Ulysse et Syndicat général des professeurs et professeures de l'Université de Montréal |
2020 QCTAT 2420 |
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[1] Le Tribunal est saisi de deux plaintes déposées par Pierre Joseph Ulysse (le plaignant) respectivement en décembre 2016 et en juin 2017, dans lesquelles il reproche au Syndicat général des professeurs et professeures de l'Université de Montréal (le syndicat) d’avoir manqué à son devoir de juste représentation.
[2] Le plaignant dépose, par l’entremise du syndicat, le 12 novembre 2015 un grief pour contester le refus de l’Université de Montréal (l’université) de le réintégrer au travail alors qu’il est en absence maladie.
[3] Par lettre datée du 3 juin 2016, le syndicat l’informe que, selon l’opinion juridique obtenue, son grief n’a aucune chance de succès tant qu’il n’y aura pas une expertise médicale contredisant celle du 2 avril 2015 qui statuait sur son incapacité à revenir au travail. En conséquence, il l’invite à lui fournir des documents médicaux permettant de contredire l’expertise du psychiatre ou à se soumettre à une autre expertise afin, si elle est favorable, de nommer un arbitre pour disposer de son grief qui réclame entre autres sa réintégration dans son poste.
[4] Le 6 décembre 2016, le plaignant dépose une plainte en vertu de l’article 47.3 du Code du travail[1] (le Code) au motif que le syndicat aurait manqué à ses obligations de représentation à son endroit. Plus précisément, il conteste la décision du syndicat « de ne pas déférer à l’arbitrage un grief daté du 25 septembre 2015 et déposé auprès de l’employeur le 12 novembre 2015 ». Il lui reproche aussi de l’avoir forcé à aller en évaluation psychiatrique le 2 avril 2015 et d’avoir excédé le délai pour déposer son grief bien qu’il l’ait demandé le 12 mai suivant.
[5] Le plaignant soutient que jamais le syndicat n’a voulu réellement le défendre d’où sa volonté de présenter une preuve sur le traitement de son dossier d’invalidité bien avant le dépôt de son grief et des motifs du refus de le soumettre à un arbitre annoncés dans la lettre datée du 3 juin 2016.
[6] Le syndicat soutient que le grief n’a pas de chance de succès en arbitrage sans une expertise médicale permettant de contredire celles qui concluent que le plaignant est incapable d’effectuer son travail de professeur.
[7] Le 18 janvier 2017, le plaignant soumet à l’université une opinion médicale d’un psychiatre américain voulant qu’il soit apte à un retour au travail. L’université lui demande de subir une expertise médicale avec un autre psychiatre afin de vérifier son état.
[8] Par lettre datée du 31 mars 2017, le plaignant est congédié à la suite de ses deux refus de se soumettre à l’expertise.
[9] Le 25 mai suivant, le plaignant dépose un grief pour contester le congédiement.
[10] Le 14 juin 2017, le plaignant dépose une plainte contre le syndicat en vertu de l’article 47.3 du Code afin, écrit-il, de « contester [s]on renvoi de l’Université de Montréal ».
[11] Pour la deuxième plainte, le syndicat a porté à l’arbitrage le grief du plaignant contestant son congédiement. Il attend la présente décision avant de nommer un arbitre. En conséquence, il allègue respecter ses obligations de juste représentation.
[12] Le Tribunal doit répondre aux questions suivantes :
· Le syndicat a-t-il manqué à ses obligations de juste représentation à l’égard du plaignant en refusant de poursuivre à l’arbitrage son grief déposé le 12 novembre 2015 réclamant sa réintégration au travail?
· Le syndicat a-t-il manqué à ses obligations de juste représentation à l’égard du plaignant en lien avec le grief contestant son congédiement?
[13] Pour les motifs ci-dessous, le Tribunal conclut que, dans les deux cas, le syndicat a rempli ses obligations légales et que les plaintes doivent être rejetées.
[14] De plus, au cours de l’enquête, le Tribunal a accueilli la demande du syndicat de ne pas remettre à l’université une copie de l’opinion juridique déposée en preuve et sur laquelle le syndicat justifie son refus de soumettre le premier grief à un arbitre. Le Tribunal a précisé qu’il en donnerait les motifs dans la présente décision.
[15] Le plaignant est professeur au Département de service social de la Faculté des Arts et sciences de l’université depuis 2003.
[16] Le 7 mars 2013, le plaignant est suspendu administrativement par le doyen de la Faculté au motif que son « comportement et la transmission de certains courriels ont inquiété grandement les collègues et les instances facultaires ». Il lui est aussi demandé de subir une expertise médicale afin de déterminer entre autres s’il est apte à assumer ses fonctions de professeur et s’il représente un danger pour la communauté universitaire.
[17] Dans son rapport du 10 avril 2013, le psychiatre Gagnon diagnostique un trouble délirant paranoïde, qui nécessite un traitement pharmacologique, et déclare le plaignant inapte au travail. Le psychiatre écrit qu’il « ne souffre pas d’une condition altérant ses facultés cognitives mais, par contre, son jugement est grandement affecté par la présence de pensée délirante ». Ce dernier ajoute que, s’il accepte le traitement, il est possible qu’il puisse reprendre le travail.
[18] Le 10 mai 2013, l’université transforme la suspension administrative en congé de maladie rétroactivement au 10 avril précédent.
[19] Le plaignant dépose un rapport médical effectué par un psychiatre, daté du 12 septembre 2013, afin de démontrer qu’il ne souffre d’aucun problème de paranoïa ni d’aucune déficience cognitive qui l’empêchent d’exercer son métier de professeur. Or, il appert que la consultation a été faite après que le plaignant ait été hospitalisé, à la suite d’un épisode confusionnel aigu. L’évaluation par le psychiatre vise à évaluer « la dangerosité et la justification d’un prolongement ou non d’une garde en établissement ordonnée le 22 août dernier pour une période de 4 jours », sans toutefois statuer sur son état en général ni sur sa capacité à reprendre le travail. Toutefois, le psychiatre recommande une évaluation neuropsychologique « afin de préciser les limitations fonctionnelles de ce patient qui pourrait avoir certaines difficultés à réintégrer ses fonctions en tant que professeur ».
[20] Plusieurs personnes du syndicat sont impliquées dans le traitement du dossier du plaignant : un conseiller syndical, une conseillère juridique d’expérience, la vice-présidente du syndicat et même le président.
[21] Dans une trame factuelle (la trame factuelle) écrite[2] par la conseillère juridique, on y lit comment le syndicat a été amené à s’occuper du plaignant, plus précisément du versement de ses prestations d’assurance salaire :
[…] En janvier 2014, l’Université nous informe qu’ils ont avisé [le plaignant] de sa prise en charge par l’assureur SSQ-Vie à compter du 9 octobre 2013. (Voir lettre du 6 janvier 2014 [des ressources humaines]).
Le 20 janvier 2014, nous faisons parvenir une lettre [au plaignant] pour lui expliquer la situation. Cette lettre est transmise par messager. Le 29 janvier 2014, [la vice-présidente du syndicat] et moi-même nous rendons au domicile [du plaignant] pour déposer les formulaires d’assurance. Visiblement, [il] est absent de son domicile depuis un certain temps. En faisant des recherches, nous découvrons que [le plaignant] est à St-Damien chez le père Jean Isma. Nous laissons un message sur la boîte vocale du père Isma pour [le plaignant]. Le 30 janvier 2014, [le plaignant] m’autorise par écrit à le représenter auprès de l’Université de Montréal et l’assureur SSQ pour le transfert du traitement de son invalidité auprès de la SSQ dans le but que lui soit versé des prestations d’assurance-salaire. […]
[22] En 2014, les prestations d’assurance salaire du plaignant sont souvent interrompues, comme le démontre l’énumération suivante que l’on retrouve dans une correspondance de l’université destinée au plaignant :
Le ou vers le 9 octobre 2013, vous omettez de fournir en temps opportun les pièces justificatives requises auprès de l’assureur, la SSQ, qui aurait permis la poursuite de votre indemnisation pour invalidité, et ce, malgré plusieurs rappels.
