 31 20201026 G) Locatrice - Partie demanderesse (545612 31 20201120 G) |
||||||
|
||||||
D É C I S I O N
|
||||||
Contexte
[2] Dans le dossier portant le numéro 542317 introduit le 23 octobre 2020, amendé le 17 novembre 2020 ainsi que lors de l’audience, le locataire réclame les dommages suivants à la suite d’une éviction illégale :
- 7 500 $ en dommages moraux;
- 7 500 $ en dommages punitifs;
- 2 141,85 $ en dommages pour ses frais d’hôtel;
- 2 384,52 $ en dommages pour les frais de fourrière de son véhicule;
- 1 450 $ en remboursement du loyer d’octobre 2020.
[3] Le locataire demandait également d’ordonner à la locatrice de lui redonner l’accès au logement, cependant il reconnaît que cet aspect de sa demande est maintenant sans objet puisque celui-ci ayant été reloué à un tiers de bonne foi, le Tribunal ne peut dans les circonstances que constater la résiliation du bail.
[4] Enfin, le locataire demande à déclarer nulles certaines clauses du bail, cependant la demande ne les identifie pas.
[5] Dans le dossier portant le numéro 545612 introduit le 23 novembre 2020, la locatrice demande de constater la résiliation du bail en date du 9 octobre 2020, le recouvrement du loyer d’octobre 2020 (1 450 $), plus l’exécution provisoire de la décision malgré appel ainsi que les frais judiciaires.
Faits et positions des parties
[6] L’essentiel des faits se résume comme suit :
[7] Le 16 août 2020, les parties signent un bail de logement meublé pour la période du 16 août 2020 au 1er juillet 2021, pour un loyer mensuel de 1 450 $ payable le premier jour de chaque mois, exception du loyer du mois d’août 2020.
[8] À la suite de la signature du bail, le locataire versera à la locatrice 720 $ pour le loyer d’août 2020 ainsi que 2 500 $ à titre de dépôt de sécurité comme stipulé au bail.
[9] Le bail rédigé par la locatrice ne l’a pas été à partir du formulaire obligatoire requis par la législation[1] et contient de nombreuses clauses manifestement contraires à l’ordre public applicable au bail de logement dont il n’est pas utile de faire la nomenclature complète, mais dont certains aspects seront traités dans le cadre de la présente décision afin de trancher le litige.
[10] Son représentant, M. Jonathan Sibony, explique candidement à l’audience que la locatrice procède ainsi pour tous ses baux puisque les activités de la locatrice concernent normalement la location de logements à court terme dont les litiges en découlant ne seraient pas de la juridiction du Tribunal administratif du logement.
[11] À tout événement, l’avocate de la locatrice indique à l’audience qu’elle ne remet pas en question la compétence du Tribunal dans le cadre des instances dont il est ici saisi et rappelons-le, concernent un bail de logement d’une durée de 11 mois et demi.
[12] La visite du logement, la signature du bail et la prise de possession du logement ont été effectués rapidement à l’insistance du locataire puisque ce dernier avait été évincé d’un autre logement par suite d’une décision résiliant le bail pour cause de non-paiement du loyer, faits dont la locatrice prendra connaissance le ou vers le 18 août suivant.
[13] Le 18 août 2020, M. Samuel Bélanger, courtier immobilier qui occupe certaines fonctions au sein de la locatrice et par l’entremise duquel le bail a été conclu, écrit par texto au locataire pour l’informer de ce qu’il vient de découvrir eu égard aux antécédents locatifs du locataire et qui, nonobstant la durée et la nature du bail, lui donne l’avertissement suivant[2]:
« Bonjour M. Skalli,
Après avoir fait nos recherches nous avons trouvé 2 jugements a votre nom dont 1 très récent.
Étant donné que vous signer un contrat de location d’immeuble meublé court terme, le propriétaire va attendre que votre chèque de dépôt (2500 $) et du loyer de Août soir encaissé (750 $) (total 3250 $). Advenant que le chèque n’ai pas de fonds vous aurez moins de 24 heures pour quitter l’appartement, autrement vos effets personnels seront retirés de l’appartement et les codes changés.
