Décision

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96011947 COUR D'APPEL


PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE QUÉBEC

No: 200-09-000245-933
(200-05-001508-899)



CORAM: LES HONORABLES BEAUREGARD
BAUDOUIN
ROBERT, JJ.C.A.





MICHELINE LAPOINTE-BOUCHER,

APPELANTE - Demanderesse

c.

LA MUTUELLE-VIE DES FONCTIONNAIRES,

INTIMÉE - Défenderesse




OPINION DU JUGE ROBERT

______________________________



               L'appelante Micheline Lapointe demande la réformation d'un jugement de la Cour supérieure de Québec ( l'honorable Paul Corriveau, 3 mars 1993 ) rejetant sa réclamation d'une indemnité d'assurance de 40 000 $ à titre de bénéficiaire d'une police d'assurance sur la vie de son mari Robert Boucher.

LES FAITS ESSENTIELS

               Robert Boucher est décédé le 10 novembre 1988 à l'âge de 51 ans, il était retraité depuis peu, soit depuis le 1er juin 1988. Il avait été pompier pour la Ville de Québec depuis 1953. Au moment de sa retraite, il était titulaire d'une couverture d'assurance-vie aux termes d'une assurance collective. Il aurait pu transformer sa couverture collective en une couverture individuelle sans examen médical.

               À la même époque, l'appelante Micheline Lapointe était à l'emploi de l'intimée La Mutuelle-Vie des Fonctionnaires depuis 1967. Renseignements pris quant au montant de la prime, Robert Boucher décide d'annuler la police collective et de souscrire une nouvelle police auprès de l'intimée.

               Le 15 janvier 1988, il signe une proposition d'assurance auprès de l'intimée, La Mutuelle-Vie des Fonctionnaires ( la Mutuelle ). Cette dernière a émise une police dont l'appelante était bénéficiaire.

               Robert Boucher est décédé le 10 novembre 1988 des suites d'une cirrhose hépatique, d'une hémorragie digestive et de varices oesophagiennes. L'appelante a réclamé l'indemnité de 40 000 $. La Mutuelle a contesté la validité du contrat pour lemotif que Robert Boucher aurait omis de déclarer une ischémie cérébrale transitoire dont il aurait été atteint en janvier 1985.

               La lettre de la Mutuelle se lit en partie ainsi:

     
     
À la lumière des informations que nous avons maintenant en notre possession, nous en sommes venus à la conclusion que les réponses aux questions qui ont été posées à feu Robert Boucher lors de la signature de la proposition d'assurance, étaient inexactes.


          
Parmi celles-ci, on note que l'ischémie cérébrale transitoire de janvier 1985 ne nous a pas été divulguée.


          
En conséquence, si cela nous avait été divulgué, nous aurions alors refusé d'émettre la police. Nous nous voyons donc dans l'obligation de contester la validité du contrat déjà mentionné en nous référant à la clause prévue à cette fin dans la police



               L'appelante a poursuivi en justice et dans son plaidoyer, la Mutuelle a ajouté un nouveau motif de contestation. Les paragraphes 8 et 9 du plaidoyer énoncent ce qui suit:

          
8. Lors de la souscription de la proposition, Robert Boucher a délibérément et frauduleusement fait de fausses déclarations aux questions qui lui ont été posées sur son état de santé et plus particulièrement en ce que:


          
a) Il n'a pas, à la partie 2C de la proposition, à la question 15, déclaré qu'au cours de sa vie il avait été traité pour une maladie du système nerveux;


          
b) À la même partie C, à la question 17, au sous- paragraphe a), il n'a pas déclaré ses abus d'alcool et de drogue;


          
9. La police d'assurance portant le numéro 176121- 2 n'aurait pas été émise par la défenderesse si ces faits avaient été connus au moment de l'analyse de la proposition faite par Micheline Boucher à titre de preneur sur la vie assurée de Robert Boucher.



               Monsieur Boucher aurait donc également omis de dénoncer ses abus d'alcool et de drogue en réponse à la question 17 de la partie C du questionnaire de la proposition d'assurance.

LE JUGEMENT DONT APPEL

               Le juge de première instance a rejeté l'action de l'appelante pour le motif que Robert Boucher aurait fait défaut de faire part de l'épisode d'ischémie cérébrale transitoire de décembre 1984 et contrevenu à la règle de l'article 2485 C.c.B.C. qui oblige le preneur à déclarer les circonstances connues de lui qui sont de nature à influencer de façon importante la décision de l'assureur raisonnable.

               Le juge de première instance ne peut croire qu'une personne qui a subi plusieurs pertes de conscience au cours de la même journée et qui fut hospitalisée pour cette raison puisse oublier ce fait. Selon lui, omettre de déclarer cet épisode constitue de la part de M. Boucher une réticence volontaire àl'endroit d'un événement qu'il connaissait et qui devait être fourni à l'assureur pour se conformer aux règles du Code civil.

               Selon lui, un proposant raisonnable ne peut pas convaincre le Tribunal de pouvoir omettre un tel événement, alors qu'il est confronté au questionnaire de la proposition d'assurance.

               Il ajoute ensuite qu'il est évident qu'on ne peut exiger d'un proposant qu'il soit en mesure de savoir de façon précise comment ses systèmes nerveux, immunitaire, digestif ou autre sont directement affectés lorsque se manifestent de tels symptômes ou de telles maladies. Selon lui le questionnaire de la proposition est suffisamment descriptif pour amener le proposant à faire connaître son passé médical. Le Tribunal pense, par exemple, que ne sachant peut-être pas son système nerveux atteint, Robert Boucher savait cependant qu'il avait eu des problèmes de circulation dans ses vaisseaux sanguins qui s'étaient bouchés pour se déboucher. Il juge qu'à la question 9 de la section C intitulée « Système cardio-vasculaire » laquelle demandait s'il avait déjà été soigné ou eu des symptômes en rapport avec ce système, il y a lieu de croire que quelqu'un qui a subi ce qu'a subi le proposant aurait dû parler des problèmes qu'il a eus en décembre 1984.

               Finalement, il est d'avis que l'intimée a fait la preuve que si l'assureur avait connu l'épisode d'ischémiecérébrale, il aurait appliqué au moins une surprime. Il annule donc le contrat d'assurance intervenu.

