Lamtiri c. Jerando | 2024 QCCS 108 |
(Chambre civile) | ||||||||
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CANADA | ||||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||||
DISTRICT DE | MONTRÉAL | |||||||
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N° : | 500-17-125595-234 | |||||||
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DATE : | Le 19 JANVIER 2024 | |||||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | GUYLÈNE BEAUGÉ, J.C.S. | ||||||
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ADIL SAID LAMTIRI | ||||||||
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JUGEMENT RECTIFIÉ (outrage au tribunal) | ||||||||
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CONSIDÉRANT le jugement du Tribunal du 11 janvier 2024 sur une demande pour outrage au tribunal;
CONSIDÉRANT l’erreur cléricale contenue dans le jugement quant à la date d’audience;
CONSIDÉRANT l’article 338 C.p.c.;
CONSIDÉRANT qu’il y a lieu de rectifier d’office le jugement du 11 janvier 2024;
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
RECTIFIE d’office le jugement du 11 janvier 2024 avec la modification soulignée à la date d’audience;
[1] M. Hicham Jerando a été cité à comparaître pour outrage au tribunal par le juge Bernard Synnott, j.c.s. le 17 août 2023, à la suite de la demande de M. Adil Said Lamtiri qui lui reproche d’avoir contrevenu à un jugement (« l’Ordonnance ») du juge Lukasz Granosik, j.c.s. du 12 juillet 2023. Ce jugement accueillant la demande modifiée en injonction interlocutoire du demandeur, pour valoir jusqu’au 12 janvier 2024, comporte les conclusions suivantes :
[1] ACCUEILLE la présente demande;
[3] ORDONNE au défendeur Hicham Jerando de ne pas publier ou diffuser, directement ou indirectement, aussi bien oralement, par écrit qu’électroniquement sur quelque plateforme que ce soit, les affirmations soulignées dans les pièces P-21 et P-26, associées au nom du demandeur ou à des membres de sa famille;
[4] ORDONNE au défendeur Hicham Jerando de cesser immédiatement de diffuser, publier, reproduire ou faire circuler, sur tout médium, virtuel ou non, verbalement ou par écrit, toute forme de propos diffamatoires à l’encontre du demandeur et qui portent sur les thèmes suivants :
a) criminalité
b) corruption
c) blanchiment d’argent
d) dangereux et bande organisée
e) pots-de-vin
f) évasion fiscale
g) fuite fiscale
h) conflit d’intérêts
i) violence domestique;
[5] ORDONNE que les pièces P-6, P-8, P-10, P-11, P-15, P-16, P-17, P-18, P-20, P-21, P-24, P-25 et P-26 soient produites au dossier de la Cour sous scellé afin que personne ne puisse en prendre connaissance sauf les parties et leurs avocats;
[6] ORDONNE que la présente injonction interlocutoire demeure en vigueur jusqu’au 12 janvier 2024;
[7] ORDONNE l’exécution provisoire du présent jugement malgré appel;
[8] DISPENSE le demandeur de fournir caution;
[9] ORDONNE la signification de la présente ordonnance à Hicham Jerando à toute heure, même en dehors des jours et des heures juridiques, ainsi qu’en tout endroit, le cas échéant, sous l’huis de la porte ou sous pli cacheté dans la boîte aux lettres du domicile du défendeur Hicham Jerando, pour valoir bonne et valable signification;
[10] Avec les frais de justice.
[2] Le demandeur soutient que le défendeur ne s’est pas conformé à l’Ordonnance. Il allègue que :
a) En date du 24 juillet 2023, le défendeur n’avait retiré de ses plateformes internet aucune de ses publications ou vidéos diffusées les 15, 30, 31 mai, 1er juin, 7 juin, 27 juin et 1er juillet 2023, qui comportent tous les mots soulignés dans les pièces P-21 et P-26, non plus que les tableaux et renseignements à la pièce P-8;
b) Bien que depuis le 24 juillet 2023 le défendeur ait retiré certaines vidéos, les vidéos suivantes qui comportent tous les mots soulignés dans les pièces P-21 et P-26 sont toujours accessibles en ligne, à savoir :
- Vidéo du 31 mai 2023 sur Facebook;
- Vidéo du 31 mai 2023 sur TikTok;
- Vidéo du 31 mai 2023 sur YouTube;
- Deuxième vidéo du 31 mai 2023 sur Facebook;
- Vidéo du 1er juin 2023 sur Facebook;
- Vidéo du 1er juin 2023 sur TikTok; et
- Vidéo du 1er juin 2023 sur YouTube.
c) De plus, quatre vidéos diffamant le demandeur sont toujours présentes sur des plateformes internet, dont trois sur la plateforme Facebook et une sur la plateforme TikTok.
