Droit de la famille — 162999

2016 QCCA 1997

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

N° :

200-09-009322-162

(200-04-022999-146)

 

DATE :

9 décembre 2016

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

FRANCE THIBAULT, J.C.A.

BENOÎT MORIN, J.C.A.

JULIE DUTIL, J.C.A.

 

 

D... R...

APPELANT - Défendeur

c.

 

J... L...

INTIMÉE - Demanderesse

et

PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC

MISE EN CAUSE - Mise en cause

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 31 mai 2016 par la Cour supérieure, district de Québec (l’honorable Johanne April), qui a confié aux parties une garde partagée de leurs trois enfants, attribué un revenu de 25 000 $ par année à l’appelant aux fins du calcul de la pension alimentaire pour enfants, fixé à 112,40 $ par mois la pension alimentaire payable par l’intimée à l’appelant en fonction des revenus des parties et dispensé l’intimée du paiement de cette pension, en considération des difficultés résultant des obligations alimentaires de cette dernière à l’égard d’un enfant non visé par la demande;

[2]           Pour les motifs de la juge Thibault, auxquels souscrivent les juges Morin et Dutil;

LA COUR :

[3]           REJETTE l’appel, sans les frais de justice, vu la nature du litige.

 

 

 

 

FRANCE THIBAULT, J.C.A.

 

 

 

 

 

BENOÎT MORIN, J.C.A.

 

 

 

 

 

JULIE DUTIL, J.C.A.

 

Me Anne-Marie Claveau

Gosselin, Daigle, Ouellette et associés

Pour l'appelant

 

Me Mokhtar Sallami

Héroux & Associés

Pour l'intimée

 

Me Stéphanie Quirion-Cantin

Lavoie, Rousseau

Pour la mise en cause

 

Date d’audience :

9 novembre 2016



 

 

MOTIFS DE LA JUGE THIBAULT

 

 

[4]           L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 31 mai 2016 par la Cour supérieure, district de Québec (l’honorable Johanne April), qui a confié aux parties la garde partagée de leurs trois enfants, attribué un revenu de 25 000 $ par année à l’appelant aux fins du calcul de la pension alimentaire pour enfants, fixé à 112,40 $ par mois la pension alimentaire payable par l’intimée à l’appelant en fonction des revenus des parties et dispensé l’intimée du paiement de cette pension, en considération des difficultés résultant des obligations alimentaires de cette dernière à l’égard d’un enfant non visé par la demande[1].

1- Les faits

[5]           Les parties n’ont pas produit les dépositions. En conséquence, les faits relatés ci-après sont puisés dans le jugement de première instance.

[6]           Les parties ont vécu en union de fait pendant treize ans. Elles se sont séparées au début du mois d’août 2013. Trois enfants sont nés de cette union : X, le [...] 2003, Y, le [...] 2010 et Z, le [...] 2012. L’intimée est la mère de A, né le [...] 2000 d’une union antérieure.

[7]           À la suite d’événements survenus le 25 décembre 2013, l’appelant est arrêté. Il est accusé de voies de fait et d’agression sexuelle à l’endroit de l’intimée. Il a plaidé coupable et il a été incarcéré pendant trois mois. Au cours de cette période, il n’a reçu aucun revenu. Depuis sa sortie de prison, il est sans emploi. Il est bénéficiaire d’aide de dernier recours[2]. Il loge gratuitement chez le père de l’intimée[3].

[8]           L’intimée a dû quitter son emploi d’adjointe administrative dans une commission scolaire à la suite des événements du 25 décembre 2013 et elle ne peut y retourner pour des raisons d’ordre médical. Elle reçoit 29 000 $ par année en vertu du programme d’indemnisation des victimes d’actes criminels. Elle a commencé un baccalauréat à l’Université A à la session d’hiver 2015[4].

[9]           Le 24 février 2014, l’intimée dépose une requête pour garde d’enfants, fixation de pension alimentaire et ordonnance de sauvegarde. Le 22 février 2016, elle modifie sa requête pour demander : a) que la garde exclusive de A soit considérée comme une difficulté au sens de l’article 587.2 C.c.Q.et b) que le tribunal attribue un revenu à l’appelant.

[10]        En raison du dépôt de requêtes en protection[5], la question de la garde des enfants des parties a été traitée par la Cour du Québec, chambre de la jeunesse. Le 2 mars 2015, cette dernière confie aux parties la garde partagée de Y et de Z alors que la garde de X est confiée à l’intimée, tout en prévoyant des contacts progressifs avec l’appelant[6]. Le 30 novembre 2015, la Cour du Québec, chambre de la jeunesse, révise la situation de X et confie sa garde aux parties[7]. Le 16 mai 2016, un jugement de la Cour du Québec prolonge cette ordonnance[8]. La garde des trois enfants est confiée aux parties depuis ce moment[9].