Si les fonds sont bien encaissé vous pourrez resté dans l’appartement et une copie de votre contrat de location vous sera remis.
Le loyer du mois devra être payé au maximum le premier jeudi du mois, autrement vos effets personnels seront retirés de l’appartement et les codes changés.
Prendre note que vous signé un contrat de location meublé courte durée et non un bail de logement long terme, il n’y aura donc pas de Régis du logement advenant un problème mais bien l’expulsion immédiate avec un avis de 24 heures.
Merci de votre compréhension.
Samuel Bélanger pour Jonathan Sibony » [sic]
[Les soulignements sont du soussigné]
[14] Le locataire paye le loyer du mois de septembre par virement effectué le 3 septembre 2020.
[15] Le locataire ne payera pas le loyer du mois d’octobre le 1er octobre 2020. Il explique ce fait par la combinaison d’un problème technique avec sa banque pour faire un virement ainsi que des problèmes familiaux qui ont requis toute son attention et son énergie les jours suivants.
[16] Le 6 octobre 2020, après quelques messages échangés dans les jours précédents, Samuel Bélanger transmet le message suivant au locataire[3] :
« Je vais être là demain 9h30am si vous n’avez pas l’argent comptant ou fait le transfert nous allons changer les codes. Merci »
[17] Le locataire demande un délai additionnel et promet un paiement pour le jeudi suivant, à savoir le 8 octobre 2020, ce à quoi M. Bélanger acquiesce tout en réitérant sa menace de changer les codes si le locataire ne respecte pas son engagement.
[18] Le 8 octobre 2020, M. Bélanger relance le locataire et réitère sa menace de changer les codes d’accès, ce à quoi le locataire réplique qu’il quittera le logement à la fin du mois et invite la locatrice à prélever le loyer d’octobre à même le dépôt de sécurité[4]. La locatrice refuse.
[19] Le 9 octobre 2020 à 9 h12 du matin, le locataire écrit à M. Bélanger qu’il fera un virement le soir même, ce à quoi ce dernier répond « Non, on arrive ».
[20] Le locataire témoigne alors avoir été chercher en urgence 1 450 $ en argent comptant à la banque vers 9 h 30, somme qu’il rangera dans un tiroir. Il quitte ensuite pour aller travailler puisqu’aucun représentant de la locatrice ne s’était encore présenté au logement.
[21] Peu de temps après le départ du locataire, messieurs Jonathan Sibony et Samuel Bélanger se présentent au logement concerné et mettent les menaces de la locatrice à exécution. Ils mettent la presque totalité des biens du locataire dans des boîtes qu’ils entreposeront dans un autre lieu et ils changent les codes d’accès au logement.
[22] Alors que le locataire est au travail et que l’éviction sans autorisation légale du locataire est complétée, M. Sibony informe le locataire de ce fait, lui fait part que le logement était dans un état qu’il juge inacceptable et qu’il a constaté des contraventions à certaines clauses du bail, situations pour lesquelles il entend lui réclamer des dommages.
[23] De plus, M. Sibony précise au locataire qu’il lui interdit de retourner à son logement et l’invite à convenir avec lui des modalités pour la remise de ses biens. Il offre cependant au locataire de lui remettre le jour même ses médicaments, ce qu’il fit devant le logement.
[24] Le locataire réclamera sa réintégration dans le logement en promettant de payer le loyer le premier jour du mois à l’avenir, mais M. Sibony réitère son refus tout comme il refuse de lui remettre en tout ou en partie le dépôt de sécurité.
[25] Le locataire témoigne avoir contacté les policiers pour réintégrer son logement, mais affirme que ceux-ci ont refusé d’intervenir.
[26] Paniqué, désemparé et humilié, le locataire dormira dès lors dans la salle de repos des employés sur son lieu de travail, mais il louera également à plusieurs occasions des chambres d’hôtel afin de pourvoir à ses soins d’hygiène et afin d’exercer les droits d’accès à ses enfants dans un lieu plus approprié.