À titre de premier accommodement, vos prestations seront toutefois maintenues jusqu’au 26 janvier 2014 malgré l’absence de pièces justificatives.
Un rappel vous est adressé en janvier 2014 pour obtenir de telles pièces mais en vain. Vos prestations sont alors conséquemment suspendues du 27 janvier au 9 avril 2014 inclusivement.
En avril 2014, nous recevons les pièces justificatives attendues depuis le mois d’octobre 2013.
Conséquemment, l’assureur SSQ reprend le versement de vos prestations d’assurance salaire pour invalidité à compter du 10 avril 2014 jusqu’au 31 juillet 2014.
Au cours de la période d’indemnisation prévue au paragraphe précédent, la SSQ requiert auprès de vous les pièces justificatives requises pour poursuivre votre indemnisation au-delà du 31 juillet 2014. Or, malgré trois rappels faits par la SSQ à votre attention les 18 juillet, 8 août et 26 septembre, vous n’avez pas, une fois de plus, donné suite diligemment à cette requête.
À titre de deuxième accommodement, il a toutefois été décidé en octobre 2014, malgré l’absence de pièces justificatives, de vous indemniser pour la période du 31 juillet au 31 octobre 2014 inclusivement.
Depuis lors, nous étions dans l’attente des pièces justificatives requises et vos prestations ont été interrompues depuis le 1er novembre 2014.
[23] Le syndicat a de la difficulté à établir un contact avec le plaignant, qui est en Floride. En novembre 2014, la vice-présidente du syndicat, qui le connaît bien pour avoir travaillé dans la même faculté, réussi à le joindre par l’entremise d’un professeur retraité, qui est un ami du plaignant.
[24] La vice-présidente discute avec le plaignant de divers moyens pour satisfaire les exigences de l’assureur afin de rétablir les prestations. Le syndicat agit à titre d’intermédiaire entre le plaignant et l’université, car cette dernière, étant la preneuse de la police d’assurance, est la cliente de l’assureur et a donc un accès privilégié avec ce dernier.
[25] Le 16 décembre 2014, la vice-présidente transmet, par courriel, un certificat médical à l’université faisant état du suivi médical du plaignant par un médecin de Miami, et ce, depuis octobre 2013. Le même jour, elle discute avec la conseillère en gestion des invalidités de l’université, qui lui rapporte que l’assureur serait prêt à verser les prestations suspendues pourvu que les informations requises soient transmises. À cette fin, l’assureur demande que le médecin traitant du plaignant contacte le sien. La vice-présidente rapporte cela au plaignant le soir même.
[26] Le plaignant refuse cependant d’autoriser son médecin à contacter celui de l’assureur. Par courriel du 20 décembre 2014, la vice-présidente lui suggère alors d’envisager d’être indemnisé par la Régie des rentes du Québec (la RRQ) plutôt que par l’assureur. Elle lui fait part des avantages qu’il en retirerait en ces termes :
Cela rend par contre d’autant plus pertinent d’envisager ce dont je te parlais l’autre jour, le passage de la SSQ (congé de maladie) à la RRQ (congé d’invalidité). Comme je te disais, d’être sur la RRQ présenterait le grand avantage pour toi d’être dispensé de ces contrôles tous les deux mois, il n’y en aurait plus qu’un par année. Les montants versés seront exactement les mêmes. Et enfin, ce statut reste réversible, si tu vas mieux à un moment donné, tu peux toujours revenir à l’Université et reprendre tes activités.
Mais pour cela, ta présence à Montréal vers janvier s’impose, pour environ 2 semaines, je dirais. Les gens de la RRQ doivent rencontrer leurs assurés en personne pour ouvrir le dossier. C’est franchement la chose à faire, Pierre, car l’Université ne pourra pas maintenir longtemps l’assureur sur la brèche comme elle le fait actuellement, suite à nos pressions, [la conseillère syndicale] et moi.
[27] Le plaignant lui répond, le 2 janvier 2015, ne pas comprendre pourquoi le certificat médical remis à l’université est insuffisant. Il l’informe, qu’à la suite d’une référence de l’hôpital de Lachine, il a été en observation à l’Institut universitaire en santé mentale Douglas (l’Institut Douglas) pendant près d’un mois et lui envoie un document du médecin traitant d’alors afin de faire « débloquer les arriérés du mois de février-avril 2014 ».
[28] Quelques heures plus tard, la vice-présidente réitère sa suggestion qu’il soit indemnisé par la RRQ avec d’autres arguments et elle lui demande de revenir à Montréal pour une période afin de pouvoir régler les formalités. Le ton du courriel est révélateur des efforts sincères consacrés par le syndicat pour trouver une solution :
[…] Je devrais voir [la conseillère juridique] au début de la semaine prochaine, nous ferons alors le point sur ton dossier. Mais je me permets de te redire ici que l’option du passage sur la RRQ est réellement la meilleure chose pour toi. Sinon, j’ai bien peur que l’assureur mette à exécution sa décision de fermer ton dossier et que la direction des Ressources humaines (qui pour l’instant travaille vraiment de concert avec nous au [syndicat] dans ton meilleur intérêt) considère qu’elle ne peut maintenir ton lien d’emploi. Ce serait tout de même un comble, tu as cotisé pour avoir droit à SSQ et RRQ et tu n’aurais pas un sou! En plus on risque de frapper un mur à un moment donné.
Donc, please, peux-tu envisager très sérieusement l’idée de venir passer une dizaine de jours à Mtl en janvier pour régler les formalités qui te permettraient de :
1e- toucher les arriérés SSQ
2e- passer sur RRQ et en finir avec les tracasseries incessantes de la SSQ.
À bientôt (…)
[29] Le plaignant accepte finalement de venir à Montréal. Comme son logement n’est pas accessible à la suite d’un dégât d’eau survenu récemment, le syndicat lui trouve un gîte et pension et en assume le coût, du 8 au 15 janvier 2015. Le plaignant demeure à Montréal par la suite.
[30] La conseillère juridique et la vice-présidente accompagneront le plaignant dans les cliniques et urgences hospitalières qu’il a fréquentées afin de trouver un médecin qui attestera des traitements reçus, mais sans succès.
[31] Le plaignant a en sa possession deux formulaires de l’assureur reliés à des maladies à caractère physique remplis par le même médecin, datés du 22 janvier 2015. Ce médecin généraliste de Floride n’est pas l’un de ceux qui lui a prodigué des soins psychiatriques antérieurement. La dernière consultation avec ce médecin date du 30 décembre 2014.
[32] Les formulaires font état d’un diagnostic d’hypertension et prescrivent un retour au travail. Dès qu’il en fait part aux représentants du syndicat, ces derniers déclarent qu’il est nécessaire d’avoir un certificat médical émanant d’un psychiatre pour pouvoir contredire le rapport du psychiatre à l’origine de son congé de maladie.
[33] Sans suivre les conseils du syndicat, le 12 février 2015, le plaignant demande à l’université d’être réintégré au travail.
[34] Le 17 février 2015, le plaignant rencontre la vice-présidente, la conseillère juridique et un conseiller syndical afin de faire le bilan de son dossier. Il donne son autorisation à ce que l’université transmette à la conseillère juridique les documents médicaux en sa possession qui le concerne. Cela permettra à celle-ci de prendre ultérieurement connaissance de l’expertise psychiatrique du Dr Gagnon d’avril 2013, sur laquelle se fonde l’université pour transformer la suspension administrative du plaignant en congé de maladie le 10 mai suivant.
[35] L’université convoque le plaignant à une expertise médicale afin de vérifier son aptitude au travail, devant avoir lieu le 25 février 2015.
[36] Le 22 février suivant, le conseiller syndical rappelle au plaignant que ses certificats médicaux sont insuffisants pour imposer son retour au travail et qu’il est important qu’il se présente à l’expertise médicale convoquée par l’université.
[37] Le 25 février venu, le plaignant ne se présente pas à l’expertise.
[38] Le 10 mars 2015, le plaignant envoie un certificat médical standard à l’université d’un omnipraticien, où il est écrit ce qui suit :
M. Ulysse a passé un bilan de santé. Les éléments soulevés ne l’empêchent pas à avoir un retour au travail régulier. Si des informations plus précises sur l’état de santé vous sont nécessaires, svp, adressez une demande officielle (dernier mot illisible).