               Il a toutefois retenu l'argument de l'appelante selon lequel l'intimée était forclose d'invoquer dans sa défense l'alcoolisme comme motif de refus de la réclamation puisque sa lettre de négation de couverture du 13 mars 1989 n'en faisait pas état. Pour disposer de cet argument il se réfère à la « doctrine of election » et cite les arrêts Entreprises Cotenor Ltée c. Travelers du Canada, [1976] C.S. 415 confirmé par [1978] C.A. 17 ; Tracy Plate Shop Inc. c. The Continental Insurance Company, [1980] C.S. 903 confirmé par la Cour d'appel, 500-09-001211-804, 5 janvier 1987. Le Tribunal ajoute au surplus que la décision de l'intimée de ne pas invoquer l'alcoolisme dans sa lettre de négation de couverture du 13 mars 1989 n'était probablement pas sans fondement, puisque l'analyse des éléments relatifs à la consommation d'alcool de feu Robert Boucher dans le dossier du Jeffery Hale montrait très peu d'information permettant de déterminer la quantité de boisson que consommait l'assuré au moment de la signature de la proposition en janvier 1988.

LES PROCÉDURES EN APPEL

               L'appelante a porté en appel la décision de première instance. L'intimée a également logé un appel incident dans lequelelle plaide que le juge de première instance était mal fondé à déclarer inadmissible la preuve relative à la consommation d'alcool de Robert Boucher.

LES QUESTIONS EN LITIGE

               1. Appel principal - Le juge de première instance a- t-il erré en droit en annulant la police d'assurance au motif que Robert Boucher aurait sciemment omis de déclarer l'épisode d'engourdissement de décembre 1984 au moment où il a soumis sa proposition d'assurance ?

               2. Appel incident - Le juge de première instance a- t-il erré en droit en déclarant l'intimée forclose de soumettre, comme motif de négation de couverture, le prétendu alcoolisme de Robert Boucher ?

PRÉTENTIONS DES PARTIES

A) Appelante

               1. Appel principal - Le juge de première instance a erré en annulant la police d'assurance au motif que Robert Boucher aurait sciemment omis de déclarer l'épisode d'ischémie cérébrale transitoire de décembre 1984.

               Selon l'appelante, aux termes de la loi, la seule obligation de M. Boucher dans le cadre de la déclaration du risque était de déclarer les circonstances connues de lui, de nature à influencer un assureur raisonnable.

               La preuve a démontré que Robert Boucher ne se savait pas atteint d'une maladie de son système nerveux ou cardio- vasculaire. D'abord, la preuve a démontré qu'aucun des quatre médecins ayant eu à se pencher sur le cas de M. Boucher n'a porté de diagnostic identique. Il a également été établi que Robert Boucher n'avait jamais été informé par le Docteur Deschênes ou par quiconque qu'il avait prétendument souffert d'ischémie cérébrale transitoire.

               Dans les circonstances, l'intimée ne peut faire grief à Robert Boucher de ne pas avoir déclaré, à la question 15 de la proposition, qu'il avait été traité pour une maladie du système nerveux alors qu'il n'avait pas été informé que son système nerveux était en cause et que les médecins qui ont eu à se pencher sur son cas n'ont pu s'entendre pour déterminer la nature et la cause de l'épisode de 1984.

               Le juge de première instance mentionne que Robert Boucher aurait pu faire état de l'épisode de décembre 1984 dans lecadre de la question 9 de la proposition où on lui demandait s'il avait été soigné pour une maladie ou des symptômes au niveau du système cardio-vasculaire. Ce grief encore une fois est mal fondé puisqu'il n'a même pas été établi que l'épisode de décembre 1984 était relié au système cardio-vasculaire de Robert Boucher. Jamais il n'a été informé que son système cardio-vasculaire pouvait être en cause. Tout au plus, lui a-t-on dit qu'il devait prendre de l'aspirine pour éclaircir son sang.

               2. Appel incident - L'appelante soumet que la décision du juge de première instance qui déclare forclose de soumettre l'alcoolisme comme motif de négation de couverture, puisque sa lettre du 13 mars 1989 n'en faisait pas état, était bien fondée.

               Selon elle, l'appelante était justifiée d'opposer une fin de non recevoir à l'argument de l'intimée. En vertu d'une jurisprudence bien établie, l'intimée ne pouvait soulever au procès un motif de négation de couverture autre, que celui initialement opposé à l'appelante.

B) Intimée

               1. Appel principal - L'obligation du proposant est de déclarer toutes les circonstances connues de lui. Parcirconstances on entend, des événements et des faits qui sont connus du preneur. M. Boucher ne pouvait ignorer les circonstances qui se sont produites en décembre 1984. Il a été victime de convulsions, d'évanouissement, de pertes de mémoire et d'hospitalisation. Lors de son hospitalisation de décembre 1984, les médecins lui ont fait subir une batterie de tests. Le Docteur Deschênes est arrivé à un diagnostic d'ischémie cérébrale transitoire. Ce dernier avait même avisé M. Boucher que s'il cessait de prendre de l'aspirine enrobée, il pourrait être victime d'une paralysie. Ceci confirme la gravité de son état physique.

               Le proposant n'a pas à déterminer ou à juger par lui- même, si les circonstances connues de lui sont de nature à influencer de façon importante un assureur raisonnable, selon l'article 2485 C.c.B.C. C'est à l'assureur, lorsque tous les faits lui sont complètement et franchement exposés, de déterminer si les circonstances qui lui sont déclarées, encore faut-il qu'elles le soient, sont importantes. L'obligation du proposant est réputée remplie, si les circonstances qui sont déclarées sont conformes aux déclarations. Il doit même dévoiler les circonstances qu'il ne croit pas dignes d'intérêt ou qu'il pourrait croire peu importantes. En l'espèce, en omettant de dévoiler l'épisode de décembre 1984, il a fait une réticence importante.

               2. Appel incident - L'intimée soumet que le juge n'avait aucun motif et a erré complètement en droit en déclarant l'intimée forclose de soumettre, comme motif de négation, la période d'alcoolisme de M. Boucher. Selon l'intimée, la preuve de l'alcoolisme était permise parce qu'elle a été dénoncée à l'appelante dès le début des procédures et qu'elle n'a pas été prise par surprise. Le fait de ne pas préciser ces motifs dans la lettre de refus de l'intimée, ne constitue pas une fin de non recevoir d'invoquer ce motif.