[11]        Le 17 septembre 2015, l’appelant dépose une requête pour garde d’enfants et fixation de pension alimentaire. Il demande que l’intimée lui verse une pension alimentaire pour les enfants.

2- Le jugement de première instance

[12]        D’abord, la juge de première instance impute un revenu annuel de 25 000 $ à l’appelant en vertu de l’article 446 C.p.c., même si ce dernier ne travaille pas parce qu’elle est d’avis que sa situation s’apparente à celle d’un parent qui se soustrait volontairement du marché du travail. D’une part, elle fait état du fait de la condamnation de l’appelant, une situation qui lui a fait perdre son emploi et dont il est responsable. D’autre part, elle réfère au choix arrêté de l’appelant de ne pas travailler dans un emploi moins rémunérateur que celui qu’il détenait avant la séparation des parties.

[13]        La juge de première instance rejette l’argument de l’appelant suivant lequel l’imputation d’un revenu en vertu de l’article 446 C.p.c. s’applique uniquement dans le cas où le parent est un débiteur alimentaire. Selon elle, cette disposition confère au juge le pouvoir discrétionnaire de fixer le revenu des parents, une étape essentielle à la détermination de leur contribution alimentaire.

[14]        Ensuite, la juge retient que, aux fins de fixation de la pension alimentaire, l’intimée touche un revenu net de 29 000 $ (elle indique 34 243 $ sur le Formulaire de fixation de pensions alimentaires pour enfants pour tenir compte de l’impact fiscal). Selon la juge, l’article 9 du Règlement sur la fixation des pensions alimentaires pour enfants[10] est large et permet de tenir compte d’une indemnité du type de celle que reçoit l’intimée.

[15]        Enfin, sur la foi des revenus retenus pour chaque partie, la juge fixe la pension alimentaire payable par l’intimée à l’appelant à 112,40 $ par mois, en fonction des résultats obtenus au Formulaire de fixation des pensions alimentaires pour enfants. Elle dispense cependant cette dernière du paiement de la pension alimentaire après considération de deux éléments : a) la conduite de l’appelant, qui n’a contribué d’aucune façon aux besoins des enfants depuis la séparation, même s’il a touché la moitié des prestations fiscales et de l’aide gouvernementale accordée aux parents et b) les difficultés financières éprouvées par l’intimée qui assume seule les besoins d’un enfant issu d’une autre union.

3- Les questions en litige

[16]        Dans son mémoire d’appel, l’appelant pose les deux questions suivantes :

-        La juge de première instance a-t-elle commis une erreur de droit en attribuant un revenu à l’appelant?

-        A-t-elle commis une erreur en dispensant l’intimée du paiement de la pension alimentaire pour enfants pour cause de difficultés?

4- L’analyse

4.1 L’imputation d’un revenu à l’appelant

 

[17]        L’appelant plaide que la décision de la juge de lui imputer un revenu alors qu’il n’en a pas entraîne une diminution de la pension alimentaire pour les enfants. Si la juge ne lui avait pas attribué un revenu de 25 000 $ par année, la pension payable par l’intimée aurait été de 350 $ par mois au lieu de 112,40 $.

[18]        Cette conclusion s’écarterait des principes directeurs dictés par la législation, notamment le principe suivant lequel les décisions concernant les enfants sont prises dans leur intérêt et le respect de leurs droits (art. 33 C.c.Q.) et aurait comme effet de créer un déséquilibre entre les milieux de vie des enfants chez chacun de leurs parents.

[19]        Selon l’appelant, la juge fait une analyse erronée de la jurisprudence applicable. Les jugements qu’elle cite imputent un revenu au débiteur alimentaire et ont pour effet d’augmenter le montant de la pension dans une situation de garde exclusive. L’appelant insiste sur le fait que son dossier est différent puisqu’il est créancier alimentaire et que la décision de la juge a comme effet de diminuer la pension alimentaire.

[20]        Dans son exposé, la mise en cause souscrit aux arguments de l’appelant. Elle est d’avis que l’article 446 C.p.c. permet à un juge d’imputer un revenu à un parent dans les seuls cas où la preuve révèle que la situation financière dénoncée par ce dernier ne reflète pas sa situation réelle.