[39] Le 24 mars 2015, le plaignant, la vice-présidente et la conseillère juridique rencontrent le directeur des ressources humaines. Ce dernier annonce que le plaignant a un nouveau rendez-vous avec un psychiatre devant avoir lieu le 2 avril suivant et qu’il sera congédié s’il ne s’y présente pas.
[40] Le 1er avril, le conseiller syndical réitère au plaignant qu’il est important qu’il se présente à l’expertise et qu’il peut l’accompagner s’il le désire.
[41] Le 2 avril 2015, le plaignant s’y rend en compagnie de son ami, le professeur retraité.
[42] Le psychiatre qui examine le plaignant est mandaté par l’assureur et non par l’université. Selon son rapport, le plaignant se présente avec 30 minutes de retard et « l’entrevue s’est avérée des plus difficiles ». Le plaignant nie toute maladie psychiatrique, ce qui est une caractéristique de sa pathologie. Il met fin à la rencontre lorsqu’il constate que le psychiatre a des documents médicaux relatifs à son hospitalisation à l’Institut Douglas en 2014, sans qu’il ait acquiescé, selon lui, à leur transmission.
[43] Dans son rapport, fort bien étoffé, de 13 pages, le psychiatre conclut que le plaignant a une pathologie lourde qui retarde son retour au travail, souffrant de perceptions paranoïdes face à son milieu de travail. En plus, il note une perte de contact avec la réalité, une absence complète d’autocritique de sa condition et une méfiance des plus excessives. Il dit craindre que cela soit permanent, considérant que le plaignant ne semble pas vouloir suivre de traitement pharmacologique.
[44] Par lettre datée du 23 avril 2015, l’assureur avise le plaignant du rétablissement de ses prestations. Elle le considère comme étant « dans un état d’incapacité complète » « d’exercer toutes et chacune des fonctions de toute occupation rémunératrice pour laquelle il est raisonnablement qualifié en raison de son entraînement, sa formation, son éducation ou son expérience », ce qui lui permet de recevoir des prestations d’assurance salaire de longue durée.
[45] Il souligne aussi au plaignant qu’en vertu du contrat, il doit faire une demande d’indemnité à la RRQ. S’il se qualifie à des prestations d’invalidité, les prestations de l’assureur seront amputées d’un montant égal à celles reçues. S’il fait défaut de présenter une demande, il subira la même réduction comme s’il était admissible aux prestations gouvernementales.
[46] L’université, qui a reçu copie conforme de la lettre de l’assureur, avise le plaignant, dans une lettre du 8 mai 2015 qu’elle refuse sa réintégration au travail. Le directeur des ressources humaines, signataire de la lettre, se dit heureux que le plaignant ne soit maintenant astreint qu’à un seul contrôle annuel par l’assureur, le prochain devant avoir lieu en avril 2016. Le syndicat est en copie conforme, comme dans la plupart des communications envoyées par l’université au plaignant. De plus, la conseillère juridique reçoit copie du rapport du psychiatre.
[47] Dans un courriel du 25 mai 2015 destiné à la conseillère juridique, le plaignant lui demande : « au cas où je voudrais déposer un grief, pourriez-vous m’aider avec la formulation ? » C’est la première fois qu’il évoque la possibilité de déposer un grief. Il s’enquiert aussi si elle a vérifié auprès de l’assureur ce qui lui est versé au sujet des arriérés de prestations. S’ensuit par la suite une série d’échanges entre les deux :
· Le 26 mai, la conseillère juridique lui écrit qu’elle peut l’aider à soumettre un grief, comme elle le fait pour les autres professeurs, et lui rappelle que le délai est de 60 jours de la connaissance des faits que l’on désire contester.
· Le même jour, le plaignant la remercie et lui demande s’il est possible d’avoir la formulation du grief.
· Le 27 mai, la conseillère juridique l’informe que, pour rédiger un grief, elle doit savoir ce qu’il conteste. Elle lui rappelle qu’il devait lui revenir quant à la possibilité de présenter une demande à la RRQ, lui soulignant que l’assureur l’a avisé qu’il réduirait ses prestations le 1er juin prochain 2015.
· Le 28 mai, il lui écrit : « On peut réfléchir sur la manière de le présenter. C’est le processus qui en résulte que je souhaite contester. »
· Le 29 mai, elle l’avise qu’elle sera absente du 4 au 16 juin 2015; elle lui demande de lui écrire les faits au soutien de son grief et lui indique qu’elle les finalisera à son retour.
[48] Dans le même courriel que celui du 29 mai, la conseillère syndicale informe le plaignant qu’elle sollicitera l’opinion d’un avocat pour savoir si l’assureur peut, comme il l’annonce, réduire ses prestations le 1er juin 2015. L’avocat consulté, un spécialiste en matière d’assurance et de régime de retraite, confirme le droit de l’assureur.
[49] Le plaignant refuse de remplir une demande d’indemnisation à la RRQ, exprimant son désaccord avec l’opinion de l’avocat voulant que l’assureur puisse réduire les prestations.
[50] Le 16 juin 2015, le plaignant transmet à la conseillère juridique les faits suivants, que nous reproduisons :
· Le 10 avril 2013, l’Université de Montréal a transformé une suspension administrative en congé de maladie;
· Le 22 janvier 2015, le médecin traitant a envoyé à l’Université de Montréal un certificat de retour au travail à plein temps (art AS 3.03 de la Convention collective);
· Le 29 janvier 2015, j’ai transféré une copie du certificat médical du 22 janvier 2015 à [la SSQ] qui disait ne pas l’avoir reçu (art AS 3.03 de la Convention collective);
· Le 29 janvier 2015, j’ai reçu par courriel une convocation pour une évaluation psychiatrique fixée au 25 février 2015;
· Le 25 février 2015, j’ai refusé de me rendre au rendez-vous psychiatrique, considérant que c’est une violation de l’art. AS 3.03 de la Convention collective;
· Un second avis médical de retour au travail daté du 10 mars 2015 est envoyé à l’Université de Montréal (art. AS 3.03 de la Convention collective);
· Le 13 mars 2015, j’ai reçu par la poste une deuxième convocation datée du 6 mars 2015 pour une évaluation psychiatrique fixée au 2 avril 2015;
· Le 24 mars 2015, il y eut une rencontre avec le directeur des Ressources humaines. […] Celui-ci a affirmé que la SSQ agit sous le mandat de l’Université de Montréal et qu’il a personnellement demandé à la SSQ de s’occuper du dossier (violation de l’article AS 3.03 de la convention collective). J’ai été menacé de perdre mon emploi et mon poste si je ne me présentais pas au rendez-vous du 2 avril 2015 (ce qui est un non-respect des arts RC 8.01 et suivants de la Convention collective);
· Le 2 avril 2015, je suis allé au rendez-vous.
· Le 27 avril 2015, j’ai reçu une lettre datée du 23 avril 2015 me déclarant invalide;
· Plus tard, j’ai reçu une copie du rapport de l’évaluation du 2 avril 2015 disant que je souffre de «la pathologie psychiatrique lourde», que j’ai des «limitations fonctionnelles» entraînant des «restrictions permanentes»;
· Le 8 mai 2015, j’ai reçu une lettre de confirmation de la part de l’Université de Montréal.
[51] La disposition AS 3.03 de la convention collective prévoit ce qui suit :
AS 3.03 L’Université peut exiger que le professeur produise au moment de son retour de congé de maladie un certificat médical attestant qu’il est apte à reprendre ses fonctions.
[52] Le 22 juin 2015, la conseillère juridique rencontre le plaignant au bureau du syndicat, sans que la preuve révèle les sujets abordés.
[53] À la même période, l’université réclame le remboursement d’un montant de 25 000 $ qui a été versé au plaignant durant son année de ressourcement. La convention collective prévoit qu’une partie de son salaire peut être versée sous forme de bourse, mais il n’a pas terminé l’année. Le syndicat et le plaignant tentent de trouver une solution à ce problème.
