Décision

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Société de financement alouette inc. c. A.

2022 QCTAL 23910

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

540467 31 20201009 G

No demande :

3086538

 

 

Date :

17 août 2022

Devant le juge administratif :

Luk Dufort

 

Société de financement Alouette Inc.

 

Locatrice - Partie demanderesse

c.

A

 

M

 

Locataires - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

MISE EN GARDE : Ordonnance limitant la publication : Il est interdit de divulguer, publier ou diffuser toute information qui permettrait d'établir l'identité des défendeurs.

[1]         Dans le cadre d’une demande déposée le 9 octobre 2020, la locatrice demande que les locataires soient condamnés à la somme de 20 451 $ à titre de loyer impayé en plus des intérêts et l'indemnité additionnelle, la résiliation du bail pour un retard de plus de 3 semaines, d’ordonner aux locataires de désinstaller la machine à laver et l’exécution provisoire nonobstant appel.

Le droit de la locataire d’ester en justice de manière anonyme

[2]         Au début de l’instance, la locataire demande au Tribunal d’ester en justice de façon anonyme. Cette demande n’est pas contestée par la locatrice.

[3]         Elle explique que compte tenu des responsabilités relatives à un des emplois qu’elle occupait, elle a toujours été prudente en limitant sa présence sur internet et en ayant aucune présence sur les réseaux sociaux afin de ne pas dévoiler aucune information concernant sa famille qui pourrait être accessible en ligne. La nature d’un emploi qu’elle a occupée dans le passé fait en sorte qu’elle doit être très prudente pour sa sécurité et celle de sa famille. Plusieurs faits qui sont rapportés dans ce jugement pourraient identifier des membres de sa famille, mais surtout son adresse actuelle.

[4]         Dans la décision P. c. S[1]., la juge administrative doit évaluer s’il y a lieu de déroger à la règle de la publicité des débats et de permettre à la demanderesse d’ester de façon anonyme :

«[8]      Il est bien établi que les instances judiciaires et administratives comportent un caractère public (sauf quelques exceptions[1]).

[9]      La publicité est la règle, et le secret ou la confidentialité, l'exception.

[10]   La publicité des procédures judiciaires et administratives est une caractéristique d’une société démocratique. Elle est nécessaire au maintien de l’indépendance et de l’impartialité des tribunaux, car elle favorise la confiance du public dans la probité du système judiciaire.

[11]   Il est cependant possible pour une partie d’invoquer le respect de la confidentialité par le biais de diverses ordonnances, telles un huis-clos, une non-divulgation, une non-publication ou une non-diffusion.

[12]   Récemment, la Cour d’appel du Québec se prononçait sur une demande d'ordonnance limitant la publication, dans l’arrêt S. c. Lamontagne[2]. Elle rappelle que la législation et la jurisprudence comportent de nombreuses exceptions au principe de la publicité des débats qui, essentiellement, reposent sur l'application judicieuse de la notion de la « bonne administration de la justice ».

[13]   Ainsi, le principe de la publicité des débats judiciaires doit être modulé lorsque cela est nécessaire, de manière à préserver la capacité du justiciable à recourir aux tribunaux pour exercer ses droits.

[14]   L'application du test Dagenais-Mentuck[3], nous permet d’accorder l’ordonnance requise par le locateur pour ester de manière anonyme. Voici pourquoi.

[15]   Le locateur a droit à un accès efficace au présent Tribunal pour présenter toutes ses preuves, dont les raisons médicales. L’état de santé du locateur est pertinent pour faire valoir ses droits et assurer le succès de sa demande de reprise de logement, plaide-t-il. Le locateur exprime des appréhensions fondées et raisonnables, craignant que le contenu de la présente décision ne le desserve dans le futur. Or, le risque d’être victime de discrimination constitue un risque « sérieux », un critère essentiel.

[16]   Deuxièmement, il est manifeste que les effets bénéfiques de l'ordonnance d'anonymat sur les droits du locateur l'emportent sur les effets préjudiciables susceptibles d'en découler; la publicité des débats n’est atteinte que de manière minimale puisque le contenu de la décision (dont les faits pertinents et la motivation) sera public.

[17]   Quant à la mesure appropriée, l’article 33 du Règlement sur la procédure devant la Régie du logement (Règlement) prévoit la possibilité, pour le juge administratif, d’ordonner le huis-clos s’il l’estime nécessaire dans l’intérêt de la justice.

[18]   D’autre part, l’article 9.8 de la Loi sur la Régie du logement (Loi.) définit l’essentiel de la compétence et des pouvoirs du Tribunal de la façon suivante :

« 9.8. La Régie et ses régisseurs sont investis des pouvoirs et immunités d’un commissaire nommé en vertu de la Loi sur les commissions d’enquête (chapitre C-37), sauf du pouvoir d’imposer une peine d’emprisonnement.

Ils ont en outre tous les pouvoirs nécessaires à l’exercice de leurs fonctions; ils peuvent notamment rendre toutes les ordonnances qu’ils estiment propres à sauvegarder les droits des parties.

(…) ».

[Caractère gras ajouté]

[19]   La soussignée partage l’opinion de la juge administrative Camille Champeval dans la décision E.B. c. L.P.[4], que l’ordonnance de huis-clos visée à l’article 33 du Règlement doit être interprétée de manière large et libérale, pour y inclure d’autres formes d’ordonnances pour assurer la confidentialité en fonction des circonstances :

« En effet, le huis-clos étant certainement la manière la plus complète de limiter le caractère public des audiences, il est permis de penser qu’elle inclut d’autres possibilités, plus modérées, de préserver la confidentialité. »

[20]   Le Tribunal, tout comme la locataire, estime que les inquiétudes exprimées par le locateur sont raisonnables, sérieuses et bien fondées.

[21]   Considérant les articles 33 du Règlement et 9.8 de la Loi, le Tribunal rendra une ordonnance de non-divulgation de l’identité des parties et de mise sous scellés du dossier[5] (dont l’absence de numérisation des pièces).

[5]         Le Tribunal partage l’analyse de la juge administrative Sophie Alain et croit que les circonstances particulières du présent dossier justifient qu’une ordonnance soit émise afin de préserver l’identité des défendeurs. Ainsi, le Tribunal rend des ordonnances en conséquence.

