Décision

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Lalande c. Coopérative d'habitation Fortune

2022 QCTAL 29613

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

422710 31 20181011 G

No demande :

2605117

 

 

Date :

19 octobre 2022

Devant la juge administrative :

Claudine Novello

 

Jean Lalande

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Coopérative d'habitation Fortune

 

Locateur - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Par un recours introduit le 11 octobre 2018, le locataire demande une somme de 70 200 $ à titre de dommages subis à la suite d’une chute survenue dans un escalier extérieur le 17 novembre 2014 et au cours de laquelle le majeur de sa main gauche a été amputé.

[2]         Dans le cadre de sa demande, le locataire prétend que le retrait par le locateur de piquets décoratifs du garde-corps de l’escalier extérieur a rendu la main courante de celui-ci dangereuse. Plus particulièrement, il allègue que la modification apportée a créé un angle aigu entre la main courante et le pilier porteur de manière à former une guillotine à la base de l’escalier, là où le locataire a perdu son doigt.

[3]         Le locataire reproche au locateur d’avoir failli à son obligation de sécurité en apportant une modification intrinsèquement dangereuse à la main courante de l’escalier qui a eu pour effet de créer un piège, quelque chose de caché et intrinsèquement dangereux.

[4]         Le locataire reproche également au locateur d’avoir fait défaut de neiger et déglacer les escaliers, rendant leur utilisation d’autant plus dangereuse.

[5]         Le locateur nie toute responsabilité et avance que l’accident du locataire a été causé par sa faute, négligence et témérité. Il soumet qu’il n’y a aucun lien de causalité entre la prétendue faute que le locataire lui reproche et le préjudice subi par ce dernier, lequel résulte de son fait personnel.

[6]         Subsidiairement, dans la mesure où sa responsabilité serait retenue, il ajoute que les sommes réclamées par le locataire sont exagérées et qu’un montant de 50 000 $ serait plus approprié et justifié pour compenser le préjudice non pécuniaire du locataire.

CONTEXTE

[7]         Il convient de préciser que ce dossier a d’abord été introduit devant la Cour du Québec. Suite à la présentation d’un moyen déclinatoire relatif à sa compétence, la Cour a renvoyé le dossier devant la Régie du logement, aujourd’hui le Tribunal administratif du logement, aux termes d’une décision rendue le 18 septembre 2018 (500-22-242145-178).


[8]         La Coopérative d’habitation Fortune (la Coopérative) a acquis les 3 immeubles concernés vers le 23 janvier 2002 et aménagé 18 logements offerts en location à compter du 1er juillet 2002.

[9]         Les parties conviennent que les trois immeubles consistent en un tout. Ils sont gérés par le même conseil d’administration et les membres sont tous liés par les mêmes politiques et règlements, contenus dans le cahier des membres de la Coopérative.

[10]     Les faits mis en preuve démontrent que le 21 octobre 2009, les parties ont convenu d’un bail au loyer mensuel de 500 $. Le locataire occupe toujours son logement dont le loyer est maintenant de 504 $ par mois.

[11]     L’immeuble où se trouve le logement du locataire comporte trois étages et est attaché à deux autres immeubles identiques appartenant à la Coopérative.

[12]     La date de la construction des immeubles n’a pas été établie.

[13]     Chaque immeuble est muni d’un escalier extérieur, légèrement courbé, dun style typique à Montréal, qui conduit au deuxième étage. La course des escaliers se continue de l’intérieur pour les occupants qui habitent au troisième étage.

[14]     À l’origine, des piquets décoratifs dépassaient du garde-corps des escaliers. Au cours des années 2009 et 2012, le locateur, à la suite de plaintes des résidents, a retiré les piquets entre les montants reliant le garde-corps et la main-courante, aplanissant ainsi la surface du garde-corps entre ces interstices.

[15]     Il est prévu au bail que l’enlèvement de la neige des escaliers, de l’entrée, du balcon et du stationnement sont à charge du locataire. Dans les faits, il appert que les locataires du même immeuble se partagent la tâche du déneigement et de l’épandage de produits abrasifs fournis par le locateur.

