96011947
COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE QUÉBEC
No: 200-09-000245-933
(200-05-001508-899)
CORAM: LES HONORABLES BEAUREGARD
BAUDOUIN
ROBERT, JJ.C.A.
MICHELINE LAPOINTE-BOUCHER,
APPELANTE - Demanderesse
c.
LA MUTUELLE-VIE DES FONCTIONNAIRES,
INTIMÉE - Défenderesse
OPINION DU JUGE ROBERT
______________________________
L'appelante Micheline Lapointe demande la réformation
d'un jugement de la Cour supérieure de Québec ( l'honorable Paul
Corriveau, 3 mars 1993 ) rejetant sa réclamation d'une indemnité
d'assurance de 40 000 $ à titre de bénéficiaire d'une police
d'assurance sur la vie de son mari Robert Boucher.
LES FAITS ESSENTIELS
Robert Boucher est décédé le 10 novembre 1988 à l'âge
de 51 ans, il était retraité depuis peu, soit depuis le 1
er juin
1988. Il avait été pompier pour la Ville de Québec depuis 1953.
Au moment de sa retraite, il était titulaire d'une couverture
d'assurance-vie aux termes d'une assurance collective. Il aurait
pu transformer sa couverture collective en une couverture
individuelle sans examen médical.
À la même époque, l'appelante Micheline Lapointe était
à l'emploi de l'intimée La Mutuelle-Vie des Fonctionnaires depuis
1967. Renseignements pris quant au montant de la prime, Robert
Boucher décide d'annuler la police collective et de souscrire une
nouvelle police auprès de l'intimée.
Le 15 janvier 1988, il signe une proposition
d'assurance auprès de l'intimée, La Mutuelle-Vie des Fonctionnaires
( la Mutuelle ). Cette dernière a émise une police dont
l'appelante était bénéficiaire.
Robert Boucher est décédé le 10 novembre 1988 des
suites d'une cirrhose hépatique, d'une hémorragie digestive et de
varices oesophagiennes. L'appelante a réclamé l'indemnité de
40 000 $. La Mutuelle a contesté la validité du contrat pour lemotif que Robert Boucher aurait omis de déclarer une ischémie
cérébrale transitoire dont il aurait été atteint en janvier 1985.
La lettre de la Mutuelle se lit en partie ainsi:
À la lumière des informations que nous avons
maintenant en notre possession, nous en sommes
venus à la conclusion que les réponses aux
questions qui ont été posées à feu Robert Boucher
lors de la signature de la proposition d'assurance,
étaient inexactes.
Parmi celles-ci, on note que l'ischémie cérébrale
transitoire de janvier 1985 ne nous a pas été
divulguée.
En conséquence, si cela nous avait été divulgué,
nous aurions alors refusé d'émettre la police. Nous
nous voyons donc dans l'obligation de contester la
validité du contrat déjà mentionné en nous référant
à la clause prévue à cette fin dans la police
L'appelante a poursuivi en justice et dans son
plaidoyer, la Mutuelle a ajouté un nouveau motif de contestation.
Les paragraphes 8 et 9 du plaidoyer énoncent ce qui suit:
8. Lors de la souscription de la proposition,
Robert Boucher a délibérément et frauduleusement
fait de fausses déclarations aux questions qui lui
ont été posées sur son état de santé et plus
particulièrement en ce que:
a) Il n'a pas, à la partie 2C de la proposition, à
la question 15, déclaré qu'au cours de sa vie il
avait été traité pour une maladie du système
nerveux;
b) À la même partie C, à la question 17, au sous-
paragraphe a), il n'a pas déclaré ses abus d'alcool
et de drogue;
9. La police d'assurance portant le numéro 176121-
2 n'aurait pas été émise par la défenderesse si ces
faits avaient été connus au moment de l'analyse de
la proposition faite par Micheline Boucher à titre
de preneur sur la vie assurée de Robert Boucher.
Monsieur Boucher aurait donc également omis de
dénoncer ses abus d'alcool et de drogue en réponse à la question
17 de la partie C du questionnaire de la proposition d'assurance.
LE JUGEMENT DONT APPEL
Le juge de première instance a rejeté l'action de
l'appelante pour le motif que Robert Boucher aurait fait défaut de
faire part de l'épisode d'ischémie cérébrale transitoire de
décembre 1984 et contrevenu à la règle de l'article 2485 C.c.B.C.
qui oblige le preneur à déclarer les circonstances connues de lui
qui sont de nature à influencer de façon importante la décision de
l'assureur raisonnable.
Le juge de première instance ne peut croire qu'une
personne qui a subi plusieurs pertes de conscience au cours de la
même journée et qui fut hospitalisée pour cette raison puisse
oublier ce fait. Selon lui, omettre de déclarer cet épisode
constitue de la part de M. Boucher une réticence volontaire àl'endroit d'un événement qu'il connaissait et qui devait être
fourni à l'assureur pour se conformer aux règles du Code civil.
Selon lui, un proposant raisonnable ne peut pas
convaincre le Tribunal de pouvoir omettre un tel événement, alors
qu'il est confronté au questionnaire de la proposition d'assurance.
Il ajoute ensuite qu'il est évident qu'on ne peut
exiger d'un proposant qu'il soit en mesure de savoir de façon
précise comment ses systèmes nerveux, immunitaire, digestif ou
autre sont directement affectés lorsque se manifestent de tels
symptômes ou de telles maladies. Selon lui le questionnaire de la
proposition est suffisamment descriptif pour amener le proposant
à faire connaître son passé médical. Le Tribunal pense, par
exemple, que ne sachant peut-être pas son système nerveux atteint,
Robert Boucher savait cependant qu'il avait eu des problèmes de
circulation dans ses vaisseaux sanguins qui s'étaient bouchés pour
se déboucher. Il juge qu'à la question 9 de la section C intitulée
« Système cardio-vasculaire » laquelle demandait s'il avait déjà
été soigné ou eu des symptômes en rapport avec ce système, il y a
lieu de croire que quelqu'un qui a subi ce qu'a subi le proposant
aurait dû parler des problèmes qu'il a eus en décembre 1984.
Finalement, il est d'avis que l'intimée a fait la
preuve que si l'assureur avait connu l'épisode d'ischémiecérébrale, il aurait appliqué au moins une surprime. Il annule
donc le contrat d'assurance intervenu.
Il a toutefois retenu l'argument de l'appelante selon
lequel l'intimée était forclose d'invoquer dans sa défense
l'alcoolisme comme motif de refus de la réclamation puisque sa
lettre de négation de couverture du 13 mars 1989 n'en faisait pas
état. Pour disposer de cet argument il se réfère à la « doctrine
of election » et cite les arrêts Entreprises Cotenor Ltée c.