Contexte

[6]         Les parties sont liées par un bail depuis le 1er septembre 2009. Au départ, les locataires s’installent dans l’appartement 10 pour un bail du 1er septembre 2009 au 31 août 2010. À la demande de la locatrice, les locataires acceptent de remettre une traite bancaire de 10 080 $ représentant la première année de loyer afin de s’assurer d’obtenir l’appartement.

[7]         Lorsque l’appartement 14 devient disponible, la locatrice accepte que les locataires en prennent possession, un bail de 24 mois est signé du 1er août 2011 au 31 juillet 2013 au loyer mensuel de 960 $.

[8]         Un règlement d’immeuble est joint au bail et prévoit qu’il est strictement défendu d’installer une laveuse dans le logement.

[9]         Le bail est par la suite renouvelé à quelques reprises sans contretemps.

[10]     L’immeuble est alors géré par la société Olymbec au bénéfice de la locatrice. Son mandat prendra fin au mois de février 2020.

[11]     Carlos Ramos[2] est un employé d’Olymbec. Son rôle fait l’objet d’une controverse ayant un impact important sur le sort du jugement. Nous y reviendrons.

[12]     À partir du 1er février 2015, les locataires payent[3] directement à Ramos leur loyer en argent comptant dans le cadre d’une participation à un programme mis en place par Olymbec.

[13]     Ainsi, le paiement du loyer a été fait pour la période du 1er février 2015 au 31 janvier 2016 le 26 janvier 2015.

[14]     Un avis de renouvellement de bail a été transmis aux locataires le 30 mars 2015. Les locataires ont refusé l’augmentation prétextant les inconvénients subis par des travaux de maçonnerie.

[15]     Un nouveau paiement est effectué le 15 septembre 2015 par les locataires à Ramos pour la période du 1er février 2016 au 31 janvier 2017. Le paiement est à la somme de 11 520 $, soit 960 $ par mois.

[16]     Un autre paiement pour la période du 1er février 2017 au 31 janvier 2018 est fait par les locataires à Ramos le 24 mars 2016. Le montant du paiement est de 10 200 $, soit un loyer de 850 $ par mois.

[17]     La locatrice fait parvenir un avis de renouvellement le 30 mars 2016 afin de faire augmenter le loyer de 960 à 980 $. Les locataires acceptent une augmentation à 967 $.

[18]     De nouveau, les locataires payent directement à Ramos le 10 décembre 2016, la somme de 11 520 $ pour la période du 1er février 2018 au 31 janvier 2019, soit l’équivalent de 960 $ par mois.

[19]     Un nouvel avis de renouvellement de bail est transmis par la locatrice le 30 mars 2017 afin de faire passer le loyer de 967 à 981 $. Dans le dossier de la locatrice, il y a une note que les locataires acceptent 972 $, parce que la locataire a perdu son emploi. Il sera cependant démontré par les locataires qu’elle n’a jamais perdu son emploi et qu’aucune représentation des locataires n’a été faite dans ce sens.

[20]     Un reçu est délivré par Ramos le 18 novembre 2017 pour un paiement de 11 664 $ représentant 972 $ par mois pour la période du 1er février 2019 au 31 janvier 2020.

[21]     Les locataires refusent l’augmentation proposée à 992 $ par la locatrice pour la période du 1er août 2018 au 31 juillet 2019.

[22]     Un dernier reçu est remis par Ramos pour la période du 1er février 2020 au 31 janvier 2021 à la somme de 11 664 $, soit 972 $ par mois.

[23]     Ramos quitte le pays en février 2019 et n’y reviendra plus.

[24]     Un employé d’Olymbec se rend chez les locataires afin de récupérer le paiement du mois de mars 2019 et se voit alors informé par les locataires que le paiement a été fait d'avance à Ramos.

[25]     Après avoir effectué une enquête, Olymbec découvre le stratagème utilisé par Ramos, particulièrement dans l’immeuble du 6225 Northcrest.

Questions en litiges

1-      Est-ce que les locataires ont remis l’argent du loyer à Ramos?

2-      Est-ce que Ramos était autorisé à convenir d’une entente avec les locataires afin de recevoir d'avance les loyers en contrepartie de travaux effectués dans le logement?

3-      Est-ce que Ramos était le mandataire apparent de la locatrice?

4-      Est-ce que les locataires doivent retirer la laveuse du logement?

Preuve de la locatrice

[26]     Au soutien de sa demande, la locatrice fait entendre Brian Glasberg qui occupe le poste de directeur financier pour Olymbec depuis 2005. Il a continué d’agir comme comptable agréé de la locatrice même après la fin du mandat de gestion d’immeuble.

[27]     Il explique que Mme Tyna Johnston, adjointe au Directeur principal, était responsable de la signature des baux pour la locatrice.

[28]     Ramos de son côté agissait comme concierge pour l’immeuble de la locatrice, mais également pour le 6225 Northcrest qui est une propriété appartenant à Olymbec.

[29]     Son rôle était de collecter les loyers et de les remettre à Johnston. Au départ, Ramos fournissait des reçus à Johnston, mais à partir de 2015, il remettait une feuille d’historique des paiements.

[30]     Le stratagème de Carlos a été découvert lorsque ce dernier a dû se rendre d’urgence au Chili en février 2019. Ils ont alors constaté que plusieurs locataires du Northcrest affirmaient avoir payé d’avance le loyer à Carlos.

[31]     Un rapport de police a alors été rempli. Pour l’instant, l’enquête policière est toujours en cours.

[32]     Olymbec a fait également une réclamation auprès de son assureur Chubb en vertu d’une police d’assurance couvrant la fraude de ses employés. Selon Glasberg, la locatrice n’est pas une assurée au sens de cette police, car elle couvre seulement pour la fraude perpétrée par un employé d’Olymbec.

[33]     Dans la demande de réclamation auprès de Chubb, Glasberg indique que Ramos agit comme «On-site property manager» et est supervisé par Lorenzo Hertzog. Il évalue la fraude perpétrée à la somme de 192 453,68 $.

[34]     Un tableau est joint à la réclamation faite à l’assureur. Il est permis alors de constater que la fraude de Ramos a surtout eu lieu à l’immeuble sur Northcrest, alors que la réclamation pour cet immeuble est de 179 453 $. Toujours sur le même tableau, il est permis de voir que la locatrice évalue la perte à 11 604 $ pour le logement des locataires, soit le loyer du 1er février 2019 au 31 janvier 2020.