[16]     Le 17 novembre 2014, le locataire, à l’époque âgé de 55 ans et administrateur de la Coopérative, reçoit l’appel d’un résident se plaignant de jappements de chien. Il se trouve alors chez sa copine qui habite au deuxième étage de l’immeuble mitoyen. Contrarié par cet appel, téléphone à la main, il enfile ses sandales en plastique (Crocs) et s’engage hâtivement dans l’escalier extérieur qui est recouvert d’une fine couche de neige mouillée.

[17]     Dans sa course, il glisse et dévale sur le dos la volée d’escaliers. Ne pouvant atteindre la main courante, il essaie de s’agripper au garde-corps afin d’arrêter sa course. Peine perdue, sa main longe la surface lisse du garde-corps jusqu’à la jonction de celui-ci avec la main-courante, coinçant son majeur dans l’étranglement qui s’apparente, dit-il, à une guillotine. Sous la violence du choc, son majeur est arraché. Il est amené rapidement à l’hôpital, mais son doigt ne peut être suturé.

[18]     Le locataire témoigne qu’afin de retrouver l’usage de sa main, il a dû subir des chirurgies, faire de la réadaptation et avoir de nombreux soins. Malheureusement, son nouveau handicap impacte dorénavant sa vie personnelle et professionnelle.

[19]     Depuis 1992, il est coordonnateur d’un service communautaire. La perte de son majeur rend les tâches cléricales plus ardues, il écrit moins vite au clavier, a plus de difficulté à manipuler les documents et se fatigue plus rapidement.

[20]     Passionné de musique et détenteur d’un baccalauréat dans cette discipline, son répertoire au piano et à la guitare s’est vu restreint. Il ne joue plus avec la même spontanéité et ne peut plus participer à des concerts ou philharmonies. Alors qu’il prévoyait se joindre à des groupes de musique à sa retraite, il doit renoncer à ce projet, ce qui le dévaste.

[21]     Le locataire explique que si le locateur avait laissé les piquets du garde-corps en place, il aurait pu s’y retenir et arrêter sa descente dans les escaliers. De plus, ces obstacles auraient empêché sa main et ensuite son majeur de s’introduire dans l’étranglement à la base de l’escalier, endroit caché, qui constituait un danger certain.

[22]     Au soutien de sa preuve, le locataire produit une expertise médicale qui établit à 8% son incapacité partielle permanente (IPP).

[23]     Il fait également témoigner un expert, l’ingénieur Éric Nadon, qui conclut que le retrait des piquets décoratifs du garde-corps a créé une condition dangereuse, conclusion contestée par la partie adverse. Il sera discuté plus longuement de ce rapport dans la prochaine rubrique.


DROIT APPLICABLE ET QUESTIONS EN LITIGE

[24]     Rappelons que le fardeau de la preuve repose sur les épaules du locataire qui doit démontrer le bien-fondé de sa demande (2803 du Code civil du Québec), en l’occurrence, la faute ou le défaut du locateur à son obligation d’entretien et de sécurité. Il doit ensuite faire la preuve de ses dommages et d’un lien de causalité direct entre ses dommages et la faute ou l’inexécution reprochée.

[25]     L’article 1458 du Code civil du Québec prévoit :

« 1458. Toute personne a le devoir d’honorer les engagements qu’elle a contractés.

Elle est, lorsqu’elle manque à ce devoir, responsable du préjudice, corporel, moral ou matériel, qu’elle cause à son cocontractant et tenue de réparer ce préjudice; ni elle ni le cocontractant ne peuvent alors se soustraire à l’application des règles du régime contractuel de responsabilité pour opter en faveur de règles qui leur seraient plus profitables. »

[26]     Les sanctions aux obligations contractuelles des parties, en l’occurrence le locateur, sont prévues à l’article 1863 du Code civil du Québec et comportent notamment le droit à des dommages.

