Dubois c. 9369-2549 Québec inc. | 2022 QCTAL 11481 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Montréal | ||||||
| ||||||
No dossier : | 591730 31 20211005 G | No demande : | 3361543 | |||
|
| |||||
Date : | 14 avril 2022 | |||||
Devant la juge administrative : | Marilyne Trudeau | |||||
| ||||||
Tanya Dubois |
| |||||
Locataire - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
9369-2549 Québec inc. |
| |||||
Locatrice - Partie défenderesse | ||||||
| ||||||
D É C I S I O N
| ||||||
[1] Par un recours introduit le 5 octobre 2021, la locataire demande au Tribunal de condamner la locatrice à lui payer la somme de 10 000 $, avec les intérêts, l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec et le remboursement des frais judiciaires.
[2] Il s’agit d’un bail du 1er juillet 2015 au 30 juin 2016 au loyer mensuel de 1 050 $, reconduit jusqu’au 30 juin 2018 au même loyer mensuel.
APERÇU
[3] Selon les termes du bail, il y a deux locataires au bail, Tania Dubois et Lerata Lamargese, toutes deux solidairement responsables envers le locateur.
[4] Le 24 décembre 2017, la locataire est informée, suivant la réception de la lettre du notaire, de l’achat de l’immeuble concerné par la locatrice.
[5] Le 29 décembre 2017, elle reçoit un avis d’éviction pour changement de destination de l’immeuble.
[6] Le 24 janvier 2018, la locataire dépose une demande d’opposition auprès du Tribunal administratif du logement (alors la Régie du logement).
[7] Par une décision rendue le 4 juin 2018 faisant suite à une audience tenue le 8 mai 2018, le Tribunal autorise le changement d’affectation à compter du 1er octobre 2018 et rejette l’opposition[1].
[8] La locataire explique être contactée le 31 mai 2018, par message texte, par un représentant de la locatrice, Israël Weiss, afin de négocier une entente. Elle l’invite alors à lui soumettre une offre.
[9] Le 4 juin 2018, Israel Weiss envoie un message texte à la locataire indiquant avoir discuté avec ses partenaires et être prêt à lui offrir la somme de 8 500 $ à la condition d’un départ du logement le 1er juillet 2018.
[10] Le 5 juin 2018, la locataire refuse cette offre, indiquant refuser toute offre moindre à 10 000 $, cette somme étant pour un départ du logement au 1er septembre 2018.
[11] Toujours le 5 juin 2018, monsieur Weiss offre à la locataire la somme de 10 000 $ à la condition qu’elle quitte le logement le 1er juillet 2018. Elle lui répond alors devoir consulter sa colocataire afin d’obtenir son consentement à cette offre. Celle-ci est finalement acceptée le même jour.
[12] Israël Weiss lui répond, toujours par message texte, qu’il doit préparer les documents concernant l’entente et qu’elle recevra le paiement avant son déménagement.
[13] Le 9 juin 2018, monsieur Weiss informe la locataire, par message texte, de l’absence d’enthousiasme de ses partenaires quant à leur entente. Il ajoute qu’il confirmera le tout le dimanche suivant, soit le 10 juin 2019.
[14] La locataire indique alors à Monsieur Weiss être désolée de ce changement de position de sa part, mais ayant accepté l’offre faite, il y a pour elle un contrat devant être honoré.
[15] Le 11 juin 2018, en réponse à la question de la locataire, monsieur Weiss informe la locataire par message texte de son absence d’intérêt et celui de ses partenaires à conclure une entente, s’excusant des inconvénients.
[16] La locataire dépose une copie des communications écrites entre elles et Israel Weiss.
[17] La locataire demande donc au Tribunal de conclure en l’existence d’une transaction entre les parties et de condamner la locatrice à lui payer la somme de 10 000 $ promise.
[18] La locatrice est absente lors de l’audition de la cause.
[19] Toutefois, le Tribunal soulève d'office la prescription, conformément à la décision rendue dans l'affaire Sandhu c. Québec Court[2] dans laquelle le juge Paul Chaput précisait que dans des dossiers de petites créances, le Tribunal doit la soulever d'office en raison de son devoir d'assistance à toutes les parties.