[35]     Un seul autre logement de l’immeuble des locataires fait l’objet d’une fraude selon le tableau préparé.

[36]     Olymbec a reçu de son assureur une indemnité de 100 000 $, soit le maximum couvert par la police d’assurance.

[37]     Rhona Weiss est la gestionnaire de propriété de la locatrice depuis janvier 2020. Elle prend la relève d’Olymbec et est informée par la locataire de sa prétention que le loyer a été payé jusqu’au 31 janvier 2021 en avance et prend connaissance des reçus des locataires émis par Ramos.

[38]     La lettre du 27 avril 2020 des locataires lui est adressée[4] dans laquelle les locataires expliquent la situation avec M. Ramos.

[39]     Weiss produit également des documents[5] trouvés dans le dossier des locataires dans lesquels les locataires expriment la volonté de faire des travaux dans la cuisine et la salle de bain en payant eux-mêmes les matériaux en échange d'un bail de 5 ans au loyer mensuel de 960 $. Les parties signent ensuite une entente à ce sujet en date du 23 décembre 2014. Cependant, l’annexe A n’a pas été signée et aucun bail d’une durée de 5 ans n’a été signé.

Preuve des locataires

[40]     En défense au recours entrepris, le locataire témoigne avoir quitté le logement en 2018 suite à sa séparation, mais continue d’apparaître comme locataire au bail et a participé à certaines interactions même après son départ.

[41]     Il témoigne avoir visité le premier logement en 2009 avec Ramos qui se présente à lui comme celui qui s’occupe de l’immeuble. Afin d’avoir l’appartement, ils acceptent de faire une traite bancaire couvrant le loyer payable un an d’avance comme demandé par Johnston qui signe le bail pour la locatrice.

[42]     Lorsqu’il apprend que l’appartement 14 qui est plus grand est disponible, il demande à Mme Johnston via Ramos de louer ce logement.

[43]     Au départ, le paiement du loyer se fait par chèque ou en argent comptant directement à Ramos.

[44]     Le locataire témoigne que la plupart des communications se font avec Ramos qui est responsable de tout ce qui se passe dans l’immeuble. Les négociations des baux passaient par lui. Il coordonnait les travaux dans l’immeuble et dirigeait les travailleurs.

[45]     À travers les années, il voit Johnston au maximum 3 fois et ne rencontre jamais Lorenzo Hertzog ou Pierre Fournier.

[46]     En 2014, ils veulent certaines améliorations dans le logement et ils transmettent une proposition à la locatrice[6]. Cette proposition non datée est remise à Ramos qui revient avec la proposition de la locatrice datée du 9 décembre 2014.

[47]     Ils refusent de signer l’annexe A, car le document est trop compliqué pour eux. Ils désirent quelque chose de moins complexe.

[48]     Par la suite, Ramos leur fait part de participer dans un programme avec Olymbec qui a un besoin d’argent comptant. En retour du paiement en avance de leur loyer, ils bénéficieront d’amélioration dans l’appartement. Les locataires acceptent et versent le 26 janvier 2015 la somme de 11 520 $.

[49]     Des travaux ont donc lieu à ce moment dans la salle de bain par des travailleurs d’Olymbec sous la supervision de Ramos.

[50]     Malgré l’entente, ils continuent de recevoir les avis d’augmentation de la part de la locatrice. Pour celle du 30 mars 2015, ils refusent l’augmentation en raison des travaux de maçonnerie et fournissent des photos démontrant les travaux effectués. La réponse de la locatrice acceptant de ne pas augmenter le loyer lui est transmise par Ramos.

[51]     Ils continuent de participer au programme pour les années suivantes. Ils font une liste d’amélioration à faire et remettent le paiement du loyer en avance.

[52]     Ils acceptent pour la dernière fois de participer au programme le 24 octobre 2018 alors que la baignoire doit être peinturée, que la porte du balcon et le mobilier de la cuisine doivent être changés.

[53]     Le locataire produit des photos des travailleurs qui viennent prendre les mesures de la porte le 24 octobre, soit le même jour que le dernier reçu remis par Ramos.

[54]     Relativement à la machine à laver, elle a été installée par Ramos avec le plombier d’Olymbec.

[55]     La locataire témoigne occuper un emploi nécessitant une cote de sécurité élevée. Elle témoigne avoir transmis un courriel à Johnston le 28 juillet 2011, soit quelques jours avant leur prise de possession du logement pour faire part de leur insatisfaction concernant l’état du logement dont ils s’apprêtent à prendre possession. Après ce courriel à Johnston, tout passe par Ramos.

[56]     Elle produit la liste des travaux[7] qui ont été effectués dans le logement à la suite de leur adhésion au programme en 2015. Selon elle, l’ensemble des travaux a été effectué, à l’exception de certains travaux en 2018 comme le remplacement de la porte-patio, des meubles de la cuisine et le changement de comptoir.

[57]     Les travaux sont toujours faits par des travailleurs d’Olymbec qu’elle est en mesure d’identifier et qui portent l’uniforme de leur employeur.

[58]     Au mois de mars 2019, elle reçoit la visite de M. Tasos qui lui demande le loyer en retard. Il est tôt le matin, mais l’informe que son loyer a été payé en avance à Ramos et lui remet seulement une copie des deux derniers reçus.

[59]     Elle réexplique la situation à Marie Petrucci et Kelly Fischer qu’elle reçoit dans des occasions distinctes et leur permet de prendre une photo des reçus de Ramos. Elle se dit surprise que Fischer croie qu’ils vont quitter le logement, alors qu’il n’en a jamais été question, son loyer étant payé jusqu’en 2021.

[60]     Elle doit recommencer le processus avec Weiss lorsque cette dernière devient la gestionnaire de l’immeuble. Elle lui écrit donc la lettre du 27 avril 2020.

[61]     À partir du 1er février 2021, elle paye son loyer normalement. Elle a débuté à faire des transferts bancaires.

[62]     En contre-interrogatoire, elle explique que malgré que le paiement du loyer fût fait à l’avance, ils devaient répondre aux avis d’augmentation, car selon sa compréhension, le loyer serait rétabli au moment où le programme de crédit de la locatrice prendrait fin.

[63]     Ainsi se résume la preuve présentée par les parties.

Prétentions de la locatrice

[64]     Le paiement effectué à Carlos Ramos ne respecte pas le bail.

[65]     Carlos Ramos, en tant que concierge, n’avait pas l’autorité d’accepter les paiements.