Travelers du Canada,
[1976] C.S. 415
confirmé par
[1978] C.A. 17
;
Tracy Plate Shop Inc. c. The Continental Insurance Company,
[1980]
C.S. 903
confirmé par la Cour d'appel, 500-09-001211-804, 5 janvier
1987. Le Tribunal ajoute au surplus que la décision de l'intimée
de ne pas invoquer l'alcoolisme dans sa lettre de négation de
couverture du 13 mars 1989 n'était probablement pas sans fondement,
puisque l'analyse des éléments relatifs à la consommation d'alcool
de feu Robert Boucher dans le dossier du Jeffery Hale montrait très
peu d'information permettant de déterminer la quantité de boisson
que consommait l'assuré au moment de la signature de la proposition
en janvier 1988.
LES PROCÉDURES EN APPEL
L'appelante a porté en appel la décision de première
instance. L'intimée a également logé un appel incident dans lequelelle plaide que le juge de première instance était mal fondé à
déclarer inadmissible la preuve relative à la consommation d'alcool
de Robert Boucher.
LES QUESTIONS EN LITIGE
1. Appel principal - Le juge de première instance a-
t-il erré en droit en annulant la police d'assurance au motif que
Robert Boucher aurait sciemment omis de déclarer l'épisode
d'engourdissement de décembre 1984 au moment où il a soumis sa
proposition d'assurance ?
2. Appel incident - Le juge de première instance a-
t-il erré en droit en déclarant l'intimée forclose de soumettre,
comme motif de négation de couverture, le prétendu alcoolisme de
Robert Boucher ?
PRÉTENTIONS DES PARTIES
A) Appelante
1. Appel principal - Le juge de première instance a
erré en annulant la police d'assurance au motif que Robert Boucher
aurait sciemment omis de déclarer l'épisode d'ischémie cérébrale
transitoire de décembre 1984.
Selon l'appelante, aux termes de la loi, la seule
obligation de M. Boucher dans le cadre de la déclaration du risque
était de déclarer les circonstances connues de lui, de nature à
influencer un assureur raisonnable.
La preuve a démontré que Robert Boucher ne se savait
pas atteint d'une maladie de son système nerveux ou cardio-
vasculaire. D'abord, la preuve a démontré qu'aucun des quatre
médecins ayant eu à se pencher sur le cas de M. Boucher n'a porté
de diagnostic identique. Il a également été établi que Robert
Boucher n'avait jamais été informé par le Docteur Deschênes ou par
quiconque qu'il avait prétendument souffert d'ischémie cérébrale
transitoire.
Dans les circonstances, l'intimée ne peut faire grief
à Robert Boucher de ne pas avoir déclaré, à la question 15 de la
proposition, qu'il avait été traité pour une maladie du système
nerveux alors qu'il n'avait pas été informé que son système nerveux
était en cause et que les médecins qui ont eu à se pencher sur son
cas n'ont pu s'entendre pour déterminer la nature et la cause de
l'épisode de 1984.
Le juge de première instance mentionne que Robert
Boucher aurait pu faire état de l'épisode de décembre 1984 dans lecadre de la question 9 de la proposition où on lui demandait s'il
avait été soigné pour une maladie ou des symptômes au niveau du
système cardio-vasculaire. Ce grief encore une fois est mal fondé
puisqu'il n'a même pas été établi que l'épisode de décembre 1984
était relié au système cardio-vasculaire de Robert Boucher. Jamais
il n'a été informé que son système cardio-vasculaire pouvait être
en cause. Tout au plus, lui a-t-on dit qu'il devait prendre de
l'aspirine pour éclaircir son sang.
2. Appel incident - L'appelante soumet que la
décision du juge de première instance qui déclare forclose de
soumettre l'alcoolisme comme motif de négation de couverture,
puisque sa lettre du 13 mars 1989 n'en faisait pas état, était bien
fondée.
Selon elle, l'appelante était justifiée d'opposer une
fin de non recevoir à l'argument de l'intimée. En vertu d'une
jurisprudence bien établie, l'intimée ne pouvait soulever au procès
un motif de négation de couverture autre, que celui initialement
opposé à l'appelante.
B) Intimée
1. Appel principal - L'obligation du proposant est de
déclarer toutes les circonstances connues de lui. Parcirconstances on entend, des événements et des faits qui sont
connus du preneur. M. Boucher ne pouvait ignorer les circonstances
qui se sont produites en décembre 1984. Il a été victime de
convulsions, d'évanouissement, de pertes de mémoire et
d'hospitalisation. Lors de son hospitalisation de décembre 1984,
les médecins lui ont fait subir une batterie de tests. Le Docteur
Deschênes est arrivé à un diagnostic d'ischémie cérébrale
transitoire. Ce dernier avait même avisé M. Boucher que s'il
cessait de prendre de l'aspirine enrobée, il pourrait être victime
d'une paralysie. Ceci confirme la gravité de son état physique.
Le proposant n'a pas à déterminer ou à juger par lui-
même, si les circonstances connues de lui sont de nature à
influencer de façon importante un assureur raisonnable, selon
l'article 2485 C.c.B.C. C'est à l'assureur, lorsque tous les faits
lui sont complètement et franchement exposés, de déterminer si les
circonstances qui lui sont déclarées, encore faut-il qu'elles le
soient, sont importantes. L'obligation du proposant est réputée
remplie, si les circonstances qui sont déclarées sont conformes aux
déclarations. Il doit même dévoiler les circonstances qu'il ne
croit pas dignes d'intérêt ou qu'il pourrait croire peu
importantes. En l'espèce, en omettant de dévoiler l'épisode de
décembre 1984, il a fait une réticence importante.
2. Appel incident - L'intimée soumet que le juge
n'avait aucun motif et a erré complètement en droit en déclarant
l'intimée forclose de soumettre, comme motif de négation, la
période d'alcoolisme de M. Boucher. Selon l'intimée, la preuve de
l'alcoolisme était permise parce qu'elle a été dénoncée à
l'appelante dès le début des procédures et qu'elle n'a pas été
prise par surprise. Le fait de ne pas préciser ces motifs dans la
lettre de refus de l'intimée, ne constitue pas une fin de non
recevoir d'invoquer ce motif.
