Décision

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R. c. Boulé

2024 QCCQ 5169

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

TERREBONNE

LOCALITÉ DE

SAINT-JEROME

« Chambre criminelle et pénale »

 :

700-01-179500-205

 

DATE :

20 septembre 2024

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

KATHLYN GAUTHIER J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

SA MAJESTÉ LE ROI

Poursuivant

c.

JEAN-YVES BOULÉ

Accusé

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT SUR LA PEINE

______________________________________________________________________

 

APERÇU

[1]                    Jean-Yves Boulé a été déclaré coupable d’avoir conclu trois conventions pour percevoir des intérêts à un taux criminel entre 2017 et 2019 (al.347(1)a) du Code criminel)[1].

[2]                    Il s’agit de contrats notariés qui impliquent trois différents emprunteurs. La valeur des prêts représente des sommes de 15 000$ et de 10 000$. Les taux d’intérêt annuels effectifs varient entre 76% et 118%.

[3]                    M. Boulé a perçu de façon partielle des montants d’intérêt à un taux criminel pour les trois conventions. Ce faisant, il était présumé connaître le caractère criminel des paiements[2].

[4]                    Afin de prouver le contraire, M. Boulé a avancé lors du procès, qu’il croyait que le taux d’intérêt criminel était un taux d’intérêt nominal annuel d’au plus 60 %. Il ignorait ainsi la notion du « taux d’intérêt annuel effectif »[3]. Cette croyance découlait principalement, disait-il, d’avis verbaux reçus de notaires, dont le notaire Simon Chartrand, qui avait instrumenté les trois contrats en cause. Aussi, ses recherches juridiques sur le sujet et ses victoires à la Cour des petites créances contre les emprunteurs, en défaut de paiement, avaient renforcé cette croyance[4].

[5]                    Le Tribunal a rejeté la défense de M. Boulé essentiellement pour trois motifs : (1) l’ignorance de la loi chez une personne qui commet une infraction n’excuse pas la perpétration de l’infraction[5]. (2) L’erreur de droit n’est pas une défense en droit criminel. Par conséquent, un accusé ne peut échapper à sa responsabilité criminelle en invoquant qu’il a agi conformément à un avis juridique qui s’est avéré erroné[6]. (3) Même si ces défenses avaient été possibles, le Tribunal a statué qu’il détenait peu d’informations sur le contenu des avis juridiques reçus afin de conclure qu’ils étaient effectivement erronés. Aussi, le Tribunal n’a pas cru la version de M. Boulé considérant l’ensemble de la preuve et a conclu qu’il avait minimalement fait preuve d’aveuglement volontaire dans son analyse des règles légales applicables[7].

[6]                    Le notaire Chartrand, également accusé pour avoir conclu trois conventions pour percevoir des intérêts à un taux criminel, a quant à lui enregistré des plaidoyers de culpabilité. Les faits exposés à cette occasion ont été les mêmes que ceux exposés lors du procès de M. Boulé. Un débat sur la peine a été tenu et une peine totale de six mois d’emprisonnement à être purgée dans la communauté lui a été imposée[8].

[7]                    Le Tribunal doit maintenant imposer une peine à M. Boulé. Il est âgé de 70 ans, il est sans antécédents judiciaires et les crimes ont été commis il y a plus de cinq ans. Les trois victimes n’ont subi aucune perte.

[8]                    Le poursuivant recommande l'imposition d'une peine d’emprisonnement de trois mois sur chaque chef d’accusation à être purgée de façon consécutive, entrainant ainsi une peine totale de neuf mois d’emprisonnement. Il estime que M. Boulé ne peut purger cette peine au sein de la collectivité.

[9]                    La défense plaide quant à elle, que M. Boulé peut bénéficier d’une absolution inconditionnelle.

[10]               Pour les motifs qui suivent, le Tribunal estime que la peine proportionnée est un emprisonnement total de six mois à être purgé dans la collectivité.

QUESTIONS EN LITIGE

[11]               1 - Quelle est la peine juste, appropriée et proportionnée pour M. Boulé ?

[12]               2 - Quelles sont les conditions d’application de l’emprisonnement dans la collectivité[9] ?

