Section des affaires immobilières
En matière de fiscalité municipale
Référence neutre : 2023 QCTAQ 01422
Dossier : SAI-M-302342-2010
Devant les juges administratifs :
CHARLES GOSSELIN
JACQUELINE FRANCOEUR
c.
Aperçu
[1] La requérante demande au Tribunal (TAQ) de révoquer ou réviser la décision incidente rendue dans le présent dossier le 17 mai 2022 par le TAQ (TAQ1), prétendant à un vice de fond de celle-ci en application de l’article
[2] Cette décision incidente a été rendue dans le cadre du recours principal intenté par la requérante en contestation de la valeur déposée de l’unité d’évaluation dont elle est propriétaire à La Prairie pour le rôle triennal d’évaluation 2020-2021-2022.
[3] La décision incidente de TAQ1 porte sur la demande de la requérante d’avoir accès à certains documents; la possibilité de les consulter fondée sur l’article
[4] Ces documents sont :
a) Application de la méthode de la comparaison, montrant un tableau contenant un
ensemble de 5 comparables;
b) Application de la méthode de la comparaison, montrant un tableau contenant un
autre ensemble de 5 comparables;
c) Tableau explicatif de codes « A », « B », « C », « D », « E »;
d) Autre tableau explicatif de codes « A », « B », « C », « D », « E »;
e) Tout document constatant l’établissement de la valeur de la partie terrain de
l’immeuble.
[5] Par cette décision TAQ1 rejette la requête de la requérante pour transmission de documents et accès à ceux-ci.
Cadre légal
[6] L’article
154. […]
1° lorsqu’est découvert un fait nouveau qui, s’il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu’une partie n’a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu’un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
[…]
[7] Dans le présent cas, tel que l’écrit la partie requérante au premier alinéa de sa requête, celle-ci est fondée sur l’alinéa 3 de l’article
Litige
[8] Les arguments invoqués par la requérante suffisent-ils pour que la présente formation du Tribunal puisse révoquer ou réviser la décision rendue par TAQ1 le 17 mai 2022 ?
[9] En vertu des motifs qui suivent la présente formation du TAQ (TAQ2) répond non.
Analyse
[10] Il importe en premier lieu de situer le cadre d’application de l’article 154(3) sur lequel la requérante fonde sa présente demande[1], et qui encadre l’intervention du Tribunal en pareil cas.
[11] Dans un récent jugement[2], la Cour Supérieure, citait avec à propos la Cour d’Appel du Québec dans l’arrêt Corbi[3] à propos de la nature d’un vice de fond:
« Rappelons en effet que le recours créé par cette disposition n’est ni un appel … ni…l’équivalent d’un contrôle judiciaire et qu’il implique donc une norme d’intervention plus sévère, la fonction de révision étant limitée à la seule correction des vices de fond ou de procédure (ce qui peut justifier la révocation ou la modification de la décision initiale)[4]. Cela étant, et pour éviter que la révision ne devienne un appel ou ne mime le contrôle judiciaire, la jurisprudence définit strictement le « vice », et en particulier le « vice de fond » dont il est ainsi question (la notion de « vice » étant utilisée dans plusieurs lois québécoises prévoyant un recours comme celui de l’art. 49 al. 1(3) L.i.t.a.t.[5]). Ainsi, comme l’écrit la Cour :
[65] Nous l’avons vu, un vice de fond n’est pas une divergence d’opinions ni même une erreur de droit. Un vice de fond de nature à invalider une décision est une erreur fatale qui entache l’essence même de la décision, sa validité même.