Le juge de première instance a également erré en faits
et en droit en refusant de reconsidérer la preuve quant à
l'alcoolisme sur la foi d'une certaine jurisprudence qui ne
concerne que l'étape préliminaire à l'exécution d'un contrat
d'assurance. En effet, toute la jurisprudence citée par
l'appelante ne concerne qu'une étape préliminaire essentielle à la
production d'une réclamation auprès d'un assureur. Dans le cas
sous étude, il n'y a aucune étape préliminaire prévue au contrat
et, s'il y en avait eu une, l'intimée n'a jamais soulevé
l'inexécution d'une telle étape.
L'allégation relative à l'alcoolisme a toujours été
connue de l'appelante depuis le début des procédures judiciaires.
Au surplus, la lettre de l'intimée ne constitue pas une
renonciation. D'autre part, l'alcoolisme de M. Boucher a étéprouvé en première instance. L'intimée entend démontrer qu'elle
a droit à une défense pleine et entière et le droit d'invoquer tout
motif même découvert au cours de l'enquête.
ANALYSE ET DÉCISION
Avec égards pour l'opinion contraire, je crois que le
juge de première instance a erré en concluant que le preneur a
contrevenu à l'article 2485 C.c.B.C. en omettant de déclarer
l'épisode d'ischémie cérébrale dont il aurait été victime en
décembre 1984.
Selon les conclusions factuelles du juge de première
instance, Robert Boucher, en revenant de son travail le 11 décembre
1984 aurait perdu conscience pendant cinq à dix minutes. Reconduit
en ambulance à l'hôpital malgré sa volonté, il aurait séjourné deux
jours à l'urgence sous les soins du docteur Lachance et par la
suite trois autres jours sous les soins du docteur Jacques
Deschênes. Ce dernier lui a administré toute une batterie
d'examens dont les résultats furent tous positifs. À sa sortie de
l'hôpital, le médecin lui a prescrit de l'entrophen, c'est-à-dire
de l'aspirine enrobée pour éclaircir son sang.
Le diagnostic d'ischémie cérébrale transitoire est
celui du docteur Deschênes. Les autres médecins consultés ne sontpas du même avis et aucun ne semble absolument certain sur la
nature du malaise qu'aurait ressenti M. Boucher en décembre 1984.
Une chose est encore plus certaine, jamais M. Boucher
n'a été informé de ce diagnostic. Tout au plus lui aurait-on
expliqué que son sang était trop épais et qu'il devait prendre de
l'aspirine pour l'éclaircir. On ne lui a jamais dit qu'il
souffrait d'une maladie du système nerveux. Le 15 janvier 1988,
au moment de la signature de la proposition d'assurance, quatre ans
après l'incident de décembre 1984, M. Boucher se sentait en pleine
forme et n'avait pas connu depuis, aucun incident semblable.
La question de droit à résoudre est celle de savoir
si Robert Boucher a contrevenu à l'article 2485 C.c.B.-C. dont le
texte se lit ainsi:
Le preneur, de même que l'assuré si l'assureur le
demande, est tenu de déclarer toutes les
circonstances connues de lui qui sont de nature à
influencer de façon importante un assureur
raisonnable dans l'établissement de la prime,
l'appréciation du risque ou la décision de
l'accepter.
(mes soulignements)
L'assuré n'a qu'à déclarer les circonstances connues
de lui, et non toutes les maladies ou tous les désordres physiquesou mentaux dont il pouvait être atteint (1). De plus, l'assuré n'a
pas en l'espèce de formation médicale et les réponses qu'il donne
reflètent sa perception des maladies dont il peut être affecté (2).
Enfin, en cas d'ambiguïté, le contrat d'assurance s'interprète
contre l'assureur (3).
La lettre de négation de couverture mentionne que le
proposant n'a pas révélé l'ischémie cérébrale transitoire de
janvier 1995. Il est loin d'être certain que le proposant a
souffert d'une telle ischémie selon la preuve médicale offerte.
L'intimée avait le fardeau d'établir un tel diagnostic, elle n'a
pas réussi à le faire. De plus, l'assureur devait faire la preuve
que ce diagnostic avait été porté à la connaissance du proposant,
cette preuve n'a pas été faite, le contraire fut prouvé.
Le juge de première instance dit que le proposant
savait que ses vaisseaux sanguins s'étaient bouchés et débouchés
par la suite et qu'il devait prendre de l'aspirine pour éclaircir
son sang. En conséquence, il aurait dû répondre positivement à la
quesiton 9 portant sur le système cardio-vasculaire. Même si celaétait, avec égards pour l'opinion contraire, l'assureur n'a pas
spécifiquement mentionné que l'ischémie cérébrale transitoire dans
la lettre de négation de couverture est une maladie du système
nerveux prévue à la question 15 dans son plaidoyer à l'encontre de
l'action. L'assureur doit limiter sa contestation aux motifs
mentionnés dans sa lettre de négation de couverture. Peut-il
ajouter un nouveau motif de contestation dans son plaidoyer comme
il l'a fait ici dans son plaidoyer, en déclarant que le proposant
n'avait pas mentionné ses abus d'alcool et de drogue en réponse à
la question 17.
L'appel incident
Cette question nous amène à discuter de la valeur de
l'appel incident.
D'abord, il faut rappeler que l'assureur, par son
représentant Leboeuf, a été informé par son médecin expert le
docteur Tremblay des références à l'état d'alcoolisme dans le
dossier médical de l'assuré à l'Hôpital Jeffrey Hale. Leboeuf a
reçu une confirmation du même docteur Tremblay que l'alcoolisme
documenté de l'assuré constituait un motif majeur de refus.
Malgré ces rapports, l'assureur a choisi de ne pas
invoquer ce motif dans sa lettre de négation de couverture du 13mars 1989, probablement, comme le souligne le juge de première
instance, parce que l'assureur possédait très peu d'information
sur la quantité d'alcool consommé par l'assuré au moment de la
proposition en janvier 1988.
Dans l'affaire Tracy Place Shop Inc. c. Continental
Insurance Co.,
1980 C.S. 903
, le juge Philippe Pothier était
confronté à une situation semblable. Dans un premier temps,
l'assureur avait refusé d'indemniser l'assuré pour le motif qu'il
n'était pas responsable des dommages. La réponse fut «
No liability
on part of insured liability denied to claimant »
. Malgré cette prise de
position de son assureur, l'assuré admit sa responsabilité et fit
effectuer les réparations requises. Au procès, l'assureur a
soulevé deux nouveaux moyens pour refuser de payer les dommages:
l'existence d'une autre police d'assurance qui devait s'appliquer
en priorité et l'admission de responsabilité de l'assuré en
violation d'une des conditions de la police.