[3] Le demandeur ajoute que les vidéos mentionnées au constat de son huissier contreviennent à l’Ordonnance, car :
a) Les vidéos des 30 mai, 31 mai et 1er juin 2023, à l’exception de cinq mots à la vidéo du 30 mai 2023, sont identiques à celles produites à titre de pièces P-10, P-15, P-16 et P-17, et tous les propos diffamatoires soulignées à la pièce P-21 s’y retrouvent;
b) Le vidéo du 9 juin 2023 comporte des propos diffamatoires qui sont soulignés à la pièce P-21.
[4] Les dispositions sur l’outrage au tribunal sont édictées aux art. 58 à 62 du Code de procédure civile qui énoncent ce qui suit :
58. Se rend coupable d’outrage au tribunal la personne qui contrevient à une ordonnance ou à une injonction du tribunal ou qui agit de manière à entraver le cours de l’administration de la justice ou à porter atteinte à l’autorité ou à la dignité du tribunal.
En matière d’injonction et d’ordonnance de protection, la personne qui n’y est pas désignée ne se rend coupable d’outrage au tribunal que si elle y contrevient sciemment.
59. La personne à qui il est reproché d’avoir commis un outrage doit être citée à comparaître par une ordonnance du tribunal, au jour et à l’heure indiqués, pour entendre la preuve des faits dont on lui fait grief et faire valoir ses moyens de défense.
60. L’ordonnance portant citation à comparaître est prononcée d’office ou à la suite d’une demande présentée au tribunal, laquelle n’a pas à être notifiée.
L’ordonnance doit être signifiée en mains propres ou, si les circonstances ne le permettent pas, le tribunal peut autoriser un autre mode de notification.
Toutefois, si l’outrage a été commis en présence du tribunal et doit être décidé sans délai, il suffit que la personne soit auparavant appelée à se justifier.
61. Le juge qui doit décider de l’outrage ne doit pas être celui devant qui cet outrage aurait été commis, à moins que l’affaire ne doive être décidée sans délai. La personne à qui il est reproché de l’avoir commis ne peut être contrainte à témoigner.
La preuve offerte relativement à l’outrage ne doit pas laisser place à un doute raisonnable.
Lorsque le jugement déclare qu’un outrage a été commis, il doit énoncer les faits sur lesquels il se fonde. La sanction qui en découle peut être prononcée dans un jugement subséquent.
Le délai d’appel d’une déclaration d’outrage court à compter de la date de l’avis du jugement qui prononce la sanction ou de la date du jugement qui prononce la sanction si celui-ci a été rendu à l’audience.
62. Les seules sanctions qui peuvent être prononcées pour punir l’outrage au tribunal sont les suivantes:
1° le paiement, à titre punitif, d’un montant qui n’excède pas 10 000 $ si l’outrage est le fait d’une personne physique, ou 100 000 $ s’il est le fait d’une personne morale, d’une société ou d’une association ou d’un autre groupement sans personnalité juridique, auquel cas le jugement est exécuté conformément au chapitre XIII du Code de procédure pénale (chapitre C-25.1);
2° l’exécution par la personne même ou par ses dirigeants, de travaux d’utilité sociale dont la nature, les conditions et la durée sont établies par le tribunal.
Si la personne refuse d’obtempérer à l’ordonnance ou à l’injonction, le tribunal peut, en sus de la peine imposée, prononcer l’emprisonnement pour la période qu’il fixe. La personne ainsi emprisonnée doit être périodiquement appelée à comparaître pour s’expliquer et l’emprisonnement peut être prononcé de nouveau jusqu’à ce qu’elle obéisse. En aucun cas, l’emprisonnement ne peut excéder un an.
