Bilodeau c. Notaires (Ordre professionnel des) | 2025 QCTP 32 |
TRIBUNAL DES PROFESSIONS |
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CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
DISTRICT DE | QUÉBEC |
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N° : | 200-07-000290-230 |
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DATE : | Le 11 juin 2025 |
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CORAM : | LES HONORABLES | THIERRY NADON, J.C.Q. PATRICIA COMPAGNONE, J.C.Q. ROBERT MARCHI, J.C.Q. | |
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GENEVIÈVE BILODEAU |
APPELANTE |
c. |
YVES MORISSETTE, en qualité de syndic adjoint de la Chambre des notaires du Québec |
INTIMÉ |
-et- |
ROXANNE DAVIAULT, en qualité de secrétaire du Conseil de discipline de la Chambre des notaires du Québec |
MISE EN CAUSE |
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JUGEMENT
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Conformément à l’article 173 du Code des professions (C. prof.)[1], le Tribunal prononce une ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion des pièces P-8 (pages 5 à 17 et 20 à 32), P-9 a) à g), P-10, P-12 (en liasse), P-29 (en liasse), P-74 (visant les testaments et mandats d’inaptitude et les actes visés par les minutes 9035, 9175, 9205) et P-84.
Conformément à l’article 173 du Code des professions, le Tribunal prononce une ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion de la pièce P-87 (en liasse) ainsi que de tout renseignement de nature médicale concernant Me Karine Desbiens, et ce, afin d’assurer la protection de sa vie privée.
Conformément à l’article 173 du Code des professions, le Tribunal prononce une ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion du nom de C.B., cliente de l’appelante, et ce, afin d’assurer la protection de sa vie privée et le respect du secret professionnel.
- L’appelante se pourvoit contre deux décisions du Conseil de discipline de la Chambre des notaires du Québec (le Conseil) : une concerne la culpabilité[2] et l’autre la sanction[3].
- L’appelante exerçait sa profession dans la région de Charlevoix. Notaire d’expérience, elle se concentrait en droit immobilier et avait une pratique active.
- Une plainte comportant 28 chefs d’infractions est portée contre elle. Elle plaide coupable à certains chefs et subit l’instruction pour les chefs qui demeurent. Elle est déclarée coupable de tous les chefs. À titre de sanctions, le Conseil lui impose diverses périodes de radiation temporaire et une radiation permanente.
- La plupart des chefs d’infractions mettent en lumière la relation de l’appelante avec deux dames âgées, peu expérimentées et vulnérables. Ils visent des comportements qui s’échelonnent sur plusieurs années. On lui reproche une pluralité d’infractions : des honoraires injustifiés, l’entrave, le manque de disponibilités, le prélèvement d’honoraires sans autorisation, l’obtention de prêts de clientes sans constatation par acte notarié, d’avoir profité et/ou abusé de ses clientes, le défaut de veiller à la signature, le défaut de veiller à l’inscription, le défaut de produire ses déclarations et rapports de comptabilité en fidéicommis, etc.
- Les comportements reprochés sont graves, répétés et touchent les obligations professionnelles fondamentales du notaire. Ils sont au cœur même de la profession. De plus, les montants en cause sont importants.
- Devant le Conseil, l’instruction nécessite de nombreuses journées d’audition. Un grand nombre de témoins sont entendus et l’appelante présente une défense.
- Devant le Tribunal, l’appelante ne produit pas la preuve dont disposait le Conseil. Dans pareilles circonstances, il s’avère utile de rappeler la compétence d’appel du Tribunal des professions qui: « peut corriger les erreurs de droit selon la norme de la décision correcte ou toute erreur manifeste et dominante dans la détermination des faits ou dans l'application du droit (s'il a été correctement déterminé) aux faits. »[4].
- Pour ce faire, le Tribunal peut difficilement corriger ce dont il ne peut prendre connaissance. La Cour d’appel en 1986 dans Pateras[5] écrivait ce qui est toujours d’actualité :
[4] L'appel est un pourvoi contre un jugement et non la reprise du procès. Il s'agit de savoir, dans un cas comme celui dont nous sommes présentement saisis, si le premier juge a bien décidé des questions de faits, s'il a bien apprécié les faits, en a tiré les bonnes conclusions, et s'il s'est bien dirigé en droit. La Cour d'appel doit être placée dans la position où était le premier juge lorsqu'il a rendu le jugement. Pour ce faire, elle doit avoir, quant aux questions soulevées par l'appel, le dossier tel qu'alors constitué de façon à ce qu'elle soit en mesure de vérifier la question et le bien-fondé des décisions attaquées, et de décider aux lieu et place du premier juge s'il appert qu'en regard de la contestation telle que liée, de la preuve qu'avait le premier juge, celui-ci s'est trompé soit en faits, soit en droit.