[27]     Il est aussi pertinent de citer l’article 1613 du Code civil du Québec qui stipule :

« 1613. En matière contractuelle, le débiteur n'est tenu que des dommages-intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir au moment où l'obligation a été contractée, lorsque ce n'est point par sa faute intentionnelle ou par sa faute lourde qu'elle n'est point exécutée; même alors, les dommages-intérêts ne comprennent que ce qui est une suite immédiate et directe de l'inexécution. »

[28]     Dans la cause Charbonneau c. Desjardins Assurances générales inc.[1], le juge Dominique Goulet de la Cour supérieure a procédé à une analyse sur l’étendue de l’obligation de sécurité du locateur, dont il convient de reprendre les extraits pertinents :

« [61] En effet, l'article 1458 du Code civil édicte ce principe de la façon suivante :

Toute personne a le devoir d'honorer les engagements qu'elle a contractés.

Elle est, lorsqu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice, corporel, moral ou matériel, qu'elle cause à son cocontractant et tenue de réparer ce préjudice; ni elle ni le cocontractant ne peuvent alors se soustraire à l'application des règles du régime contractuel de responsabilité pour opter en faveur de règles qui leur seraient plus profitables.

[62] Les professeurs Baudoin et Deslauriers commentent cet article de la façon suivante :

Le second alinéa de l'article 1458 C.c.Q. a mis fin à la controverse en répudiant de façon non ambiguë la règle posée par la Cour suprême et en interdisant donc l'option de régime. Le but évident du législateur a été d'assurer l'intégrité du cercle contractuel et donc le respect intégral des conventions librement consenties entre les parties. Ce texte ne permet plus à l'un des contractants de se soustraire aux règles du régime contractuel, pour opter en faveur de règles plus profitables. (...).

[63] En l'espèce, il existe une relation contractuelle entre la demanderesse Nicole Charbonneau et les assurés de la défenderesse.

[64] En effet, ils sont liés par un bail de logement (P-15). D'emblée le bail produit prévoit que la location débute le 1 juillet 2008 mais la preuve révèle qu'une entente permet la prise de possession du logement avant cette date. En outre, la preuve révèle que la demanderesse est la locataire de l'assuré depuis au moins 3 ans.

[65] Précisons tout d'abord l'obligation du locateur. L'article 1864 du Code civil prévoit ce qui suit :

«Le locateur est tenu, au cours du bail, de faire toutes les réparations nécessaires au bien loué, à l'exception des menues réparations d'entretien; celles-ci sont à la charge du locataire, à moins qu'elles ne résultent de la vétusté du bien ou d'une force majeure».

[66] Dans un jugement rendu en 2007, traitant d'une chute sur un balcon, le juge Verrier analyse l'article 1864 et réfère à certains auteurs sur la question.

[67] Le Tribunal se permet de reprendre en partie son analyse.

« 19 Dans leur ouvrage «Droit spécialisé des contrats», les auteurs Denys-Claude Lamontagne et Bernard Larochelle mentionnent que : L'obligation du locateur consiste à maintenir le bien dans cet état matériel ou fonctionnel convenu, sans plus, ni moins. Cela implique nécessairement que le locateur doit entretenir non seulement le bien loué proprement dit, mais aussi ses accessoires et dépendances, le cas échéant. Cette obligation d'entretien en est une de résultat.


20 Ces auteurs y ajoutent une obligation accessoire, l'obligation de sécurité :

Jouir paisiblement d'un bien implique que le locataire puisse utiliser ce bien avec une confiance et une tranquillité d'esprit résultant de la pensée qu'il n'y a pas de péril à redouter, de danger à craindre ou qu'il y a absence de risque d'accident, dans les circonstances de l'usage normal du bien pour lequel il a été loué, et que le locateur se comportera en conséquence. C'est là une obligation de sécurité qui n'est pas contraire à la nature du contrat de louage et qu'il n'est pas déplacé de considérer comme une obligation contractuelle accessoire, selon les circonstances.