               Le juge de première instance a également erré en faits et en droit en refusant de reconsidérer la preuve quant à l'alcoolisme sur la foi d'une certaine jurisprudence qui ne concerne que l'étape préliminaire à l'exécution d'un contrat d'assurance. En effet, toute la jurisprudence citée par l'appelante ne concerne qu'une étape préliminaire essentielle à la production d'une réclamation auprès d'un assureur. Dans le cas sous étude, il n'y a aucune étape préliminaire prévue au contrat et, s'il y en avait eu une, l'intimée n'a jamais soulevé l'inexécution d'une telle étape.

               L'allégation relative à l'alcoolisme a toujours été connue de l'appelante depuis le début des procédures judiciaires. Au surplus, la lettre de l'intimée ne constitue pas une renonciation. D'autre part, l'alcoolisme de M. Boucher a étéprouvé en première instance. L'intimée entend démontrer qu'elle a droit à une défense pleine et entière et le droit d'invoquer tout motif même découvert au cours de l'enquête.

ANALYSE ET DÉCISION

               Avec égards pour l'opinion contraire, je crois que le juge de première instance a erré en concluant que le preneur a contrevenu à l'article 2485 C.c.B.C. en omettant de déclarer l'épisode d'ischémie cérébrale dont il aurait été victime en décembre 1984.

               Selon les conclusions factuelles du juge de première instance, Robert Boucher, en revenant de son travail le 11 décembre 1984 aurait perdu conscience pendant cinq à dix minutes. Reconduit en ambulance à l'hôpital malgré sa volonté, il aurait séjourné deux jours à l'urgence sous les soins du docteur Lachance et par la suite trois autres jours sous les soins du docteur Jacques Deschênes. Ce dernier lui a administré toute une batterie d'examens dont les résultats furent tous positifs. À sa sortie de l'hôpital, le médecin lui a prescrit de l'entrophen, c'est-à-dire de l'aspirine enrobée pour éclaircir son sang.

               Le diagnostic d'ischémie cérébrale transitoire est celui du docteur Deschênes. Les autres médecins consultés ne sontpas du même avis et aucun ne semble absolument certain sur la nature du malaise qu'aurait ressenti M. Boucher en décembre 1984.

               Une chose est encore plus certaine, jamais M. Boucher n'a été informé de ce diagnostic. Tout au plus lui aurait-on expliqué que son sang était trop épais et qu'il devait prendre de l'aspirine pour l'éclaircir. On ne lui a jamais dit qu'il souffrait d'une maladie du système nerveux. Le 15 janvier 1988, au moment de la signature de la proposition d'assurance, quatre ans après l'incident de décembre 1984, M. Boucher se sentait en pleine forme et n'avait pas connu depuis, aucun incident semblable.

               La question de droit à résoudre est celle de savoir si Robert Boucher a contrevenu à l'article 2485 C.c.B.-C. dont le texte se lit ainsi:

          
Le preneur, de même que l'assuré si l'assureur le demande, est tenu de déclarer toutes les circonstances connues de lui qui sont de nature à influencer de façon importante un assureur raisonnable dans l'établissement de la prime, l'appréciation du risque ou la décision de l'accepter.


                                   (mes soulignements)

               L'assuré n'a qu'à déclarer les circonstances connues de lui, et non toutes les maladies ou tous les désordres physiquesou mentaux dont il pouvait être atteint (1). De plus, l'assuré n'a pas en l'espèce de formation médicale et les réponses qu'il donne reflètent sa perception des maladies dont il peut être affecté (2). Enfin, en cas d'ambiguïté, le contrat d'assurance s'interprète contre l'assureur (3).

               La lettre de négation de couverture mentionne que le proposant n'a pas révélé l'ischémie cérébrale transitoire de janvier 1995. Il est loin d'être certain que le proposant a souffert d'une telle ischémie selon la preuve médicale offerte. L'intimée avait le fardeau d'établir un tel diagnostic, elle n'a pas réussi à le faire. De plus, l'assureur devait faire la preuve que ce diagnostic avait été porté à la connaissance du proposant, cette preuve n'a pas été faite, le contraire fut prouvé.

               Le juge de première instance dit que le proposant savait que ses vaisseaux sanguins s'étaient bouchés et débouchés par la suite et qu'il devait prendre de l'aspirine pour éclaircir son sang. En conséquence, il aurait dû répondre positivement à la quesiton 9 portant sur le système cardio-vasculaire. Même si celaétait, avec égards pour l'opinion contraire, l'assureur n'a pas spécifiquement mentionné que l'ischémie cérébrale transitoire dans la lettre de négation de couverture est une maladie du système nerveux prévue à la question 15 dans son plaidoyer à l'encontre de l'action. L'assureur doit limiter sa contestation aux motifs mentionnés dans sa lettre de négation de couverture. Peut-il ajouter un nouveau motif de contestation dans son plaidoyer comme il l'a fait ici dans son plaidoyer, en déclarant que le proposant n'avait pas mentionné ses abus d'alcool et de drogue en réponse à la question 17.

L'appel incident

               Cette question nous amène à discuter de la valeur de l'appel incident.

               D'abord, il faut rappeler que l'assureur, par son représentant Leboeuf, a été informé par son médecin expert le docteur Tremblay des références à l'état d'alcoolisme dans le dossier médical de l'assuré à l'Hôpital Jeffrey Hale. Leboeuf a reçu une confirmation du même docteur Tremblay que l'alcoolisme documenté de l'assuré constituait un motif majeur de refus.

               Malgré ces rapports, l'assureur a choisi de ne pas invoquer ce motif dans sa lettre de négation de couverture du 13mars 1989, probablement, comme le souligne le juge de première instance, parce que l'assureur possédait très peu d'information sur la quantité d'alcool consommé par l'assuré au moment de la proposition en janvier 1988.

               Dans l'affaire Tracy Place Shop Inc. c. Continental Insurance Co., 1980 C.S. 903 , le juge Philippe Pothier était confronté à une situation semblable. Dans un premier temps, l'assureur avait refusé d'indemniser l'assuré pour le motif qu'il n'était pas responsable des dommages. La réponse fut «
No liability on part of insured liability denied to claimant » . Malgré cette prise de position de son assureur, l'assuré admit sa responsabilité et fit effectuer les réparations requises. Au procès, l'assureur a soulevé deux nouveaux moyens pour refuser de payer les dommages: l'existence d'une autre police d'assurance qui devait s'appliquer en priorité et l'admission de responsabilité de l'assuré en violation d'une des conditions de la police.