[5] L’outrage au tribunal est lié au respect des jugements des tribunaux. En matière civile, ce remède vise à dissuader et à punir la violation intentionnelle d’ordonnances judiciaires. Il s’agit d’un pouvoir exceptionnel qui ne s’exerce qu’en dernier recours. De nature quasi pénale, l’outrage au tribunal requiert la preuve hors de tout doute raisonnable des éléments constitutifs de l’infraction. Selon les enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Carey c. Laiken[1], applicables en droit québécois[2], ces éléments consistent en ce qui suit :
[6] Ainsi, pour établir l’omission intentionnelle du défendeur de respecter l’Ordonnance, le demandeur ne supporte pas le fardeau de prouver son intention d’y désobéir. Il lui faut démontrer que le défendeur a intentionnellement omis d’agir, en violation de l’Ordonnance claire dont il avait connaissance[4].
[7] Le 22 septembre 2023, la Cour enregistre le plaidoyer de non-culpabilité du défendeur à l’infraction d’outrage au tribunal.
[8] Le 14 décembre, le demandeur communique les pièces R-1 à R-7 au soutien de sa demande :
[9] Le 21 décembre, le défendeur notifie et produit les pièces DR-1 à DR-4 consistant en ce qui suit :
[10] Le demandeur plaide que l’Ordonnance ne souffre d’aucune ambiguïté, ce qu’admet le défendeur.
[11] Selon l’arrêt Carey c. Laiken précité, l’ordonnance dont on allègue la violation doit formuler de manière claire et non équivoque ce qui doit et ne doit pas être fait, cette exigence garantissant qu’une personne ne sera pas reconnue coupable d’outrage au tribunal lorsqu’une ordonnance est ambiguë. La Cour suprême ajoute qu’une ordonnance n’est pas claire s’il manque, par exemple, un détail essentiel sur l’endroit, le moment, ou l’individu visé par l’ordonnance, si elle est formulée en des termes trop vagues, ou si des circonstances extérieures ont obscurci son sens.
[12] Les conclusions du jugement du 12 juillet 2023 s’avèrent en effet claires et sans équivoque : le défendeur doit accomplir les actes ordonnés par la Cour au plus tard 3 jours après sa signification, en plus de s’abstenir immédiatement de poser les gestes prohibés.
[13] Le premier élément essentiel de l’infraction d’outrage au tribunal est donc prouvé hors de tout doute raisonnable.
[14] Le demandeur a signifié l’ordonnance au défendeur deux fois plutôt qu’une : la première fois par huissier le 14 juillet 2023 dans la boîte à lettres de sa résidence, et la seconde fois, également par huissier le même jour, mais par courriel. Le défendeur admet avoir eu connaissance de l’ordonnance en juillet, sans toutefois pouvoir préciser la date.
[15] Le second élément constitutif de l’infraction se trouve également établi hors de tout doute raisonnable.
[16] À l’audience, l’huissier instrumentaire témoigne sur sa procédure de capture d’écran et de capture vidéo, ainsi que sur ses constats.
[17] Pour sa part, le défendeur consigne les admissions suivantes au procès-verbal d’audience:
Le défendeur admet qu’en date du 24 juillet 2023, il n’avait retiré de ses plateformes internet aucune de ses publications ou vidéos diffusées les 15 mai, 30 mai, 31 mai, 1er juin, 7 juin, 27 juin et 1er juillet 2023, qui comportent tous les mots soulignés dans les pièces P-21 et P-26, non plus que les tableaux et renseignements à la pièce P-8, tel qu’il appert d’un constat de l’huissier instrumentaire produit au soutien des présentes à titre de pièce R-3.
Le défendeur admet qu’en date du 17 août 2023, les vidéos des 30, 31 mai et 1er juin 2023 à l’exception de cinq mots à la vidéo du 30 mai 2023 n’ont pas été retirées des plateformes internet du défendeur.
Le défendeur admet qu’en date du 17 août 2023, la vidéo du 9 juin 2023 n’a pas été retirée des plateformes internet du défendeur.
Les parties reconnaissent qu’en date de ce jour, les vidéos mentionnées ci-dessus ont été retirées des plateformes internet du défendeur.