[54] Par courriel daté du 7 septembre 2015, le plaignant écrit au syndicat ce qui suit :
Je voudrais, par la présente, déposer un grief contre l’Université de Montréal. J’ai déposé en 2012 une plainte pour racisme et discrimination contre l’Université de Montréal. En représailles, l’Université a brisé ma carrière
Je demande
1) que je sois réintégré à temps plein dans mon poste de professeur agrégé;
2) des réparations de 60 000 000 de dollars.
[55] Le 29 septembre 2015, le conseiller syndical transmet une ébauche de grief au plaignant et demande de le rencontrer le 6 octobre suivant pour la finaliser. Dans le projet soumis, la réclamation est de 60 000 $ et non de 60 000 000 $.
[56] Le 2 octobre 2015, le directeur général adjoint des ressources humaines de l’université envoie au plaignant un engagement de remboursement de 7 549 $ pour qu’il le signe. L’université lui versait sous forme d’avances 100 % de son salaire alors que les prestations versées par l’assureur sont égales à 75 % du salaire. L’engagement mentionne que le paiement de cette somme sera effectué dès la réception des 20 079 $ qui seront payés par l’assureur pour une autre période d’arriérés. Les signataires prévus à l’engagement sont le plaignant et la vice-présidente du syndicat, cette dernière avait obtenu de l’université qu’elle avance les sommes au plaignant afin qu’il ne soit pas sans revenu.
[57] Le 5 octobre suivant, le plaignant demande au directeur général adjoint si l’engagement, qu’il qualifie de proposition, vient de l’université ou du syndicat.
[58] Le 6 octobre suivant, comme convenu, le plaignant rencontre les représentants du syndicat. Le 11 octobre, il envoie la nouvelle copie du grief au conseiller syndical.
[59] Le 3 novembre 2015, la vice-présidente lui écrit que le syndicat s’occupera d’acheminer le grief, soulignant que le montant de 60 000 000 $ doit être une erreur. Elle lui demande de le corriger, d’apposer sa signature électronique et de lui retourner le grief. Le plaignant corrigera le montant, le remplaçant par 59 000 000 $.
[60] Dans un courriel du 24 novembre 2015, la conseillère juridique informe le plaignant que son grief a été déposé le 12 novembre précédent. Le libellé du grief reprend l’affirmation du plaignant qu’en 2012, il a déposée : « une plainte pour racisme et discrimination » contre l’université et, qu’en représailles, elle a brisé sa carrière. Parmi les ordonnances requises, il y a la réintégration, le remboursement des pertes pécuniaires et le paiement de 59 000 000 $ à titre de dommages.
[61] Le 17 décembre 2015, le plaignant envoie un courriel au syndicat pour s’enquérir des suites données à son grief.
[62] Le 7 janvier 2016, le conseiller syndical écrit au plaignant. Il l’informe que l’université, lors du dernier Comité paritaire de griefs, a exprimé le désir d’organiser une rencontre avec lui en présence des représentants syndicaux au sujet de son grief. La date de cette rencontre sera déterminée au cours de la prochaine rencontre du comité devant avoir lieu le 21 janvier.
[63] Le 18 janvier 2016, le plaignant envoie un courriel à la vice-présidente, à la conseillère juridique et au conseiller syndical pour les aviser qu’il considère le syndicat en conflit d’intérêts, mais sans expliquer pourquoi. Le 26 janvier suivant, il écrit à ces mêmes personnes un laconique message qui se lit comme suit : « Bonjour, Juste pour le suivi de ce courriel. »
[64] Le 9 février suivant, le plaignant écrit à nouveau aux trois représentants syndicaux un « mot pour faire le suivi des deux courriels envoyés les 18 et 26 janvier 2016 concernant les griefs ». Il ajoute :
Il est aussi question de savoir que, compte tenu de la situation actuelle, comment on procède pour la suite des griefs. Alors, je pose directement la question :
Compte tenu de la situation actuelle, comment procède-t-on pour la suite des griefs?
[65] Le 11 février 2016, en réponse aux courriels des 18 et 26 janvier 2016, le conseiller syndical informe le plaignant que la convention collective prévoit qu’un professeur qui dépose un grief a le droit d’être entendu au Comité paritaire de griefs. Lui donnant les deux prochaines dates où il se réunit, il lui demande de l’informer s’il souhaite exercer cette option et de préciser à laquelle des deux dates il désire être entendu, afin qu’il en informe les membres de l’université qui composent ce comité.
[66] Le 15 février 2016, le plaignant répond aux représentants syndicaux :
La convention collective ou d’autres codes déontologiques du syndicat prévoient-ils des manières de gérer les conflits d’intérêts, situation dans laquelle se trouve le syndicat actuellement.
Je vous remercie de me répondre rapidement.
[67] Le même jour, le conseiller syndical réplique qu’il comprend que le plaignant ne désire pas rencontrer le Comité paritaire de griefs. Il lui demande les raisons pour lesquelles le syndicat serait en conflit d’intérêts.
[68] Les 18 et 22 février suivant, le plaignant envoie à nouveau des courriels demandant un suivi des courriels précédents. Dans le dernier, il répète sa question portant sur la façon dont le syndicat entend procéder, en termes de représentation, pour la poursuite du grief. Il ne donne toujours pas d’explications sur ses allégations de conflit d’intérêts.
[69] Le 26 février, le conseiller syndical écrit au plaignant que, dorénavant, ce sera le président du syndicat qui s’occupera de son dossier et qu’il communiquera avec lui dans la semaine du 10 mars prochain. Cette décision a été prise par le syndicat à la suite des accusations de conflit d’intérêts.
[70] Le 16 mars 2016, le plaignant écrit au syndicat ce qui suit :
Je voudrais faire le suivi du courriel envoyé à la fin du mois de février disant qu’il y aurait suivi du dossier de grief par […], le président du syndicat, le 10 mars dernier. Comme il ne s’est rien passé, je voudrais savoir ce qui en est.
[71] Dans une lettre datée du 21 mars 2016, le président du syndicat écrit au plaignant. Faisant entre autres état de ses refus répétés de rencontrer un psychiatre de son choix ou nommé par le syndicat afin de pouvoir contredire celui qui a rendu l’expertise à l’origine de son congé de maladie en avril 2013 et celui de l’assureur en avril 2015, le président l’informe qu’il demandera une évaluation des chances de succès de son grief par des avocats. La suite sera en fonction de cette opinion :
En vertu du Code du travail, il appartient au syndicat de décider s’il défère un grief à l’arbitrage. Dans un tel contexte, j’entends soumettre votre dossier à une firme d’avocats afin qu’il soit évalué en faits et en droit. Dans l’éventualité où nous recevions une recommandation favorable, votre dossier sera déféré à un arbitre de griefs. Advenant que le [syndicat] décide de déférer votre grief à l’arbitrage suite à l’opinion obtenue, nous verrons à vous en informer et à vous expliquer les suites que vous pouvez y donner, le cas échéant. Je demeure disponible pour recevoir vos commentaires et observations, que je vous demande de m’acheminer, le cas échéant, au plus tard le 12 avril 2016.
[72]
La lettre est envoyée par courrier recommandé au domicile du plaignant
et par courriel à son adresse à l’université. Or, la lettre sera retournée à
l’expéditeur parce que non réclamée et le plaignant déclare ne pas avoir pris
connaissance du courriel. Selon le logiciel de l’adjointe administrative du
syndicat, le courriel envoyé a été ouvert dans les minutes suivant son envoi. Cette
adresse courriel professionnelle n’avait
jusque-là jamais été utilisée par les représentants syndicaux, et ce, dans le
présent dossier.
[73] Puis s’ensuit un échange de courriels entre le plaignant et le conseiller syndical :
· Le 28 avril 2016, le plaignant se plaint du quasi-silence du syndicat, et ce, depuis janvier dernier. Il demande une rencontre pour convenir d’arrangements et d’accommodements afin de ne pas nuire à ses droits et intérêts.
· Le 4 mai suivant, le conseiller syndical l’informe, comme déjà indiqué antérieurement, que son grief est soumis pour analyse à une firme d’avocats et qu’il sera informé des résultats après avoir obtenu le rapport.