[21]        Elle soutient que l’imputation d’un revenu à un parent sert à augmenter le revenu du débiteur alimentaire et à bonifier la pension alimentaire pour les enfants. Puisque l’appelant est sans emploi, un tel exercice pénalise indûment les enfants qui sont les bénéficiaires de l’obligation alimentaire.

[22]        La mise en cause conclut que la juge de première instance a commis une erreur de droit. En attribuant à l’appelant un revenu qu’il ne touche pas, elle a créé une situation artificielle sans lien avec sa capacité financière et les besoins des enfants.

[23]        L’affirmation de la mise en cause dans son mémoire - selon laquelle le tribunal peut imputer un revenu à un parent seulement si les renseignements dévoilés ne reflètent pas sa situation financière réelle - est inexacte[11]. Une telle imputation est aussi permise lorsqu’un parent prend une décision qui a des conséquences sur sa capacité de gains.

[24]        L’article 446 C.p.c. prévoit :

446. Lorsque l’information contenue dans les documents prescrits est incomplète ou contestée, ou dans tous les cas où il l’estime nécessaire, le tribunal peut y suppléer et, notamment, établir le revenu d’un parent. Il tient alors compte, entre autres, de la valeur des actifs de ce parent et des revenus qu’ils produisent ou qu’ils pourraient produire, selon ce qu’il estime approprié.

 

446. If the particulars in a prescribed document are incomplete or contested, or in any circumstances it considers it necessary, the court may supplement the information. The court may determine a parent’s income by considering, among other things, the value of the parent’s assets and the income they generate or could generate, as it considers appropriate.

 

 

[Soulignement ajouté]

 

[25]        L’article 446 C.p.c. accorde au tribunal le pouvoir d’imputer un revenu à un parent aux fins du calcul de la pension alimentaire. Ce pouvoir est généralement utilisé dans deux circonstances. La première vise les cas où les informations données sur le revenu d’un parent sont incomplètes ou erronées. La deuxième concerne les situations où, même si les informations sont exactes, le revenu du parent est inférieur à ce qu’il devrait être en fonction de sa capacité de travail[12]. Cela vise les cas où un parent adopte une démarche professionnelle insouciante ou imprégnée de mauvaise foi, susceptible de conséquences fâcheuses sur son obligation alimentaire. La jurisprudence répertorie diverses situations : l’abandon d’un emploi[13], la diminution volontaire du revenu[14], le refus de maximiser ses gains[15], la prise volontaire de la retraite[16] et la réorientation de la carrière[17]. Chaque situation est évaluée à son mérite pour vérifier si, au regard de toutes les circonstances, la décision du parent est raisonnable[18].

[26]        Dans le présent cas, la juge de première instance a conclu que le choix de l’appelant de ne pas travailler à un revenu moindre que celui qu’il recevait de son emploi antérieur n’est pas raisonnable. Au chapitre des principes, je rappelle le pouvoir d’intervention d’une cour d’appel en pareille matière. Elle doit faire preuve de retenue à l’égard des décisions rendues en matière d'aliments. Le juge du procès est le mieux placé pour exercer le pouvoir discrétionnaire qu’implique cette détermination, comme l’indique la Cour suprême dans Hickey c. Hickey[19] et dans Van de Perre c. Edwards[20]. Ces principes s’appliquent aussi lorsque le tribunal impute un revenu présumé à un parent[21].

[27]        À mon avis, la décision de la juge est bien fondée. Le choix délibéré de l’appelant de refuser de travailler, pour les raisons qu’il énonce, n’est pas raisonnable. Il n’y a rien à ajouter aux motifs donnés par la juge, sinon pour renchérir sur le fait qu’un parent ne peut pas se soustraire à ses obligations alimentaires envers ses enfants de façon aussi capricieuse et non responsable que celle affichée par l’appelant.

[28]        J’aborde maintenant l’argument soutenu de concert par l’appelant et la mise en cause voulant que l’imputation de revenu prévue à l’article 446 C.p.c. ne s’applique qu’à un débiteur alimentaire. Leur affirmation repose uniquement sur l’effet de l’imputation de revenu dans la situation où un parent est créancier alimentaire comme c’est le cas ici. En imputant à l’appelant un revenu qui correspond à sa capacité de gain, la juge a diminué la pension alimentaire payable par l’intimée.