21 Me Pierre-Gabriel Jobin, dans son ouvrage «Le louage», mentionne que l'objet de l'obligation de sécurité du locateur est double. D'une part, le locateur doit éviter une défectuosité quelconque ou tout état de fait présentant un risque caché et anormal pour l'intégrité physique du locataire ou de ses biens. D'autre part, si le bien loué présente un danger inhérent et caché, le locateur doit en avertir le locataire.

22 L'auteur ajoute que le locateur doit garantir le locataire contre une défectuosité dangereuse, qu'il s'agisse d'un problème d'aptitude, d'un manque de réparation à la délivrance ou en cours de louage, et, plus généralement, contre un état de fait dangereux visé par l'obligation générale de procurer la jouissance paisible du bien. »

[…]

[69] Que ce soit l'obligation de maintenir en ordre le bien loué ou son accessoire nul besoin de discourir trop longuement sur la question, l'escalier représentait un véritable danger. Le locateur a certainement manqué à ses obligations. »

[Références omises]

[29]     Le Tribunal partage cette analyse.

LA FAUTE

[30]     Dans l’affaire qui nous occupe, le locataire reproche essentiellement deux fautes au locateur, soit la conception dangereuse de l’escalier à la suite du retrait de piquets et l’absence de déneigement.

L’ESCALIER

[31]     L’expert du locataire, l’ingénieur Éric Nadon, après inspection et analyse, conclut que la modification de l’escalier a créé une condition dangereuse, responsable du dommage subi par le locataire. À ce sujet, il s’exprime comme suit dans son rapport :

« La coupe des barreaux directement sous la main courante de l'escalier (on peut comparer les photos 1 et 2 en annexe pour identifier les barreaux) fait en sorte que la membrure métallique qui accueillait lesdits barreaux coupés est devenue lisse et continue et a donc pu s'apparenter à une deuxième main courante (art. A-3.4.6.4. 5) du Code National du Bâtiment dont l'extrait est joint en annexe).

En cas de perte d'équilibre, de chute ou de glissade, le réflexe normal d'un humain sera de tenter de s'agripper tant bien que mal à ce qui est à proximité soit généralement la main courante dans un escalier.

Or, selon les informations obtenues, le demandeur n'a réussi lors de sa chute/glissade (début de chute/glissade vers la 8e marche à partir du bas) qu'à s'agripper à la membrure métallique qui accueillait auparavant les barreaux coupés et non pas la main courante.

Selon la configuration/inclinaison de l'escalier, la glissade a emmené la main à suivre ladite pièce métallique telle une main courante jusqu'à un espace ciseau ayant été en mesure de sectionner le majeur du demandeur (voir photos 2, 3 et 4 en annexe).

Sans la coupe des barreaux mentionnés, la main du demandeur n'aurait pas pu suivre la pièce métallique jusqu'à l'espace ciseau et la main du demandeur aurait probablement pu s'agripper auxdits barreaux coupés (voir photo 1 en annexe) ou tout simplement relâcher la rampe de l'escalier.

En nous basant sur des extraits du Code National du Bâtiment (art. 3.4.6.4., art. A-3.4.6.4. 5), art. 9.8.7.2. et art. A-9.8.7.5.2) dont les extraits sont joints en annexe, on en vient à la conclusion que dans l'esprit de la réglementation, lorsqu'on modifie un escalier, qu'il faille raisonnablement anticiper de quelle façon pourrait être utiliser la rampe/main courante de façon commune ainsi qu'en cas de chute et prévoir tout danger potentiel afin de l'éliminer.

Dans le cas présent, il fallait considérer qu'en cas de chute, une personne, voire un enfant pourrait avoir à s'agripper à la main courante originale ou à la pièce métallique sous-jacente (pièce modifiée) qui avait toutes les allures d'une main courante.

En ce sens, une main courante doit être continue et ne pas représenter de risque, ce qui de toute évidence n'était pas le cas comme l'a démontré l'accident survenu.