[18] En outre, le défendeur est interrogé sur sa déclaration sous serment du 21 décembre 2023, dont il convient de reproduire les allégations :
[19] À la lumière de ses admissions consignées au procès-verbal, le défendeur reconnaît ne pas s’être conformé à l’Ordonnance du 12 juillet 2023 dans le délai de 3 jours imparti par la Cour. En outre, les constats de l’huissier retenu par le demandeur datés des 24 juillet, 10 août et 6 novembre 2023 attestent hors de tout doute raisonnable qu’à ces dates, le défendeur se trouvait toujours en violation de l’Ordonnance.
[20] Le défendeur offre pour moyen de défense le fait que ne connaissant pas le système juridique, il n’a pas compris être sous le coup d’une ordonnance de la Cour lors de sa signification en juillet 2023, ajoutant qu’il s’attendait à être convoqué devant le Tribunal pour la suite. Pour lui, l’Ordonnance ne constituait pas un jugement final.
[21] Le défendeur reconnaît n’avoir partiellement obtempéré à l’Ordonnance qu’après la signification de la citation à comparaître, d’abord par courriel d’une huissière le 24 août, puis en mains propres à son domicile le 11 septembre 2023. Cependant, il avance que ce n’est pas en raison de cette signification qu’il a obtempéré, mais parce qu’il n’a pu obtenir des conseils juridiques que vers cette date. À cet égard, il fait état des démarches suivantes auprès d’avocats pour se faire représenter en l’instance:
[22] En outre, le défendeur précise qu’il était en vacances à l’extérieur du pays du 10 au 20 août 2023.
[23] Par ailleurs, quant au constat de l’huissier relatif à une vidéo en ligne sur le compte Facebook « jjerando » en date du 12 décembre 2023 et identique à la vidéo présente sur le compte Tik Tok « hjerando » le 30 mai 2023 dont le retrait a été ordonné, le défendeur nie que ce compte Facebook lui appartienne.
[24] À la lumière de la preuve, le demandeur a établi, hors de tout doute raisonnable, le non-respect intentionnel de l’Ordonnance. Les cinq appels téléphoniques sans suite du défendeur, ainsi que ses deux messages texte tombés dans le vide ne suffisent pas à créer un doute raisonnable quant à la non-commission de l’infraction. D’ailleurs, sa publication sur YouTube le 22 juillet 2023[5], visionnée à plus de 160 000 reprises, est révélatrice de son état d’esprit et de sa désinvolture face à l’Ordonnance :
Ah! Pour les embêtements! Tahadi vous a donné des embêtements et vous a donné du travail.
Maintenant la presse jaune est de retour et qui dit avoir une autre solution… Soi-disant qu’il y a une ordonnance de la cour supérieure pour l’arrêt de Tahadi, qu’il n’y a pas de vidéos… Nous sommes avec vous, nous allons sortir, quel est le problème, vous pensez qu’on est dans une étable. Vous pensez qu’un moqqadem1 va venir et va nous dire d’arrêter cela, enlève ça, nous sommes au Canada, chérif2, où il y a la liberté d’expression et il n’y a pas des prisonniers politiques comme au Maroc, qui nie par ailleurs d’avoir des prisonniers politiques.
Mes salutations aux prisonniers politiques et faites tout ce que vous avez en votre pouvoir. Tahadi ne va pas s’arrêter et si elle s’arrête, il y aura d’autres solutions.
Mes salutations aux prisonniers politiques au Maroc
1 Note de la traductrice : Un moqqadem est un auxiliaire de l’administration qui est en contact direct avec la population d’un quartier et qui délivre plusieurs documents officiels.
2 Note de la traductrice : Un chérif signifie au sens propre un homme respectable.
[25] De plus, l’argument du défendeur selon lequel si son retard à se conformer à l’Ordonnance a accru le préjudice du demandeur, celui-ci pourra en réclamer compensation au fond, ne fait pas échec au constat de l’outrage au tribunal, et ne justifie pas l’exercice du pouvoir discrétionnaire de ne pas l’en trouver coupable. Enfin, sa justification voulant qu’il n’ait pas compris être visé par une ordonnance ne présente aucun mérite, l’erreur de droit ne constituant pas un moyen de défense à l’encontre d’une allégation d’outrage civil[6].