[20] En effet, la demande de la locataire est introduite 5 octobre 2021 pour une entente qui serait survenue le ou vers le 5 juin 2018, soit plus de trois ans auparavant.
[21] Questionnée quant aux délais d’introduction de sa demande, la locataire explique avoir introduit son recours devant la Division des petites créances de la Cour du Québec. Suivant une audience tenue le 18 novembre 2020, celle-ci a été rejetée le 26 mai 2021[3]. Suivant la réception de cette décision, elle a ensuite consulté son avocat et a préparé sa demande.
[22] Elle soulève le décret du gouvernement ordonnant la suspension des délais en matière civile en raison de la pandémie liée à la COVID-19.
QUESTIONS EN LITIGE
1) La demande de la locataire est-elle prescrite?
2) Dans la négative, une transaction est-elle intervenue entre les parties?
ANALYSE ET DÉCISION
La prescription
[23] L'article 2925 du Code civil du Québec (C.c.Q.) prévoit que l'action qui tend à faire valoir un droit personnel se prescrit par trois ans. Cependant, en vertu de l'article 2892 C.c.Q., le dépôt d'une demande en justice interrompt le délai de prescription.
[24] L’article 2880, alinéa 2 C.c.Q. prévoit que le jour où le droit d’action a pris naissance fixe le point de départ de la prescription extinctive. Il faut donc que les éléments nécessaires à l’exercice du recours civil que sont la faute, le préjudice et le lien causal aient été réunis et que la victime, la créancière des dommages, en ait été informée ou soit raisonnablement en mesure de les connaître[4].
[25] La jurisprudence établit sans ambiguïté que le point de départ du délai de la prescription extinctive est le moment où le préjudice se manifeste de manière appréciable ou, en d’autres mots, est le premier moment où le titulaire du droit aurait pu prendre action pour le faire valoir[5].
[26] Comme l’écrivait la juge Deschamps, alors à la Cour d’appel, dans l’arrêt Monopro Ltd. c. Montréal Trust[6] :
« [17] Sur la question de la prescription, l’appelante soutient avec raison que la prescription ne commence à courir que lorsque tous les éléments de responsabilité sont présents, soit la faute, le dommage et le lien de causalité.
[…]
[21] Si tous les auteurs ne décrivent pas la règle de façon strictement identique (Maurice TANCELIN, Les Obligations, les techniques d’exécution et d’extinction, Montréal, Wilson & Lafleur, 1994, par. 1129 et 1130; Jean-Louis BAUDOUIN, La responsabilité civile délictuelle, 3e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1989, par. 1121 et 1122; Fernand POUPART, La prescription extinctive en matière de responsabilité civile, (1980-81) 15 R.J.T. 245, 271 et 277; André NADEAU et Richard NADEAU, Traité pratique de la responsabilité civile délictuelle, Montréal, Wilson & Lafleur, 1971, par. 673; John W. DURNFORD, Some aspects of the suspension and of the starting point of prescription,1963 R.J.T. 245, p. 259 à 261), la formulation la plus généralement acceptée est celle reliant le point de départ de la prescription au moment où le dommage se manifeste de façon appréciable. »
[27] Ces mots rejoignent ce qu’énonçait le professeur Pierre Martineau dans son Traité élémentaire de droit civil[7] :
« On tient que le droit d’action prend naissance dès que le dommage se manifeste de façon appréciable. Le point de départ de la prescription est donc le moment où la victime subit un préjudice réel et certain alors que tous les éléments du dommage sont réunis. Du moment que les dommages ont pu être constatés et évalués, la victime est en mesure d’intenter action même si elle ne connaît pas toute l’étendue de ces dommages, lesquels sont susceptibles de s’aggraver.