[66] Les qualificatifs utilisés par la Cour ne manquent pas : « serious and fundamental defect, fatal error, unsustainable finding of facts or law », décision ultra vires ou légalement nulle.[6]
[Soulignements ajoutés]
[12] Et la Cour d’appel d’ajouter :
« On parle donc ici d’une erreur si grossière qu’elle invalide la décision ou en fait une décision qui, à sa lecture même, est indéfendable (un qualificatif fort), une erreur, en somme, dont « la gravité, l’évidence et le caractère déterminant »[7] sautent aux yeux[8]. C’est à l’identification et à la correction de ce genre d’erreur qu’est limité le pouvoir de révision conféré au TAT par l’art. 49 al. 1(3°) L.i.t.a.t. »[9]
[13] Le Tribunal dans une décision très élaborée[10] ajoute ce qui suit :
« [22] Un vice de fond de nature à invalider une décision est plus qu'une simple erreur de droit ou d'interprétation. En conférant au Tribunal administratif le pouvoir d'invalider sa propre décision pour un vice de fond, les législateur/es lui confèrent en quelque sorte le pouvoir de la Cour supérieure d'invalider une décision d'un tribunal inférieur qui lui a été rendue (sic) illégalement. Il y a évidemment une différence entre une décision mal fondée et une décision invalide. Les mots «de nature à invalider » n'ont pas été utilisés à la légère. Le Tribunal administratif ne peut invalider sa propre décision qu'en présence d'un vice de fond qui rend la décision, non seulement mal fondée, mais illégale...
[23] Une divergence d'opinion, même sur une question importante, ne constitue pas un vice de fond. »
[14] La partie requérante soutient qu’il y a absence de qualification juridique sur certains points de la décision de TAQ1, notamment sur la notion invoquée de dossier de l’évaluateur et dossier du Tribunal.
[15] Avec égard et respect pour la partie requérante, TAQ2 reprend à son compte la distinction qu’apportait TAQ1 au paragraphe 20 de sa décision à propos des documents demandés, soit que les documents demandés font partie du dossier de l’évaluateur au sens de l’article
[16] À l’évidence, nous ne sommes pas dans ce cas en présence d’un vice de fond de nature à invalider la décision rendue par TAQ1, car celui-ci a clairement fait la distinction entre le dossier de l’évaluateur et celui du Tribunal en se basant sur le fondement juridique approprié des articles
[17] La requérante argumente de plus que TAQ1 a fondé sa décision sur une mauvaise interprétation de la loi (art
➢ Boehringer Ingelheim Canada c. Laval (Ville),
(ci-après « Boehringer 1 »);
➢ Boehringer Ingelheim (Canada) inc. c. Laval (Ville),
(ci-après « Boehringer 2 »).
[18] Le point déterminant, selon la requérante, provient de l’abolition de la règle 15 des règles de pratique du TAQ en 2020, ce qui a eu pour résultat que la décision Boehringer 2 est en quelque sorte devenue caduque et par conséquent a fait renaître Boehringer 1, malgré sa révocation. Elle prétend la même chose eu égard à la décision S.E.C. Investissements Mnk c. Laval (Ville) 2020 CanLII 108584 (QC TAQ) lorsqu’elle affirme que cette décision perd son assise du fait de la disparition de l’ancienne règle 15 des Règles de pratique du Tribunal.
[19] La présente formation du Tribunal est en désaccord avec cette opinion émise par la requérante.
[20] Force est de constater qu’il y a divergence d’opinions entre l’interprétation de la jurisprudence que se fait la partie requérante de celle de TAQ1.
[21] Or, une opinion sur l’interprétation divergente de la jurisprudence ou d’un article d’une loi par une formation du TAQ ne peut constituer un vice de fond tel qu’il appert de la jurisprudence citée antérieurement dans la présente décision.
[22] L’article
(114) L’autorité administrative dont la décision est contestée est tenue, dans les 30 jours de la réception de la copie de la requête, de transmettre au secrétaire du Tribunal et au requérant copie du dossier relatif à l’affaire ainsi que le nom, l’adresse et le numéro de téléphone et de télécopieur de son représentant.
L’organisme municipal responsable de l’évaluation est tenu dans le même délai de transmettre la demande de révision et la proposition ou la décision de l’évaluateur, les documents qui lui sont remis à l’occasion de cette révision et ceux auxquels sa proposition ou sa décision réfère et, le cas échéant, tout certificat de l’évaluateur émis depuis la date du dépôt de la requête introductive du recours.
L’accès au dossier ainsi transmis demeure régi par la loi applicable à l’autorité administrative qui l’a transmis.
1996, c. 54, a. 114; 2002, c. 22, a. 7.