               Le juge s'appuyant sur la « doctrine of election » déclare:

          
... La Cour est d'avis que la défenderesse n'est plus admise à invoquer la violation d'une condition de la police. Elle n'a jamais avisé l'assuré de ce prétendu manquement et bien plus tard, elle a finalement pris position sans l'invoquer.



               Cette décision fut confirmée par notre Cour dans l'arrêt The Continental Insurance Company c. Tracy Plate Shop Inc. (1987) R.R.A. 176 . L'opinion de l'honorable L'Heureux-Dubé à laquelle souscrivent les juges Vallerand et Rothman, confirme spécifiquement la décision du premier juge sur la tardiveté à invoquer les deux nouveaux moyens.

               Je conclus en précisant qu'en l'espèce, l'assureur a fait son lit en toute connaissance de cause et délibérément choisi de ne pas invoquer l'alcoolisme comme motif de refus de couverture. La situation serait différente si l'assureur avait découvert ce motif après son enquête initiale et après sa lettre du 13 mars 1989. Le comportement de l'assureur équivaut à une renonciation tacite à invoquer ce moyen. La bonne foi étant le fondement même du contrat d'assurance, l'assuré était justifié de conclure que le seul motif de refus de couverture était l'absence de mention de l'ischémie cérébrale.

               Le juge de première instance a eu raison de décider que l'intimée était forclose de plaider l'alcoolisme du proposant.

               Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel avec dépens, infirmerais le jugement de première instance, condamnerais l'intimée à payer à l'appelante la somme de 40 000 $ avec intérêtsdepuis l'assignation plus l'indemnité additionnelle prévue par le Code civil et condamnerais l'intimée à payer à l'appelante tous les frais d'expertise et d'assistance technique qui lui ont été nécessaires pour administrer sa preuve.

               Je rejetterais également l'appel incident de l'intimée sans frais.



Michel Robert, J.C.A.



COUR D'APPEL


PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE QUÉBEC

No: 200-09-000245-933
(200-05-001508-899)




CORAM: LES HONORABLES BEAUREGARD
BAUDOUIN
ROBERT, JJ.C.A.






MICHELINE LAPOINTE-BOUCHER,

           APPELANTE PRINCIPALE -
INTIMÉE INCIDENTE -  (demanderesse)

c.

LA MUTUELLE-VIE DES FONCTIONNAIRES,

INTIMÉE -
           APPELANTE INCIDENTE - (défenderesse)



OPINION DU JUGE BAUDOUIN


               Avec respect pour l'opinion contraire, je partage l'avis de mon collègue M. le juge Robert.

               Sur le premier point, la preuve au dossier est claire et ne prête pas à controverse. Jamais Robert Boucher n'a été mis au courant du prétendu mal dont il souffrait et dont l'intimée invoque l'existence pour nier couverture. Je dis bien «prétendu» parce que la lecture des témoignages des médecins experts au procèsrévèle que trois sur quatre d'entre eux ont été dans l'impossibilité d'affirmer que Robert Boucher avait effectivement souffert d'ischémie cérébrale transitoire et qu'en outre la batterie des tests subis par lui à l'hôpital Jeffrey Hale en décembre 1984 au moment de l'incident s'est avérée entièrement négative.

               L'intimée, en l'espèce, n'a donc ni démontré l'existence de cette maladie de façon prépondérante, ni contredit le fait que l'assuré ignorait lui-même ce dont il pouvait être atteint.

               Sur le second point, il est en preuve que l'intimée savait dès le 20 décembre 1988 que Robert Boucher avait un problème probable d'alcoolisme. La chose était d'ailleurs évidente, eu égard à la façon dont il est mort. La lettre du 13 mars refusant la réclamation ne le mentionne pas. Je ne peux mieux faire, à cet égard, que de citer ce passage du Professeur Jean-Guy Bergeron qui, sur les circonstances susceptibles de montrer une volonté de renonciation, écrit:

          [...]

Le fait de ne pas invoquer le moyen de défense, de le garder en réserve en cas d'échec des autres moyens soulevés est un indicateur sérieux d'une volonté de renoncer pour un assureur raisonnable. Cette attitude de l'assureur ne nous paraît pas
compatible avec la bonne foi devant entourer les relations assureur-assuré.


(J.G. BERGERON, Les contrats d'assurance terrestre, Sherbrooke, Éditions SEM, 1992, vol 2, p. 376)


               Pour ces motifs, je suis également d'avis d'accueillir le pourvoi principal avec dépens et de rejeter avec dépens le pourvoi incident.





          JEAN-LOUIS BAUDOUIN, J.C.A.


COUR D'APPEL



PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE QUÉBEC

No: 200-09-000245-933
(200-05-001508-899)



CORAM: LES HONORABLES BEAUREGARD
BAUDOUIN
ROBERT, JJ.C.A.






MICHELINE LAPOINTE-BOUCHER,

APPELANTE - (demanderesse)

c.

LA MUTUELLE-VIE DES FONCTIONNAIRES,

INTIMÉE - (défenderesse)




OPINION DU JUGE BEAUREGARD


L'art. 2485 C.c.B.-C. dispose:

Le preneur, de même que l'assuré si l'assureur le demande, est tenu de déclarer toutes les circonstances connues de lui qui sont de nature à influencer de façon importante un assureur raisonnable dans l'établissement de la prime, l'appréciation du risque ou la décision de l'accepter.




À cette fin, puisque l'assureur-vie se fie sur l'assuré, celui-ci doit faire montre de la plus haute bonne foi (uberrimae fide).

En l'espèce il est acquis que nous sommes en présence de circonstances qui étaient de nature à influencer de façon importante l'assureur dans l'appréciation du risque.

Le litige porte sur la connaissance ou l'ignorance de l'assuré de ces circonstances.