Le juge s'appuyant sur la « doctrine of election »
déclare:
... La Cour est d'avis que la défenderesse n'est
plus admise à invoquer la violation d'une condition
de la police. Elle n'a jamais avisé l'assuré de ce
prétendu manquement et bien plus tard, elle a
finalement pris position sans l'invoquer.
Cette décision fut confirmée par notre Cour dans
l'arrêt The Continental Insurance Company c. Tracy Plate Shop Inc.
(1987) R.R.A. 176
. L'opinion de l'honorable L'Heureux-Dubé à
laquelle souscrivent les juges Vallerand et Rothman, confirme
spécifiquement la décision du premier juge sur la tardiveté à
invoquer les deux nouveaux moyens.
Je conclus en précisant qu'en l'espèce, l'assureur a
fait son lit en toute connaissance de cause et délibérément choisi
de ne pas invoquer l'alcoolisme comme motif de refus de couverture.
La situation serait différente si l'assureur avait découvert ce
motif après son enquête initiale et après sa lettre du 13 mars
1989. Le comportement de l'assureur équivaut à une renonciation
tacite à invoquer ce moyen. La bonne foi étant le fondement même
du contrat d'assurance, l'assuré était justifié de conclure que le
seul motif de refus de couverture était l'absence de mention de
l'ischémie cérébrale.
Le juge de première instance a eu raison de décider
que l'intimée était forclose de plaider l'alcoolisme du proposant.
Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel avec dépens,
infirmerais le jugement de première instance, condamnerais
l'intimée à payer à l'appelante la somme de 40 000 $ avec intérêtsdepuis l'assignation plus l'indemnité additionnelle prévue par le
Code civil et condamnerais l'intimée à payer à l'appelante tous les
frais d'expertise et d'assistance technique qui lui ont été
nécessaires pour administrer sa preuve.
Je rejetterais également l'appel incident de l'intimée
sans frais.
Michel Robert, J.C.A.
COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE QUÉBEC
No: 200-09-000245-933
(200-05-001508-899)
CORAM: LES HONORABLES BEAUREGARD
BAUDOUIN
ROBERT, JJ.C.A.
MICHELINE LAPOINTE-BOUCHER,
APPELANTE PRINCIPALE -
INTIMÉE INCIDENTE - (demanderesse)
c.
LA MUTUELLE-VIE DES FONCTIONNAIRES,
INTIMÉE -
APPELANTE INCIDENTE - (défenderesse)
OPINION DU JUGE BAUDOUIN
Avec respect pour l'opinion contraire, je partage
l'avis de mon collègue M. le juge Robert.
Sur le premier point, la preuve au dossier est claire
et ne prête pas à controverse. Jamais Robert Boucher n'a été mis
au courant du prétendu mal dont il souffrait et dont l'intimée
invoque l'existence pour nier couverture. Je dis bien «prétendu»
parce que la lecture des témoignages des médecins experts au procèsrévèle que trois sur quatre d'entre eux ont été dans
l'impossibilité d'affirmer que Robert Boucher avait effectivement
souffert d'ischémie cérébrale transitoire et qu'en outre la
batterie des tests subis par lui à l'hôpital Jeffrey Hale en
décembre 1984 au moment de l'incident s'est avérée entièrement
négative.
L'intimée, en l'espèce, n'a donc ni démontré
l'existence de cette maladie de façon prépondérante, ni contredit
le fait que l'assuré ignorait lui-même ce dont il pouvait être
atteint.
Sur le second point, il est en preuve que l'intimée
savait dès le 20 décembre 1988 que Robert Boucher avait un problème
probable d'alcoolisme. La chose était d'ailleurs évidente, eu
égard à la façon dont il est mort. La lettre du 13 mars refusant
la réclamation ne le mentionne pas. Je ne peux mieux faire, à cet
égard, que de citer ce passage du Professeur Jean-Guy Bergeron qui,
sur les circonstances susceptibles de montrer une volonté de
renonciation, écrit:
[...]
Le fait de ne pas invoquer le moyen de défense, de le garder
en réserve en cas d'échec des autres moyens soulevés est un
indicateur sérieux d'une volonté de renoncer pour un assureur
raisonnable. Cette attitude de l'assureur ne nous paraît pas
compatible avec la bonne foi devant entourer les relations
assureur-assuré.
(J.G. BERGERON, Les contrats d'assurance terrestre,
Sherbrooke, Éditions SEM, 1992, vol 2, p. 376)
Pour ces motifs, je suis également d'avis d'accueillir
le pourvoi principal avec dépens et de rejeter avec dépens le
pourvoi incident.
JEAN-LOUIS BAUDOUIN, J.C.A.
COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE QUÉBEC
No: 200-09-000245-933
(200-05-001508-899)
CORAM: LES HONORABLES BEAUREGARD
BAUDOUIN
ROBERT, JJ.C.A.
MICHELINE LAPOINTE-BOUCHER,
APPELANTE - (demanderesse)
c.
LA MUTUELLE-VIE DES FONCTIONNAIRES,
INTIMÉE - (défenderesse)
OPINION DU JUGE BEAUREGARD
L'art. 2485 C.c.B.-C. dispose:
Le preneur, de même que l'assuré si l'assureur le
demande, est tenu de déclarer toutes les
circonstances connues de lui qui sont de nature à
influencer de façon importante un assureur
raisonnable dans l'établissement de la prime,
l'appréciation du risque ou la décision de
l'accepter.
À cette fin, puisque l'assureur-vie se fie sur l'assuré, celui-ci
doit faire montre de la plus haute bonne foi (uberrimae fide).
En l'espèce il est acquis que nous sommes en présence de
circonstances qui étaient de nature à influencer de façon
importante l'assureur dans l'appréciation du risque.
Le litige porte sur la connaissance ou l'ignorance de l'assuré de
ces circonstances.
Voici comment le juge résume le témoignage de l'épouse de l'assuré
concernant une attaque qu'a subie ce dernier le 11 décembre 1984:
Elle rappelle que le 11 décembre 1984, Robert
Boucher est revenu fatigué du travail et ressentait
des picotements à la tempe gauche. À un certain
moment, il s'est senti mal et est tombé par terre,
sans connaissance. Il réagissait alors avec les
bras. Son fils était avec elle et elle lui a
demandé de s'occuper de son mari pendant qu'elle
appelait l'ambulance. Le temps de faire ça, elle
dit que son mari était revenu à lui et ne se
rappelait plus de rien. Cet épisode a alors duré
entre cinq et dix minutes. Son mari ne voulait pas
de l'ambulance, mais, finalement, quand même il fut
reconduit à l'hôpital par celle-ci. À l'hôpital,
il est demeuré deux jours à l'urgence sous les soins
du docteur Lachance et par la suite, il fut admis
dans l'institution pour être, pendant trois autres
jours, sous les soins du docteur Jacques Deschênes,
qui lui a fait passer toutes sortes d'examens, dont
les résultats furent tous positifs (négatifs?). Son
mari s'est toujours demandé pourquoi il passait tant
de temps à l'hôpital puisqu'il n'avait rien. À sa
sortie, il devait prendre de l'entrophen, c'est-à-
dire de l'aspirine enrobée pour éclaircir son sang.