[66]     Les locataires avaient donc 2 moyens de défense à faire valoir, soit qu’il y avait un mandat apparent ou que la demanderesse a ratifié l’entente, ce qu’ils n’ont pas été en mesure de faire.

[67]     La locatrice invoque la décision rendue par la Cour du Québec dans Abbas c. Raoul Blouin ltée[8] pour établir qu’il n’y a pas eu de mandat apparent.

Prétentions des locataires

[68]     Le paiement du loyer a été effectué à Ramos qui avait le mandat de percevoir le loyer. Le paiement a donc été fait à une personne autorisée en vertu de l’article 1557 C.c.Q.

[69]     De façon subsidiaire, se basant sur les critères de la décision Ullah c. Picard[9], ils invoquent le mandat apparent de Ramos de conclure une entente prévoyant le paiement en avance du loyer en retour de certains travaux dans leur logement.

Analyse et décision

[70]     Il y a lieu rappeler que selon les dispositions des articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec, il revient à la partie demanderesse de faire la preuve des faits allégués dans sa demande.

« 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée ».

« 2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante ».

« 2845. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du tribunal. »

[71]     Dans l'application de ces règles, il faut voir qui a le fardeau de preuve, comme l'expliquait le professeur Ducharme :

« S'il est nécessaire de savoir sur qui repose l'obligation de convaincre, c'est afin de pouvoir déterminer qui doit assumer le risque de l'absence de preuve. En effet, si, par rapport à un fait essentiel, la preuve offerte n'est pas suffisamment convaincante, ou encore si la preuve est contradictoire et que le juge est dans l'impossibilité de déterminer où se situe la vérité, le sort du procès va se décider en fonction de la charge de la preuve : celui sur qui reposait l'obligation de convaincre perdra. »[10]

[72]     Il appartient donc au Tribunal d'apprécier la preuve présentée et en évaluer la force probante afin de déterminer si l'existence d'un fait qu'on désire mettre en preuve est plus probable que son inexistence.

[73]     Les articles pertinents du Code civil du Québec pour trancher les questions en litiges sont les articles 1557 C.c.Q et 2163 C.c.Q :

«1557. Le paiement doit être fait au créancier ou à une personne autorisée à le recevoir pour lui.

S’il est fait à un tiers, il est valable si le créancier le ratifie; à défaut de ratification, il ne vaut que dans la mesure où le créancier en a profité.

2163. Celui qui a laissé croire qu’une personne était son mandataire est tenu, comme s’il y avait eu mandat, envers le tiers qui a contracté de bonne foi avec celle-ci, à moins qu’il n’ait pris des mesures appropriées pour prévenir l’erreur dans des circonstances qui la rendaient prévisible.»

[74]     Les locataires plaident que le paiement des loyers a été fait à Ramos et que ce dernier était une personne autorisée. De leur côté, la locatrice invoque que si les locataires ont payé à Ramos le loyer en avance, ce paiement ne serait pas libératoire, car Ramos n’était pas habilité à convenir d’une entente avec les locataires, qu’il n’avait pas le mandat apparent de le faire et que la locatrice n’a pas ratifié les actes de Ramos.

1-      Est-ce que les locataires ont remis Ramos des sommes d’argent afin de payer leur loyer par anticipation?

[75]     Les locataires invoquent les deux derniers reçus remis par Ramos comme preuve de paiement. Ils produisent des relevés bancaires démontrant des retraits importants dans les heures précédant l’émission de reçu. Pour le dernier reçu émis par Ramos, la preuve démontre que des travailleurs d’Olymbec se sont rendus pour faire des travaux requis par l’entente le même jour que l’émission du reçu.

[76]     Les locataires payent leur loyer en anticipation à Ramos depuis 2015 et la locatrice ne s’est jamais plainte de ne pas avoir reçu le paiement du loyer avant le 1er mars 2019.

[77]     En conséquence, en fonction de la preuve présentée, le Tribunal détermine que les locataires ont effectivement remis la somme d’argent indiqué dans les reçus de Ramos et que ce dernier s’est approprié les sommes.

2-      Est-ce que Ramos était autorisé à convenir d’une entente avec les locataires afin de recevoir en avance les loyers, en contrepartie de travaux effectués dans le logement?

[78]     Pour les locataires, en fonction de l’article 1557 C.c.Q, les paiements effectués à Ramos sont libératoires, car il faisait partie de la tâche de Ramos de percevoir le loyer. Ramos avait effectivement la tâche de percevoir le loyer, mais n’avait pas l’autorisation de convenir d’une entente avec les locataires afin de prélever prématurément le loyer en retour de travaux de rénovation dans le logement.

[79]     Il y a lieu dans un premier temps de définir les tâches de Ramos. Son rapport d’emploi détaillé indique qu’il s’occupe de la maintenance pour Les développements Rekern Inc. Selon le témoignage de M. Glasberg, il faisait de la maintenance pour deux immeubles, celui en litige et le 6225 Northcrest. Selon Glasberg, il a le mandat de collecter les loyers.

[80]     Dans la déclaration transmise à l’assureur d’Olymbec, il est indiqué que Ramos agit comme «On-site property manager», sans préciser pour quel immeuble. Dans la décision Danan c. Place Northcrest enr[11], alors qu’il témoigne à la demande de Place Northcrest, Ramos explique son rôle pour la compagnie :

«[158] Monsieur Ramos est employé de Northcrest depuis l’année 2005. D’abord concierge, il exerce la fonction de surintendant depuis l’année 2012.

[159] À titre de surintendant, il voit à la maintenance des lieux, assure la supervision des concierges et gère les relations avec les locataires de l’immeuble. Il compte un peintre, deux rénovateurs (concierges) et d’une personne chargée du ménage sous sa responsabilité.»

[81]     Son rôle au Northcrest est plus important que celui de concierge et rien ne permet de croire qu’il était différent pour l’immeuble de la locatrice.

[82]     Cela étant, le Tribunal détermine que Ramos n’était toutefois pas autorisé à convenir d’une entente avec les locataires prévoyant le paiement du loyer par anticipation en retour de travaux effectués dans le logement. Le témoignage de Glasberg démontre que Ramos n’avait pas l’autorité de convenir de ce type d’entente et qu’elle a été faite en catimini d’Olymbec et de la locatrice.