[13]               3 - Quelles sont les conditions d’application de l’absolution ? [10]

ANALYSE

1 - Quelle est la peine juste, appropriée et proportionnée pour M. Boulet ?

a) Les principes et objectifs généraux de détermination de la peine

[14]               L’objectif principal de l’imposition d’une peine est de protéger la société et de contribuer à la prévention du crime, au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre[11].

[15]               Ce but est atteint par l’infliction de sanctions justes qui peuvent viser un ou plusieurs des objectifs suivants : dénonciation, dissuasion générale et spécifique, neutralisation, réinsertion sociale, réparation et responsabilisation[12].

[16]               Indépendamment du poids que le juge souhaite accorder à l’un des objectifs de détermination de la peine, celle-ci doit respecter le principe fondamental de proportionnalité. L’ampleur de la peine infligée à une personne délinquante doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et à la culpabilité morale[13]. 

[17]               La gravité de l’infraction renvoie à la gravité de l’infraction au sens général et elle se reflète dans la sanction potentielle imposée par le Parlement et dans toute caractéristique précise de la perpétration du crime. La gravité de l’infraction doit être mesurée en tenant compte des conséquences des agissements de la personne délinquante sur les victimes et la sécurité publique, ainsi que du préjudice corporel et psychologique découlant de l’infraction. La culpabilité morale ou le degré de responsabilité de la personne délinquante doit être mesuré en évaluant les éléments constitutifs essentiels de l’infraction, notamment sa mens rea, la conduite de la personne délinquante dans la perpétration de l’infraction, le mobile qui a poussé la personne délinquante à commettre l’infraction et les aspects du vécu de cette personne qui renforcent ou diminuent sa responsabilité individuelle à l’égard du crime, y compris sa situation personnelle et sa capacité[14].

[18]               Le principe de l’individualisation de la peine commande également de tenir compte des circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du délinquant[15].

[19]               La proportionnalité de la peine se détermine à la fois sur une base individuelle, c’est-à-dire à l’égard du délinquant lui-même et de l’infraction qu’il a commise, ainsi que sur une base comparative. L’individualisation et l’harmonisation de la peine doivent être conciliées pour qu’il en résulte une peine proportionnelle. La peine doit ainsi être semblable à celles infligées pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables[16].

[20]               Enfin, le Tribunal doit, avant d’envisager la privation de liberté, examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient[17]https://www.canlii.org/fr/qc/qccq/doc/2021/2021qccq12786/2021qccq12786.html?autocompleteStr=Rh%C3%A9aume%202021&autocompletePos=2&resultId=e00dcd771bc14026ac4d4c7dc8d63edd&searchId=2024-07-30T11:34:39:776/d040cb8f673445098904843768388558 - _ftn10 et, il doit examiner toutes les sanctions substitutives qui sont raisonnables dans les circonstances et qui tiennent compte du tort causé aux victimes ou à la collectivité[18].

b) La situation de M. Boulé[19]

[21]               M. Boulé débute une carrière de prêteur d’argent en 2010. Pour ce faire, il utilise l’argent obtenu à la suite des ventes de ses maisons à revenus, représentant la somme d’un million de dollars.

[22]               Il se fait connaitre par le bouche-à-oreille. Il officialise les ententes de prêts devant notaire en s’assurant qu’il y a des endosseurs. Pour la suite, les clients reçoivent régulièrement des états de comptes. S’ils sont en défaut de paiement, M. Boulé communique avec les endosseurs afin « qu’ils mettent de la pression » aux emprunteurs[20].

[23]               Si les clients persistent à ne pas payer, ils sont éventuellement poursuivis devant la Cour des petites créances. Afin de bénéficier de la juridiction de cette Cour, il réduit ses créances à 15 000$.

[24]               L’enquête sur M. Boulé débute en 2019 alors qu’un de ses clients communique avec les policiers concernant des menaces qu’il aurait reçues en lien avec son prêt. Ses véhicules automobiles avaient aussi été incendiés. Le client suspectait M. Boulé.

[25]               En 2020, une perquisition a lieu à la résidence de M. Boulé. Une soixantaine de contrats de prêts sont saisis. Un peu plus de la moitié des contrats émanent du notaire Chartrand et ils sont les seuls comportant des pénalités en cas de retard de paiement. Les autres contrats sont instrumentés par huit différents notaires, et ce, à la demande de certains clients. Seulement trois contrats sont donc présentés devant le Tribunal comme étant illégaux.