Elle-même a parlé avec le docteur Jacques Deschênes,
qui ne lui a jamais mentionné l'expression «ischémie
cérébrale transitoire» ou encore quoi que ce soit
qui ait rapport avec le système nerveux. Ce n'est
qu'à la suite du décès de son mari qu'elle a entendu
parler de ces choses.
Robert Boucher n'a plus jamais eu d'accident
semblable à celui du 11 décembre par la suite, et
même après qu'il eut cessé de prendre ses aspirines.
Selon elle, son mari considérait cet épisode comme
ne correspondant pas à grand chose et n'y a jamais
porté trop d'attention.
Voici par ailleurs le résumé de l'interniste Jacques Deschênes qui
s'est occupé du malade à l'hôpital entre le 12 et le 16 décembre;
on constatera que le docteur Deschênes nous fait part d'un incident
plus important que celui décrit par l'épouse de l'assuré:
Il s'agit d'un patient de 47 ans, droitier, qui a
été admis parce que, le soir avant son admission,
il avait présenté en regardant la télévision, des
paresthésies au niveau de l'hémiface gauche avec de
la dysarthrie et une absence qui a duré environ 45
minutes. Le tout sans céphalée, sans vomissement,
sans nausée. Le même phénomène a recommencé plus
tard pour durer environ 45 minutes et plus tard le
même phénomène s'est reproduit, il veut se lever et
il tombe et à ce moment-là il aurait présenté un
mouvement convulsif des deux membres supérieurs qui
auraient duré environ 10 minutes avec perte de
conscience et incontinence urinaire. Lorsqu'il a
consulté il persistait une légère paresthésie au
niveau de l'hémiface gauche qui a complètement
disparu à l'hôpital. Le patient n'était pas connu
diabétique ou hypertendu et le tout a été confirmé
à l'hôpital.
Par ailleurs, la scintigraphie cérébrale et l'EEG
étaient normaux. La radiographie du crâne était
normale. La radiographie cardiopulmonaire était
normale. L'ECG était normal. Le patient a été vu
en neurologie où l'on voulait éliminer la
possibilité d'une embolie pulmonaire, la
scintigraphie pulmonaire était normale. On voulait
aussi éliminer la possibilité d'arythmie cardiaque.
Il est à noter que le patient n'avait eu aucune
palpitation. Il a été placé sous télémétrie et
celle-ci s'est révélée entièrement négative. La
formule sanguine complète et la sédimentation
étaient normales. L'analyse et la culture d'urine
étaient normales. Le BUN était normal. Les
électrolytes étaient normaux. Le bilan lipidique
était normal. Calcium + magnésium.
De sorte qu'un diagnostic final a été porté
d'ischémie cérébrale transitoire au niveau du
territoire sylvien droit et pour laquelle je lui ai
prescrit de l'Entrophen 2Xg b.i.d.
Pour sa part, le neurologue Jacques de Léan, appelé en consultation
par l'interniste Deschênes, devait vérifier si le malade avait
souffert d'une ischémie cérébrale transitoire doublée de
convulsions. Le docteur de Léan ajouta ceci au dossier:
Ce malade présente une histoire complexe. Il est
frappant de noter que son épouse parle de pâleur
extrême, de transpiration (...) et de difficulté à
respirer durant l'épisode. Il n'y a pas eu de
mouvements convulsifs comme tel. Je crois qu'il
faut considérer d'autre diagnostic que celui de
convulsion tel que:
- embolie pulmonaire affectant
- (...) de l'aorte la
- (...) d'une autre nature circulation.
À la suite de la consultation du docteur de Léan, le docteur
Deschênes fit subir à l'assuré divers tests qui confirmèrentl'ischémie cérébrale transitoire comme diagnostic.
Que le diagnostic correct ait été une ischémie cérébrale
transitoire ou une embolie quelconque affectant la circulation, il
reste que l'incident n'était ni bénin ni banal.
Le 3 janvier 1985 l'assuré a rencontré le docteur Simon-Pierre
Proulx dans le but d'obtenir un certificat médical pour son
employeur. Le juge décrit comme suit ce que l'assuré aurait dit
au docteur Proulx à cette occasion:
Lors de cette entrevue, Boucher a parlé avec le
docteur Proulx de son hospitalisation au Jeffery
Hale et il lui a expliqué ce qu'il avait eu comme
perte de conscience avant d'être transporté à
l'hôpital. Le docteur Proulx raconte que Boucher
lui a dit qu'on avait conclu que son sang était trop
épais et qu'on lui avait donné de l'aspirine pour
l'éclaircir.
Donc, au docteur Proulx, l'assuré n'a pas manqué de décrire ce qui
l'avait conduit à l'hôpital en décembre 1984. Mais l'assuré
omettra de faire la même chose lors de la proposition d'assurance.
Il faut dire qu'en 1985 et 1986, l'assuré a revu trois fois le
docteur Deschênes. À une occasion c'était parce qu'il avait subi
deux autres épisodes d'engourdissement semblables à celui du 11
décembre 1984. Voici comment le juge résume le témoignage dudocteur Deschênes quant à ces trois consultations:
Le docteur Jacques Deschênes confirme avoir traité
Robert Boucher à partir du 12 décembre 1984 pour
des problèmes qui, selon les symptômes démontrés,
relevaient de la neurologie. Il l'a investigué et
tous les tests négatifs confirmaient pour lui une
possibilité d'ischémie cérébrale transitoire. Il
a demandé le docteur Jacques de Léan en consultation
et celui-ci lui a fait des suggestions. À
l'hôpital, avant que son client quitte, il raconte
lui avoir expliqué très clairement ce qu'il avait
fait, sans aller jusqu'à utiliser les termes
«ischémie cérébrale transitoire».
Par la suite, il a rencontré Boucher trois fois à
son bureau à l'occasion du suivi qui devait être
donné à son hospitalisation. En juillet 1985, lors
d'une première visite, il n'a décelé aucun problème.