Cependant, le fait pour la victime de ne pas connaître la portée exacte du préjudice subi et l’étendue de ses dommages n’a pas pour effet de retarder le point de départ du délai de prescription[8] et n’est pas non plus une cause de suspension de celle-ci[9]. »
[28] Dans le cadre d’une réclamation pour perte de revenu suivant un déguerpissement, la juge administrative Francine Jodoin s’exprime comme suit sur le point de départ de la prescription[10] :
« [13] La réclamation de la locatrice est fondée sur la résiliation unilatérale par les locataires en cours de bail et les dommages en résultant. Le point de départ de cette prescription commence le jour où le droit d’action prend naissance, soit le déguerpissement des locataires (article 2880 C.c.Q.)6.
[14] En effet, à partir du moment où les locataires quittent le logement, le préjudice que subira la locatrice peut être connu. L’étendue de celui-ci ou son quantum reste à déterminer7.
[15] Les règles normalement applicables à la prescription associée aux obligations d’un contrat à exécution successive, tel que le paiement du loyer, ne reçoivent plus application puisqu’il ne s’agit pas, ici, de sanctionner une obligation à exécution successive8, mais plutôt d’évaluer le préjudice subi suite au bris du contrat.
[16] La juge Céline Gervais écrit ceci au sujet, au sujet du point de départ de la prescription9:
La question de la connaissance du dommage ou du préjudice appelle certains commentaires. Le dénominateur commun à toutes les situations où est examinée la question du préjudice tient au fait que sa manifestation doit être certaine26. Il faut en effet que le dommage ait débuté, et qu'on en perçoive les premiers effets. La jurisprudence parle du moment où le dommage s'est réalisé27, d'un préjudice actuel et certain28, d'un dommage qui s'est cristallisé29, ou encore du moment où le demandeur pouvait connaître et évaluer sa perte30. Si le dommage survient de façon concomitante à la faute, le point de départ de la prescription est facile à établir. La prescription commence à courir dès la commission de l'acte dommageable31.
Il n'est pas nécessaire que le montant exact des dommages soit connu dès lors que l'on sait avoir subi un préjudice, puisqu'il sera toujours possible de procéder par amendement pour en préciser le montant32. En ce sens, le préjudice simplement hypothétique ou le préjudice de droit ne sont pas suffisants pour faire naître la prescription33. »
________________________________
6 Bon apparte, société en commandite (Immeuble le Renouveau), R.L. Montréal, 31-070829-001G, 3 juin 2009, Suzie Ducheine, j.a., Tétreault c. Monette, 2011 QCRDL 5080, Le Fustec c. Langlois, 2016 QCRDL 231, Molinari c. Durand, 2017 QCRDL 33310, Bergeron c. Fenster, 2016 QCRDL 23240, Ricciotti c. Richer, 2016 QCRDL 3432, Boulanger c. Nadeau, 2014 QCRDL 41001.
7 Article 2926 Code civil du Québec : « Lorsque le droit d'action résulte d'un préjudice moral, corporel ou matériel qui se manifeste graduellement ou tardivement, le délai court à compter du jour où il se manifeste pour la première fois. ».
8 Article 2931 Code civil du Québec : « Lorsque le contrat est à exécution successive, la prescription des paiements dus a lieu quoique les parties continuent d'exécuter l'une ou l'autre des obligations du contrat. » [Notre soulignement]. Astoria Holdings inc. c. Lunetterie Vision Plus LG inc., EYB 2005-86191, [2005] R.D.I. 427, J.E. 2005-615 (C.Q.) ; François c. Germain, EYB 2006-115409 (C.Q.).
9 « Point de départ de la prescription », Céline Gervais, EYB2009PRE10 (approx. 18 pages, pages 105 à 122 de l'ouvrage imprimé). »
[29] Dans l’affaire Ricciotti c. Richer[11], la juge Sylvie Lambert mentionne :
« [10] Le recours du locateur est-il prescrit ?