[26]               M. Boulé cesse toutes ses activités de prêts d’argent à la suite de cette perquisition. Il renonce par le fait même à recouvrir le solde du capital prêté aux trois victimes. Il subit ainsi une perte.

[27]               Ses revenus à l’heure actuelle proviennent de ses rentes et de sa pension et correspondent à 24 000$ /année. La preuve est silencieuse quant au reste de sa situation financière.

[28]               M. Boulé affirme que les conséquences sur lui d’une condamnation seront financières, à savoir une augmentation de ses primes d’assurances habitation et automobile.

c) La gravité objective de l’infraction de prêt usuraire

[29]               La peine pour l’infraction de prêt usuraire, prise par acte criminel comme en l’espèce, est passible d’un emprisonnement maximal de 5 ans[21].

d) La gravité subjective de l’infraction de prêt usuraire[22]  

[30]               Le seul facteur atténuant que le Tribunal retient est l’absence d’antécédents judiciaires.

[31]               Le Tribunal retient les facteurs aggravants suivants : M. Boulé contrôle et opère les activités de prêts d’argent. La période infractionnelle est de deux ans et trois personnes vulnérables financièrement en sont victimes[23]. La planification et l’organisation en utilisant les services d’un notaire dans la rédaction des contrats pouvant donner ainsi confiance aux victimes.

[32]               Les autres considérations que le Tribunal retient sont : Bien que chaque montant d’argent prêté est sûrement non négligeable pour les victimes, elles n’ont subi aucune perte. Par conséquent, s’il est vrai que la motivation de M. Boulé était l’appât du gain, il n’en a tiré aucun bénéfice. Il est âgé de 70 ans et a cessé ses activités de prêts d’argent dès la perquisition à sa résidence.

e) Lharmonisation des peines

[33]               Il y a peu de précédents en matière de peine pour prêts d’argent à des taux criminels. Deux méritent d’être examinés.

[34]               Tout d’abord, le Tribunal considère la peine infligée au notaire Chartrand, avec prudence toutefois. En effet, M. Chartrand a bénéficié du facteur atténuant qu’est le plaidoyer de culpabilité et la juge de détermination de la peine a priorisé les objectifs de dénonciation et de dissuasion considérant son statut d’officier de justice.

[35]               Le Tribunal considère également la décision Théodore de la Cour d’appel[24]. Dans cette affaire, la Cour ajoute à l’amende de 30 000$ imposée par le premier juge, une peine d’emprisonnement de six mois à être purgée dans la collectivité pour un homme âgé de 71 ans, sans antécédents judiciaires et qui a plaidé coupable à la première opportunité à un chef d’accusation de prêt usuraire. En imposant cette peine, la Cour a également tenu compte de l’ensemble des montants confisqués et saisis représentant 650 000$[25].

[36]               Il importe de souligner que la culpabilité morale de M. Théodore était supérieure à celle de M. Boulé. En effet, l’infraction était constituée de gestes répétés pendant plus de 20 ans et d’une opération constante, organisée et lucrative. M. Théodore contrôlait et opérait ce commerce de prêts usuraires avec l’aide de différents complices. Au moment des arrestations, le groupe avait plus de 100 prêts actifs et environ 1 000 000$ en circulation. Les taux transposés sur une base annuelle dépassaient la somme de 1000% d’intérêts. Les activités s’effectuaient dans un climat de violence. Quant au modus operandi, les clients se rendaient à son commerce afin de contracter un prêt ou des membres du groupe opéraient à partir du Casino de Montréal et faisaient des prêts à de gros joueurs qui après avoir essuyé des pertes, désiraient quelques milliers de dollars pour tenter la chance. L’argent ainsi prêté se trouvait dans des coffrets de sécurité sur place[26].

[37]               Face à ces sombres circonstances, la Cour d’appel a estimé que les infractions commises par M. Théodore se situaient dans la gamme supérieure des crimes de cette catégorie (prêts usuraires)[27].

f) La responsabilité morale de M. Boulé et la peine proportionnée

[38]               En appliquant les enseignements de l’arrêt Théodore, force est de constater que les infractions commises par M. Bou ne se situent pas dans la gamme supérieure des crimes de cette catégorie.

