Gautier c. Streicher |
2021 QCTAL 263 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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No dossier : |
496822 31 20191216 G |
No demande : |
2915331 |
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Date : |
05 janvier 2021 |
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Devant la juge administrative : |
Isabelle Hébert |
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Manon Gautier
Maxime Miranda |
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Locataires - Partie demanderesse |
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c. |
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Hubert Streicher |
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Locateur - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Les
locataires demandent au Tribunal d’ordonner au locateur de respecter ses
obligations en matière d’accès au logement; une diminution de loyer (1210 $),
des dommages-intérêts matériels (212,34 $), moraux (3000 $) et
punitifs (1000 $), avec les intérêts au taux légal et l’indemnité
additionnelle prévue à l’article
[2] Les locataires ayant quitté le logement depuis le dépôt de leur recours, la demande d’exécution devient sans objet.
QUESTIONS EN LITIGE
1. Les locataires ont-ils droit à une diminution de loyer?
2. Les locataires ont-ils droit à des dommages?
3. Le représentant du locateur a-t-il harcelé et porté atteinte au droit à la vie privée des locataires, le cas échéant, les locataires ont-ils droit à dommages punitifs?
CONTEXTE
[3] Les parties étaient liées par un bail reconduit du 1er juin 2019 au 31 mai 2020 et dont le loyer s’élevait à 1210 $.
[4] Les locataires ont quitté le logement à la fin du bail.
[5] Ils rapportent que le 10 octobre 2019, une infiltration d’eau est survenue dans le logement.
[6] Le même jour, alors que le locataire dort, Gilles, concierge et représentant du locateur, entre dans le logement sans avis préalable.
[7] Il revient plus tard avec des ouvriers.
[8] À compter de cette date, les locataires ne peuvent jouir pleinement de leur logement et ce, jusqu’à ce que les réparations soient complétées, soit vers le 20 novembre 2019.
[9] Ils évoquent la présence importante de poussière, qui les aurait empêchés de cuisiner. Aussi, ajoute le locataire, des débris tombaient du plafond lorsqu’ils étaient sous la douche.
[10] Le locataire mentionne aussi qu’il régnait alors une odeur de moisi et d’humidité.
[11] Ainsi, durant toute la durée des travaux, les locataires n’ont pu jouir pleinement de leur logement, devant constamment nettoyer les dégâts et parfois aller dormir ailleurs.
[12] De plus, ils dénoncent le harcèlement subi de la part de Gilles, concierge à l’immeuble et employé du locateur.
[13] Non seulement le concierge entrait dans le logement à tout moment et sans avis, surprenant les locataires et les dérangeant dans leur jouissance paisible et leur vie privée, mais il les traitait aussi sans considération et respect.
[14] Plus particulièrement, le concierge aurait exprimé des propos misogynes et dégradants à l’égard de la locataire, disant qu’elle n’était pas intelligente, la traitant de fifille et déclarant sans détour qu’il préférait traiter avec le locataire concernant les travaux, qui sont une affaire d’hommes.
[15] Enfin, le locataire prétend que Gilles aurait pris le store de la cuisine sans les aviser au préalable et qu’au moment où il retournait ce store, il l’aurait brandi à son endroit, en guise de menace.
[16] Le témoignage du locateur est bref. Il se limite à déclarer qu’il a agi avec diligence dès qu’il a été avisé de l’infiltration. Il n’est pas d’accord avec les témoignages des locataires qui, selon lui, exagèrent quant à l’impact des travaux.
[17] Au sujet de Gilles, son employé, bien qu’il admette qu’il puisse être rude, il mentionne qu’il lui rend de bons services depuis plus de vingt-cinq ans.
[18] Ainsi, prétend le locateur, même s’il était prêt à dédommager les locataires pour les inconvénients subis, la situation qu’ils ont vécue ne justifie pas les montants réclamés.
ANALYSE
Preuve
[19] Rappelons d’abord que selon les règles de preuves applicables, celui qui veut faire valoir un droit doit démontrer ses prétentions par prépondérance, soit en établissant que l’existence d’un fait est plus probable que son inexistence[1].