[11] La décision en résiliation de bail rendue au bénéfice du locateur a été signée le 17 septembre 2008 par la juge administrative Lyne Foucault. Ainsi, à compter du prononcé de la résiliation du bail, se prescrivent les dommages en résultant, c'est-à-dire les pertes locatives et les dommages aujourd'hui réclamés. C’est à cette date que le droit d’action du locateur a pris naissance. (2)
[12] Le Tribunal estime qu'il n'a pas à tenir compte du fait que les locataires auraient quitté les lieux loués seulement en octobre 2008 puisque ceci ne change rien aux principes relatifs à la prescription du recours du locateur dont les droits ont été acquis le 17 septembre 2008 quant à l’indemnité et aux dommages aujourd'hui réclamés. Ainsi, quant à ces réclamations, le recours du locateur introduit le 28 septembre 2011, soit après plus de trois ans, était prescrit. »
[Citation omise]
[30] De ces principes, le Tribunal retient que, dans la présente affaire, le point de départ du délai de prescription débute lorsque la locataire est informée du refus du représentant de la locatrice d’honorer les termes de l’entente proposée. Il s’agit donc du 11 juin 2018, tel qu’il appert des échanges par messages textes.
[31] En retenant la date du 11 juin 2018 comme point de départ, il est manifeste que la demande de la locataire introduite le 5 octobre 2021 a été introduite dans un délai supérieur à trois ans (1095 jours), celui-ci se terminant le 10 juin 2021.
La suspension des délais en raison de la COVID-19
[32] La locataire plaide être dans le délai légal de trois (3) ans, considérant la suspension des délais en matière civile en raison de la pandémie. Elle soumet qu’un délai supplémentaire de cinq (5) mois et 17 jours devrait être ajouté.
[33] Reste donc à déterminer si le délai de prescription a pu être suspendu par les différents décrets émis par les autorités gouvernementales suivant la déclaration d’état d’urgence.
[34] D’abord, le Gouvernement du Québec a déclaré le 13 mars 2020 l’état d’urgence sanitaire dans tout le territoire québécois, par le décret portant le numéro 177-2020[12], émis conformément à l’article 118 de la Loi sur la santé publique[13].
[35] Par l’arrêté portant le numéro 2020-4251, la juge en chef du Québec et la ministre de la Justice ont, en date du 15 mars 2020, suspendu les délais de procédure civile au Québec en raison de l’état d’urgence déclarée par le Gouvernement, le tout en vertu de l’article 27, alinéa 1 du Code de procédure civile[14].
[36] Cet Arrêté stipule entre autres que :
« Arrêté numéro 2020-4251 de la juge en chef du Québec et de la ministre de la Justice en date du 15 mars 2020
[…]
ARRÊTENT CE QUI SUIT :
Les délais de prescription extinctive et de déchéance en matière civile sont suspendus jusqu’à l’expiration de la période de la déclaration d’état d’urgence sanitaire prévue par le décret no 177-2020 du 13 mars 2020.
De même, les délais de procédure civile sont suspendus durant cette période, à l’exception des affaires jugées urgentes par les tribunaux.
[…]
En cas de renouvellement de la déclaration d’état d’urgence sanitaire prévue par le décret no 177‑2020 du 13 mars 2020, les mesures prévues par le présent arrêté sont renouvelées pour une période équivalente.
Le présent arrêté entre en vigueur immédiatement. »
[37] Le 20 mars 2020, par le décret portant le numéro 222-2020, le Gouvernement du Québec adoptait une série de mesures, parmi lesquelles un renouvellement de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 29 mars 2020. Ce décret prévoyait, entre autres, que les délais « pour introduire un recours relatif aux affaires entendues par le TAQ » ainsi que quelques autres tribunaux administratifs étaient suspendus jusqu’à l’expiration de la période de la déclaration d’état d’urgence sanitaire, et ce, à l’exception des affaires jugées urgentes par le président de l’un de ces organismes ou par un membre désigné à cette fin.
[38] Par arrêté portant le numéro 2020-4303[15] de la juge en chef du Québec et du ministre de la Justice en date du 31 août 2020, la suspension des délais de prescription extinctive et de déchéance en matière civile et de procédure civile a été levée à compter du 1er septembre 2020.
[39] Relativement à l’application de ces arrêtés, voici comment la juge administrative Chantal Bouchard s’exprime sur le sujet dans l’affaire Tétreault c. Boivert[16] :
« [49] Plusieurs juges administratifs du Tribunal administratif du logement ont déjà traité de la question de l’application des différents arrêtés ministériels en vigueur à la suite de la déclaration d’état d’urgence sanitaire émise par notre gouvernement relativement à la suspension du calcul des délais en matière de logement.