· Le 5 mai, le plaignant réplique encore qu’il aurait fallu qu’il soit mis au courant de cette procédure, ce qui n’a jamais été le cas. Il informe le syndicat qu’il a contesté l’arrêt de ses prestations par l’assureur depuis le 28 avril 2016 et réitère sa demande de rencontre avec le syndicat.
· Demande qu’il réitère le 30 mai suivant.
[74] Le 1er mai 2016, la conseillère juridique envoie la trame factuelle à l’avocat chargé de se prononcer sur les chances de succès du grief du plaignant. Dans le courriel, la conseillère s’excuse de son retard, le motivant par la maladie de sa mère qui l’a amené à s’absenter du travail.
[75] Le 2 juin 2016, le plaignant avise qu’il entend déposer une plainte en vertu des articles 47.2 et 47.3 du Code dans la semaine du 13 juin. Il constate que le « grief déposé le 25 septembre 2015 n’a reçu jusqu’à présent aucune réponse, en complète violation des clauses de la convention collective ». La date du 25 septembre 2015 apparait à l’entête du grief, à la suite du nom du plaignant et aucune preuve n’a porté sur sa signification.
[76] Le 3 juin 2016, l’avocat ayant obtenu le mandat d’étudier le grief du plaignant rend son opinion. Il estime que le grief n’a pas de chance raisonnable de succès. Il écrit aussi :
En résumé, étant donné que le lien d’emploi entre l’Université et [le plaignant] n’a pas été rompu, ce dernier peut demander un retour au travail mais pour ce faire, nous estimons qu’il devra fournir à l’employeur des éléments, incluant des documents médicaux, qui attestent qu’il est apte au travail. En ce qui concerne plus particulièrement le grief du 25 septembre 2015, nous estimons que ce grief ne devrait pas être référé à l’arbitrage à moins que [le plaignant] fournisse au Syndicat des documents médicaux ou accepte de se soumettre à une contre-expertise qui permettrait de conclure que l’expertise [du psychiatre] du mois d’avril 2015 devrait être écartée.
[77] Le même jour, le président du syndicat envoie une lettre au plaignant l’informant des résultats de l’opinion juridique. Il souligne l’absence de document médical permettant de contredire l’expertise du 2 avril 2015, ce qui empêche d’obtenir gain de cause en arbitrage. Il l’invite à lui en transmettre un s’il en a en sa possession ou à se soumettre à une expertise psychiatrique, espérant qu’elle contredirait les conclusions de la première.
[78] Le 15 juin 2016, le plaignant écrit au président du syndicat pour obtenir copie de l’opinion juridique, les questions posées à l’avocat et une copie du dossier qui lui a été soumis. Le président refuse sa demande le lendemain, mentionnant n’avoir rien à ajouter à la lettre du 3 juin dernier.
[79] Tel que susdit, le plaignant dépose sa première plainte pour manquement au devoir de juste représentation le 6 décembre 2016. Il appert qu’il a pris connaissance de la lettre du 3 juin 2016 à la suite de la correspondance du 15 juin 2016.
[80] Le 18 janvier 2017, le plaignant dépose à l’université une évaluation psychiatrique de trois pages d’un psychiatre de New York concluant que « he does not suffer from any mental illness ». Il réclame sa réintégration à son poste de professeur. L’évaluation n’est pas datée, mais il est mentionné que le plaignant a été évalué les 26 août et 22 octobre 2016.
[81] Dans l’évaluation, l’historique psychiatrique et celui médical ne contiennent que trois lignes chacun, où il est essentiellement mentionné que le plaignant nie avoir un historique de maladie physique ou mentale ou avoir reçu des traitements psychiatriques. Aucune des deux expertises psychiatriques passées, celles des mois d’avril 2013 et 2015, ni d’allusion à sa période d’hospitalisation à l’Institut Douglas en avril 2014 ne sont mentionnées.
[82] Le 25 janvier suivant, le plaignant informe les trois représentants syndicaux de sa démarche et qu’ils recevront par la poste l’évaluation médicale.
[83] Le 8 février 2017, la conseillère juridique confirme au plaignant la réception de l’évaluation, mais il lui semble qu’il manque une page, ayant deux copies d’une même page, et demande de la lui transmettre. Elle ajoute comprendre que cette évaluation est la réponse à l’invitation du président du syndicat contenue dans la lettre du 3 juin 2016. Toutefois, comme il y a eu le dépôt d’une plainte en vertu de l’article 47.3 du Code, elle l’invite à en discuter dans le cadre d’une conciliation au Tribunal ou, s’il le désire, directement au bureau du syndicat.
[84] Le 9 février 2017, la conseillère en santé et mieux-être de l’université informe la conseillère juridique que le plaignant est convoqué à une expertise médicale, devant se tenir le 1er mars 2017. L’article AS 3.02 de la convention collective, sur lequel elle s’appuie pour la convocation, prévoit :
AS 3.02 L’Université peut vérifier l’état de santé d’un professeur en congé de maladie en lui demandant de se soumettre à un examen médical par un médecin désigné par elle.
[85] Le 16 février suivant, le plaignant envoie à l’université et à la conseillère juridique un courriel contestant les refus de ne pas accepter les certificats de retour au travail, dont le dernier soumis le 18 janvier 2017. Il réfute que l’article AS 3.02 puisse s’appliquer à son cas.
[86] Le 22 février suivant, l’université avise le plaignant que le refus de se présenter à l’expertise entraînera « les mesures et décisions qui s’imposent ».
[87] À deux reprises par la suite, le syndicat avise le plaignant de l’existence d’un courant jurisprudentiel voulant que des arbitres de griefs refusent de briser un congédiement imposé à la suite du refus d’un salarié de se présenter à une expertise médicale. Il lui transmet des sentences arbitrales confirmant le courant. Il lui conseille de se présenter à l’expertise du 1er mars.
[88] Le 1er mars, le plaignant envoie un long courriel à la conseillère juridique, à la conseillère en gestion des invalidités de l’université et à une représentante de l’assureur mentionnant les raisons de son refus de se présenter à l’expertise prévue se tenir le même jour.
[89] Le 13 mars 2017, la conseillère juridique écrit au plaignant pour vérifier s’il veut déposer un grief pour les raisons mentionnées dans son courriel du 1er mars précédent et s’il souhaite l’aide du syndicat pour le rédiger et le soumettre. Elle lui rappelle aussi être en attente de la page manquante de l’évaluation médicale qu’elle a requise le 8 février dernier.
[90] Le 14 mars 2017, l’université convoque de nouveau le plaignant à une expertise psychiatrique qui doit avoir lieu le 21 mars prochain. Elle l’avise aussi qu’un refus de sa part de se présenter pourrait entraîner la fin de son emploi.
[91] Le 21 mars 2017, la conseillère juridique écrit au plaignant avoir reçu la page manquante de l’expertise du psychiatre américain. Elle lui réitère le conseil voulant qu’il doive se présenter à l’expertise requise par l’université, sous peine d’être congédié en cas de refus. Elle lui demande s’il l’autorise à demander un report de l’expertise afin de profiter d’une séance de conciliation au Tribunal où tous seront présents afin de tenter de régler sa plainte contre le syndicat qui est intimement reliée à sa demande de réintégration.
[92] Le syndicat est inquiet de la possibilité que le plaignant soit congédié. D’autant qu’un professeur qui est en assurance invalidité long terme, comme le plaignant, bénéficie d’une exonération de ses primes d’assurances et de ses cotisations au régime de retraite, continuant de cumuler du service, et ce, jusqu’à l’âge de 65 ans. À cet âge, ses prestations d’assurance salaire cessent et les prestations de retraite commencent. Le plaignant a environ 61 ans.
[93] Le plaignant ne se présente pas à l’expertise médicale et l’université met fin à son emploi le 31 mars 2017.
[94] Le 27 avril suivant, la conseillère juridique envoie un courriel au plaignant lui rappelant qu’il a 60 jours pour contester son congédiement, et ce, à partir de sa connaissance de la fin de son emploi. Elle lui souligne que le courriel contenant la lettre de congédiement a été envoyé le 31 mars précédent.