D'ailleurs d'autres possibilités auraient pu être envisagées afin d'éviter tout risque d'accrochage de vêtement dans les barreaux qui ont été coupés comme l'allongement des barreaux jusqu'à la main courante. Cette méthode n'aurait pas causé de condition dangereuse potentielle et aurait réglé les accrochages de vêtement.


En définitive, nous sommes d'avis que la modification de l'escalier, soit la coupe des barreaux indiqués en annexe (on peut comparer les photos 1 et 2 en annexe pour identifier les barreaux), a causé une condition dangereuse s'étant concrétisée puisque la pièce métallique où ont été coupé les barreaux avait toutes les apparences d'une main courante et qu'elle conduisait directement à un espace ciseau pouvant coincer/blesser/couper en raison des risques de chute accrus dans un escalier de ce genre de configuration/inclinaison. »

[32]     L’année de la construction de l’immeuble n’ayant pas été établie par Monsieur Nadon, il est donc difficile de conclure que l’escalier le desservant ne respectait pas les normes en vigueur au moment de son installation.

[33]     Quoi qu’il en soit, il a été déterminé que l’obligation de sécurité imposée au locateur ne se limite pas au respect des normes minimales prescrites par la réglementation[2].

[34]     À l’instar de l’expert, le Tribunal conçoit qu’en retirant les piquets, le locateur a créé en quelque sorte une seconde main courante. Cette main courante, dépourvue de piquets, a empêché le locataire de s’y agripper et de freiner sa course, ce qui aurait pu éviter le sectionnement de son doigt.

[35]     Ainsi, en modifiant l’escalier, le locateur l’a rendu dangereux, contrevenant ainsi à son obligation de sécurité.

DÉNEIGEMENT

[36]     En ce qui concerne le déneigement et le déglaçage de l’escalier de chacun des immeubles, la preuve révèle que cette obligation incombait aux locataires.

[37]     Tel que le rappelle la juge Suzanne Ouellet de la Cour supérieure dans l’affaire E.M. c. Lagueux[3], l’entretien hivernal d’un stationnement constitue une obligation de moyen.  Par analogie, on peut conclure que ce même principe s’applique aussi à l’entretien des escaliers extérieurs comme c’est le cas en l’espèce.  À ce sujet, la juge Ouellet s’exprime comme suit :

« [59] En effet, lorsqu'il loue un bien, un locataire est en droit de s'attendre à ce que le seul accès possible en hiver soit correctement entretenu et ne présente pas de danger. Le locateur doit prendre les mesures appropriées.

[…]

[61] De plus, le fait qu'un tiers soit chargé d'une partie de l'entretien ne libère pas le locateur de son obligation à l'égard du locataire:

«Que le propriétaire charge ses locataires ou même un tiers d'exécuter cette obligation d'entretien importe peu. Il reste responsable en principe à l'endroit de la victime, quitte ensuite à se retourner contre le locataire ou le tiers au terme de l'entente qu'il a pu conclure avec eux.»

[62] Ceci dit, l'entretien adéquat relève cependant de l'obligation de moyens.

[63] Il s'agit de "moyens raisonnables pour assurer la sécurité des usagers" en tenant compte toutefois des particularités de chaque affaire.

[64] Dans l'affaire Ouellet c. Société immobilière Arbois inc., le juge Pierre Coderre, j.c.q. écrit:

«[35] Dans le présent dossier, compte tenu de la situation hivernale notoire au Québec, le Tribunal est d'avis que Arbois [locateur] avait, au moment de l'incident, une obligation de moyens. Elle n'était pas tenue de s'assurer qu'en tout temps le stationnement soit exempt de glace ou de neige.»