[83]     En conséquence, le Tribunal détermine que Ramos n’avait pas l’autorité nécessaire pour convenir de l’entente de paiement anticipé avec les locataires.

[84]     La situation est toutefois différente relativement à l’installation de la laveuse.  Le Tribunal retient de la preuve présentée que Ramos agissait comme superintendant de l’immeuble et était responsable de l’entretien de celui-ci. Il dirigeait l’équipe d’entretien et jouissait d’une très grande liberté dans ses fonctions.

[85]     Le Tribunal est d’avis que Ramos avait l’autorité nécessaire pour permettre aux locataires au nom de la locatrice d’installer la laveuse dans le logement. En conséquence, le Tribunal rejette la demande de la locatrice de retirer la laveuse.

3-      Est-ce que Ramos était le mandataire apparent de la locatrice ?

[86]     La jurisprudence a déterminé quatre critères afin de déterminer s’il y avait mandat apparent en vertu de l’article 2163 C.c.Q. Ceux-ci sont résumés dans la décision Charette c. Nadeau[12] :

«[62]        Les conditions d’application de la théorie du mandat apparent sont les suivantes[34] :

(1) l’absence de mandat ou de pouvoir de représentation du mandataire apparent ;

(2) la bonne foi du réclamant (le volet subjectif de la bonne foi) ;

(3) une croyance légitime chez le réclamant voulant que le mandataire apparent ait été mandataire ou qu’il ait réellement détenu le pouvoir de représentation (le volet objectif de la bonne foi) ;

(4) une croyance légitime qui découle d’actions ou d’omissions du mandant apparent.


[63]        Sauf pour la bonne foi qui se présume[35], il appartient à la partie qui invoque le mandat apparent de démontrer la réalisation de ces conditions. Ainsi, le réclamant doit établir qu’il avait des motifs raisonnables de croire au mandat.

[64]        Le volet objectif de la bonne foi (3ème condition) exige que celui qui cherche à bénéficier de la théorie du mandat apparent doit établir une croyance légitime fondée sur la bonne foi, laquelle inclut l’obligation de se renseigner[36].

[65]        Enfin, la 4ème condition de l’article 2163 CCQ "requiert un minimum d’action ou d’omission du mandant dont l’effet est de laisser croire à autrui que la personne avec qui cet autrui contracte possède le pouvoir de le lier contractuellement."[37]» (Références omises)

[87]     Dans la section précédente, le Tribunal a déjà déterminé que le premier critère est satisfait, puisque Ramos n’avait pas le pouvoir de représenter la locatrice dans le cadre de l’entente.

La bonne foi des locataires

[88]     La bonne foi se présumant[13], il appartient à la locatrice de démontrer que les locataires connaissaient l’insuffisance des pouvoirs de Ramos, ou encore qu’ils aient commis une faute en ne vérifiant pas ceux-ci[14].

[89]     Dans l’arrêt London Life Insurance Company c. Long[15], la Cour d’appel définit la bonne foi en vertu de l’article 2163 C.c.Q :

[206]     Puisque la bonne foi se présume (art. 2805 C.c.Q.), il revient à celui qui allègue la mauvaise foi d’en faire la preuve.

[207]     Comme l’écrit Me Claude Fabien :

La bonne foi est de nature subjective, de sorte qu’il reviendra au tribunal, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, de déterminer selon les circonstances, si le tiers possédait la bonne foi requise […].

[…]

Bien que la bonne foi se présume, il s’agit d’une présomption relative, qui peut être combattue par une preuve contraire. Enfin, la bonne foi étant essentiellement subjective, elle s’apprécie en fonction des connaissances personnelles et de l’expérience d’un individu.

[…]

Il y a lieu maintenant de se demander si le tiers, pour être de bonne foi, a une obligation quelconque de vérifier l’étendue des pouvoirs du mandataire, ou encore si son abstention crée une présomption de mauvaise foi.

1.   Principe général

En principe, le tiers a le devoir de vérifier l’étendue des pouvoirs du mandataire, comme l’exprime Guillouard, cité dans la décision Farmer’s Fence Co. c. Comptoir coopératif:

Il importe toutefois, pour que le mandant soit obligé par les actes du mandataire qui dépassent réellement le but du mandat, tout en le respectant en apparence, que les tiers aient été de bonne foi, et qu’ils n’aient pas eux-mêmes à se reprocher de n’avoir pas suffisamment examiné les prétendus pouvoirs du mandataire.

Toutefois, ce devoir n’a rien d’absolu. […].

[…]

La vérification requise du tiers est celle que ferait le bon père de famille placé dans les mêmes circonstances. […].

[…]

On reprochera au tiers de s’abstenir de vérifier les pouvoirs du mandataire apparent, lorsqu’une personne d’une prudence et d’une diligence raisonnable aurait normalement eu un doute, si elle avait vécu la même expérience.[45]

[Caractères italiques dans l’original, références omises et soulignement ajouté]

[208]    Ces propos de Me Fabien, tenus en 1980-1981, trouvent écho dans les développements jurisprudentiels relatifs aux obligations de renseigner et de se renseigner.

[209]     Dans Banque de Montréal c. Bail Ltée, en 1992, le juge Gonthier écrit :

(…) cependant, j’ajouterais qu’il ne faut pas donner à l’obligation de renseignement une portée telle qu’elle écarterait l’obligation fondamentale qui est faite à chacun de se renseigner et de veiller prudemment à la conduite de ses affaires.[46]

[210]     Un manquement à l’obligation de se renseigner emporte des conséquences que le juge Chouinard de la Cour décrit ainsi dans Bissonnette c. Banque Nationale du Canada :


(…) une victime qui s’est comportée avec une légèreté blâmable, en raison de sa naïveté, de sa crédulité ou autrement, ne pourra recevoir la protection des dispositions pertinentes du Code civil.[47]

[211]     Les propos du juge Gonthier sont aussi repris par le juge Jean-Louis Baudouin de la Cour, en 2002, dans Banque Laurentienne du Canada c. Mackay :

[33]      Toutefois, l’obligation de renseignement du créancier a pour contrepartie celle, à la charge du débiteur, de se renseigner et le juge Gonthier l’a bien souligné également en ces termes :

«J’ajouterais qu’il ne faut pas donner à l’obligation de renseignement une portée telle qu’elle écarterait l’obligation fondamentale qui est faite à chacun de se renseigner et de veiller prudemment à la conduite de ses affaires.»