[50] La soussignée fait sienne l’analyse du juge administratif Michel Huot dans la décision Martel c. Ndongmo11:
[13] Il y a lieu de reprendre le contenu de l'Arrêté :
« Code de procédure civile
(Chapitre C-25.01)
CONCERNANT la suspension de délais de prescription et de procédure civile et l'utilisation d'un moyen de communication en raison de la déclaration d'état d'urgence sanitaire du 13 mars 2020
LA JUGE EN CHEF DU QUÉBEC ET LA MINISTRE DE LA JUSTICE, DE CONCERT,
VU le premier alinéa de l'article 27 du Code de procédure civile (chapitre C-25.01) qui prévoit que, lorsqu'un état d'urgence est déclaré par le gouvernement, la juge en chef du Québec et la ministre de la Justice peuvent, de concert, suspendre ou prolonger pour la période qu'elles indiquent l'application d'un délai de prescription ou de procédure ou autoriser l'utilisation d'un autre moyen de communication selon les modalités qu'elles fixent;
VU le deuxième alinéa de cet article qui prévoit que leur décision prend effet immédiatement;
VU l'article 85 de la Loi sur la protection de la jeunesse (chapitre P-34.1) qui prévoit que les dispositions du livre I du Code de procédure civile s'appliquent aux demandes visées par le chapitre V de cette loi;
VU le décret n° 177-2020 du 13 mars 2020 par lequel le gouvernement déclare l'état d'urgence sanitaire;
ARRÊTENT CE QUI SUIT :
Les délais de prescription extinctive et de déchéance en matière civile sont suspendus jusqu'à l'expiration de la période de la déclaration d'état d'urgence sanitaire prévue par le décret n° 177-2020 du 13 mars 2020.
De même, les délais de procédure civile sont suspendus durant cette période, à l'exception des affaires jugées urgentes par les tribunaux.
Pendant cette période, la signification d'un acte de procédure civile à la procureure générale du Québec peut également se faire au bernardroy@justice.gouv.qc.ca, pour les districts de Beauharnois, Bedford, Drummond, Gatineau, Iberville, Joliette, Labelle, Laval, Longueuil, Mégantic, Montréal, Pontiac, Richelieu, Saint-François, Saint-Hyacinthe et Terrebonne, ou au lavoie-rousseau@justice.gouv.qc.ca, pour les autres districts.
En cas de renouvellement de la déclaration d'état d'urgence sanitaire prévue par le décret n° 177-2020 du 13 mars 2020, les mesures prévues par le présent arrêté sont renouvelées pour une période équivalente.
Le présent arrêté entre en vigueur immédiatement.
[14] Le Tribunal est d'avis que le présent Arrêté ne trouve pas application au Tribunal
administratif du logement. Cet Arrêté découle des dispositions du Code de procédure civile du Québec. Le Tribunal administratif du logement ainsi que les différents tribunaux administratifs ont leurs propres règles de procédure. En ce qui a trait au Tribunal administratif du logement, ces règles sont prévues par le Règlement sur la procédure devant le Tribunal administratif du logement.
[15] De plus, le Décret 222-2020 du 20 mars 2020 traite de la suspension des délais devant les tribunaux administratifs. Il y a lieu de reprendre la portion pertinente du Décret 222-2020 :
Les délais pour introduire un recours relatif aux affaires entendues par le Tribunal administratif du Québec, le Tribunal administratif du travail, le Tribunal administratif des marchés financiers, la Commission de la fonction publique et la section juridictionnelle de la Commission d'accès à l'information sont suspendus jusqu'à l'expiration de la période de la déclaration d'état d'urgence sanitaire, à l'exception des affaires jugées urgentes par le président de l'un de ces organismes ou par un membre qu'il désigne à cette fin. Toutefois, la suspension ne s'applique pas à un recours relatif à une demande d'accréditation prévue à l'article 22 du Code du travail (chapitre C-27);
[16] Ce décret ne vise pas la suspension des délais pour introduire un recours devant le Tribunal administratif du logement. Il ne traite pas non plus de la suspension des délais pour répondre à un avis d'augmentation. »
[51] Par conséquent, le Tribunal estime que la suspension des délais relativement à la prescription en matière civile ne s’applique pas aux demandes relevant du Tribunal administratif du logement. »
[40] Dans une décision récente, la Cour du Québec[17], sous la plume de la juge Monique Dupuis énonçait :
« [23] L’Arrêté 2020-4251 est émis en vertu de l’article 27 du Code de procédure civile qui prévoit que le juge en chef du Québec et le ministre de la Justice peuvent, de concert notamment suspendre l’application d’un délai de prescription, de déchéance ou de procédure lorsqu’un état d’urgence est déclaré par le gouvernement.