[29]        À mon avis et avec égards pour l’opinion contraire, l’argument de l’appelant et de la mise en cause, en plus de cautionner le comportement irresponsable d’un parent qui se défile face à ses obligations alimentaires, ne respecte pas les termes de l’article 446 C.p.c. qui permet au juge d’imputer un revenu à un parent et non pas au débiteur alimentaire. De plus, l’argument témoigne d’une certaine méconnaissance des règles de base prescrites par le législateur pour la fixation de l’obligation alimentaire des parents.

[30]        En ce qui concerne l’obligation alimentaire des parents à l’égard de leurs enfants, l’article 587.1 C.c.Q. prescrit que « la contribution alimentaire parentale de base » est établie conformément aux règles de fixation des pensions alimentaires pour enfants édictées en vertu du Code de procédure civile :

587.1. En ce qui concerne l’obligation alimentaire des parents à l’égard de leur enfant, la contribution alimentaire parentale de base, établie conformément aux règles de fixation des pensions alimentaires pour enfants édictées en application du Code de procédure civile, est présumée correspondre aux besoins de l’enfant et aux facultés des parents.

 

Cette contribution alimentaire peut être augmentée pour tenir compte de certains frais relatifs à l’enfant prévus par ces règles, dans la mesure où ceux-ci sont raisonnables eu égard aux besoins et facultés de chacun.

 

587.1. As regards the support owed to a child by his parents, the basic parental contribution, as determined pursuant to the rules for the determination of child support payments adopted under the Code of Civil Procedure, is presumed to meet the needs of the child and to be in proportion to the means of the parents.

 

 

The basic parental contribution may be increased having regard to certain expenses relating to the child which are specified in the rules, to the extent that such expenses are reasonable considering the needs and means of the parents and child.

 

[Soulignement ajouté]

 

[31]        L’article 587.2 C.c.Q. ajoute que les aliments exigibles d’un parent pour son enfant sont équivalents à « sa part » de la contribution alimentaire parentale de base, qui peut être augmentée ou réduite en fonction de certaines circonstances énoncées à cette disposition :

587.2. Les aliments exigibles d’un parent pour son enfant sont équivalents à sa part de la contribution alimentaire parentale de base, augmentée, le cas échéant, pour tenir compte des frais relatifs à l’enfant.

 

La valeur de ces aliments peut toutefois être augmentée ou réduite par le tribunal si la valeur des actifs d’un parent ou l’importance des ressources dont dispose l’enfant le justifie ou encore en considération, le cas échéant, des obligations alimentaires qu’a l’un ou l’autre des parents à l’égard d’enfants qui ne sont pas visés par la demande, si le tribunal estime que ces obligations entraînent pour eux des difficultés.

 

Le tribunal peut également augmenter ou réduire la valeur de ces aliments s’il estime que son maintien entraînerait, pour l’un ou l’autre des parents, des difficultés excessives dans les circonstances; ces difficultés peuvent résulter, entre autres, de frais liés à l’exercice de droits de visite à l’égard de l’enfant, d’obligations alimentaires assumées à l’endroit d’autres personnes que des enfants ou, encore, de dettes raisonnablement contractées pour des besoins familiaux.

 

587.2. The support to be provided by a parent for his child is equal to that parent’s share of the basic parental contribution, increased, where applicable, having regard to specified expenses relating to the child.

 

 

The court may, however, increase or reduce the level of support where warranted by the value of either parent’s assets or the extent of the resources available to the child, or to take account of either parent’s obligation to provide support to children not named in the application, if the court considers the obligation entails hardship for that parent.

 

 

 

The court may also increase or reduce the level of support if it is of the opinion that, in the special circumstances of the case, not doing so would entail undue hardship for either parent. Such hardship may be due, among other reasons, to the costs involved in exercising visiting rights in relation to the child, an obligation to provide support to persons other than children or debts reasonably incurred to meet family needs.

 

[Soulignement ajouté]

 

 

[32]        L’article 443 C.p.c. habilite le gouvernement à adopter un règlement pour élaborer des normes permettant de fixer la pension alimentaire exigible d’un parent pour son enfant. Cette même disposition prescrit que ces normes sont établies en fonction notamment de la contribution alimentaire de base à laquelle les deux parents devraient être tenus :

443. Le gouvernement établit, par règlement, des normes permettant de fixer la pension alimentaire exigible d’un parent pour son enfant. Ces normes sont établies en fonction notamment de la contribution alimentaire de base à laquelle les deux parents devraient ensemble être tenus à l’égard de l’enfant, des frais de garde, des frais d’études postsecondaires et des frais particuliers relatifs à l’enfant et du temps de garde assumé par les parents à son endroit.