[39]               Aussi, en appliquant les enseignements de la Cour d’appel quant aux critères à considérer face aux crimes impliquant la spoliation, le Tribunal estime que la nature des prêts usuraires en l’espèce est certes grave, que la période infractionnelle est relativement longue et répétée, mais son étendue n’a rien d’un facteur aggravant ; les infractions n’ayant entrainé aucune perte dans leurs suites.

[40]               En résumé, M. Boulé a cessé ses activités de prêts d’argent à la suite de la perquisition, il est âgé, il n’a pas de casier judiciaire et selon la preuve présentée, il n’a tiré aucun bénéfice personnel. La preuve démontre toutefois une planification importante par ses recherches juridiques et en instrumentant les contrats auprès d’un notaire. Aussi, M. Boulé ne bénéficie pas du facteur atténuant qu’est le plaidoyer de culpabilité[28].

[41]               Par conséquent, devant l’ensemble de ces circonstances et l’harmonisation des peines, le Tribunal estime qu’une peine de six mois d’emprisonnement est une peine juste, appropriée et proportionnée.

[42]               Puisqu’une peine d’emprisonnement s’impose, le Tribunal doit considérer l’emprisonnement dans la collectivité[29]. En effet, le Tribunal doit considérer le principe de modération avant d’envisager la privation de liberté, et ce, particulièrement lorsqu’il a devant lui un délinquant primaire[30].

[43]               Face à un crime sérieux qui présente néanmoins des éléments qui le placent plutôt au bas de l’échelle de gravité de sa catégorie, tout peut se discuter et devrait l’être[31].

2 – Quelles sont les conditions d’application de l’emprisonnement dans la collectivité[32] ?

[44]               La Cour suprême enseigne que la peine d’emprisonnement avec sursis constitue une solution de rechange à l’incarcération de certains délinquants non dangereux. Au lieu d’être incarcérés, les délinquants purgent leur peine sous stricte surveillance au sein de la collectivité. Leur liberté est restreinte par les conditions dont est assortie leur ordonnance de sursis à l’emprisonnement. Le délinquant qui manque à ces conditions est ramené devant le tribunal. Si le délinquant ne peut apporter d’excuse raisonnable pour justifier le manquement aux conditions de son ordonnance, le Tribunal peut ordonner son incarcération pour le reste de la peine. Ainsi, la peine d’emprisonnement avec sursis est une sanction punitive propre à permettre la réalisation des objectifs de dénonciation et de dissuasion[33].

[45]               Aussi, l’emprisonnement avec sursis permet généralement de réaliser plus efficacement que l’incarcération les objectifs de justice corrective que sont la réinsertion sociale du délinquant, la réparation des torts causés aux victimes et à la collectivité et la prise de conscience par le délinquant de ses responsabilités[34].

[46]           Le sursis à l’emprisonnement peut être octroyé même dans les cas où il y a des circonstances aggravantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du délinquant. Il va de soi que la présence de circonstances aggravantes augmentera le besoin de dénonciation et de dissuasion. Toutefois, il serait erroné d’écarter d’emblée la possibilité de l’octroi du sursis à l’emprisonnement pour cette seule raison. Il faut apprécier chaque cas individuellement[35].

[47]               Ainsi, le Tribunal estime que les objectifs de dénonciation et de dissuasion qui doivent primer dans cette affaire considérant la gravité des gestes, leurs répétitions, la planification, l’utilisation d’un officier de justice, l’exploitation de personnes financièrement vulnérables, justifiant donc le prononcé d’une peine d’emprisonnement, peuvent être atteints par une peine d’emprisonnement dans la collectivité, vu l’absence d’antécédents judiciaires, l’âge et l’arrêt d’agir dès l’intervention policière, c’est-à-dire depuis près de cinq ans.

[48]               Le Tribunal estime ainsi que le risque de récidive est faible. Le Tribunal ne peut voir l’intérêt de la société à ce que, dans les circonstances propres à l’affaire, M. Boulé soit envoyé en milieu carcéral pour y purger sa peine. En l’espèce, une peine d’emprisonnement dans la collectivité rencontre les objectifs essentiels et les principes énoncés au Code criminel[36] et elle ne peut mettre en danger la sécurité de la collectivité. C’est en ce sens que cette peine pourra permettre de maintenir la confiance du public envers l’administration de la justice.