Voici comment le juge résume le témoignage de l'épouse de l'assuré concernant une attaque qu'a subie ce dernier le 11 décembre 1984:

Elle rappelle que le 11 décembre 1984, Robert Boucher est revenu fatigué du travail et ressentait des picotements à la tempe gauche. À un certain moment, il s'est senti mal et est tombé par terre, sans connaissance. Il réagissait alors avec les bras. Son fils était avec elle et elle lui a demandé de s'occuper de son mari pendant qu'elle appelait l'ambulance. Le temps de faire ça, elle dit que son mari était revenu à lui et ne se rappelait plus de rien. Cet épisode a alors duré entre cinq et dix minutes. Son mari ne voulait pas de l'ambulance, mais, finalement, quand même il fut reconduit à l'hôpital par celle-ci. À l'hôpital, il est demeuré deux jours à l'urgence sous les soins du docteur Lachance et par la suite, il fut admis dans l'institution pour être, pendant trois autres jours, sous les soins du docteur Jacques Deschênes, qui lui a fait passer toutes sortes d'examens, dont les résultats furent tous positifs (négatifs?). Son mari s'est toujours demandé pourquoi il passait tant de temps à l'hôpital puisqu'il n'avait rien. À sa sortie, il devait prendre de l'entrophen, c'est-à- dire de l'aspirine enrobée pour éclaircir son sang.


Elle-même a parlé avec le docteur Jacques Deschênes, qui ne lui a jamais mentionné l'expression «ischémie cérébrale transitoire» ou encore quoi que ce soit qui ait rapport avec le système nerveux. Ce n'est qu'à la suite du décès de son mari qu'elle a entendu parler de ces choses.


Robert Boucher n'a plus jamais eu d'accident semblable à celui du 11 décembre par la suite, et même après qu'il eut cessé de prendre ses aspirines. Selon elle, son mari considérait cet épisode comme ne correspondant pas à grand chose et n'y a jamais porté trop d'attention.



Voici par ailleurs le résumé de l'interniste Jacques Deschênes qui s'est occupé du malade à l'hôpital entre le 12 et le 16 décembre; on constatera que le docteur Deschênes nous fait part d'un incident plus important que celui décrit par l'épouse de l'assuré:

Il s'agit d'un patient de 47 ans, droitier, qui a été admis parce que, le soir avant son admission, il avait présenté en regardant la télévision, des paresthésies au niveau de l'hémiface gauche avec de la dysarthrie et une absence qui a duré environ 45 minutes. Le tout sans céphalée, sans vomissement, sans nausée. Le même phénomène a recommencé plus tard pour durer environ 45 minutes et plus tard le même phénomène s'est reproduit, il veut se lever et il tombe et à ce moment-là il aurait présenté un mouvement convulsif des deux membres supérieurs qui auraient duré environ 10 minutes avec perte de conscience et incontinence urinaire. Lorsqu'il a consulté il persistait une légère paresthésie au niveau de l'hémiface gauche qui a complètement disparu à l'hôpital. Le patient n'était pas connu diabétique ou hypertendu et le tout a été confirmé à l'hôpital.


Par ailleurs, la scintigraphie cérébrale et l'EEG étaient normaux. La radiographie du crâne était normale. La radiographie cardiopulmonaire était
normale. L'ECG était normal. Le patient a été vu en neurologie où l'on voulait éliminer la possibilité d'une embolie pulmonaire, la scintigraphie pulmonaire était normale. On voulait aussi éliminer la possibilité d'arythmie cardiaque. Il est à noter que le patient n'avait eu aucune palpitation. Il a été placé sous télémétrie et celle-ci s'est révélée entièrement négative. La formule sanguine complète et la sédimentation étaient normales. L'analyse et la culture d'urine étaient normales. Le BUN était normal. Les électrolytes étaient normaux. Le bilan lipidique était normal. Calcium + magnésium.

De sorte qu'un diagnostic final a été porté d'ischémie cérébrale transitoire au niveau du territoire sylvien droit et pour laquelle je lui ai prescrit de l'Entrophen 2Xg b.i.d.



Pour sa part, le neurologue Jacques de Léan, appelé en consultation par l'interniste Deschênes, devait vérifier si le malade avait souffert d'une ischémie cérébrale transitoire doublée de convulsions. Le docteur de Léan ajouta ceci au dossier:

Ce malade présente une histoire complexe. Il est frappant de noter que son épouse parle de pâleur extrême, de transpiration (...) et de difficulté à respirer durant l'épisode. Il n'y a pas eu de mouvements convulsifs comme tel. Je crois qu'il faut considérer d'autre diagnostic que celui de convulsion tel que:


- embolie pulmonaire               affectant

- (...) de l'aorte                      la

- (...) d'une autre nature         circulation.



À la suite de la consultation du docteur de Léan, le docteur Deschênes fit subir à l'assuré divers tests qui confirmèrentl'ischémie cérébrale transitoire comme diagnostic.

Que le diagnostic correct ait été une ischémie cérébrale transitoire ou une embolie quelconque affectant la circulation, il reste que l'incident n'était ni bénin ni banal.

Le 3 janvier 1985 l'assuré a rencontré le docteur Simon-Pierre Proulx dans le but d'obtenir un certificat médical pour son employeur. Le juge décrit comme suit ce que l'assuré aurait dit au docteur Proulx à cette occasion:

Lors de cette entrevue, Boucher a parlé avec le docteur Proulx de son hospitalisation au Jeffery Hale et il lui a expliqué ce qu'il avait eu comme perte de conscience avant d'être transporté à l'hôpital. Le docteur Proulx raconte que Boucher lui a dit qu'on avait conclu que son sang était trop épais et qu'on lui avait donné de l'aspirine pour l'éclaircir.



Donc, au docteur Proulx, l'assuré n'a pas manqué de décrire ce qui l'avait conduit à l'hôpital en décembre 1984. Mais l'assuré omettra de faire la même chose lors de la proposition d'assurance.

Il faut dire qu'en 1985 et 1986, l'assuré a revu trois fois le docteur Deschênes. À une occasion c'était parce qu'il avait subi deux autres épisodes d'engourdissement semblables à celui du 11 décembre 1984. Voici comment le juge résume le témoignage dudocteur Deschênes quant à ces trois consultations:

Le docteur Jacques Deschênes confirme avoir traité Robert Boucher à partir du 12 décembre 1984 pour des problèmes qui, selon les symptômes démontrés, relevaient de la neurologie. Il l'a investigué et tous les tests négatifs confirmaient pour lui une possibilité d'ischémie cérébrale transitoire. Il a demandé le docteur Jacques de Léan en consultation et celui-ci lui a fait des suggestions. À l'hôpital, avant que son client quitte, il raconte lui avoir expliqué très clairement ce qu'il avait fait, sans aller jusqu'à utiliser les termes «ischémie cérébrale transitoire».