 

Le ministre de la Justice prescrit et publie à la Gazette officielle du Québec la déclaration et le formulaire de fixation des pensions alimentaires que les parties doivent produire; il prescrit et publie également la table permettant de fixer à partir du revenu disponible des parents et du nombre de leurs enfants, la valeur de leur contribution alimentaire de base. Il indique les documents qui doivent être produits avec ces formulaires.

 

443. The Government, by regulation, establishes standards for determining the child support payable by a parent. The standards are established on the basis of, among other factors, the combined basic child support contribution payable by the parents, childcare expenses, postsecondary education expenses, special expenses for the child and the custodial time of each parent.

 

 

 

 

The Minister of Justice prescribes and publishes in the Gazette officielle du Québec the statement form and the support determination form the parties are required to file. The Minister also prescribes and publishes a table determining the combined basic child support contribution payable by the parents on the basis of their disposable income and the number of children they have. The Minister also identifies the documents that must be filed with the forms.

 

[Soulignement ajouté]

[33]        En application de ce pouvoir réglementaire, le gouvernement a adopté le Règlement sur la table de fixation de la contribution alimentaire parentale de base[22] et le Règlement sur la fixation des pensions alimentaires pour enfants[23].

[34]        L’article 3 de ce dernier règlement prévoit de quelle manière et en fonction de quelles normes le tribunal fixe la pension alimentaire exigible d’un parent :

3. La pension alimentaire exigible d’un parent pour son enfant est établie, sur une base annuelle, en tenant compte de la contribution alimentaire de base à laquelle les parents devraient ensemble être tenus à l’égard de l’enfant, des frais de garde, des frais d’études post-secondaires et des frais particuliers relatifs à celui-ci, du revenu disponible de ce parent par rapport à celui des deux parents et du temps de garde qu’il assume à l’endroit de l’enfant, conformément aux règles qui suivent et selon le formulaire prévu à l’annexe I.

 

La contribution alimentaire de base des deux parents est établie en fonction de leur revenu disponible et du nombre de leurs enfants, selon la table prévue au Règlement sur la table de fixation de la contribution alimentaire parentale de base.

 

3. The support payable by a parent for his child shall be established, on an annual basis, taking into account the basic parental contribution to which the parents should be bound jointly in respect of the child, the child care expenses, post-secondary education expenses and special expenses relating to the child, the disposable income of that parent in relation to that of both parents and the custody time he assumes in respect of the child, in accordance with the following Rules and the form in Schedule I.

 

The basic parental contribution of both parents shall be established on the basis of their disposable income and of the number of children, in accordance with the table in the Regulation respecting the Basic Parental Contribution Determination Table.

                           [Soulignement ajouté]

 

[35]        La méthode prescrite législativement pour fixer la pension alimentaire exigible d’un parent commande de suivre certaines étapes. Aux fins des présentes, il n’est pas nécessaire de décrire avec précision toutes les situations susceptibles d’influer sur la contribution alimentaire exigible d’un parent. L’étude du cadre général suffit pour comprendre que la fixation de la pension alimentaire pour enfants se distancie de la notion traditionnelle de créancier ou débiteur alimentaire.

[36]        La première étape du processus consiste à calculer le revenu disponible des parents (revenus bruts des parents moins les déductions admissibles). La deuxième étape exige de chiffrer la contribution alimentaire annuelle « des parents » en fonction du revenu total disponible retenu et du nombre d’enfants (suivant la table adoptée en vertu du Règlement sur la table de fixation de la contribution alimentaire de base). La troisième étape vise à établir la contribution alimentaire de base de chaque parent en répartissant la contribution alimentaire annuelle « des parents » entre ces derniers en fonction de leur part dans le revenu disponible total.

[37]        Au final, la pension alimentaire payable par un parent à l’autre découle de la soustraction des contributions alimentaires de base de chaque parent, une sorte de compensation légale, qui ultimement fera que le parent dont la contribution parentale est moindre que celle de l’autre recevra la différence, ce qui en fera un « créancier alimentaire ».

[38]        Il ressort de cet exercice que le législateur a voulu que chaque parent contribue aux besoins de ses enfants en assumant sa part de la contribution alimentaire annuelle, une contribution établie suivant une table, et ce, en fonction de leur part dans le revenu total disponible des deux parents et du nombre d’enfants.