[95] Le 25 mai 2017, le plaignant dépose directement un grief à l’université contestant son congédiement. Son exposé commence par le fait qu’il aurait déposé une plainte contre le racisme en 2012 et, qu’au cours d’un conflit de travail, l’université s’est appliquée à briser sa carrière. Par la suite, l’on retrouve les évènements relatés dans la présente décision.
[96] Le 14 juin 2017, le plaignant dépose sa deuxième plainte pour manquement au devoir de juste représentation contre le syndicat.
[97] Le 26 juin 2017, à la suite d’un constat de désaccord avec l’université, le syndicat soumet le grief de congédiement à l’arbitrage et en avise le plaignant, le même jour.
[98] L’évaluation médicale du psychiatre américain transmise le 18 janvier 2017 n’a pas pour effet de modifier l’opinion du syndicat sur la nécessité d’obtenir une expertise d’un psychiatre pour contredire celles d’avril 2013 et avril 2015.
[99] Le syndicat n’a pas tenté de joindre le médecin américain qui a émis les deux formulaires médicaux du 22 janvier 2015, ni le médecin dont le certificat a été remis le 10 mars suivant, ni le psychiatre américain qui a produit l’évaluation remise le 18 janvier 2017.
[100] Il revient au plaignant le fardeau de démontrer que le syndicat a enfreint ses obligations prévues à l’article 47.2 du Code :
47.2 Une association accréditée ne doit pas agir de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire, ni faire preuve de négligence grave à l’endroit des salariés compris dans une unité de négociation qu’elle représente, peu importe qu’ils soient ses membres ou non.
47.3 Si un salarié qui a subi un renvoi ou une mesure disciplinaire, ou qui croit avoir été victime de harcèlement psychologique, selon les articles 81.18 à 81.20 de la Loi sur les normes du travail (chapitre N-1.1), croit que l’association accréditée contrevient à cette occasion à l’article 47.2, il doit, s’il désire se prévaloir de cet article, porter plainte et demander par écrit au Tribunal d’ordonner que sa réclamation soit déférée à l’arbitrage.
[101] Dans Barrouk c. Union des employés d’hôtels, restaurants et commis de bars, local 31[3], la Commission des relations du travail[4], à la lueur de la jurisprudence, détermine la teneur des interdictions :
[55] Au sujet des contraventions alléguées par les plaignants, la Cour suprême explique les quatre comportements interdits par l’article 47.2 dans Noël c. Société d’énergie de la Baie James [2001] 2 R.C.S. 207, aux paragraphes 46 à 55. La mauvaise foi « suppose une intention de nuire, un comportement malicieux, frauduleux, malveillant ou hostile ». Le comportement discriminatoire comprend « toutes les tentatives de défavoriser un individu ou un groupe sans que le contexte des relations de travail dans l’entreprise ne le justifie ». La mauvaise foi et la discrimination impliquent un comportement vexatoire de la part du syndicat.
[56] Dans le cas de l’arbitraire et de la négligence grave, même sans intention malicieuse, les actes de l’association ne doivent pas dépasser « les limites de la discrétion raisonnablement exercée ». Au sujet de l’arbitraire, une association ne peut pas traiter une plainte d’un salarié « de façon superficielle ou inattentive ». L’association doit faire une enquête. Elle doit « examiner les faits pertinents ou obtenir les consultations indispensables, le cas échéant, mais aussi tenir compte des ressources de l’association, ainsi que des intérêts de l’ensemble de l’unité de négociation ». L’association jouit d’une discrétion importante au sujet de la forme et de l’intensité de ses démarches.
[57] La négligence grave comprend « [u]ne faute grossière dans le traitement d’un grief ». Cependant, l’article 47.2 n’impose pas une norme de perfection. L’analyse du comportement syndical peut tenir compte des facteurs suivants : les ressources disponibles; l’expérience et la formation des représentants syndicaux, le plus souvent des non-juristes; les priorités reliées au fonctionnement de l’unité de négociation; l’importance du grief pour le salarié; les chances de succès du grief; l’intérêt concurrent des autres salariés dans l’unité de négociation.
[58] De plus, les principes applicables en matière du devoir d’égalité de traitement d’un syndicat relativement à un grief se retrouvent dans l’arrêt La Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon [1984] 1 R.C.S. 509, à la page 527 :
1. Le pouvoir
exclusif reconnu à un syndicat d’agir à titre de
porte-parole des employés faisant partie d’une unité de négociation comporte en
contrepartie l’obligation de la part du syndicat d’une juste représentation de
tous les salariés compris dans l’unité.
2. Lorsque, […] comme c’est généralement le cas, le droit de porter un grief à l’arbitrage est réservé au syndicat, le salarié n’a pas un droit absolu à l’arbitrage et le syndicat jouit d’une discrétion appréciable.
3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.
4. La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.
5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.
LA PREMIÈRE PLAINTE
[102] Prenons les arguments du plaignant mentionnés à sa plainte, dans son exposé de 23 pages et dans sa plaidoirie, qui peuvent se résumer comme suit :
· le syndicat a excédé le délai pour déposer le premier grief, le plaignant l’ayant demandé le 12 mai 2015;
· le syndicat n’a pas fait enquête avant de décider de ne pas soumettre le grief à un arbitre;
· le syndicat est de collusion avec l’université afin d’exclure le plaignant de son travail et de le congédier.
[103] Aucune preuve ne supporte la prétention que le plaignant ait demandé au syndicat de déposer un grief le 12 mai 2015.
[104] Ce n’est que le 25 mai 2015, par courriel, qu’il évoque pour la première fois la possibilité de soumettre un grief et qu’il demande à la conseillère juridique si elle pourrait l’aider dans la rédaction de celui-ci. S’ensuit une série d’échanges où la conseillère tente de savoir sur quoi le grief porterait.
[105] Finalement, le 16 juin 2015, le plaignant lui transmet les faits sur lesquels découlerait un grief. Par la suite, la preuve ne démontre pas qu’il y ait eu des discussions demandant formellement de déposer un grief.
[106] Soulignons que, pour le syndicat, une réintégration au travail n’est possible que si une expertise d’un autre psychiatre peut être opposée valablement à celles effectuées pour les comptes de l’université, en avril 2013, et de l’assureur, en avril 2015. Au surplus, il est d’avis que l’université n’a commis aucune violation de la convention collective, au contraire elle fut même coopérante dans le traitement du dossier d’absence du plaignant en maintenant le salaire de celui-ci.
[107] Ce n’est que le 7 septembre 2015 qu’il y a une demande formelle du plaignant de déposer un grief en précisant les motifs, soit les représailles de l’université à la suite de la plainte de discrimination et de racisme déposée par lui en 2012. Il réclame sa réintégration et diverses mesures de réparation.
[108] Le syndicat dépose un grief le 12 novembre suivant. Est-il prescrit comme le prétend le plaignant? Tout dépend du moment de la dernière manifestation de représailles. Or, si l’on considère que le grief réfère à la demande de réintégration au travail, il semble que ce soit le refus de le réintégrer, soit le 8 mai 2015, qui constitue la dernière manifestation de représailles par l’université. La demande du plaignant, le 7 septembre 2015, excède déjà le délai de « 60 jours de la connaissance du fait dont le grief découle » prévu à la convention collective. Il est donc difficile de faire reproche au syndicat d’un dépôt hors délai.
[109] Le plaignant avait le fardeau de démontrer que le syndicat n’avait pas respecté le délai et qu’il en était responsable. Or, il n’a pas fait cette preuve.
[110] Concernant l’absence d’enquête auprès des médecins du plaignant, bien qu’il soit vrai que le syndicat n’ait pas communiqué avec les divers médecins et le psychiatre américain, qui ont tous délivré des certificats de retour au travail, cela ne constitue pas un manquement pour autant.
[111] Le syndicat pouvait juger de la valeur des certificats et de l’évaluation par une simple lecture de chacun d’eux. Les trois premiers, deux en janvier et un en mars 2015, certifient que le plaignant a une santé physique suffisante pour retourner au travail. Le syndicat les a bien entendu considérés comme insuffisants pour contredire une expertise en bonne et due forme d’un psychiatre et le passé médical du plaignant, relié à une atteinte mentale.