(p. 587)

[34]      Autrement dit, on ne doit pas pousser l’intensité de l’obligation d’informer jusqu’à une tolérance inconditionnelle et à l’absolution d’une conduite négligente ou imprudente de la part du débiteur. Il convient donc de respecter un certain équilibre.[48]

[Soulignement dans l’original]

[212]     Pour qu’il y ait mandat apparent, il faut que le tiers ait une croyance légitime en son existence, laquelle se mesure par référence à une personne prudente, diligente et avisée. À ce propos, Me Claude Fabien apporte les précisions suivantes :

[…], il faut accorder toute sa portée au terme “raisonnable“, utilisé par le Code pour qualifier les “motifs”. Il ne faut pas hésiter à y voir une référence au standard du bon père de famille, de cette personne normalement prudente, diligente et avisée bien connue en responsabilité civile. L’appréciation des motifs doit donc se faire in abstracto. Le juge doit se demander si une personne normalement avisée, placée dans les mêmes circonstances externes et devant les mêmes apparences, aurait en toute probabilité conclu que le mandataire apparent avait le pouvoir d’accomplir l’acte en litige. […]

Ce critère d’appréciation des “motifs raisonnables” distingue cette notion de celle de “bonne foi” que nous avons étudiée à la section précédente. La bonne foi s’apprécie in concreto, en rapport avec la croyance subjective et véritable du tiers, tandis que les motifs raisonnables s’apprécient in abstracto, en référence à un standard juridique externe. Les deux critères sont utiles et complémentaires : la protection du mandant exige qu’ils soient réunis. En effet, il peut survenir des situations où il existe des motifs raisonnables de croire à un mandat, alors que, de fait, le tiers croit le contraire parce qu’il a eu accès à une information secrète et privilégiée sur le défaut de pouvoir du mandataire apparent. À l’inverse, un tiers peut être absolument convaincu de la qualité du mandataire apparent, mais être victime d’un excès de crédulité, de naïveté, d’ignorance ou d’inexpérience. Dans les deux cas, le bénéfice de la règle de l’article 1730 C.c. [maintenant 2663 C.c.Q.] sera refusé au tiers.

On doit toutefois reconnaître que la frontière entre la bonne foi et les motifs raisonnables est délicate à tracer. Nous avons étudié dans la section consacrée à la bonne foi l’obligation du tiers de vérifier les pouvoirs du mandataire apparent. Il semble bien que cette obligation s’apprécie également in abstracto.  Il y a obligation de vérifier lorsqu’une personne normalement prudente et diligente est placée devant des apparences telles qu’elles créent chez lui un doute sur l’étendue véritable des pouvoirs du mandataire et qu’elles l’incitent à faire une vérification raisonnable. À notre avis, il serait possible de soutenir que “l’obligation de vérifier” n’est que le corollaire des “motifs raisonnables” et qu’il existe un lien logique entre els deux éléments, fondé sur leur critère commun d’appréciation in abstracto. Toutefois, la jurisprudence a traditionnellement fait de l’obligation de vérifier les pouvoirs une condition de la bonne foi du tiers, et dans la mesure où nous avons voulu présenter une image fidèle de la jurisprudence, nous avons suivi cette approche.

En quatrième et dernier lieu, il nous semble utile de préciser que l’appréciation des motifs raisonnables doit être tempérée par leur caractère erroné. […] Le juge doit se garder de qualifier de “raisonnables” uniquement des motifs susceptibles de créer chez le tiers une certitude absolue et irrésistible de l’existence du mandat. […].[49]

[Soulignement ajouté]

[213]     Dans Matte c. Charron, bien que dans un contexte différent de celui du mandat apparent, la Cour relate ainsi les deux volets que comporte la notion de bonne foi (un volet subjectif et un volet objectif) :

[72]      Bien qu'elle ne soit pas définie au Code civil du Québec, la bonne foi imprègne les droits civils et en conditionne l'exercice.  La doctrine identifie deux acceptions de la bonne foi.  La première qui renvoie à l'état d'esprit.  C'est la bonne foi au sens traditionnel qui s'oppose à la mauvaise foi.  Suivant ce sens traditionnel, sera de bonne foi la personne qui agit sans malice, sans réaliser qu'elle agit de façon illégale ou illégitime.  On parle alors de bonne foi subjective.

[73]      Aux termes du Code civil du Québec, la bonne foi ne se limite pas à la subjectivité de la personne qui exerce un droit, elle comporte également un aspect objectif.  Pour rependre l'expression du Code, on dira que les droits doivent être exercés suivant « les exigences de la bonne foi » comme le prévoient les articles 6 et 7 C.c.Q. :

6. Toute personne est tenue d'exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi.

7. Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d'une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l'encontre des exigences de la bonne foi.                                                                                   [Nous soulignons]

[74]      Ainsi, une personne exercera ses droits selon les exigences de la bonne foi dans la mesure où son comportement est acceptable suivant les normes de conduite moralement ou socialement reconnues.  À maintes reprises, notre Cour a eu recours à cette notion de bonne foi objective.

[75]      Dans Acier d'armature Rô inc. c. Stelco inc., la Cour conclut à la bonne foi en l'absence de malice et également parce que la conduite de la partie ne constituait pas non plus « un écart marqué par rapport à la norme de conduite dans le milieu des affaires ».  Dans ABB inc. c. Domtar inc., la Cour a rappelé que l'exigence d'agir de bonne foi va au-delà de la simple absence de mauvaise foi.  Dans Développement Tanaka inc. c. Commission scolaire de Montréal, le juge Forget conclut à l'absence de bonne foi de la Commission scolaire qui a agi de façon déraisonnable « s'écartant clairement de la norme de conduite d'une personne prudente et diligente ».

[76]      La doctrine a identifié plusieurs obligations qui découlent des exigences de la bonne foi : obligations de renseignement, de loyauté, de coopération et de confidentialité.  Ces mêmes obligations recoupent différents concepts qui vont du devoir d'information et de conseil à la conduite qui n'est ni excessive ni déraisonnable.[50]

[Références omises et caractère gras ajouté]

[214]     Bref, comme l’écrit le professeur Adrian Popovici :

On est carrément en pleine théorie de l’apparence. Un contrat apparaît alors que la réalité est autre. Le Code civil du Québec exige que le tiers ait contracté de BONNE FOI avec le pseudomandataire. Cette bonne foi répond à deux tests : 1° le tiers a-t-il réellement cru à l’existence d’un mandat ? Et 2° avait-il des motifs raisonnables d’y avoir cru ? Parfait mariage de la bonne foi subjective et de la bonne foi objective. Croyance subjective et erreur objective.