[39]        L’imputation d’un revenu à un parent qui refuse volontairement de travailler et qui se place de propos délibéré dans une situation où il est incapable d’assumer sa part de la contribution parentale de base entraîne des conséquences. Il faut présumer qu’il a un revenu et lui attribuer une part de la contribution alimentaire de base alors que ce parent ne touche pas ce revenu. Cela entraîne que la part de l’autre parent dans la contribution alimentaire de base diminue d’autant. En principe, cette mesure d’incitation à travailler et à contribuer aux besoins de ses enfants ne constitue pas une décision qui va à l’encontre de l’intérêt de ces derniers, au contraire. Il pourrait arriver que, dans certaines circonstances, l’application aveugle de l’article 446 C.p.c. entraîne des effets pervers. Dans ce cas, le juge chargé d’évaluer la situation peut refuser d’imputer un revenu à un parent. L’appelant n’a pas démontré ici l’existence de tels effets sur ses enfants.

[40]        À l’audience devant la Cour, l’avocate de la mise en cause a exprimé la crainte que les parents prestataires d’aide de dernier recours soient pénalisés de ce seul fait et que cela conduise les tribunaux à leur imputer un revenu. Je la rassure tout de suite. L’imputation d’un revenu en vertu de l’article 446 C.c.Q. est réservée, comme la jurisprudence le reconnaît, aux cas où un parent dissimule un revenu ou lorsqu’il adopte une démarche professionnelle insouciante ou imprégnée de mauvaise foi. Les parents qui ne peuvent pas travailler pour des motifs valables et qui touchent des prestations d’aide de dernier recours ne sont pas visés par cette disposition.

[41]        Dans le présent dossier, la juge de première instance a d’abord établi le revenu brut de chaque partie. Selon le formulaire joint à son jugement, elle a converti le revenu non imposable touché par l’intimée en équivalent imposable de 34 243 $, conformément à l’article 9 du Règlement sur la fixation des pensions alimentaires pour enfants et elle a imputé à l’appelant un revenu brut de 25 000 $[24]. Après les déductions de base admissibles, le revenu disponible des deux parents totalise 37 723 $. Cela entraîne l’établissement d’une contribution alimentaire annuelle pour les deux parents de 11 010 $, suivant la table adoptée en vertu du Règlement sur la table de fixation de la contribution alimentaire parentale de base. La répartition de la contribution annuelle entre les parents en fonction de leur part dans le revenu total disponible (37 % pour l’appelant et 63 % pour l’intimée) fait en sorte que l’appelant doit assumer une contribution annuelle de 4 156,15 $ et l’intimée de 6 853,85 $. Au final, l’intimée doit assumer 1 349,85 $ par année de plus que l’appelant, d’où la pension mensuelle de 112,40 $ fixée par la juge et payable par l’intimée à l’appelant[25].

4.2 L’annulation de la pension alimentaire

 

[42]        L’appelant signale que la juge de première instance devait qualifier la présence d’un enfant à charge issu d’une union antérieure comme une « difficulté simple » selon l’alinéa 2 de l’article 587.2 C.c.Q. et non comme une « difficulté excessive » visée par l’alinéa 3 de ce même article.

[43]        Pour l’appelant, la juge commet une erreur de droit en accordant une « dispense » de pension alimentaire pour l’intimée, car l’article 587.2 C.c.Q. permet au juge de diminuer ou augmenter le montant de la pension, mais il ne l’autorise pas à l’annuler.

[44]        De plus, il serait irréaliste, selon l’appelant, que la charge d’un seul enfant puisse causer une difficulté de l’ordre de 112 $ par mois.

[45]        Sur ce deuxième moyen d’appel, la Cour doit également faire preuve de déférence face au jugement de la Cour supérieure. En effet, la Cour rappelait récemment « [qu’il] existe plusieurs façons ou méthodes pour ajuster le montant d’une pension alimentaire qui cause des difficultés au débiteur de celle-ci et la juge de première instance jouit à cet égard d’une grande discrétion »[26].

[46]        Suivant les termes de l’article 587.2 C.c.Q. précité, la valeur des aliments exigibles d’un parent pour ses enfants peut toutefois être augmentée ou réduite par le tribunal si la valeur des actifs d’un parent ou l’importance des ressources dont dispose l’enfant le justifie ou encore en considération, le cas échéant, des obligations alimentaires qu’a l’un ou l’autre des parents à l’égard d’enfants qui ne sont pas visés par la demande, si le tribunal estime que ces obligations entraînent pour eux des difficultés.