Harcèlement
[20] Conformément au Code civil du Québec, un locateur ou son représentant ne peut user de harcèlement envers un locataire:
1902. Le locateur ou toute autre personne ne peut user de harcèlement envers un locataire de manière à restreindre son droit à la jouissance paisible des lieux ou à obtenir qu’il quitte le logement.
Le locataire, s’il est harcelé, peut demander que le locateur ou toute autre personne qui a usé de harcèlement soit condamné à des dommages-intérêts punitifs.
[21] Dans Sarault c. Ohana[2], la juge administrative Jodoin citant elle-même un article de Me Pierre Pratte[3], rappelle la définition du harcèlement :
[77] L'article
[78] Dans son article intitulé «
Le harcèlement envers les locataires et l'article
« De façon générale, le harcèlement suppose une conduite qui, en raison de l'effet dérangeant qu'elle produit avec une certaine continuité dans le temps, est susceptible de créer éventuellement, chez la victime, une pression psychologique suffisante de manière à obtenir le résultat ultimement recherché par l'auteur de cette conduite. Plus spécifiquement, le harcèlement interdit aux termes de l'article 1902 pourrait, à notre avis, être décrit comme suit :
« Une conduite se manifestant par des paroles ou des actes et ayant comme conséquence de restreindre, de façon continue, le droit d'un locataire à la jouissance paisible des lieux ou d'obtenir qu'il quitte le logement ».
[79] Il ajoute ce qui suit :
« Toute conduite ayant une conséquence de restreindre la jouissance du locataire ne constitue pas nécessairement du harcèlement; elle doit être une tactique choisie dans la mise en œuvre d'une stratégie plus ou moins planifiée en vue d'atteindre un objectif recherché et son effet immédiat (l'effet dérangeant) doit apparaître comme un objectif intermédiaire ou secondaire ».
[80] À cet égard, il fut reconnu que le harcèlement ne peut être apprécié de façon subjective puisque cela reviendrait à qualifier la situation à partir de la perception personnelle du locataire.
[81] Comme mentionné ci-haut, la relation contractuelle des parties a été jalonnée de conflits et litiges acrimonieux et ce, depuis, semble-t-il l’arrivée du locataire dans le logement il y a plusieurs années. Dans les décisions soumises, on peut y lire certains constats.
[Soulignements ajoutés]
[22] Tel qu’il ressort de cette définition, le harcèlement implique une intention de nuire ou de déranger dans un but recherché. Il est important de rappeler que toute restriction à la jouissance ou présence d’un conflit ne constitue pas nécessairement du harcèlement[4].
[23] En application de ces principes, le Tribunal est d’avis que les locataires n’ont pas démontré avoir subi de harcèlement de la part de l’employé Gilles.
[24] Certes, ce dernier est rude, se comporte de façon cavalière et traite les locataires avec irrespect et impolitesse et ce, particulièrement lorsqu’il s’adresse à la locataire. Bien que Tribunal déplore l’inaction du locateur qui banalise le comportement de son concierge, sous prétexte qu’il s’agit d’un bon employé qui travaille pour lui depuis de nombreuses années, à la satisfaction de la plupart des autres locataires, aucun élément de preuve ne vient démontrer que le comportement du concierge constituait une tactique visant à atteindre un objectif recherché.
[25] Par ailleurs, il a été démontré que le concierge Gilles était entré plusieurs fois au logement sans avis préalable et ce, même lorsqu’il ne s’agissait pas d’une urgence.
[26] Avec égards, le Tribunal ne partage pas l’avis du locateur, qui tente de justifier que son concierge soit entré dans le logement dans le cadre de l’exécution de travaux qu’il qualifie d’urgents. En effet, mis à part le jour où l’infiltration a été constatée, le 10 octobre 2019, le représentant du locateur n’était pas justifié de s’introduire dans le logement sans avis préalable. L’exécution des travaux, s’étant étalée durant plus d’un mois, son intervention n’était plus urgente.