En France, depuis 1962, on parle de croyance légitime. Il; est opportun de rappeler que le tiers a le DEVOIR de D’INFORMER, devoir dont l’intensité et les modalités varient selon les circonstances.[51]» (Références omises)

[90]     Dans le cas présent, le Tribunal est d’avis que la locatrice n’a pas réussi à démontrer l’absence de bonne foi subjective de la part des locataires. Le Tribunal retient de la preuve que les locataires croyaient que Ramos avait l’autorité nécessaire pour convenir avec eux de l’entente.

[91]     La question est toutefois bien différente au niveau de la bonne foi objective, car les locataires ont fait défaut de faire les démarches minimales afin de s’informer sur la qualité de mandataire de Ramos pour convenir de l’entente.

[92]     Il y a lieu de revenir au moment où Ramos propose aux locataires de participer au programme de paiement par anticipation en retour de travaux à être effectué dans le logement. Lorsque le programme est proposé aux locataires par Ramos, les locataires viennent à peine de refuser la proposition de la locatrice pour effectuer des travaux dans leur logement au prétexte que la documentation est trop compliquée.

[93]     Au lieu de cela, il préfère l’approche de Ramos qui n’est pas documenté. Alors que la locatrice vient de leur faire une proposition encadrée, ils ne font aucune vérification auprès de la locatrice lorsque Ramos leur propose d’intégrer le programme qu’il propose.

[94]     Les locataires acceptent alors de payer en argent comptant la somme de 11 520 $ à Ramos sans ne faire aucun suivi auprès de la locatrice, se limitant à obtenir un reçu signé par Ramos. Il est vrai que lors de la signature du premier bail, la locatrice avait fait la demande d’obtenir le paiement de la première année en avance, mais cela avait été indiqué au bail et les locataires avaient payé par une traite bancaire faite au nom de la locatrice, ce qui laissait plus de traces.

[95]     Par la suite, alors qu’ils ont décidé de payer leurs loyers en avance, les locataires reçoivent tout de même des avis d’augmentation de loyer de la part de la locatrice. Les locataires expliquent qu’ils ne trouvent pas étrange de recevoir des avis d’augmentation pour des périodes qu’ils ont déjà payées, parce qu’ils se disent que leur loyer sera ajusté à la fin de leur participation au programme. Les locataires n’indiquent pas si quelqu’un leur a fait des représentations dans ce sens. Ils ne font aucune vérification alors à ce moment lorsqu’ils reçoivent ces avis qui ne correspondent pas à la réalité de leur situation. Ils continueront de recevoir les avis pendant plusieurs années, sans faire aucune vérification auprès de la locatrice.

[96]     En mars 2016, alors qu’ils ont déjà payé jusqu’en janvier 2017, ils acceptent de remettre à Ramos la somme de 10 200 $ pour le loyer de février 2017 au 31 janvier 2018. Les locataires ne posent alors aucune question à la locatrice, et ce même si on exige le paiement alors qu’ils ont déjà payé jusqu’en janvier 2017 et que le montant remis ne correspond pas au montant du loyer d’un an. En effet, les locataires remettent alors 10 200 $ pour un an de loyer, soit environ 850 $ par mois, alors qu’ils payaient alors un loyer de 960 $ par mois. Malgré cette différence importante du loyer mensuel, les locataires préfèrent ne pas poser des questions à la locatrice.


[97]     De plus, la preuve révèle que la locatrice agissait de façon assez formelle dans ces communications avec les locataires. Ainsi, les avis de modification de bail étaient transmis par écrit. Une communication écrite a été transmise aux locataires pour leur permettre l’entreposage d’un scooter[16] ou lorsqu’une indemnisation a été offerte pour la perte temporaire d’un stationnement[17]. Malgré cela, les locataires ne s’interrogent jamais sur l’absence d’écrit concernant la participation au programme proposé par Ramos.

[98]     Pour le Tribunal, les locataires n’ont pas agi en personne diligente et raisonnable en ne faisant aucune vérification auprès de la locatrice du statut de mandataire de Ramos, alors que plusieurs drapeaux rouges apparaissaient.  Les locataires ont plutôt décidé de fermer les yeux et de ne poser aucune question pour ne pas se sortir d’une situation qui leur était avantageuse. Une simple vérification auprès de la locatrice leur aurait permis de constater que Ramos n’avait pas l’autorité requise pour convenir de l’entente qu’il avait et de se retrouver dans cette fâcheuse situation. Les locataires ont plutôt décidé de demeurer silencieux afin de continuer à profiter des privilèges de l’entente et d’invoquer cette dernière pour la première fois en 2019.

[99]     Le Tribunal est d’opinion qu’en l’absence de bonne foi objective des locataires, ils ne peuvent invoquer le mandat apparent en vertu de l’article 2163 C.c.Q. En conséquence, les paiements faits par les locataires à Ramos ne sont pas libératoires envers la locatrice.

Motifs émanant du mandant

[100]  Bien que le Tribunal a déterminé qu’il y avait absence de mandat apparent en raison que les locataires ne respectent pas le critère de la bonne foi objective, il y a quand même lieu d’évaluer le dernier critère de l’article 2163 C.c.Q.

[101]  Sur ce critère, la cour d’appel écrit dans l’arrêt Succession Lalonde c. Lithown[18] :

« L’auteur Claude Fabien précise, à ce sujet, que si le mandant n’est pas responsable des apparences, « il est également tenu [envers le tiers de bonne foi], à moins qu’il n’ait pris des mesures appropriées pour prévenir l’erreur dans des circonstances qui la rendaient prévisible »[5].  Il n’est pas nécessaire que des actes tangibles soient posés.  Une abstention ou la passivité peut soutenir de telles croyances[6]. »

[102]  Pour le Tribunal, ce dernier critère pour évaluer si nous sommes en présence d’un mandat apparent est satisfait par les locataires.

[103]  La preuve démontre que Ramos disposait d’une latitude importante dans l’immeuble et dans la perception du loyer et était celui qui avait presque tous les contacts avec les locataires. Des mécanismes mis en place afin de contrôler la perception du loyer par Ramos ont même été retirés par Olymbec à travers les années. Il est possible qu’un meilleur suivi d’Olymbec auprès de ses employés ait permis de limiter l’ampleur de la fraude commise par Ramos.