[24] Certes, la Loi sur la Régie du logement ne comporte aucune disposition semblable à l’article 27 C.p.c., mais il faut considérer le troisième alinéa de la disposition préliminaire du Code de procédure civile qui stipule ce qui suit :
« Le Code s’interprète et s’applique comme un ensemble, dans le respect de la tradition civiliste. Les règles qu’il énonce et interprète à la lumière de ses dispositions particulières ou de celles de la loi et, dans les matières qui font l’objet de ses dispositions, il supplée au silence des autres lois si le contexte le permet. » (Le Tribunal souligne)
[25] De l’avis du Tribunal, le contexte permet de conclure que l’Arrêté 2020-4251 s’applique au délai d’appel d’une décision de la Régie du logement de l’article 92 LRL.
[26] La lecture de l’Arrêté 4282 de la juge en chef du Québec et du ministre de la Justice en date du 6 juillet 2020, convainc le Tribunal que l’Arrêté 2020-4251 s’applique aux délais de la Loi sur la Régie du logement, puisqu’il stipule ce qui suit :
(…)
[27] La référence expresse dans cet arrêté à l’Arrêté 2020-4251 et la levée de la suspension de certains délais en matière d’exécution d’une décision de la Régie du logement, permettent de conclure à l’application de l’Arrêté 2020-4251 aux délais de la Loi sur la Régie du logement, bien que certaines décisions de la Régie du logement ou du Tribunal administratif du logement concluent différemment8.
[28] L’avocat du Locateur soumet que dans le cas des tribunaux administratifs énumérés au Décret 222-2020, un décret indépendant de l’Arrêté 2020-4251 a suspendu les délais pour entreprendre un recours devant ces tribunaux. Si aucun arrêté ne suspend les délais de la Loi sur la Régie du logement, on ne peut conclure à leur suspension en application de l’Arrêté 2020-4251.
[29] Or, à la différence de ces tribunaux administratifs, la Régie du logement applique les dispositions en matière de louage du Code civil du Québec9. »
[41] Il semble donc y avoir deux courants jurisprudentiels quant à l’application des divers arrêtés au Tribunal administratif du logement.
[42] La soussignée souscrit à l’interprétation faite par la Cour Québec à laquelle est doit déférence et conclu que les différents décrets émis par les autorités gouvernementales suivant la déclaration d’état d’urgence s’appliquent au Tribunal administratif du logement.
[43] Les délais de prescription ont été suspendus pour la période du 15 mars 2020 au 31 août 2020, soit pendant 169 jours[18].
[44] Il faut donc ajouter 169 jours supplémentaires au délai dont disposait la locataire pour introduire son recours. Comme celui-ci expirait le 10 juin 2021, la locataire avait jusqu’au 28 novembre 2021 afin d’introduire son recours. Celui-ci n’est donc pas prescrit.
[45] À titre informatif, le Tribunal souligne que selon l’article 2894C.c.Q., le recours introduit par la locataire devant la Cour du Québec n’a pas interrompu le délai de prescription, la Cour ayant rejeté la demande le 26 mai 2021.
La transaction
[46] Les articles 2631 et 2633 du Code civil du Québec traitent de la transaction et se lisent comme suit :
« 2631. La transaction est le contrat par lequel les parties préviennent une contestation à naître, terminent un procès ou règlent les difficultés qui surviennent lors de l'exécution d'un jugement, au moyen de concessions ou de réserves réciproques.