[47]        Malgré l’utilisation des termes « difficultés excessives » par la juge pour tenir compte de la présence de l’enfant A, elle n’a pas commis une erreur justifiant de réviser son jugement. En effet, le fardeau pour un parent de démontrer qu’il subit des difficultés simples est moins exigeant que celui d’établir des difficultés excessives. Je suis d’accord avec le professeur Tétrault lorsqu’il écrit au sujet de l’article 587.2 C.c.Q. :

En vertu de cette modification législative, le fardeau de preuve est moins lourd que pour les difficultés excessives, mais le débiteur devra tout de même démontrer des difficultés objectives résultant de l’impact financier de ses autres obligations alimentaires sur sa capacité de payer.[27]

[Soulignement dans l’original; renvois omis]

[48]        L’appelant prétend que la juge de première instance erre quand, dans une manifestation d’empathie, elle écrit qu’un revenu net de 29 000 $ pour subvenir aux besoins de quatre enfants est « en [soi] une difficulté [simple] et relève même du miracle »[28]. Suivant les termes du deuxième alinéa de l’article 587.2 C.c.Q., l’obligation alimentaire d’un parent envers un enfant non visé par la demande constitue un facteur qui doit être pris en compte par le tribunal avant d’exercer sa discrétion et d’établir la valeur des aliments. Voici ce que le professeur Tétrault écrit à ce propos :

L’article 587.2, al. 2 C.c.Q. édicte que l’on doit considérer les difficultés financières, que nous qualifions de simples par opposition à excessives, qui résultent de la présence d’autres enfants qui ne sont pas visés par la demande. Le tribunal qui omet de considérer cet élément commet une erreur révisable en appel. La modification apportée à l’article 587.2 C.c.Q. en 2004 a pour effet d’accorder au tribunal une discrétion qu’il doit exercer quant à ce qui constitue une difficulté simple et à la façon de quantifier celle-ci. La recomposition des cellules familiales rendait nécessaire cette prise en compte.[29]

[Soulignement ajouté]

[49]        La juge de première instance a, en l’espèce, considéré que la présence d’un quatrième enfant, en plus des trois enfants visés par la demande, engendrait une difficulté pour l’intimée en raison de son faible revenu, 34 243 $ avant impôts, et du fait qu’elle assume seule les besoins de quatre enfants[30]. La Cour doit faire preuve de déférence face à cette conclusion. L’appelant ne pointe aucune erreur justifiant une révision en appel.

[50]        Pour l’appelant, la juge ne pouvait accorder une dispense de pension alimentaire à l’intimée, car le deuxième alinéa de l’article 587.2 C.c.Q. offre au juge deux possibilités, celles d’augmenter ou de réduire la pension alimentaire.

[51]        À mon avis et avec égards, cette interprétation du mot « réduire » est erronée. L’article 587.2 C.c.Q. confère une discrétion au juge d’instance pour réduire la pension alimentaire. L’exercice de sa discrétion peut ainsi l’amener à réduire la pension, de sorte qu’il en résulte une dispense de paiement.

[52]        Cette dispense doit, par ailleurs, être justifiée selon les circonstances. La juge Rayle dans l’arrêt Droit de la famille - 07934, écrivait que « [chaque] cas en sera un d’espèce et avant de moduler la valeur des aliments, le tribunal devra s’assurer que la solution retenue ne causera pas une situation inéquitable pour l’un ou l’autre des enfants à l’égard desquels les parents ont des devoirs de nature alimentaire »[31].

[53]        Comme dernier argument, l’appelant plaide qu’il est irréaliste que l’enfant A représente une difficulté de l’ordre de 5,74 % du revenu annuel de l’intimée, soit 1 348,85 $, le montant qu’elle est dispensée de payer.

[54]        Une telle affirmation se heurte à la conclusion factuelle de la juge de première instance selon laquelle cette situation entraîne réellement une difficulté pour l’intimée. Il ne faut pas oublier que l’appelant ne travaille pas et qu’il ne contribue pas aux besoins des trois enfants du couple de sorte que, de façon concrète, c’est l’appelante qui contribue totalement aux besoins des quatre enfants.

[55]        D’ailleurs, une simulation faite en vertu du Formulaire de fixation des pensions alimentaires pour enfants démontre qu’il est vraisemblable qu’un enfant représente une telle charge financière. Par exemple, en utilisant les revenus de l’appelant et de l’intimée, tels que fixés par la juge de première instance, et en retenant que trois enfants sont en garde partagée entre les parties et un enfant en garde exclusive, la pension alimentaire serait de 2,74 $ par mois[32]. Il s’agit certes d’une simulation, mais cet exemple démontre que la dispense de pension alimentaire accordée à l’intimée est justifiée dans les circonstances.