Vers novembre, il l'a revu et à cette occasion,
Boucher l'a informé qu'il avait arrêté de prendre
ses entrophens et qu'il avait eu deux épisodes
d'engourdissement au côté gauche du visage. Le
docteur lui aurait dit de ne jamais arrêter de
prendre ses entrophens, car il pourrait paralyser
complètement et lui a réexpliqué le problème qu'il
avait eu en décembre 1984. En mai 1986, il l'a revu
pour la dernière fois et Boucher l'informa qu'il
avait toujours pris ses entrophens et qu'il n'avait
plus de problème.
[J'ai souligné]
Indépendamment des prétentions des parties quant aux faits qui sont
survenus, voyons ceux que le juge de première instance a retenus:
Le Tribunal retient de la preuve concernant la
connaissance de Robert Boucher de ce qu'il en était
quant à l'attaque qu'il a subie le 11 décembre 1984,
qu'il en était bien informé. Le docteur Deschênes
a témoigné à cet égard qu'avant que Robert Boucher
quitte le Jeffery Hale suite à son hospitalisation,
il lui avait très bien expliqué ce qu'il en était.
Il ne lui a pas parlé d'ischémie cérébrale
transitoire, mais lui a expliqué, dit-il, très
clairement et pour qu'il comprenne, qu'il avait
probablement eu un vaisseau sanguin qui s'était
bouché, pour se déboucher par la suite et qu'il lui
fallait pour éclaircir son sang prendre de
l'aspirine et que c'était important. Lorsqu'il l'a
revu en novembre 1985 et que Boucher l'eut alors
informé avoir connu deux autres épisodes
d'engourdissement et du fait qu'il avait arrêté de
prendre ses aspirines, à nouveau, il lui a
réexpliqué sa condition et insisté pour qu'il prenne
sa médication, ce qu'il a confirmé qu'il faisait
encore à sa dernière visite en mai 1986. Le docteur
Deschênes déclare aussi avoir dit à Boucher de ne
jamais arrêter l'aspirine, parce qu'il pourrait
paralyser complètement.
[J'ai souligné]
À mon humble avis, il s'agit là de constatations de fait qui, non
seulement ne sont pas manifestement erronées, mais qui sont tout
à fait correctes. Dans ces circonstances comment une cour d'appel
peut-elle intervenir et substituer son appréciation des faits à
celle du juge qui a vu les témoins?
Puis le juge a conclu comme suit:
Pourquoi, le 15 janvier 1988, lorsqu'interrogé par
l'infirmière, Robert Boucher n'a jamais mentionné
son hospitalisation au Jeffery Hale en décembre
1984?
Le Tribunal ne peut croire qu'une personne qui,
selon le dossier médical, a subi plusieurs pertes
de conscience au cours de la même journée et
reconduite en ambulance dans un centre hospitalier
où elle passe deux jours à l'urgence et trois à
l'hôpital, puisse oublier ce fait. Il est aussi
peu croyable, parce que peu probable, que l'on
puisse considérer comme une niaiserie de se faire
dire que l'un de ses vaisseaux a bouché et s'est
heureusement débouché sans laisser de séquelle. Il
est étonnant aussi, parce que peu probable, de
croire que Robert Boucher ne savait pas qu'il
risquait la paralysie complète s'il devait subir
une autre attaque d'une nature semblable à celle de
décembre 1984.
Selon le Tribunal, omettre de déclarer cet épisode
de décembre 1984 constitue de la part de Robert
Boucher une réticence volontaire de sa part à
l'endroit d'un événement qu'il connaissait et qui
devait être fourni à l'assureur. Un proposant
raisonnable ne peut certainement pas convaincre le
Tribunal de pouvoir omettre un tel événement, alors
qu'il est confronté au questionnaire de la
proposition d'assurance (P-6A).
Il est évident qu'on ne peut exiger d'un proposant
qu'il soit en mesure de façon précise de savoir que
c'est son système nerveux, immunitaire, digestif ou
autre qui a directement été intéressé par tel
symptôme ou telle maladie. Il tombe, cependant,
sous le sens que quelque chose d'important n'allait
pas en quelque part lorsque, comme Robert Boucher,
on a à vivre les événements qu'il a vécus du 11 au
16 décembre 1984 et par la suite.
Le questionnaire de la proposition est suffisamment
descriptif pour amener le proposant à faire
connaître son passé médical. Le Tribunal pense,
par exemple, que ne sachant peut-être pas son
système nerveux atteint, Robert Boucher savait
cependant à la suite de ce que lui avait dit le
docteur Deschênes qu'il avait eu des problèmes de
circulation dans ses vaisseaux sanguins qui
s'étaient bouchés pour se redéboucher.
Lorsque confronté à la section C sous l'article 9,
intitulé «Système cardiovasculaire», on lui
demandait s'il avait déjà été soigné ou eu des
symptômes en rapport avec ce système, qui incluait
des troubles aux vaisseaux sanguins. Il y a lieu
de croire que quelqu'un qui a subi ce qu'a subi le
proposant Boucher pourrait aisément sous le couvert
de cette question parler des problèmes qu'il a eus
en décembre 1984.
Robert Boucher devait déclarer sa maladie de
décembre 1984 lorsqu'il a rempli sa proposition et
sciemment, il ne l'a pas fait.
Bien respectueusement, il me semble que cette conclusion du juge
de première instance est inattaquable. Dans sa proposition
d'assurance, l'assuré a cru nécessaire de mentionner des choses
aussi banales que le fait qu'il avait déjà consulté un médecin pour
un examen physique de routine, le fait qu'il avait déjà été traité
pour une tendinite, le fait qu'il avait déjà été traité pour de
l'arthrite. Pourtant l'assuré n'a pas cru nécessaire de mentionner
qu'il avait été hospitalisé durant cinq jours sous les soins du
docteur Deschênes, qu'il avait par la suite subi deux autres
attaques et qu'il avait été grondé par le docteur Deschênes pour
avoir cessé de prendre ses médicaments. L'assuré a révélé tout ce
qui n'était pas pertinent à l'appréciation du risque, et il n'a pas
mentionné ce qui, objectivement, devait intéresser un assureur
raisonnable.
Le juge Robert écrit:
L'assuré n'a qu'à déclarer les circonstances connues
de lui, et non toutes les maladies ou tous les
désordres physiques ou mentaux dont il pouvait être
atteint. De plus, l'assuré n'a pas en l'espèce de
formation médicale et les réponses qu'il donne
reflètent sa perception des maladies dont il peut
être affecté. Enfin, en cas d'ambiguïté, le contrat
d'assurance s'interprète contre l'assureur.