3- Quelles sont les conditions d’application de l’absolution ? [37]

[49]               Pour bénéficier d’une absolution, trois conditions doivent être réunies : (1) L’accusé est coupable d’une infraction qui n’est pas passible d’une peine minimale ni d’une peine de 14 ans ou plus d’emprisonnement (ce qui est le cas en l’espèce) ; (2) L’absolution est dans l’intérêt véritable de l’accusé ; (3) L’absolution ne nuit pas à l’intérêt public.

[50]               Les auteurs Vauclair, Desjardins et Lachance[38] enseignent que le meilleur intérêt de l'accusé présuppose que ce dernier est une personne de bon caractère, qui n'a généralement pas d'antécédents judiciaires et qui ne présente pas de problème en matière de dissuasion spécifique et de réhabilitation, et pour qui l’enregistrement d’une condamnation aurait des conséquences particulièrement négatives.

[51]               Quant à l’intérêt public, il s'évalue, entre autres, par la gravité de la conduite et son incidence dans la collectivité, par le besoin de dissuasion générale et, enfin, par l'importance de maintenir la confiance du public dans l'administration de la justice. Le juge doit aussi tenir compte du fait qu'il n'est pas dans l'intérêt public que l'accusé perde son emploi et ne puisse assurer sa subsistance et celle de sa famille.

[52]               En fait, le Tribunal doit analyser l’impact d’une condamnation en fonction de toutes les circonstances. La règle d’or en la matière est qu’un justiciable ne doit pas, dans les faits, subir un châtiment qui n’a aucune mesure avec sa faute, lorsque le justiciable n’a pas de casier judiciaire et que l’acte criminel n’a pas été prémédité et que cet acte criminel, quoiqu’évidemment répréhensible, n’a pas une gravité importante.

[53]               Généralement, une telle ordonnance est prononcée lorsque les circonstances de l'infraction présentent peu de gravité alors que les conséquences d'une condamnation pourraient s'avérer très sérieuses ; Il n'y a toutefois pas lieu d'interpréter la disposition de manière restrictive ou exceptionnelle, le seul test étant l'équilibre entre les intérêts de la société et ceux de l'accusé. Il y a notamment déséquilibre entre ces intérêts lorsque la loi prévoit qu'en cas de condamnation criminelle, un individu devient inhabile à exercer un métier ou une profession.

[54]               Dans le présent cas, la défense demande au Tribunal de conclure que M. Boulé a l’intérêt véritable à bénéficier de l’absolution vu l’augmentation à prévoir sur ses primes d’assurances, mais aussi considérant son âge et un passé sans tâche et particulièrement le fait qu’il ait tenté, bien que de façon insuffisante, d’opérer légalement, mais que l’infraction en cause était très difficile à comprendre.

[55]               Le Tribunal ne peut retenir cet argument. Une condamnation n’aura pas de conséquences particulièrement négatives qui pourraient s’avérer très sérieuses pour M. Boulé. Au surplus, le Tribunal a statué qu’il détenait peu d’informations pour conclure que le notaire Chartrand lui avait effectivement confirmé qu’il agissait légalement[39]. Le Tribunal a également conclu que M. Boulé savait qu’il agissait illégalement, et ce, minimalement par aveuglement volontaire[40].

[56]               Par conséquent, le Tribunal estime que la condition de l’intérêt véritable n’est pas remplie. Vu cette conclusion, il est inutile de se prononcer sur la condition de l’intérêt public.

[57]               Cela étant dit, le Tribunal estime que l’absolution n’est pas une peine appropriée à la présente situation.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[58]               IMPOSE une peine de deux mois d’emprisonnement consécutifs sur les chefs 1, 6 et 14 à être purgée dans la collectivité, aux conditions obligatoires et spécifiques qui seront énoncées à la Cour, dont[41] :

      Interdiction de communiquer et d’entrer en contact, par quelque moyen, avec Simon Wilson-Proulx, Mikael Gosselin, Jonathan Darveau, Bruno Hétu, David Morin, Sylvio Ledoux et Jonathan-Nicolas Bouchard ;

[59]               IMPOSE une ordonnance de probation pour une durée dune année, à compter de la fin de l’emprisonnement avec sursis, aux conditions obligatoires et spécifiques qui seront énoncées à la Cour, dont :

      Interdiction de communiquer et d’entrer en contact, par quelque moyen, avec Simon Wilson-Proulx, Mikael Gosselin, Jonathan Darveau, Bruno Hétu, David Morin, Sylvio Ledoux et Jonathan-Nicolas Bouchard ;

 

 

__________________________________

KATHLYN GAUTHIER J.C.Q.