Elle est indivisible quant à son objet. »
«2633. La transaction a, entre les parties, l'autorité de la chose jugée.
La transaction n'est susceptible d'exécution forcée qu'après avoir été homologuée. »
[47] Une transaction est-elle intervenue entre les parties le 5 juin 2018?
[48] Pour répondre à cette question, il y a lieu d'analyser les articles 1385, 1386, 1387 et 1388 du Code civil du Québec qui traitent de l'échange de consentement dans la formation d'un contrat et qui se lisent comme suit :
«1385. Le contrat se forme par le seul échange de consentement entre des personnes capables de contracter, à moins que la loi n'exige, en outre, le respect d'une forme particulière comme condition nécessaire à sa formation, ou que les parties n'assujettissent la formation du contrat à une forme solennelle.
Il est aussi de son essence qu'il ait une cause et un objet. »
«1386. L'échange de consentement se réalise par la manifestation, expresse ou tacite, de la volonté d'une personne d'accepter l'offre de contracter que lui fait une autre personne. »
«1387. Le contrat est formé au moment où l'offrant reçoit l'acceptation et au lieu où cette acceptation est reçue, quel qu'ait été le moyen utilisé pour la communiquer et lors même que les parties ont convenu de réserver leur accord sur certains éléments secondaires. »
«1388. Est une offre de contracter, la proposition qui comporte tous les éléments essentiels du contrat envisagé et qui indique la volonté de son auteur d'être lié en cas d'acceptation. »
[49] Par ailleurs, les articles 1398 et 1399 C.c.Q. énoncent les normes applicables à l'analyse du consentement:
« 1398. Le consentement doit être donné par une personne qui, au temps où elle le manifeste, de façon expresse ou tacite, est apte à s'obliger. »
« 1399. Le consentement doit être libre et éclairé.
Il peut être vicié par l'erreur, la crainte ou la lésion. »
[50] Ainsi, toute entente doit respecter les conditions essentielles à sa formation relativement au consentement des parties, à leur capacité, à l'objet du contrat, à sa cause ainsi que, dans certains cas, à ses conditions de forme.
[51] Le Tribunal rappelle qu'il appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui soutiennent sa prétention, et ce, de façon prépondérante. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du Tribunal[19].
[52] Ainsi, il doit démontrer que le fait litigieux est non seulement possible, mais probable. Par ailleurs, la preuve offerte ne doit pas nécessairement conduire à une certitude absolue. Il suffit que le fait litigieux soit, par la preuve, probable[20].
[53] Si une partie ne s'acquitte pas de son fardeau de convaincre le Tribunal, elle verra sa demande rejetée.
[54] Dans la présente affaire, la locataire soumet en preuve une série d’échanges par messages textes avec Israel Weiss.
[55] Questionnée à l’audience par la soussignée quant à l’identité de cette personne. La locataire indique qu’il s’agit de la seule personne avec qui elle a communiqué dans le cadre du bail.
Le mandat apparent
[56] Disons d'abord que si la locataire conclut une entente avec des mandataires apparents de la locatrice, cette dernière est liée par celle-ci.