[112] Quant à l’évaluation du psychiatre américain, de janvier 2017, encore là le syndicat l’a jugée insuffisante, avec raison. Le psychiatre effectue un diagnostic sans connaître l’historique médical du plaignant et sans avoir pris connaissance de diverses expertises étoffées qui la jalonnent ni les notes de son dossier d’hospitalisation d’un mois à l’Institut Douglas. Elle est basée sur les seules déclarations du plaignant qui nie avoir eu un problème psychiatrique et un traitement qui y serait relié. Il s’agit d’une évaluation médicale de complaisance.
[113] Le Tribunal rejette la prétention du plaignant voulant que le syndicat, qui ne l’a pas rencontré avant de lui annoncer qu’il ne soumettrait pas son grief à un arbitre, se soit privé d’informations, ce qui constitue un manquement à ses obligations de représentation.
[114] Le syndicat était au fait de tous les éléments pertinents à l’analyse du dossier, éléments qui ont été transmis à l’avocat chargé d’évaluer les chances de succès du grief. Les représentants du syndicat ont accompagné le plaignant tout au long de son dossier d’absence qui a débuté en 2013.
[115] Si le plaignant avait en sa possession des éléments que le syndicat ignorait, il devait l’en informer, conformément à son obligation de coopération. Il a eu plusieurs occasions pour le faire.
[116] Le Tribunal doute d’ailleurs que les enregistrements effectués lors des expertises conduites par les psychiatres puissent véritablement remettre en cause les évaluations effectuées par la suite. D’ailleurs, le plaignant ne les a pas déposés à l’audience, se privant ainsi de faire la preuve de la pertinence de ces renseignements.
[117] Aucune preuve n’existe au soutien de ses prétentions. Certes, le plaignant est d’avis qu’il ne souffre d’aucune atteinte et que, par conséquent, ceux qui le prétendent ou soutiennent cette position travaillent contre lui, une caractéristique de la pathologie qui l’afflige.
[118] Or, l’analyse de la preuve démontre plutôt que le syndicat a agi selon les règles de l’art et même plus. Il a été aidant dès le début, se déplaçant chez le plaignant, le recherchant par la suite pour lui faire signer les documents lui permettant de se qualifier pour les prestations d’assurance salaire. Il a intercédé auprès de l’université pour tenter de rétablir les prestations quand il refusait de respecter les conditions pour le versement de celles-ci. Le syndicat a obtenu le versement d’avance et imploré le plaignant de venir à Montréal pour régler la situation. Il lui a aussi payé les frais d’hébergement et de nourriture pour une semaine.
[119] Le syndicat a conseillé maintes fois au plaignant de se présenter aux expertises requises par l’université et l’assureur, en lui soulignant les dangers de ne pas le faire. Même si les représentants syndicaux étaient expérimentés, le syndicat a quand même demandé une opinion juridique sur les chances de succès du grief qui a confirmé ce que les représentants syndicaux savaient déjà.
[120] Le plaignant aurait souhaité que le syndicat conteste toutes les actions de l’université et de l’assureur qui avaient comme prémisse qu’il était atteint d’une pathologie psychiatrique incapacitante. Or, le syndicat n’avait pas de raison, bien au contraire, de douter des expertises et de l’état du plaignant.
[121] Le refus du syndicat de ne pas soumettre le premier grief à un arbitre constitue une décision réfléchie, qui s’imposait tant le grief n’avait pas de chance de succès.
[122] À la lecture de la plainte du plaignant, on a l’impression qu’il confond celle-ci avec un grief puisqu’il écrit qu’il conteste son renvoi. Le syndicat n’a jamais refusé de s’occuper de ce grief, le déférant à l’arbitrage et il est en attente de la présente décision avant de nommer un arbitre.
[123] Le plaignant se base en quelque sorte sur le comportement du syndicat, qu’il juge inadéquat, dans sa première plainte pour justifier sa deuxième plainte. Or, tel que susdit, le Tribunal constate que la conduite du syndicat non seulement respecte ses obligations légales, mais apparait même sans reproche, voire exemplaire.
[124] Le syndicat a prévenu le plaignant des conséquences possibles en cas de refus de se présenter à l’expertise du 21 mars 2017, avec jurisprudence à l’appui.
[125] À la suite de son congédiement, le syndicat lui a rappelé le délai pour déposer un grief le contestant.
[126] Le syndicat a respecté ses obligations de représentation dans le traitement du grief contestant le congédiement.
[127] Maintenant, abordons les motifs pour lesquels le Tribunal a refusé que l’université ait communication de l’opinion juridique du syndicat, qu’il a obtenue en 2016 afin d’évaluer les chances de succès du grief du plaignant contestant le refus de l’université de le réintégrer.
[128] Le recours prévu à l’article 47.3 du Code permet à un salarié de se plaindre de la représentation effectuée par son syndicat à l’occasion d’une mesure imposée par l’employeur. C’est le syndicat qui est visé par le recours. L’employeur a un statut de mis en cause. Son seul intérêt est de s’assurer de l’absence de collusion entre le salarié et le syndicat. En effet, la seule conclusion qui pourrait avoir un effet à son égard si la plainte était accueillie serait celle où la réclamation du salarié est déférée à l’arbitrage comme si elle était un grief.
[129] En 2005, maître Manon Savard, aujourd’hui juge en chef de la Cour d’appel du Québec, effectue une présentation[5] où elle décrit le rôle restreint de l’employeur dans une plainte en vertu de l’article 47.3 du Code :
4. Le rôle de l’employeur
Le rôle de l’employeur, lors de plaintes logées en vertu de l’article 47.3 du Code, a toujours été limité, puisqu’il ne s’agissait pas de déterminer le fond même d’une plainte relative à une mesure disciplinaire ou d’un renvoi, mais uniquement si l’association accréditée avait ou non manqué à son devoir de représentation envers le salarié en cause. Il était cependant reconnu que l’employeur avait le droit d’intervenir pour contester ou corroborer les faits le concernant. L’employeur avait évidemment le droit de faire toute preuve relative à une collusion possible entre le salarié et le syndicat en cause.
L’intervention de l’employeur lors de plaintes fondées sur l’article 47.2 du Code devra nécessairement être plus importante qu’elle ne l’était lors de plaintes soumises en vertu de l’article 47.3 du Code.
En effet, comme nous l’avons souligner (sic) précédemment, un ou des salariés pourront contester la validité de clauses négociées par l’employeur et le syndicat ou l’interprétation et l’application de ces clauses et ce, même en l’absence de litige sur ces questions entre l’employeur et l’association accréditée. (…)
L’employeur aura alors un intérêt direct puisque la plainte contestera indirectement la validité intrinsèque de la convention collective qu’il a conclue ou l’interprétation qui doit être donnée à certaines dispositions. (…)
(Notre soulignement)
[130] Outre les cas de non-respect de la procédure de grief par l’association ou lorsqu’un salarié prétend avoir perdu confiance en elle, les plaintes contestent la plupart du temps le refus du syndicat de déposer un grief ou de le poursuivre en arbitrage au motif qu’il y a peu de chances de succès. Cette conclusion prend appui souvent sur une opinion venant d’un conseiller syndical ou d’un avocat.
[131] L’opinion analyse les chances de succès du grief à la lumière de l’examen des faits recueillis par le syndicat lors de sa représentation d’un salarié et des dispositions de la convention collective, des lois pertinentes et de la jurisprudence. L’opinion peut aborder différents moyens de droit que l’employeur pourrait faire valoir à l’encontre du grief ou de la preuve devant un arbitre.
[132] Dans le cas d’une opinion juridique, elle est couverte par le secret professionnel, droit protégé par l’article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne[6]. Dans Poulin c. Prat[7], la Cour d’appel précise : « puisqu’il s’agit d’un droit fondamental, il faut lui apporter une interprétation libérale et généreuse ».