Par la suite, il a rencontré Boucher trois fois à son bureau à l'occasion du suivi qui devait être donné à son hospitalisation. En juillet 1985, lors d'une première visite, il n'a décelé aucun problème. Vers novembre, il l'a revu et à cette occasion, Boucher l'a informé qu'il avait arrêté de prendre ses entrophens et qu'il avait eu deux épisodes d'engourdissement au côté gauche du visage. Le docteur lui aurait dit de ne jamais arrêter de prendre ses entrophens, car il pourrait paralyser complètement et lui a réexpliqué le problème qu'il avait eu en décembre 1984. En mai 1986, il l'a revu pour la dernière fois et Boucher l'informa qu'il avait toujours pris ses entrophens et qu'il n'avait plus de problème.


                                   [J'ai souligné]

Indépendamment des prétentions des parties quant aux faits qui sont survenus, voyons ceux que le juge de première instance a retenus:

Le Tribunal retient de la preuve concernant la connaissance de Robert Boucher de ce qu'il en était quant à l'attaque qu'il a subie le 11 décembre 1984, qu'il en était bien informé. Le docteur Deschênes a témoigné à cet égard qu'avant que Robert Boucher quitte le Jeffery Hale suite à son hospitalisation,
il lui avait très bien expliqué ce qu'il en était. Il ne lui a pas parlé d'ischémie cérébrale transitoire, mais lui a expliqué, dit-il, très clairement et pour qu'il comprenne, qu'il avait probablement eu un vaisseau sanguin qui s'était bouché, pour se déboucher par la suite et qu'il lui fallait pour éclaircir son sang prendre de l'aspirine et que c'était important. Lorsqu'il l'a revu en novembre 1985 et que Boucher l'eut alors informé avoir connu deux autres épisodes d'engourdissement et du fait qu'il avait arrêté de prendre ses aspirines, à nouveau, il lui a réexpliqué sa condition et insisté pour qu'il prenne sa médication, ce qu'il a confirmé qu'il faisait encore à sa dernière visite en mai 1986. Le docteur Deschênes déclare aussi avoir dit à Boucher de ne jamais arrêter l'aspirine, parce qu'il pourrait paralyser complètement.

                         [J'ai souligné]



À mon humble avis, il s'agit là de constatations de fait qui, non seulement ne sont pas manifestement erronées, mais qui sont tout à fait correctes. Dans ces circonstances comment une cour d'appel peut-elle intervenir et substituer son appréciation des faits à celle du juge qui a vu les témoins?

Puis le juge a conclu comme suit:

Pourquoi, le 15 janvier 1988, lorsqu'interrogé par l'infirmière, Robert Boucher n'a jamais mentionné son hospitalisation au Jeffery Hale en décembre 1984?


Le Tribunal ne peut croire qu'une personne qui, selon le dossier médical, a subi plusieurs pertes de conscience au cours de la même journée et reconduite en ambulance dans un centre hospitalier où elle passe deux jours à l'urgence et trois à
l'hôpital, puisse oublier ce fait. Il est aussi peu croyable, parce que peu probable, que l'on puisse considérer comme une niaiserie de se faire dire que l'un de ses vaisseaux a bouché et s'est heureusement débouché sans laisser de séquelle. Il est étonnant aussi, parce que peu probable, de croire que Robert Boucher ne savait pas qu'il risquait la paralysie complète s'il devait subir une autre attaque d'une nature semblable à celle de décembre 1984.

Selon le Tribunal, omettre de déclarer cet épisode de décembre 1984 constitue de la part de Robert Boucher une réticence volontaire de sa part à l'endroit d'un événement qu'il connaissait et qui devait être fourni à l'assureur. Un proposant raisonnable ne peut certainement pas convaincre le Tribunal de pouvoir omettre un tel événement, alors qu'il est confronté au questionnaire de la proposition d'assurance (P-6A).


Il est évident qu'on ne peut exiger d'un proposant qu'il soit en mesure de façon précise de savoir que c'est son système nerveux, immunitaire, digestif ou autre qui a directement été intéressé par tel symptôme ou telle maladie. Il tombe, cependant, sous le sens que quelque chose d'important n'allait pas en quelque part lorsque, comme Robert Boucher, on a à vivre les événements qu'il a vécus du 11 au 16 décembre 1984 et par la suite.


Le questionnaire de la proposition est suffisamment descriptif pour amener le proposant à faire connaître son passé médical. Le Tribunal pense, par exemple, que ne sachant peut-être pas son système nerveux atteint, Robert Boucher savait cependant à la suite de ce que lui avait dit le docteur Deschênes qu'il avait eu des problèmes de circulation dans ses vaisseaux sanguins qui s'étaient bouchés pour se redéboucher.


Lorsque confronté à la section C sous l'article 9, intitulé «Système cardiovasculaire», on lui demandait s'il avait déjà été soigné ou eu des symptômes en rapport avec ce système, qui incluait des troubles aux vaisseaux sanguins. Il y a lieu de croire que quelqu'un qui a subi ce qu'a subi le proposant Boucher pourrait aisément sous le couvert de cette question parler des problèmes qu'il a eus
en décembre 1984.

Robert Boucher devait déclarer sa maladie de décembre 1984 lorsqu'il a rempli sa proposition et sciemment, il ne l'a pas fait.



Bien respectueusement, il me semble que cette conclusion du juge de première instance est inattaquable. Dans sa proposition d'assurance, l'assuré a cru nécessaire de mentionner des choses aussi banales que le fait qu'il avait déjà consulté un médecin pour un examen physique de routine, le fait qu'il avait déjà été traité pour une tendinite, le fait qu'il avait déjà été traité pour de l'arthrite. Pourtant l'assuré n'a pas cru nécessaire de mentionner qu'il avait été hospitalisé durant cinq jours sous les soins du docteur Deschênes, qu'il avait par la suite subi deux autres attaques et qu'il avait été grondé par le docteur Deschênes pour avoir cessé de prendre ses médicaments. L'assuré a révélé tout ce qui n'était pas pertinent à l'appréciation du risque, et il n'a pas mentionné ce qui, objectivement, devait intéresser un assureur raisonnable.

Le juge Robert écrit:

L'assuré n'a qu'à déclarer les circonstances connues de lui, et non toutes les maladies ou tous les désordres physiques ou mentaux dont il pouvait être atteint. De plus, l'assuré n'a pas en l'espèce de formation médicale et les réponses qu'il donne reflètent sa perception des maladies dont il peut être affecté. Enfin, en cas d'ambiguïté, le contrat
d'assurance s'interprète contre l'assureur.