[26] En revanche, le demandeur ne réussit pas à prouver hors de tout doute raisonnable que le compte Facebook « jjerando » constaté par l’huissier le 12 décembre 2023 est administré ou contrôlé par le défendeur. L’affirmation de ce dernier selon laquelle ce compte appartient à un tiers sur lequel il n’a aucun contrôle soulève un doute raisonnable, d’autant plus qu’il administre une preuve de diligence raisonnable à cet égard. En effet, il démontre avoir dénoncé sur divers réseaux sociaux les sites ne lui appartenant pas, de même que les rediffusions n’émanant pas de lui. Ainsi, sauf quant à ce dernier volet, le demandeur a prouvé hors de tout doute raisonnable tous les éléments constitutifs de l’infraction d’outrage au tribunal.
[27] Les parties s’étant déclarées prêtes à argumenter sur la peine, le Tribunal a entendu leurs représentations, sous réserve de sa décision sur la culpabilité. Compte tenu de ce qui précède, il convient d’en disposer.
[28] L’article 62 du Code de procédure civile édicte les peines en cas d’outrage au tribunal :
62. Les seules sanctions qui peuvent être prononcées pour punir l’outrage au tribunal sont les suivantes:
1° le paiement, à titre punitif, d’un montant qui n’excède pas 10 000 $ si l’outrage est le fait d’une personne physique, ou 100 000 $ s’il est le fait d’une personne morale, d’une société ou d’une association ou d’un autre groupement sans personnalité juridique, auquel cas le jugement est exécuté conformément au chapitre XIII du Code de procédure pénale (chapitre C-25.1);
2° l’exécution par la personne même ou par ses dirigeants, de travaux d’utilité sociale dont la nature, les conditions et la durée sont établies par le tribunal.
Si la personne refuse d’obtempérer à l’ordonnance ou à l’injonction, le tribunal peut, en sus de la peine imposée, prononcer l’emprisonnement pour la période qu’il fixe. La personne ainsi emprisonnée doit être périodiquement appelée à comparaître pour s’expliquer et l’emprisonnement peut être prononcé de nouveau jusqu’à ce qu’elle obéisse. En aucun cas, l’emprisonnement ne peut excéder un an.
[29] Les principes applicables à la détermination de la peine consécutive à un outrage civil sont bien établis[7]. La peine vise principalement le respect de la loi et des ordonnances judiciaires et ainsi, le maintien de la primauté du droit au sein d’une société juste, paisible et sûre[8]. À cette fin, elle poursuit notamment les fins suivantes :
[30] La peine doit être proportionnelle à la gravité de l’outrage et au degré de responsabilité du délinquant. Elle doit tenir compte des circonstances aggravantes ou atténuantes liées à l’outrage, de la situation du délinquant et de l’harmonisation des peines. Le Tribunal jouit d’une grande discrétion dans l’analyse des divers critères d’évaluation de la peine appropriée, laquelle variera en fonction des circonstances particulières de chaque affaire, de la gravité de l’infraction, et du degré de responsabilité du délinquant.
[31] Prenant appui sur les arrêts Chamandy précité et Douek c. Brossard[9], le demandeur suggère qu’une amende entre 5 000 $ et 10 000 $ se justifie en l’instance. À cet égard, il fait valoir que la nature de l’infraction importe, soit le maintien pendant un mois et demi sur les plateformes du défendeur, au mépris de l’Ordonnance, de vidéos diffamatoires vues par quelque 500 000 personnes.
[32] Pour sa part, invoquant l’affaire Ville de Longueuil c. Théodore[10], le défendeur plaide que s’il est trouvé coupable d’outrage au tribunal, une amende de 500 $ suffit à remplir les objectifs de détermination de la peine.
[33] Il est vrai qu’en date ce jour, le défendeur a retiré de ses comptes Facebook, TikTok et YouTube toutes les vidéos visées par l’Ordonnance, n’en a pas publié ou diffusé de nouvelles, et a pris des moyens raisonnables pour se dissocier de leur reprise sur d’autres sites. Il n’empêche que cela arrive tardivement. En effet, l’ordonnance lui impartissait de se conformer dans les 3 jours de son prononcé. C’est dire que le juge Granosik, j.c.s. estimait important le préjudice que représentait pour le demandeur la diffusion de propos portant atteinte à sa réputation. Or, chaque jour de contravention était une journée de trop donnant à des milliers de personnes l’opportunité d’en prendre connaissance.