[104]  La locatrice a confié sa gestion de l’immeuble à Olymbec qui n’a posé aucun geste pour éviter la situation. Le Tribunal s’interroge d’ailleurs sur la responsabilité d’Olymbec en tant que commettant de Ramos, mais ceci ne fait pas partie de la juridiction du Tribunal.

Ratification par la locatrice

[105]  La preuve ne démontre pas que la locatrice a ratifié les agissements de Ramos par la suite. Le Tribunal ne peut retenir la seule preuve avancée par la locataire, car comme soulevé lors de l’instance, il s’agit de ouï-dire.

[106]  La locatrice a été informée tardivement de la prétendue entente que les locataires prétendaient avoir conclue avec Ramos. En effet, Olymbec l’a avisé tardivement de la situation et ce n’est que lorsque le mandat de gestion a pris fin qu’une employée de la locatrice a été informée de la situation.

[107]  La locatrice a par la suite été passive en attendant avant d’entreprendre le présent recours, mais cette passivité ne saurait être interprétée comme une ratification.

[108]  En l’absence de ratification et de mandat apparent, le Tribunal conclut que les locataires doivent la somme de 22 467 $ en loyer pour la période du mois de mars 2019 au 1er février 2021.


[109]  La question s’est posée lors de l’instance s’il faut prendre en considération les sommes qui ont été remises à Olymbec par son assureur? Le contrat d’assurance prévoit que l’assuré au contrat est Olymbec. Il s’agit d’un contrat d’assurance qui couvre les pertes à la suite des vols d’employés.

[110]  Dans sa déclaration auprès de son assureur à la suite du sinistre, Olymbec joint un tableau des loyers perçus par Ramos et non remis à Olymbec. La majorité des sommes concernent le 6225 Northcrest, sauf pour deux logements, dont celui des locataires.

[111]  Contrairement au [...] alors qu’elle agit à titre de gestionnaire d’immeuble, la locatrice est propriétaire de l’immeuble du 6225 Northcrest. Olymbec a donc subi personnellement la perte de la fraude perpétrée au 6225 Northcrest, alors que la locatrice est la victime de la fraude du [...].

[112]  L’assureur Chubb a versé les sommes directement à Olymbec et n’a rien versé à la locatrice puisqu’elle n’était pas assurée au contrat, Ramos étant l’employé d’Olymbec.

[113]  Il n’y a pas eu de preuve que la locatrice a reçu des sommes de la part d’Olymbec à la suite de l’indemnisation de l’assureur ou pour toute raison concernant la fraude commise par Ramos.

[114]  Bien qu’il soit possible, de croire qu’une entente existe entre Olymbec et la locatrice concernant une indemnisation qui pourrait dépendre ou non du sort du présent litige, aucune preuve d’une telle entente, ou que la locatrice a reçu des sommes de la part d’Olymbec a été présentée lors de l’audience.

[115]  En l’absence de démonstration que la locatrice a reçu des sommes de la part d’Olymbec à la suite de l’indemnisation de son assureur, le Tribunal ne peut déduire du montant que doivent les locataires à la locatrice une partie de ce qu’Olymbec a reçu de son assureur.

[116]  En conséquence, le Tribunal condamne donc les locataires à la somme de 22 467 $.

[117]  Les locataires sont en retard de plus de trois semaines pour le paiement du loyer, la résiliation du bail est donc justifiée par l'application de l'article 1971 C.c.Q.

[118]  Le bail n'est toutefois pas résilié si le loyer dû, les intérêts et les frais sont payés avant jugement, conformément aux dispositions de l'article 1883 C.c.Q.

[119]  Dans les circonstances particulières de cette affaire, le Tribunal ne juge pas à propos d’ordonner l'exécution provisoire de la décision, comme il est prévu à l'article 82.1 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[120]  PRONONCE une ordonnance de non-publication interdisant à quiconque de divulguer, publier ou diffuser toute information qui permettrait d’établir l’identité des défendeurs;

[121]  ORDONNE la confidentialité et la mise sous scellés du dossier (pièces et enregistrement);

[122]  DEMANDE au Tribunal administratif du logement dans le cadre de la décision qui sera rendue publique d’identifier la locataire défenderesse par la lettre « M » et d’identifier le locataire défendeur par la lettre «A»;

[123]  RÉSILIE le bail et ORDONNE l'expulsion des locataires et de tous les occupants du logement;

[124]  CONDAMNE les locataires à payer à la locatrice la somme de 22 467 $, plus les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q., à compter du 9 octobre 2020 sur la somme de 20 451 $, et sur le solde à compter de l'échéance de chaque loyer, plus les frais de justice de 78 $;


[125]  REJETTE la demande quant aux autres conclusions.

 

 

 

 

 

 

 

 

Luk Dufort

 

Présence(s) :

le mandataire de la locatrice

Me Julien Boudreau, avocat de la locatrice

les locataires

Me Antoine Morneau-Sénéchal, avocat des locataires

Dates des audiences :

5 mai 2022 et 27 mai 2022

 

 

 


 


[2] Afin de ne pas alourdir inutilement le jugement, le Tribunal nommera certaines personnes par leur nom de famille. Il ne faut pas y voir une impolitesse.

[3] Les différents paiements faits en argent comptant à Carlos Ramos ne sont pas admis par la locatrice. Comme nous le constaterons dans l’analyse du jugement, le Tribunal détermine que les locataires ont effectué des paiements en argent comptant à Carlos Ramos.

[4] Pièce P-12

[5] Pièce P-13.

[6] Pièce P-13

[7] Pièce L-10

[8]  2008 QCCQ 11686

[9]  31 080708 090 G, Régie du logement, 5 septembre 2008, juge administrative Chantale Bouchard

[10] Ducharme, Léo, Précis de la preuve, 5e Edition, 2005, Wilson Lafleur Ltée, p.62.

[11] 2015 QCDRL 14095

[12] 2019 QCCS 3229

[13] Article 2805 C.c.Q

[14] Deslauriers c. Coopérants (Les), société mutuelle d’assurance-vie [1993] R.R.A. 874, 59 Q.A.C. 19; Singh c. Kohli, 2015 QCCA 1135

[16] Pièce p-16

[17] Pièce p-17

AVIS :
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