[27] Factures et preuves de paiement à l’appui, le locataire réclame 2 141,85 $ en remboursement des frais d’hôtels.
[28] Le locataire ne retrouvera un nouveau logement qu’à compter du 3 janvier 2021. La recherche d’un nouveau logement a été difficile, entre autres, vu qu’il manquait de liquidités et en raison des décisions résiliant ses baux antérieurs.
[29] Le locataire ne récupérera ses biens que le 27 janvier 2021 par suite d’un arrangement avec la locatrice lors de l’audience du 22 janvier 2021. Le locataire explique qu’il n’avait aucun endroit pour les mettre avant de trouver un nouveau logement.
[30] Le locataire réclame également 2 384,52 $ en dommages pour les frais de fourrière de son véhicule automobile.
[31] Le bail du locataire incluait l’usage d’un espace de stationnement extérieur désigné.
[32] Le locataire y stationnait sa voiture de l’année 2014 dont il estime la valeur à environ 3 000 $, mais laquelle ne pouvait être déplacée en raison d’un problème de batterie.
[33] Malgré des discussions entre le locataire et M. Sibony, le locataire n’est pas allé récupérer son véhicule dans les semaines suivant son éviction.
[34] Le 2 novembre 2020, alors que M. Sibony vient de prendre connaissance de la demande du locataire auprès du Tribunal, il informe le locataire que son véhicule sera remorqué le lendemain matin à défaut de le récupérer avant.
[35] La locatrice attendra cependant le ou vers le 7 novembre avant de mettre ses menaces à exécution et en informer le locataire lorsque ce dernier la questionne à ce sujet.
[36] Il appert en effet que M. Sibony a fait appel aux policiers en leur affirmant qu’il s’agissait d’un véhicule abandonné par un ancien locataire. Les remorqueurs privés contactés auparavant auraient refusé de procéder à l’enlèvement du véhicule.
[37] Ce sont donc les policiers qui auraient fait remorquer le véhicule dans une fourrière.
[38] Le locataire affirme qu’en date de l’audience, la fourrière lui réclame 2 384,52 $ de frais pour récupérer son véhicule, somme qui croît chaque jour et qu’il est incapable de payer.
[39] Le locataire n’avait cependant lors de l’audience aucun document au soutien de cet aspect de sa réclamation et malgré une autorisation de produire après l’audience, il ne produira rien.
[40] Pour ce qui est de la réclamation de 1 450 $ en remboursement du loyer d’octobre 2020, il s’agit en fait de l’argent comptant que le locataire avait retiré le 9 octobre 2020 pour acquitter le loyer et dont la locatrice a pris possession, sans le savoir, avec les biens du locataire.
[41] À tout événement, il appert d’une lettre de l’avocate de la locatrice produite après l’audience que cet argent liquide a bel et bien été retrouvé et récupéré dans les biens du locataire lors de leur remise le 27 janvier 2021, de sorte que cette réclamation est maintenant sans objet.
[42] Pour sa défense, la locatrice affirme que le bail comprend une clause lui permettant de le résilier avec un préavis de 48 heures dès qu’il y a retard dans le paiement du loyer et de procéder à l’éviction du locataire sans autre avis ni délai, mais surtout sans avoir à obtenir quelconque autorisation judiciaire que ce soit.
[43] M. Sibony affirme également que lorsqu’il a pénétré dans le logement le 9 octobre 2020, il croyait que le locataire avait déguerpi, compte tenu de la teneur des messages échangés, mais qu’il avait laissé ses biens sur place.
[44] Il invoque également avoir voulu protéger son immeuble du locataire en raison de l’état des lieux et de contraventions au bail qu’il a pu constater en pénétrant dans le logement.
[45] Les photos déposées en preuve par la locatrice (sans objection de la part de l’avocat du locataire) démontrent qu’il y avait présence d’une litière à chat et de mégots dans des cendriers, alors que le bail stipule une interdiction d’animaux et de fumer dans le logement. De plus, la locatrice affirme que le locataire avait débranché le détecteur de fumée.