[27] Or, selon la Charte québécoise des droits et libertés[5]:
5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée.
7. La demeure est inviolable.
8. Nul ne peut pénétrer chez autrui ni y prendre quoi que ce soit sans son consentement exprès ou tacite.
49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.
En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.
[28] Le concierge Gilles a fait fi de ces règles, violant la vie privée des locataires, entrant chez eux quand bon lui semblait. Cette atteinte illicite et intentionnelle donne ouverture aux dommages punitifs, dans le but de punir et dissuader afin d’éviter que de tels actes ne se reproduisent[6].
[29] Conséquemment, le Tribunal condamnera le locateur à payer un montant de 1000 $ à titre de dommages punitifs.
Diminution et dommages
[30] La loi impose au locateur plusieurs obligations, dont celles de maintenir le logement en bon état de réparation, de procurer la jouissance paisible du logement et d’y effectuer les réparations nécessaires[7].
[31] En cas d’inexécution d’une obligation du locateur, le locataire peut notamment réclamer l’exécution en nature, des dommages-intérêts et une diminution de loyer[8].
[32] Ce dernier recours, qui vise à rééquilibrer les prestations des parties, est accueilli lorsqu’il y a démonstration d’une perte réelle, sérieuse, significative et substantielle[9].
[33] Or, la preuve révèle une telle perte, les infiltrations et l’exécution des travaux requis pour y pallier, ayant empêché les locataires d’obtenir la pleine jouissance paisible des lieux.
[34] En matière de diminution de loyer, l’auteur Denis Lamy rappelle que la diminution doit être évaluée de façon objective, globale et équitable[10]. Cela implique notamment la nécessité de sa détermination objective, par opposition à une évaluation subjective.
[35] Compte tenu de ces critères, une diminution finale et globale de 500 $ sera accordée.
[36] Dans l’établissement de ce montant, le Tribunal tient compte de l’ampleur du problème démontré mais aussi du fait qu’il était circonscrit à une partie du logement.
[37] Cependant, les faits présentés en preuve n’entraîneront pas la condamnation du locateur aux dommages matériels et moraux réclamés, le locateur ayant agi avec diligence, une fois avisé du problème d’infiltration.
[38] En effet, bien que le locataire dénonce la durée des travaux, il reste qu’il n’est parfois pas si simple de résoudre rapidement un problème affectant la plomberie d’un immeuble d’un certain âge et comptant dix-sept logements.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[39] DIMINUE le loyer d’une somme finale et globale de 500 $ pour la période allant du 10 octobre 2019 au 31 mai 2020;
[40] Et, en conséquence :
[41] CONDAMNE le locateur à payer aux locataires la somme de 500 $ à titre de diminution de loyer finale et globale applicable du 10 octobre 2019 au 31 mai 2020;
[42]
CONDAMNE le locateur à payer aux locataires une somme additionnelle
de 1000 $, avec les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle
prévue à l’article
[43] REJETTE la demande quant aux autres conclusions.
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Isabelle Hébert |
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Présence(s) : |
les locataires le locateur |
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Date de l’audience : |
9 novembre 2020 |
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[1]
Art.
[2] 2018 QCRDL, 23695.
[3]
Le harcèlement envers les locataires et l’article
[4] Denis Lamy, Le harcèlement entre locataires et propriétaires, Montréal, Éditions Wilson & Lafleur ltée 2004, p. 206 et ss.
[5] RLRQ, c. C-12.
[6]
Syndicat national des employés de
l'Hôpital St-Ferdinand c. Québec
(Curateur public),
[7] Art.
[8] Art.
[9] Denis Lamy, La diminution de loyer, Wilson & Lafleur Ltée, 2004, p. 29-30.
[10] Précité note 6, p. 19 et ss.
[11] Conformément au Tarif des frais exigibles par la Régie du logement, RLRQ, c. R-8.1, r. 6 (À noter que selon le Projet de loi 16 (2019, chapitre 28), entré en vigueur le 31 août 2020, la Régie du logement devient le Tribunal administratif du logement).
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