Il est certain que le contrat d'assurance s'interprète contre l'assureur, mais, à mon humble avis, le problème qui est le nôtre n'en est pas un d'interprétation.

Il est également certain qu'un assuré n'a pas à déclarer les maladies ou désordres physiques ou mentaux dont il peut être atteint s'il ignore ces maladies et ces désordres. Mais il doit déclarer «les circonstances connues de lui». Or, à mon humble avis, comme le juge l'a constaté, l'assuré devait mettre l'assureur au courant de l'attaque du 11 décembre 1984, de son hospitalisation, du fait qu'il était suivi par le docteur Deschênes et du traitement que celui-ci lui avait prescrit. L'assuré avait assez d'informations pour bien renseigner son assureur sans avoir une formation médicale et le fait qu'il n'avait pas de formation médicale ne l'excuse pas d'avoir laissé son assureur dans l'ignorance. Les questions posées par la proposition ne demandaient pas à l'assuré de donner des diagnostics; l'une des questions demandait à l'assuré s'il avait séjourné à l'hôpital et, si oui, de donner des détails. C'est en omettant de parler de son séjour à l'hôpital entre le 11 et le 16 décembre 1984 que l'assuré a violé son obligation aux termes de l'art. 2485.

Je ne partage pas l'opinion de mon collègue Robert suivantlaquelle, puisque l'assureur a refusé l'indemnité au motif que l'assuré avait souffert d'ischémie cérébrale transitoire, son moyen de défense ne saurait réussir puisqu'il n'a pas établi par prépondérance de preuve que l'assuré avait souffert d'ischémie cérébrale transitoire.

Il me paraît évident que l'assureur n'avait pas à établir la cause précise des attaques subies par l'assuré. Il lui suffisait de démontrer qu'en décembre 1984 l'assuré avait subi une attaque sérieuse, qu'il avait été hospitalisé, qu'il avait été traité par le docteur Deschênes et qu'il avait subi par la suite deux autres attaques semblables. Que les médecins spécialistes ne s'entendent pas sur la cause des malaises de l'assuré n'a absolument aucune importance. L'assureur s'est donc acquitté de la charge de la preuve.

Je rejetterais donc le pourvoi, avec dépens.

Je désire ajouter que, sur un autre point, je ne partage pas l'opinion du premier juge suivant laquelle l'appelante pouvait opposer une fin de non-recevoir à l'assureur au motif que dans une lettre celui-ci n'a pas mentionné expressément qu'il refusait la demande d'indemnité également à cause du fait que Boucher lui avait aussi caché son éthylisme.

Le juge de première instance s'est basé à cet égard sur l'affaire Entreprises Cotenor Ltée c. Travelers du Canada, [1976] 1 C.S. 415, confirmée quant au résultat par [1978] C.A. 17 et Tracy Place Shop Inc. c. Continental Insurance Co. [1980] C.S. 903 , confirmée quant au résultat par [1987] R.R.A. 176 .

À mon humble avis ni dans l'affaire Cotenor ni dans l'affaire Tracy Place Shop Inc. la Cour d'appel a-t-elle fait siens les motifs des juges de première instance.

Dans l'affaire Cotenor le moyen de défense que l'assureur aurait invoqué en retard ne paraît pas clairement. Il semble cependant que l'assureur ne faisait pas valoir un moyen de défense qui touchait le coeur de la garantie, mais un moyen de défense qui concernait une «informalité que l'assuré aurait pu commettre dans la présentation de sa réclamation».

Le juge se basait sur une théorie rappelée dans British Colonial Fire Insurance Co. c. Rahal (1919), 28 B.R. 227 et Cie Équitable d'assurance Mutuelle contre le Feu c. Boulanger (1920), 29 B.R. 515. Cette théorie veut qu'un assureur qui, d'une part, prétend que sa police est nulle, ne peut, du même souffle, invoquer qu'une condition préalable à une réclamation et que prévoit la police n'a pas été remplie. On ne peut à la fois plaider la nullité d'un contrat et en invoquer ses dispositions.

Dans l'affaire Tracy Place Shop Inc. le juge de première instance a décidé qu'après avoir refusé de payer un tiers de la part d'un assuré, qui, contractuellement, était obligé de payer ce tiers, un assureur ne peut invoquer contre son assuré une clause de la police qui lui défendait d'admettre sa responsabilité.

À mon humble avis il y a une différence très nette entre les deux situations suivantes:

1)        Devant une demande d'indemnité, un assureur-vie prétend que sa police est nulle parce que l'assuré lui a mal décrit le risque; ce faisant, l'assureur renonce à invoquer le respect des clauses de la police concernant la façon de faire la réclamation. Une défense au fond empêche une exception d'irrecevabilité;

2)        Devant une demande d'indemnité, un assureur-vie prétend, dans une lettre, que sa police est nulle parce que, sur un point particulier, l'assuré lui a mal décrit le risque; ce faisant, l'assureur ne renonce pas à faire voir, dans une défense à une action, que l'assuré lui a également mal décrit le risque sur un autre aspect. Un moyen de défense au fond ne se prescrit pas.

On peut peut-être trouver de la jurisprudence étrangère au contraire(4), mais, en droit québécois, on n'enlève pas facilement des droits ou des moyens de défense à un justiciable. À mon humble avis il n'y eut aucun abus de droit de la part de l'assureur et je ne vois aucune raison de biffer du plaidoyer de l'assureur la référence à l'éthylisme du défunt. Le fait que l'assureur n'a pas mentionné ce problème dans sa lettre où il nie responsabilité n'a aucune pertinence. En réalité l'assureur n'était pas obligé de nier responsabilité par écrit. Me paraîtrait très technique la règle suivant laquelle un assureur-vie serait restreint par les termes précis d'une lettre dans laquelle il avise le preneur ou le bénéficiaire d'une police d'assurance qu'il n'entend pas payer l'indemnité réclamée.

Dans ses motifs le juge Baudouin cite le professeur Jean-Guy Bergeron:

Le fait de ne pas invoquer le moyen de défense, de le garder en réserve en cas d'échec des autres moyens soulevés est un indicateur sérieux d'une volonté de renoncer pour un assureur raisonnable. Cette attitude de l'assureur ne nous paraît pas compatible avec la bonne foi devant entourer les relations assureur-assuré.