[46] De plus, il appert des photos qu’il y avait de la vaisselle sale et des emballages alimentaires sur les comptoirs de cuisine et sur la table de salon.
[47] Enfin, la locatrice plaide avoir voulu aider le locataire qui était dans une situation difficile lors de la conclusion du bail et lui avoir ensuite donné assez de préavis avant de mettre ses menaces à exécution pour que celui-ci minimise ses dommages, ce qu’il aurait omis de faire.
L’éviction du locataire sans autorisation judiciaire
[48] Le droit au maintien dans les lieux du locataire d’un bail de logement est une des assises du droit locatif québécois. On ne peut y faire exception que dans les cas et selon les procédures prévues par la loi.
[49] De plus, le contenu et même la forme des baux sont strictement encadrés par la législation et la règlementation. Tout ce qui peut être écrit dans un bail, même librement consenti, n’est pas nécessairement opposable au locataire.
[50] L’article
[51] L’éviction forcée et
unilatérale d’un locataire sans recourir aux tribunaux est en quelque sorte la
faute ultime en matière de bail de logement. Tout
locataire a un droit personnel au maintien dans les lieux; il ne peut être évincé
du logement loué que dans les cas prévus par la loi (Art.
[52] En l’espèce et contrairement à ce que prétend M. Sibony, aucune clause du bail ne stipule que la locatrice peut unilatéralement changer les codes d’accès au logement et en évincer le locataire sans qu’il soit nécessaire d’obtenir préalablement une décision du Tribunal. Le cas échéant, une telle clause serait de toute façon contraire à l’ordre public.
[53] Si une partie croit
avoir droit à la résiliation du bail, à défaut de consentement de son
cocontractant, elle doit la demander au Tribunal (Art.
[54] Le bail stipule que la locatrice peut résilier le bail avec un préavis de 48 heures dès qu’il y a retard dans le paiement du loyer. Or, cette clause est contraire à l’ordre public et par conséquent nulle.
[55] L’article
[56] En l’espèce, au jour où la locatrice a procédé à l’éviction du locataire, elle n’était même pas encore en droit de déposer une demande en justice pour demander la résiliation du bail pour cause de non-paiement du loyer.
[57] Qui plus est, la preuve démontre qu’en date du 9 octobre 2020, le locataire avait bel et bien à son logement en argent comptant les sommes requises pour acquitter le loyer du mois courant, mais qu’en privant le locataire de ses biens, la locatrice s’est privée sans le savoir du recouvrement de sa créance et a privé le locataire de la possibilité de remédier à son défaut en temps opportun.
[58] Quant aux allégations de M. Sibony quant à l’état du logement et quant aux autres contraventions au bail, les photos qu’il a déposées à l’audience ne démontrent pas que le logement était insalubre au sens de la loi ou qu’il y avait urgence à en évincer le locataire pour en assurer la conservation.
[59] À tout événement, mais
même si tel avait été le cas, il demeure que la locatrice ne pouvait pas se
faire justice elle-même et qu’elle devait obtenir un jugement conformément à
l’article
[60] Enfin, la prétention de M. Sibony à l’effet qu’il croyait de bonne foi que le locataire avait déguerpi est en contradiction avec les autres moyens de défense et est clairement contredite par le contenu des échanges intervenus entre les parties avant et après l’éviction. Il a d’ailleurs fermement refusé de redonner accès au logement au locataire malgré de multiples demandes formulées dès le jour même.
[61] Pour ces raisons, il est clair que la locatrice a agi de manière fautive, il reste donc à déterminer le quantum des dommages à être accordés.
Les dommages moraux et matériels
[62] L’usage du stationnement faisant partie intégrante du bail de logement en l’instance, la locatrice ne pouvait pas unilatéralement et sans obtenir préalablement une décision du Tribunal résiliant le bail et ordonnant l’expulsion du locataire faire remorquer le véhicule du locataire.