 

Me Gabriel Sénécal

Procureur du poursuivant

 

Me Alexandra Longueville

Procureure de l’accusé

 

Date d’audience :

24 mai 2024

 


[1]. Le procès s’est tenu le 1er décembre 2023. Le jugement de culpabilité sur les trois chefs d’accusation a été déposé le 12 mars 2024.

 

[2]. Par. 347(3) du C.cr.

[3]. Par. 347 (2) C.cr. : Définition « Taux criminel » : Tout taux d’intérêt annuel effectif, appliqué au capital prêté et calculé conformément aux règles et pratiques actuarielles généralement admises, qui dépasse soixante pour cent. « Intérêt » : L’ensemble des frais de tous genres, y compris les agios, commissions, pénalités et indemnités, qui sont payés ou payables à qui que ce soit par l’emprunteur ou pour son compte, en contrepartie du capital prêté ou à prêter.

[4]. À titre informatif, les taux d’intérêt nominaux annuels prévus aux contrats variaient entre 36 et 48%, (sans les pénalités en cas de retard). Dans les faits cependant, les taux d’intérêt correspondaient à des taux annuels effectifs variant entre 42.57% et 60.10% (sans les pénalités en cas de retard également).

[5]. Art. 19 C.cr. et par 36 du jugement de culpabilité du 12 mars 2024.

[6]. Jugement de culpabilité du 12 mars 2024, par 37-39.

[7]. Jugement de culpabilité du 12 mars 2024, par. 40-48.

[8]. Simon Chartrand a plaidé coupable le 8 mars 2021 dans le dossier 700-01-179501-203 devant la juge Sophie Lavergne. La peine de six mois à être purgée dans la collectivité a été prononcée le 5 mai 2021 et consiste en deux mois d’emprisonnement consécutifs par chef d’accusation. Une probation d’une année lui a également été imposée.

  [9]. Art. 742 C.cr. et ss.

[10]. Art. 730 C.cr.

[11]. Art. 718 du C.cr.

[12]. Art. 718 C.cr.

[13]. Art. 718.1 du C.cr.; R. c. Hills, 2023 CSC 2, par. 56-57

[14]. R. c. Hills, 2023 CSC 2, par. 58.

[15]. Art. 718.2 a) C.cr.

[16]. Art. 718.2 b) C.cr. ; R. c. Friesen, 2020 CSC 9, par.31-33.

[17]. Art. 718.2 d) C.cr.

[18]. Art. 718.2e) C.cr.

[19]. Ces renseignements ressortent des témoignages de M. Boulé au procès (1er décembre 2023) et lors des observations sur la peine (24 mai 2024)

[20]. Notes sténographiques du procès de M. Boulé le 1er décembre 2023, p.160, lignes 5-10.

[21]. Art.347(1)a) C.cr. À titre indicatif, si M. Boulé avait été poursuivi sur déclaration sommaire de culpabilité, il aurait été passible d’une amende maximale de 25 000$ et d’un emprisonnement maximal de deux ans moins un jour (al. 347 (1) b) C.cr.).

[22]. Le Tribunal s’inspire de la liste non exhaustive de critères à examiner pour les infractions impliquant la spoliation, rappelée par la Cour d’appel dans l’arrêt Harbour, 2017 QCCA 204, par 50 : (1) la nature et l'étendue de la fraude (notamment l'ampleur de la spoliation ainsi que la perte pécuniaire réelle subie par la victime) ; (2) le degré de préméditation (notamment, dans la planification et la mise en œuvre d'un système frauduleux) ; (3) le comportement du contrevenant après la commission de l'infraction (remboursement des sommes appropriées par la fraude, la collaboration à l'enquête ainsi que l'aveu) ; (4) les condamnations antérieures du contrevenant (proximité temporelle avec l'infraction reprochée et gravité des infractions antérieures ; (5) les bénéfices personnels retirés par le contrevenant ; (6) le caractère d'autorité et le lien de confiance présidant aux relations du contrevenant avec la victime ; (7) la motivation sous-jacente à la commission de l'infraction (cupidité, désordre physique ou psychologique, détresse financière, etc.) ; (8) la fraude résultant de l'appropriation des deniers publics réservés à l'assistance des personnes en difficulté.