[57] En effet, l'article 2163 du Code civil du Québec prévoit ce qui suit :
« 2163. Celui qui a laissé croire qu'une personne était son mandataire est tenu, comme s'il y avait eu mandat, envers le tiers qui a contracté de bonne foi avec celle-ci, à moins qu'il n'ait pris des mesures appropriées pour prévenir l'erreur dans des circonstances qui la rendaient prévisible. »
[58] Dans les commentaires du ministre de la Justice concernant l'article 2163 précité, il est écrit :
« Commentaire
Cet article édicte les obligations du mandant, en cas de mandat apparent, en s'inspirant de l'article 1730 C.C.B.C. Il précise toutefois le droit antérieur en reconnaissant, comme le faisait d'ailleurs une certaine jurisprudence, qu'il peut y avoir mandat apparent non seulement par un fait actif de la part du mandant, mais aussi par une abstention. Cette précision permet de couvrir notamment le cas des pouvoirs que l'usage attribue à certaines fonctions ou professions et qui créent des situations de mandat apparent lorsque le mandant néglige de prévenir le tiers qu'il a conventionnellement restreint ces pouvoirs. L'article énonce donc la règle selon laquelle celui qui laisse croire qu'une personne était son mandataire est tenu à titre de mandant, sauf si, se trouvant dans des circonstances qui rendaient l'erreur prévisible, il a pris des mesures appropriées pour la prévenir[21]. »
[59] La preuve démontre que le mandataire de la locatrice a laissé croire à la locataire qu'il avait l'autorité pour conclure ladite entente avec elle. En effet, il n'a jamais dénoncé que l'entente proposée était assujettie à des conditions telles que l’approbation par ses partenaires d’affaires. Il indique clairement que l’entente sera préparée pour signature et qu’elle recevra le paiement avant son déménagement. Ce n’est que trois (3) jours plus tard que monsieur Weiss informe la locataire du manque d’enthousiasme de ses partenaires face à leur entente.
[60] Si des restrictions existaient quant à l’acceptation de l’offre présentée à la locataire, il appartenait au mandataire de la locatrice de les énoncer avant de conclure à celle-ci. Il ne l’a pas fait.
[61] Il se peut que, dans un souci légitime de favoriser la conclusion d'une entente, monsieur Weiss ait excédé le mandat qui lui avait été confié, mais si tel est le cas, la locataire n'a pas à subir les conséquences négatives de cette absence de mandat. D’autant plus que la locataire était de bonne foi et ignorait l'absence de mandat complet, le cas échéant[22].
[62] Aussi, dans les circonstances, le Tribunal estime que la locataire a valablement démontré qu'une entente est intervenue et que celle-ci n’a pas été honorée par la locatrice.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[63] ACCUEILLE la demande de la locataire;
[64] CONDAMNE la locatrice à payer à la locataire la somme de 10 000 $, plus les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619C.c.Q., à compter du 5 octobre 2021, plus les frais de justice de 88,75 $.
|
| ||
|
Marilyne Trudeau | ||
| |||
Présence(s) : | la locataire | ||
Date de l’audience : | 9 février 2022 | ||
| |||
| |||
[1] Dubois c. 9369-2549 Québec inc. (R.D.L., 2018-06-04), 2018 QCRDL 18796, SOQUIJ AZ-51500840.
[2] Sandhu c. Quebec Court, 2006 QCCS 5407.
[3] Dossier 500-32-710982-195, jugement par défaut rendu par Me Julie Langlois, greffière spéciale.
[4] Daigle c. Mathieu, 2010 QCCA 1612.
[5] Sicé c. Langlois, 2007 QCCA 1007.
[6] J.E. 2000-777 (C.A.).
[7] Presse de l’Université de Montréal, 1977, p. 309.
[8] 6676596 Canada inc. c. Artimonde Trading Inc., 2011 QCCS 353, confirmé à 2012 QCCA 777; Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ c. Toitures Trois Étoiles inc., 2010 QCCA 397.
[9] R.J. c. Clément, 2009 QCCS 1353.
[10] Reeves c. Frances, 2017 QCRDL 39391.
[11] 2016 CanLII 129315.
[12] (2020) 152 G.O.Q. Partie 2, page 1101A.
[13] RLRQ, c. S-2.2.
[14] RLRQ, c. C-25.01.
[15] (2020) 152 G.O.Q., Partie 2, page 3607B.
[16] 2021 QCTAL 5160.
[17] Létouneau c. Piché 2021 QCCQ 2898.
[18] Voir les arrêtés numéro 2020-4251 et 2020-4003.
[19] Articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec, CCQ-1991.
[20] Les jardins du roi société en commandite c. Jean-François Plante, RDL, 419462 18 20180921 No demande : 2590921, 4 février 2019.
[21] Commentaire du ministre de la Justice, 1993, EYB1993CM2164.
[22] Abbas c. Raoul Blouin Ltée, 2008 QCCQ 11686.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.