Il est certain que le contrat d'assurance s'interprète contre
l'assureur, mais, à mon humble avis, le problème qui est le nôtre
n'en est pas un d'interprétation.
Il est également certain qu'un assuré n'a pas à déclarer les
maladies ou désordres physiques ou mentaux dont il peut être
atteint s'il ignore ces maladies et ces désordres. Mais il doit
déclarer «les circonstances connues de lui». Or, à mon humble
avis, comme le juge l'a constaté, l'assuré devait mettre l'assureur
au courant de l'attaque du 11 décembre 1984, de son
hospitalisation, du fait qu'il était suivi par le docteur Deschênes
et du traitement que celui-ci lui avait prescrit. L'assuré avait
assez d'informations pour bien renseigner son assureur sans avoir
une formation médicale et le fait qu'il n'avait pas de formation
médicale ne l'excuse pas d'avoir laissé son assureur dans
l'ignorance. Les questions posées par la proposition ne
demandaient pas à l'assuré de donner des diagnostics; l'une des
questions demandait à l'assuré s'il avait séjourné à l'hôpital et,
si oui, de donner des détails. C'est en omettant de parler de son
séjour à l'hôpital entre le 11 et le 16 décembre 1984 que l'assuré
a violé son obligation aux termes de l'art. 2485.
Je ne partage pas l'opinion de mon collègue Robert suivantlaquelle, puisque l'assureur a refusé l'indemnité au motif que
l'assuré avait souffert d'ischémie cérébrale transitoire, son moyen
de défense ne saurait réussir puisqu'il n'a pas établi par
prépondérance de preuve que l'assuré avait souffert d'ischémie
cérébrale transitoire.
Il me paraît évident que l'assureur n'avait pas à établir la cause
précise des attaques subies par l'assuré. Il lui suffisait de
démontrer qu'en décembre 1984 l'assuré avait subi une attaque
sérieuse, qu'il avait été hospitalisé, qu'il avait été traité par
le docteur Deschênes et qu'il avait subi par la suite deux autres
attaques semblables. Que les médecins spécialistes ne s'entendent
pas sur la cause des malaises de l'assuré n'a absolument aucune
importance. L'assureur s'est donc acquitté de la charge de la
preuve.
Je rejetterais donc le pourvoi, avec dépens.
Je désire ajouter que, sur un autre point, je ne partage pas
l'opinion du premier juge suivant laquelle l'appelante pouvait
opposer une fin de non-recevoir à l'assureur au motif que dans une
lettre celui-ci n'a pas mentionné expressément qu'il refusait la
demande d'indemnité également à cause du fait que Boucher lui avait
aussi caché son éthylisme.
Le juge de première instance s'est basé à cet égard sur l'affaire
Entreprises Cotenor Ltée c. Travelers du Canada, [1976] 1 C.S. 415,
confirmée quant au résultat par
[1978] C.A. 17
et Tracy Place Shop
Inc. c. Continental Insurance Co.
[1980] C.S. 903
, confirmée quant
au résultat par
[1987] R.R.A. 176
.
À mon humble avis ni dans l'affaire Cotenor ni dans l'affaire Tracy
Place Shop Inc. la Cour d'appel a-t-elle fait siens les motifs des
juges de première instance.
Dans l'affaire Cotenor le moyen de défense que l'assureur aurait
invoqué en retard ne paraît pas clairement. Il semble cependant
que l'assureur ne faisait pas valoir un moyen de défense qui
touchait le coeur de la garantie, mais un moyen de défense qui
concernait une «informalité que l'assuré aurait pu commettre dans
la présentation de sa réclamation».
Le juge se basait sur une théorie rappelée dans British Colonial
Fire Insurance Co. c. Rahal (1919), 28 B.R. 227 et Cie Équitable
d'assurance Mutuelle contre le Feu c. Boulanger (1920), 29 B.R.
515. Cette théorie veut qu'un assureur qui, d'une part, prétend
que sa police est nulle, ne peut, du même souffle, invoquer qu'une
condition préalable à une réclamation et que prévoit la police n'a
pas été remplie. On ne peut à la fois plaider la nullité d'un
contrat et en invoquer ses dispositions.
Dans l'affaire Tracy Place Shop Inc. le juge de première instance
a décidé qu'après avoir refusé de payer un tiers de la part d'un
assuré, qui, contractuellement, était obligé de payer ce tiers, un
assureur ne peut invoquer contre son assuré une clause de la police
qui lui défendait d'admettre sa responsabilité.
À mon humble avis il y a une différence très nette entre les deux
situations suivantes:
1) Devant une demande d'indemnité, un assureur-vie prétend que
sa police est nulle parce que l'assuré lui a mal décrit le
risque; ce faisant, l'assureur renonce à invoquer le
respect des clauses de la police concernant la façon de
faire la réclamation. Une défense au fond empêche une
exception d'irrecevabilité;
2) Devant une demande d'indemnité, un assureur-vie prétend,
dans une lettre, que sa police est nulle parce que, sur un
point particulier, l'assuré lui a mal décrit le risque; ce
faisant, l'assureur ne renonce pas à faire voir, dans une
défense à une action, que l'assuré lui a également mal
décrit le risque sur un autre aspect. Un moyen de défense
au fond ne se prescrit pas.
On peut peut-être trouver de la jurisprudence étrangère au
contraire(4), mais, en droit québécois, on n'enlève pas facilement
des droits ou des moyens de défense à un justiciable. À mon humble
avis il n'y eut aucun abus de droit de la part de l'assureur et je
ne vois aucune raison de biffer du plaidoyer de l'assureur la
référence à l'éthylisme du défunt. Le fait que l'assureur n'a pas
mentionné ce problème dans sa lettre où il nie responsabilité n'a
aucune pertinence. En réalité l'assureur n'était pas obligé de
nier responsabilité par écrit. Me paraîtrait très technique la
règle suivant laquelle un assureur-vie serait restreint par les
termes précis d'une lettre dans laquelle il avise le preneur ou le
bénéficiaire d'une police d'assurance qu'il n'entend pas payer
l'indemnité réclamée.
Dans ses motifs le juge Baudouin cite le professeur Jean-Guy
Bergeron:
Le fait de ne pas invoquer le moyen de défense, de le
garder en réserve en cas d'échec des autres moyens
soulevés est un indicateur sérieux d'une volonté de
renoncer pour un assureur raisonnable. Cette attitude
de l'assureur ne nous paraît pas compatible avec la bonne
foi devant entourer les relations assureur-assuré.