[65] Dans l'affaire Fortin c. Gestion Mimax Inc., le juge Blanchet, j.c.s. rappelait ce qui suit :

«Au Québec, en particulier, les accumulations de neige et les variations importantes de la température pendant la période hivernale engendrent souvent des conditions de circulation périlleuses pour toute personne circulant à pied ou en automobile. Dans ce contexte, chacun doit faire montre de prudence dans ses déplacements. Le propriétaire d'un établissement, par ailleurs, ne saurait raisonnablement être tenu de surveiller constamment ses voies d'accès ni d'y appliquer des mesures de sécurité allant au-delà de celles que l'usager lui-même appliquerait à son domicile. »

[Références omises]

[38]     Ici, il appert quau moment de l’accident du locataire, le 17 novembre 2014, une fine couche de neige était tombée récemment et il y avait de la « gadoue » sur les marches d’escalier. Il s’agit d’une condition météorologique prévisible à Montréal à cette période de l’année.


[39]     Les faits soumis sont loin de permettre au Tribunal de conclure à une négligence du locateur, alors que la chute de neige, appert-il, était concomitante à l’accident du locataire et que les locataires de cet immeuble n’avaient pas encore eu l’opportunité de déneiger et déglacer. Par ailleurs, rien n’indique à ce stade que les locataires faisaient défaut à leur obligation de déneiger et déglacer les escaliers. Dans les circonstances, le locateur ne peut donc en être tenu responsable.

DOMMAGES

[40]     Bien que la responsabilité du locateur soit reconnue, reste que le locataire, par sa négligence et témérité a, de l’avis du Tribunal, grandement contribué à sa chute.

[41]     En effet, la preuve révèle que le locataire a fait preuve de négligence en s’engageant de manière imprudente dans les escaliers, téléphone à la main et chaussé de sandales en plastique (Crocs) alors qu’une fine couche de neige recouvrait les marches. Nul doute que ce comportement téméraire a grandement contribué à l’accident.

[42]     Dans les circonstances, le Tribunal estime qu’il y a lieu d’appliquer un partage de responsabilité entre le locateur et le locataire en vertu de l’article 1478 du Code civil du Québec.

[43]     À ce sujet, les auteurs Pierre-Gabriel Jobin et Nathalie Vézina[4] expliquent ce qui suit :

« Par ailleurs, si une faute du créancier se combine avec celle du débiteur pour entraîner l'inexécution du contrat et causer un préjudice au créancier, il y aura partage de la responsabilité. Deux fautes sont alors nécessaires, soit celle de la victime et celle de l'auteur. Cette faute contributive de la victime n'a généralement pas l'effet d'une exonération complète pour l'auteur du dommage, mais ne fait qu'atténuer la responsabilité de ce dernier. La responsabilité sera alors partagée en proportion de la gravité respective de leurs fautes. […] »

[44]     Après évaluation de la gravité des fautes respectives de chaque partie, le Tribunal conclut à un partage de responsabilité à hauteur de 40% pour le locateur et 60 % pour le locataire.

[45]     En ce qui a trait aux dommages réclamés, à la lumière de la preuve présentée et des principes applicables[5], le Tribunal établit à 50 000 $ la perte non pécuniaire du locataire.

[46]     Conséquemment, en tenant compte du partage de responsabilité ci-dessus mentionné, le Tribunal octroie au locataire la somme de 20 000 $.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[47]     CONDAMNE le locateur à payer au locataire la somme de 20 000 $, avec les intérêts au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, et ce, à compter du 11 octobre 2018, plus les frais de 84 $.

 

 

 

 

 

 

 

 

Claudine Novello

 

Présence(s) :

le locataire

Me Normand Pépin, avocat du locataire

le mandataire du locateur

Me Béatrice Boucher, avocate du locateur

Dates des audiences :

1er juin et 21 septembre 2021

Présence(s) :

le locataire

Me Normand Pépin, avocat du locataire

Me Béatrice Boucher, avocate du locateur

Date de l’audience : 

1er août 2022

 

 

 


 


[1] 2012 QCCS 414.

[2] Proulx c. Compagnie d’assurance ING du Canada, 2007 QCCS 7003.

[3] 2009 QCCS 1315.

[4] Jean-Louis Baudouin, P.-G. Jobin et N. Vézina, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, par.  853.

[5] Gagné c. Gagné, 2020 QCCS 1408.

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