[63] Au moment de faire remorquer le véhicule du locataire, la locatrice avait d’ailleurs déjà reçu notification de la demande en justice du locataire par laquelle il demandait une ordonnance afin de récupérer l’accès à son logement. Le texto de M. Sibony du 2 novembre 2020 à 13 h 28[5] laisse d’ailleurs peu de doute sur le fait que le remorquage du véhicule était en guise de représailles.
[64] Malgré la faute de la locatrice, le locataire n’apporte aucune preuve quant aux frais réclamés par la fourrière afin de récupérer son véhicule, et ce, malgré une autorisation de produire la preuve après l’audience.
[65] En l’absence de preuve de dommages, le Tribunal n’en accordera pas pour cet aspect de la demande.
[66] Quant aux dommages moraux, la preuve démontre que le locataire a subi un important traumatisme à la suite de son éviction et qu’il s’est littéralement retrouvé à la rue subitement.
[67] Il a été humilié, a dû dormir sur son lieu de travail et a loué des chambres d’hôtel pour exercer ses droits d’accès à ses filles et faire son hygiène personnelle. Les mois qui ont suivi ont été une source de stress, de déprime et d’inconvénients significatifs.
[68] Il a de plus été privé de l’accès à ses biens puisque la locatrice refusait de lui donner accès à ceux-ci à moins que ce soit pour en reprendre possession de manière définitive, ce qu’il ne pouvait faire tant qu’il n’avait pas trouvé un nouveau logement.
[69] Le locataire affirme d’ailleurs que la situation a été une source de dépression qui l’a ralenti dans ses démarches pour se trouver un nouveau logement.
[70] Il demeure que le locataire se devait de minimiser ses dommages malgré les difficultés auxquelles il devait faire face malgré lui. Le Tribunal estime que dans les circonstances, un délai de deux mois suivant l’éviction aurait été raisonnable afin qu’il trouve un nouveau logement.
[71] Selon ce raisonnement, le Tribunal accorde au locataire le remboursement de ses frais d’hôtel encourus de manière sporadique sur une période de deux mois, soit 1 698,51 $.
[72] De plus, la preuve entendue justifie l’octroi de 3 500 $ à titre de dommages moraux.
Les dommages punitifs
[73] Dans une affaire semblable[6], le juge administratif Serge Adam a écrit ce qui suit quant au droit applicable aux dommages punitifs et qui trouve ici également application:
Code civil du Québec
[44] L'article
[45] L'article
« 1934. Aucune serrure ou autre mécanisme restreignant l'accès à un logement ne peut être posé ou changé sans le consentement du locateur et du locataire.
Le tribunal peut ordonner à la partie qui ne se conforme pas à cette obligation de permettre à l'autre l'accès au logement. »
[46] L'article
« 1936. Tout locataire a un droit personnel au maintien dans les lieux; il ne peut être évincé du logement loué que dans les cas prévus par la loi. »
Charte québécoise des droits et libertés
« 4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation. »
« 5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée. »
« 6. Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi. »
« 7. La demeure est inviolable. »
« 8. Nul ne peut pénétrer chez autrui ni y prendre quoi que ce soit sans son consentement exprès ou tacite. »
« 49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnus par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.
En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages exemplaires.»
[47] Il y a eu définitivement atteinte intentionnelle et illicite aux droits fondamentaux des locataires de jouir de leur logement et à leur dignité.
[48] Le locateur savait ce qu'il faisait et avait parfaitement conscience que ses agissements avaient pour but d'obtenir que les locataires quittent leur logement sans avoir à obtenir au préalable quelque décision ou autorisation de ce faire.
[49] En somme, il s'est tout simplement rendu justice lui-même.
[50] Cette violation aux droits des locataires
reconnus par la Charte, notamment par cette intrusion cavalière au logement de
ces derniers et au surplus par le dépouillement de tout son contenu, justifie
l'octroi de dommages exemplaires ou punitifs en vertu de l'article
[51] L'article
«1621. Lorsque la loi prévoit l'attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.
Ils s'apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l'étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers.»
[52] La jurisprudence a également développé d'autres critères dont nous devons également tenir compte.