[23]. M. Boulé explique lors de son témoignage au procès que ses clients se trouvent entre les institutions financières et le « Shylock ». Notes sténographiques du procès du 1er décembre 2023, p. 156, lignes 17-25.

[24]. R. c. Théodore, 2005 QCCA 795

[25]. Un seul chef d’accusation était en cause soit d’avoir entre le 1er janvier 1984 et le 18 juin 2003 illégalement perçu de diverses personnes des intérêts à un taux criminel en vertu de l’ancien art. 347 (1) C.cr. La Cour s’est dite convaincue que le fait de purger la peine au sein de la collectivité ne mettait pas en danger la sécurité de celle-ci et était conforme aux objectifs et aux principes visés au Code criminel ; R. c. Théodore, 2005 QCCA 795, par 6-7 ; R. c. Théodore, 2005 CanLii 3417 (QC CQ), par.1.

[26]. R. c. Théodore, 2005 QCCA, 795, par. 1 et 3 ; R. c. Théodore, 2005 CanLii 3417 (QC CQ), par.4-13,19.

[27]. R. c. Théodore, 2005 QCCA 795, par. 3 ; La Cour d’appel est intervenue estimant que le premier juge n’avait pas tenu compte de la gravité du crime et des facteurs pertinents tels que l’accusé était à la tête d’une entreprise qu’il contrôlait et dont les activités se faisaient dans un climat de violence.

[28]. Il ne s’agit évidemment pas de reprocher à M. Boulé d’avoir exercé son droit à la tenue d’un procès. Le Tribunal note seulement qu’il ne peut lui accorder le bénéfice de ce facteur atténuant.

[29]. Le défaut de considérer l’emprisonnement dans la collectivité au moment du prononcé de la peine pourra justifier l’intervention d’une Cour d’appel : Lajoie c. R., 2023 QCCA 1595, par. 61 ; R. c. Proulx, 2000 CSC 5, par. 90-95.

[30]. Art. 718.2d) C.cr., art. 718.2e) C.cr.

[31]. Harbour c. R., 2017 QCCA 204, par. 38.

[32]. Art. 742.1 C.cr. : Le Tribunal peut ordonner à toute personne qui a été déclarée coupable d’une infraction de purger sa peine dans la collectivité afin que sa conduite puisse être surveillée — sous réserve des conditions qui lui sont imposées en application de l’article 742.3 —, si elle a été condamnée à un emprisonnement de moins de deux ans et si les conditions suivantes sont réunies : a) le tribunal est convaincu que la mesure ne met pas en danger la sécurité de la collectivité et est conforme à l’objectif essentiel et aux principes énoncés aux articles 718 à 718.2 ; b) aucune peine minimale d’emprisonnement n’est prévue pour l’infraction ; c) il ne s’agit pas d’une infraction prévue à l’une ou l’autre des dispositions suivantes : (i) l’article 239 (tentative de meurtre), pour laquelle une peine au titre de l’alinéa 239(1)b) est infligée (ii) l’article 269.1 (torture) (iii) l’article 318 (encouragement au génocide) ; d) il ne s’agit pas d’une infraction de terrorisme ni d’une infraction d’organisation criminelle poursuivies par mise en accusation et passibles d’une peine maximale d’emprisonnement de dix ans ou plus.

[33]. R. c. Proulx, 2000 CSC 5, par. 21-22.

[34]. R. c. Proulx, 2000 CSC 5, par. 22.

[35]. R. c. Proulx, 2000 CSC 5, par. 115.

[36]. Art. 718 à 718.2 C.cr.

[37]. Art. 730 C.cr.

[38]. Desjardins, Tristan, Lachance, Pauline et Vauclair, Martin, Traité Général de Preuve et de Procédure Pénales, 31e éd. Montréal, Éditions Yvon Blais, 2024, 1818 pages, par. 48.3 – 48.7.

[39]. Jugement de culpabilité du 12 mars 2024, par. 40.

[40]. Jugement de culpabilité du 12 mars 2024, par.41-43.

[41]. Par. 742.3(1) C.cr.

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