[soulignement nôtre]
[23] La modification de l’article 15 des anciennes règles de procédure est la conséquence de l’adoption de l’article
[24] Ainsi, la présente formation du Tribunal endosse la position de l’intimée à l’effet qu’il ne peut être plaidé à l’encontre de la réalité de l’énumération exhaustive contenue à 114 LJA, telle que l’indique une décision du TAQ relativement récente[11] dans laquelle on confirme l’exhaustivité de l’énumération faite à l’article
[25] Encore une fois, on peut être ou ne pas être en accord avec l’interprétation donnée par TAQ1 eu égard à l’article
[26] Quoi qu’il en soit, en matière de contestation d’une interprétation soupçonnée d’être erronée par une partie insatisfaite d’une décision rendue par le TAQ, celle-ci doit s’adresser à la Cour du Québec, sur permission, c’est celle-ci qui a juridiction en cette matière[12].
[27] Enfin, TAQ1 signale dans la décision attaquée que l’immeuble en cause est un cottage unifamilial évalué à 494 000 $ au rôle 2020‑2021-2022 et que depuis le dépôt du recours le Tribunal a tenu deux auditions sur trois requêtes préliminaires et une conférence de gestion.[13] S’ajoute à ces procédures la requête en révision ou révocation dont dispose TAQ2 dans la présente décision.[14]
[28] Cet amas de procédures dans un litige de relative faible envergure va à l’encontre du principe de proportionnalité tel que l’énonce l’article 2 des règles de procédure du Tribunal que ce dernier se doit de faire respecter à toutes étapes du déroulement d’un recours en fonction de la nature et de la complexité de ce recours.
[29] À l’évidence, le recours principal de la partie requérante dans le présent cas est d’une nature qui n’est aucunement complexe.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
REJETTE la requête,
Le tout frais à suivre.
CHARLES GOSSELIN, j.a.t.a.q.
| JACQUELINE FRANCOEUR, j.a.t.a.q. |
Marc-André Rouet, avocat
Procureur de la partie requérante
Bélanger Sauvé
Me Patrice Ricard
Procureur de la partie intimée
[1] Voir paragraphe 1 de la requête.
[2] Louis Brais c. Tribunal administratif du Québec et Procureur général du Québec dossier 755-17-002857-
186, en date du 14 janvier 2022.
[3] Corbi c. Ville de Montréal et als
[4] À ce propos, voir notamment : Trentway-Wagar inc. c. Cormier, préc., note 13, paragr. 19.
[5] Par ex., on pourra voir aussi les dispositions suivantes : art. 128 al. 1(3°) de la Charte des droits et libertés,
RLRQ, c. C-12; art. 123 al. 2(3°) de la Loi sur la fonction publique, RLRQ, c. F-3.1.1; art. 115.15.7 al. 1(3°)
de la Loi sur l’encadrement du secteur financier, RLRQ, c. E-6.1; art. 154 al. 1(3°) de la Loi sur la justice
administrative, RLRQ, c. J-3; art. 18.6 paragr. c) de la Loi sur la protection du territoire et des activités
agricoles, RLRQ, c. P-41.1.
[6] Moreau c. Régie de l'assurance maladie du Québec,
arrêt). Dans le même sens, voir : Trentway-Wagar inc. c. Cormier, préc., note 13, paragr. 21-24 et 26-27;
Ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale c. R.C.,
du Québec c. Bouchard,
Fontaine;
[7] Patrice Garant, Philippe Garant et Jérôme Garant, Précis de droit des administrations publiques, 6e éd.
Éditions Yvon Blais, 2018, p. 267.
[8] C’est d’ailleurs la définition qu’a retenue la décision TAT-2, en l’espèce, paragr. 34 à 36.
[9] Corbi c. Ville de Montréal,
du Tribunal administratif du travail qui est libellé dans les mêmes termes que celui du TAQ à l’article
[10] Marcellin Bélanger c. Municipalité de St-Marcel 2013 Can LII 5732
[12] Art.
[13] Paragraphe 22 et 2 de la décision du 17 mai 2022.
[14] Cette requête a été précédée d’une requête en irrecevabilité présentée par l’intimée devant le Tribunal,
laquelle a été rejetée.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.