[53] Par exemple, le montant doit être suffisamment dissuasif pour marquer la réprobation sociale, favoriser la dénonciation sociale de ces actes fautifs et réprimer toute tentative de récidive. »
[74] Il est manifeste pour le Tribunal que la locatrice a agi en toute connaissance de cause et de manière intentionnelle. Elle est une personne morale pour qui la location de logements constitue l’entreprise. De plus, son principal dirigeant, M. Jonathan Sibony, est assisté dans la gestion des baux par un courtier immobilier, M. Samuel Bélanger.
[75] Il est impossible de plaider l’erreur de bonne foi, alors que le locataire a demandé de réintégrer son logement dès le jour de son éviction illicite.
[76] La preuve démontre que la locatrice adopte des pratiques d’affaires qui ont pour objectif avoué d’éluder l’application des règles d’ordre public relatives au bail de logement qui ne lui sont pas assez favorables selon ses souhaits.
[77] En date du 9 octobre 2020, la locatrice regrettait d’avoir consenti un bail au locataire et elle devait encore attendre avant de pouvoir demander la résiliation du bail devant le Tribunal. Elle s’est donc fait justice elle-même et a mis à exécution les menaces qu’elles avaient proférées à de nombreuses reprises auparavant.
[78] La vie privée du locataire a été violée ainsi que sa demeure lorsqu’on y a pénétré pour y prendre ses choses sans son consentement et lui en priver de la jouissance paisible.
[79] De plus, la dignité du locataire a été atteinte lorsqu’il a dû se résigner à vivre en bonne partie dans la salle de repos des employés sur son lieu de travail et louer des chambres d’hôtel pour recevoir ses enfants.
[80] Quant au montant des dommages punitifs, compte tenu de la gravité des faits, de la situation patrimoniale de la locatrice tel qu’exposée à l’audience et de ce qui est nécessaire pour prévenir une récidive, le Tribunal estime que l’octroi d’une somme de 5 000 $ à titre dommages punitifs fondés sur la Charte québécoise des droits et libertés est justifié.
La résiliation du bail et le recouvrement du loyer
[81] La locatrice demande de constater la résiliation du bail au 9 octobre 2020. Le Tribunal ne voit pas d’autres alternatives considérant que le logement a été reloué à un tiers de bonne foi avant l’audience.
[82] Néanmoins, le Tribunal précise que la résiliation du bail est au tort de la locatrice qui a agi de manière hautement répréhensible pour l’obtenir.
[83] Dans sa demande, elle demande également le recouvrement du loyer du mois d’octobre 2020 dans son entier, à savoir 1 450 $, mais admet à l’audience que le locataire n’a pas à payer le loyer pour la période postérieure à la résiliation du bail.
[84] Puisque la résiliation du bail est entièrement imputable à la faute de la locatrice, laquelle a d’ailleurs complètement privé le locataire de la jouissance des lieux à partir du 9 octobre 2020, le Tribunal détermine donc que le loyer dû par le locataire entre le 1er octobre 2020 et son éviction est de 375 $.
[85] Le Tribunal ne condamnera cependant pas le locataire à payer cette somme puisque les parties ont convenu à l’audience, le cas échéant, de déduire et d’opérer compensation à partir de la somme de 2 500 $ que la locatrice détient toujours à titre de dépôt.
[86] Quant au solde de 2 125 $ qui subsisterait relativement audit dépôt, le Tribunal ne peut statuer sur son sort puisque le locataire, de surcroit représenté par avocat, n’a pas réclamé celui-ci dans le cadre de la présente demande.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
Sur le dossier 542317
[87] CONDAMNE la locatrice à payer au locataire la somme de 5 198,51 $ à titre de dommages-intérêts;
[88] CONDAMNE la locatrice à payer au locataire la somme de 5 000 $ à titre de dommages punitifs;
[89] REJETTE la demande quant au surplus et quant à ses autres conclusions.
Sur le dossier 545612
[90] CONSTATE la résiliation du bail au tort de la locatrice en date du 9 octobre 2020;
[91] REJETTE la demande de la locatrice quant aux autres conclusions.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.