En autant que le professeur Bergeron avait à l'esprit les affaires
British Colonial Fire Insurance Co. et Cie Équitable d'assurance
Mutuelle contre le Feu, citées plus haut, je me range avec lui.
Je me range également du même côté si le professeur Bergeron avait
à l'esprit un cas où l'assureur sortirait une carte de sa manche
très tard au cours d'un procès. Je ne partage cependant pas son
avis s'il suggère que, dans un cas comme celui qui nous concerne,
un assureur est irrecevable à proposer un deuxième moyen de défense
s'il ne l'a pas allégué spécifiquement lorsqu'il a refusé la
garantie surtout dans un cas, comme celui qui nous concerne, où le
bénéficiaire n'a subi absolument aucun préjudice de l'omission de
l'assureur. D'ailleurs le professeur Bergeron mentionne que
l'omission d'invoquer un moyen de défense en temps utile est un
moyen de preuve pour établir que l'assureur a renoncé à ce moyen.
Il n'affirme pas que le retard équivaut en lui-même à une
renonciation.
En tout état de cause, en l'espèce, le texte de la lettre par
laquelle l'assureur refusait l'indemnité ne fermait pas la porte
à l'assureur. L'assureur mentionnait que «les réponses aux
questions... étaient inexactes» et que «parmi celles-ci» l'ischémie
cérébrale transitoire n'avait pas été divulguée.
[J'ai souligné]
L'appelante n'a pas demandé de détails supplémentaires à
l'assureur.
D'autre part il ne s'agit pas d'un cas où le deuxième moyen de
défense de l'assureur a été allégué la veille ou le matin de
l'instruction. Le moyen fut plaidé au tout début des procédures,
et l'appelante a eu tout le temps pour démontrer que la prétention
de l'assureur suivant laquelle son mari souffrait d'éthylisme
n'était pas fondée.
Enfin, mes deux collègues et le professeur Bergeron insistent sur
le fait qu'un contrat d'assurance est basé sur la bonne foi. Il
n'y a aucun doute que, comme pour tout contrat, les parties doivent
être de bonne foi, tant lors de la création du contrat que dans
l'exécution des obligations qui en découlent.
Ce qui est singulier au contrat d'assurance, c'est le fait qu'étant
le mieux placé pour décrire le risque, l'assuré doit être, non
seulement de bonne foi, mais de la plus haute bonne foi. V.
Coronation Ins. Co. c. Taku Air Transport Ltd.,
[1991] 3 R.C.S. 622
où, à la p. 636, le juge Cory rappelle ce qu'écrivait lord
Mansfield dans l'arrêt Carter c. Boehm (1766), 3 Burr. 1905, 97
E.R. 1162.
En l'espèce, comme l'a conclu le premier juge, l'assuré n'acertainement pas fait montre de la plus haute bonne foi en
décrivant les circonstances pertinentes du risque.
En revanche, même si aucune stipulation de la police n'exigeait que
l'assureur mentionne spécifiquement toutes et chacune des causes
de déchéance et même si la jurisprudence canadienne et québécoise
n'a jamais exigé cela d'un assureur, le juge de première instance
et mes collègues imposent cette obligation à l'assureur au motif
que, s'il en était autrement, l'assureur ne serait pas de bonne
foi.
D'un côté on est très tolérant envers l'assuré qui a violé son
obligation de la plus haute bonne foi et, de l'autre, on est très
exigeant en taxant l'assureur d'une conduite répréhensible alors
qu'au moment où l'assureur a refusé l'indemnité, il n'a pas voulu
parler de l'éthylisme de l'assuré parce que, si son dossier
indiquait que l'assuré avait eu un problème de ce côté-là, il
n'était pas assez étoffé pour permettre à l'assureur d'alléguer
cela en toute bonne foi. Ce n'est que plus tard que l'assureur sut
l'ampleur de l'éthylisme de l'assuré.
MARC BEAUREGARD, J.C.A.
COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE QUÉBEC
No: 200-09-000245-933
(200-05-001508-899)
Le 24 octobre 1996
CORAM: LES HONORABLES BEAUREGARD
BAUDOUIN
ROBERT, JJ.C.A.
MICHELINE LAPOINTE-BOUCHER,
APPELANTE - Demanderesse
c.
LA MUTUELLE-VIE DES FONCTIONNAIRES,
INTIMÉE - Défenderesse
_______________LA COUR; - Statuant sur le pourvoi de l'appelante
contre un jugement de la Cour supérieure ( Québec, 3 mars 1993,
l'honorable Paul Corriveau ) qui a rejeté la réclamation de
l'appelante d'une indemnité d'assurance de 40 000 $ à titre de
bénéficiaire d,une police d'assurance sur la vie de son mari Robert
Boucher.
Après étude dossier, audition et délibéré;
Pour les motifs exprimés dans les opinions écrites des
juges Baudouin et Robert, dont un exemplaire est déposé avec le
présent arrêt;
ACCUEILLE l'appel avec dépens;
INFIRME le jugement de première instance;
CONDAMNE l'intimée à payer à l'appelante la somme de
40 000 $ avec intérêts plus l'indemnité additionnelle prévue par
le Code civil, depuis l'assignation;
CONDAMNE l'intimée aux frais y compris tous les frais
d'expertise et d'assistance technique qui lui ont été nécessaires
pour administrer sa preuve.
REJETTE l'appel incident de l'intimée sans frais;
Pour les motifs exprimés dans son opinion écrite, dont
un exemplaire est déposé avec le présent arrêt, le juge Beauregard
aurait rejeté le pourvoi, avec dépens et rejeté le pourvoi incidentsans frais.
MARC BEAUREGARD, J.C.A.
JEAN-LOUIS BAUDOUIN, J.C.A.
MICHEL ROBERT, J.C.A.
Me Louis-M. Cossette
OGILVY RENAULT
Procureur de l'appelante
Me Hugues Roy
GIROUX ROCH & ROY
Procureur de l'intimée
Date de l'audience: 20 février 1996
1.
Jean-Guy Bergeron, La déclaration du risque et les
assurances-vie de non-fumeur, 1988 R. du B. Vol. 48, 47, aux pages
49, 50.
2.
Robert E. Keeton Insurance Law St-Paul Minn. West
Publishing, 1971, p. 324.
3.
Article 2499 C.c.du B.-C.
4.
Couch Cyclopedia of Insurance Law, cité par l'appelante,
est, comme son titre l'indique, une encyclopédie de la
jurisprudence américaine en matière d'assurance.
Dépendant des époques, des dispositions législatives en
cause, des États et des tribunaux qui les ont prononcées,
on est certain d'y trouver des décisions qui appuient
une proposition et son contraire.