[133] L’opinion, incluant celle émanant d’un conseiller syndical, est aussi préparée dans le cadre d’un litige, prévisible ou réel. Elle est donc protégée par le privilège relatif au litige. Ce dernier est ainsi défini dans l’arrêt Amato c. Bofiq inc.[8] :
[29] Le privilège relatif au litige s’étend donc à tout document si la partie qui l’invoque peut établir (1) qu’au moment de la préparation de ce document, un litige existe ou est anticipé et (2) que le document a été fait en ayant comme objectif principal de servir les fins du litige.
[134] Dans Lizotte c. Aviva, Compagnie d’assurance du Canada[9], la Cour suprême décrit en ces termes toute l’importance qu’a le privilège relatif au litige dans le système judiciaire canadien :
[63] Je suis en désaccord. Les exigences dont fait état l’arrêt Blood Tribe s’appliquent tout autant au privilège relatif au litige. Non seulement ce dernier est-il un privilège générique, mais il sert un « intérêt public » prépondérant au sens de l’arrêt Bisaillon. Cet intérêt public, l’arrêt Blank en fait état, est « l’administration sûre et efficace de la justice conformément au droit » (par. 31). Le privilège relatif au litige vise à « assurer l’efficacité du processus contradictoire » (Blank, par. 27) en maintenant une « zone protégée destinée à faciliter, pour l’avocat, l’enquête et la préparation du dossier en vue de l’instruction contradictoire » (par. 40, citant Sharpe, p. 165). En maintenant une zone protégée aux fins de la préparation des litiges, le privilège relatif au litige favorise à sa manière « l’accès à la justice » et la « qualité de la justice » (Blood Tribe, par. 9).
[64] Il est bien sûr indéniable que le privilège relatif au litige n’a pas le même statut que le secret professionnel de l’avocat, et qu’il n’est pas aussi absolu que ce dernier. Il est aussi évident que ces deux privilèges, s’ils peuvent parfois viser les mêmes documents, sont conceptuellement distincts. Il n’en reste pas moins que, comme le secret professionnel de l’avocat, le privilège relatif au litige est « essentiel au bon fonctionnement du système de justice » (Blood Tribe, par. 9). Il se situe au cœur du système accusatoire et contradictoire que le Québec partage avec les autres provinces. Comme l’ont déjà noté plusieurs tribunaux, le système de justice canadien favorise la recherche de la vérité en permettant aux parties de présenter les meilleurs arguments au tribunal, mettant ce dernier en position de trancher de la manière la plus éclairée possible : Penetanguishene Mental Health Centre c. Ontario, 2010 ONCA 197, 260 O.A.C. 125, par. 39; Slocan Forest Products Ltd. c. Trapper Enterprises Ltd., 2010 BCSC 1494, 100 C.P.C. (6th) 70, par. 15. La capacité des parties d’élaborer leur stratégie en toute confiance et à l’abri d’une divulgation forcée est une condition sine qua non de l’efficacité de ce processus. Au Québec comme ailleurs au pays, le privilège relatif au litige est donc inextricablement lié à des valeurs fondatrices et revêt une importance fondamentale. Cela suffit pour conclure que, comme le secret professionnel de l’avocat, il ne peut être supprimé par inférence et que des termes clairs, explicites et non équivoques sont nécessaires pour l’écarter.
(Nos soulignements)
[135] Le Tribunal a de vastes pouvoirs, comme indiqué à l’article 9 de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail[10] (la LITAT), dont les suivants :
9. Le Tribunal a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l’exercice de sa compétence.
En outre des pouvoirs que lui attribue la loi, le Tribunal peut:
[…]
3° rendre toute ordonnance, y compris une ordonnance provisoire, qu’il estime propre à sauvegarder les droits des parties;
[…]
5° rendre toute décision qu’il juge appropriée;
[136] De même, l’article 35 des Règles de preuve et de procédure du Tribunal[11] permet au juge administratif d’appliquer diverses ordonnances afin d’assurer la protection de certaines informations en cours d’audience :
35. Le Tribunal peut interdire ou restreindre la divulgation, la publication ou la diffusion de témoignages, de renseignements ou de documents qu’il indique, lorsque cela lui paraît nécessaire pour préserver l’ordre public ou si le respect de leur caractère confidentiel le requiert pour assurer la bonne administration de la justice.
[137] Bien entendu, les pouvoirs du Tribunal ne doivent pas empêcher le droit des parties d’être entendues[12].
[138] Il est évidemment bien souvent nécessaire pour le syndicat de déposer l’opinion juridique sur laquelle il s’est fondé pour ne pas poursuivre à l’arbitrage un grief. Le salarié pourrait aussi demander son dépôt afin de vérifier entre autres si la trame factuelle soumise comporte bien l’ensemble des faits importants et dans le cas contraire attaquer la valeur de l’opinion. Il en est de même pour l’analyse juridique continue à celle-ci.
[139] Si le salarié a gain de cause dans sa plainte contre le syndicat pour manquement à son devoir de juste représentation, il pourra soumettre à l’arbitrage une réclamation tenant lieu de grief pour contester, en l’occurrence, la mesure imposée par l’employeur.
[140] Or, l’employeur aurait eu droit, selon le cas, à l’opinion juridique d’un avocat ou l’opinion d’un conseiller syndical, basée sur l’enquête du syndicat et les faits recueillis auprès du salarié qui a déposé le grief et possiblement des témoins. Il aura eu également connaissance des éléments mentionnés dans l’opinion juridique comme les faiblesses du dossier et des stratégies que le syndicat aurait pu mettre de l’avant.
[141] Ainsi, cet employeur tirera avantage des informations contenues et le salarié qui, parce qu’il a mal été représenté par son syndicat, se verra ainsi pénalisé et aura un accès moindre à une justice de qualité.
[142] Dans le présent dossier, l’université n’a pas besoin d’avoir le contenu de l’opinion juridique du syndicat pour s’assurer que ses intérêts sont protégés. Elle n’avait pas la prétention que le syndicat était de collusion avec le plaignant ou que son grief remettait en question l’interprétation que les parties donnaient à une disposition de la convention collective.
[143] Compte tenu des particularités de la plainte en vertu de l’article 47.3 du Code, du droit du plaignant à l’accès à une justice de qualité et en l’absence d’une des situations qui exigent qu’un employeur ait accès à toute la preuve, le Tribunal refuse à ce dernier ait accès à l’opinion juridique du syndicat. La balance des inconvénients est nettement en faveur du plaignant.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :
REJETTE les plaintes;
ORDONNE que l’opinion juridique déposée sous la cote S-57 soit mise sous scellés tout comme les expertises psychiatriques déposées sous les cotes S-5 et S-6.
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Mario Chaumont |
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M. Pierre Joseph Ulysse |
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Pour lui-même |
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Me Gaétan Lévesque |
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RIVEST SCHMIDT SOCIÉTÉ EN NOM COLLECTIF AVOCATS |
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Pour la partie défenderesse |
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Me Monia Vallée |
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Pour la partie mise en cause |
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Date de la dernière audience : 17 février 2020 |
MC/nl
[1] RLRQ, c. C-27.
[2] Envoyée le 1er mai 2016 à l’avocat d’une étude légale afin qu’il se prononce sur
les chances de succès du grief du plaignant. Cette trame avait été soumise au
conseiller syndical et à la
vice-présidente du syndicat, eux aussi impliqués dans le dossier du plaignant,
pour la corriger ou la compléter. Le plaignant l’a déposée en preuve.
[3] 2005 QCCRT 0047.
[4] Le Tribunal remplaçe la Commission des relations du travail depuis le 1er janvier 2016.
[5] Forum 2005 sur les relations du travail, Le nouveau recours fondé sur l’article 47.2 du Code du travail : Les préoccupations des employeurs.
[6] RLRQ, c. C-12.
[7] [1994] R.D.J. 301 (C.A.).
[8] 2017 QCCQ 4226.
[9] [2016] 2 R.C.S. 521.
[10] RLRQ, c. T-15.1.
[11] RLRQ, c. T-15.1, r. 1.1.
[12] La Cour d’appel nous le rappelle dans Syndicat des salariés de Béton St-Hubert - CSN c. Béton St-Hubert Inc., 2010 QCCA 2270. Elle révise une décision d’un arbitre de griefs qui a exclu le salarié qui a déposé un grief lors d’un témoignage d’une personne qui le craignait.
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Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.