En autant que le professeur Bergeron avait à l'esprit les affaires British Colonial Fire Insurance Co. et Cie Équitable d'assurance Mutuelle contre le Feu, citées plus haut, je me range avec lui. Je me range également du même côté si le professeur Bergeron avait à l'esprit un cas où l'assureur sortirait une carte de sa manche très tard au cours d'un procès. Je ne partage cependant pas son avis s'il suggère que, dans un cas comme celui qui nous concerne, un assureur est irrecevable à proposer un deuxième moyen de défense s'il ne l'a pas allégué spécifiquement lorsqu'il a refusé la garantie surtout dans un cas, comme celui qui nous concerne, où le bénéficiaire n'a subi absolument aucun préjudice de l'omission de l'assureur. D'ailleurs le professeur Bergeron mentionne que l'omission d'invoquer un moyen de défense en temps utile est un moyen de preuve pour établir que l'assureur a renoncé à ce moyen. Il n'affirme pas que le retard équivaut en lui-même à une renonciation.

En tout état de cause, en l'espèce, le texte de la lettre par laquelle l'assureur refusait l'indemnité ne fermait pas la porte à l'assureur. L'assureur mentionnait que «les réponses aux questions... étaient inexactes» et que «parmi celles-ci» l'ischémie cérébrale transitoire n'avait pas été divulguée.
                                   [J'ai souligné]

L'appelante n'a pas demandé de détails supplémentaires à l'assureur.

D'autre part il ne s'agit pas d'un cas où le deuxième moyen de défense de l'assureur a été allégué la veille ou le matin de l'instruction. Le moyen fut plaidé au tout début des procédures, et l'appelante a eu tout le temps pour démontrer que la prétention de l'assureur suivant laquelle son mari souffrait d'éthylisme n'était pas fondée.

Enfin, mes deux collègues et le professeur Bergeron insistent sur le fait qu'un contrat d'assurance est basé sur la bonne foi. Il n'y a aucun doute que, comme pour tout contrat, les parties doivent être de bonne foi, tant lors de la création du contrat que dans l'exécution des obligations qui en découlent.

Ce qui est singulier au contrat d'assurance, c'est le fait qu'étant le mieux placé pour décrire le risque, l'assuré doit être, non seulement de bonne foi, mais de la plus haute bonne foi. V. Coronation Ins. Co. c. Taku Air Transport Ltd., [1991] 3 R.C.S. 622 où, à la p. 636, le juge Cory rappelle ce qu'écrivait lord Mansfield dans l'arrêt Carter c. Boehm (1766), 3 Burr. 1905, 97 E.R. 1162.

En l'espèce, comme l'a conclu le premier juge, l'assuré n'acertainement pas fait montre de la plus haute bonne foi en décrivant les circonstances pertinentes du risque.

En revanche, même si aucune stipulation de la police n'exigeait que l'assureur mentionne spécifiquement toutes et chacune des causes de déchéance et même si la jurisprudence canadienne et québécoise n'a jamais exigé cela d'un assureur, le juge de première instance et mes collègues imposent cette obligation à l'assureur au motif que, s'il en était autrement, l'assureur ne serait pas de bonne foi.

D'un côté on est très tolérant envers l'assuré qui a violé son obligation de la plus haute bonne foi et, de l'autre, on est très exigeant en taxant l'assureur d'une conduite répréhensible alors qu'au moment où l'assureur a refusé l'indemnité, il n'a pas voulu parler de l'éthylisme de l'assuré parce que, si son dossier indiquait que l'assuré avait eu un problème de ce côté-là, il n'était pas assez étoffé pour permettre à l'assureur d'alléguer cela en toute bonne foi. Ce n'est que plus tard que l'assureur sut l'ampleur de l'éthylisme de l'assuré.



                                   
                                   MARC BEAUREGARD, J.C.A.

COUR D'APPEL


PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE QUÉBEC

No: 200-09-000245-933
(200-05-001508-899)

Le 24 octobre 1996


CORAM: LES HONORABLES BEAUREGARD
BAUDOUIN
ROBERT, JJ.C.A.






MICHELINE LAPOINTE-BOUCHER,

APPELANTE - Demanderesse

c.

LA MUTUELLE-VIE DES FONCTIONNAIRES,

INTIMÉE - Défenderesse




_______________
LA COUR; - Statuant sur le pourvoi de l'appelante contre un jugement de la Cour supérieure ( Québec, 3 mars 1993, l'honorable Paul Corriveau ) qui a rejeté la réclamation de l'appelante d'une indemnité d'assurance de 40 000 $ à titre de bénéficiaire d,une police d'assurance sur la vie de son mari Robert Boucher.

               Après étude dossier, audition et délibéré;

               Pour les motifs exprimés dans les opinions écrites des juges Baudouin et Robert, dont un exemplaire est déposé avec le présent arrêt;


               ACCUEILLE l'appel avec dépens;

               INFIRME le jugement de première instance;

               CONDAMNE l'intimée à payer à l'appelante la somme de 40 000 $ avec intérêts plus l'indemnité additionnelle prévue par le Code civil, depuis l'assignation;


               CONDAMNE l'intimée aux frais y compris tous les frais d'expertise et d'assistance technique qui lui ont été nécessaires pour administrer sa preuve.


               REJETTE l'appel incident de l'intimée sans frais;


               Pour les motifs exprimés dans son opinion écrite, dont un exemplaire est déposé avec le présent arrêt, le juge Beauregard aurait rejeté le pourvoi, avec dépens et rejeté le pourvoi incidentsans frais.



MARC BEAUREGARD, J.C.A.




JEAN-LOUIS BAUDOUIN, J.C.A.




MICHEL ROBERT, J.C.A.



Me Louis-M. Cossette
OGILVY RENAULT
Procureur de l'appelante

Me Hugues Roy
GIROUX ROCH & ROY
Procureur de l'intimée


Date de l'audience: 20 février 1996

1. Jean-Guy Bergeron, La déclaration du risque et les assurances-vie de non-fumeur, 1988 R. du B. Vol. 48, 47, aux pages 49, 50.
2. Robert E. Keeton Insurance Law St-Paul Minn. West Publishing, 1971, p. 324.
3. Article 2499 C.c.du B.-C.
4.     Couch Cyclopedia of Insurance Law, cité par l'appelante, est, comme son titre l'indique, une encyclopédie de la jurisprudence américaine en matière d'assurance. Dépendant des époques, des dispositions législatives en cause, des États et des tribunaux qui les ont prononcées, on est certain d'y trouver des décisions qui appuient une proposition et son contraire.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.