[56]        En considérant ces éléments, la juge n’a commis aucune erreur de droit justifiant l’intervention de la Cour en dispensant l’intimée du paiement de la pension alimentaire pour enfants en raison de difficultés selon le deuxième alinéa de l’article 587.2 C.c.Q.

[57]        Pour ces motifs, je propose de rejeter l’appel, sans les frais de justice, vu la nature du litige.

 

 

 

 

FRANCE THIBAULT, J.C.A.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[NDLE : Par souci de confidentialité, SOQUIJ a retiré du présent jugement les Annexes I et II.]



[1]     Droit de la famille - 161595, 2016 QCCS 3101, rectifié le 12 juillet 2016 pour corriger une erreur dans une référence jurisprudentielle [Jugement dont appel].

[2]     C’est pour cette raison que la procureure générale du Québec est mise en cause dans le dossier.

[3]     Jugement dont appel, paragr. 20.

[4]     Jugement dont appel, paragr. 9-11.

[5]     Protection de la jeunesse - 137959, 2013 QCCQ 19439; Protection de la jeunesse - 137999, 2013 QCCQ 19415; Protection de la jeunesse - 138584, 2013 QCCQ 19918; Protection de la jeunesse - 138585, 2013 QCCQ 19919.

[6]     Jugement dont appel, paragr. 12.

[7]     Ibid., paragr. 13.

[8]     C.Q. jeun. Québec, nos 200-41-012203-139, 200-41-012204-137, 200-41-012205-134, 200-41-012206-132, 16 mai 2016, Duford, j.c.q.

[9]     Jugement dont appel, paragr. 14.

[10]    Règlement sur la fixation des pensions alimentaires pour enfants, RLRQ, c. C-25.01, r. 0.4.

[11]    L’avocate de la mise en cause en a d’ailleurs candidement convenu lors de l’audience devant la Cour.

[12]    Droit de la famille - 1625, 2016 QCCA 7, paragr. 26.

[13]    M.L. c. F.I., 2004 CanLII 73188, SOQUIJ AZ-50317404 (C.A.).

[14]    Droit de la famille - 3140, J.E. 98-2131, 1998 CanLII 12480 (C.A.).

[15]    Droit de la famille - 133554, 2013 QCCA 2176; M.(J.-P.) c. D.(G.), J.E. 2001-15, 2000 CanLII 5775 (C.A.).

[16]    L.(R.) c. F.(J.), [2003] RJQ 2367 (C.A.); C.S. c. M.G., 2005 QCCA 702.

[17]    F.L. c. R.N., 2005 QCCA 498.

[18]    Droit de la famille - 1625, supra, note 12.

[19]    Hickey c. Hickey, [1999] 2 R.C.S. 518, paragr. 12

[20]    Van de Perre c. Edwards, 2001 CSC 60, paragr. 11.

[21]    Droit de la famille - 092966, 2009 QCCS 5627, paragr. 30-37.

[22]    Règlement sur la table de fixation de la contribution alimentaire parentale de base, RLRQ, c. C-25.01, r. 12.

[23]    Règlement sur la fixation des pensions alimentaires pour enfants, supra, note 10.

[24]    Je note que cette évaluation est très conservatrice.

[25]    Voir à l’Annexe I le Formulaire de fixation des pensions alimentaires pour enfants complété par la juge de première instance.

[26]    Droit de la famille - 142297, 2014 QCCA 1725, paragr. 8.

[27]    Michel Tétrault, Droit de la famille : L’obligation alimentaire, 4e éd., vol. 2, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2011, p. 1353.

[28]    Jugement dont appel, paragr. 36.

[29]    Michel Tétrault, Droit de la famille : L’obligation alimentaire, 4e éd., vol. 2, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2011, p. 1353 et 1354.

[30]    D’ailleurs, selon les données de Statistique Canada, le seuil de faible revenu avant impôts pour une unité familiale de trois personnes (ici l’intimée, trois enfants en garde partagée et A) est de 37 234 $ en 2014; Statistique Canada, 2015, Série de documents de recherche sur le revenu, produit n0 75F0002M (no 002) au catalogue de Statistique Canada, Ottawa, Ontario, http://www.statcan.gc.ca/pub/75f0002m/75f0002m2015002-fra.pdf (site consulté le 9 novembre 2016), Tableau 2, p. 22.

[31]    Droit de la famille - 07934, 2007 QCCA 579.

[32]    Voir Annexe II le Formulaire de fixation des pensions alimentaires pour enfants complété par la soussignée.

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