[34] Pourtant, le défendeur ne semble pas se soucier de la gravité de ses infractions ni de leur impact sur le demandeur. D’ailleurs, ce n’est que du bout des lèvres et de toute évidence s’y sentant contraint qu’il réitère, comme affirmé dans sa déclaration sous serment, ne pas avoir l’intention de republier ou diffuser les vidéos interdites à l’expiration de l’Ordonnance dans quelques jours, soit le 12 janvier prochain, et cela jusqu’à jugement final. Incidemment, l’avocat du défendeur s’oppose à ce qu’il souscrive un engagement en ce sens devant la Cour, laissant au demandeur la tâche de présenter une demande de renouvellement de l’Ordonnance. De l’avis du Tribunal, le défendeur pose un risque réel et sérieux de récidive de sorte que la peine doit être dissuasive pour qu’il comprenne que « nul n’est au-dessus des lois »[11].
[35] Tenant compte du fait qu’il s’agit d’une première infraction, et que le demandeur recherchera au fond réparation pour son préjudice, il s’avère justifié d’imposer au défendeur le paiement d’une amende de 2 000 $.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[36] DÉCLARE le défendeur Hicham Jerando coupable d’outrage au tribunal, pour avoir contrevenu aux conclusions suivantes de l’ordonnance de cette Cour du 12 juillet 2023 :
[2] ORDONNE au défendeur Hicham Jerando de retirer au plus tard 3 jours après la signification du jugement interlocutoire à intervenir, sur sa page ou sur la page de TAHADI sur les plateformes Facebook, YouTube et TikTok, ou sur tout autre médium ou site accessible par une autre personne que lui-même toutes les vidéos et publications comportant les mots soulignés dans les pièces P-21 et P-26, ainsi que les tableaux et renseignements à la pièce P-8;
[3] ORDONNE au défendeur Hicham Jerando de ne pas publier ou diffuser, directement ou indirectement, aussi bien oralement, par écrit qu’électroniquement sur quelque plateforme que ce soit, les affirmations soulignées dans les pièces P-21 et P-26, associées au nom du demandeur ou à des membres de sa famille;
[4] ORDONNE au défendeur Hicham Jerando de cesser immédiatement de diffuser, publier, reproduire ou faire circuler, sur tout médium, virtuel ou non, verbalement ou par écrit, toute forme de propos diffamatoires à l’encontre du demandeur et qui portent sur les thèmes suivants :
a) criminalité
b) corruption
c) blanchiment d’argent
d) dangereux et bande organisée
e) pots-de-vin
f) évasion fiscale
g) fuite fiscale
h) conflit d’intérêts
i) violence domestique
[37] CONDAMNE le défendeur Hicham Jerando à payer une amende de 2 000 $ dans les 45 jours du présent jugement;
[38] ORDONNE l'exécution du présent jugement conformément au chapitre XIII du Code de procédure pénale (RLRQ., c. C-25.1);
[39] AVEC FRAIS DE JUSTICE, y compris les honoraires des huissiers ainsi que ceux de la traductrice.
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| __________________________________ GUYLÈNE BEAUGÉ, j.c.s. | |
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Me Claude Lamarre | ||
Claude Lamarre Avocat inc. | ||
Avocat du demandeur | ||
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Me Jean-Maxim Lebrun Dunton, Rainville | ||
Avocat du défendeur | ||
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Date d’audience : | 9 janvier 2024 | |
[1] Carey c. Laiken, 2015 CSC 17, par. 33 à 35.
[2] Chamandy c. Chartier, 2015 QCCA 1142, par. 26.
[3] Morasse c. Nadeau-Dubois, 2016 CSC 44, par. 25.
[4] Carey c. Laiken, préc., note 2.
[5] Pièce R-6.
[6] Carey c. Laiken, préc., note 2, par. 42.
[7] Séquestre de D'Auria, 2017 QCCA 455; Bélair c. Bric Solutions inc., 2015 QCCA 1150; Bellemare c. Abaziou, 2009 QCCA 210.
[8] Belley c. Commission de la construction du Québec, 2019 QCCA 441.
[9] 2018 QCCA 1734.
[10] 2019 QCCS 2392.
[11] Belley c. Commission de la construction du Québec, préc., note 8.
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