[référence omise]
[5] C'est à l'appelant qu'incombe de démontrer à la Cour d'appel que le jugement dont appel doit être modifié ou cassé; il doit alors fournir à la Cour l'entière preuve pertinente aux questions que soulève son appel. C'est ce que requiert l'article 507 C.P. : « (...) les extraits de la preuve nécessaires à la détermination des questions en litige ». L'appelant ne peut choisir dans la preuve nécessaire que les parties qui lui sont favorables. S'il le fait et qu'il appert du jugement, ou si la partie adverse dans son mémoire le démontre, qu'il y avait d'autres éléments de preuve que le juge a considérés pour fonder une décision, en l'absence de ceux-ci, la Cour d'appel, n'étant pas en mesure de vérifier si le premier juge a commis une erreur, et vu la présomption de validité des jugements, ne peut que rejeter le motif d'appel dont il s'agit.
- Et plus loin, la Cour écrit:
[6] (…) Mais encore faut-il que l'appelant reproduise les parties de la preuve qui sont essentielles à la détermination de l'appel. S'il ne le fait pas, comment peut-il demander à la Cour d'intervenir? C'est ce qui s'est produit dans le présent dossier : comment les appelants peuvent-ils nous demander de substituer notre appréciation de la preuve à celle du juge de première instance qu'ils prétendent manifestement erronée alors que nous n'avons pas cette preuve devant nous?
- Au courant de la dernière année, le Tribunal a rappelé ces règles dans de nombreux jugements[6], tout comme notre Cour d’appel[7].
- C’est dans ce contexte que le Tribunal doit analyser les prétentions de l’appelante concernant la décision sur culpabilité.
- Elle soulève des arguments au sujet de l’admissibilité de la preuve par ouï-dire, de l’application du secret professionnel avocat-client et du défaut de respecter le droit à une défense pleine et entière.
- Partant du principe qu’il faut tenir les conclusions factuelles du Conseil pour avérées, le Tribunal conclut que la décision du Conseil permettant l’admissibilité d’une preuve à titre d’exception au ouï-dire se fonde correctement sur la norme juridique applicable.
- De surcroît, il est impossible pour le Tribunal de juger si le droit à une défense pleine et entière a été enfreint.
- Enfin, sur le secret professionnel et la relation avocat-client; le Conseil aborde cette question dans sa décision sur culpabilité. Comment le Tribunal pourrait conclure à une quelconque erreur sans connaître la preuve présentée devant le Conseil pour en décider? Poser la question est y répondre.
- En somme, l’appelante ne convainc pas le Tribunal de quelconque erreur du Conseil dans sa décision sur culpabilité.
- Sur sanction, avec égards, le Tribunal ne peut deviner les arguments présentés. Les sanctions sont-elles manifestement non indiquées? Le Conseil commet-il des erreurs de principe? Impossible de le savoir puisque le mémoire de l’appelante ne contient aucun argument.
- De surcroit, l’appelante n’en a pas présenté à l’audience et ne produit aucune transcription des auditions sur sanction. Enfin, on comprend que l’appelante a quitté l’audition sur sanction lors des représentations de l’intimé devant le Conseil.
- Alors qu’en est-il de la décision sur sanction? La sanction totale imposée à l’appelante est une radiation permanente, la sanction la plus sévère qui soit. Cela dit, l’examen de la décision sur sanction et les nombreuses et très graves infractions pour lesquelles l’appelante a été déclarée coupable, nous mènent à conclure à l’absence d’erreur révisable.
- En terminant, le Tribunal est conscient des questions de coûts associés à la production des transcriptions des dépositions et pièces pertinentes aux moyens d’appel[8]. C’est d’ailleurs ce que l’appelante alléguait au Tribunal lors de l’audience comme motif sous tendant sa non-production de la preuve administrée devant le Conseil.
- Or, se pourvoir en appel contre une décision sans produire la preuve pertinente est un exercice qui s’avère souvent futile sans compter les coûts importants engendrés pour les parties et la monopolisation inutile des ressources judiciaires.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
- REJETTE l’appel des déclarations sur culpabilité;
- REJETTE l’appel sur sanctions;
- CONDAMNE l’appelante aux déboursés.
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| __________________________________ THIERRY NADON, J.C.Q. __________________________________ PATRICIA COMPAGNONE, J.C.Q. __________________________________ ROBERT MARCHI, J.C.Q. |
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Mme Geneviève Bilodeau Agissant personnellement Appelante |
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Me Alain Galarneau Pouliot, Prévost, Galarneau, s.e.n.c. Pour l’Intimé |
Me Roxanne Daviault Secrétaire du Conseil de discipline de la Chambre des notaires du Québec Mise en cause |
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Date d'audience : C.D. No : | 14 mai 2025 26-21-01449 Décision sur culpabilité rendue le 28 juin 2023 Décision sur sanction rendue le 18 octobre 2023 |
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[6] Voir : Sangaré c. Barreau du Québec (syndic adjoint), 2024 QCTP 30, par. 10; Vu c. Pharmaciens (Ordre professionnel des), 2024 QCTP 56, par. 47; Nellis c. Arpenteurs-géomètres (Ordre professionnel des), 2024 QCTP 55, par. 7; Desmeules c. Dentistes (Ordre professionnel des), 2025 QCTP 7, par. 15; Behmanesh c. Dentistes (Ordre professionnel des), 2025 QCTP 21, par. 45.